Le palmier-dattier (Phoenix dactylifera)

Aujourd’hui, l’on n’ignore plus que le dattier est l’arbre fruitier le plus anciennement cultivé : cela se passait entre le Tigre et l’Euphrate il y a de cela 5 à 6000 ans. Les Sumériens furent donc les premiers cultivateurs de la datte, bien avant qu’Assyriens et Babyloniens ne lui octroient le statut d’arbre sacré. Alors, il n’est « pas la copie d’un arbre réel plus ou moins enrichi d’ornements, mais bien la stylisation entièrement artificielle, et plutôt qu’un véritable objet cultuel, il nous paraît être un symbole doué d’une grande puissance bénéfique » (1), créature à la frondaison rayonnante dressée vers le soleil, les pieds plongeant dans les humides humeurs du monde chthonien. Il est donc un archétype de l’arbre de vie, passerelle entre deux mondes, le tiret placé entre les mots Ciel et Terre. Pour renforcer ce caractère divin et le rendre plus accessible à l’homme, le palmier a été anthropomorphisé : il porte des palmes (paume), des dattes (doigts, du grec daktulos), ainsi qu’une cervelle (cœur de palmier). Ces caractéristiques mi humaines mi divines devaient faire du palmier un être impérissable, permettant d’accéder à la vie après la mort. Voyez son nom ! Phoenix ! Quel autre végétal peut se targuer de porter, à équivalence, le nom de cet oiseau mythique ? Phoenix, c’est autant le palmier-dattier que le phénix, être solaire lié à Héliopolis chez les Égyptiens. Comparer l’arbre à l’oiseau légendaire, c’est reconnaître que le palmier-dattier, lui aussi, renaît de lui-même, non par ses graines, mais grâce aux rejets qui surgissent de sa base, rappelant la re-création du phénix à partir de lui-même. Le phénix étant immortel, le palmier se devait de l’être aussi. Cette relation entre l’animal et le végétal, Ovide l’exprime en ces termes : « Posé sur les rameaux ou la cime oscillante d’un palmier, il construit son nid avec ses ongles et son bec pur de toute souillure » (2). Cette symbolique d’immortalité s’élargira bien au-delà du croissant fertile : arbre divin en Inde et dans les pays arabes, arbre support du monde en Égypte, il devint beaucoup plus tardivement l’insigne de la déesse Niké, parfois appelée Dea palmaris, évoquant non seulement l’immortalité mais également l’immortalité de la gloire. S’il est droiture, emblème du juste, victoire, richesse, fécondité, génération, toutes symboliques éminemment solaires, il entretient aussi des rapports avec le funéraire : en Égypte, sur des tombes remontant à l’époque de l’Ancien Empire, l’on voit des peintures et des reliefs montrant des palmiers ; quant aux dattes, elles représentaient la nourriture symbolique des morts.
De même que le palmier est à la fois céleste et terrestre, il est tant masculin que féminin ; les pointes piquantes de ses feuilles, son fut dressé, rappellent le phallus. Quant à la datte, si l’on prend connaissance de certains passages du Cantique des cantiques, elle est indubitablement féminine, ne serait-ce que par la forme de son noyau rappelant une vulve. Bien plus, féminin et masculin s’entremêlent étroitement dans le palmier : nombreux ont été ceux qui ont décrit les amours du palmier depuis Théophraste. Écoutons Jean-Baptiste Porta : « Les palmiers se chérissent d’un amour véhément ; ils languissent l’un pour l’autre et sont tellement chatouillés du désir amoureux, que s’abaissant, ils inclinent leurs perruques ensemble et s’entr’entortillent par un aimable et doux attachement réciproque et jouiront des doux présents de Vénus, de sorte que joyeusement ils élèveront la ramée de leurs têtes gracieuses » (3). Cet épisode du « mariage des palmiers » implique en réalité un ensemble de rites et de techniques dont le but n’est autre que la fécondation artificielle de ces plantes en vigueur depuis aussi longtemps qu’on cultive le dattier.
L’union du masculin et du féminin transparaît aussi dans un épisode de la mythologie grecque, la naissance des jumeaux Artémis et Apollon, que Létô mit au monde après avoir noué autour du palmier de Délos ses bras dans un contact fertilisant, ce même palmier qu’Ulysse admire lors de l’une des étapes de son voyage. L’on objecterait qu’il ne peut s’agir d’un dattier, car bien que Théophraste ait fait mention des tentatives d’acclimatation du dattier en Grèce, cet arbre ne pousse pas dans la péninsule. Le légendaire grec n’est pas né de la seule imagination de ses principaux auteurs, la plupart du temps les mythes et les contes prennent racine bien antérieurement. Prenons l’exemple de Cendrillon de Charles Perrault. Dans l’œuvre d’un de ses devanciers, le Napolitain Jean-Baptiste Basile, l’on croise un motif similaire : en effet, l’un des contes du Pentaméron, intitulé La chatte cendrillonne, rappelle bien évidemment le conte de Perrault, bien que s’en distinguant grandement, puisqu’il n’est pas là question d’une citrouille mais d’un dattier aux fruits d’or qui abrite une fée venant en aide à l’héroïne, Zezolla, afin qu’elle se procure ce dont elle a besoin à l’insu de ses belles sœurs afin de se rendre au bal organisé par le roi. Il y a fort à parier que Basile s’est, lui aussi, inspiré de sources bien plus anciennes. On a beau dire qu’Héraclès rapporta l’olivier et le dattier en Grèce à son retour des enfers, ça n’est pas tant deux plantes que les Hellènes importèrent, bien plutôt un récit portant sur elles : bien avant Létô, existait une divinité orientale beaucoup plus ancienne, Lat, déesse de la fertilité, de l’olivier et du palmier. Un transfert de Lat à Létô marque, comme nous l’explique Jacques Brosse, « une annexion politique et religieuse par les Hellènes » (4) d’un thème archaïque. Ce qui est curieux, c’est qu’à travers l’épisode de la naissance des jumeaux, l’on n’a pas affaire à un phénomène de substitution, et que l’on n’a pas remplacé le palmier originel par un arbre à la portée symbolique équivalente et endémique à la Grèce. Absent des Balkans, il a peut-être été conservé au sein du mythe en raison de son association symbolique avec son compagnon volatil, le phénix. C’est le contraire qui se produit au sujet de la palme christique. Rappelons-nous de la légende de Marie et Joseph lors de laquelle la mère de Jésus demande au dattier de s’incliner vers elle afin de se saisir de ses fruits. Celui-ci obéissant à la requête de Jésus, se pencha en direction de Marie qui put en goûter le fruit. Jésus, bénissant le palmier, se promit d’entrer triomphalement dans Jérusalem, une palme à la main. Puis, « une grande troupe, qui était venue à la fête [de Pâques], ayant ouï dire que Jésus venait à Jérusalem, prit des branches de palme, et sortit au-devant de lui, en criant : Hosanna ! » (5). Or, le christianisme sut substituer, comme il sait si bien le faire, le palmier à une autre plante dans les zones géographiques inhospitalières au palmier : on porte alors non pas des palmes mais des rameaux de buis, comme c’est le cas en France par exemple. Le christianisme se préoccupe donc essentiellement de la palme, ne prenant que peu en considération la question de la datte (6), ce que ne se permirent point les lotophages auxquels Ulysse et ses compagnons rendent visite dans le neuvième livre de l’Odyssée. Le pays des mangeurs de lotos que Victor Bérard, traducteur d’Homère, situait déjà au sud de la Tunisie, se distinguait par ses fruits de miel, fruits de paradis. En goûter, c’est ne plus pouvoir s’arracher à l’attraction qu’ils suscitent, c’est s’abandonner à une lascivité douce et tendre confinant à l’ivresse. Pour échapper à la séduction, Ulysse dut faire violence à ses compagnons afin de s’extirper de ce pays qui ne devait représenter qu’une étape de leur périple. Alors, bien sur, de lotos, on a bêtement conclu qu’il s’agissait de lotus, une idée (quelle idée !…) encore fort répandue. Puis ont été évoqués micocoulier et jujubier, avant de tomber sous le sens et l’évidence : les lotos n’étaient autre que cette incontournable nourriture, car irremplaçable et surtout irremplacée : la datte, cette deglet-nour, doigt de lumière et chair de Dieu, la datte aux innombrables bienfaits, autant qu’il y a de jours dans l’année, dit-on proverbialement. La datte à tout faire ou presque : en magie arabe, elle entre dans les charmes amoureux, alors qu’au contraire, en Égypte, elle joue le rôle de pessaire contraceptif ; insérée comme un stérilet, elle est censée empêcher le sperme de pénétrer plus avant. Plus prosaïquement, dans le Sahara, l’on se sert de la datte pour boucher de tout autres trous : on pétrit, avec un peu de sable et de la crotte de chèvre, des dattes pour en faire un enduit lorsqu’il est besoin de combler quelque fissure dans un mur. C’est aussi un remède, bien sûr. Dioscoride l’aborde sous ses deux formes, fraîche et sèche. Les fruits frais, aigres et astringents, se destinent plutôt à endiguer les flux de ventre et ceux menstruels, ainsi que les hémorroïdes, mais, prévient Dioscoride, « ils causent une douleur de tête et enivrent quand on en mange en trop grande abondance » (7). Quant aux secs, très revitalisants, Dioscoride les préconisait en cas d’hémoptysie, de maux de gorge, de vomissement, de dysenterie et de douleurs vésicales.

Pour clôturer la première partie de cet article, voici un extrait d’un livre que j’aime beaucoup, Plaidoyer pour l’arbre, dans lequel Francis Hallé évoque le cas d’un dattier bien particulier : « Chez ce dattier, lorsqu’une palme vieillit ou se détache, ou lorsqu’elle est élaguée par les employés municipaux, elle laisse sur le tronc une large base engainante en forme de vasque retournée vers le ciel, dans laquelle s’accumulent des particules d’humus apportées par le vent, des feuilles mortes et, bien entendu, des graines de plantes diverses. Il se crée ainsi, en haut du tronc, juste sous la couronne des palmes vivantes, un essaim de petits jardins suspendus, ombragés, humides, dans lesquels poussent de nombreuses herbes, misères, érigérons, balsamines, pétunias, nombrils-de-Vénus, valérianes, etc. De temps à autre, on y observe un petit arbre, un cyprès, un figuier, un pittosporum ou encore un pin d’Alep, dont les graines ont été apportées par le vent ou les oiseaux. Ce sont de petits arbres rabougris, parce que les volumes de sol dont ils disposent sont minuscules, parce que la lumière, pour eux, arrive à l’horizontale sous les palmes et, enfin, parce que leur vie est brève, les bases foliaires du dattier finissant par se détacher en laissant un tronc nu, sombre colonne qui donne à cet arbre sa valeur ornementale » (8).

Jardins suspendus… Babylone… Nous voici presque revenus à notre point de départ, ce croissant fertile féerique.

Le palmier-dattier en phytothérapie

Comme nous avons eu largement l’occasion de le constater dans la partie qui précède, l’on s’est, au fil des siècles et des millénaires, relativement peu penché sur la question des vertus médicinales de la datte. Pour d’autres plantes, c’est l’inverse, toute l’attention y est concentrée, négligeant les aspects spirituels, liturgiques, mythologiques, légendaires, magiques, etc., que tel ou tel végétal est susceptible d’entretenir avec l’homme ; mais, dans tous les cas, l’on parvient toujours à écrire l’histoire conjointe des hommes et des plantes. La datte, c’est un peu comme avec la banane : dans son aire de répartition, on l’utilise d’une manière élargie qui n’a que peu à voir avec nos usages occidentaux. Nous nous contenterons d’aborder uniquement ceux-ci qui, nous le verrons, ne brillent pas par leur vastitude, se préoccupant uniquement de la datte sèche.
S’il est un fruit qui contient autant de sucres (saccharose, glucose, fructose), je crois bien qu’il ne peut s’agir que de la datte, puisque plus de la moitié de sa masse (53 %) en est constituée ; puis viennent l’eau (29 %), les matières azotées (2 %), les matières grasses (0,2 %). Sels minéraux (phosphore, calcium, fer, chrome, soufre, magnésium) et vitamines (A, B1, B2, C, D) ne sont pas en reste. A l’état sec, la datte totalise 350 calories aux 100 g, soit trois fois plus que la banane. Énorme !

