Le joli mois de mai, mois des roses et de l’amour

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire un focus sur une plante en particulier, mais de rendre compte de la manière dont on usait des plantes à travers la figure du mât de mai, le plus souvent un fragment végétal qui portait un message symbolique, ayant longtemps servi d’adresse de la part des garçons à l’attention des filles lors des festivités qui prenaient place au mois de mai.

Beau week-end à tous :)

Gilles

Fille d’Atlas et mère du dieu Hermès, Maïa, jeune nymphe courtisée et séduite par Zeus, serait la figure mythologique mineure qui aurait donné son nom au mois de mai (maius mensis). L’on retiendra d’elle que c’est une personnification de l’éveil de la nature au printemps, ce renouveau concordant avec la fécondité et la germination. C’est toute la vivace fertilité et la projection de l’énergie vitale qu’il s’agit alors d’honorer et de fêter en cette époque de l’année. L’ardeur retrouvée du soleil réchauffe les esprits, la joie, renouvelée, exulte, béate de son plein épanouissement. Il est alors utile de mettre à profit la « cure de mai », qui comprend plusieurs opérations consistant à danser, chanter, se rouler dans la rosée, allumer des feux et sauter par-dessus, aller se promener durant la nuit du 1er mai, etc. Cette nuit, précisément, ainsi que, parfois, d’autres qui lui font suite, avait aussi pour fonction l’intégration sociale d’un jeune au sein d’un groupe déjà constitué. C’était l’occasion de faire des farces, d’accumuler, par exemple, tout un bric-à-brac d’objets hétéroclites sur la place du village, d’en faire disparaître d’autres et de les suspendre en des lieux incongrus, d’entraver les chemins et de clouer les portes et les volets, etc. Mais ce qui demeure comme principal marqueur fort du mois de mai, ce sont les mais ou mâts de mai, symbolisant un arbre ou bien figuré par lui. Traditionnellement, le mai est planté sur la place publique du village dans la nuit du 1er mai. Cette pratique avait déjà cours au temps des Romains. Précédé par le sapin de Noël et le buis des Rameaux, le mai, auquel succèdent les festivités de la Saint-Jean, indique, d’un solstice à l’autre, un autre point crucial, formant avec les trois autres dates citées ce qu’Angelo de Gubernatis qualifiait joliment de « glorieux triomphes du soleil. » Le 1er mai étant une fête à fonction amoureuse, le mai symbolisait donc « l’arbre ou la branche [qui] affirme une fois de plus que la terre est fécondée, que la vie se continuera, que le génie du mal est vaincu, que la lumière et l’amour inondent le monde. »1 Fleuri, enguirlandé de rubans de couleur, tout orné de couronnes végétales, le mai est le vibrant témoin de l’énergie de la terre toute condensée, en train de surgir en lui. Ça n’est pas toujours un arbre avec ses racines. Parfois, c’est tout juste un arbuste coupé et fiché en terre, plus modestement encore un bouquet de rameaux ou de simples branches, mais dont le sens symbolique demeure inchangé. Ce qui est plus pertinent, c’est la nature végétale du-dit arbre et la personne à laquelle on s’adresse et à qui l’on rend hommage (le maire, le curé, l’instituteur, etc.). Mais très souvent, le mai prenait place devant la maison des filles bonnes à marier. La coutume qui consistait à « esmayer » allait davantage plus loin qu’une forfanterie de joyeux lurons, car ces mais étaient à la fois une forme de déclaration publique et l’expression des états d’âme des garçons auprès des filles. Comme le dit très précisément l’ethnologue Yvonne Verdier (1941-1989), « les mais sont un jugement public du groupe de garçons sur la vertu et le pouvoir de séduction de chaque fille. » Selon un code végétal symbolique partagé dans toute une région, on faisait varier la nature du mai en fonction du message que l’on souhaitait adresser à telle ou telle. Voici quelques exemples :

  • Bouleau : sagesse, charme ;
  • Charme : sympathie ;
  • Frêne, chêne, buis : déclaration d’amour ;
  • Sapin : honorabilité ;
  • Aubépine : estime ;
  • Cerisier : prête pour le mariage.

Parfois aussi, les mais se faisaient le support de la désapprobation des garçons : ainsi, les mais de la honte jouaient autrefois le rôle du « shaming » aujourd’hui. Les jeunes filles aux mœurs dites légères, lorsqu’elles étaient visées par un tel mai, se débrouillaient, vaille que vaille, pour se débarrasser de cette méchante publicité qui n’était ni à son avantage ni à celle de sa famille : la réputation, dont le mai se voulait le porte-parole, pouvait, en effet, nuire au futur conjugal de la fille incriminée, mais il représentait aussi un signal lancé à l’attention des garçons par trop naïfs. Là encore, donnons quelques exemples de l’inventivité des garçons à l’endroit des filles :

  • Houx et autres espèces épineuses : mauvais caractère, inamabilité, mœurs équivoques ;
  • Noyer : mœurs légères ;
  • Sapin : conduite qui laisse à désirer, mauvaise langue ;
  • Aubépine : caractère revêche ;
  • Sureau : manque de franchise, conduite légère ;
  • Aulne : mauvaise conduite ;
  • Pommier : buveuse (« portée » sur l’alcool) ;
  • Saule : insensibilité ;
  • Lilas : malpropreté ;
  • Tilleul : fille qui cache sa grossesse ;
  • Fusain : putain ;
  • Cerisier : fille volage, dévergondée.

« On dit en effet, d’une dévergondée : c’est un cerisier, chacun peut se pendre à ses branches et se régaler à peu de frais. »2 Paul Sébillot vient de nous donner une explication quant au cerisier. On peut s’en accorder quelques autres : avec le lilas au suave parfum, on laissait entendre que la jeune fille ne devait pas se laver souvent ; avec le sureau que, bien que lavée régulièrement, elle ne sentait pour autant pas la rose (le feuillage du sureau dégage effectivement une odeur repoussante) ; fusain, quant à lui, s’expliquait par assonance avec le mot putain (de plus, son bois dégage une petite odeur fétide pas des plus agréables). Sébillot nous fournit encore des éléments de compréhension « la signification du mai est basée aussi sur des jeux de mots […] : le hêtre, il te hait ; le tilleul, il te veut ; le charme, tu me charmes ; l’aunaie (aulne), je t’aurai ; le sau (saule), je te veux ; la boulie (bouleau), je t’oublie. »3 Celles qui se voyaient vernies par un message végétal favorable devaient tout de même se méfier qu’un coup du sort ne vienne pas s’opposer aux meilleures intentions des garçons. Par exemple, la chute d’un mai devant telle ou telle maison n’augurait pas du meilleur pour la jeune fille dont il était l’emblème. La période était si électrique que l’on pouvait soupçonner un présage, bon ou mauvais, là où il n’y en avait pas nécessairement. Mais, davantage que l’intervention du surnaturel et des hostiles forces commandées par une rivale auprès d’une mégère de type sorcière, les dégradations émanaient plus souvent des garçons eux-mêmes : un mai pouvait être détruit par jalousie, vengeance ou représailles. Plus souvent, un mai était subtilisé par un autre moins flatteur, tout cela pour des raisons identiques, attendu qu’en mai, fais ce qu’il te plaît ! ^.^ Bref, ça devait être un sacré chambard ! C’est qu’on s’amusait drôlement, autrefois, dans les campagnes, tout cela dans le but avoué et insurpassable de l’amour, dont le mois de mai était censément le galvaniseur. Profitons pour préciser que si le mois des roses et favorable à l’amour, il ne l’est pas au mariage : « la période restait propice aux fiançailles, c’est-à-dire aux engagements demeurés à l’état de germe prometteur »4, non à la consommation pleine et entière. D’ailleurs, « ceux qui passaient outre devaient s’attendre à vivre une union stérile et orageuse, puis à finir leur jours dans le malheur et la pauvreté. A moins que l’un des deux époux ne sombre dans la folie. »5 Le parfait mois des mariages, c’est juin, le mois de Junon, déesse qui, on le sait, préside à l’harmonie dans les mariages (à défaut de vivre le sien avec sérénité ^.^). Je ne dispose pas de statistiques pour vous indiquer si cette croyance avait une incidence réelle sur le nombre de mariages contractés en mai au XIXe siècle, par exemple. Ce que je puis néanmoins vous dire, c’est qu’en France, entre 2019 et 2023, on n’a pas observé moins de mariages en mai que durant les trois mois hivernaux (janvier et février n’ont pas moins mauvaise réputation que mai) à l’exclusion, bien entendu, du printemps 2020 où les gens se virent parquées comme des bêtes. Au XXIe siècle, la malédiction tient plutôt en ceci : bien que le nombre de mariages stagne ces derniers années, les violences conjugales au sein du couple explosent.

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  1. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 227.
  2. Paul Sébillot, Le Folklore de France, Tome 3, p. 403.
  3. Ibidem, p. 404.
  4. Daniel Lacotte, Peurs, croyances et superstitions, p. 186.
  5. Ibidem.

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Joyeux solstice !


Claude Monet, La pie, 1868-1869, Musée d’Orsay (Paris).


