Le muguet (Convallaria maialis)

Synonymes : muguet de mai, muguet des bois, lis de mai, lis des vallées, clochette des bois, grillet.

Une Antiquité muette, un Moyen-Âge balbutiant n’ont guère laissé de traces au sujet du muguet en ce qui concerne la pratique phytothérapeutique de cette plante, n’apparaissant que très tardivement au XIV ème siècle, et encore pas sous son nom actuel puisqu’on l’appelait lilium convallium, le lis des vallées. Pourtant, le mot muguet existait déjà à cette époque, depuis au moins deux siècles, mais s’appliquait aux noix muguettes, autrement dit les noix de muscade, muguet n’étant que la déformation du mot musqué, parfum particulier que l’on attribuait tant à la noix de muscade qu’à l’odeur du rhizome du muguet, semblerait-il, très proches olfactivement. L’on aurait pu l’appeler épice des bois, mais l’on a préféré le placer sous le lignage du lis, fleur royale. A ce titre, il est pâtant que le muguet disposa d’une influence aristocratique : dès le XVI ème siècle, son parfum capiteux fut très prisé des hommes de la haute société ; ces galants et élégants parfumés se livraient à une pratique qui perdura jusqu’au XIX ème siècle par l’intermédiaire d’un verbe : mugueter. L’on disait du mugueteur qu’il muguete, c’est-à-dire, dans un langage plus actuel, qu’il flirte, qu’il drague. Le mugueteur de dames était donc un courtisan. Pour stationner encore un peu dans la cour royale, mentionnons le fait que le roi de France Charles IX instaura la tradition d’offrir du muguet comme porte-bonheur en 1561. Symbolisant aussi le renouveau et l’amour, tout cela cadre fort mal avec le personnage de Charles IX, un roi violent, extravagant et débauché. A mon avis, il doit y avoir erreur sur la personne, mais il n’en reste pas moins que, même avant le XVI ème siècle, le muguet était une plante de fiançailles, les brins à treize clochettes étant particulièrement convoités, ce que, en souvenir, nous retrouvons dans les noces de muguet fêtant treize années de mariage. Plus qu’à la cour de ce monarque cruel, c’est bien plutôt auprès de la médecine populaire qu’on verra prendre place le muguet qui n’entrera dans la médecine officielle qu’au XVI ème siècle durant lequel des médecins allemands furent informés par des empiriques russes des propriétés médicinales du muguet que Matthiole relatera en ces termes en 1554 : le muguet « fortifie le cœur, le cerveau et toutes les parties nobles du corps. Pour laquelle cause il est bon aux paralytiques, à ceux qui ont le haut mal, aux spasmes, aux vertiges, aux défaillances et battements du cœur ». C’est ce qui explique qu’on a longtemps pensé que le muguet confortait le cœur, dans le sens de « fortifier ». La prescription du muguet contre la faiblesse cardiaque ne date donc pas d’hier. En 1765, le médecin allemand Johann Friedrich Cartheuser rapportait dans sa Matière médicale que le muguet valait aussi contre les palpitations, les malaises, la mélancolie et qu’il permettait de rendre la mémoire en raison de la sensation de dégagement du cerveau que procure l’inhalation de fleurs, en particulier de poudre de fleurs sèches dont on se sert comme du tabac à priser. En effet, sous cette forme, le muguet est un puissant sternutatoire agissant sur les maux de tête invétérés, les céphalées, les fluxions des yeux et des oreilles, etc. En France, c’est surtout cette propriété qui prévalut jusqu’au XIX ème siècle, la France restant rétive (comme souvent du reste) à ce qui se faisait outre-Rhin. On lui concéda aussi un rôle de purgatif et d’émétique, ainsi que d’antispasmodique, raison pour laquelle on en conseilla l’usage chez les épileptiques.

Cette plante, symbole du printemps et de son premier mai, est une petite vivace rustique vivant en colonies, signe évident de la présence de rhizomes souterrains fortement ramifiés, portant des feuilles lancéolées, légèrement plissées le long de la nervure centrale. Elles sont prioritairement groupées par deux (plus rarement par trois ou quatre), en fourreau engainant autour de la tige. Dès le mois d’avril, on voit apparaître une hampe florale décorée de grelots parfumés. Blanches, alternes, toutes dirigées du même côté, ces fleurs mesurent entre 5 et 10 mn, et portent chacune six petites dents retroussées vers l’extérieur de la corolle. Puis, la saison estivale avançant, de petites baies rouge écarlate viennent remplacer les fleurs. Notons qu’en certaines années, il peut y avoir absence complète de floraison, phénomène dû à des conditions défavorables de luminosité et d’humidité.
C’est une plante assez commune en plaine comme en montagne (2000 m), également présente en Amérique du Nord et en Asie occidentale. En France, elle est inexistante dans le Midi ainsi qu’en Corse, lieux ni assez ombragés ni assez humides pour le muguet qui requiert des sous-bois de feuillus frais, des clairières, des prairies, pour s’y établir convenablement.

Le muguet en phytothérapie

D’aucuns disent que l’usage de cette plante est comparable à celui de la digitale. C’est assez inexact : la digitale est beaucoup plus délicate à manier et se réserve aux experts. Au contraire, il est plus aisé d’employer le muguet en phytothérapie même s’il est vrai qu’il n’est pas de ces plantes que l’on utilise couramment dans ce domaine. Rappelons, avant de poursuivre, que le muguet fut tout d’abord placé sous la houlette des empiriques qui, par leurs expériences et observations, lui permirent d’entrer au sein de la médecine officielle.
Dans toutes les parties de cette plante (rhizome, feuilles, fleurs), l’on trouve de l’asparagine, des acides (malique, citrique, chélidonique), ainsi que deux substances découvertes par Walz en 1858, la convallarine et la convallamarine, dernière substance très amère. La première des deux, par son action irritante sur l’épithélium rénal, est un diurétique puissant. Quant à la seconde, fragile et peu stable, elle possède néanmoins une propriété cardiotonique, réduisant le rythme des contractions cardiaques, mais en augmentant leur énergie, tout en déterminant une légère baisse de la pression artérielle. En plus de cela, le rhizome contient divers sucres et résines, mais contrairement aux feuilles et aux fleurs, pas d’essence aromatique, fleurs dans lesquelles se cache une autre molécule mise en évidence en 1929, la convallatoxine, beaucoup plus active que la convallamarine sur le muscle cardiaque et, partant, possédant une toxicité qu’il ne faut pas négliger puisque la dose létale est atteinte avec seulement 0,077 mg par kg. La convallatoxine, peu soluble dans l’eau mais très soluble dans l’alcool, nous montre l’importance des modes de préparation, toutes les substances n’étant pas identiquement entraînées par les différents substrats dans lesquels on plonge les fractions végétales.

Propriétés thérapeutiques

  • Cardiotonique puissant qui n’élève pas la pression artérielle
  • Antispasmodique
  • Sédatif
  • Diurétique
  • Purgatif, émétique (à hautes doses)
  • Sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : insuffisance cardiaque et valvulaire, asystolie, hyposystolie, arythmie, palpitations, angor, faiblesse cardiaque à la suite de maladies infectieuses (grippe, tuberculose), affections cardiaques en lien avec artériosclérose, néphrite, insuffisance thyroïdienne
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : douleurs rénales et vésicales, oligurie, néphrite chronique, cystite, douleurs rhumatismales, goutte
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : dyspnée, sinusite
  • Maux de tête, céphalée
  • Vertige
  • Insomnie
  • Maladie de Basedow