Propriétés thérapeutiques

  • Très nutritive, laxative, purgative
  • Tonique musculaire et nerveuse, énergétique
  • Reminéralisante, anti-anémique
  • Antitussive

Usages thérapeutiques

  • Asthénie physique et intellectuelle, croissance (très favorable aux enfants : pourquoi croyez-vous que ma taille approche les deux mètres ? Ça n’est pas à cause de la soupe, mais grâce aux dattes, si, si ^_^), anémie, déminéralisation, convalescence, grossesse, sénescence, activités sportives, etc.

Note : les Anciens ne s’étaient pas trompés, la datte est utile à tous les âges de la vie et à de nombreuses situations qui en émaillent le cours.

  • Affections de la gorge, toux, toux sèche, adjuvant utile dans la tuberculose
  • Constipation

Modes d’emploi

  • Dattes en nature.
  • Décoction de dattes sèches (qu’on réalise à la manière de celle opérée avec les pruneaux : cf. article sur le prunier).
  • Sirop des quatre fruits pectoraux : ancienne composition magistrale autrefois inscrite au Codex. Il est constitué de jujubes, de figues, de dattes et de raisins. Fort utile en cas de toux, d’irritations de la gorge, de début de trachéite, etc. Il a aussi l’avantage, d’un point de vue gustatif, d’être un pur délice.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Que vous dire, sinon, tout comme l’olive et la cerise, de faire attention de ne pas avaler le noyau de ce fruit ? Ce qui serait problématique, voire dangereux, vu sa longueur. Les étourdis prendront soin d’ôter l’os du cœur de la bête avant toute utilisation ^_^
  • Il est bien évident que le formidable taux de sucres de la datte la contre-indique formellement aux diabétiques, parce qu’il ne s’agit pas de lévulose, hein ! A une époque où je travaillais au sein d’une association bien connue dont le but est de venir en aide aux déshérités de plus de 50 ans, je participais à un accueil de jour où toute personne désireuse d’y venir était la bienvenue. Parmi elles, il y avait Mohammed, un vieil Algérien de 70 ans. Sur la table, face à lui, se trouvait une petite corbeille emplie de noix, d’amandes, de figues, de clémentines et de dattes. « Ah ! s’exclame-t-il, les dattes, c’est pas pour moi ». Je lui demande pourquoi. « Le diabète, répond-il ». Il tâtonne quelque peu sur la table, attrape un objet – un pot de miel – l’apporte à 5 cm de ses yeux, et me dit d’une mine réjouie : « Ça, c’est du bon sucre pour moi ». Mon pauvre Mohammed, à demi aveugle à cause de ton diabète, si les « fruits de miel » sont mauvais pour toi, le miel l’est tout autant ! Le sucre est une drogue, mais comment refuser son rayon de soleil, sa liqueur d’immortalité à un homme vivant à la rue et venant trouver chez nous un peu de lumière et de chaleur ?
  • S’abstiendront aussi de la datte les dysentériques, les personnes sujettes aux diarrhées chroniques, etc.
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    1. Hélène Danthine, Le palmier-dattier et les arbres sacrés, p. 162.
    2. Ovide, Métamorphoses, Livre XV.
    3. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 32.
    4. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 199.
    5. Évangile selon saint Jean, chapitre XII, 12-13.
    6. Chez les Hébreux, au contraire, la datte est bien présente lors du repas de la Pâque, composant un plat, hasoret, mélange de figues, de dattes, de grenades, d’amandes broyées dans du vin et du miel, parsemé de pétales de roses.
    7. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 124.
    8. Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p. 111.

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Le bananier (Musa sp.)

Si l’on en croit les plus anciens documents qui mentionnent l’existence de la banane, il faut la situer originellement en Asie, probablement au sein de cette vaste zone comprenant le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est. Au VI ème siècle avant J.-C., les bouddhistes faisaient déjà référence à cette herbe tropicale, la même que rencontra Alexandre le Grand au cœur de la vallée de l’Indus en 327 avant J.-C. Au milieu du VII ème siècle, elle transita en direction de la Palestine par l’intermédiaire de marchands arabes, puis se déploiera à une grande partie de l’Afrique dans les siècles suivants, poussant sa route jusqu’à l’Ouest du continent africain, s’installant au tout début du XVI ème siècle sur les îles Canaries, avant de franchir l’Océan atlantique à bord de navires portugais en partance pour le Brésil, puis se diffusera à l’ensemble des Caraïbes et de l’Amérique centrale.

Sur sa terre natale, le bananier porte une symbolique peu enviable, étant comparé à celui qui vit dans l’erreur. Pour le Bouddha, il n’est que vanité, fragilité, instabilité, il représente ce qui doit être négligé. Cet état de fait est souvent illustré par le sage méditant au pied d’un bananier dans l’iconographie chinoise, afin de bien marquer que « les constructions mentales sont pareilles à un bananier » (cf. les Samyutta Nikâya). En effet, la fructification du bananier achève de dégarnir cette herbe de ses feuilles ; une fois la production assurée, le bananier meurt. Cependant, il demeure que sous la terre, invisible, il poursuit son existence par le biais d’un système de rhizomes duquel émergeront de nouveaux rejets. Cela explique sans doute pourquoi à Bornéo les Dayaks fichent dans le sol des tiges de bananier afin de rendre hommage aux défunts. En Asie, mais également ailleurs (Afrique, Amérique centrale), le bananier n’est pas seulement habillé de cette seule parure symbolique, il possède, par les philtres que l’on tire de lui, la puissance magique permettant la prospérité et l’abondance, que l’on invite, comme par exemple en Afrique chez les Pygmées, par la fête de la nouvelle lune : « du fait que la lune est en même temps mère et asile des fantômes, les femmes, pour la glorifier, s’enduisent d’argile et de sucs végétaux, devenant blanches comme les spectres et la lumière lunaire » (1). Des prières sont adressées à l’astre lunaire, des danses lui sont dédiées, après quoi, les femmes, épuisées par le rituel, absorbent un breuvage alcoolique à base de bananes fermentées. La fécondité est également associée à la banane : à Madagascar, au sujet de la tribu des Antaifasy, l’on dit qu’ils « sont les descendants d’un bananier ; de ce bananier sortit un jour un beau petit garçon, qui, en peu de temps, devint très grand et très fort… il eut beaucoup d’enfants et de petits-enfants qui furent les ancêtres de cette tribu ; on les appelle encore parfois les Enfants du bananier » (2). Fécondité encore, car il n’échappe à personne que la banane incarne un symbole phallique, parfois pris au pied de la lettre, à en juger par ce passage des Mille et une nuits : « Vous savez toujours plaire à nos sens ! Et vous seules, entre tous les fruits, êtes douées d’un cœur compatissant, ô consolatrices des veuves et des divorcées ! » (3).

Le bananier n’est pas un arbre, mais une herbe géante dont la rigidité de la tige est assurée par des gaines foliaires concentriques. De hauteur variable selon les espèces, il peut atteindre aisément dix mètres de haut et porter de vastes feuilles longuement pétiolées dont certaines peuvent concourir au titre de plus grandes feuilles du monde (4). Persistantes, vert brillant, sous les régions tropicales et sub-tropicales, elles interviennent de multiples manières dans l’économie domestique. Les fleurs en épis donnent naissance aux célèbres régimes de bananes d’une façon qui rappelle l’immaculée conception, après quoi l’herbe sèche et meurt.

Le bananier en phytothérapie

Pour nous autres Européens qui voyons parvenir jusqu’à nous des bananes mi vertes mi jaunes, nous savons d’instinct qu’en cet état, elles ne constituent en aucun cas un délice pour le gourmet. Pour ce faire, elles doivent arborer des taches brunes sur leur robe jaune, en mode panthère. Mais, à ce stade, elles ont déjà été retirées depuis belle lurette de l’étal des marchands de fruits et de légumes. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit simplement de les faire mûrir chez soi. J’ai remarqué que quelques gousses d’ail disposées sur des bananes en hâtaient le mûrissement sans leur accorder leur arôme ^_^
La banane verte est un aliment inachevé, mais elle est déjà un remède, certes fort différent de la banane mûre, et utilisée comme telle par les populations des nombreux pays producteurs. Doit-on accorder à l’unique banane l’exclusivité de la matière médicale qu’est susceptible d’apporter le bananier ? Certes non ! Mais du moins pas en Europe où les bananiers ne sont pas légion. En Chine, on utilise presque toute la plante : le fruit et sa peau, les fleurs, les feuilles, jusqu’à la tige qui supporte le poids du régime. Ailleurs, l’on ajoute à cette liste les racines. Nous aborderons tout cela tout à l’heure, mais avant tout, concentrons nous sur la composition biochimique de la banane ayant atteint une parfaite maturité. Les 2/3 de son poids sont constitués d’eau, le ¼ de sucres rapidement assimilables (plus la banane progresse dans son mûrissement et plus le taux de sucres augmente). 5 % de matières azotées côtoient une broutille de lipides (0,6 %) et un chouïa de tanin (0,3 %). Fournissant environ 100 calories aux 100 g, la banane est une riche pourvoyeuse de vitamines (A, B9, C, E) et de sels minéraux (phosphore, potassium, zinc, fer, sodium, etc.). Pour finir, mentionnons le fait que la banane contient du tryptophane convertit par l’organisme en sérotonine.

Propriétés thérapeutiques

  • Très nutritive, digestive, laxative douce, lubrifiante intestinale, antidiarrhéique (banane verte)
  • Tonique
  • Antalgique cutanée, astringente (banane verte, racines)
  • Antinauséeuse
  • Apaisante de la soif
  • Éliminatrice des toxines (selon la médecine traditionnelle chinoise)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation (banane mûre), diarrhée (banane verte)
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux chronique, bronchite (tout cela concerne les feuilles sèches), hémoptysie (racine)
  • Affections cutanées : brûlure légère (banane mûre), ulcère (poudre de banane verte), verrue (pelure), abcès, dermatite (feuilles)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hémorroïdes (banane mûre), hypertension (tige)
  • Profitable aux travailleurs physiques comme intellectuels, asthénie physique et nerveuse, personnes affaiblies, anémiques, en croissance

Modes d’emploi

  • Banane mûre, crue, en nature.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : selon l’emploi auquel se destinera la banane, on la cueille avant maturation ou bien à parfaite maturité. Sous les tropiques, les feuilles se récoltent toute l’année au fur et à mesure des besoins.
  • La banane est déconseillée aux diabétiques en raison de sa richesse en hydrates de carbone et en sucres.
  • Espèces : elles sont nombreuses. Citons en seulement quelques-unes : Musa acuminata, Musa balbisiana, Musa sapientum, Musa paradisiaca, etc.
  • Si besoin est, sachez que l’intérieur d’une pelure de banane est capable de faire disparaître différentes taches : celles qui se trouvent sur des objets en cuir, mais également celles qui ponctuent de nicotine les doigts des fumeurs ou les doigts de ceux qui sont trop maladroits pour utiliser un encrier.
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    1. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 176.
    2. Ibidem, p. 303.
    3. Cité par Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 96.
    4. D’une longueur maximale de 15 m, la feuille de bananier est pourtant loin derrière le record absolu : le raphia royal du Congo (Raphia regalis) possède des feuilles beaucoup plus longues (25 m sur 5 de largeur !)