Tout comme le solstice d’été, le solstice d’hiver a toujours été un marqueur temporel fort. C « très bas » qui fait pendant à ce « très haut » est aussi l’occasion de célébrations et de festivités. En Égypte antique, ce moment unique dans l’année était fêté avec de petites pyramides de bois décorées et surmontées d’un disque solaire. L’on allumait des lampes à huile à l’entrée des habitations afin d’illuminer les rues comme en plein jour. De la nourriture et de la bière étaient offertes aux esprits de l’autre monde. En Perse ancienne, Khorram rooz, le « jour du Soleil », faisait suite au solstice. Des feux projetaient durant la nuit leur ardeur céleste, alors qu’on procédait à prières et offrandes. A Rome, lors des Saturnales qui prenaient place au mois de décembre, l’on embrasait également des feux. Le nord de l’Europe honorait cette date via les « feux nouveaux » propres au monde celte. En Afrique du Nord, on ornait les habitations de lanternes et de rameaux de laurier, arbre éminemment solaire.

Tout cela avait pour but de conjurer l’hiver, la nature dépouillée, l’obscurité (qui dissimule la crainte de la mort…), parce que, bien sûr, le solstice marque le pas de la porte solsticiale ascendante, mais en lui se condensent et se cristallisent également les espoirs de gestation, de conception et de germination futures des plantes sous l’influente grandissante du Soleil. Afin de s’assurer un lendemain serein et réjouissant, il importe donc d’honorer particulièrement le Soleil en ce jour le plus bas. En effet, qu’arriverait-il si le Soleil ne remontait pas dans le ciel comme il en est coutumier ? Ne sait-on pas que le domaine du Soleil couchant est celui des apparitions funestes et sanglantes ? Ainsi, cette exhortation un peu orgueilleuse faite au Soleil s’accompagne aussi d’une profonde dévotion, car il ne faudrait pas risquer de le froisser, ce qui serait assurément un drame. Voilà pourquoi, tout au contraire, il est préférable d’honorer le puissant astre diurne au solstice d’hiver, car cet instant est le lieu de manifestations merveilleuses qui ne peuvent que grandir le cœur de l’homme.

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Suppression de la page Facebook de Books of Dante


Bonjour,

Celles et ceux d’entre vous qui suivez également les activités de Books of Dante sur Facebook se seront peut-être rendu(e)s compte que la page a disparu. C’est vrai. Devant l’insistance de Facebook à me causer des ennuis, j’ai donc décidé de supprimer tout simplement cette page car il n’est pas très utile de conserver un support sur lequel on ne peut plus rien partager. C’est sans regret. Je ne fais qu’anticiper tout simplement une idée qui me trotte en tête depuis pas mal de temps.

Cela ne remet bien évidemment pas en cause mon activité ici : tant que je pourrais me le permettre, je poursuivrai au rythme d’un article par semaine – le coutumier article du vendredi – auquel devrait se joindre, chaque semaine également, un plus court format qui devrait prendre place tous les mardis sous la forme d’une image accompagnée d’un texte n’excédant pas 500 mots, le tout traitant des nombreux sujets qui nous occupent habituellement. J’ai récemment posté un essai allant dans ce sens, visible ici.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une belle fin de journée. Merci de votre attention et à bientôt ici ;)

Gilles

La stévia (Stevia rebaudiana)

Synonymes : feuille de sucre, feuille de miel, miel-yerba, herbe douce, feuille sucrée du Paraguay, plante sucrée du Paraguay, stévia de Rebaudi, chanvre d’eau. En anglais : candy leaf, sweet leaf, honey leaf. En chinois : 甜菊.

Pendant près d’un millénaire, les Indiens Guarani côtoyèrent une plante avant que le reste du monde soit informé de son existence. Cette plante, si jalousement gardée durant des siècles, parvint tout de même en Europe dès le XVIe siècle en compagnie de tout un contingent d’autres plantes sud-américaines. Mais il semble qu’on s’y soit peu intéressé pendant tout ce temps, malgré sa propriété de goûter sucré sans en comporter les désavantages. C’est au Paraguay que revint l’honneur de faire publiquement émerger cette plante jusqu’alors connue uniquement des Guarani qui l’employaient couramment afin de corriger l’amertume du maté (de même qu’on met du sucre dans le café). Elle était vue par eux comme une plante miraculeuse, sorte de panacée comme la plupart des yuyos et pour nous autres la sauge officinale par exemple. Mais méprisée, la culture de cette plante resta longtemps marginale et peu remarquée. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, s’amorça un mouvement de reconnaissance de celle à qui Antonio José de Cavanilles donna en 1797 le nom de Stevia en l’honneur du botaniste espagnol de la Renaissance Pedro Jaime Esteve, latinisé en Petrus Jacobus Stevus (1500-1556).

Après que les Indiens Guarani lui en eurent confié des plants, le botaniste Moïse Bertoni (né en Suisse en 1857, parvenu au Paraguay en 1887, décédé au Brésil en 1929) étudia longuement cette plante que les autochtones nommaient ka’a heê (l’herbe douce) ou encore ka’a eirete (l’herbe à miel). Le sage, comme on surnommait Bertoni, ne se contenta pas que de la stévia, puisqu’il étudia également le maté entre autres. Il est reconnu comme étant le « découvreur » non autochtone de la stévia en 1887. En 1900, un chimiste paraguayen, Ovidio Rebaudi (1860-1931), se pencha sur les propriétés physico-chimiques de la stévia. A cette occasion, il découvrit que le goût sucré de la plante était causé par quelque chose d’autre que le saccharose. En 1908, Rasenack isola l’un des principes sucrés, le stévioside, tandis que l’année suivante, un autre chimiste-pharmacien fit la remarque que la culture de la stévia au Paraguay connaissait un succès grandissant. En 1931, ce fut au tour de deux chimistes français, M. Bridel et R. Lavieille, de partir à la recherche du principe sucrant de la stévia. Ils tirèrent des feuilles 6 % d’une substance cristallisée de couleur blanche, le stévioside.

En 1941, le blocus allemand de la Grande-Bretagne contraignit les Anglais, qui rencontraient des difficultés d’approvisionnement, à rechercher un substitut au sucre qui ne leur parvenait plus. En réaction aux entraves économiques, ils entreprirent la mise en culture de la stévia, ce qui n’est pas complètement idiot, le climat britannique convenant mieux à la stévia qu’à la canne à sucre ! Comme les Européens continentaux avec la betterave, à l’époque des blocus napoléoniens du XIXe siècle, les Anglais rencontrèrent peu de succès avec ces cultures de stévia, au contraire des Japonais qui tentèrent de premiers essais sous serre en 1954. Les bons résultats qu’ils en obtinrent les autorisèrent, dès la fin des années 1960, à interdire la totalité des édulcorants de synthèse sur l’ensemble du territoire japonais dont le diaboliquement célèbre aspartame. Cette superbe opportunité pour la stévia explique qu’actuellement 40 % du marché japonais des édulcorants soient occupés par cette plante, ce qui n’est pas qu’un emploi anecdotique, comme on peut le voir en Occident1. Cet emploi s’explique aussi pour des raisons qui poussèrent de plus en plus de Japonais à abandonner le sucre, facteur d’obésité, de diabète et de carie dentaire. Cela en fait une plante impliquée dans bien des préparations alimentaires au Japon, d’autant plus que sa qualité dulcorante se double d’une totale absence de toxicité.

Par manque de place, la culture de la stévia s’est orientée en direction de la Chine qui fournissait en 2012 plus des ¾ du marché mondial de stévia, approvisionnant largement une bonne part de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Corée du Sud, Taïwan, Malaisie, etc.), formant là l’une des trois zones mondiales d’utilisation de la stévia, qui se distingue très bien de celle formée par l’Amérique du Sud (Paraguay, Brésil, Argentine, Colombie, Pérou, Bolivie), l’Amérique centrale (Mexique) et le sous-continent indien, où l’on fait, en plus de la cultiver, un usage coutumier de la plante, au contraire de la troisième grande zone géographique qui ne comprend aucun grand pays producteur et qui ne fait de la stévia qu’un usage « moderne » au travers des seuls glycosides de stéviol, négligeant la plante entière qu’en ces pays (Amérique du Nord, Russie, Europe, Océanie) l’on connaît peu ou pas du tout. Le fort potentiel biologique de la stévia a fait que cette plante est cultivée aussi bien au Kenya qu’en Europe méridionale (Espagne, Italie, Grèce), ce qui est louable dans la perspective de faire connaître ce trésor végétal et non de faire preuve de biopiraterie qui ne profite jamais aux populations de la zone géographique d’origine de la stévia, c’est-à-dire les paysans de la cordillère paraguayenne d’Amambay, au nord-est du pays. Pas sûr, en effet, qu’on pense aux Guarani quand l’on a face à soi une petite boîte, le plus souvent blanche et verte, remplie de comprimés où l’on a dilué, à la manière des comprimés neutres dont on use en aromathérapie, un peu des principes sucrés dissimulés sous l’appellation « glycosides de stéviol ». Le sucre, surtout, a toujours autant de poids : en 2011, au Paraguay, on produisait 2000 fois plus de sucre que de stévia (pour une production annuelle estimée à 2640 tonnes, largement dérisoire par rapport aux 90 000 tonnes produites annuellement par les Chinois).

