La bourdaine (Rhamnus frangula)

Bourdaine_baies

Synonymes : bourgère, bourgain, nerprun bourdainier, nerprun noir, aulne noir, aune noir, bois noir, bois à poudre, arbre à sang, rhubarbe des paysans, bois puant, bois de rose (le cœur du bois est de cette couleur, alors que l’écorce de la bourdaine, assez nauséabonde, rappelle l’odeur du cornouiller sanguin, Cornus sanguinea), prunier noir (en latin populaire, niger prunus a donné, par contraction, le mot nerprun), etc.

La bourdaine est un rhamnus, de la famille des Rhamnacées. Mais avant même d’être un rhamnus, c’est, en grec, un rhamnos, mot qui désigne déjà l’arbuste en général. C’est pourquoi, lorsqu’on prend connaissance des textes anciens, il ne faut pas s’y tromper : rhamnos n’y signifie pas forcément la bourdaine. C’est en partie cela qui fait dire que la bourdaine a été ignorée (inconnue ?) des anciens Grecs et Latins.
Chez les Grecs, le rhamnos est, certes, un arbuste, mais épineux, ce que n’est pas la bourdaine. Ainsi, le rhamnos de Théophraste (un nerprun fétide, un lyciet ?), le rhamnos de Dioscoride (un nerprun faux-olivier, un paliure ?) ou le rhamnus de Pline (un paliure ?), ne correspondent en rien à l’identité de la bourdaine. C’est ce qui a fait dire que la bourdaine n’a pas été mentionnée par les auteurs de l’Antiquité gréco-romaine, ce que je crois, compte tenu de son aire de répartition : la bourdaine n’est pas une espèce méditerranéenne. A tel point que Fournier fournit une hypothèse concernant le mot rhamnus : il proviendrait du celtique ram qui veut dire « épine ». C’est sans doute une confusion autour du mot rhamnus qui a fait dire que la fumée dégagée par l’écorce de bourdaine brûlée faisait fuir les esprits malins, une indication assez proche de celle que propose le Livre des Cyranides : « Si tu places dans ta demeure un rameau de la plante rhamnus, tous les mauvais esprits s’enfuiront ». Mais, en l’occurrence, il s’agit d’un nerprun, non de la bourdaine. Une mauvaise lecture, une interprétation erronée sont, sans doute, à l’origine de cette croyance de protection contre les esprits des morts. Par exemple, à Athènes, lors de la fête des Chytroi (la fête des marmites), il était de coutume, le troisième jour des Anthestéries (au début du mois de mars), d’honorer Dionysos, en lui offrant des plats cuisinés placés dans des marmites. Mais cette fête était aussi l’occasion de « mâcher des feuilles de rhamnos […] pour se protéger des morts qui […] étaient censés revenir dans le monde des vivants pour les tourmenter » (1). De même, « des branches de rhamnos placées aux portes et aux ouvertures passaient, d’après Dioscoride, pour éloigner les ‘maléfices des magiciens’ » (2). Mais Dioscoride n’évoque ici qu’un nerprun, qui plus est épineux, et l’on sait toute la valeur accordée aux arbustes épineux par les Anciens sur la question de la protection. Or, la bourdaine est un nerprun sans épines.
Sur ces faits, je ne pense pas que la bourdaine ait été connue des anciens Grecs et Romains.

Le Moyen-Âge en fait peu de cas, du moins l’époque médiévale nous offre-t-elle deux avis contraires. Le premier revient à Hildegarde de Bingen qui dit de son Jolbaum qu’il est « comme une ivraie inutile ». La seconde émane de Pierre de Crescences qui mentionne, aux environs de 1305, que « l’anormus est un petit arbre qui croît dans les montagnes duquel l’écorce du milieu donnée à boire ou en viande, lâche le corps merveilleusement ». Au Moyen-Âge, on a dit que la bourdaine était peu employée, puisqu’on lui préférait le séné en provenance du Levant ou d’Alexandrie. Mais, à la même époque, la bourdaine était encore fournie par l’Allemagne, l’Autriche et, plus loin encore, la Turquie. Bref.

Dès le début de la Renaissance, on parle beaucoup de la bourdaine, même si on ne l’a jamais vue in situ, tel Matthiole qui dit que « son écorce est très active. Elle purge et tonifie comme la rhubarbe, expulse la bile, la pituite et l’eau des hydropiques. C’est une purgation très douce, qui nettoie parfaitement le foie et le fortifie au point que certains sujets atteints de cirrhose et de maladies de la rate s’en sont trouvés guéris. L’écorce externe est astringente, l’interne est dépurative » (3). Comme nous le voyons, la bourdaine, que Dodoens et Matthiole appelaient frangula, a été, ici, admirablement décrite dans ses effets, tandis que Jérôme Bock, au même titre que Matthiole d’ailleurs, recommandait l’usage de l’écorce sèche.
On peut dire que la carrière médicinale de la bourdaine débute véritablement il y a environ cinq siècles, du moins en Europe occidentale. Aux XVII ème et XVIII ème siècles, on considère la bourdaine comme le plus efficace succédané de la rhubarbe, mais aussi le plus économique. C’est ainsi qu’on la rencontre à la cour du roi Louis XIV, le champion de la purge, qui, à chaque fin d’hiver, se faisait drastiquement purger grâce à différentes plantes dont la bourdaine. Alors que Lieutaud (1766) préférait à la bourdaine le séné (Senna alexandrina), qu’il jugeait « moins dangereux », Linné faisait, à la même période (1768), grand cas de la bourdaine. Puis, cette plante sombrera dans l’oubli jusqu’à ce que le docteur Grumprecht ne démontre que bourdaine et rhubarbe présentent des effets similaires (1846). On mettra aussi en évidence l’action laxative remarquable de la bourdaine, laquelle n’est accompagnée d’aucun phénomène d’irritation ou d’intolérance. Malgré cela, la bourdaine sera détrônée par le cascara (Rhamnus purshiana), botaniquement très proche de la bourdaine et dont le seul avantage par rapport à cette dernière réside dans son « exotisme » (le cascara est originaire d’Amérique du Nord). C’est sous l’impulsion de Leprince, en 1892, que la bourdaine perd peu à peu du terrain au profit du cascara. Cela n’empêchera par Leclerc (dans les années 1920) et Poulsons (1930) de parler de la bourdaine dans les meilleurs termes. Ce dernier dira que « même après un long usage, la bourdaine perd très peu de son efficacité, avantage fort rare pour une drogue ».

La bourdaine est un arbuste dont la taille varie de deux à cinq mètres, même s’il lui arrive, exceptionnellement, d’atteindre six à sept mètres. Elle fait partie, avec l’aubépine et la viorne, de ces quelques rares petits arbres à porter un nom féminin (si l’on considère l’ensemble des arbres, tous portent un nom masculin, à l’exception du bouleau qui sera resté féminin jusqu’au XVI ème siècle). Ses branches, minces et lisses, sont couvertes d’une écorce de couleur brun rougeâtre, ponctuée de taches grises. Les feuilles de la bourdaine, ovales et brièvement pétiolées, sont glabres au-dessus et légèrement duveteuses sur la face inférieure. Les fleurs blanches prennent place au bout d’un long pédoncule et fleurissent entre mai et juillet, et attirent énormément les abeilles. Plus tard, des baies globuleuses violet sombre, voire noires, apparaissent. La bourdaine est assez fréquente de la plaine à la moyenne montagne. Elle est présente dans toute l’Europe, à l’exclusion des régions trop nordiques et méditerranéennes.

Bourdaine_écorce

La bourdaine en phytothérapie

La partie de la bourdaine la plus usitée par la phytothérapie se trouve être l’écorce, plus précisément celle des rameaux. C’est exactement la seconde écorce qui est concernée, celle-là même située entre l’écorce proprement dite et l’aubier, de couleur jaune et de saveur amère et nauséabonde. Les Anciens ont remarqué que cette seconde écorce se comportait différemment selon qu’elle était fraîche ou sèche. Dans le premier cas, elle est vomitive. Or tel n’est pas le but recherché par le phytothérapeute lorsqu’il souhaite employer la bourdaine. La dessiccation de la seconde écorce a pour résultante de détruire les substances émétiques qu’elle contient. Il s’avère que la meilleure seconde écorce qui soit est celle qui est prélevée sur les rameaux âgés de trois à quatre ans (au-delà, l’écorce est moins active en raison de principes actifs en moindre quantité et qualité), de préférence durant la floraison de la bourdaine (mai-août) car elle a alors l’avantage de mieux se détacher. Une fois sèche, on constate que plus cette seconde écorce est vieille et mieux elle agit.
Dans la bourdaine, on trouve du tanin, des flavonoïdes, du mucilage, ainsi que des anthraquinones dont la franguline.