Note : l’homéopathie emploie une teinture qui se destine à diverses affections cardiovasculaires (endocardite aiguë et chronique, arythmie, insuffisance cardiaque, ralentissement du pouls), à l’hydropisie et aux intoxications à l’iode et à la nicotine.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles ou de fleurs fraîches.
  • Suc frais de feuilles.
  • Macération vineuse ou alcoolique de fleurs fraîches (dans la première catégorie, on peut ranger l’aqua aurea (eau d’or), macération dans du vin vieux de fleurs de muguet, de romarin et de lavande).
  • Teinture-mère.
  • Poudre de fleurs sèches (constituant un puissant remède dont le but est de faire éternuer).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles et les fleurs d’avril à mai.
  • Séchage : le muguet sera un remède efficace à la condition d’être bien séché et bien conservé. Les fleurs, si elles perdent leur parfum par la dessiccation, n’en restent pas moins sans saveur, laquelle est âcre, amère, nauséeuse, se communiquant à l’infusion aqueuse.
  • Toxicité : sans doute moins agressif que la digitale pourpre, le muguet est une plante dont il faut tout de même se méfier. Toxique dans toutes ses parties, ses effets sur l’organisme restent statistiquement bénins, observant le plus souvent diarrhée et vomissement dès lors que les doses émétiques et purgatives sont atteintes ; c’est en particulier le cas chez les enfants, sans doute captivés par les baies rouge vif du muguet. Les substances toxiques du muguet absorbées au niveau de l’intestin sont peu importantes, de l’ordre de 10 %, mais des doses particulièrement fortes ingérées par erreur ou confusion provoquent une importante diurèse, des engourdissements, des spasmes, un pouls irrégulier ayant tendance à s’accélérer, une faiblesse cardiaque, suivie d’une paralysie du muscle cardiaque, enfin le décès. Même à distance, le muguet peut causer des désordres, certes moins graves. C’est pourquoi on évitera de placer un bouquet de muguet dans une pièce, surtout si elle est fermée et qu’il s’agit d’une chambre à coucher : en effet, le parfum pénétrant des fleurs de muguet peut déclencher des céphalées, des spasmes, des convulsions, du délire, etc.
  • Aussi étrange que cela puisse paraître, l’odorante (parfois trop pour certaines personnes) fleur du muguet est qualifiée de muette par l’industrie de la parfumerie. Elle partage avec d’autres espèces (lilas, héliotrope, chèvrefeuille, buddleia, pois de senteur, tubéreuse, etc.) une caractéristique qui a fait s’arracher les cheveux aux professionnels du parfum, distillateurs en tête. Autrefois, comme on le fait encore du jasmin, on procédait à l’enfleurage du muguet, technique qui consiste à déposer une à une les fleurs sur une couche de graisse placée sur un cadre. Par contact, les molécules aromatiques sont fixées par la graisse. Ensuite, par lavage, on sépare la graisse de la fraction aromatique dénommée absolu. C’est un procédé long et coûteux qui fut abandonné au profit de la distillation par entraînement à la vapeur d’eau en alambic et de l’extraction par solvant. Mais là encore, l’opération s’avère peu fiable, la qualité de l’huile essentielle obtenue étant aléatoire, sans compter que les rendements sont plus qu’infimes. Cela n’a néanmoins pas empêché certains parfumeurs d’incorporer cette huile essentielle dans certaines de leurs compositions, qui furent rapidement délaissées vu la cherté de la matière première et, donc, sa répercussion sur le prix final du parfum. A cela s’ajoute le fait que la masse végétale de muguet disponible chaque année est limitée. L’on pourrait l’augmenter en procédant à une culture en grand, mais cette tentative s’est avérée décevante, le parfum de la fleur cultivée ayant peu à voir avec celui de la plante sauvage. Ainsi, aujourd’hui la plupart des parfumeurs faisant intervenir le muguet utilisent des produits de synthèse.
  • Confusions : il en est une physique ; le muguet ressemble assez à l’ail des ours, surtout quand ces deux plantes ne sont pas en fleurs. Le risque de se tromper est accru par un même biotope, occupé par l’une et l’autre de ces deux espèces. Mais si l’on a quelque peine à distinguer des dissemblances morphologiques à l’œil nu, sachons avoir du flair : une fois froissées entre les doigts, les feuilles de l’ail des ours dégagent un parfum aillé, alors qu’il est vireux et peu agréable chez les feuilles du muguet. L’autre risque de confusion est patronymique : les noms vernaculaires sont parfois trompeurs. Retenons que l’aspérule odorante se surnomme muguet des bois, le sceau de Salomon grand muguet et le maianthème petit muguet. C’est dans un cas comme celui-ci que la taxinomie binominale en latin est fort utile.

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Les urines : indicatrices de santé et remède

Qu’en Inde, l’urine des vaches sacrées soit, tout comme leur lait, également sacrée, est un exemple tout à fait typique, bien qu’il ne soit en aucun cas une généralité : un peu partout ailleurs, on s’en est remis à l’urine en tant que remède, une urine provenant tant des animaux que des êtres humains, et cela sans qu’elle ait une quelconque valeur sacrée. Quoi que si l’on interroge le caractère sacré du cerf chez les Celtes, on pourrait en déduire que son urine – remède hépatobiliaire, gastrique et détersif des ulcères – relève aussi d’une dimension religieuse, l’animal incarnant une puissance devant nécessairement agir davantage que celui qui passe pour tout à fait anodin.

En Égypte antique, l’on faisait déjà grand cas de l’urine : un « pharaon n’a recouvré la vue qu’en se lavant les yeux avec l’urine d’une femme qui n’avait eu de commerce qu’avec son mari et n’avait pas connu d’autres hommes » (1). Autant dire que la pureté de l’urine en question était plébiscitée afin d’être la plus efficiente possible. En Chine, l’on faisait appel à l’urine de jeune enfant : sans doute la pharmacopée traditionnelle chinoise imaginait-elle fort à propos qu’un tel produit était moins corrompu, une croyance qui s’est transposée jusqu’en Europe occidentale, au XVI ème siècle, où l’on élaborait le baume d’urine, considéré comme un remède universel, autrement dit une panakeia : « elle guérit l’hydropisie, la suppression de l’urine et des règles, empêche la corruption, guérit la peste, les fièvres de toute nature, putrides, tierces, quartes, quotidiennes ; elle arrête les vomissements et les nausées bien que parfois elle provoque elle-même les vomissements » (2). Mais qu’est-ce qu’un petit vomissement de rien du tout dès lors qu’on est assuré, non pas d’être prémuni de la peste, mais d’en être guéri ! En ces siècles qui accusent n’importe qui de bouc émissaire (l’excuse facile), que ne fait-on pas pisser illico presto de jeunes gens bien portants directement dans l’athanor pour ce faire !???

Ainsi, pour en revenir aux Indes, l’on mêlait différentes substances issues des vaches sacrées (lait, petit-lait, excrément, urine) pour composer un remède contre la jaunisse. De même que l’urine, l’attrait pour les fientes de différents animaux n’est pas rare au sein des pharmacopées antiques, comme cela fut le cas chez les Grecs, entre autres, où l’on professait déjà au sujet des excréments animaux. Aussi, pourquoi ne pas jeter un coup d’œil du côté de leurs urines ? C’est ce qu’a fait Dioscoride, compilant, au sein d’un même chapitre, les vertus thérapeutiques des urines, qu’elles soient animales ou humaines, sans pour autant qu’il ressorte, dans ses écrits, une quelconque dimension sacrée (à son époque, cela fait déjà quelques siècles que la médecine cherche à se détacher de la magie et de la religion). Par exemple, l’urine de sanglier, de même que celle de chèvre, avait une propriété lithontriptique ; celle de chèvre encore, ainsi que celle de taureau, permettait d’apaiser les douleurs auriculaires ; enfin, celle d’âne corrigeait les troubles rénaux. Quant à l’urine humaine, elle se prêtait à divers protocoles : l’on distinguait déjà celle des enfants (comme remède anti-asthmatique et cicatrisant) de celle des adultes qui n’avait pas moins de réputation comme l’on peut maintenant en juger : morsures de vipères et de chiens, piqûres de scorpions et de « dragons marins » et autres « venins mortifères ». De plus, elle était efficace contre l’hydropisie à ses débuts, la gale et ses démangeaisons, les ulcères du chef et des organes génitaux. Sa propre urine se révélait être aussi la meilleure automédication (ou presque), ce qui, sans doute, donna naissance à une coutume fort curieuse que je partage ci-après : « pour qu’il ait bonne mine toute sa vie, on débarbouille un nouveau-né avec le premier lange qu’il a souillé de son urine » (3). Ce qui n’est pas forcément agréable, mais le nourrisson doit subir cette épreuve, de même que le choix de son prénom (que ne doit-on pas supporter dès nos premières heures ! Si le petit d’homme était, dans sa prime jeunesse, aussi leste et agile que le chevreau qui vient de naître, peut-être se tiendrait-il éloigné du lange humide de sa propre urine, et sans doute ne chercherait-on pas à lui mettre, malgré lui, le nez dans son caca, au prétexte que ça porte bonheur. Une vertu inventée, après coup, pour justifier l’acte du grand d’homme, sans doute…).

Le Moyen-Âge ne faillit guère, perpétuant ces antiques prescriptions urinaires : l’on trouve, dans le Grand Albert, un paragraphe spécialement dédié à ce sujet : « Des vertus de l’urine […] : Quoi qu’on ait naturellement de la répugnance à boire de l’urine, cependant si quelqu’un en boit d’un jeune homme qui sera en parfaite santé, il doit être assuré qu’il n’y a point de remède plus souverain au monde » (4). Elle constituait un remède contre la teigne, les ulcères et les plaies, Jean de Gaddesden allant jusqu’à proférer que s’en laver serait un bon préservatif face à la vérole, formidable secret qui a dû tomber dans l’oreille d’un sourd tant la vérole fit des ravages en Europe durant de longs siècles…

Il est difficile d’établir si telle ou telle urine est véritablement le remède idoine face à la foule d’affections abordées ci-dessus. En revanche, ce qui saute aux yeux, c’est que, au sujet de la seule urine humaine, elle doit impérativement provenir soit d’un enfant, soit d’un adulte en excellente santé, c’est-à-dire d’un individu qui soit le plus proche de l’état idéal. Les Anciens ignoraient ce qu’était le pH, mais ils semblent avoir fait la déduction qu’à l’évidence l’urine d’un homme dont les mœurs sont corrompues ne peut exceller comme remède, s’étant, depuis le jour de sa naissance, écarté de la valeur originelle de son urine dont le pH est neutre : 7 (environ). Puis, en fonction du mode de vie et de ses aléas, cette valeur est amenée à changer : une urine au pH trop acide (5) donne un indice sérieux sur un état cancéreux par exemple. Ainsi, « l’urine produite et déversée est donc le miroir du terrain cellulaire profond » (5). Il n’est donc pas étonnant qu’auparavant on ait désiré analyser les urines en les mirant pour rendre compte à quel point un patient pouvait être intoxiqué par ce que l’on appelait le tartre au temps de Schroder, une substance encrassant la machinerie de l’homme et décelable dans son urine.