La stévia est une plante vivace peu ligneuse hormis à sa base. De fait, son allure élancée – les pieds peuvent atteindre 0,80 à 1 m de hauteur (en particulier ceux qui sont cultivés) – expose ses rameaux cassants au vent dont on se méfiera. Sur ses tiges pubescentes, l’on voit s’empiler des paires de feuilles opposées, à texture un peu épaisse, en gouttière, crénelées de part et d’autre de huit à neuf crans arrondis et non piquants, et dont le limbe légèrement rugueux est couvert d’un réseau de nervures très nettement visibles. Dans les parties hautes de la plante, l’on voit émerger au moment de la floraison des hampes florales à partir de l’aisselle des feuilles : les petites fleurs blanches à cinq pétales de la stévia sont généralement groupées par petits panicules de cinq. Cela, c’est ce qu’on observe si l’on a chez soi une stévia à but essentiellement ornemental. Mais si l’on souhaite la cultiver pour ses feuilles, l’on ne voit habituellement jamais les fleurs, puisque la stévia se récolte avant floraison. De plus, l’on voit d’autant moins les fleurs que, afin d’encourager la ramification latérale et subséquemment l’obtention d’une plante buissonnante, l’on conseille de pincer la plante toutes les trois semaines pendant environ deux mois.

La stévia se sème au printemps sous abri et à une chaleur assez élevée. Elle se repique deux mois plus tard. Alors, elle demande une exposition ensoleillée (mais pas caniculaire non plus), un sol humide, mais sablonneux et bien drainé (en cas de culture en pot, prévoir une couche de billes d’argile au fond). Durant la croissance de la plante, éviter l’adjonction d’engrais abondamment azotés : s’ils produisent de grandes feuilles, elles ont néanmoins peu de saveur. A l’été, afin de conserver la fraîcheur souterraine nécessaire aux racines, l’on pourra pailler les pieds. A l’hiver, les parties aériennes disparaissent et l’on peut protéger la plante à l’aide d’un voile d’hivernage si l’on craint que le gel ne fasse subir à la plante quelque avarie.

La stévia en phytothérapie

Par le mot stévia, on entend généralement les feuilles séchées de la plante ainsi que la poudre verte qu’on en tire, aussi bien que ces préparations du type édulcorant de table composés d’un agent de charge auquel sont mêlés des extraits de la plante qu’en France on libelle selon la formule peu précise de « glycosides de stéviol ». L’emploi de l’un ou de l’autre n’a pas la même portée, puisqu’on bénéficie du totum d’une part, mais pas de l’autre. Ainsi, la plupart des informations qui suivent concernent essentiellement la stévia en tant que plante médicinale, non comme l’additif alimentaire estampillé E960.

Que l’on considère 100 g de feuilles de stévia séchées, l’on y trouvera :

  • Hydrates de carbone : 60 g (quand on dit que la stévia ne contient aucun glucide, on parle bien évidemment de son extrait)
  • Fibres : 10 g
  • Protéines : 9 g
  • Cendres : 8 g
  • Lipides : 4,50 g

Élargissons notre regard. L’importante richesse de la stévia en phytonutriments explique en quoi ses extraits présentent des avantages négligeables sur ce point. Dans la stévia, sont présents l’ensemble des substances suivantes :

  • des vitamines : B1, B2, B3, C ; du β-carotène ;
  • des sels minéraux et oligo-éléments : potassium, magnésium, calcium, phosphore, sodium, manganèse, sélénium, silicium, zinc, cobalt, chrome, aluminium, fer ;
  • des phytostérols : stigmastérol, β-sitostérol, campestérol (le même trio que dans le cacao) ;
  • des flavonoïdes (quercétine) ;
  • des diterpènes et des triterpènes ;
  • une essence aromatique (l’on croise parfois une huile essentielle de stévia, rarissime) ;
  • enfin les fameux glycosides : on retient surtout le stévioside et le rébaudioside A parce qu’ils sont proportionnellement les plus représentés. Chez l’un et l’autre, le goût sucré apparaît bien après qu’il ne se manifeste chez le sucre et s’accompagne, surtout chez le stévioside, d’un soupçon de saveur de réglisse qui n’est pas toujours apprécié, tandis que le goût sucré du rébaudioside est jugé beaucoup plus fin. D’autres glycosides les accompagnent : les rébaudiosides B, C, D, E et F, le dulcoside A, le stéviolbioside, l’isostéviol et le rubusoside.

Propriétés thérapeutiques

  • Antihyperglycémiante (maintient les niveaux de cholestérol total, de triglycérides, de lipoprotéines de très faible densité (VLDL), de lipoprotéines de faible densité (LDL), de lipoprotéines de haute densité (HDL), assure un bon ratio HDL/LDL), hypolipidémique, maintient le taux de glucose sanguin à jeun et en phase post-prandiale, diminue l’absorption intestinale du glucose, soutient le bon fonctionnement du pancréas et encadre le taux d’insuline et de glucagon, maintient un niveau sain de glycogènes musculaires et hépatiques, antidiabétique, soutient la bonne santé de la cellule hépatique, hépatoprotectrice
  • Diurétique, natriurétique
  • Apéritive, digestive
  • Anti-infectieuse : antifongique à large spectre (candida, aspergillus, cryptococcus), antivirale (herpès, rotavirus), antibactérienne (Borrelia burgdoferi)
  • Hypotensive, vasodilatatrice, maintient le taux d’angiotensine II
  • Anti-inflammatoire
  • Anti-oxydante, lutte contre le stress oxydatif
  • Anticancéreuse (utérus, pancréas, côlon)
  • Édulcorante non fermentescible ne causant pas de réaction de Maillard à la cuisson
  • Anti-ostéoporotique
  • Pro-énergétique
  • Augmente la vigilance mentale

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatopancréatique : hyperinsulinisme, résistance à l’insuline, diabète de type II, diabète sucré non-insulinodépendant, amélioration des lésions hépatiques aiguës et chroniques, phénylcétonurie
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : insuffisance rénale chronique du diabétique, cystite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée d’origine virale, dyspepsie, brûlure d’estomac
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, saignement des gencives, empêche le développement de la plaque dentaire et la formation des caries, bouton de fièvre (herpès labial), maux de gorge
  • Affections cutanées : dermatite, acné, pellicules
  • Obésité
  • Hypertension artérielle
  • Maladie de Lyme

En conclusion, « la plante est donc à la fois un substitut à l’usage du sucre et une médecine à ses conséquences néfastes comme le diabète ou l’obésité »2.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches ou fraîches : une cuillerée à café de feuilles sèches ou fraîches hachées dans une tasse d’eau bouillante pendant 5 mn. Il est possible de boire cette infusion tel quel après l’avoir passée et exprimée, ou bien la laisser refroidir pour en faire un édulcorant liquide stockable au frigo pour quelques jours. Notons ici que le stévioside ainsi que les autres glycosides de stévia sont parfaitement solubles dans l’eau.
  • Sucrer une boisson : ajouter quelques feuilles ou la valeur d’une pointe de couteau de poudre de feuilles à un verre ou une tasse de 15 cl.
  • Poudre de feuilles : pour « sucrer » une boisson froide ou chaude, par exemple. Son avantage sur les feuilles, c’est qu’on absorbe la totalité de la stévia par ce biais et qu’on ne profite pas que des seuls principes édulcorants tout en rejetant les feuilles une fois infusées.
  • Extrait hydro-alcoolique : suspension hydro-alcoolique d’extraits de feuille de stévia (très souvent, il s’agit des deux principaux glycosides, le stévioside et le rébaudioside A). Conditionné en flacon de verre ambré muni d’une pipette, cette préparation est fort pratique et s’utilise à raison de deux gouttes par jour diluées dans un verre d’eau. L’on augmente la dose de deux gouttes par jour, jusqu’à atteindre trente gouttes, puis l’on entame une phase décroissante. Attention pour les malades de Lyme : sous cette forme, les extraits de stévia sont susceptibles de provoquer une réaction de Jarisch-Herxheimer.
  • Masque pour le visage : macération huileuse (huile d’olive) de poudre de feuilles de stévia (à conserver au réfrigérateur).