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L’ananas (Ananas comosus)

Si je vous pose la question de savoir quelle est la patrie d’origine de l’ananas, saurez-vous me répondre ? Vu qu’il en provient de la planète entière (Asie, Océan indien, Afrique, Amérique du Sud et centrale), autant chercher une aiguille dans une meule de foin. Mais si je vous dis que le mot ananas (et ses surnoms locaux annasi et nana) est un mot espagnol emprunté à la langue guarani, cela réduit considérablement le champ des possibilités. Et l’on peut en déduire qu’il tire son origine des terres tropicales d’Amérique du Sud, sauf si on ignore qui sont les Guarani ^_^ Nana, qui signifie « fleur » et « parfum », se double dans ananas : fleur des fleurs, à l’instar de l’ylang-ylang signifiant la même chose dans un dialecte d’Asie du Sud-Est.
Une légende étiologique en provenance de Nouvelle-Calédonie nous est narrée par le regretté Michel Lis : l’ananas est « un fruit né de la volonté d’un jeune prince, parti sur sa pirogue à la recherche de la source du soleil et qui en revint porté par des femmes ailées. Elles le déposèrent sur la plage, mais l’une d’elles ne put s’envoler. Le prince, voulant en faire sa femme, lui arracha les ailes qu’il planta au pied d’un volcan. Il en naquit le premier ananas » (1). Si l’on considère que ce prince s’est rendu là où (pour lui) le soleil se lève, il s’est donc dirigé droit sur l’Amérique du Sud, terre natale de l’ananas. Christophe Colomb, parti dans l’autre sens, en prit connaissance lors de son arrivée aux Amériques, où cette plante était déjà cultivée bien avant l’apparition des Européens. Lors de la seconde expédition du Génois (1493-1496), l’un des membres de l’équipage s’efforcera de le décrire : « Il y avait des plantes qui ressemblaient à des artichauts, mais quatre fois plus grandes et qui portaient des fruits qui font penser à des pommes de pin mais deux fois plus grandes. Ces fruits ont bon goût, ils se laissent couper comme des navets, avec un couteau ». Bien qu’approximatif, ce témoignage a le mérite d’exister. En revanche, le gouverneur de Saint-Domingue, Fernandez de Oviedo, donnera en 1535 une description précise de cette plante dans un ouvrage intitulé Historia de la Indias. C’est au même siècle que des pieds d’ananas ainsi que des fruits sont rapportés en Europe ; l’on en tente la culture, c’est un échec ; l’on essaie d’y goûter, c’est peu concluant aux dires de Rembert Dodoens : « Le fruit de la grosseur d’un melon, de fort belle couleur qui réjouit la vie, l’écorce en est compartie par écailles, son goût est assez plaisant, mais il est astringent avec âpreté malplaisante ». Dodoens aurait-il eu affaire à un fruit insuffisamment mûr ? On peut en douter, à l’époque le long trajet entre Amériques et Europe aurait valu à n’importe quel ananas un mûrissement assuré. Il n’est, peut-être, là encore question que de préférence : aujourd’hui encore, il existe toujours des personnes n’appréciant pas l’ananas. Mais ne nous offensons pas de l’avis du médecin flamand. Déjà, à l’époque, on ne s’en est guère soucié, une opinion ne faisant pas force de loi. C’est ainsi que débuta la culture de l’ananas sous serres dès la fin du XVII ème siècle. Un peu plus tard, sous Louis XV, Lenormand, directeur du potager de Versailles, parviendra à obtenir deux fruits dont le monarque se régala, les trouvant délicieux. Un siècle plus tard, en 1819, Gontier créera un établissement à Montsouris dont l’objectif était d’accueillir les jardiniers désireux de « s’initier aux mystères de la culture de l’ananas ». Tout cela contribua à ce que la culture de l’ananas en France atteigne son apogée dans les années 1840-1850.

Cette plante se conforme de fort bizarre manière : une brassée de feuilles, une tige, une tête, une seconde brassée de feuilles. Mais tout est étrange chez les Broméliacées. Imaginez-vous une pomme avec des cheveux lui poussant sur la poire ?
Enserrant une tige assez courte, forte et robuste, une rosette de feuilles radicales pousse à 45 degrés par rapport à l’axe de cette tige ; rigides, linéaires, épineuses, elles semblent avoir pour vocation la défense de la plante. Tout en haut de la tige se trouve une inflorescence en forme d’épi conique composée d’une centaine de fleurs roses, voire violettes, aux bractées de couleur jaune. Une fois pollinisée, cette inflorescence va devenir l’ananas, fruit charnu, volumineux et savoureux. En réalité, ce fruit que l’on appelle ananas n’en est pas vraiment un : il s’agit, comme chez la framboise, d’un ensemble de petits fruits – des fructules – soudés entre eux autour de l’axe de la tige, chacune des « écailles » de l’ananas n’étant pas autre chose que les vestiges des bractées florales devenues épaisses afin de protéger la chair intérieure. Mais la protéger de quoi ? De la tentative d’un oiseau ou d’un singe de venir lui subtiliser ses graines ? L’ananas n’en produit pas ! Pas un pépin, pas un noyau dans l’ananas. Mais, alors, comment fait-il pour se reproduire ? C’est là que nous en venons à la sommité foliaire que nous connaissons tous, un ananas n’étant jamais vendu sans sa crête de punk qui le fait ressembler au ballon anthropomorphe de Tom Hanks dans le film Seul au monde. Dans la nature, avec l’âge, la tête vient à pourrir, elle tombe au sol, et le bouquet de vingt à trente feuilles qui la surmonte s’enracine peu à peu et formera, à terme, une nouvelle plante et ainsi de suite.

L’ananas en phytothérapie

Ce que l’on convie à la cuisine est aussi ce qui est invité par la pharmacie, autrement dit le fruit, autre précieux alicament. Bien que juteux, l’ananas ne contient pas autant d’eau qu’il n’y paraît, environ les ¾ de sa masse, complété par très peu de matières azotées (0,7 %) et grasses (0,1 %). C’est du côté des sucres (saccharose, glucose) qu’il faut aller chercher la plus grande part, l’ananas en possédant près du 1/5 (18 %). Ajoutons des acides (citrique, malique), des vitamines (A, B9, C), des sels minéraux et oligo-éléments (1,25 % : iode, magnésium, manganèse, potassium, calcium, phosphore, fer, soufre). De plus, l’ananas recèle une molécule étonnante, la bromélaïne, caractérisée par sa nature protéolytique, c’est-à-dire dissolvante des protéines en peptides assimilables par l’organisme, capable de digérer « en quelques minutes mille fois son poids de protéines » (2).

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulant apéritif, tonique digestif, stomachique, vermifuge
  • Nutritif (très digestible), revitalisant, reminéralisant
  • Anti-inflammatoire, rafraîchissant
  • Diurétique
  • Anti-agrégeant plaquettaire
  • Tonifiant des peaux normales

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, hyperacidité gastrique, flatulences, parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase, goutte, arthrite
  • Affections de la gorge
  • Convalescence, croissance, déminéralisation, anémie, épuisement nerveux
  • Régime amaigrissant, obésité, œdème (post opératoire par exemple)
  • Artériosclérose

Modes d’emploi

  • En nature, parfaitement mûr.
  • Jus.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La chair de l’ananas est comestible aussi bien crue que cuite (confiture, gelée, jus, alcool, vinaigre, etc.).
  • Des feuilles, l’on tire de longues fibres soyeuses destinées à la fabrication de tissus à mailles fines.
  • Il existe un élixir floral à base de fleurs d’ananas : quand on se sent en insécurité, lorsqu’on est pris de mauvais pressentiments et de doutes. Il permet de retrouver la confiance et de se recentrer.
    _______________
    1. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, p. 24.
    2. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 176.

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Le ményanthe (Menyanthes trifoliata)

Synonymes : trèfle d’eau, trèfle aquatique, trèfle des marais, trèfle de castor, trèfle de chêne, trèfle à la fièvre, ményanthe trifolié.

Le curieux nom de ményanthe indique la brièveté de la floraison de cette plante, un nom qu’elle ne porte que depuis le XVI ème siècle, alors qu’auparavant elle est restée ignorée des médecins, des apothicaires et des botanistes. Aussi, la nommer l’a fait exister aux yeux du monde. Pourtant, le ményanthe n’est pas une plante excessivement rare, l’on peut dire même qu’elle est assez commune de la plaine à la montagne, sauf en région méditerranéenne et dans les Pyrénées. Qu’est-ce qui a pu faire que l’homme ne s’en est guère approché pendant des lustres ? Ces lieux de vie peuvent, en partie, expliquer ce que l’on peut qualifier de réticence de la part des hommes : les marais et les tourbières, espaces redoutés, placés entre Ciel et Terre, pour lesquels perdurèrent de nombreuses superstitions, auxquels on rattacha bien des croyances. Des lieux dans lesquels on ne s’aventure pas, car considérés comme dangereux, d’autant plus lorsqu’ils sont vecteurs de maladies. Pourtant, « la providence, en la faisant naître dans les marais, semble l’avoir destinée à combattre le scorbut, les fièvres intermittentes, la cachexie paludéenne, l’empâtement et les engorgements des viscères abdominaux, les scrofules, etc., maladies si fréquentes dans ces lieux malsains » (1). Cependant, pour savoir à quoi l’on peut destiner une plante, il faut bien s’en approcher et force est de constater que l’homme prendra le temps nécessaire pour ce faire, épouvanté qu’il était pas le spectre du paludisme, maladie éradiquée de France au XX ème siècle seulement ! Et les lieux en gardent les traces. Par exemple, ici à Provins, l’on trouve une rue du marais, une rue du val, etc., toutes sises en ville basse dont la création n’a pu être possible qu’après le drainage de la zone qu’elle occupe aujourd’hui, autrefois couvertes de marécages insalubres. En s’approchant du ményanthe, en allant le cueillir – chose qui n’est pas toujours simple et qui demande parfois de s’armer de bottes en caoutchouc ou d’y aller à la nage ! – l’homme a pu mettre cette plante à l’étude, remarquant, comme l’a souligné Cazin, son aptitude à intervenir dans des affections en relation avec l’élément liquide, substrat dans lequel s’épanouit cette plante aquatique. Parmi elles, citons l’arthrite, les rhumatismes articulaires, la rétention d’eau, la suppression des règles par atonie utérine. L’on repéra aussi ses puissantes propriétés antiscorbutiques, son action sur les affections cutanées rebelles (gale, dartre) et les fièvres. Si l’on pousse un peu du côté des correspondances astrologiques, on ne sera guère surpris d’apprendre que le ményanthe est une plante de la Lune.

Vivace, doté d’un rhizome épais et charnu, long de un à trois mètres, flottant ou s’enracinant aux nœuds, le ményanthe ne dépasse guère que de 30 à 40 cm la surface de l’onde dont il fait son écrin. Ses feuilles, portées par un long pétiole, sont formées de trois folioles ovales. Les fleurs s’épanouissent séparément, perchées sur une longue hampe nue, d’avril à juin, un peu à la manière des jacinthes. Ces fleurs, d’un blanc lavé de rose, en grappes peu denses, sont constituées de cinq lobes formant une étoile, et portant à leur surface des barbillons d’un blanc éclatant qui donnent à ces fleurs un aspect barbu et crépu.
Le ményanthe se rencontre de préférence sur sols pauvres en calcaire, soit en bordure d’eau douce ou bien en eau pleine, supportant de deux à quatre mètres de profondeur d’eau, où il forme des colonies composées de nombreux individus.

Le ményanthe en phytothérapie

Autrefois cette plante fut classée dans la famille des gentianes tant sont grandes les similitudes entre elle et la grande gentiane jaune. Pas d’un point de vue botanique, mais au regard de leurs propriétés thérapeutiques. Pourtant, elles sont l’une et l’autre dotées d’un profil biochimique bien dissemblable, comme quoi l’on peut atteindre le même but en empruntant des voies fort différentes, d’autant que dans le ményanthe ce sont les parties visibles qui importent au phytothérapeute, alors que chez la gentiane, le trésor thérapeutique se love sous la terre. En effet, le rhizome du ményanthe, dont on lui connaît la présence d’un glucoside, la méliatine, n’appartient pas à la matière médicale. Les feuilles, qui valurent au ményanthe le surnom de trèfle d’eau, sont constituées par bien des composants : point commun avec la grande gentiane jaune, des principes (très) amers dont la ményanthine. Autre point commun, mais ayant un rapport avec d’autres plantes (grande consoude, tussilage, bourrache), de faibles quantités d’alcaloïdes pirrolizidiniques. Par la présence de coumarine, l’on se rapproche de l’aspérule odorante. Si l’on se questionne sur la présence ou l’absence de tanin dans les feuilles du ményanthe, nous sommes bien certains qu’elles possèdent encore une saponine, une résine, des vitamines (A, C), des sels minéraux et oligo-éléments (fer, iode, manganèse dans des proportions intéressantes en ce qui concerne ce dernier), des flavonoïdes, des acides phénoliques, des phytostérols et, enfin, des glucosides sécoiridoïdes.