C’est une très ancienne technique que de mirer les urines. Utile mais non indispensable cependant : l’examen de l’état général du malade et l’auscultation de son pouls passaient avant. Elle permettait de poser un diagnostic ainsi qu’il était réalisé en Égypte et en Assyrie en des temps très reculés. Plus récemment, cette méthode citée par Hippocrate (qui ne rechignait pas à prendre le rôle du mireur), se scinde en deux fractions : l’uroscopie, c’est-à-dire l’examen proprement dit, et l’uromancie, correspondant à la divination médicale, ce que professe avec aplomb Renart dans le Roman : « Apportez-moi un urinal et je verrai dedans le mal ! », s’exclame-t-il, alors que d’autres, plus soucieux et moins désinvoltes, alliaient uroscopie et astrologie (Thurneysser, Nostradamus, etc.). L’urinal ou matula était un vase en verre le plus transparent qui soit afin que l’examen uroscopique soit le plus fidèle possible. C’était un objet médical dont on prenait le plus grand soin, avant même qu’il n’accueille l’urine d’un malade, ainsi qu’après, afin de soustraire le liquide « urinoraculaire » de l’injure des rayons du soleil, de la froidure, du vent, des poussières, etc., afin qu’il ne se gâte point avant examen, ce qui en fausserait nécessairement le résultat au cas contraire. Une fois l’urine savamment obtenue et hermétiquement mise à l’abri, l’heure de l’examen en tant que tel approchait. On observait plusieurs critères d’analyse des urines :

  • La couleur : blanche, jaune d’or, safran, rouge, pourpre, vineuse, verte, noire, etc., chacun d’elles se divisant en une multitude de tonalités ;
  • La consistance : épaisse, trouble, moyenne, subtile ;
  • L’odeur ;
  • Le goût (si, si !) ;
  • Les dépôts, c’est-à-dire les éléments contenus dans l’urine « qui ont une substance, une quantité et surtout une position variable dans le vase suivant l’affection causale » (6). Comme nous le voyons sur le schéma ci-dessous, l’urinal est divisé en onze niveaux jouant la fonction de règle graduée : selon que ces éléments sont situés des niveaux 1 à 4, l’on a affaire aux hypostases, puis aux sublimia ou enoeremata du 6 au 8, enfin aux nubes ou nuées aux niveaux 10 et 11 (les niveaux 5 et 9 ne servent que de bornes à ces trois catégories) ;
  • La couronne : il s’agit de la surface de l’urine dont on analyse l’écume et les bulles qui la forment.

Après examen minutieux et recueil des informations, l’on parvenait à déduire de quoi souffrait le malade et, par conséquent, une curation pouvait être envisagée. Mais cet examen pouvait aussi révéler des états n’ayant que peu de rapport avec la maladie au sens large : au XVI ème siècle, à l’aspect des urines d’une femme, l’on était capable, dit-on, de déterminer si elle était grosse ou pas : « Si elles sont blanches et claires, mêlées de petits atomes, quand au-dessus il apparaît une petite nuée semblable à l’arc-en-ciel ou de couleur opale, s’il y a quelque nuage au fond, lequel remue et s’épanouit en petits flocquets comme coton cardé, si sur la fin l’urine est épaisse et rougeâtre, à cause de la longue rétention de ses mois, c’est que la femme est grosse » (7). Outre cela, à la fin du siècle précédent, on lisait, dans le Regimen sanitatis salernitanum, ceci : « Quand tu verras l’urine grande et claire comme eau signifie virginité d’une jeune fille ». D’un extrême à l’autre, l’on constate de pléthoriques détails d’une part, un laconisme lapidaire de l’autre. Ainsi, mirer les urines était-il un bon moyen de démasquer la pécheresse et de vérifier si telle ou telle jeune fille bonne à marier possédait toujours un hymen intact. Pour s’assurer de la virginité de sa future femme, l’on pouvait la faire uriner dans un instrument qui, comme son nom l’indique, ne sert qu’à cela, c’est-à-dire l’urinal dont la limpidité cristalline est censée prévenir le moindre trouble…

Cette technique, qui apparaît rigoureuse parce que codifiée, commencera par être contestée dès le XV ème siècle, mais ne sera pas, pour autant, abandonnée dans le même temps puisque les médecins mireront les urines jusqu’au XVIII ème siècle. Cependant, l’abandon progressif de l’uroscopie laissa libre ouverte la porte à l’uromancie, le plus souvent à l’initiative de charlatans qui se faisaient parfois appeler « uromantes ». Si ceux-ci se contentent « de mirer les urines, avec la satisfaction du devoir accompli » (8), assurant d’emplir leurs poches en vidant celles de leurs clients, le maître-mire, lui, « aveuglé par des siècles d’obscurantisme et de scholastique, ouvre enfin les yeux, s’abandonne à l’esprit de libre examen » (9), ce qui fait le beau jeu des charlatans qui, un peu partout en France, et ce jusqu’au XIX ème siècle, se rencontrent encore çà et là, surtout à la campagne, acquérant parfois une grande réputation.


  1. André Soubiran & Jean de Kearney, Le petit journal de la médecine, p. 29.
  2. Ibidem, p. 233.
  3. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 232.
  4. Grand Albert, p. 167.
  5. Roger Castell, La bioélectronique Vincent, p. 172.
  6. André Soubiran & Jean de Kearney, Le petit journal de la médecine, p. 159.
  7. Ibidem, pp. 250-251.
  8. Ibidem, p. 195.
  9. Ibidem, p. 276.

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Les lyciets (Lycium sp.)

Les fleurs du lyciet de Chine (Lycium chinense)

Au cœur d’un fragment littéraire qui se trouve être le plus anciennement connu (il a au moins 4000 ans), l’on apprend que le personnage principal, le héros Gilgamesh, est mis dans le secret au sujet d’une plante accordant l’immortalité. Mes souvenirs ne sont pas nets au sujet de cette plante même si je me rappelle assez bien de L’épopée de Gilgamesh dans son ensemble. Vu l’âge fort respectable de ce texte, il est bien possible que cette plante d’immortalité n’en soit pas une au sens où nous l’entendons, s’apparentant davantage à ces « plantes » mythiques que sont le soma védique, le moly homérique et l’ambroisie olympienne. Si je vous barbe avec Gilgamesh, c’est justement parce que cette soi-disant plante est nommée ainsi : Lycium. Ce qui nous rapproche du sujet du jour. On y accorda tant d’importance semblerait-il que 2000 ans plus tard environ on évoquait toujours fiévreusement quelque chose de concordant. Bien que Théophraste, Dioscoride et Pline nous honorent de descriptions d’arbustes épineux au sujet desquels l’on se perd en conjectures concernant leur exacte identité, l’on pense (pourquoi pas ?) au lyciet parce que, d’après Pline, un de ces arbustes permettait d’élaborer le médicament connu sous le nom de lycium. Mais, ô combien il est facile de « reconnaître » le lyciet dans cet antique lycium sachant que c’est de ce terme dont le nom même actuel de la plante est issu, nom latin remontant au grec comme souvent : lukion ou lykion, « nom d’un arbuste épineux à feuilles de buis qui semble avoir été un nerprun et qui était, au dire de Dioscoride, très abondant en Lycie » (1), région d’Asie mineure. Et, d’ailleurs, au premier livre de la Materia medica, au chapitre 119, l’on croise bien un lycium, mais ce qu’en dit Dioscoride nous fait forcément abandonner tout espoir d’y reconnaître le lyciet : « Il fait son fruit semblable au poivre, noir, amer » (2). Bref, si B naît de A, on se demande bien comment A pourrait être issu de B. Prenons donc garde de ne pas placer la charrue avant les bœufs, au risque de ne plus avancer. En revanche, pour dépasser et tenter de s’extraire de ce bourbier, sachons, apprenons avec la reconnaissance qui lui est due, que, selon le docteur Leclerc, le lyciet était à la base de ce lycion des Anciens, un remède réputé contre les affections oculaires. Focalisons-nous là-dessus, ça sera déjà pas mal. Oui, élargissons notre esprit tant il est vrai que les œillères, c’est comme les branches de lunettes trop serrées, à la longue ça fait mal.

A des milliers de lieues de là… au cœur d’un immense territoire qui ne s’appelle pas encore la Chine… l’on établit, dès le premier siècle après J.-C. des observations forts doctes au sujet de certaines plantes assez semblables entre elles, regroupées sous le nom générique de gouqi. C’est ainsi que le Shen’nong Bencaojing affirme que ce gouqi est amer et froid, qu’il fortifie les tendons et freine le vieillissement. Et, au dire des médecins taoïstes, c’était bien une drogue d’immortalité, un exceptionnel tonique capable de prolonger la vie au-delà de ses limites habituelles, une croyance aussi fondée que l’airain, qu’un médecin plus tardif, Li Che-tchen (1518-1593), sorte d’Hippocrate asiatique, partagera de nouveau dans le Pen-ts’ao kang-mou, disant que celui que nous pensons être le lyciet était tout à fait capable d’allonger l’espérance de vie et de confiner à l’immortalité, terrestre du moins… Plus prosaïquement, aujourd’hui, la médecine traditionnelle chinoise énonce que le lyciet est un utile « traitement pour calmer l’esprit, nourrir le sang, tonifier le Yin et fortifier le Yang, améliorer la mémoire, fortifier les tendons et les os » (3). Ailleurs, l’on apprend que ce même lyciet chinois revêt une grande importance comme remède oculaire : nous avons bien fait de les ouvrir grands, les yeux.