Note : penchons-nous sur la délicate question des équivalence, chose bien nécessaire quand on voit la profusion d’informations qui fleurissent sur les emballages des produits qui touchent de près ou de loin à la stévia. Par exemple, quand vous lisez sur une boîte en plastique pas plus grosse que celles dans lesquelles on empile les Tic Tac, que 15 g de poudre équivalent au pouvoir sucrant de 3,38 kg de sucre blanc, il ne s’agit assurément pas du même produit que celui que propose la firme Biovia qui signale à notre attention qu’une cuillerée à café (apparemment bombée) de poudre de feuilles de stévia équivaut à trois morceaux de sucre (si morceau standard : 18 g). A partir de données chiffrés que j’ai pu recueillir après ma récente tournée d’inspection auprès des magasins spécialisés qui fournissent ce type de produits, je puis dire que :

  • les feuilles possèdent une intensité sucrée quinze fois plus importante que leur même poids de sucre ;
  • pour le stévioside, elle est multipliée par 300 ;
  • ½ cuillerée à café d’extrait de stévia en poudre = 1 ½ à 2 cuillerées à café de poudre de feuilles de stévia = 1 tasse de sucre blanc (style tasse à café de taille moyenne, pas le mug géant de 60 cl !) ;
  • du côté de l’extrait hydro-alcoolique, le pouvoir sucrant de seulement deux gouttes représente une cuillerée à café de sucre blanc (cela peut varier : l’important est de déterminer combien de gouttes sont nécessaires pour se rapprocher de la saveur sucrée d’une valeur étalon de sucre blanc en poudre et qui sera satisfaisante à chacun selon son goût).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : oscillant de juillet à début octobre, nous nous contenterons de spécifier qu’elle doit impérativement s’opérer en sectionnant la plante à la base juste avant l’apparition des boutons floraux et préférablement le matin, période de la journée où la teneur en glycosides est la plus élevée. Cela doit être obligatoirement respecté, car une floraison trop avancée transfert au feuillage un goût amer peu agréable.
  • Séchage : éviter les déshydrateurs électriques ainsi que le séchage à la bouche du four, car tout cela promeut la formation d’amertume dans la plante. Bref, on suspend les tiges tête en bas sur une ficelle, on laisse sécher à l’ombre, au chaud, dans un local assez ventilé, jusqu’à ce que les feuilles craquent sous les doigts. Puis on monde les feuilles, on rejette les tiges, l’on ensache ou l’on moud les feuilles sèches à l’aide d’un moulin à café. La stévia, qu’elle soit sous forme de poudre ou de feuilles sèches, se conserve bien d’une récolte à la suivante.
  • La stévia est généralement bien tolérée par la plupart des personnes qui l’utilisent. Les possibles nausées et l’étourdissement qui se manifestent parfois au début de la prise disparaissent généralement rapidement. Elle ne provoque pas d’allergie (du moins, rien de connu dans ce sens à ce jour) et présente une parfaite innocuité aux doses usuelles. Comme elle n’entraîne aucun pic glycémique après ingestion, elle n’est pas addictive comme le sucre et ne provoque donc aucun phénomène d’accoutumance. Elle peut à la rigueur augmenter le taux de lithium par effet diurétique accru et chute de l’excrétion naturelle de lithium.
  • La consommation de saccharose, véritable problème de salubrité publique de par la pléthore de maux dont elle afflige celui qui tombe dans son piège doucereux, est responsable de statistiques plus qu’alarmantes : outre l’obésité (qui n’est pas seulement le fait « d’être gros » mais qui implique un facteur morbide grave), le saccharose provoque bien des cas de diabète de type II dans des pays où l’on peut parler d’épidémie, tant cette affection se répand à la vitesse d’une traînée de poudre : on pense aux États-Unis et à leur voisin mexicain (les policiers, du genre sergent Garcia, sont si gros qu’ils ne parviennent plus à courir après les voleurs !) avec des dizaines de millions de personnes qui forment des contingents d’obèses diabétiques. Mais sur ce point, la palme revient à la Chine, premier pays au monde comptant la plus grande population diabétique (400 millions, soit pas loin de 30 % de la population chinoise !), puis vient l’Inde à sa suite (50 millions de malades « seulement », mais le diabète y galope de plus en plus vite ; payer les travailleurs pauvres avec du coca-cola n’a sans doute pas amélioré la situation…). Ce mal tourmente aussi des pays auxquels on s’attend moins, comme le Maroc par exemple. L’avantage de la stévia dans ces cas-là, c’est qu’elle est déjà meilleure que la plupart des édulcorants de synthèse, cela va de soi. Ensuite, c’est que l’extrait hydro-alcoolique de même que l’extrait solide (c’est-à-dire les glycosides de stéviol mêlés à quantité suffisante d’excipient, ce qu’on appelle les agents de charge, à l’instar de l’érythritol principalement) possèdent un indice glycémique nul, car ces produits ne contiennent pas une once de glucides, en l’occurrence ni saccharose ni fructose. Ils ne sont donc pourvoyeurs d’aucune calorie. Par leur goût sucré, ils se substituent donc au sucre sans apporter avec eux les inconvénients nombreux de celui-ci. La poudre de feuilles de stévia, bien qu’elle soit composée à hauteur de 60 % d’hydrates de carbone, ne peut, en raison des quantités infimes absorbées à chaque prise, occasionner un massif apport de glucides. Il est clair que l’on peut réduire une partie de sa consommation de sucre par l’usage des extraits ou de la poudre de feuilles. Par exemple, si l’on souhaite faire un gâteau nécessitant deux tasses de sucre3, l’on peut remplacer l’une d’elles par une cuillerée à soupe de poudre de feuilles de stévia (selon la quantité, cela verdit forcément le mélange, donc le gâteau, à la façon du macha) ou l’extrait selon les équivalences fournies par le fabricant ou celles que vous aurez déterminées à la suite de fastidieux calculs que je vous abandonne bien volontiers. Remplacer ici une tasse de sucre par le pouvoir sucrant d’x gouttes d’extrait hydro-alcoolique est possible, la seule différence consistant en une perte de volume que l’on peut compenser avec de la poudre d’amande, par exemple. L’inconvénient de la stévia, entend-on parfois, c’est que comme cela goûte sucré, cela peut entretenir le besoin de manger sucré (bien que cette plante ne soit aucunement addictive comme nous l’avons dit plus haut). Cela est variable selon les personnes : les vrais accrocs au sucre, je ne les invite pas à utiliser la stévia sous quelque forme que ce soit, à moins de pouvoir s’en tenir strictement à elle, sans nécessité de lorgner avec insistance du côté du sucrier ^.^ Quant à moi, j’ai stoppé ma consommation de sucre en mai 2020, ce qui n’a pas été très compliqué, n’étant pas à la base un fana du sucré. Je ne parle pas uniquement du sucre blanc ou brun de table que l’on rajoute dans le café, mais des trois principaux oses – saccharose, fructose, glucose – que l’industrie agro-alimentaire saupoudre généreusement un peu partout dans les produits dont elle inonde le marché à disposition du public. Exit donc le miel. Ainsi que les confitures et tout ce que j’avais l’habitude de manger qui contenait du sucre (ce qui se chiffrait à pas grand-chose). Quand j’ai besoin de sucré, ce qui est rare, je m’en remets à la poudre de feuilles de stévia à laquelle va ma préférence et dont je fais un usage mesuré : sans nécessité, ça se résume à trois ou quatre fois par semaine, davantage l’été où l’ajouter à une eau citronnée permet de profiter de l’effet de fraîcheur qu’on peut lui trouver.
  • La stévia et la législation : avant le mois de décembre 2011, les glycosides de stéviol étaient interdits comme édulcorants à travers une application industrielle (cf. l’arrêté du 26 août 2009). Depuis, une certaine catégorie d’aliments (boissons sans alcool, desserts industriels, confiseries, etc., en réalité, toutes choses qui, d’une façon ou d’une autre, demeurent néfastes pour la santé ; ce n’est pas la seule stévia qui va en amender la nocivité) peuvent faire entrer dans leur recette ces agents édulcorants, à l’exclusion de la poudre de feuilles de stévia qui est interdite à cet usage en France, c’est-à-dire qu’on ne trouve aucune préparation alimentaire dans laquelle la liste des ingrédients ferait figurer la poudre de feuilles, hormis, bien entendu, les gâteaux que vous fabriqueriez avec elle à la maison. D’ailleurs, le commerce de la plante comme denrée alimentaire est interdit par l’union européenne, sans rapport aucun avec les pressions du puissant lobby sucrier, on s’en doute bien ^.^. Mais qu’on se rassure, car, dans le commerce, on trouve aujourd’hui en France la stévia sous les formes suivantes : – les feuilles sèches entières (bio et non bio) ; – la poudre de feuilles (bio et non bio) ; – les glycosides de stéviol (stévioside et rébaudioside A essentiellement) mêlés à un agent de charge ayant l’aspect du sucre pour former un produit qui, à quantité équivalente, possède le même pouvoir sucrant que son poids en sucre ; tout cela se décline en paquet de poudre, bûchette, comprimé et sucre cubique de volume variable. Faisons la remarque que l’érythritol qu’on utilise fréquemment comme agent de charge est issu de la fermentation du glucose du maïs et du blé. C’est donc un sucre, certes moins calorique, mais un glucide quand même et qui ne parvient pas à me convaincre de sa soi-disant bonne réputation. C’est d’ailleurs pour cela que je préfère le délaisser au profit du xylitol que l’on retire de l’écorce du bouleau. Si l’on excepte l’effet rafraîchissant plus marqué de celui-ci (qui n’est pas toujours des plus intéressants), le xylitol possède au moins l’avantage d’être non fermentescible. En définitive, me passer de sucre (saccharose) ne m’a pas amené à vouloir coûte que coûte le remplacer par je ne sais quel substitut. Ainsi, sur la table de la cuisine, il n’y a rien de tout cela hormis un petit pot de poudre de feuilles de stévia : c’est économique, ça ne prend pas de place, ça dure longtemps, comme ça je suis tranquille.
  • Comment et où se procurer de la stévia ? On trouve cette plante disponible chez la plupart des pépiniéristes aujourd’hui. Les semences sont aussi en vente libre. J’en ai reçu un échantillon gratuit lors de ma dernière commande chez Kokopelli, que je remercie au passage :) Semées selon les instructions le 13 mars dernier, elles sont en plein développement. Vivement la suite ! Si vous connaissez quelqu’un de votre entourage qui possède cette plante, faites-vous offrir quelques graines ou demandez-lui de vous fournir des boutures.
  • Autres espèces : on estime à environ 200 le nombre d’espèces de stévias dont Stevia ovata, Stevia micrantha, Stevia serrata, Stevia salicifolia ou encore Stevia eupatoria. D’aucuns prétendent que seule Stevia rebaudiana comprend des composés sucrés, mais je ne suis pas du tout certain de cette assertion, puisqu’on compte plusieurs espèces qui se font elles aussi appeler par le nom vernaculaire de candy leaf.
  • Autre plante à sucre : la verveine sucrée des Aztèques (Lippia dulcis).