Propriétés thérapeutiques

  • Laxative douce
  • Purgative
  • Cholagogue
  • Vermifuge
  • Digestive
  • Fébrifuge
  • Astringente, détergente, cicatrisante

Usages thérapeutiques

  • Constipation chronique, aiguë, spasmodique
  • Parasites intestinaux (ténia)
  • Hémorroïdes
  • Obésité, embonpoint, cellulite
  • Insuffisance biliaire
  • Affections cutanées : acné, plaie atone, ulcère, gale, teigne, dartre
  • Sudation de la ménopause

Modes d’emploi

  • Décoction suivie de macération (l’action de la bourdaine est assez lente, de l’ordre de huit à dix heures après ingestion ; en cas de constipation opiniâtre, il est conseillé d’en absorber la décoction le soir)
  • Poudre de seconde écorce sèche
  • Teinture-mère
  • Vin
  • Sirop

Contre-indications, précautions d’emploi, autres usages

  • La bourdaine, surtout en décoction, est assez imbuvable. Pour la rendre plus confortable, il est possible de l’aromatiser avec de la menthe, du romarin, de l’anis vert, du fenouil, des zestes d’orange, etc.
  • Outre ce problème de saveur amère prononcée, il est possible que certains intestins délicats ne supportent pas la bourdaine. En ce cas, il est possible d’absorber une décoction de bourdaine en compagnie de plantes émollientes et mucilagineuses (mauve, guimauve, graines de lin, etc.).
  • Est-il besoin de le rappeler, l’écorce de bourdaine ne s’utilise pas fraîche, car les principes actifs contenus dans la seconde écorce sont irritants pour les intestins. C’est pourquoi les écorces sont récoltées et séchées pendant au moins un an afin que les principes actifs responsables de l’action éméto-cathartique de la plante soient oxydés et, partant, deviennent moins agressifs pour l’organisme. Tout au plus l’écorce fraîche provoque-t-elle nausées, vomissements et coliques. Ses effets sont beaucoup moins graves que ne l’affirmaient certains prospectus alarmistes au début des années 2000.
  • Dans le même ordre d’idée, il a été dit que la bourdaine était incompatible avec la grossesse. Rien n’est plus faux, car le prétendre désavouerait les paroles du docteur Leclerc : « Comme elle ne détermine pas d’exagération du péristaltisme de l’intestin on peut la prescrire aux femmes enceintes » (4).
  • Les baies de bourdaine sont, dit-on, toxiques, en raison de la présence d’un alcaloïde aux effets psychotropiques… Or, bon nombre de praticiens (parmi lesquels Cazin) n’ont jamais noté d’effets purgatifs ni toxiques à l’absorption parfois massive de ces baies.
  • La bourdaine est une espèce tinctoriale qui a autrefois été prisée. La seconde écorce offre un pigment jaune qui devient rouge cerise par adjonction d’ammoniaque, mais les teinturiers lui ont préféré le Rhamnus infectorius, désigné parfois par le nom vernaculaire de « graines d’Avignon ». Quant aux baies, on en extrait un pigment vert, le « vert-de-vessie », utilisé par les enlumineurs.
  • L ‘adjectif latin frangula qui qualifie la bourdaine fait « allusion à une certaine fragilité des rameaux qui s’allie cependant à une grande souplesse puisqu’on peut les employer à la place de l’osier et de la viorne et que l’on en fabrique des balais plus durables que ceux de bouleau » (5). Par ailleurs, le bois de bourdaine, surtout les rejets, jouèrent un rôle en vannerie.
  • Si le bois vert de bourdaine, lentement carbonisé, permettait de fabriquer du fusain, le charbon du même bois entrait, avec soufre et salpêtre, dans la composition de la poudre noire, d’où son surnom de « bois à poudre », ou d’ « arbre à sang » en Aquitaine, car on s’en est beaucoup servi lors de conflits armés.
    _______________
    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 190
    2. Ibidem, p. 214
    3. Matthiole cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, pp. 674-675
    4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 3
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 674

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Bourdaine_fleurs

Huile essentielle de petit grain combava (Citrus hystrix)

Combava_fruit

Le combava est le fruit d’un petit arbre de la famille des Rutacées (celle qui regroupe l’ensemble des agrumes) originaire d’Indonésie. Il a été dispersé dans l’Océan indien au XVIII ème siècle et se trouve aujourd’hui encore aux Comores, à la Réunion, à Madagascar…
Ce fruit, tout grumeleux, ressemble à un citron cabossé. Quant aux feuilles de l’arbre qui le porte, elles sont resserrées en leur milieu.

Le petit grain combava en aromathérapie

La chromatographie en phase gazeuse est très claire en ce qui concerne la composition biochimique de cette huile essentielle :

  • Aldéhydes monoterpéniques : 75 %
  • Monoterpénols : 7 %
  • Monoterpènes : 2 %
  • Esters : 2 %

Cela en fait donc un produit assez semblable à l’eucalyptus citronné et à la citronnelle de Java, en raison d’un fort taux de citronnellal dans chacune de ces huiles essentielles. En revanche, il saura ravir ceux que citronnelle et eucalyptus citronné laissent froid.
Comme c’est le cas de tous les petits grains (mandarinier, bigaradier, citronnier…), ce sont les feuilles, ramilles et petits fruits du combava que l’on distille à la vapeur d’eau : il s’agit donc bien d’une huile essentielle et non d’une essence. D’une densité égale à 0,88, l’huile essentielle de petit grain combava est limpide, mobile et incolore.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédative et calmante du SNC, négativante, apaisante, hypotensive
  • Tonique intellectuelle, anti-asthénique
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antivirale, antiseptique atmosphérique (en raison de l’action du citronnellal entre autres)
  • Anti-inflammatoire locale puissante, antalgique par action sur le système neuro-endocrinien
  • Stimulante hépatobiliaire, décongestionnante des voies biliaires
  • Apéritive, digestive
  • Anti-oxydante, antiradicalaire
  • Insectifuge, insecticide (cf. citronnellal)

Usages thérapeutiques

  • Pathologies rhumatismales, articulaires, musculaires et tendineuses
  • Asthénie physique, psychique, nerveuse et intellectuelle
  • Mycoses
  • Répulsif insectes (le citronnellal détruit les larves du moustique responsable de la dengue, Aedes aegypti)
  • Hyperkinésie, agitation, émotivité, nervosité, stress, anxiété, insomnie d’origine nerveuse, déprime

Par son action sur l’encéphale droit, l’huile essentielle de petit grain combava vise le confort et le bien-être. En relation avec le parasympathique, c’est une huile essentielle qui met en veille, elle autorise donc le repos, la récupération, en particulier en fin de journée.

Modes d’emploi

  • Voie orale
  • Voie cutanée diluée
  • Olfaction
  • Diffusion atmosphérique

Précautions d’emploi, remarques

  • Par voie cutanée, cette huile essentielle peut être irritante pour les peaux sensibles ainsi que pour les muqueuses. Dans ce cas, on prend garde de la diluer préalablement dans une huile végétale.
  • Par voie aérienne (olfaction, diffusion), les aldéhydes monoterpéniques sont connus pour leurs effets lacrymogène et tussigène, en particulier chez les personnes très sensibles.
  • Comme de nombreuses autres huiles essentielles et essences, le petit grain combava est utilisable en cuisine. Une goutte en fin de préparation est largement suffisante pour l’aromatiser.

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Combava_feuilles

Le lierre terrestre (Glechoma hederacea)

Lierre_terrestre_feuilles

Synonymes : gléchome, gléchome faux-lierre, rondotte, rondelette, drienne, courroie de terre, courroie de Saint-Jean, herbe de Saint-Jean, herbe de bonhomme

Certains ont cru voir dans le chamaïkissos de Dioscoride et le chamaecissos de Pline le lierre terrestre eu égard à l’étymologie de ces deux mots (chamaï, « proche de la terre » et kissos, « lierre »). C’est ce qui rend difficile son identification dans les textes antiques, d’autant plus que Linné a affublé cette plante du nom latin de glechoma en 1753, terme qui désignait la menthe pouliot (glêkhôn) durant l’Antiquité. S’il n’a rien du lierre, il est beaucoup plus proche de la menthe pouliot, lamiacée comme lui. Si on l’appelle lierre terrestre, ce n’est pas pour la raison faussement évidente qu’il aurait quelques liens de parenté avec le lierre grimpant (Hedera helix), non. Ce qui vaut au lierre terrestre de porter le nom de son illustre « cousin » plus connu, tient à la particularité des tiges qui présentent, tout comme le lierre grimpant, deux formes : des tiges ascendantes et radicantes qui fleurissent et des tiges rampantes dépourvues de fleurs et donc stériles. Ainsi, le lierre terrestre court loin (parfois plus d’un mètre) et grimpe, pas très haut, puisque les tiges ascendantes ne dépassent jamais une hauteur maximale de 30 cm. Les feuilles – cordiformes et longuement pétiolées – présentent des bordures crénelées et un aspect gaufré, un peu à l’image de celles de la mélisse. Froissées, ses feuilles aromatiques laissent échapper un parfum particulier qui ajoute une différence olfactive avec celle du lierre grimpant. Malgré cela et la forme des feuilles, la confusion entre ces deux lierres sera allée bon train. Et que dire des fleurs bleu violacé du lierre terrestre, groupées par deux à cinq à l’aisselle des feuilles et toujours tournées dans la même direction ? A elles seules, elles sont un critère distinctif. Après, vous dire si la plante longuement décrite dans le Traité des plantes de Théophraste est bel et bien le lierre terrestre… Bien des commentateurs se sont penchés sur le cas du glechon de Théophraste. Les idées avancées (menthe pouliot, menthe à feuilles rondes, lierre terrestre…) ne restent qu’hypothèses, d’autant que, rappelle Fournier, le lierre terrestre est très rare en Grèce. Est-ce bien aussi un lierre terrestre que décrit Galien comme astringent, porteur de qualités chaudes, âcres, mordantes ?