Alors que je venais de terminer le plus gros de cet article, ne me restant plus que la partie que j’écris présentement, au détour d’un jardiner rencontré au hasard des rues qu’empruntèrent mes pas, je tombais nez à nez avec un arbuste dont je me suis dit : « Cette plante pourrait tout à fait être un de ces lyciets sur lesquels je travaille en ce moment. » Qu’est-ce qui a bien pu me faire penser une chose pareille ? Une taille assez petite. Ici, s’agissant d’un spécimen cultivé, il est possible qu’une taille régulière le réduise à un port moins vaste qu’à l’état sauvage où ses rameaux réclinés atteignent avec facilité trois à cinq mètres de longueur. Grêles, nus et un peu épineux, ces rameaux d’apparence fragile portent des feuilles composées (mais il s’agit là d’un trompe-l’œil, ces feuilles étant en réalité fasciculées) qui m’ont donné l’impression d’avoir affaire à un jasmin, si ce n’était, ici, la forme et la couleur des fleurs déjà visibles (4). Les fleurs, solitaires, émergent de l’aisselle des feuilles : typique des Solanacées, elles forment une pièce florale unique à cinq divisions et cinq étamines et arborent une couleur que je qualifierais de violacé ou bleuâtre cendré. Fructifiant dès la fin de l’été jusqu ‘au cours de l’automne, le lyciet forme des baies charnues allongées en forme de minuscules aubergines, dont la couleur varie entre l’orange et le rouge plus ou moins foncé.
En Europe, on rencontre plusieurs lyciets dont certains sont indigènes (Lycium europaeum et barbarum), d’autres importés (Lycium chinense). C’est pourquoi l’on peut croiser des lyciets en région parisienne, bien qu’en général ces arbustes soient plus souvent endémiques aux régions du pourtour de la mer Méditerranée, de l’Europe méridionale et de l’Asie occidentale.
Le lyciet est, tout comme la morelle douce-amère, une plante appréciant de vivre dans les haies, à l’abord des jardins, au pied des vieux murs, sur les décombres, en bordures de chemins, etc.

Lyciet de Barbarie (Lycium barbarum)

Le lyciet en phytothérapie

Qui connaît le lyciet et, mieux encore, ses implications et applications dans le domaine de la phytothérapie ? C’est un végétal à l’histoire déjà fort ancienne qui a été pendant un laps de temps conséquent complètement occulté et qui partage avec l’éphédra bien des points communs quant à cette relation entretenue avec l’homme. Rappelons-nous de quelques éléments : de même qu’il existe plusieurs éphédras, on croise dans la nature différentes espèces de lyciets qui ont été, en l’occurrence, usitées tant en Europe occidentale qu’en Asie durant l’Antiquité. Inscrits dans une temporalité identique, se distinguent néanmoins des façons d’user de ces plantes fort différentes selon qu’on est Asiatique ou Européen. C’est ainsi qu’en Europe, on s’est principalement préoccupé des feuilles du lyciet qu’on avait sous la main (soit probablement Lycium europaeum et Lycium barbarum), alors que la Chine a mis avant tout à l’honneur les baies du Lycium chinense. On comprend dès lors que la mise en application de parties végétales différentes de plantes cependant fort proches puisse favoriser l’obtention d’effets thérapeutiques dissemblables, d’où la difficulté de superposer les données européennes et asiatiques : en ce cas, juxtaposons-les !
Du fait de sa parenté avec la belladone (le lyciet appartient à la famille botanique des Solanacées), l’on a cru voir dans les tissus du lyciet un alcaloïde de nature mydriatique connu sous le nom de lycine, mais en réalité, contrairement à ce qui se disait autrefois, il s’avère que non. En tous les cas, ce dont on est certain, c’est que les feuilles du lyciet utilisées en phytothérapie occidentale contiennent divers sucres, de la choline, du tanin (8 %), un hétéroside azoté. Peu étudié, comme le montre la brièveté de cette liste de quelques composants, le lyciet européen peut pâtir de ce que les baies de son cousin asiatique attirent depuis quelques décennies l’enthousiasme des chercheurs et des scientifiques en général. Ces baies, une fois bien mûres, sont constituées de : polysaccharides, flavonoïdes, caroténoïdes, acides phénoliques, physaline (principe amer), acides aminés. Si l’on se penche du côté des sels minéraux et oligo-éléments, nous trouvons du potassium, du calcium, du phosphore, du cuivre, du fer, du zinc, du sélénium et du géranium. Côté vitamines, ces baies sont bien fournies, à tel point qu’on a voulu leur attribuer un taux de vitamine C pléthorique afin de tenter d’en faire un « super aliment » qu’elles ne sont pas, n’affichant pas plus d’acide ascorbique que l’orange ou le citron. En revanche, ses vitamines B1, B2, B6 et E ne sont pas le fruit de l’imagination de quelques-uns qui cherchent à faire passer les vessies pour des lanternes. Notons enfin la présence d’acides gras (palmitique, myristique, linoléique) et d’essence aromatique dans ces baies. En Chine, l’on n’utilise pas comme en Europe les feuilles du Lycium chinense, mais sa racine dans laquelle ont été découvertes les substances suivantes : des acides (cinnamique et psyllique) et des alcaloïdes (kukoamine, lyciumine).
Pour finir, je pense qu’on sera un peu surpris d’apprendre que les baies du lyciet (tant Lycium chinense que Lycium barbarum) portent, dans le commerce, le nom de… goji.

Propriétés thérapeutiques

  • Les feuilles : antispasmodiques, modératrices du parasympathique, diurétiques, expectorantes, purgatives, abaissent la pression carotidienne
  • Les baies : toniques, toniques rénales, toniques hépatiques, hépatoprotectrices, antidiabétiques, abaissent la glycémie, les triglycérides et le taux de cholestérol, facilitent l’absorption des nutriments par les cellules, anti-oxydantes (5)
  • Les racines : fébrifuges, hypotensives, stimulantes du système nerveux parasympathique

Usages thérapeutiques

  • Les feuilles :
    -Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux quinteuse, toux spasmodique et coquelucheuse, coqueluche, irritation laryngée (typique chez les orateurs)
    -Troubles de la sphère gastro-intestinale : hypertonie et hyperkinésie gastriques
    -Troubles de la sphère génitale : dysménorrhée, prostatisme
  • Les baies :
    -Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux chronique
    -Affections oculaires : éblouissement, cataracte, vision floue
    -Sensation de vertige, bourdonnement d’oreilles
    -Faiblesse rénale
  • Les racines :
    -Troubles de la sphère respiratoire : toux, sifflement asthmatique
    -Hémorragies : saignement de nez, vomissement de sang
    -Permettent de « rafraîchir » le sang lors de fièvre, de soif liée à un état fébrile, d’irritabilité, de transpiration, etc.

Modes d’emploi

  • Avec les feuilles : infusion, décoction, teinture-mère.
  • Avec les baies : macération alcoolique ou vineuse, décoction.
  • Avec les racines : décoction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Goji = lyciet = Solanacées. Aïe ! Certains expliquent la réticence qu’ils ont envers la baie de goji (mais, curieusement, pas envers l’aubergine) pour une question de solanine, cette même substance que l’on rencontre dans la tomate non mûre ou bien dans les germes de la pomme de terre. Or cette solanine concerne des baies non encore parvenues à un stade de parfaite maturité. Et donc inconsommables en l’état. De même qu’on ne mangerait pas une tomate immature, le principe d’ultra précaution dont certains semblent faire preuve apparaît bien superflu, puisque, comme l’on sait, plus une tomate mûrit et plus elle perd sa solanine. Il en va de même des baies de goji qu’un improbable serpent de mer (qui n’est, en réalité, qu’un minuscule vermisseau) éloigne d’intentions plus louables. Mais, las, autre accusation : ces baies contiendraient de l’atropine, ce qui en ferait des concurrentes sérieuses du datura stramoine et de la belladone ! Ridicule et farfelu, bien entendu, car encore faut-il en considérer les proportions qui sont plus qu’infimes. Délivrer une information est tout à fait honorable, ce qui l’est moins c’est de l’amputer d’une fraction permettant de comprendre qu’il n’y a pas autant de danger qu’on voudrait bien le faire croire concernant les baies de goji. Tenez, par exemple, ce formidable rénovateur de la phytothérapie que fut le docteur Henri Leclerc ne se préoccupait pas des baies de goji (le mot même n’existait pas encore à son époque ayant été forgé bien plus tard), mais avant tout des feuilles du lyciet européen. Il a pu observer qu’à faible dose ces feuilles ne causaient aucun incident, mais qu’à des doses bien élevées – et donc inadaptées – la plante devenait potentiellement toxique, possédant sur le muscle cardiaque une action semblable à celle de la belladone, ainsi que sur les pupilles, bien que moins énergiques que la « morelle furieuse ». C’est donc, à l’endroit des baies de goji un procès bien inutile, et cela parce qu’étiquetées « Solanacées ». En ce cas, autant partir en courant à la vue d’une tomate. Mais si l’on s’en souvient bien, les simagrées par lesquels on a fait passer la tomate il y a cinq siècles à son arrivée sur le sol européen rappellent un peu cette obsessionnelle prudence qu’ont pu observer certains face aux baies de goji. A moins qu’il ne s’agisse là d’une raison tout autre parce qu’inavouable. Allez savoir, l’homme est bizarre, souvent.
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 590.
    2. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 119.
    3. Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 114.
    4. On donne la floraison du lyciet de juin à juillet, mais selon les localités, le lyciet est plus ou moins précoce et peut même fleurir toute l’année en des zones particulièrement privilégiées comme c’est fréquemment le cas du romarin par exemple.
    5. Sans être exceptionnelles pour autant, tout au plus se placent-elles au même niveau que la pomme et le chou rouge. En guise de comparaison, les feuilles de thé possèdent un pouvoir anti-oxydant dix fois supérieur. C’est donc un jugement à nuancer, d’autant que la quantité de baies de goji à ingérer pour satisfaire un potentiel anti-oxydant correct est si dispendieuse qu’il est préférable d’opter pour des végétaux moins onéreux et beaucoup mieux garnis en principes anti-oxydants que le goji. De plus, l’aliment anti-oxydant unique n’est qu’un mythe…