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  1. C’est seulement dans les années 1990 que la firme Guayapi, dans une volonté de valorisation des simples autochtones et de commerce équitable, proposa à la vente en France des feuilles de stévia.
  2. Bastien Beaufort, Géohistoire de la diffusion globale de la plante stévia (ka’a heê), p. 5.
  3. Déjà on bannit le sucre blanc (qui ne vaut pas mieux que le sel raffiné) au profit du sucre brun un peu meilleur mais toujours en quantité modérée.

© Books of Dante – 2022

Le galbanum (Ferula galbaniflua)

Synonymes : férule gommeuse, barije, barijeh, ghasnu’s, gaosheer, jawaasheer, helbenâh.

En faisant coïncider l’aire de répartition originelle du galbanum avec les plus anciens peuplements humains dont l’histoire a relaté les traces à l’aide de l’écriture, l’on peut fixer à plus de 3000 ans son usage par les Assyro-babyloniens, puisque de multiples tablettes font référence aux pratiques médicales auxquelles on le fit alors participer. A leur lecture, l’on apprend que le galbanum intervenait en cas de prolapsus rectal et de blennorragie. On en composait une « potion pour qui souffre de la constipation […]. Cette composition est un trésor royal », expliquait George Contenau1. Bien qu’il ne soit pas certain qu’il s’agisse là du chalbanê des anciens médecins grecs (Hippocrate, Dioscoride, Galien…), l’on est tout juste assuré que cette férule indifférenciée n’est sans doute pas la plante qu’on connaît sous le nom de galbanum, même si, bien sûr, ce mot dérive de celui-là – chalbanê – d’origine sémitique. En hébreu, chelb (ou chelb’neh) donne quelques indications étymologiques : ce mot explique la consistance laiteuse, muqueuse et gommeuse de la gomme-résine que l’on retire de cette férule (et de plusieurs autres en réalité). Ce qui complique l’identification, c’est que le mot galbanum désigne tout à la fois la gomme extraite d’une férule, le galbanum, que celle de tous un tas d’autres plantes similaires qui, elles, ne portent pas ce nom. Ainsi, dans les textes anciens, un galbanum peut-il en cacher un autre. Mais démailloter l’embrouillamini est, pour moi, peine perdue, l’on sait bien que dans ce que les Anciens nous ont transmis, il y a à boire et à manger, et qu’il n’est pas toujours possible, sur cette base, de faire feu de tout bois. Mais lorsqu’on voit poindre un « galbanum » comme chez Théophraste par exemple, comment ne pas s’y arrêter ? Voici ce qu’il en dit dans ses Recherches sur les plantes : « Voilà donc à peu près les produits de Syrie exceptionnellement odorants, explique-t-il après en avoir listé le nombre, et continuant : « le galbanum sent plus fort et il est plutôt médicinal ; toujours est-il que lui aussi s’obtient du côté de la Syrie ». Comptant parmi les parfums antiques classiques, le galbanum apparaît à ce titre dans la Bible, quand l’Éternel s’adresse à Moïse pour lui demander de composer un mélange parfumé dans lequel il fait entrer le chalbaneh, dont le sens d’« onctueux » s’applique bien entendu à un baume (il ne faut pas imaginer un parfum que l’on vaporise). « Cet encens sacré était réservé au service de Dieu et il était défendu expressément aux Israélites d’en composer de pareil pour leur usage personnel »2. Le purent-ils, au reste ? Parce qu’à travers cet épisode biblique, on semble insinuer que le galbanum dont il est ici question est « une espèce très fine qui se trouvait en Syrie sur le mont Amomus et qui différait entièrement du galbanum ordinaire employé en médecine, dont l’odeur est loin d’être suave »3. En effet, pour renforcer ces dires, on peut ici partager ce que l’on peut lire quelque part dans l’œuvre de Pline qui nous livre la recette d’un parfum solide, le métopion, indiquant par ce nom qu’il s’articule autour du galbanum. Pour l’obtenir, il faut diluer dans du vin miellé et de l’omphacion, de la cardamome, du jonc odorant, de la myrrhe, de la térébenthine, du roseau aromatique et des graines de baumier (outre l’appréciation olfactive subjective de chacun de ces ingrédients, on peut aussi s’échiner à créer dans son esprit une synthèse de la chose…). Peut-être y avait-il alors une distinction forte entre un galbanum destiné aux hautes œuvres, et un autre seulement voué à l’ordinaire, de même qu’on différencia le galbanum en larmes du galbanum en masse dès la Renaissance.

Au lieu de supputations, faisons plutôt le compte des vertus médicinales du galbanum, telles qu’elles furent établies par les Anciens, parce que, bien évidemment non, le galbanum ne se cantonna pas qu’à la seule fonction de produit cosmétique et de parfumerie. Ainsi peut-on dire au sujet de cette « liqueur » aux vertus chaudes et brûlantes : tout d’abord elle est diurétique, résolutive, emménagogue, provoque l’accouchement et va jusqu’à délivrer la femme du fœtus mort dans ses entrailles, d’après ce que Pline relate : « Si on enduit de galbanum un rameau d’hellébore qu’on place sous la femme, il extirpe les fœtus qui ne sortent pas »4.

On lui faisait porter une action intéressante sur les troubles locomoteurs (insensibilité des nerfs et des articulations, contractions musculaires, paralysie, réduction des fractures), les affections cutanées, gynécologiques (infections vaginales), gastro-intestinales (diarrhée, parasites intestinaux) et enfin pulmonaires (dyspnée, grippe, asthme, toux ancienne). Souvent emplâtré, il lui arrivait d’être pris à l’intérieur ou tout simplement respiré comme nous le signale Dioscoride : « Flairé, il réveille ceux qui tombent du mal caduc, les femmes étranglées de la matrice, et ceux qui sont tourmentés de tournoiement de tête ».

Après une éclipse d’une durée considérable (toute l’étendue du Moyen âge en fait), l’on retrouve le galbanum en Europe non pas comme matière médicale mais pour assurer un rôle qu’on lui voyait déjà tenir en Égypte antique, c’est-à-dire celui de résine d’embaumement, ce qu’attestent des papyrus qui citent son emploi conjointement à la myrrhe, au cèdre ou encore au cyprès. Dans certains inventaires datant du XVe siècle, l’on discerne à travers une flopée de drogues (encens, gomme adragante, mastic, alun, etc.), le nom du galbanum qui était voué à l’embaumement des souverains. Si les soins accordés aux défunts sont ici rappelés, l’on n’oublia pas non plus d’en prodiguer d’autres auprès des malades qui y trouvèrent un large profit si j’en crois les chroniques s’étalant du XVIe au XVIIIe siècle. En effet, tout au long de cette période l’on ne compte plus les nombreuses recettes de baumes, d’onguents ou encore d’emplâtres dans lesquelles on trouve du galbanum, attendu que cette gomme-résine est vue comme résolutive et apte à amollir les tumeurs extérieures, qu’elles soient rebelles ou squirreuses. Ainsi, l’onguent des apôtres, l’emplâtre divin ou encore le galbanet de Paracelse justifièrent-ils le bon emploi qu’on fit du galbanum que l’on croise encore dans l’une de ces compositions applicables à la peau, l’emplâtre diachylon qui était « d’un usage courant pour maintenir les pansements, pour ‘cuire et digérer la matière du pus et celle des tumeurs’, rapprocher les lèvres d’une plaie et exercer sur un membre une compression prolongée »5. On fit aussi participer le galbanum à toutes les grandes compositions du temps comme le mithridate, la thériaque d’Andromaque et l’orviétan, de même qu’on le trouvait dans le diascordium de Fracastor (ou petite thériaque), dans lequel se côtoient une foule d’ingrédients articulés autour de l’opium : l’on y voit des racines de tormentille, des pétales de rose rouge, du succin et, donc, du galbanum, tout cela devant concourir à faire de cet assemblage un remède antidiarrhéique. Le galbanum s’illustra encore dans cette célèbre composition que l’on doit à Fioravanti, un distillat alcoolique d’une quinzaine de drogues aromatiques (galanga, myrrhe, élémi, cannelle, galbanum…) dont l’usage se réservait parfaitement à l’extérieur (rhumatisme, névralgie, sciatique, lumbago, pleurite, congestion rénale…). Enfin, on lui accordait des vertus expectorantes, antispasmodiques et stimulantes, de même qu’emménagogues encore, ce qui lui fit mériter, surtout en Allemagne, le nom de mutterharz (= résine de la mère), corrélativement aux emplois gynécologiques qu’on fit de lui.