Le Moyen-Âge dit peut de choses à propos du lierre terrestre. Tout au moins sait-on qu’il est présent au sein d’un recueil rédigé par un monastère carolingien aux VIII-IX ème siècles. Puis, c’est au tour d’Hildegarde de Bingen de se pencher sur le cas du lierre terrestre (Gunderebe) qu’elle distingue du lierre grimpant (Ebich). « Sa viridité, dit-elle, est utile : si quelqu’un souffre de langueur et perd la raison, qu’il en fasse tremper dans de l’eau froide, avant de le faire cuire dans du jus ou dans des légumes, et qu’il en mange souvent avec de la viande ou des plats de légumes, et il s’en portera mieux » (1). Clairement, Hildegarde donne le lierre terrestre comme anticéphalique, mais il est aussi pectoral et vulnéraire selon elle.

Au début de la Renaissance et même après, nombreux seront les praticiens à reconnaître au lierre terrestre deux domaines d’action principaux : la sphère pectorale et l’interface cutanée. Otto Brunfels, Jérôme Bock, Dodoens, Matthiole, Cameriarus, Jean Bauhin, etc., tous y vont de leurs observations, jusqu’à ce que le dithyrambique Simon Pauli ne prétende avoir guérit plusieurs cas de tuberculose au XVII ème siècle, ce en quoi il sera suivi par Ettmuller, Willis, Murray qui rapportent son efficacité sur ce que l’on appelait la phtisie. Mais, comme l’indique, beaucoup plus tard, le docteur Leclerc, il y a de fortes chances pour que ces phtisies n’en aient pas été. Il s’agissait très probablement de catarrhe bronchique dont le rapport avec le bacille de Koch n’est en rien comparable. Au XIX ème siècle, le docteur Cazin considérait toujours cette maladie qu’est la tuberculose comme quasiment incurable. C’est ainsi que « depuis lors, on s’est refusé à voir de véritables phtisies dans les maladies guéries par cette plante » (2), et qu’il est plus prudent de voir dans le lierre terrestre un pectoral et un stimulant bronchique à même de résoudre, tout comme l’hysope officinale, le catarrhe bronchique, l’asthme humide et les vieilles toux traînantes.

Il est dit que, selon Pline, le lierre terrestre aurait été l’une des plantes favorites des druides, ce qui explique en partie pourquoi on le retrouve dans la longue liste des herbes solsticiales, plus communément appelées « herbes de la Saint-Jean ». A ce titre, on rapporte que le lierre terrestre aurait comme vertu de soigner la « folie » en imbibant « des feuilles de papier buvard de sa décoction qu’on appliquait sur le crâne rasé des malheureux déments » (3). Peut-être que cet étrange procédé s’explique par le fait que saint Jean-Baptiste était invoqué contre épilepsie, spasmes et convulsions…
Celui que l’on surnomme « courroie de Saint-Jean » jouait surtout le rôle d’oracle de guérison par l’intermédiaire d’une tireuse de saints. Voici comment procéder : après avoir ramassé une tige de lierre terrestre, il faut écrire sur chacune de ses feuilles autant de noms de saints que la tige porte de feuilles. On la dépose ensuite dans un verre d’eau bénite. Le lendemain, c’est la feuille qui a le plus blanchi qui désigne le nom du saint à invoquer et, par voie de conséquence, la nature du mal dont souffre le patient. Parfois, on procédait de façon légèrement différente : on se contentait de jeter les feuilles portant les noms de saints dans une fontaine. La première feuille qui venait à couler indiquait le saint guérisseur.

Bien que le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 légalise sa vente en dehors des pharmacies et des herboristeries, on ne peut dire que le lierre terrestre ait retrouvé une seconde jeunesse, tout au plus est-il considéré comme une plante médicinale de seconde zone. Pourtant, c’est une plante très commune, tout comme peuvent l’être d’autres plantes majeures telles que la verveine officinale et la fumeterre officinale. On la trouve en plaine ainsi qu’en moyenne montagne jusqu’à 1600 m d’altitude. Elle recherche des sols richement azotés et élira domicile en colonies sur talus et décombres, en bordures de chemins, dans les bois et les jardins. Elle est géographiquement présente en Europe (hormis le Midi de la France et d’autres zones trop sèches), au Caucase, en Amérique du Nord.

Lierre_terrestre_fleurs

Le lierre terrestre en phytothérapie

De cette petite représentante des Lamiacées, on use de la plante entière fleurie, récoltée à la fin du mois de juin, voire au début de juillet. Selon les régions, on peut la cueillir plus tôt, vu qu’elle fleurit dès le mois de mai. Elle contient du tanin, des flavonoïdes, une résine amère, ainsi que de la marrubiine, ce qui en fait une plante assez proche du marrube. En outre, la plante recèle différents acides (vinique, acétique, ursolique), ainsi qu’une très faible proportion d’une essence de couleur verdâtre, aromatique et balsamique, un peu âcre, contenant principalement des sesquiterpènes (55 à 65 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulant bronchique, expectorant, antispasmodique bronchique, antitussif
  • Excitant et fortifiant du métabolisme général, tonique
  • Diurétique
  • Résolutif, détersif, vulnéraire, calmant cutané
  • Antiscorbutique
  • Stimulant gastro-intestinal et biliaire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, irritation des muqueuses bronchiques, inflammation des muqueuses de la gorge et du nez, bronchectasie, hypercrinie bronchique, catarrhe bronchique chronique, asthme humide, toux, bronchorrhée, sinusite
  • Troubles de la sphère digestive : dyspepsie avec hyperacidité, inappétence, atonie digestive, flatulence, digestion pénible, gastrite
  • Leucorrhée, gonorrhée
  • Affections cutanées : plaie atone, plaie sanieuse, ulcère scrofuleux, abcès, furoncle, brûlure, coup, choc, inflammation, contusion

Modes d’emploi

  • Infusion, décoction de plante fraîche
  • Suc frais
  • Sirop
  • Alcoolature
  • Cataplasme de feuilles fraîches réduites en bouillie
  • Macération de feuilles fraîches dans de l’huile d’olive

Contre-indications, remarques

  • Un usage prolongé de lierre terrestre peut provoquer des diarrhées.
  • Le lierre terrestre est déconseillé en cas d’irritation bronchique accompagnée de toux sèche et se réserve à des affections marquées par une abondante expectoration. En effet, rappelons-nous que le lierre terrestre se rapproche du marrube par son action, bien qu’il soit plus asséchant encore (assez similaire à l’hysope officinale). D’ailleurs, Hildegarde ne disait-elle pas du lierre terrestre qu’il est chaud et sec ?
  • Les feuilles qui, lorsqu’elles sont jeunes sont comestibles, furent autrefois utilisées pour aromatiser et conserver la bière.
  • Une fois récolté et séché, le lierre terrestre doit être entreposé dans un lieu sec à l’abri du contact de l’air, sans quoi il attire l’humidité et finit par noircir.

  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 66
  2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 568
  3. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 276

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Le narcisse mythologique en Grèce antique

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Des nombreux narcisses qui poussent en Europe, on connaît surtout le narcisse des poètes (Narcissus poeticus) et la jonquille (Narcissus jonquilla), de couleur blanche pour le premier, jaune pour la seconde.
Durant l’Antiquité, le mot « narcisse » s’avère être un nom attribué à bien des planes à bulbes (ornithogales, tulipes, perce-neige…). Cela explique pourquoi l’on trouve chez Théophraste la description d’un narcisse qui n’en est pas un. En effet, ce botaniste grec évoque à son sujet une fleur de couleur sombre qui fleurit à l’automne. En revanche, le narkissos de Dioscoride, dont la description est précise, nous renvoie indubitablement au narcisse des poètes. Ce médecin grec employait les bulbes de cette plante. Une fois cuits, il les broyait et les appliquait en cataplasme sur brûlures, luxation, abcès et douleurs rhumatismales.
Si on le dit « des poètes », c’est parce que nombreux ont été les aèdes antiques à y faire référence. Bien que non spécialises en la matière (botanique et médecine), il transpire, des écrits qu’ils nous ont laissés, une connaissance bien particulière au sujet de cette plante. De même qu’Hésiode a cherché à raconter la naissance des dieux dans sa Théogonie, je vais m’employer à relater la phytogonie du narcisse (un néologisme que j’ai construit sur la base de deux racines grecques : phyto, « plante » et gonos, « naissance »). Ainsi, la phytogonie cherche-t-elle à expliquer comment les plantes sont apparues selon les anciens mythes grecs relayés par les poètes. Vous verrez que, bien que ce soit une manière assez fantasque de décrire le monde végétal, il n’en reste pas moins qu’au sein de cette apparente fantaisie, des éléments permettent d’émettre l’hypothèse selon laquelle les poètes en savaient bien plus qu’on ne l’imagine sur les plantes en général, le narcisse en particulier.
Superposer des éléments mythologiques à des données plus modernes est indispensable. On ne peut en faire l’économie si l’on souhaite mieux comprendre un mythe comme celui de Narcisse, par exemple.