Propriétés thérapeutiques

  • Excellent tonique amer
  • Apéritif, stomachique, vermifuge, cholagogue
  • Diurétique
  • Dépuratif sanguin, augmente le nombre des hématies
  • Emménagogue
  • Antimigraineux
  • Détersif

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, digestion difficile, dyspepsie d’origine nerveuse (particulièrement efficace), crampe gastrique, constipation, flatulences, parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux sèche, catarrhe bronchique
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, ictère
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : hydropisie, rhumatismes, arthrite, goutte
  • Rachitisme, convalescence, anémie, asthénie
  • Affections cutanées : ulcère, dartre
  • Scorbut
  • Fièvre intermittente
  • Migraine d’origine nerveuse et post-prandiale (2)
  • Règles insuffisantes

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles.
  • Décoction de feuilles.
  • Suc frais de feuilles.
  • Poudre de feuilles.
  • Macération vineuse de feuilles.
  • Teinture-mère.
  • Cataplasme de feuilles fraîches.
  • Sirop antiscorbutique : préparation magistrale composée de ményanthe, de cresson, de raifort et de cochléaire.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : si l’on souhaite utiliser le ményanthe à l’état frais (ce qui est préférable), c’est au mois de mai qu’il faut aller le cueillir, car à cette époque le taux de ményanthine est à son maximum dans la plante. En revanche, celle qui se destine à la dessiccation attendra le mois d’août pour ce faire.
  • Séchage : si il y a lieu, il devra se réaliser dans un local bien aéré, à l’ombre. Pour hâter la dessiccation de ces feuilles un peu charnues, il est bon de les retourner de temps à autre.
  • A hautes doses, le ményanthe provoque vomissement et purgation, c’est pourquoi l’on se privera de son usage en cas de diarrhée, de colique et de dysenterie. De plus, on élargira cette contre-indication à la femme enceinte.
  • Autre espèce : le faux nénuphar ou limnanthème (Menyanthis natans), sans usage médical.
  • Usages alternatifs : en temps de disette, le rhizome du ményanthe était convié à la table des plus pauvres en Russie. Quant aux feuilles, leur amertume leur valut de se substituer au houblon dans l’industrie brassicole ; ce sont elles que l’on retrouve dans ale et porter britanniques. Enfin, ces mêmes feuilles permettent d’obtenir une belle teinture jaune.
    _______________
    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 582.
    2. « Dans tous les états d’auto-intoxication digestive et leurs manifestations, migraine, maux de tête, malaise général, neurasthénie, mélancolie, hypocondrie et névralgies, il rend les meilleurs services », Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 629.

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Le dompte-venin (Vincetoxum hirundinaria)

Cette plante, qui porte aussi les noms d’asclépias et d’asclépiade, « suffit à montrer l’excellence de ses vertus » (1). Cette sentence assertive, nous la devons à Anne Osmont. Ce qui s’érige comme vrai ne saurait être mis en doute, asclépias et asclépiade faisant bien évidemment référence au dieu grec de la médecine et « manifestent la confiance des anciens dans les propriétés attribuées » (2) à cette plante. Vincetoxum étant la traduction littérale de dompte-venin, ces quelques constatations liminaires dressent d’ores et déjà un portrait flatteur de cette plante dont l’unique inconvénient est qu’on n’en entend plus parler, du moins dans le domaine qui nous occupe, c’est-à-dire à travers la phytothérapie, histoire d’hommes et de plantes. Nous avons récemment vu que l’aristoloche fut placée sous le patronage d’Artémis. Ici, c’est tout différent, l’on a affaire au père d’Hygie (la Santé), de Panacée (le Remède infaillible), d’Acéso (le Processus de guérison) et d’Iaso (la Guérison), rien moins que le divin Asclépios qui guérissait à l’aide du sang de la Gorgone que lui avait offert Athéna. L’on comprend dès lors qu’on ait attribué à cette plante le nom de ce dieux. Nous devrions donc trouver dans la littérature une multitude d’informations au sujet du dompte-venin. Tenez, allons voir dans la Materia medica ce qu’en dit Dioscoride. Cela se passe au Livre III, chapitre 88 : « Les racines bues avec du vin ôtent les douleurs des tranchées et valent pareillement aux morsures des serpents. L’on emplâtre ses feuilles contre les ulcères malins de la nature des femmes et de leurs seins ». C’est un peu maigre pour une panacée d’Asclépios, non ? Le souci c’est qu’on n’a pas autre chose qui nous permette de nous rassasier un peu. Selon toute vraisemblance l’Antiquité n’en dira pas davantage, et le Moyen-Âge restera sourd, aveugle et muet au sujet du dompte-venin que l’on voit cependant, au XVI ème siècle, être utilisé de nouveau contre la peste, les empoisonnements, les morsures venimeuses, toutes choses qui sont dans les cordes d’Asclépios. Mais le sont-elles aussi dans celles du dompte-venin ? User d’une plante est une chose, la créditer d’un pouvoir de guérison en est une autre. Ce n’est pas parce que le dompte-venin est véritablement alexipharmaque qu’il a été prisé pour contrecarrer ces divers maux, mais parce qu’on le croyait. Or, croire et savoir ne tètent pas à la même mamelle. Et il s’avère que celui qui est censé vaincre le poison est lui-même toxique ! Par exemple, les chèvres n’en broutent seulement que les extrémités, les chevaux, quant à eux, patientent jusqu’aux premières gelées qui lui font perdre son âcreté pour, éventuellement, s’en repaître si jamais ils n’ont rien d’autre à se placer sous la dent. Cette défiance animale doit être prise en compte. De plus, l’on peut même ranger le dompte-venin auprès de l’aconit tue-loup, solide gaillard. Si ce dernier se destinait à l’empoisonnement des loups et des renards, l’autre fut usité pour des raisons similaires auprès des chiens. Tout cela ne semble pas décourager certains praticiens. Cazin, citant Gilibert : « Quelques auteurs condamnent l’usage de cette racine. Cependant la décoction que nous avons souvent ordonnée à haute dose, n’a jamais causé le moindre incident ; nous l’avons trouvée utile dans les dartres, les anasarques, les écrouelles, la chlorose, et la suppression des règles ; elle augmente sensiblement le cours des urines ; extérieurement, elle déterge les ulcères et arrête les progrès du vice scrofuleux » (3). Cependant, Leclerc appellera à la prudence quant à son emploi, conseillant même de s’en abstenir parce que « il faut reconnaître que l’étude pharmacologique des dompte-venin laisse encore beaucoup à désirer », ajoutera Fournier (4). Et aujourd’hui, force est de constater (et de regretter aussi) que le dompte-venin camoufle bien des secrets. Comme si l’incarnation d’un dieu, aussi puissant soit-il, dans une plante avait le pouvoir de l’immuniser contre toute tentative d’en apprendre plus à son sujet. Ces « impénétrables voies » ne sont, hélas, pas un gage de sûreté. Il est certaines plantes dans lesquelles transparaît en filigrane l’identité d’un dieu (la joubarbe), d’autres y apparaissant très nettement (le nombril-de-Vénus), pourtant elles ne sont rien moins que des plantes médicinales assez ordinaires. Où bien alors les dieux, à l’instar d’Aphrodite dissimulant Adonis enfant dans un coffre, ont cadenassé certains savoirs qu’il appartient aux hommes de découvrir sans avoir jamais à attendre une révélation divine à propos de telle ou telle plante.

Cette plante vivace à la racine dure et rampante est un joli végétal de 20 à 80 cm de hauteur. Ses tiges, sur lesquelles s’opposent des feuilles ovales, aiguës, sans dent, vertes et lisses, portent des fleurs blanchâtres, voire verdâtres ou jaunâtres, formées d’une corolle d’un seul tenant, garnie de cinq lobes ovales. Ses fruits en forme de poire auriculaire, contiennent des semences brunâtres surmontées d’une houppette de poils dont le but est de favoriser l’anémochorie, c’est-à-dire la dispersion des graines par le vent.
Assez commune en France, sauf dans l’Ouest et le Nord, le dompte-venin exige de préférence des sols secs et pierreux : coteaux arides, incultes et rocailleux, bois secs, rochers, etc., jusqu’à 1800 m d’altitude.

Le dompte-venin en phytothérapie

Les études pharmacologiques étant ce qu’elles sont, du dompte-venin il y a bien peu à dire. Que trouvons-nous donc dans cette plante ? De la fécule, une huile grasse, de l’acide pictique, des résines, une essence aromatique, des sels minéraux (calcium, potassium, etc.), toutes choses assez anodines. Au registre des substances peu ordinaires, citons une matière proche des saponines, l’acide asclépiique, un glucoside du nom de vincétoxine, enfin de l’asclépiadine (cardénolide). Du dompte-venin, l’on use surtout de la racine à l’odeur nauséabonde, à la saveur tout d’abord douceâtre et agréable (le piège  !), puis âcre et amère.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, dépuratif énergique, sudorifique
  • Purgatif, vomitif (à hautes doses)
  • Résolutif

Usages thérapeutiques

  • Hydropisie, anasarque, épanchement, engorgement lymphatique et hépatique
  • Abcès froid, dartre
  • Ictère
  • Fièvre
  • Palpitations

Modes d’emploi

  • Décoction aqueuse de racine.
  • Décoction vineuse de racine (pour usage externe : cataplasme, lotion, compresse).
  • Poudre de racine ou de feuilles.
  • Cataplasme de feuilles.
  • Teinture-mère.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine de l’automne au printemps, les feuilles durant la belle saison. Notons que la dessiccation de la racine amoindrit sa valeur.
  • Autres espèces : l’asclépiade tubéreuse ou herbe à la pleurésie (Asclepias tuberosa), l’asclépiade noire (Vincetoxum nigrum), l’herbe aux perruches (Asclepias cornuti), etc.

  1. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 30.
  2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 120.
  3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 93.
  4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 120.

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L’aristoloche clématite (Aristolochia clematitis)

Synonymes : aristoloche des vignes, sarrasine, poison de terre, guillebaude, ratelaire, ratalie, pomerasse, brigbog, etc.

Lors de l’Antiquité, les aristoloches furent placées sous les meilleurs auspices, ceux des hommes et ceux des dieux. Pour s’en convaincre, citons Hippocrate, Théophraste, Dioscoride, Pline et Galien du côté des premiers, Artémis du côté des seconds. Voyez, cette faveur est même inscrite dans son nom : aristoloche, du grec aristos, « excellent ». Face à un tel pedigree, il ne peut y avoir de doute, l’on n’appelle pas ainsi une plante si ses propriétés sont médiocres, elle doit donc posséder une extrême puissance. Pour démontrer cela, basons-nous tout d’abord sur un extrait tiré d’un traité de botanique astrologique anonyme : « Son fruit, bu avec du miel et du vin repousse toutes les maladies corporelles. La racine, fumée et portée sur soi chasse tout démon et tout brouillard de la vue ; elle écarte toute calamité si on la consomme. Elle sert aussi de contrepoison pour tous les animaux venimeux ». Que de prodiges ! N’a-t-on pas là affaire à une panacée ? De leur côté, Hippocrate et Théophraste n’ont pas fait l’impasse sur l’aristoloche. Bien qu’on décèle sa présence dans les traités de la collection hippocratique, ses principaux panégyristes demeurent Pline et Dioscoride. Et lorsqu’on combine la lecture de tous ces auteurs, il faut se faire une raison, l’aristoloche est véritablement une plante à tout faire. C’est un remède cutané venant à bout des ulcères, des plaies, de la gale, des dartres, de la « lèpre », des abcès, des inflammations diverses et variées, etc. Active, elle l’est également sur la sphère urinaire (lithiase, oligurie, urines sédimenteuses et purulentes, goutte) et respiratoire (asthme, spasmes bronchiques). De plus, c’est un antidotaire face aux morsures de serpents, une propriété révélée par la déesse Artémis, que l’on élargira aux piqûres de scorpions, ainsi qu’à toutes autres formes d’empoisonnements mortels. Non seulement elle remédiait aux poisons et aux venins, mais elle avait la capacité d’écarter serpents, scorpions, jusqu’aux démons même ! Selon Pline, en plaçant l’aristoloche au-dessus du foyer, cela chasse les serpents des maisons. Chose curieuse, Aëtius, s’il préconise l’aristoloche comme purgative, avance, avec Pline, que cette plante constitue un remède oculaire, alors que, c’est bien connu, la plupart des aristoloches sont irritantes pour les muqueuses oculaires, « l’eau contenue dans les fleurs peut causer des ophtalmies très graves », précise Fournier (1). Cette énormité est néanmoins relayée par notre traité de botanique astrologique qui, en revanche, fait totalement l’impasse sur l’une des principales propriétés de l’aristoloche : si nous savons que c’est une plante excellente (aristos), c’est aussi une plante de la femme, un aspect que l’on distingue dans les deux syllabes qui achèvent le mot aristoloche : -loche, du grec lokia, « accouchement », une nature gynécologique abordée par tous : dysfonctionnement de l’utérus (Théophraste), activer les fonctions vitales de l’utérus (Hippocrate), affections de la matrice (Dioscoride, Pline), provoquer les menstruations (Dioscoride), faciliter l’accouchement et l’évacuation des lochies (Hippocrate, Dioscoride, Galien) ; Pline ajoute même que l’aristoloche dite « mâle » devait favoriser la naissance d’un garçon ! Et Dioscoride mentionne que, par voie de sympathie, l’aristoloche est fort utile pour extraire de la chair épines et esquilles en vertu de cette propriété évacuatrice active chez la femme enceinte. L’on comprend aussi la présence d’Artémis dans ces lignes car « la relation de la plante avec la déesse était également suggérée par le nom qui lui avait été donné : ne rappelle-t-il pas son pouvoir de faciliter les accouchements auxquels présidait Artémis, qui portait pour cette raison l’épiclèse de louchia ? » (2).