Le galbanum est une apiacée vivace assez trapue, aussi large qu’elle est haute, formant une sorte de buisson d’un mètre de diamètre. D’une puissante racine en pivot profondément enfoncée dans le sol émergent des tiges lisses et creuses, dont les pétioles, également glabres, portent des feuilles luisantes, finement dentées, découpées en lanières menues. La floraison organisée en ombelles de petites fleurs jaunes est fortement parfumée, parfois jusqu’au désagréable. Elle donne ensuite de nombreuses semences plates, des akènes pour être plus précis.

Le galbanum est localisé à l’Asie occidentale ou Proche-Orient (Iran, Syrie, Turquie, Liban), mais son aire de répartition peut s’écarter plus à l’est, jusqu’à toucher l’Inde, tout en passant par l’Afghanistan et le Turkménistan.

Le premier producteur mondial de galbanum demeure l’Iran, avec – ce qui est bien entendu anecdotique, 80 tonnes par an.

Le galbanum en aromathérapie

La récolte traditionnelle du galbanum s’opère de cette façon : on sectionne superficiellement la base des tiges ou bien le collet de la volumineuse racine du galbanum. De cette blessure infligée à la plante suinte une gomme laiteuse blanchâtre qui s’écoule autant qu’elle peut. On patiente une quinzaine de jours avant de venir écailler la surface des tiges et de la racine, la récolte ne s’opérant qu’à partir du moment où la gomme résine du galbanum est solidifiée. A cette occasion, on pratique de nouvelles incisons sur les mêmes tiges.

De cette opération, l’on peut retirer au moins deux sortes de galbanum :

  • Le galbanum en larmes luisantes un peu translucides. Jaunâtres en dedans, elles sont jaune doré à leur surface, d’un goût amer, d’une odeur forte, ce qu’elles comportent de commun avec le suivant :
  • Le galbanum en masse ou en sorte : il s’agit là du galbanum mou. Au contraire du précédent, il n’est ni sec ni bien net, mais tout conformé en une masse visqueuse et agglutinée, brune, remplie d’ordures et de gravillons. Il se présente « sous la forme de larmes gluantes, agglomérées […] et mêlées de débris végétaux, de couleur jaunâtre à rougeâtre à la bonne odeur de résine, forte et boisée »6, flirtant parfois avec cette pénétrante odeur alliacée que l’on retrouve cependant bien plus marquée dans l’ase fétide, autre férule.

Quand on distingue un peu tout cela, on constate que le galbanum est constitué au 2/3 de sa masse par une résine soluble dans l’alcool, de 20 % de gomme et d’environ 6 % d’essence aromatique, en direction de laquelle nous allons maintenant tourner nos regards.

En distillant à la vapeur d’eau la gomme-résine du galbanum, l’on obtient un joli rendement (de 11 à 17 %, parfois jusqu’à 24 % !), d’une huile aussi incolore que la masse dont on la tire est sombre, aussi liquide et limpide que l’autre est épaisse et collante. Le subtil et l’épais, en quelque sorte. Le produit que l’on obtient, anodin par sa classique transparence, n’en reste pas moins « agressif » et tenace de par les composés soufrés qu’on y décèle à l’analyse qui, plus que de simplement rappeler l’ail, évoque nettement le « parfum » très atténué de l’ase fétide. Outre cette marque sulfureuse – et si l’on parvient à ne pas se faire olfactivement envahir par elle –, l’huile essentielle de galbanum, très « verte » et terrestre, oscille entre le boisé et le balsamique, le frais et l’amer.

Abordons maintenant la question de la composition biochimique de cette huile essentielle :

  • Monoterpènes : 85 %, dont β-pinène (57,50 %), α-pinène (10,80 %), δ-3-carène (5,30 %), myrcène (3,20 %), limonène (1,60 %)
  • Sesquiterpénols : 5,20 %, dont gaiol (1,85 %), bulnésol (1,60 %)
  • Sesquiterpènes : 4,30 %
  • Monoterpénols : 2 %
  • Composés azotés (traces)
  • Composés soufrés (traces)
  • Coumarines : ombelliférone

Si l’on observe la variabilité des monoterpènes surtout, l’on observe de fortes disparités d’un lot d’huile essentielle à l’autre :

  • β-pinène : de 43 à 69 %
  • α-pinène : de 6 à 16 %
  • δ-3-carène : de 3 à 11 %
  • Limonène : de 0 à 13 %

Concernant le galbanum, l’on ne s’est donc concentré uniquement que sur sa racine et le bas de ses tiges. Et l’on a eu raison, puisque dans un seul gramme de racine l’on trouve 14 mg d’essence aromatique contre seulement 6 mg dans la même quantité de fleurs. Mais on entre là dans une autre sphère : si les rendements évoluent, c’est également le cas des compositions biochimiques : par exemple, les feuilles seules sont surtout estampillées par la présence d’acétate de bornyle, etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux : antiseptique, antibactérien, antiparasitaire (sur Tetramychus urticae, Ephestia kuehniella, Echinococcus granulosus)
  • Apéritif, digestif, carminatif, laxatif
  • Analgésique, anti-inflammatoire, antinociceptif
  • Antirhumatismal, décontractant musculaire
  • Emménagogue, décongestionnant du petit bassin
  • Aphrodisiaque (?)
  • Cicatrisant, antiseptique cutané
  • Tonique, stimulant
  • Relaxant, stimulant psychique, rééquilibrant nerveux
  • Antispasmodique
  • Antidiabétique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, colique, dyspepsie, infections intestinales, colite, aérophagie, flatulence, douleurs gastriques, parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, asthme, toux, grippe, expectoration glaireuse importante
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, dysménorrhée, infection génitale, régulation des fonctions menstruelles, crampe menstruelle, aide à l’accouchement (accompagne le travail)
  • Affections cutanées : plaie (y compris purulente), abcès, furoncle, ulcère, tumeur indolente, escarre, infection cutanée (acné)
  • Troubles locomoteurs : articulation infiltrée de sérosité, arthrose, douleurs articulaires et musculaires
  • Infection urinaire
  • Insuffisance pancréatique
  • Œdème lymphatique
  • Asthénie physique, psychique et/ou intellectuelle, fatigue, épuisement
  • Stress, nervosité, irritabilité, hyperémotivité, angoisse, peur, paranoïa, tension, crispation, rigidité mentale et psychologique

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

La correspondance du galbanum avec l’élément Terre est clairement établie par diverses croyances qui en font le parfum des gnomes, élémentaux de la Terre, et des djinns de la terre tels qu’on peut les rencontrer en magie arabe. De fait de cette appartenance élémentale, on employait le galbanum lors des évocations géomantiques voire nécromantiques, puisque le galbanum apaise et permet une plus grande relation aux forces telluriques. Sous ce rapport, on a prédestiné le galbanum à la délicate tâche de faire fuir les serpents, animaux éminemment chthoniens, dès lors qu’on le faisait brûler. En s’en frottant la peau, on atteint un même résultat qui peut s’étendre à l’ensemble des classes d’animaux venimeux. Du fait, on l’a aussi généralisé aux poisons, aux esprits mauvais et jusqu’au diable lui-même ! Pour toutes ces choses, on le brûle par fumigation. C’est encore un potentialisateur : « un soupçon de galbanum incorporé à n’importe quelle composition parfumée en dynamise les propriétés »7.

« En lien avec l’énergie minérale, la structure osseuse et les reins, [le galbanum] nous renvoie à notre force originelle et ancestrale qu’il mobilise et pousse à se manifester »8. Faisons accueil à ces quelques mots, même si tout ceci n’est pas très clair. Que peut donc bien être notre « force originelle » ? Jutta Lenze se fait plus explicite : « La puissance de son odeur âcre, piquante, voire nauséabonde et son côté brut, sec et poignant peuvent provoquer, déranger, choquer et perturber profondément ceux qui lui résistent »9. Tout le monde n’est pas dans l’obligation d’accueillir toutes les huiles essentielles en son sein, l’attraction et la répulsion pour telle ou telle signalant notre propre profil aromatique, biochimique pourrais-je même oser. Il existe des chémotypes chez les huiles essentielles, pourquoi n’en serait-il pas de même auprès des individus ?

Je ne puis mentionner que ma relation avec le galbanum est complexe, non. J’ai tout d’abord pris contact avec cette huile essentielle à l’époque où je préparais la rédaction de mon ouvrage Parfums sacrés. Vu le peu de place que j’ai accordé à cette huile essentielle alors, on peut aisément deviner que l’attraction n’était pas au rendez-vous. Pourquoi, en effet, s’appesantir sur quelque chose qui rebute nos sens ? Notre but n’est-il pas au contraire la promotion et la contemplation du beau ? En revanche, il est parfaitement vrai qu’être, de nouveau, mis en contact rapproché avec une même huile essentielle des années plus tard peut réserver son lot de surprises. Soigneusement obturé, le flacon de galbanum dont j’ai fait l’acquisition il y a une dizaine d’années, est resté, non pas dans l’oubli, mais dans une relative réserve, n’étant pas, en ce qui me concerne, de ces huiles qui traversent mon esprit pour un oui ou pour un nom (celles-là – faites le compte – ne sont pas aussi nombreuses qu’on le croit, même si on possède des dizaines d’huiles essentielles différentes à la maison comme c’est mon cas).