Narcisse_Conda_de_Satriano_1893_(extrait)

Narcisse, ce jeune homme d’une grande beauté, ne doit pas sa renommée au seul narcissisme dont son mythe a accouché. Le mythe de Narcisse, c’est avant tout la rencontre de deux destins biaisés dès le départ : celui de Narcisse d’une part, d’Écho d’autre part. Sur chacun de ces deux personnages pèse une malédiction. Le devin Tirésias, à qui Héra arracha la vue, prédit « que Narcisse vivrait tant qu’il ne verrait pas sa propre image. Némésis, au cours d’une chasse, poussa le jeune homme à se désaltérer dans une fontaine. Épris d’amour pour ce visage que lui renvoyaient les ondes, et qu’il ne pouvait atteindre, incapable de se détacher de sa vue, Narcisse en oublia de boire et de manger, et, prenant racine au bord de la fontaine, il se transforma peu à peu » (1). « A sa place l’on trouve une fleur safranée au cœur ceint de pétales blancs » (2). Parfois, on nous conte que, désespéré, Narcisse se poignarda le cœur. Du sang écoulé, naquit le narcisse, ou bien que, Narcisse s’étant trop penché, celui-ci tomba et se noya. Ce qui semble peu crédible eu égard au développement que nous allons donner à cette synthèse.
Bien sûr, à ce stade-là, Narcisse a déjà fait la rencontre de la nymphe Écho. Cette dernière, pour avoir dissimulé les frasques de Zeus aux yeux d’Héra en bavardant sans cesse afin de détourner l’attention de la déesse trompée, en fit sans doute un peu trop, puisque Héra découvrit la ruse de la nymphe. Pour laver cet affront, elle jeta un sort à Écho : elle serait désormais vouée à ne répéter que les derniers mots des phrases prononcées par ses interlocuteurs. C’est ce qui se produisit lorsqu’elle tomba en pâmoison devant Narcisse : le charme d’Héra opéra. Mais, Narcisse, lassé de ce prodige, pour lui incompréhensible, éconduisit la nymphe qui tomba alors dans un profond chagrin.
Il y a, en chacun de ces deux personnages, une similitude dans un motif qui mérite d’être relevée : la vision que Narcisse observe dans l’onde n’est qu’une représentation altérée de la réalité, de même que les « échos » de la nymphe ne sont qu’imparfaits.
Tentons maintenant d’expliquer le choix du narcisse pour illustrer ce mythe. Cette fleur, qui pend toujours d’un côté, figure le visage de Narcisse penché au-dessus des eaux. « D’après Pausanias, Narcisse se serait regardé dans l’eau, trompé par l’image de sa sœur bien-aimée, qu’il croyait y voir, au lieu de la sienne » (3). Prostré, frappé de stupeur, immobile près de l’eau, Narcisse est comme paralysé. Or le narcisse porte son nom (narkissos), « parce qu’il engourdit les nerfs et provoque une pesante torpeur » (narkôdeis), nous explique Plutarque. Il est vrai qu’en grec, le mot narké désigne la narcose, c’est-à-dire un sommeil artificiel provoqué par une substance narcotique et assoupissante. Le narcisse est-il lui-même narcotique, ce qui expliquerait le choix de cette fleur pour illustrer ce mythe ? Pline et Plutarque avaient déjà connaissance de ce que relate Paul-Victor Fournier, à savoir que « le seul parfum [du narcisse] est déjà narcotique » (4). C’est pourquoi, comme le conseille Bernard Bertrand dans son Herbier toxique, il est prudent de ne pas « mettre son bouquet dans une chambre à coucher hermétiquement close » (5). D’un point de vue biochimique, il est permis de dire que le narcisse recèle un alcaloïde paralysant, la narcissine, ainsi qu’une substance amère, drastique et toxicardiaque, la scillaïne. La toxicité du narcisse pourrait expliquer les aspects paralysants de la vision amoureuse du jeune Narcisse, et donc l’étiolement de sa jeunesse, sa métamorphose en narcisse symbolisant la précocité de la mort. A ce titre, il est attesté que des narcisses placés dans un vase contenant d’autres fleurs les font faner plus rapidement. A l’image de Narcisse, elles dépérissent plus vite. Peut-on alors affirmer que Narcisse décède d’une paralysie du muscle cardiaque ? Dès lors, comme l’indique Plutarque, cela a valu au narcisse l’appellation de « couronne antique des grandes déesses » et d’être en relation avec les cultes infernaux. Devenu funéraire, le narcisse coiffe alors la tête des morts, mais également celles des Érinyes, des Moires, de Dionysos (le vin et le narcisse provoqueraient une torpeur identique), d’Hadès enfin, une divinité dont nous allons bientôt reparler.
Planté sur les tombeaux et les stèles, par son caractère d’outre-tombe, le narcisse symbolise « l’engourdissement de la mort, mais d’une mort qui n’est peut-être qu’un sommeil » (6). On est donc loin de l’imagerie d’Épinal qui fera, par la suite, du narcisse un emblème de vanité, de complaisance, d’égocentrisme, d’autosatisfaction, et donc porteur de toutes les superstitions afférentes. Par exemple, vu en songe, le narcisse est de mauvais augure, ou bien : « Un fiancé n’offre jamais de narcisse à sa promise. Le parfum de cette fleur maléfique la rendrait à tout jamais amoureuse d’elle-même et plus du tout de lui » (7). On ne peut donc faire de Narcisse un mufle égoïste, puisqu’il est victime, bien malgré lui, de la fleur-piège (dolon), à la manière d’une certaine Koré dont nous allons maintenant raconter un épisode demeuré célèbre : son rapt par Hadès.

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Les vers 4 à 20 de l’hymne n° 2 pour Déméter décrivent l’enlèvement de Koré, jeune fille en fleurs, par le truchement de la fleur-piège, le narcisse et son envoûtant parfum. Elle « cueillait des fleurs, roses, crocus et violettes aimables dans une prairie d’herbe douce, flambes d’eau, jacinthes et ce narcisse, piège pour la fille […] A partir de la racine cent têtes venaient à fleurir et le parfum le plus doux faisait sourire la terre et, par-dessus, le ciel immense, et les vagues salées de la mer. Elle soudain tressaillit, leva ensemble les deux mains pour prendre ce beau jouet » (8). On connaît la suite, la divinité chthonienne Hadès surgit du sol et s’empare de celle qui deviendra désormais Perséphone. Mais arrêtons-nous juste à l’instant où Koré pose les yeux sur le narcisse. Cette vision éblouissante d’une fleur étonnante et brillante doit attirer l’œil de Koré. La stupéfaction de la jeune fille ressemble en tout point à celle de Narcisse (à la différence près que c’est la stupéfaction de Narcisse qui crée la fleur qui porte son nom, alors que la stupéfaction de Koré est provoquée par le narcisse lui-même). De plus, le pré tendre dans lequel la scène se déroule est propice aux entretiens amoureux, sous-tendus par le parfum mirobolant du narcisse « qui évoque clairement le code des senteurs mobilisé par l’érotique grecque » (9). En effet, dans les fleurs de narcisse, on trouve ce que l’on appelle de l’huile de narcisse. Très rare, elle nécessite une tonne de fleurs pour n’en obtenir qu’à peine 70 g (rendement : 0,007 % !) destinés spécifiquement à la parfumerie de luxe. Pour cela, on cultive le narcisse en grand en Suisse, aux Pays-Bas, au Maroc, en Égypte, en France (Auvergne, Hautes-Alpes). Koré est pétrifiée, médusée même. Elle semble être l’objet d’une pratique digne d’Athéna narkaîa : « l’épiclèse narkaîa mérite […] attention. Elle ramène à ce mode d’intervention d’Athéna, qui s’exerce sur et par la vue. En effet, cette épiclèse est formée sur le substantif narké qui désigne […] un état physico-psychique (l’engourdissement, la torpeur) » (10). Non seulement Koré est engourdie par la vision du narcisse, mais, de plus, le parfum de cette plante ravissante participe-t-il au rapt de Koré. En effet, ravir, c’est « entraîner avec soi », « enlever de force ». On peut donc dire de Koré qu’elle présente les symptômes d’une intoxication au narcisse (paralysie, engourdissement), chose qui a dû grandement bénéficier à Hadès. En cela, le parfum peu ordinaire du narcisse y a aidé. On décèle, en lui, des notes de rose, d’iris et de violette (trois plantes qu’on rencontre aussi dans la prairie dans laquelle l’enlèvement de Koré a lieu), mais aussi de fleur d’oranger, de tubéreuse, de jasmin, d’œillet et d’ylang-ylang, soit un ensemble de plantes lourdement chargées en pouvoir érotique…

Pratiquement oublié du Moyen-Âge, il faut attendre le XIX ème siècle pour que fleurissent de multiples observations et recherches au sujet du narcisse. Dans l’ensemble, le narcisse est vomitif, purgatif et toxique à hautes doses. Le bulbe est la partie la plus vomitive (drastique). Les fleurs sont laxatives, antispasmodiques, antidiarrhéiques, antidysentériques, émétiques, enfin plus ou moins fébrifuges. Elles relèvent des affections suivantes : coqueluche, affections catarrhales pulmonaires, toux convulsive, asthme, diarrhée chronique, dysenterie, diverses maladies convulsives et nerveuses (névralgie, chorée, hystérie, épilepsie). Comme on le constate avec aisance, le narcisse a pour vertu d’apaiser, de calmer, d’immobiliser. Il n’est guère étonnant qu’il ait été choisi par les Anciens pour illustrer au mieux les deux extraits mythologiques que nous avons abordés. La phytothérapie reconnaît au narcisse une voie d’absorption privilégiée : la voie orale, par l’intermédiaire d’une infusion de fleurs sèches ou de poudre de fleurs sèches mélangée à du miel. La teinture-mère (existe-t-elle encore ?) est utilisée en cas de diarrhées, nausées, maladies broncho-pulmonaires, troubles cardiaques. Cependant, retenons qu’une dizaine de grammes d’extrait de narcisse est neurotoxique. On prendra donc soin de ne pas suçoter une tige de narcisse comme on le fait d’un brin d’herbe, sachant que, chez l’homme, les symptômes d’intoxication sont les suivants : constriction de la gorge, nausée, diarrhée, inflammation des voies digestives, paralysie, défaillance, sueurs froides, douleurs dans les membres, engourdissement général.