Au Moyen-Âge, la réputation de l’aristoloche ne se dément pas. Macer Floridus, copiant Dioscoride et Pline entre autres, ne nous apprend rien de nouveau, et ajoute à la vertu de cette plante de mettre en fuite les esprits malins, celle d’égayer les enfants ! Paul d’Egine et Mésué la disent purgative, tandis qu’Hildegarde préconise celle qu’elle appelle Byuerwurtz contre l’indigestion et autres désordres gastro-intestinaux. Si elle note la propriété emménagogue de l’aristoloche, elle ne fait, en revanche, aucune référence à son rôle lors de l’accouchement, et évoque quelque chose qui rappelle la panacée des vieux textes antiques : une poudre composée d’aristoloche, de cannelle et de pyrèthre. Grâce à elle, « l’on n’aura jamais aucune infirmité importante ou prolongée, jusqu’à la mort » (3). Les siècles suivants virent peu à peu l’aristoloche être délaissée par les praticiens, bien qu’il demeure çà et là bien des informations relatives à son sujet. Porta la conseille contre la « lèpre », le Petit Albert pour la guérison des plaies. Aux XVII ème et XVIII ème siècles, c’est, si l’on peut dire, le remède antigoutteux à la mode, à travers la poudre du Prince de la Mirandole, préparation magistrale qui, loin de faire fuir la Parque, était plus connue pour faire passer de vie à trépas que de soulager les affections goutteuses. Qu’importe ! Gilibert perpétue le souvenir de l’aristoloche, remarquant ses propriétés diurétiques, détersives sur les ulcères sordides, fébrifuges et emménagogues, mais s’étonnera du discrédit croissant dans lequel l’aristoloche tombera en son temps. « Qu’une plante aussi énergique soit presque abandonnée » est, pour lui, incompréhensible. Et le siècle suivant, le XIX ème, hélas pour lui, ne lui donnera pas raison : l’aristoloche sera pratiquement négligée, avant de revenir hanter les écrits de Leclerc et de Valnet au XX ème siècle, ce qui ne la sauvera en rien : aujourd’hui, l’aristoloche n’appartient plus à la matière médicale en raison de sa trop grande dangerosité. En effet, l’une de ses molécules l’a fait interdire de toute pratique phytothérapeutique, seule l’homéopathie sait en tirer profit sans inconvénient. Pourtant, tout ceci demande que l’on s’interroge. Aux doses létales, l’aristoloche paralyse le système respiratoire alors qu’autrefois elle soignait l’asthme ; de même, elle provoque des convulsions et soulageait les spasmes. Étonnant, non ? Les vieux textes médicaux de l’Antiquité, assez souvent avares de précisions lorsqu’il s’agit des modus operandi, nous ont légué la preuve des nombreux bienfaits imputables à l’aristoloche. Or, 2000 ans plus tard, comment se fait-il que plus personne ou presque ne se soucie de cette plante ? Y a-t-il eu affabulation et invention fantaisiste de la part des Anciens ? N’observe-t-on pas une excessive prudence des modernes ? Pouvons-nous nous placer dans l’esprit de Dioscoride pour savoir comment il opérait afin de tirer le meilleur parti de cette plante ? Cela ne me semble, hélas, pas possible. Du XXI ème siècle duquel nous jetons un regard sur ces antiques prescriptions, l’écart est si vaste, les modes de vie, de penser, de concevoir la matière médicale aussi. Mais une question demeure : comment est-il possible qu’une même plante ait pu profiter aux Anciens et pas à nous ? Beaucoup de continuateurs, jusqu’à récemment encore, à l’échelle des siècles, ont consigné, par leurs expérimentations, la validité d’une grande partie de ce qu’avançaient les Anciens. Ces derniers étaient-ils plus proches des doses que préconise l’homéopathie, là où l’aristoloche réussit le mieux ?

Malgré son nom, l’aristoloche clématite n’a rien de l’herbe aux gueux, l’épithète clematitis ayant été adopté par Bauhin et conservé par Linné, concernait une plante grimpante à vrilles que l’on appelait ainsi durant l’Antiquité. Seule l’aristoloche siphon, grimpante, longue de cinq à dix mètres, peut se prévaloir de cet adjectif, mais il ne s’agit pas d’une aristoloche européenne, étant nord-américaine. Au contraire, l’aristoloche clématite est assez courte sur pattes : 30 à 50 cm, 80 au grand maximum. Des tiges assez grêles, semblant peu robustes, portent de grandes feuilles longuement pétiolées, en forme de cœur. A leur aisselle, se groupent, par faisceaux de deux à huit, des fleurs jaunes à pédoncule étroit, sorte de tubes terminés par une languette, tout d’abord dressés puis réfractés vers le bas. La floraison printanière de cette aristoloche fait intervenir un acteur ailé : garantissant le gîte et le couvert, les fleurs laissent pénétrer les insectes qui ne peuvent en ressortir en raison d’une barrière de poils jouant le rôle de herse à bascule. Tant que la fleur n’est pas fécondée, l’insecte reste captif, puis, une fois que cela est fait, poils et fleurs s’assèchent, libérant ainsi l’insecte. Puis la plante fructifie, donnant des capsules vertes dont les six valves sont emplies de graines.
Cette vivace thermophile possède une racine fusiforme d’une trentaine de centimètres de longueur, brunâtre et rugueuse à l’extérieur, jaunâtre à l’intérieur.
Comme beaucoup d’autres aristoloches européennes, elle se cantonne surtout aux régions méridionales (Espagne, Italie, Midi de la France). Partout ailleurs, sa présence locale témoigne de sa culture ancienne, demeurant cependant rare voire inexistante dans le Nord et le Nord-Est, en basse altitude surtout. Ses lieux de vie sont très variés : lisières des bois, haies, rocailles, champs, berges, vignes, terrains incultes, etc.

L’aristoloche clématite en phytothérapie

De cette plante, l’on usait autrefois de la racine et des feuilles. Bien que son emploi remonte à fort longtemps, l’on en sait assez peu au sujet de sa composition, d’autant que son abandon récent par la thérapeutique moderne n’a pas engagé de nouvelles recherches. Tout au plus savons-nous que cette plante contient du tanin, de la résine, de la fécule, des principes amers, des acides (tannique, malique), un pigment dit « jaune d’aristoloche », mais elle se distingue surtout par le redoutable acide aristolochique dont nous reparlerons ultérieurement en raison de sa toxicité.

Propriétés thérapeutiques

  • Fortifiante, stimulante
  • Diurétique, antirhumatismale, antigoutteuse, sudorifique
  • Astringente, vulnéraire, cicatrisante
  • Emménagogue, congestionnante utérine
  • Fébrifuge
  • Anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, accouchement, évacuation des lochies et du placenta, prévention des infections après accouchement, troubles de la ménopause
  • Troubles locomoteurs : goutte chronique, rhumatismes, douleurs musculaires
  • Affections cutanées : ulcère chronique, ulcère de jambe, dermatose purulente, prurit, eczéma, intertrigo, inflammation cutanée, plaie, blessure, morsure de serpent
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, hémoptysie
  • Hydropisie
  • Fièvre intermittente

Modes d’emploi

  • Poudre de racines.
  • Infusion de feuilles.
  • Décoction de racine.
  • Teinture-mère.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine au printemps et à l’automne, les sommités fleuries en mai et en juin.
  • Toxicité : l’odeur pénétrante et fétide de l’aristoloche, sa saveur âcre, signalent que la plante n’est pas dénuée d’effets. Très énergique, trop diraient certains, l’aristoloche présente une intensité variable dans ses actions selon sa provenance. Les spécimens méridionaux semblent agités d’une énergie de loin supérieure à l’aristoloche qui croît au centre de la France. Ce qui expliquerait les observations antagoniques que l’on a faites à son sujet. Ajoutons à cela que de nombreux paramètres (saison de récolte, état de fraîcheur, conditionnement, etc.) font que, comme souvent, l’on puisse obtenir et, partant, utiliser des produits de valeur fort différentes. Mais avec l’aristoloche, il y a un hic. Un gros hic : l’acide aristolochique. « Cette molécule est métabolisée en substance cancérigène qui induit notamment le cancer des reins » (4). L’on se souviendra peut-être de l’erreur commise il y a une vingtaine d’années, où un laboratoire importa de Chine une aristoloche asiatique en lieu et place d’une autre plante, au motif que leurs noms chinois sont très proches, et qui se destina à un médicament amaigrissant, dont les prises répétées et continuées par de nombreux patients provoquèrent chez eux des néphropathies dont certaines exigèrent une greffe rénale. L’acide aristolochique, responsable de cet état de fait, provoque des désordres gastro-intestinaux (crampes, douleurs, vomissement, diarrhée, superpurgation, selles sanglantes, météorisme, gastro-entérite) et circulatoires (accélération du pouls, baisse de la tension artérielle, intoxication des vaisseaux capillaires). De plus, il est potentiellement abortif, toxique rénal, modificateur du patrimoine génétique. Puis viennent des convulsions, le coma et le décès par paralysie des voies respiratoires.
  • Autres espèces : en Europe, l’on croise d’autres aristoloches parmi lesquelles nous trouvons l’aristoloche ronde (A. rotunda), l’aristoloche longue (A. longa) et l’aristoloche pistoloche (A. pistolochia). Il en existe beaucoup d’autres dans bien des endroits du monde :
    A. indica (Inde ; contraceptif),
    A. klugii (Amazonie ; morsure de serpent),
    A. serpentaria (Amérique du Nord ; morsure de serpent, maux d’estomac, rage de dents, fièvre),
    A. bracteata (Soudan ; piqûre de scorpion),
    A. kaempferi et fangchi (Chine ; affections pulmonaires, rétention d’eau).
    _______________
    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 97.
    2. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 467.
    3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 84.
    4. Kurt Hosttetmann, Tout savoir sur les poisons naturels, p. 57.

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L’asaret (Asarum europaeum)

Crédit photo : Algirdas (wikimedia commons).

 

Synonymes : oreille d’homme, oreillette, rondelle, cabaret, nard sauvage, girard, roussin, panacée des fièvres quartes.