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Les fameuses baies de « goji » provenant tant du lyciet de Chine (Lycium chinense) que du lyciet de Barbarie (Lycium barbarum)

Le sisymbre (Sisymbrium officinale)

Synonymes : vélar, erysimum, sinapi, moutarde des haies, julienne jaune, tortille, tortelle, barbarée, herbe au chantre.

Plante aujourd’hui assez méconnue, le sisymbre possédait autrefois une réputation bien plus étendue. Son nom grec, sisymbrion, désignait avant tout le cresson et certaines autres plantes dont probablement une menthe. C’est sous le terme d’erysimon qu’en parlent Théophraste et Dioscoride, bien qu’il soit difficile d’affirmer avec certitude que cet antique erysimon puisse être le sisymbre, quoi qu’en pense Matthiole qui, lui, en est assuré. Cela n’est sans doute pas de la même plante dont il s’agit, mais l’on ne s’est guère trompé au sujet de son renom, erysimon signifiant, justement, « estimé », un égard dont Pline nous explique que les Celtes de son temps usaient de cette plante pour les mêmes raisons qu’on le fait encore à l’heure actuelle, c’est-à-dire pour remédier aux affections des voies respiratoires telles que catarrhe pulmonaire et toux persistante. Encore que Pline ne l’appelle pas erysimon, mais vela, un mot latin qui se transformera en velarum durant le Moyen-Âge, jusqu’à donner le moderne vélar, un mot qui oblige parfois à chercher le sisymbre à la lettre V, quand ce n’est pas à la lettre E, comme erysimum ! De multiples appellations et d’hasardeuses attributions expliquent qu’on puisse pédaler un peu dans la choucroute au sujet d’une plante largement confondue avec d’autres durant le Moyen-Âge : durant ce laps de temps, rien ne permet de dire que le sisymbre alias vélar s’est distingué d’une manière ou d’une autre. Il faut dire qu’alors l’on n’a pas encore mis le doigt sur ce qui caractérise vraiment le sisymbre et qui lui a fait mériter le surnom d’herbe au chantre : même Matthiole en 1554 n’en dit rien, se contentant d’apporter peu d’informations (il indiquait les graines de cette plante contre les pertes séminales et les lithiases rénales). En tous les cas, la réponse ne proviendra pas d’Italie, mais de France, émanant tant de Matthias de l’Obel que de Jacques Daléchamps au XVI ème siècle : on fait alors l’éloge du sirop de sisymbre contre l’aphonie et l’enrouement, chose bien profitable aux orateurs, aux prédicateurs et aux chanteurs, d’où l’expression « herbe au chantre », le chantre appartenant à un chœur liturgique. Au siècle suivant, dans sa correspondance avec Nicolas Boileau, Jean Racine explique les bienfaits du sisymbre, évoquant « le cas d’un chantre de Notre-Dame à qui un rhume avait fait perdre la voix et que se tira d’affaire en trois semaines, grâce à une tisane » de sisymbre (1). Le sirop de sisymbre restera fort usité jusqu’au XVIII ème siècle, mais « on l’a abandonné dans la médecine urbaine comme tant d’autres préparations utiles, pour le remplacer par de moins efficaces et d’un prix beaucoup plus élevé. Ne vaudrait-il pas mieux, en effet, s’interroge Cazin, lui rendre sa place dans nos officines plutôt que d’y perpétuer les dépôts coûteux des sirops […] et de tant d’autres productions accréditées par les annonces de l’industrialisme, que la crédulité accueille toujours avec empressement et dont on fait ensuite usage autant par habitude que par conviction ? » (2). C’est, ma foi, fort dommage. Cependant, d’autres, bien après Cazin, surent tirer parti du sirop de sisymbre et pour des raisons autres que la volonté farouche de lutter contre la pléthore de médicaments parfaitement inutiles dont un grand nombre est encore vendu en pharmacie à l’heure où je vous parle : Henri Leclerc explique qu’il a « connu un vieil officier de santé dont c’était une des prescriptions favorites : il affirmait en obtenir des résultats merveilleux, notamment chez son épouse sujette à une laryngite qu’entretenait un inexorable bavardage : « C’est, disait-il, une méthode précieuse : pendant qu’elle déguste son sirop, ma femme se tait et j’échappe à ses discours, double action dont bénéficient également ses cordes vocales et mes tympans » (3). L’on peut dire du sisymbre qu’il est parfois un remède auriculaire indirect ! ^_^

Brassicacée vivant un à deux ans, le sisymbre est composé d’une tige rude et velue, sur laquelle s’articulent des rameaux tout aussi raides formant parfois par rapport à la tige des angles de 90°, ce qui lui donne un peu l’allure d’un écouvillon passé sous les lames d’une tondeuse : le cheveu rare et ébouriffé, le sisymbre dégingandé se reconnaît donc assez facilement, d’autant que ses feuilles pétiolées, vert sombre bleuâtre, voire glauques, sont dites « roncinées pinnatipartites ». Ah, ah ! Je vous l’accorde, la botanique, c’est comme la jungle : un enfer. En gros, cela signifie que les feuilles inférieures du sisymbre, composées et profondément découpées, sont constituées de cinq à onze lobes, dont le terminal est plus ample que les autres. Les supérieures, elles, n’en font pas tout un foin, elles sont justes hastées. C’est qu’on ne peut pas, en toute chose, faire son intéressant, sans quoi l’on s’épuise. Cette modestie, on la rencontre chez les fleurs jaunes et minuscules du sisymbre. Formant des grappes terminales au bout des rameaux perpendiculaires, ces fleurs à quatre pétales ne jouissent cependant pas de la masse d’un grand nombre, puisque la floraison, progressive, s’accompagne de la fructification des fleurs les plus anciennes. Ainsi, les petits bouquets de fleurs du sisymbre n’ont rien de comparable avec les lourdes grappes du lilas, c’est pourquoi on les remarque peu malgré une floraison qui s’étend de mai à septembre, puis une fructification élaborant des siliques trapues, assez courtes (15 à 20 mm), qui, elles, paraissent frileusement appliquées contre les rameaux, contrairement à ceux-ci qui, nous l’avons dit, s’éloignent de l’axe principal pour former chandelier.
Le sisymbre est une plante présente partout en Europe et en Asie occidentale ; en France, elle est absente des zones montueuses et méridionales. A la fin du XIX ème siècle, on la disait très commune partout, voire surabondante. Un siècle plus tard, elle était tout juste assez fréquente. Pourtant, c’est une plante qu’on croise particulièrement là où l’homme répand son activité : bordures de champs et de chemins de campagne, terrains vagues, décombres, haies, pieds des vieux murs… Mais l’on peut avoir une petite idée sur les raisons qui font reculer des plantes autrefois si fréquentes telles que le coquelicot et le bleuet, pour ne prendre que des exemples emblématiques.

Le sisymbre en phytothérapie

Très fréquent, bien connu, mais néanmoins peu étudié, le sisymbre est de ces plantes qu’on utilise sans véritablement savoir quels principes actifs les animent. Par sa saveur âcre et piquante, le sisymbre se rapproche de ses cousines, autres Brassicacées médicinales, que sont le cresson, l’alliaire, le raifort et la cochléaire. D’ailleurs, il doit cette âcreté à la présence de glucosinolates dans ses tissus et son piquant par une essence sulfo-azotée typique des Brassicacées. On lui connaît aussi une intéressante proportion de vitamine C.