Aussi, peut-on dire que l’huile essentielle de galbanum est l’huile essentielle des grandes occasions ? Jutta Lenze parle à son sujet de « périodes charnières », une formule que je relève immédiatement au regard de ce qu’elle dit un peu plus loin dans le texte : pour mieux faire parler le caractère du galbanum, elle l’explique à l’aide d’un arcane du tarot de Marseille, la Maison-Dieu, qu’en anglais l’on pourrait résumer par une formule que j’ai récemment rencontrée à son sujet et qui me plaît énormément : expect the unexpected, autrement dit : « Espère l’inespéré ».

Le bon accueil que l’on pourrait faire au parfum du galbanum, de quoi donc pourrait-il alors être le révélateur ? Cela signifierait-il que nous avons déjà subi les épreuves qu’il n’aurait pas manqué de nous imposer sans cela ? En effet, comment est-ce possible de percevoir, en tout premier lieu, cette écœurante odeur alliacée dont les composés soufrés – minoritaires, sont responsables, alors même qu’ils sont noyés dans la masse des monoterpènes que, pour le coup, l’on pourrait considérer comme de vulgaires molécules de remplissage ! Cette parcelle qui dérange et rebute, n’est-elle pas l’arbre qui dissimule la forêt, la pierre dans la chaussure ou celle qu’on dit d’achoppement ? Ce qu’il nous faut nécessairement abraser afin que notre âme ne s’effarouche plus de son contact. Hormis si les conditions de stockage (lumière du soleil, contact avec l’air, etc.) sont peu respectueuses de la bonne tenue d’une huile, il n’y a pas de raison pour qu’elle se pervertisse au fil du temps. Or, si elle reste inchangée, et qu’au contraire notre relation à elle évolue à travers les années, cela ne veut-il pas dire que nous avons profondément évolué nous-mêmes, pour parvenir à tolérer ce qui l’était plus ou moins difficilement jadis ou naguère ? Puisque j’expose tout cela à vos yeux, je me dois aussi de vous faire une confidence : la rédaction de cet article n’est point le fruit du hasard. Qui l’imaginerait ? Hormis la petite page que j’ai consacré au galbanum dans Parfums sacrés, je n’avais jusqu’alors jamais travaillé plus profondément cette huile essentielle qui fait partie de ces plantes dont la maîtrise – du moins l’appréciation polie – n’a été que tardive. Or, plusieurs fois, lors de récentes lectures, j’ai vu papillonner le mot « galbanum » au gré des pages tournées. Cette insistance m’a amené à fouiller plus avant les sources dont je dispose et à les regrouper en une liste, ma foi, fort enthousiasmante. Comme à chaque fois que j’écris au sujet d’une huile essentielle, je prends toujours soin d’accompagner les différentes étapes du travail d’écriture du flacon relatif, en procédant à des inspir/expir réguliers tout au long du processus, à placer ce même flacon au creux de ma main libre tandis que l’autre s’échine en arabesques ou bien d’en appliquer une goutte à l’intérieur des poignets, c’est-à-dire en ce septième point du méridien du Maître-Cœur, Da Ling. Eh bien, comme vous pouvez aisément le constater, mon travail à propos du galbanum a été fièrement mené, il est significatif en ceci qu’il me met le nez sur mon évolution de ces dix dernières années. Qu’est-ce que cela peut donc signifier pour moi ? Qu’une maturation est à l’œuvre et qu’elle va délivrer son lot de bonnes surprises ? Ce qui n’est pas inexact, Jutta Lenze remarquant que « le galbanum vous pousse à l’action, à faire jaillir l’énergie de votre volcan intérieur »10, ce qui, du fait, remodèle nécessairement l’environnement immédiat. Accoucher, mettre à jour ou au monde, témoigner ouvertement et visiblement d’un long travail souterrain, c’est à peu près ce qui me vient à l’esprit lorsqu’on envisage l’huile essentielle de galbanum sous cet angle. De l’état lactescent où l’on voit tout d’abord sa gomme résine fraîche, il prend peu à peu l’aspect d’une résine qui, qu’elle soit en « larmes » ou en « masse », est bien le reflet que quelque chose est en train de se concrétiser (du latin concretus, « épais, dru »).

« Force brute de vie, le galbanum est l’ennemi de l’inertie. D’un caractère guerrier et martial, il détient la puissance explosive de la foudre. Son tempérament instinctif, impulsif – expulsif, audacieux et volcanique nous pousse à l’action »11. Si le galbanum est charnière, alors poussons donc la porte qui nous fait face et découvrons encore ce qu’elle dissimule à notre entendement.

Modes d’emploi

  • Voie cutanée (en dilution obligatoire dans une huile végétale, surtout pour les peaux fines, sensibles et sujettes aux irritations cutanées, ce qui peut s’avérer possible en cas de contact étendu et souvent répété, ce qui ne me semble néanmoins pas être une règle générale avec cette huile essentielle fort onéreuse).
  • Dispersion atmosphérique : si vous la tolérez seule, pourquoi pas, mais il est envisageable de l’unir à d’autres huiles essentielles, de pins en particulier ou encore d’agrumes.
  • Olfaction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Autres espèces : nous ne les dénombrerons pas toutes tant elles sont nombreuses, mais nous citerons une fois de plus l’ase fétide (Ferula assa-fœtida), la férule alliacée (Ferula alliacea), la férule à feuilles étroites (Ferula angustifolia), la férule à tige rouge (Ferula rubricaulis).
  • Bien des industries surent tirer parti du galbanum, dont la parfumerie, la cosmétique et la savonnerie. D’autres domaines insoupçonnés lui accordèrent de l’importance, ceux aux travers desquels l’on fabriqua peintures, vernis, colles ou encore détergents.

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  1. George Contenau, La médecine en Assyrie et en Babylonie, p. 184.
  2. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 42.
  3. Ibidem.
  4. Pline, Histoire naturelle, XXIV, 22.
  5. Henri Leclerc, En marge du Codex, p. 39.
  6. Serge Schall, Plantes à parfum, p. 91.
  7. Sorcellerie.net, Encens & senteurs, Tome 1, p. 5.
  8. Jutta Lenze, Huiles royales. Huiles sacrées, p. 92.
  9. Ibidem, p. 93.
  10. Ibidem.
  11. Ibidem, p. 94.

© Books of Dante – 2021

Article inédit en lecture libre !

Bonsoir :)

Afin de vous faire patienter un peu d’ici aux prochains articles (l’un évoquera une plante dont on parle peu, l’autre nous mènera en Inde ^^), je vous suggère la lecture d’un article que j’ai rédigé pour le webzine Lune Bleue à propos d’un sujet connexe à mon dernier livre, Herbes & feux de la Saint-Jean, une survivance du paganisme ?. Vous ne le trouverez que là-bas, profitez-en, il est en lecture libre et gratuite ICI ! :)

[Books of] Dante

Herbes & feux de Saint-Jean : introduction

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C’est une petite exclusivité que je vous propose là : ni plus ni moins que l’introduction de mon prochain livre, Herbes & Feux de Saint-Jean, accompagnée de l’illustration qui viendra embellir sa couverture Bonne lecture ! :)

A travers les âges, l’Homme s’est voué à plusieurs cultes. La Pierre et la Source en sont deux avatars. En ces temps anciens durant lesquels l’Homme devait faire face à différents maux (la maladie, la guerre, la famine, de mauvaises récoltes…), l’esprit humain s’est tourné vers des pratiques mêlant autant diverses formes de magies qu’un appel aux divinités. Certaines mesures médicinales plus empiriques que raisonnées furent également conviées. Toutes avaient pour but un mieux-être ainsi que la résolution de problèmes divers et variés.
Malgré la progression constante du christianisme, les rites païens surent rester vivaces. Au dogme ecclésiastique s’opposa l’héritage de pratiques multi-millénaires. Il est bien entendu que l’Église chrétienne aura cherché, par tous les moyens, à extraire les mauvaises herbes païennes de son pré carré et à séparer le bon grain de l’ivraie. Las. Une résistance plus ou moins passive s’instaura. Plutôt que d’user son prosélytisme jusqu’à la culotte, l’Église eut une idée géniale. Au lieu de vindicte et d’anathème, elle devint peu à peu relativement tolérante face à ces rites forcément idolâtres. En amadouant et en les absorbant, comme une amibe gloutonne le ferait d’un microbe, la chrétienté détourna ces rites de leurs destinations originelles. C’est alors qu’on assista à la christianisation des anciens lieux de culte. Bien des églises et des chapelles ont été érigées sur leur emplacement. On évangélisera même les menhirs dont certains sont encore surmontés d’une croix aujourd’hui. On aura conservé les mêmes lieux tout en modifiant quelque peu le décor. D’antiques divinités on aura fait des saints. Le cas de Brigitte est éloquent à cet égard.