Plus timide que la violette, il y a l’asaret, plante mettant tout en œuvre pour qu’on ne remarque qu’avec peine sa présence. Mais sa discrétion ne l’a pas soustrait du regard des Anciens, puisqu’ils furent nombreux à en prodiguer les vertus au fil des siècles, et ce depuis au moins Dioscoride, dont l’extrait suivant, concernant la description de sa racine, ne laisse aucun doute : « Il produit sous lui des racines noueuses, subtiles, entortillées, semblables à celles de dent-de-chien, mais plus subtiles et plus odoriférantes, qui échauffent et mordent fortement la langue quand on les mâche » (1). Avec Galien, il remarquera la vertu vomitive de cette racine, lui accordant également des pouvoirs purgatifs, emménagogues, diurétiques et antinévralgiques. La thérapeutique vomitive n’étant plus à la mode, cela peut surprendre qu’on fasse appel à une plante pour provoquer un désordre que l’organisme met en œuvre afin de se délester d’une substance étrangère. La saveur nauséabonde de cette racine explique peut-être l’étymologie de l’asaret, terme issu, selon certains, d’une racine grecque, asê, signifiant « nausée, dégoût ». Mais d’autres y voient une origine fort différente : asaret se nommait asaron en grec, un mort formé par la construction du a privatif et de saïro, « qui reste fermé », en relation avec les fleurs de l’asaret qui ne donnent jamais l’impression d’être totalement épanouies, pudiques qu’elles sont. Enfin, d’aucuns n’imaginent qu’un développement d’arum, ayant formé asarum, mais sans plus d’explication quant à ce choix. L’âcreté commune à l’asaret et à l’arum y est-elle pour quelque chose ?

Bref. Malgré son caractère émétique, l’asaret restera, de l’Antiquité au XIX ème siècle, l’un des meilleurs remèdes purgatifs indigènes, bien qu’il ait été détrôné par l’ipécacuanha, racine sud-américaine, également vomitive. Dès lors, on négligera l’asaret, sauf dans les campagnes où l’on s’attache plus longtemps qu’ailleurs aux traditions populaires. « Si quelques praticiens ont rejeté l’emploi de l’asaret comme agissant avec violence, et n’ayant qu’une action irrégulière et inconstante, c’est parce qu’on l’a administré sans précaution ou à doses trop élevées, ou même dans des cas où une irritation préexistante en contre-indiquait l’usage, tempête Cazin. Si une prédilection marquée pour les médicaments exotiques n’existait pas chez la plupart des médecins, on tiendrait compte aussi de l’action irrégulière de l’ipécacuanha, si souvent observée dans la pratique » (2). Mais l’ipéca, bien que plus connu que l’asaret, n’aura pas réussi à lui enlever son rôle de vomitif dont la littérature abonde à son sujet sur un point bien particulier : on a qualifié l’asaret de « plante des ivrognes ». En effet, dans l’ensemble de mes lectures, il ressort que l’asaret était utilisé par d’infâmes pochards pour se faire vomir et, comme dit Fournier, pour « débarrasser l’estomac après des libations trop copieuses » (3), afin, disent de mauvaises langues, de se remettre à boire derechef ou, pour certains, d’échapper à la vindicte de leurs femmes une fois rentrés à la maison. Que l’asaret puisse évacuer l’estomac de l’alcool qui s’y trouve encore, soit. Mais quid de celui parcourant déjà le sang ? L’on passerait, avec l’asaret, d’une ébriété à une demi ivresse. Ceci dit, comme l’asaret ne souffre pas l’approximation, il eut fallu, de la part de ces ivrognes, une rude observation des quantités exactes pour atteindre leur objectif, un discernement rendu bien difficile sous l’empire de l’alcool. J’ignore si cela fut une généralité de la part des adorateurs de Bacchus ou bien une anecdote montée en épingle afin d’expliquer le surnom de cabaret que porte l’asaret, chose que réfute Fournier en raison des explications qu’il fournit (cabaret serait, selon lui, une altération de baccaret, du latin bacchar), mais que l’on trouve encore, éparpillée çà et là, dans différents ouvrages dont certains sont même très modernes. Ceci étant dit, il s’agit là d’un aspect de la plante que je n’ai rencontré ni chez les auteurs antiques ni chez les auteurs médiévaux. Par exemple, au XI ème siècle, Macer Floridus, de même que ses devanciers, relate les propriétés diurétiques, emménagogues et antihydropiques de cette plante, n’accordant aucune importance à son pouvoir émétique. Mais, sensible à l’idiosyncrasie, il nous donne le détail des conditions idéales pour lesquelles administrer l’asaret pour ses vertus purgatives, prenant compte de l’âge, de la condition physique et de la robustesse du sujet, de l’époque de l’année, du climat même ! Le malade type, selon Macer Floridus, est donc un adulte gras et fort, travailleur, vivant sous un climat plus froid que tempéré, c’est-à-dire, en transposant à une époque plus moderne, le profil du bûcheron sibérien, fervent amateur de boissons fortes et d’asaret censé conjurer les effets de l’ivresse. Mais la recette donnée par Macer n’eut pas convenu : une infusion à froid de feuilles d’asaret dans du vin pendant une nuit entière (laissant à l’ivresse tout le loisir de se dissiper d’elle-même) que, avant d’absorber, l’on précède d’une lampée de vin blanc fort, ce qui n’est pas la meilleure solution à la gueule de bois !
De même avec Hildegarde, qui va nous ennuyer un peu car elle fait apparaître deux asarets (Haselwurtz et Asarus) dans le Physica, il n’est nullement question de ses vertus vomitives et encore moins dissipatrices de l’ivresse. La première plante, l’Haselwurtz, est sans doute celle dont Fournier disait que l’abbesse lui déniait toute utilité en tant que plante médicinale. En effet, dit-elle, « il contient une force dangereuse et doit être redouté ; il est fort noir et de nature instable, et semblable à une tempête ; sa chaleur et son instabilité le rendent dangereux » (4). Nuisible au malade, empirant le mal, et à la femme enceinte parce que jugé abortif, ainsi pouvons-nous compléter le portrait de cette plante. Mais plus loin dans le Physica, dans le chapitre consacré au fenouil, Hildegarde prodigue le conseil suivant : placer un cataplasme chaud d’asaret et de fenouil sur le dos et le haut des cuisses d’un parturiente calme ses douleurs durant l’accouchement. Mais s’agit-il de l’Haselwurtz ou du second, l’Asarus ? Probablement de ce dernier, vu ce qu’elle dit à son sujet dans le chapitre qui lui est réservé : cette plante à la « verdeur douce et utile » est « d’une grande utilité, car son suc soigne l’intérieur de l’homme » (5). Comme Hildegarde donne cet Asarus comme remède auriculaire, on est tenté de penser qu’il s’agit bien d’Asarum europaeum, mais elle ne souffle mot de la toxicité de cette plante, laquelle transparaît très nettement chez l’Haselwurtz

Petite plante vivace d’un décimètre de hauteur, l’asaret vit en colonies nombreuses, tapissant le sol des sous-bois frais et autres lieux ombragés comme sait le faire le lierre en forêt. Un rhizome brun grisâtre à l’extérieur, jaune à l’intérieur, s’entortille et se tord, portant tubercules et fibres radicales blanchâtres. Les tiges, très courtes, supportent seulement deux feuilles longuement pétiolées, larges, vert foncé, luisantes, presque cireuses, succulentes, en forme de rein. Les fleurs, montées sur un très bref pédoncule, émergent à l’aisselle des feuilles dès le mois d’avril. Elles se composent d’une corolle en cloche trilobée penchée vers le sol, de couleur variant du rouge lie-de-vin au noirâtre en passant par le pourpre foncé.
L’asaret est une plante commune sur sol calcaire, à l’Est, au Nord et au Centre de la France, à une altitude comprise entre 400 et 1800 m, bien qu’il lui arrive d’être présent en bordure de mer.

L’asaret en phytothérapie

Les feuilles froissées de l’asaret dégagent un parfum poivré et pénétrant, bien plus soutenu au niveau de ses racines : un relent camphré accompagne une saveur âcre et nauséeuse. Cette plante doit cette particularité à une essence aromatique constituée de monoterpènes et d’asarone (ou camphre d’asaret), une molécule que l’on croise aussi dans l’huile essentielle d’acore calame. Cette cétone, potentiellement carcinogène, est ce qui distingue l’asaret en terme de composition biochimique, laquelle expose aussi des constituants bien connus : tanin, résine, gomme, fécule, albumine, acide citrique, allantoïne. Ajoutons-y une substance cristalline, l’asarite, et divers flavonoïdes.

Propriétés thérapeutiques

  • Purgatif, vomitif, vermifuge
  • Diurétique, antihydropique, sialagogue
  • Astringent, cicatrisant
  • Expectorant
  • Emménagogue
  • Anti-arthritique
  • Stimulant
  • Sternutatoire (6)
  • Remède auriculaire (7)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, catarrhe bronchique, spasmes bronchiques, bronchite chronique, coqueluche
  • Troubles de la sphère hépatique : engorgement et obstruction du foie, ictère
  • Troubles de la sphère urinaire : hydropisie, goutte
  • Fièvres intermittentes
  • Névralgies : céphalée, céphalée opiniâtre, sciatique
  • Diarrhée
  • Affections cutanées
  • Surdité

Modes d’emploi

  • Poudre de racines ou de feuilles.
  • Macération vineuse de racines.
  • Infusion de feuilles (mises en contact avec de l’eau froide pendant huit à dix heures).
  • Teinture-mère.
  • Alcoolature.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les racines au printemps et à l’automne, les feuilles durant tout l’été.
  • L’asarone est une substance altérable, et l’on ne peut bénéficier de ses vertus qu’à la condition d’employer la plante fraîche, parce que, au bout de six mois de dessiccation, les racines vétustes ne sont plus vomitives, simplement purgatives. Ainsi, si l’on récolte la racine d’asaret tous les six mois, on dispose d’un asaret frais et vomitif et d’un asaret sec et purgatif. Si l’on attend davantage, de l’ordre de deux ans, l’asaret n’est plus purgatif du tout, il devient diurétique. C’est ce qui fera dire à Jean Valnet, reprenant Gilibert, que cette plante est un « remède qui pousse par tous les couloirs » (8). Cela démontre que la thérapeutique de l’asaret est à géométrie variable, d’autant plus accentuée encore que la plante sèche diffère grandement de la fraîche en terme d’intensité d’action et de mode de préparation. Par exemple, il a été remarqué que la plante fraîche absorbée par voie aqueuse était beaucoup moins vomitive et purgative.
  • Toxicité : l’asarone est une cétone, et qui dit cétone, veut que l’on prenne garde à cette molécule neurotoxique à haute dose. Bien sûr, la plante fraîche, ne contenant qu’1 % d’essence aromatique, ne confronte pas aux mêmes inconvénients que l’asarone pure. La toxicité de l’asaret s’exprime par des sensations de brûlure dans la bouche, des nausées, des douleurs stomacales, des irritations rénales et utérines qui valurent à l’asaret d’être autrefois convié comme abortif. De plus, la plante fraîche en contact avec la peau y déploie une inflammation locale très vive. L’asaret a beau vivre à l’ombre, c’est avec raison que l’on peut affirmer qu’il est plein de feu.
  • Autre espèce : l’asaret du Canada (Asarum canadense).
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 9.
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 90.
    3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 119.
    4. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 42.
    5. Ibidem, p. 103.
    6. Autrefois, l’asaret entrait pour une bonne part dans la poudre capitale de Saint-Ange, remède faisant éternuer, en compagnie de bétoine, de verveine et, paraît-il, de crapaud séché…
    7. Les médecins sensibles à la théorie des signatures, ayant comparé la forme de ses feuilles à celle de l’oreille humaine, usaient de l’asaret contre certaines surdités, bien que cela ne soit pas là sa principale indication. En revanche, les feuilles réniformes de l’asaret entrent bien en écho avec ses propriétés diurétiques.
    8. Jean Valnet, La phytothérapie, p. 153.