  1. Joël Schmidt, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 132
  2. Ovide, Métamorphoses, Livre 3, p. 140
  3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 236. Dans un conte traduit de l’hindoustani et intitulé La rose de Bakawali, on croise un motif assez similaire à l’épisode décrit pas Angelo de Gubernatis, bien qu’il soit inversé comme un parfait reflet : c’est le narcisse (le Soleil), dont la fleur ressemble à un œil, qui demeure dans une continuelle stupéfaction à la vue des yeux noirs et languissants de sa sœur, la fée du ciel (la Lune).
  4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 669
  5. Bernard Bertrand, L’herbier toxique, p. 124
  6. Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 658
  7. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 175
  8. Hésiode, Hymnes homériques, pp. 179-180
  9. Marcello Carastro, La cité des mages, p. 83
  10. Ibid. p. 79

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La salsepareille (Smilax aspera)

Salsepareille_fleurs

Synonymes : salsepareille d’Europe, salsepareille du Midi, salsepareille de Provence, salsepareille d’Italie, liseron piquant, liset piquant, gramon de montagne.

On connaît davantage cette plante pour les spécimens américains qui furent exportés en direction de l’Europe au XVI ème siècle que par l’unique représentante indigène, la salsepareille d’Europe, petite liane très solide et relativement courante dans le Midi de la France, ainsi que sur le pourtour de la Mer méditerranée.
Dès la Renaissance, un médecin italien du nom de Matthiole mettra en évidence les propriétés des salsepareilles exotiques (antisyphilitiques, dépuratives, sudorifiques), avant qu’un pharmacien toulonnais, Antoine Banon, reconnaisse à la salsepareille européenne des propriétés similaires.
Peu connue aujourd’hui, la salsepareille est assez proche de la bryone, autre plante grimpante à la volumineuse racine, quand bien même la racine de la salsepareille, de couleur blanc rosé, n’excède pas la taille d’un doigt. Munie d’épines acérées, la salsepareille les utilise pour s’agripper aux supports auxquels elle grimpe. Si les feuilles basales prennent la forme de cœur, les parties hautes de la plante sont pourvues de feuilles sagittées, c’est-à-dire qu’elles ressemblent à la forme d’un fer de flèche (du latin sagitta, flèche, que l’on retrouve dans le signe astrologique du Sagittaire). Coriaces, persistantes et luisantes, elles eurent de quoi frapper les esprits de l’Antiquité, sans compter que les petites fleurs de couleur jaune verdâtre pâle donnent à l’automne de belles grappes de petites baies globuleuses au rouge étincelant plus ou moins prononcé. Dioscoride et Pline connaissaient cette plante, mais les informations qu’ils délivrent à son sujet sont assez confuses, chose qui s’explique aussi par le fait que les Anciens avaient la fâcheuse habitude de donner le même nom à plusieurs plantes différentes, du fait des menues ressemblances qu’elles partagent. Aussi a-t-on parfois associé la salsepareille à une autre plante grimpante, le lierre. Dioscoride reconnaît cependant à la salsepareille la qualité d’antidote contre les venins : « l’on dit que la donnant en poudre en petite quantité aux enfants nouvellement nés, les venins ne leur nuisent jamais par après. » Dans le Livre des Cyranides – une compilation de traités grecs dont la composition s’étend sur plusieurs siècles –, l’auteur propose une intéressante information à propos de la salsepareille, la recette d’un talisman, que voici : « Grave sur l’émeraude une harpie, sous ses pattes une murène, enferme sous la pierre de la racine de la plante et porte-là contre les visions délirantes, les frayeurs et tout ce qui affecte les lunatiques. »

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La salsepareille en thérapie

La racine de la salsepareille renferme de l’amidon, une résine, des sels minéraux, une essence aromatique, des phytostérols ainsi que des saponosides stéroïdiques.

Propriétés thérapeutiques

  • Purgative
  • Dépurative
  • Diurétique, éliminatrice de l’urée et de l’acide urique
  • Diaphorétique (1)
  • Hypocholestérolémiante
  • Stimulante de la progestérone chez la femme
  • Fixatrice des toxines intestinales
  • Antisyphilitique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère urinaire et rénale : excès d’urée et troubles associés (vomissements, céphalés, sensation de soif, vertiges), rhumatisme, goutte, arthrite, néphrite chronique
  • Troubles de la sphère gynécologique : soulagements du syndrome prémenstruel, ménopause
  • Troubles dermatologiques : démangeaisons, inflammations cutanées, furoncles, eczéma, psoriasis, herpès
  • Maladies vénériennes (syphilis, blennorragie ?)

Modes d’emploi

  • Décoction de racine
  • Poudre de racine séchée

Remarques

  • Au Québec, on appelle salsepareille une autre plante médicinale : l’aralie chassepareille (Aralia nudicaulis). De la famille des Araliacées, cette plante est très proche du ginseng et, comme ce dernier, on en utilise la racine pour ses vertus (antistress, régulateur de la pression sanguine et stimulant général.)
  • Les jeunes pousses de la salsepareille sont comestibles crues ou cuites. Bien que de saveur peu prononcée, elles peuvent se mélanger à d’autres légumes. De plus, elle est parfois utilisée pour aromatiser boissons sucrées et ce que l’on appelle la « bière des racines. »
    _______________
    1. La salsepareille fait partie du groupe des « quatre bois sudorifiques » avec le santal, le gaïac et le sassafras.

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L’ail des ours (Allium ursinum)

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Quand on est face à une plante telle que l’ail des ours, une seule chose à faire : reconnaître son potentiel qui, je vous l’assure, est considérable. Pourquoi les livres actuels ne regorgent-ils pas d’informations à son sujet, alors que l’on sait que des restes de cette plante ont été retrouvés sur des traces d’habitats remontant au Néolithique, période s’étalant de – 9000 à – 3300, ce qui signifie qu’elle était utilisée il y a au moins 5000 ans. Pourtant, on a depuis longtemps remarqué son statut de plante alimentaire et médicinale, elle était connue des Germains et des Celtes, dont le celtique all, « brûlant », a donné son nom à la plante. Quant à ursinum, du latin ursus, « ours », pas de trace à ce sujet. Pourquoi donc ail des « ours » ? C’est, pour moi, un mystère. Il doit bien y avoir, quelque part, une explication, parce que l’ail des ours est très courant en France (Centre, Ouest), en Europe, ainsi qu’en Asie tempérée.

Petite plante vivace et glabre de 10 à 50 cm de hauteur, l’ail des ours forme de denses colonies dans les sous-bois humides. A la base de petits bulbes de forme allongée, s’insèrent des tiges non feuillées de section triangulaire. Ensuite, deux à trois feuilles montent directement du sol. Enfin, en haut de la hampe florale, une inflorescence globulaire composée d’une vingtaine de fleurs en étoile fleurissent entre avril et juin.

L’ail des ours en phytothérapie

Si chez l’ail cultivé (Allium sativum) on se préoccupe principalement du bulbe, en ce qui concerne l’ail des ours, ce sont ses feuilles qui sont davantage prisées (même s’il est vrai que bulbes et fleurs sont comestibles). En revanche, on remarquera que les feuilles, une fois cueillies ne se conservent qu’avec grand peine, elles fanent très rapidement et sont inutilisable au bout de deux à trois jours. On ne peut donc les stocker à l’avance, ce qui limite une auto-médication à base d’ail des ours, sauf si on l’a sous la main. Quant aux bulbes, eux se conservent plus aisément que les feuilles.
Dans l’ail des ours, on trouve une très faible quantité d’essence (0,007 %) contenant sulfure et polysulfure de vinyle, mercaptan (thiol), aldéhydes, etc. Faible mais tenace. C’est ce qui fait qu’à son approche, l’ail des ours se repère assez facilement par son parfum. De plus, il contient des flavonoïdes, ainsi que des vitamines C et B9.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif, digestif, antiseptique intestinal, anthelminthique
  • Dépuratif sanguin puissant
  • Stimulant cellulaire
  • Immunostimulant
  • Favorise le développement de la moelle osseuse
  • Hypotenseur
  • Rubéfiant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère digestive : digestion difficile, atonie digestive, manque d’appétit, infection gastro-intestinale (gastro-entérite…), parasites intestinaux (oxyures, ascaris, ténias)
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, bronchite, bronchite chronique
  • Hypertension, artériosclérose
  • Douleurs rhumatismales
  • Dermatoses, éruptions cutanées chroniques
  • Cure dépurative

Modes d’emploi

Hormis la consommation quotidienne de plante fraîche en petite quantité, il n’y a pas d’autres modes d’emploi. On peut trouver dans le commerce des mélanges de plantes sèches contenant de l’ail des ours. Si une fois sec on reconnaît encore son arôme sulfureux, il est clair qu’il perd alors grandement de ses propriétés. En l’absence d’un filon généreux à proximité de chez vous, la meilleure option reste encore la teinture-mère de plante fraîche.