Bien que phagocytées par la chrétienté, les anciennes croyances moururent-elles ? Pas vraiment. Malgré le travail mené en profondeur par l’Église, celle-ci ne put jamais aller au bout de sa quête. C’est pourquoi, çà et là, au cours de l’Histoire, on assista à diverses réminiscences d’anciens cultes païens L’Église n’aura donc jamais réussi à faire tabula rasa. Et c’est pour cette raison, entre autres, qu’aujourd’hui encore on célèbre la fête dédiée au solstice d’été, autrement dit les feux de la Saint-Jean, le jour de la fête de la musique. Le paganisme, malgré son grand âge, n’en reste pas moins plein de verdeur et de vivacité. il est à l’image du pissenlit : plus on cherche à l’arracher, plus il repousse. Mais aussi à celle de la renouée des oiseaux qui adore qu’on lui marche dessus sans paraître s’en offenser le moins du monde, au contraire, elle s’en trouve même ragaillardie. Le chiendent, autre figure emblématique, exprime aussi cet état de fait ; il enfonce si profondément ses racines dans le sol que le soc de la charrue ne parvient à les en extirper.

Aujourd’hui, les curés ne pourchassent plus les païens à travers champs et forêts. Cette relative liberté de culte aura-t-elle profité à ces derniers ? Très certainement. La résistance proviendrait-elle de l’oppression ? A n’en pas douter, oui. Un culte qui ne serait plus diabolisé serait-il voué à disparaître ? Pas sûr.
Les temps changent. Et c’est dans leurs prérogatives. Les temps changent les hommes mais il est aussi vrai que l’homme peut changer le temps durant lequel il déroule son existence. Des feux brûlent encore lors de la Saint-Jean. Revêtent-ils pour autant le même esprit que les feux d’antan ? Très certainement pas. Du reste, est-ce bien important de le savoir, sachant qu’une tradition quelle qu’elle soit est destinée à périr si on cherche à la reproduire à l’identique indéfiniment. Des évolutions et des mutations ont eu lieu. Elles ont remodelé peu à peu un antique phénomène qui consiste à élever un énorme brasier au solstice d’été, unique jour de l’année où le Soleil est à son apogée dans nos contrées. Chaque année, au jour où l’astre solaire est roi, de grands feux sont ainsi érigés, éclairant le ciel nocturne le plus court de notre calendrier. Des herbes y sont traditionnellement jetées. Nous chercherons à savoir pourquoi tout en exposant chacune de celles que l’on appelle les herbes de la Saint-Jean, pourvoyeuses des espoirs et des souhaits des hommes.

© Books of Dante – 2015

Animaux-totems & Roue-médecine : les avis des lecteurs :-)

Quelques récentes chroniques portant sur mon tout dernier ouvrage ;-)

Audrey

Je vous en avais déjà parlé (pour ceux qui suivent le compte facebook, twitter ou google plus), parce que je l’ai reçu dans les premières (que voulez-vous, c’est ça de connaître l’auteur aussi. ;-)) et hop, dédicacé en plus.

Avant même d’ouvrir ce livre, plusieurs choses me viennent à l’esprit: [Lire la suite].

Gab

Ce que j’ai aimé lire et relire cet ouvrage de Gilles Gras ! Simple et accessible, il permet une approche du totémisme et du chamanisme pour tous. Que l’on soit initié ou non, les mots nous touchent et permettent de comprendre les interactions entre nos animaux totem, l’univers et nous même. [Lire la suite].

Books of Dante

Animaux-totems et Roue-médecine – Introduction

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Pourquoi un tel livre ? Il m’a été conseillé de l’écrire même s’il est vrai que tout le monde ne sera pas forcément d’accord avec son contenu et que d’autres encore, loin d’être en désaccord, n’entendent pas que son contenu soit révélé aux yeux et aux oreilles du monde qui aura bien l’obligeance de poser un regard sur ces lignes.

Dois-je prendre partie pour un Black Elk qui évoque, chez l’Amérindien, « l’absence d’une écriture qui […] fixerait et tuerait le flux sacré de l’esprit » mais dont les mots se retrouvent aujourd’hui encore dans deux ouvrages majeurs (1) ?
Dois-je adopter la réserve d’un Archie Fire Lame Deer lorsqu’il affirme que « cette humble créature qui marche droit sur ses deux jambes ne doit pas tout savoir » (2) ?
Si j’ai pris la décision d’écrire et de révéler ce que je sais, je me place donc en porte-à-faux avec les deux grands Lakotas sus-cités. Loin de moi l’idée de m’arroger un quelconque pouvoir, je cherche avant tout, à travers cette initiative, le partage des maigres savoirs que mes propres expériences m’ont permis d’acquérir.
Black Elk s’insurgea contre l’idée de pétrification et de cristallisation, à l’image d’une pensée gravée dans le marbre. Je le comprends. Mais, ai-je envie de dire, il me faut vivre avec mon temps et utiliser les moyens mis à ma disposition pour propager l’idée différemment. Le support de papier n’enlèvera jamais à la parole transmise de bouche à oreille son pouvoir car cette quête, qui représente aujourd’hui le fruit de ce travail bien loin d’être achevé, ne s’est pas faite dans les livres, ou si peu.
A travers l’Histoire, certains épisodes tragiques ont fait à tout jamais périr des pans entiers de culture. Certes, l’on dit souvent que les écrits restent mais que les paroles s’envolent. Mais que reste-t-il dès lors qu’on brûle les écrits ? Que reste-t-il de l’esprit qui les a couché sur un support capable de recevoir l’écriture ? Bien peu de choses en réalité. Il en va de même pour la parole qui est l’apanage de peuples que certains épisodes sanglants ont laissé exsangues. Pour ceux-là, nul besoin était de brûler leurs livres, ils n’en avaient pas. Il s’agissait de les faire disparaître et avec eux leur savoir. Edward S. Curtis, l’auteur du monumental The North American Indian, relayé par Teri McLuhan, « réalisa que chaque vieil Indien emportait avec lui dans la tombe un peu des rites et des coutumes sacrés de son peuple » (3). Devant l’urgence d’une situation qui allait voir péricliter l’ensemble de ces savoirs, devant l’émergence et la manifestation encore plus forte de la crise de l’homme moderne (4), un Black Elk allait mettre à jour certaines des paroles et des rituels sacrés des Sioux, avec l’espoir qu’elles seraient, sinon comprises, entendues. L’un des paragraphes de la quatrième de couverture du second ouvrage de Black Elk est éloquent à ce titre : « Les rites secrets des Indiens sioux contient l’essence de l’héritage et de la tradition que les Indiens, jusqu’à il y a peu, s’étaient gardés de divulguer […]. Ils estimaient que ces choses étaient trop sacrées pour être communiquées à n’importe qui. Mais aujourd’hui, à l’approche de la fin d’un cycle, ils ont décidé qu’il était permis et même souhaitable de les révéler au grand jour… ».
Comme l’a dit Tatanga Mani, un Indien Stoney, « les peuples civilisés dépendent beaucoup trop de la page imprimée » (5). Mais, dès lors qu’un savoir est menacé parce qu’il ne peut plus être transmis oralement de génération en génération, il est bon, je pense, d’utiliser le livre pour le consigner, même si, comme Tatanga Mani, j’ai bien conscience que si nous prenons tous les livres et que nous les étendons « sous le soleil en laissant, pendant quelque temps, la pluie, la neige et les insectes accomplir leur œuvre, il n’en restera rien » (6).

Aujourd’hui, débarrassé de mes doutes et de mes craintes, j’ose exposer une thématique qui m’est chère. Elle est constituée de deux concepts qui s’articulent l’un l’autre, la notion d’animal-totem et celle de roue-médecine. A priori, on peut se demander ce qu’elles peuvent bien faire ensemble, à ce jour je n’ai découvert aucun livre qui exposerait, conjointement, ces deux concepts. Nous découvrirons au fil de l’ouvrage ce qu’est un animal-totem et les moyens dont nous disposons pour prendre conscience de sa présence et employer à bon escient sa médecine. Puis, nous aborderons le concept virtuel de roue-médecine qui permet d’organiser l’ensemble des totems que chacun d’entre-nous possède dans un tout cohérent. C’est un concept difficile à appréhender, aussi vais-je m’employer à être le plus clair et le plus méticuleux possible afin d’être largement compris même s’il est vrai qu’un échange verbal à propos de ce sujet permet d’en affiner davantage la compréhension globale.


  1. Élan Noir parle, Les rites secrets des indiens sioux.
  2. Archie Fire Lame Deer, Le cercle sacré, mémoire d’un homme-médecine sioux, p. 408 : « Nous sommes déjà trop intelligents ; ce n’est pas l’intelligence qui nous manque, mais la sagesse. Je n’ai rien à ajouter. J’ai parlé ».
  3. Teri McLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée, p. 11.
  4. Teri McLuhan citant Joseph Epes Brown, Pieds nus sur la terre sacrée, p. 12-13 : « Le renouveau d’intérêt que suscitent les Indiens d’Amérique du Nord est dû aux préoccupations qui habitent l’homme moderne. Il se pose des questions sur lui-même et regarde les Indiens d’un œil nouveau. Il cherche à les connaître, à savoir qui ils étaient, quel idéal les animait, quels liens les réunissaient à la Nature et à leur environnement. Si cette quête est sincère, les Indiens peuvent nous apprendre beaucoup sur eux et sur nous-mêmes, par leur exemple et l’héritage qu’ils nous laissent ».
  5. Teri McLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée, p. 120.
  6. Ibid. p. 120.

    © Books of Dante – 2013

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