Propriétés thérapeutiques

  • Expectorant, activateur des sécrétions pharyngées, laryngées et bronchiques, antispasmodique des voies respiratoires, antalgique et anti-inflammatoire des voies respiratoires supérieures
  • Diurétique
  • Antispasmodique des voies biliaires
  • Stimulant
  • Rubéfiant (par ses graines)
  • Antiscorbutique (par ses graines)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : inflammation douloureuse de la gorge, sécheresse pharyngée, pharyngite, laryngite, enrouement, aphonie, extinction de voix, toux, trachéo-bronchite, bronchite chronique, catarrhe pulmonaire, amygdalite chronique
  • Troubles de la vésicule biliaire : cholécystite, lithiase biliaire (4)
  • Ulcère sordide
  • Scorbut, stomacacé (mauvaise haleine causée par une ulcération scorbutique de la bouche)

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles ou de la plante entière.
  • Décoction de semences.
  • Suc de feuilles fraîches.
  • Teinture-mère.
  • Sirops : le plus simple, c’est son nom, se compose de sisymbre et de réglisse ; le composé est complexe, c’était celui du Codex, on y trouvait : sisymbre, bourrache, chicorée, aunée, capillaire de Montpellier, anis vert, romarin, lavande officinale, lavande stoechade, réglisse, orge mondée, raisins secs, miel, etc.

Note : l’infusion et le sirop de sisymbre se doivent d’être avalés par petites gorgées, comme si l’on suçotait un bonbon, afin de bien étendre l’action sur la gorge, chose peu possible si l’on avale l’une ou l’autre d’un seul trait.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la période de récolte du sisymbre s’étale de mai à septembre ; durant ces mois, l’on cueille soit les feuilles, soit la plante entière coupée au-dessus du sol.
  • Séchage : il est possible de faire sécher les feuilles ou la plante entière puis de les conserver à l’abri de la lumière. Cependant, la dessiccation fait perdre énormément de ses propriétés au sisymbre, bien que son caractère moins succulent que le cresson, par exemple, fait que, parmi les plantes médicinales de la famille des Brassicacées, le sisymbre est celui qui pâtit le moins de cette déperdition thérapeutique. Le meilleur compromis reste encore le sisymbre fructifié desséché, c’est-à-dire une plante que l’on cueille à un état de maturation avancée, aux mois d’août et de septembre.
  • Les jeunes feuilles du sisymbre sont comestibles crues comme cuites et se prêtent à bien des manières de les apprêter.
  • Autres espèces : le vélaret (Sisymbrium irio), le vélar sagesse (Sisymbrium sophia), etc.
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    1. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 252.
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 976.
    3. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 253.
    4. Le sisymbre « supprime en effet le réflexe tendant à leur expulsion et par là entraîne la disparition du syndrome douloureux », Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 253.

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Les pierres de foudre

Bien avant qu’Antoine de Jussieu (1686-1758) et Nicolas Mahudel (1673-1747) ne vinssent y mettre bon ordre, une riche et très ancienne tradition s’est, en de nombreux endroits sur Terre, attachée à faire valoir les prestigieux pouvoirs des pierres de foudre qui, bien que moins connues que les bézoards, semblent, du point de vue de leurs propriétés, largement les dépasser.

Mais quelles sont-elles ces pierres qu’on dit de foudre ? Au contraire des pierres dressées (cairns, bétyles, mégalithes, etc.), les pierres de foudre sont des pierres tombées, sinon des régions divines, en tous les cas des inaccessibles hauteurs célestes. Bien qu’on les ait ramassées à même le sol et qu’il n’est même pas possible d’affirmer que d’aucuns aient pu témoigner de leur chute, les origines des pierres de foudre forcent l’imaginaire humain depuis bien longtemps. Soi-disant apportées par la foudre, le tonnerre et/ou la pluie, on les dit aussi charriées par le vent et engendrées par le choc des nuages (1). Si on les a parfois considérées comme spontanément nées du sol, il est plus spectaculaire d’affirmer qu’elles sont le résultat d’un mouvement d’humeur d’un dieu qui, tel Taranis ou Zeus, tient la foudre en main et qu’elles naissent précisément là où la foudre frappe le sol terrestre. D’ailleurs, ces pierres de foudre tirent leur autre nom, céraunie, du keraunos de Zeus, c’est-à-dire cette fourche d’éclair jouant aussi, avec ses deux bords tranchants, le rôle de la hache (cf. illustration ci-dessous). La relation de ces pierres aux divinités n’est pas anodine, ce qui tombe (ou est censé tomber) des régions célestes participe à la sacralité ouranienne. Ces pierres, bien moins que d’autres, « ne sont pas des masses inertes ; pierres vivantes tombées du ciel, elles demeurent animées après leur chute » (2).

Que déduire d’une pierre associée au tonnerre, à l’éclair et à la foudre ? Elle embrasse des symboliques puissantes qui font d’elle le canal de l’étincelle, de l’intuition et de la communication spirituelle soudaines, de la puissance illimitée de l’esprit. En tant que théophanie, la pierre de foudre témoigne de l’œuvre divine qui façonne et fertilise, symbole de l’action transformatrice du Ciel sur la Terre. Cet aérolithe, « c’est comme une étincelle du feu céleste, une graine de divinité, descendue sur la terre » (3), une « fiente d’étoile » ainsi que l’on considérait le quartz au Pays basque.

Qu’on les appelle encore brontées, glossopètres, ombries, etc., les pierres de foudre étaient pieusement conservées, adorées et vénérées. Elles se distinguaient par leurs formes (rondes, allongées, animalières…), leurs couleurs (noir, rouge, jaune d’or, bleu veiné de rouge…), leur morphogenèse : gemmes, météorites, fossiles, pierres préhistoriques taillées aux fonctions diverses : pointes de flèche, haches, marteaux, coins… Parmi ces derniers objets, le silex se distingue en tant que pierre du tonnerre, « bout d’éclair », de laquelle jaillit l’étincelle (le silex est bel et bien une pierre à fusil) possédant une valeur talismanique hors du commun, ce qui nous amène à aborder les nombreuses fonctions attribuées aux pierres de foudre au fil de leur histoire, pouvant se grouper en trois grands domaines : pierres magiques, fétichistes, thérapeutiques.

Symbole de lumière redoutée des ténèbres, la pierre de foudre valait comme protection face aux démons, aux mauvais esprits, aux actes de sorcellerie malveillante et, plus généralement, contre toute influence néfaste : « Au diable qui avait déclaré qu’il détruirait le monde en se servant du tonnerre, la sainte Vierge répliqua en créant l’éclair, annonciateur du tonnerre. Cet avertissement devait donner le temps aux hommes de se signer et de s’éloigner ainsi du maléfice du démon » (4). Et le démon peut prendre bien des formes : cauchemars, venins et morsures de serpents, armes des ennemis, etc. En sus de ce rôle défensif, la pierre de foudre, propitiatoire, intervenait en bien d’autres circonstances :

  • Pour rendre les forces et la santé (5) : protectrice et curative face aux maladies, la pierre de foudre était placée en contact avec la partie malade, immergée dans l’eau de boisson domestique, râpée et absorbée sous forme de poudre, etc. Elle permettait ainsi d’étancher la soif, de faciliter l’accouchement et l’expulsion de l’arrière-faix, de désobstruer les voies urinaires et intestinales, de procéder à des opérations chirurgicales, de clarifier la voix et d’endiguer l’enrouement, de procurer le sommeil et des songes agréables, etc.
  • Pierre d’émanation divine, la pierre de foudre est donc une pierre parlante et oraculaire dont on se servait pour pratiquer la sélénomancie entre autres.
  • Pierre de vie, la pierre de foudre accompagnait aussi les défunts, parfois présente au cours des cérémonies d’embaumement. On disait aussi qu’elle avait le pouvoir de faciliter l’agonie de celui parvenu à l’orée de sa mort.
  • Conviée dans bien des aspects de la vie sociale et économique, la pierre de foudre trouvait son utilité pour favoriser les mariages, les récoltes, pour obtenir la victoire dans les combats et les procès, en un mot d’apporter le bonheur.
  • Bien entendu, elle doit son nom de par sa qualité protectrice par rapport à la foudre (qu’elle écarte et attire également en réalité) des biens, des animaux et des personnes. Toute personne craignant la foudre pouvait invoquer sainte Barbe. Ainsi, en Bretagne, l’on disait :

« Sainte Barbe, sainte Fleur,
A la croix de mon sauveur (ou : à la couronne de notre seigneur)
Quand le tonnerre grondera (ou : tombera)
Sainte Barbe nous gardera.
Par la vertu de cette pierre
Que je sois gardé du tonnerre. »

La pierre de foudre et les hommes, c’est déjà une vieille histoire, bien qu’on ne la mentionne pas avant le IV ème siècle avant J.-C., et que l’on évoque plus en détails les pierres de foudre que tardivement, dans l’œuvre de Pline. Au Moyen-Âge, malgré la christianisation des mœurs et les interdits païens, la croyance dans les pouvoirs de ces artefacts intègre les lapidaires, dont l’un des plus célèbres, celui de l’évêque Marbode (XI ème siècle), avant d’apparaître figurées dans l’œuvre du médecin allemand Jean de Cuba, l’Hortus sanitatis (ou Jardin de santé) daté de 1485 (cf. illustration ci-dessus). Un siècle plus tard, loin d’être rejetée par les savants, la pierre de foudre perd néanmoins sa prétendue origine divine sinon céleste, et la croyance en ses pouvoirs sera longtemps véhiculée, tant par les ignorants que par les sociétés savantes, et ce jusqu’en toute fin du XVIII ème siècle, avant qu’on reconnaisse enfin à ces pierres une origine terrestre (façonnées par l’homme pour certaines d’entre elles), et non pas céleste et divine. Mais il ne suffit pas à l’homme de sagesse de jeter des traits de lumière sur des zones d’ombre pour que celles-ci disparaissent : au XIX ème siècle, çà et là, on avait encore foi en la magie de ces pierres. Et que dire de leur attrait encore aujourd’hui ?