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L’éphédra (Ephedra sinica)

Cette plante étrange qu’est l’éphédra, à l’allure préhistorique, semble plonger ses racines loin dans le temps. Il est vrai qu’elle n’est pas née d’hier et que son emploi n’est pas si récent qu’on pourrait le penser, si l’on considère cette plante d’un strict point de vue occidental. En effet, des fouilles conduites sur un site irakien ont exhumé des restes d’éphédra dans un tombeau vieux de près de 60000 ans. Ces débris d’éphédra peuvent-ils nous révéler ce que firent de cette plante ceux qui l’ont placée en cet endroit ? C’est bien difficile à confirmer. Usage alimentaire ? Les baies de cet arbrisseau, c’est un fait, sont comestibles. Quant à ses rameaux, ils ne se prêtent guère à un usage culinaire, mais médicinal. A moins qu’il y ait là une toute autre raison… Il est bien plus facile de prendre connaissance de textes anciens que de faire parler des fragments végétaux dont l’âge les dépasse de plusieurs dizaines de milliers d’années. Les textes, eux, se comptent en siècles, voire en millénaires, mais pas davantage. L’un d’eux, le Shennong Bencao Jing, livre attribué à l’empereur Schen-Nung et dont, traditionnellement, l’on fait remonter l’origine à presque 5000 ans (1), fait figurer l’éphédra parmi 365 drogues. Un autre ouvrage, Les Recettes du coffret d’or de Tchang Tchong-King, plus récent (II ème siècle après J.-C.), fait lui aussi référence à l’éphédra dont il conseille l’emploi contre les affections respiratoires et les refroidissements, la médecine traditionnelle chinoise indiquant que cette plante dissipe le froid et soutient le qi. Le ma huang, comme on l’appelle en chinois, étant une plante native de la Chine du nord et de la Mongolie, l’on comprend aisément son utilisation par la pharmacopée chinoise, une plante dont on dit même que les gardes du corps de Gengis Khan en usaient afin d’éviter de sombrer dans le sommeil durant leurs tours de garde ; en effet, une infusion d’éphédra leur permettait de demeurer alertes et vigilants. Il n’y eut pas que les guerriers qui tirèrent profit de l’éphédra, puisque les moines bouddhistes affinaient leur concentration méditative grâce à elle.
Cependant, si Ephedra sinica est une plante indigène au territoire asiatique, du moins à sa partie septentrionale et orientale, on remarque qu’une autre plante, Ephedra distachya s’étend, elle, de l’Europe au Tibet. L’on peut donc dire que ces deux espèces se juxtaposent au niveau de l’Himalaya. C’est ainsi qu’à l’époque où les Chinois établirent les premiers textes concernant l’éphédra qu’ils utilisaient, en Europe on faisait de même, comme on peut le constater dans les œuvres de Pline et de Dioscoride, évoquant un tragos dont on pense qu’il s’agirait d’une plante différente de l’Ephedra sinica, peut-être Ephedra distachya, autrement dit le raisin de mer, se distinguant par des grappes de petits fruits rouges dont l’astringence leur valait d’être employés comme remède dans les troubles de la menstruation.
A la méconnaissance des Occidentaux des usages que firent les Chinois de l’éphédra, s’additionne le fait que les éphédras européens furent perdus de vue par les successeurs des auteurs antiques. Ce n’est qu’en toute fin de XIX ème siècle que de nombreuses recherches furent réalisées au sujet de l’éphédra, tandis qu’en Russie, en Sibérie, en Arménie, etc., l’on continuait de faire prévaloir l’éphédra dont on récoltait les baies acidulées, que l’on consommait crues, sèches ou préparées en gelée, ainsi que ses vertus diaphorétiques, antigoutteuses, antirhumatismales et antisyphilitiques. Les efforts de recherche des Occidentaux aboutirent à la synthèse de la principale molécule contenue dans l’éphédra, l’éphédrine, en 1927. Ce qui, alors, suscita beaucoup d’engouement, c’est que l’éphédrine ressemble à s’y méprendre à l’adrénaline et a comme vertu d’exciter la contraction des muscles à fibres lisses des intestins, de l’estomac et de l’utérus. Bien qu’étant moins toxique que l’adrénaline, l’éphédrine agit favorablement « chaque fois qu’est désirable une excitation lente, douce et durable du sympathique », explique Fournier (2), concluant en affirmant que « la découverte d’une drogue végétale offrant d’étroites ressemblances chimiques et pharmacologiques avec une hormone animale est de toute façon d’un puissant intérêt biologique » (3).

L’éphédra peut largement rivaliser avec la prêle au statut de plante primitive, même si l’on peut pousser le vocable à l’affubler du nom d’arbuste. Tout au plus un buisson dans les faits, dont la hauteur n’excède que très rarement 75 cm. Guère avenant, l’éphédra est doté de longs et grêles rameaux anguleux et striés dans le sens de la longueur, lui conférant l’allure du genêt à balai. Sur ce squelette, de petites feuilles coriaces, réduites à l’état d’écailles, s’établissent au niveau des nœuds. On distingue des cônes mâles et des fleurs femelles jaunes, produisant après floraison des baies de couleur rouge.

L’éphédra en phytothérapie

Curieux destin que celui de l’éphédra qui, au début du siècle dernier constituait seulement une thérapeutique récente aux yeux des Occidentaux, alors que son usage chinois s’avère millénaire. Mais l’on sait combien l’Empire du Milieu, resté inaccessible pendant des siècles, empêcha l’extension de l’éphédra à un monde autre qu’asiatique, alors que, des éphédras, il en existe un peu partout dans l’hémisphère nord.
Les rameaux, seule partie végétale de cette plante usitée en thérapeutique, offrent tanin, flavonoïdes, saponosides, essence aromatique, ainsi que cet alcaloïde proche par sa structure et ses effets de l’adrénaline, l’éphédrine, souvent accompagné de pseudoéphédrine.

Propriétés thérapeutiques

  • Augmente l’intensité des mouvements respiratoires, décongestionnant des muqueuses respiratoires, dilate les bronchioles, antispasmodique bronchique, mucolytique, expectorant, antitussif
  • Stimulant cardiaque et circulatoire (surtout au niveau des capillaires), hypertenseur par vasoconstriction
  • Diurétique, sudorifique
  • Augmente vigilance et concentration, diminue la sensation de fatigue

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : dyspnée, asthme, rhinite, rhume, rhume des foins, coryza, coqueluche, toux, sinusite
  • Troubles d’origine allergique : urticaire, dermatose prurigineuse, œdème de Quincke
  • Rhumatismes, goutte
  • Fièvre, refroidissement
  • Hypotension
  • Asthénie physique et psychique

Modes d’emploi

  • Décoction de rameaux.
  • Teinture-mère.
  • Éphédrine.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut se réaliser toute l’année. Le séchage des rameaux ne pose pas de problème particulier.
  • L’éphédra, quelle que soit la forme sous laquelle on l’utilise, exige un strict respect de la posologie. Contrairement à l’éphédrine pure, la plante entière est beaucoup moins apte à produire des effets secondaires, même si migraine, tremblements, nervosité et insomnie restent toujours possibles. Les cures devront être brèves.
  • Contre-indications : l’éphédra est une plante qui ne convient pas dans les cas suivants : insuffisance coronarienne, hypertension, hypertrophie de la prostate, hyperthyroïdie (maladie de Basedow), diabète, glaucome, grossesse, allaitement, sympathicotonie.
  • Interactions médicamenteuses : avec les digitaliques et certains antidépresseurs (IMAO). De plus, l’usage du café est incompatible avec l’éphédra.
  • Associations possibles :
    – pour l’asthme : plantain, marrube,
    – pour la rhinite : plantain, bourgeons de pins.
    _______________
    1. En réalité, il ne remonterait pas avant le III ème siècle avant J.-C.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 372.
    3. Ibidem.

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Le polypode (Polypodium vulgare)

Synonymes : polypode du chêne, fougère douce, fougère réglisse, réglisse des bois, millepieds, herbe de gagne, etc.

L’Europe, malgré son climat, peut se targuer de posséder bien des variétés de fougères sur son territoire, bien moins que les zones tropicales, mais suffisamment assez et communes pour ne pas avoir été oubliées des Anciens. C’est donc sans surprise que nous retrouvons le polypode dans l’œuvre de Théophraste, de Pline, de Galien, de Celse et de Dioscoride entre autres. L’unanimité qui ressort des écrits de ces auteurs au sujet du polypode nous autorise à en faire le résumé suivant : cette fougère, cuite avec des bettes et de la mauve, est purgative et lâche doucement le ventre. Elle agit aussi sur l’expulsion de la bile, s’applique sur les luxations et les gerçures des doigts. Le Moyen-Âge corrobore ce tableau dressé par l’Antiquité : Hildegarde, bien qu’elle reconnaisse au Polypodium des vertus internes contre la fièvre tierce et pour purger l’estomac et les intestins, accorde plus d’importance à ses emplois externes contre gale, plaies, ulcères et démangeaisons, parce que, explique-t-elle, « la chaleur du polypode dessèche les humeurs mauvaises » (1). Un siècle après l’abbesse, Aldebrandin de Sienne réaffirmera les qualités purgatives de cette plante dont Joseph Roques dira beaucoup plus tard que son action est telle qu’elle n’excite que très modérément les muqueuses des voies intestinales.

Si nous avons récemment vu que l’aspérule odorante s’ébattait au sein des forêts de hêtres, le polypode, lui, voue une prédilection au chêne et au bouleau. Qu’une plante pousse au pied de ces deux arbres sacrés fut sans doute le signe pour les Celtes, les Slaves et les Germains que le polypode avait statut d’hôte divin. De plus, le polypode est animé par une caractéristique rarissime sous nos latitudes : il lui arrive d’être une plante épiphyte, c’est-à-dire poussant à même les vieilles branches creuses d’un arbre, en particulier si c’est un feuillu comme le sont chêne et bouleau. Imaginez un peu le respect qu’un tel spécimen juché sur un arbre sacré devait susciter ! Une dévotion aussi, qui devait placer le polypode à l’égal du gui, entre le Ciel et la Terre. Nul doute que cette plante devait être tenue en grande estime par les druides, car, comme l’explique Hildegarde, les fougères sont des plantes censées contenir la sagesse et donc la sapience, le savoir, qu’on localisa rapidement semble-t-il dans la « graine » de fougère, ces petits amas jaunâtres qu’on leur voit arborer sur le revers de leurs frondes, alignés en rangs serrés, dessinant le contour de la feuille avec une précision métronomique. Il va sans dire que le polypode aura tôt fait de glisser du domaine du sacré à celui de la magie. Tout un chacun pouvait se lancer à la recherche de la graine de fougère pour laquelle la nuit de la Saint-Jean est le moment capital pour ce faire. Mais que l’on prenne garde, car le polypode est une herbe qui écarte, c’est-à-dire qui égare, c’est pourquoi « on doit éviter de marcher sur plus de sept pieds de fougère lorsqu’on se promène en forêt. Ainsi ne risque-t-on pas de se perdre dans les bois » (2). De même, si on loupe le coche, que l’on passe devant elle sans la remarquer, on se perd à coup sûr. Il est donc nécessaire de veiller à bien ouvrir l’œil et prendre soin de ne pas poser les pieds n’importe où (c’est pour toutes ces raisons qu’en Thuringe elle porte le nom d’irrkraut). Tout danger écarté, l’on peut dès lors procéder à la récolte en pleine nuit. Mais c’est sans compter sur la perturbation du rituel par les esprits qui virevoltent autour du cueilleur, allant parfois jusqu’à le déséquilibrer, le heurtant violemment, afin de l’épouvanter et de lui faire renoncer à son projet. « La nuit de la Saint-Jean, avant minuit […] [on] voit en même temps une foule d’autres choses merveilleuses, par exemple, trois soleils, une lumière complète qui dévoile tous les objets, même les plus cachés ; on entend rire, on se sent appelé ; devant de tels spectacles, il ne faut pas s’effrayer : si on demeure tranquille, on apprendra tout ce qui arrive dans le monde et tout ce qui pourra encore arriver » (3). Oui, la graine de fougère recueillie durant la nuit magique de la Saint-Jean accorde à son possesseur le don de prophétie, ainsi que la connaissance des secrets, rendant possible, par exemple, la découverte de trésors : elle permet de dominer sur l’eau et sur la terre, de retrouver des animaux égarés, de se protéger lors d’épidémies et d’assurer la sécurité de la femme enceinte et du nouveau-né. « La tradition relative à la semence de fougère est universellement répandue, et pendant le Moyen-Âge, au temps où fleurissait la sorcellerie, on lui attribuait le pouvoir de résister à tous les charmes magiques » (4). Non seulement la graine de fougère rend invisible (son nom de walpurgiskraut explique l’usage qu’en faisaient les sorcières pour gagner l’invisibilité), mais fait fuir toutes forces magiques (envoûtement, visions effrayantes, etc.) et favorise la chance, d’où son nom d’herbe de gagne. La puissante attraction que représentait la graine de fougère fut telle qu’en 1612 le synode de Ferrare en vint à en interdire la récolte à l’approche de la Saint-Jean !