Contre-indications, précautions, autres usages

  • Attention à la forte ressemblance qui existe entre l’ail sauvage et le muguet, puissant toxique mortel, en particulier lorsque ces deux plantes ne sont pas encore en fleurs. En effet, l’œil non averti distingue difficilement les feuilles de l’une et l’autre espèce. En l’absence de fleurs, la seule chose qui permet de les identifier, c’est leur odeur : une fois froissées, les feuilles de l’ail des ours dégagent une forte odeur aillée, alors que celles du muguet dispensent une odeur « verte » assez vireuse.
  • En cuisine, l’ail des ours est très intéressant, à condition de bien le manier, comme le basilic. Sachons tout d’abord qu’il craint la chaleur d’une trop forte cuisson. On peut en cisailler les feuilles en vue d’une omelette ou d’une soupe, mais elles devront être incorporées au dernier moment. En effet, la cuisson fait perdre à l’ail des ours non seulement son arôme mais également ses propriétés. Oui, vous allez me dire qu’il ne tolère ni la dessiccation (sécheresse) ni la cuisson (chaleur), mais ce n’est pas pour rien qu’il élit domicile sur les versants ombragés (l’ubac) des montagnes, dans ces lieux où le soleil lui-même ne peut faire évaporer la rosée qui couvre les feuilles de l’ail des ours.
  • Si vous avez l’immense chance d’avoir pas loin de chez vous un gisement d’ail des ours, sachez, pour autant, qu’il vous faudra le récolter au fur et à mesure. Si cette opportunité ne vous est pas offerte, et que vous possédez un jardin, vous savez ce qui vous reste à faire ! :)

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La bryone dioïque (Bryonia dioica)

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Synonymes : vigne blanche, vigne de loup, vigne de crapaud, vigne de serpent, vigne du diable, navet du diable, navet de fou, navet galant, rave de serpent, verjus du diable, colubrine, couleuvrée, herbe de feu, feu ardent…

Eh bien, dites, ça commence bien ! ^^ Notons dès à présent que la bryone porte des noms vernaculaires en commun avec la bistorte récemment abordée (couleuvrée), la clématite (vigne blanche) et l’aconit napel (navet du diable). Si elle n’a pas grand rapport avec la première, elle possède, avec la deuxième, des propriétés irritantes, rubéfiantes et vésicantes pour la peau, enfin, avec le troisième, elle partage une grosse racine toxique (mais tout de même beaucoup moins que celle de l’aconit napel). Dans l’ensemble, on sent bien la volonté d’indiquer qu’avec la bryone il est nécessaire de se méfier, on n’aurait pas utilisé les mots « diable », « serpent », « fou », « loup », « crapaud » tout à fait par hasard, des mots qui expriment une sorte d’effroi irrationnel issu de temps anciens…

Des profondeurs de l’Antiquité, un écho unanime nous parvient : les auteurs antiques sont tous d’accord sur le cas de la bryone. On la reconnaît dans l’Ampelos agria d’Hippocrate, l’Ampelos leukê de Dioscoride, la Vitis alba de Caton l’ancien, la Bryonias de Columelle… Le Livre des Cyranides, plus tardif (225-400 après J.-C.), reprend même le nom attribué par Dioscoride à la bryone et nous indique, à son propos, un bien curieux conseil : « L’homme bien portant qui veut boire beaucoup sans se griser, n’a qu’à prendre à jeun une décoction d’une once de ses feuilles avec du vinaigre, il sera insatiable au point de ne pas savoir tout ce qu’il boira ». (Une phrase qui n’est pas d’Hildegarde de Bingen comme je l’ai récemment lu dans un certain livre… Notons, au passage, qu’Hildegarde ne s’est inspirée d’aucun auteur de l’Antiquité, qu’il soit Grec ou Latin…). Plus tôt, Pline distinguait deux bryones, la blanche et la noire (un phénomène très fréquent dans l’Antiquité, de même que celui de mâle/femelle). La blanche, c’est la bryone dioïque (aujourd’hui, on attribue l’adjectif « blanche » à une bryone monoïque, Bryonia alba aux fruits… noirs), tandis que celle que Pline considère comme « noire » n’est autre que le tamier (Dioscorea communis, ex Tamus communis) qui, bien qu’assez semblable à la bryone n’en est pas une (même si l’anglais lui accorde le nom de black bryony). Bref, selon Pline, la bryone possède des propriétés protectrices très marquées. C’est ce qu’il paraît dans son Histoire naturelle : « la bryone, plantée tout autour de la métairie [ndr : la ferme], écarte les éperviers et met en sûreté la volaille ». D’après le naturaliste romain, le suc de bryone appliqué sur le corps a la propriété de chasser les serpents. Cependant, compte tenu du caractère hautement dermocaustique de la bryone, ça doit être quelque chose ! ^^ Si dans les campagnes on remarque déjà la vertu rubéfiante de la bryone (qui selon toute vraisemblance a échappé à Pline) que l’on frotte sur les points douloureux du corps, au VI ème siècle, le médecin grec Alexandre de Tralles établit les propriétés de la bryone contre la pleurésie et les algies rhumatismales.

Le Moyen-Âge est prolifique en informations de toute nature au sujet de la bryone qu’on rencontre chez Macer Floridus, assez brièvement il est vrai : il insère dans sa notice dédiée à la serpentaire (la bistorte !) quelques indications à propos de la bryone. Il propose de broyer la racine de ces deux plantes, de les mêler à du miel, comme diurétique et détersif sur les plaies ulcérées. Quant à Hildegarde de Bingen, elle nous honore de deux bryones : une brione (Brionia) et une bryone (Stichwurtz), assurément deux plantes bien distinctes, mais de la première elle ne dit rien, alors que la seconde est, selon Hildegarde, tout à fait inutile pour l’homme, car « sa chaleur est dangereuse, sauf dans un local où l’on prépare du poison » (1). Par fumigation, elle atténuerait sa virulence, de même que son odeur, une fois brûlée, fait fuir les serpents, les grenouilles, jusqu’à l’homme lui-même, sauf si celui-ci a préalablement absorbé de la rue. La seule recommandation thérapeutique d’Hildegarde concerne les ulcères cutanés. En revanche, à la même époque, on lui trouve bien des applications : maladies pulmonaires (asthme, coqueluche), pleurésie, paralysie, épilepsie, fièvre, vers intestinaux, fracture, maux de ventre, maladies cutanées…

Dès la Renaissance, on retrouve la bryone dans les pages de Matthiole dont il indique qu’elle est un purgatif drastique [ndr : par drastique, entendre « énergique »], un diurétique, un émétique [ndr : un vomitif] et un emménagogue. Il reprend plus ou moins les indications médiévales : goutte, épilepsie, paralysie, fièvre intermittente, hydropisie, asthme, hémorragies, etc. Par la suite, la carrière de la bryone s’interrompt, elle n’est plus guère évoquée, jusqu’à ce qu’un médecin de Verdun, Harmand de Montgarny, ne lui attribue le nom d’ipécacuanha européen en fin de XVIII ème siècle, ce qui n’est pas rien. Un autre médecin, de Dax lui, Jean Thore (1762-1823) dira de la bryone qu’elle est un « médicament féroce », tout comme l’est d’ailleurs l’ipéca. Au milieu du XIX ème siècle, du côté de Calais, François-Joseph Cazin (1788-1864) évoque longuement la bryone dans son Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes : « La bryone peut remplacer les autres vomitifs, les purgatifs, les diurétiques les plus énergiques. Il suffit de la manier avec prudence et d’en faire une judicieuse application […] Les objections fournies contre les propriétés thérapeutiques de cette racine proviennent du peu de soin apporté à sa récolte et à sa conservation, des doses auxquelles on l’administre, de l’inopportunité de son emploi, du défaut d’appréciation de l’état des organes digestifs relativement à sa première action » (2). Comme on le constate, le docteur Cazin met les points sur les « i » au sujet des détracteurs de la bryone.

De cette plante, on a fait de bien étranges emplois. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute celui constituant à se servir de la racine de bryone comme matériau de fabrication de fausses mandragores. Selon le Petit Albert (1668), il est possible de préparer une racine de bryone dans le même but que pour celle de la mandragore : « Tant que l’on est en possession de cette mystérieuse racine, on est heureux, soit à trouver quelque chose dans le chemin, soit à gagner dans le jeu de hasard, soit en trafiquant [ndr : « en gagnant de l’argent grâce au commerce » ; à l’époque, le mot « trafiquer » n’avait pas le sens péjoratif qu’on lui connaît aujourd’hui], si bien que l’on voit tous les jours augmenter sa chevanche » [ndr : c’est-à-dire ce que l’on possède, ses biens] (3). Cette pratique ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, puisqu’au XIX ème siècle encore, des « herboristes » proposaient sur les marchés des racines de bryone, sexuées celles-là, en relation avec le passé soi-disant aphrodisiaque de la plante, qui lui a valu le surnom de navet galant. Compte tenu de la rareté de la mandragore qui, de plus, ne pousse ni en France ni en Corse, il a dû circuler pendant des siècles de vraies fausses mandragores issues de bryone qui, elle, est très courante sur l’ensemble du territoire. Tout comme la mandragore, l’arrachage de la bryone donnait lieu à des rituels particuliers, comme celui-ci : avant le lever du soleil, l’officiant lui adressait des invocations religieuses avant de l’extraire du sol. Elle entrait aussi dans la composition d’étonnantes recettes, comme celle de l’huile de scorpions, une macération de scorpions vivants dans de l’huile d’amande douce, additionnée de rhubarbe, de souchet et d’écorce de racine de bryone, le tout exposé au soleil comme on le fait de l’huile rouge.