  1. « En se heurtant les nuages provoquent la vitrification de certains de leurs éléments qui tombent sur la terre en même temps que la foudre et qu’on appelle des ‘pierres de foudre’ ».
  2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 751.
  3. Ibidem, p. 10.
  4. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 188.
  5. La silice, qui compose le silex, constitue un remède homéopathique tonifiant.

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La persicaire (Polygonum persicaria) et le poivre d’eau (Polygonum hydropiper)

Fleurs de persicaire

L’histoire de la persicaire se réduit à une peau de chagrin ou mieux à l’état d’un confetti si petit qu’on peut tout juste y écrire ce signe : ? Le poivre d’eau, lui, a fait couler un peu plus d’encre. Mais pas des litres non plus. Dans Dioscoride, il est présenté comme une plante aux feuilles sans odeur et au goût semblable à celui du poivre… On les utilisait déjà comme condiment à cette époque. Médicalement, ces mêmes feuilles fraîches ainsi que les graines étaient triturées de telle sorte qu’on puisse les appliquer sous forme de cataplasme sur les ecchymoses, les enflures et les tumeurs indurées. C’est, au sujet de cette plante, tout ce que Dioscoride et Galien en disent, et dont il nous faudra nous contenter, surtout que la très longue période médiévale suivante n’en dira tout bonnement rien. On retrouve néanmoins le poivre d’eau 1500 ans après Dioscoride, sous la plume de Matthiole. Pour ce dernier, l’hydropiper de Dioscoride ne peut être que le poivre d’eau. Mais, selon toute vraisemblance, ça n’était pas si évident pour les contemporains de Matthiole. Ainsi dut-il se bagarrer comme un beau diable pour faire entendre raison et admettre l’évidence. Par chance, il n’omet pas d’en mentionner quelques usages, non pas médicinaux, mais domestiques : « On étale la plante fraîche dans les lits pour y tuer les puces ; on la jette le lendemain matin. Le lard salé entouré de poivre d’eau se trouve préservé des vers. » C’est donc une plante censée écarter la vermine au sens large et pourrait être utilisée dans ce but dans une pratique magique.

La persicaire doit son nom en raison de la similitude existant entre la forme de ses feuilles et celles du pêcher. C’est bien là le seul point commun qui puisse être signalé entre cette humble plante et cet arbre fruitier. En revanche, regrouper persicaire et poivre d’eau relève d’une proximité botanique, ces deux plantes étant toutes deux des Polygonacées, s’apparentant donc aux renouées (bistorte et des oiseaux), bien qu’annuelles, mais possédant bel et bien des tiges rameuses marquées de nœuds. Hautes de 20 à 80 cm à pleine maturité, persicaire et poivre d’eau portent des feuilles alternes, étroites et allongées, vert brillant, brièvement pétiolées. Celles de la persicaire s’ornent en leur centre d’une tache brune noirâtre en forme de croissant expliquant le nom de fer à cheval parfois accordé à cette plante. Les fleurs, de roses à rose blanchâtre, s’égrènent sous forme d’épis terminaux, petits et denses chez la persicaire, long et grêles chez le poivre d’eau, la première fleurissant au début de l’été, la seconde presque à son achèvement, étendant l’une et l’autre leur floraison très en avant dans l’automne.
Assez fréquentes à très communes, ces deux plantes manifestent une préférence très nette pour les sols humides, argileux et azotés de toutes les régions, tels que les berges de rivières et d’étangs, les fossés, les terrains vagues et tourbeux, les marais et parfois mêmes des zones semi-immergées en ce qui concerne le poivre d’eau qui, comme son nom l’indique, est davantage aquatique que la persicaire.

Poivre d’eau (à gauche)

La persicaire et le poivre d’eau en phytothérapie

Il est pertinent de regrouper sous cette même rubrique la persicaire et le poivre d’eau, bien qu’il existe de l’une à l’autre des différences notables. Que l’on considère ces deux herbes entières sans racines, on remarque, chez l’une et l’autre, l’absence de toute odeur : en revanche, côté saveur, l’on pourrait être surpris de ce que ces deux Polygonum, herbes ordinaires, puissent développer une saveur piquante chez la persicaire, qui devient âcre, poivrée, brûlante même chez le poivre d’eau. Et, en effet, l’on trouve chez ce dernier un principe âcre et amer qui fait défaut dans la première, une grosse proportion de tanin, des acides (formique, gallique, malique, acétique, mélissinique, valérianique), des sucres (fructose, glucose), des sels minéraux (fer, potassium), etc. Dans la persicaire, l’on croise aussi du tanin, mais dans une moindre mesure (1,2 %), des acides (gallique, malique, oxalique : 5 %), des sucres, de la cire (2 %), du mucilage et de la pectine. Au registre des points communs, notons la présence de phytostérine dans ces deux plantes, ainsi qu’une essence aromatique dont celle de poivre d’eau se distingue par une cétone, la polygonone.

Propriétés thérapeutiques

  • Persicaire : hémostatique, emménagogue, tonique, stimulante, pectorale, diurétique, astringente, détersive, rubéfiante
  • Poivre d’eau : hémostatique, vasoconstricteur, régulateur des règles trop abondantes, tonique, stimulant, diurétique, dépuratif, astringent, détersif, rubéfiant, vésicant, résolutif, sédatif, vermifuge

Usages thérapeutiques

  • Persicaire :
    – Troubles de la sphère vésico-rénale : catarrhe vésical, hématurie, goutte, rhumatismes
    – Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, métrorragie, dysménorrhée, ménopause
    – Affections cutanées : plaie, ulcère, ulcère gangreneux
    – Diarrhée
    – Jaunisse
    – Hydropisie
    – Scorbut
    – Carie dentaire
  • Poivre d’eau :
    – Troubles de la sphère vésico-rénale : catarrhe vésical, hémorragie vésicale, lithiase urinaire, goutte, rhumatismes, dysurie
    – Troubles de la sphère respiratoire : hémorragie pulmonaire, hémoptysie, angine, pharyngite, ulcération pharyngée
    – Affections bucco-dentaires : maux de dents, odontalgie, aphte
    – Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie utérine (liée ou non à la présence d’un fibrome utérin), endométrite chronique, métrite, métrorragie, dysménorrhée, aménorrhée, ménopause
    – Troubles de la sphère gastro-intestinale : hémorragie gastro-intestinale, vomissement de sang, colique, flatulences, diarrhée
    – Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes, varices, varicocèle, distension des veines intracrâniennes
    – Affections cutanées : plaie, ulcère, ulcère atonique, ulcère sordide, escarre, gangrène, gale
    – Œdèmes et engorgements : engorgement séreux, glanduleux, lymphatique, œdème, hydropisie, anasarque

Modes d’emploi

  • Infusion.
  • Décoction aqueuse ou vineuse.
  • Suc frais.
  • Poudre de feuilles.
  • Cataplasme de feuilles fraîches : la persicaire et surtout le poivre d’eau remplacent la moutarde en externe. De par leurs propriétés rubéfiantes et vésicantes, ces deux plantes peuvent tout à fait se prêter à la pratique du sinapisme.
  • Friction de feuilles fraîches.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : persicaire et poivre d’eau se cueillent durant tout l’été et s’emploient exclusivement à l’état frais. Du poivre d’eau, l’on dit que la plante fructifiée fraîche est encore plus active.
  • Le poivre d’eau en excès peut être nuisible, irritations et inflammations internes sont toujours possibles. C’est le cas à travers son effet diurétique : celui-ci « ne peut avoir lieu qu’autant que les reins sont dans un état d’atonie : la surexcitation de ces organes, non seulement s’opposerait à cet effet, mais encore rendrait très nuisible l’action de cette plante » (1).
  • La dessiccation et la coction amoindrissent l’énergie du poivre d’eau et, donc, ses effets.
  • Alimentation : bien que la volaille se repaisse volontiers des graines de persicaire, celles du poivre d’eau semblent avoir suscité l’intérêt de l’homme depuis des temps très reculés : on a décelé de ces semences dans certaines stations préhistoriques. Il est possible que l’usage condimentaire du poivre d’eau remonte bien avant l’introduction du poivre noir (Piper nigrum) en Europe occidentale. Il n’en reste pas moins que le poivre d’eau peut allégrement jouer le rôle de substitut, comme au Japon où ses feuilles assaisonnent les sashimi.
  • Les racines de persicaire et de poivre d’eau, par leur tanin, servirent au tannage des peaux, et leur feuilles à l’obtention d’une teinture jaune à jaune rougeâtre.
  • Autre espèce : la persicaire odorante (Persicaria odorata).
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 736.