Qui n’a jamais rencontré cette élégante fougère aux frondes longuement pétiolées, aux segments nombreux, allongés, entiers et alternes ? Si l’on retourne l’une de ces feuilles, nous voyons de petits tas arrondis de couleur jaune ocre, constituant deux rangées qui suivent le contour des feuilles : ce sont les sores, formés chacun de plusieurs sporanges qui, lorsqu’ils parviennent à maturité, de juillet à septembre, laissent échapper de microscopiques corpuscules, les spores, qui vont assurer la reproduction du polypode en deux temps. Par ses caractéristiques botaniques propres aux mousses et aux champignons, les fougères tiennent des cryptogames (du grec crypto, « caché » et game, « union, mariage »), mais comme elles possèdent un système vasculaire, elles s’apparentent pour cette raison aux plantes à fleurs. Lors de la première phase, asexuée et visible, la plante libère donc ses spores qui, si elles bénéficient de conditions idéales (humidité, température adéquate), vont germer et former un prothalle portant des organes masculins et féminins. C’est alors qu’a lieu la seconde phase, sexuée et occultée cette fois-ci, lors de laquelle va avoir lieu la fécondation par l’intermédiaire d’anthérides, formant à terme une première racine et une première feuille : une nouvelle fougère est née. Puis cette racine va former un rhizome, véritable tige de la plante, écailleux, brun-jaunâtre à roussâtre à l’extérieur, vert à l’intérieur, jamais plus gros que le petit doigt duquel s’érigeront les crosses des futures feuilles.
Le polypode, très courant sur sols non calcaires, est une espèce propre à l’hémisphère nord et fréquente des lieux de vie très particuliers : rochers, rocailles, murailles, vieux murs, troncs d’arbres feuillus, humides et moussus, voire même pourrissants.

Le polypode en phytothérapie

Cette plante depuis longtemps égarée par l’herboristerie, mérite pourtant que l’on s’attarde sur son profil thérapeutique. Ce sont les parties souterraines qui nous intéressent chez elle. L’analyse démontre l’existence d’une saponine propre au polypode dans son rhizome (polypodosapogénine) de saveur douce et sucrée au début, puis légèrement amère et nauséeuse au fur et à mesure qu’on le mâche. Une huile grasse (8 %) accompagne du tanin (4 %), de la mannite, du mucilage, de la résine, ainsi que de la fécule. Contenant en outre une essence aromatique, le rhizome présente aussi des substances aux noms complexes (polypodine, phloroglucine, ecdystéroides, sammambaïne) et d’autres que l’on connaît mieux : albumine et sels minéraux (magnésium, calcium, potassium, fer).

Propriétés thérapeutiques

  • Purgatif doux, laxatif, vermifuge
  • Astringent léger, émollient
  • Cholagogue
  • Expectorant, antitussif
  • Fébrifuge

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation chronique, constipation opiniâtre, constipation par insuffisance biliaire, inappétence, indigestion, vers intestinaux (ténia, ascaris)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique et biliaire, embarras chronique du foie, ictère, hépatite
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, bronchite chronique, catarrhe pulmonaire, toux avec irritation, toux chronique, pleurésie, rhume traînant et/ou invétéré
  • Profitable chez certains goutteux, rhumatisants et asthmatiques

Modes d’emploi

  • Décoction de rhizome frais.
  • Sirop de rhizome frais.
  • Extrait fluide.
  • Poudre de rhizome sec.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut se dérouler durant toute l’année, bien qu’on accorde une préférence aux rhizomes déterrés en été, de juillet à août.
  • Séchage : il est possible mais la perte des propriétés du rhizome va croissant avec sa vétusté.
  • Au mot purgatif est parfois associé celui de drastique. Avec le polypode, il n’est nul besoin de s’inquiéter, ça n’est pas de la coloquinte ! Le polypode, précisons-le, « ne donne jamais lieu à aucun phénomène douloureux, à aucune réaction inflammatoire, congestive ou spasmodique » (5). C’est pourquoi il est parfaitement adapté aux enfants.
  • Le rhizome frais, une fois broyé, peut s’appliquer localement en cas d’affection hépatique par exemple. Par ce biais, en contact direct avec la peau, il est susceptible de faire apparaître un urticaire.
    _______________
    1. Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes, p. 240.
    2. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 106.
    3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 145-146.
    4. M. Brueyere, Contes populaires de la Grande-Bretagne, cité par Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 143-144.
    5. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, pp. 12-13.

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L’aspérule odorante (Galium odoratum)

Synonymes : reine des bois, muguet des bois, muguet des dames, petit muguet, hépatique, hépatique étoilée, hépatique odorante, gaillet odorant, belle étoile, thé suisse, etc.

L’aspérule odorante est une petite plante vivace vivant très souvent en colonies composées de nombreux individus, espèce renforçant son caractère tapissant par sa racine grosse et rougeâtre à rhizome traçant. Ses tiges presque quadrangulaires, cannelées, creuses, portent des feuilles un peu rugueuses (d’où le nom de la plante, d’asper en latin qui signifie âpre, rude), verticillées par six à huit, c’est-à-dire disposées en roue autour de l’axe de la tige. Sa floraison, assez modeste, se compose de petites fleurs blanches à quatre pétales en croix, formant des corymbes au sommet des tiges. Ces fleurs exhalent une suave odeur d’avril à juin, avant de laisser place à des fruits globuleux couverts de poils en forme de crochet. Très fréquente en France, plus rare au Nord, inexistante en région méditerranéenne (sauf en haute altitude : 1600-1800 m), l’aspérule odorante apprécie tout particulièrement les sols humiques des forêts de feuillus, fuyant celles de résineux, les sous-bois clairs, les lieux ombragés, comme peuvent l’être les hêtraies dont les arbres semblent entretenir une relation avec l’aspérule à tel point qu’on a forgé l’expression galio fagetum (hêtraie à aspérules) pour rendre compte de cette association entre l’arbre à faines et la modeste petite aspérule odorante. Pour marquer l’appartenance de l’aspérule à la forêt, elle portait au Moyen-Âge les noms de mater silvarum et de matrisilva.

Que dire de l’histoire de l’aspérule odorante ? Bien peu de chose en réalité. Inconnue de l’Antiquité, elle apparaît pour la première fois dans les écrits d’un moine bénédictin, Wandalbert de Prüm, en 854, s’attachant non pas exclusivement à cette plante, mais au breuvage dans lequel elle est conviée, connu en Allemagne, au Luxembourg, en Belgique, ainsi que dans l’Est de la France (Lorraine, Alsace) sous le nom de vin de mai (maiwein, maitrank), une infusion de la plante fraîche et fleurie dans du vin blanc édulcoré. « On dit que c’est ce breuvage que les jeunes filles apportaient dans une coupe plus ou moins précieuse sans que l’amoureux regardât beaucoup à la coupe quand sa bien-aimée le lui apportait » (1). Vin de mai, le bien nommé, élaboré à la période de Beltane, située entre équinoxe et solstice, fêtant l’exubérance de la nature renaissante. Et à cette époque, il n’y a pas que les bourgeons qui se dressent, ce qui aura fait dire que l’aspérule pourrait mériter une réputation d’aphrodisiaque. Si ce fait n’a pas été établi, le vin de mai, par l’excès que l’on peut en faire, colle, paraît-il, de sacrées migraines…

L’aspérule odorante en phytothérapie

Tout comme son cousin le gaillet gratteron, l’on n’use de l’aspérule odorante uniquement des parties aériennes fleuries. Plante inodore à l’état frais, à l’exception de ses fleurs à l’odeur suave, c’est en séchant que l’aspérule odorante révèle toute sa puissance aromatique. En effet, la plante, en cours de dessiccation, élabore une molécule que l’on connaît bien, la coumarine (1 à 3 %). C’est elle qui participe de son agréable parfum de foin coupé (à l’image du sweetgrass amérindien – autrement dit le foin d’odeur – qui en contient également). En plus de cela, l’on trouve chez elle un hétéroside (aspéruloside), des iridoïdes, des anthraquinones, des flavonoïdes, enfin des principes amers.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédative du système nerveux, hypnotique, inductrice du sommeil, antispasmodique
  • Anti-inflammatoire, antinévralgique
  • Stimulante hépatique, cholagogue, digestive
  • Diurétique, antiseptique des voies urinaires, sudorifique
  • Anticoagulante
  • Vulnéraire, détergente, astringente, adoucissante

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : colique néphrétique, inflammation des reins et de la vessie, lithiase urinaire, oligurie, rétention d’urine, colibacillose, hydropisie
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : engorgement et congestion du foie, hépatisme, jaunisse, lithiase biliaire
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, digestion difficile, indigestion, spasmes gastriques, lourdeur d’estomac, ballonnement
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse, nervosité, insomnie (chez l’enfant, le convalescent), neurasthénie, mélancolie, palpitations
  • Troubles du système circulatoire : varice, phlébite, hémorroïdes
  • Névralgie, maux de tête, migraine
  • Affections oculaires : conjonctivite, blépharite
  • Blessure, abcès, enflure

Modes d’emploi

  • Teinture-mère.
  • Cataplasme de plante fraîche.
  • Macération vineuse de plante fraîche.
  • Infusion de plante sèche : rappelons le thé de véronique (véronique officinale 1/3 + mélisse 1/3 + aspérule odorante 1/3) et le thé de ronce (ronce 1/3 + feuilles de fraisier 1/3 + aspérule odorante 1/3).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : dès la fin du printemps, à partir du moment où la plante fleurit.
  • Séchage : s’il est effectué dans de mauvaises conditions, il y a un risque que les feuilles noircissent. C’est le signe que la coumarine s’est transformée en son dérivé, le dicoumarol ou hydroxycoumarine, substance anticoagulante utilisée dans des produits raticides provoquant de graves hémorragies internes. Dans le doute, mieux vaut s’abstenir d’employer de telles feuilles dans une pratique phytothérapeutique, même s’il est admit que le dicoumarol est pratiquement insoluble dans l’eau et dans l’alcool.
  • Au sujet de la coumarine : cette substance « se comporte comme un agent stupéfiant, hypnotique et anesthésique paralysant le cerveau et l’excitabilité réflexe, sans exercer d’influence sur les nerfs périphériques » (2). Il s’agit là de données concernant la coumarine à l’état pur. A haute dose, elle peut occasionner des maux de tête, des migraines, des nausées, des vomissements, des vertiges, un ralentissement du cœur et une chute de la température corporelle. Mais comme la nature sait parfois être parcimonieuse, l’usage courant de l’aspérule odorante n’expose en rien à ce type de désagréments, vu le faible pourcentage de coumarine qu’elle contient, de même que d’autres plantes à coumarine comme le mélilot officinal et la mélitte, ou bien des huiles essentielles d’Apiacées ou des essences aromatiques d’agrumes ne contenant généralement qu’une faible fraction de cette molécule. Cependant, l’aspérule odorante sera proscrite en cas de grossesse, de règles trop abondantes, ainsi que chez les personnes sujettes à un traitement circulatoire et/ou anticoagulant.
  • Les usages domestiques de l’aspérule odorante ne manquent pas : parfumer les armoires, éloigner les insectes des penderies, confectionner des liqueurs aromatiques, rembourrer des paillasses, teindre la laine (pigment rouge), succédané de tabac, fourrage pour les animaux (l’aspérule semble avoir un effet galactogène sur les vaches).
  • Autre espèce : aspérule à l’esquinancie (Asperula cinanchyca), l’esquinancie étant un terme vieilli désignant l’angine.
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    1. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 32.
    2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 221.

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