Plante vivace à tubercule, la bryone est une plante grimpante typique qui peut atteindre une taille de quatre à six mètres de long, à l’aide de tiges couvertes de poils raides qu’elle déploie en s’accrochant et en s’enroulant autour des supports environnants grâce à des vrilles comme on peut en voir sur la vigne, par exemple. Ce sont d’autres plantes, dans la plupart des cas, qui font les « frais » des embrassades de la bryone. De fait, on la croise plus particulièrement dans les haies et les broussailles. Ses feuilles sont formées de cinq lobes dont le central est proéminent. On trouve des fleurs mâles et femelles sur des pieds différents, c’est pour cette raison que l’espèce est dite dioïque. Les fleurs en grappes sont blanches, striées de vert, d’un diamètre de 1 à 2 cm. Elles donnent des baies tout d’abord vertes, ensuite rouges, de 5 à 10 mm de diamètre, en forme de billes. La bryone est relativement fréquente, jusqu’à 1 400 m, sur sol riche et non acide.

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La bryone en phytothérapie

La racine de la bryone se présente sous la forme d’un gros tubercule cylindrique et vertical, plus ou moins ramifié, de la taille d’un bras et de la largeur de la cuisse chez les plus gros spécimens. Son écorce brune cache une pulpe blanchâtre à l’odeur peu agréable, à la saveur âcre, amère et caustique. Elle renferme de l’amidon et du tanin, ainsi que de la bryonine, de la bryonidine, de la bryonase et de la cucurbitacine. (La bryone fait partie de la famille des Cucurbitacées, c’est-à-dire celle du concombre, de la citrouille et du coloquinte, par exemple. Le seul autre représentant indigène de cette famille est le momordique, Momordica charantia.)

Propriétés thérapeutiques

  • Purgative drastique
  • Diurétique
  • Expectorante
  • Cholagogue
  • Anti-inflammatoire
  • Antirhumatismale
  • Vermifuge
  • Sudorifique
  • Vomitive
  • Résolutive, rubéfiante, vésicante

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère ostéo-articulaire et musculaire : rhumatismes articulaires aigus, rhumatismes musculaires aigus, rhumatismes chroniques, névralgie
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, toux, rhume, rhinopharyngite, pneumonie, coqueluche, asthme humide
  • Troubles de la sphère digestive : dyspepsie, dysenterie, constipation opiniâtre, obstruction intestinale, pyrosis
  • Rétentions, engorgements, infiltrations, épanchements : épanchement de synovie, épanchement péricardique, œdème, infiltration hydropique, obstruction des viscères abdominaux, pleurésie, engorgement glandulaire, apoplexie
  • Fièvre intermittente, fièvre muqueuse
  • Péritonite
  • Contusion, ecchymose
  • Épilepsie (4), accès hystérique, manie

Les baies de bryone, bien mûres, peuvent être écrasées en compote afin d’en faire un cataplasme efficace sur les ulcères indolents. Ces mêmes baies, en décoction dans de l’eau et un peu de vinaigre, constituent une lotion contre la gale, la teigne et autres parasites de la peau et du cuir chevelu. Quant aux graines, elles seraient redoutables face au ténia.

Modes d’emploi

  • Poudre de racine séchée : 0,5 à 4 g par jour en fonction du degré de purgation recherché
  • Infusion, décoction
  • Macération de racine dans du vin blanc
  • Teinture-mère
  • Pulpe fraîche pilée en cataplasme
  • Oxymel : faire bouillir pendant deux heures 45 g de racine dans 500 g de miel et 0,75 l de vinaigre
  • Sirop (5)
  • Onguent : 1/3 de pulpe fraîche, 1/3 d’axonge, 1/3 de soufre pulvérisé (pour la gale ; à destination d’autres affections, on peut supprimer le soufre)

Contre-indications, précautions d’emploi, remarques

  • C’est la dose qui détermine l’effet diurétique ou drastique de la bryone. En effet, à une dose élevée, la racine de bryone devient vomitive.
  • Cette plante comporte un degré de toxicité non négligeable, en particulier à l’état frais (sèche, elle est peu d’activité). Bien que moins toxique que d’autres plantes à quantité identique, on emploiera tout de même la bryone avec circonspection. Les cas d’intoxication sont rares. La plupart du temps, ils sont la conséquence d’une ingestion trop massive, de la méconnaissance du caractère incomestible de cette racine, de la confusion avec une autre plante (6). Les symptômes, qui s’apparentent beaucoup, comme le souligne Paul-Victor Fournier, à ceux du choléra, peuvent être les suivants : diarrhée, vomissement, pâleur, sueurs, refroidissement, crampes, vertiges, délire, coma, mort.
    Les baies ne sont pas non plus dénuées d’effets problématiques. Leur ingestion à haute dose, outre qu’elles occasionnent la mort (40 baies pour un adulte, 15 pour un enfant), cause troubles digestifs et nerveux dont l’ampleur dépendra de la quantité ingérée. On remarque aussi un effet d’hyper-hémolyse, c’est-à-dire une destruction exagérément rapide des globules rouges.
  • La racine, qui se récolte à l’automne, voire au début du printemps, doit faire l’objet des mêmes conditions de conservation que celle de la bardane. A l’état frais, la pulpe de racine de bryone est très irritante pour la peau. En cas d’application externe, veillez à la mêler à des plantes émollientes et mucilagineuses (mauve, guimauve, graines de lin…).
  • L’emploi de la bryone est contre-indiqué dans les circonstances suivantes : inflammation des voies digestives et urinaires (eh oui, n’allons pas ajouter du feu au feu), artériosclérose, état congestif, grossesse.
  • Parfois, les très jeunes pousses sont consommées à l’instar de celles du tamier, mais étant purgatives, cela réduit donc l’utilisation de cette plante d’un point de vue culinaire.
    _______________
    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 40
    2. Cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 185
    3. Petit Albert, p. 357
    4. Ses propriétés vermifuges peuvent être utiles en cas d’épilepsie causée par la présence de parasites intestinaux.
    5. « Les habitants des campagnes peuvent recourir au suc frais : on creuse dans la racine une cavité qu’on remplit de sucre : on obtient au bout de douze heures un sirop qui, à la dose de deux cuillerées à soupe [par jour], constitue un purgatif lent, mais assuré. » (Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 7)
    6. « Il semblerait que les seuls accidents connus aient été le fait de confusion possible de sa racine charnue avec des racines alimentaires (rave, navet), lors de récoltes opportunes, par des personnes affamées et ne possédant pas le minimum de rudiments de botanique. » (Bernard Bertrand, L’herbier toxique, p. 70). Sérieux ? Surtout que l’arrachage de la racine de bryone n’est pas de tout repos. Eurent-ils faim, ces affamés… et surtout aveuglés par cette même faim, au point de ne pas reconnaître des fanes de navets des tiges serpentines de la bryone…

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La bistorte (Bistorta officinalis)

Bistorte_Bistorta_officinalis

Synonymes : bistorte, serpentaire, serpentaire rouge, serpentaire bistordine, couleuvrée, langue-de-boeuf, feuillotte, andrelle

La bistorte est une plante qui va nous réserver bien des surprises ! Il faut dire qu’avec des noms vernaculaires pareils, elle ne peut que susciter l’intérêt. Cependant, commençons par le commencement, c’est-à-dire par l’Antiquité, qui nous a légué des informations multiples à propos d’une plante – que dis-je ?! – de plusieurs plantes portant toutes le nom de polugonon, lequel terme a inspiré le mot latin Polygonum, l’actuel nom du genre établit par Linné en 1753. Comme c’est chose fréquente durant l’Antiquité, on distingue un polugonon mâle et un autre femelle, dont les descriptions qu’en indique Dioscoride laissent penser que le mâle serait la renouée des oiseaux (Polygonum aviculare) et l’autre une sorte de prêle (Equisitum sp.). Dans un cas comme dans l’autre, pas de bistorte à l’horizon, sans compter que les renouées se comptent à foison (Polygonum maritimum, Polygonum persicaria, Polygonum polystachyum…). Pourtant, dès lors qu’on parle de polygone, les choses devraient être carrées, mais non. Drôle de nom, polygonum pour une plante. Littéralement, ce mot, qui se scinde en poly, « plusieurs », « nombreux », et gonu, « genou », « nœud d’une tige », désigne une plante dont la tige est formée par un empilement de sections nouées de loin en loin, de même que, par exemple, un octogone est une figure à huit nœuds. Mais les renouées sont loin d’être les seules espèces végétales à présenter cette caractéristique ! En plus de cela, une confusion entre gonu (le genou, qui lui aussi forme un nœud articulaire entre les deux sections de la jambe) et gonos s’est faite jour. C’est ainsi qu’on a parfois parlé de poly-gonos, c’est-à-dire : « qui a une descendance nombreuse », « qui produit beaucoup de semences », gonos signifiant autant semence que enfant ! De là, on a affublé la plante de propriétés aphrodisiaques – qu’elle ne possède pas – de l’Antiquité jusqu’à Albert le Grand au moins, lequel dernier, qui n’a pas tout inventé, reprend les informations contenues dans divers opuscules astrologiques rédigés en grec et datant probablement du II ème siècle après J.-C. Bien évidemment, celle que le Grand Albert nomme poligoine, corrigiale et renouée, personne ne sait s’il s’agit de la bistorte ou de la renouée des oiseaux, puisque, de toute façon, les sources antiques ne décrivent pas de manière satisfaisante cette plante dont on nous dit qu’elle est une plante d’Hélios et qu’elle « tire son nom du soleil parce qu’elle est fort fertile », une plante que le Grand Albert recommande aux pulmoniques et aux néphrétiques, ainsi qu’aux personnes souffrant du cœur et de l’estomac. Toujours pas de bistorte en vue.

Maintenant, comment expliquer l’analogie avec le serpent ? L’on sait que la bistorte portait le nom de dracunculus (lequel nous a déjà donné bien du fil à retordre lorsque nous avons abordé l’estragon), un mot concernant également l’arum dragon (Dracunculus vulgaris). En grec, drakôn veut dire « dragon », « serpent fabuleux ». « Le dracunculus, dont  »la tige a des taches diversement colorées, comme les vipères », la racine rougeâtre et contournée comme celle d’un dragon et qui passait pour avoir un cycle de développement en relation apparent avec celui des serpents avait la réputation d’être  »un spécifique contre les morsures » de reptiles » (1). Là, c’est mieux, on avance ! En effet, celle qu’on appelle aussi couleuvrée possède un rhizome terminé en pointe et plusieurs fois replié sur lui-même, deux fois tordu (bistorta !), noué et renoué, en forme de S ou de double S, un Sssss qui n’est pas étranger à l’onomatopée dont on se sert pour signifier le bruit du serpent, une racine qui forme des anneaux, lovée sur elle-même comme sait le faire un serpent, cela représente beaucoup de similitudes avec cet animal chthonien qui ne pouvait qu’être comparé à un élément de la plante situé sous terre (rappel : chthonien provient du grec khthon, « la terre »). Constrictrice pourrait être un adjectif attribuable à cette racine, si l’on souhaite poursuivre dans le registre reptilien. Or, cette racine contient en grande quantité une substance connue sous le nom de tannin, dont la particularité est d’être astringent, c’est-à-dire qu’il resserre les tissus. L’astringence resserre, la constriction serre, on n’est pas tellement éloigné, d’un mot à l’autre, d’une idée similaire. Le tannin, principe « mordant », s’est trouvé – en l’image de la bistorte – tout désigné pour guérir les morsures de serpent. Est-ce là simplement en raison des analogies que nous avons listées ? Peut-être pas… Il est bien possible qu’on ait utilisé des plantes à tannin sur les morsures (on ne parle pas nécessairement des morsures venimeuses) durant l’Antiquité, comme cela se fait encore de nos jours dans différents pays d’Afrique, et comme cela s’est vu chez certaines peuplades nordiques qui, elles, utilisaient la racine de bistorte dans ce but.

Au Moyen-Âge, comme nous l’avons déjà souligné, on parle de renouée. Mais laquelle ? Celle dont parle Hildegarde, Ertpeffer, est-elle bien la bistorte ? Difficile d’en juger à partir du peu qu’en dit l’abbesse dans son Physica : « La renouée est froide et pousse à la grande lumière. Si on a de la fièvre, prendre une bonne quantité de renouée et la mettre dans du vin pendant une nuit ; puis jeter la renouée et chauffer ce vin en y plongeant de l’acier chauffé » (2). A y regarder de plus près ; il pourrait bien s’agir là de la bistorte. Quelques indices disséminés dans les lignes qui vont suivre permettent d’accréditer cette hypothèse ! ^^

Au XVI ème siècle, Jean Fernel, médecin du roi Henri II de Navarre, avait déjà constaté les vertus antidiarrhéiques de la racine de bistorte. A la même époque, Matthiole, médecin et botaniste italien, indiquait que la bistorte permettait de « tirer la gravelle et de rompre la pierre de la vessie », référence à une hypothétique propriété antilithiasique qui a été abandonnée par la suite. Au XVII ème siècle, on utilisa la racine de la bistorte pour en constituer, aux côtés du pavot et de la gentiane, l’électuaire Diascordium, astringent et narcotique. Plus tard, au début du XX ème siècle, le médecin français Henri Leclerc l’indiquait en cas de tuberculose.

Elle apprécie les sols frais et humides, sinon marécageux (bois, prairies, pelouses, bords de ruisseaux, etc.) où elle forme des massifs denses. Ce sont les terrains riches en silice et en humus qui sont le plus à même de lui convenir.
Une grosse touffe de feuilles basales et lancéolées (en forme de fer de lance) qui ressemblent fortement à celles de l’oseille, autre polygonacée, de laquelle émergent plusieurs hampes florales qui peuvent atteindre un mètre de hauteur et le long desquelles des feuilles supérieures cordiformes et rares, plus petites et embrassantes, s’épanouissent.
En haut de la tige se trouve un épi (5 à 9 cm de longueur) de fleurs densément groupées : rosâtres, plus rarement blanches. Elles sont couplées : une mâle à huit étamines très longues et une femelle à trois styles. La floraison se déroule entre mai et septembre et donne des fruits à ailes tranchantes de couleur brune.
On aura des chances de la trouver en Europe, en Amérique du Nord et dans le nord-ouest de l’Asie, jusqu’à 2 500 m en montagne, plus rarement en plaine, généralement jamais en dessous de 500 m d’altitude.

Bistorte_racine

La bistorte en phytothérapie

Les feuilles de la bistorte sont douées de quelques qualités médicinales mais, de tout temps, c’est la racine qui a attiré le plus d’intérêt. Riche en amidon (30 %), elle contient aussi un tannin (15-20 %) dont la particularité est d’être assez proche de celui de la tormentille (Potentilla erecta) et de celui du ratanhia (Krameria lappacea). C’est pourquoi on appelle parfois la bistorte du nom de ratanhia indigène. De plus, on trouve, dans le rhizome de la bistorte de l’acide oxalique (1 %) que l’on rencontre dans l’épinard, l’oseille et l’oxalis qui lui a donné son nom, de l’acide gallique (0,5 %), de l’acide ellagique, enfin, un pigment, le rouge de bistorte.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringente, vulnéraire, cicatrisante
  • Antiseptique
  • Tonique amère
  • Anti-inflammatoire
  • Diurétique (feuille)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère digestive : diarrhée, dysenterie, fissure anale
  • Troubles bucco-dentaires : saignement gingival, ulcération de la bouche et des gencives, aphte, stomatite, maux de gorge, angine, amygdalite, pharyngite
  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique, tuberculose (tuberculeux et pré-tuberculeux)
  • Troubles de la sphère urinaire : urétrite, incontinence urinaire
  • Troubles de la sphère génitale : leucorrhée, métrorragie, perte séminale, prévention de l’avortement
  • Fièvre intermittente
  • Hémorragies : épistaxis, hémorroïdes, plaie, ulcère cutané

Les feuilles peuvent s’appliquer sur les plaies, les abcès froids, les tumeurs scrofuleuses et les engelures.

Modes d’emploi (concernent la racine)

  • Suc frais
  • Poudre de racine séchée
  • Macération à l’eau tiède : elle a « l’avantage sur la décoction de ne pas précipiter l’amidon en combinaison insoluble avec le tanin » (3)
  • Teinture (macération à froid de racine dans de l’alcool à 90° pendant deux semaines)
  • Vin (recette donnée par le docteur Leclerc : placez 125 g de racine dans 0,25 l d’alcool et laissez macérer 1 jour ; ajoutez 0,75 l de vin rouge et prolongez la macération de quatre jours). Il est possible d’administrer ce vin au tuberculeux, il est sans dommage pour les voies digestives dont on sait qu’elles sont fragiles chez le tuberculeux, parce que « dans la bistorte, l’action constrictrice du tanin se trouve corrigée par l’amidon qu’elle contient » (4)

Précautions d’emploi, autres usages

  • Si la feuille de bistorte est peu employée en phytothérapie, comme légume vert en revanche, elle offre des récoltes intéressantes du printemps à l’automne. Cuites, on les accommodera comme les épinards. Quant aux pousses et aux jeunes feuilles, elles peuvent composer une salade. Dans d’autres pays européens, on a fait un usage alimentaire de la racine qui trempait longuement dans l’eau avant cuisson (Europe du Nord). En Russie, la racine séchée et moulue était mélangée au blé pour faire du pain, en particulier en temps de disette. Cette racine est très nutritive, mais sa forte teneur en tannin en limite l’emploi. Quant aux graines, on les consomme comme celles du millet, en Islande, par exemple.
  • Comme beaucoup d’autres plantes tannifères, la bistorte a été employée en tannerie, alors que l’écorce de son rhizome produit une teinture rouge brun profond.
  • La racine que l’on souhaite destiner à un usage phytothérapeutique s’arrachera à l’automne.
  • Enfin, dernier détail : la bistorte, comme toute plante contenant des tannins, ne supporte par le contact du fer. Mieux vaut alors se servir de récipients émaillés ou en verre.

  1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 184
  2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 89
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 821
  4. Ibid.

© Books of Dante – 2016

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