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Feuilles de persicaire portant la caractéristique marque en forme de croissant

La garance des teinturiers (Rubia tinctorum)

Les plus anciennes informations concernant la garance font déjà état de son rôle majeur comme plante tinctoriale, usitée dans ce but par les Égyptiens, les Perses et les Hindous. Les Celtes, pas moins malins, obtenaient même du violet en mêlant la garance au pastel. Chez les Grecs, si l’on en croit ce que Dioscoride écrit au chapitre 137 du troisième livre de la Materia medica, l’on fait alors clairement une distinction entre une espèce sauvage et une autre cultivée, suffisamment proches l’une de l’autre pour que Dioscoride associe gaillet gratteron et garances par certaines caractéristiques botaniques. Avec Hippocrate, Pline et Galien, une forme d’accord se dégage au sujet des propriétés thérapeutiques de cette garance : diurétique, cholagogue et emménagogue, on la dit également bonne dans la jaunisse, la sciatique et la paralysie, ainsi que l’arthrite. C’est du moins ce qui prévaut du V ème siècle avant J.-C. au III ème siècle après J.-C. Quant au Romains, ils cultivent aussi la garance dans le but de teindre la laine et le cuir en un rouge écarlate dont l’un est resté célèbre, le rouge d’Andrinople, car comme c’est le cas pour le vin, il existait alors plusieurs crus de garance plus ou moins réputés. C’est ce que l’on retiendra principalement de cette ville turque, aujourd’hui Edirne, car en 378, elle fut l’occasion de verser un autre type de rouge, l’armée romaine s’étant récoltée de la part des Goths ce que l’on peut qualifier de coup de pied au cul. En un mot comme en cent, ce fut un véritable désastre. On gardera donc en mémoire Andrinople pour son rouge garance, c’est largement suffisant. Mais vu les croyances de certains, dont Pline, au sujet de cette plante, se prendre une paire de claques de temps à autre, ça ne fait pas de mal, ça remet les idées en place. Pline qui, pour je ne sais quelle raison, appelle la garance sous le curieux nom d’alusson, affirme que cette plante portée en amulette permet de protéger son porteur des chiens enragés. Pour une fois qu’il ne s’agit pas de morsures de serpents venimeux… Par ailleurs, chose tout à fait étonnante, « on croyait aussi qu’un simple regard jeté sur une plante que l’on portait sur soi était suffisant pour prendre possession de ses vertus thérapeutiques et pouvait entraîner la guérison des maladies » (1). Cela doit bien encore exister dans certaines sphères de la charlatanerie ce style d’entourloupe. Eh bien, c’est ce qu’on pensait concernant la garance : par le simple fait de la regarder, cela avait comme pouvoir de faire sécher la sanie, c’est-à-dire le pus exsudant des plaies et des ulcères. C’est comme les Romains à Andrinople, ils ont dû toiser les Wisigoths, Ostrogoths et autres Goths, en se disant « on va gagner ! » pour, finalement, se prendre une trempe comme jamais, comparable à celle qu’infligèrent les Amérindiens menés par Sitting Bull aux hommes de Custer lors de la bataille de la Little Big Horn en 1876. Et ces Romains, à Andrinople, auraient bien eu besoin de garance pour « faire sécher la sanie » des plaies des centaines de blessés qu’occasionna cette boucherie. Mais c’est un fait : la garance apparaît, de près ou de loin, assez souvent liée aux conflits armés et à leurs conséquences délétères. Celle que le pseudo Apulée nommait herba ostriago (du grec ostreion, « pourpre »), devenue rubia par le truchement du latin, porte bien en elle le rouge. Cette couleur qu’on tire de cette plante exprima, par similarité, le sang : ainsi la garance se devait d’avoir des propriétés hémostatiques, antihémorragiques, voire emménagogues. Or, il faut bien l’avouer, elle ne possède rien de tout cela. Pour une plante qui fait voir rouge, elle a plus d’accointance avec le jaune : celui de la bile et de l’urine. C’est ce que Léonard Fuchs, Jérôme Bock et Tabernaemontanus soulignèrent au XVI ème siècle : la garance est de bon remède en cas de maladies hépatobiliaires surtout, cutanées dans une autre mesure. S’ils reprennent quelque peu les Anciens de l’Antiquité, ils en oublient heureusement certains détails comme celui concernant les propriétés soi-disant emménagogues de la racine de garance, qu’Hildegarde n’avait pas repérée comme tel, la disant simplement fébrifuge (ce qu’elle est, bien que cela ne soit pas là son principal rayon d’action) et utile dans l’inappétence (pourquoi pas, elle contient quelques principes amers qui peuvent y jouer un rôle). Porta, qui écrit au même siècle que les Fuchs, Bock et Tabernaemontanus, ne mentionne seulement que la vertu tinctoriale de la garance, un aspect économique dont le Moyen-Âge s’est largement préoccupé puisque, en France, on voit la culture en grand de la garance s’établir dès le XII ème siècle en Normandie pour s’étendre à de nombreuses régions françaises jusqu’au XVI ème siècle, jusqu’à ce que la production nationale soit battue en brèche en raison d’importations italiennes de médiocre qualité (voyez, le coup des fraises espagnoles à la suavéolence aussi faible que leur prix, ça ne date pas d’hier). Bien que la garance française ait acquis une solide réputation de par sa supériorité, sa culture ainsi que le volume de la production reculeront malgré une tentative de ré-instauration durant le XVIII ème siècle qui tournera à l’échec (une autre Andrinople). Pourtant, sans savoir vraiment pourquoi, la culture de la garance atteint son apogée en France au XIX ème siècle : on la travaille en Alsace, dans les départements méridionaux, en Normandie encore, en Vendée, aux environs de Lyon, en Artois, etc., tant et si bien qu’en 1868 la France, avec 35000 tonnes de racines de garance, arrive, à elle seule, à la moitié de la production mondiale, hégémonie qui succombera avec la réalisation, un an plus tard, de la synthèse de l’alizarine, l’un des principaux pigments tinctoriaux de la garance. De fait, les prix chutèrent, la culture de la garance, plus autant rentable qu’autrefois, fut progressivement sacrifiée. Cependant, il est une chose qui restera dans cet état d’impavidité, c’est le fantassin de l’armée française, au képi et pantalon rouge garance, une teinte exploitée durant des décennies pour l’équipement, au point que l’infanterie de 1914 avait à peu de choses près la même allure que celle de 1870. Cet uniforme qui, uni ne l’était pas trop (bleu en haut, rouge en bas), fut abandonné dès 1915 au profit de quelque chose d’un peu plus moderne que ces vieilleries du XIX ème siècle. Enfin, oui, un soupçon de modernité, qui durera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le Français, surpris une fois de plus par son ennemi héréditaire, n’ayant pas eu le temps de s’habiller de neuf, reprit ses frusques de 1918. Et, à cette occasion, parut complètement has been en comparaison de l’équipement du soldat allemand de 1939. Ainsi, le fantassin français de 1939, c’est à peu près le même que celui de 1918, mais il gagne cependant à être moins voyant. C’est évident qu’avec cet écarlate qu’est le rouge garance sur le dos, on est loin de passer inaperçu, contrairement à ceux qui arborent une tenue de camouflage. Certains disent que ce rouge n’eut pas tant d’implication que ça en ce qui concerne les milliers de morts qu’accusa l’armée française au début de la Grande Guerre. Il est permis d’en douter. De même que ses descendants de 1939-1945 qui ne portaient pas de garance et qui, malgré tout, se prirent une belle raclée dès 1940 à l’image des Romains d’Andrinople.

Si l’on compare morphologiquement la garance des teinturiers et la garance voyageuse, l’on peut établir les points communs suivants : plantes vivaces à tiges quadrangulaires portant des verticilles de feuilles ovales pointues à lancéolées, des panicules axillaires de petites fleurs vert jaunâtre, formant des baies charnues vertes puis noires à maturité. Sur la question des distinctions, on remarque que les feuilles coriaces et rugueuses de la voyageuse demeurent semper virens durant l’hiver, alors que la saison froide dégarnit de ses feuilles la garance des teinturiers. De plus, la garance voyageuse possède un aspect plus agressif bien que ce soit généralement une plante dont la reptation oblige à l’humilité : ses tiges sont équipées d’aiguillons recourbés pour mieux saisir les plantes environnantes et se hisser sur elles, tandis que la teinturière possède à peine de petites pointes sur ses tiges.
Côté racines, c’est bien évidemment sur celles de la garance des teinturiers que l’on a jeté son dévolu : cylindracées, rampantes, elles atteignent facilement un mètre de longueur, rouge brunâtre à l’extérieur, jaunâtres à l’intérieur.
Enfin, le dernier point commun qui peut rapprocher ces deux espèces, c’est l’aire de répartition (Europe méridionale, Asie occidentale, Afrique du Nord) et le type de sols occupés : friches, rocailles, rochers, haies broussailleuses, à basse altitude (0-500 m). Naturellement cantonnée au Sud-Ouest, la garance voyageuse, malgré son nom, s’est moins propagée que sa consœur dont la culture passée a laissé des traces çà et là. C’est ainsi que la garance des teinturiers demeure encore spontanée en Alsace, près de Montpellier, dans les environs de Lyon, etc.

Garance des teinturiers

La garance des teinturiers en phytothérapie

Bien que la botanique nous ait fait distinguer deux garances, ici nous appliquerons le singulier : seule la garance des teinturiers sera traitée ; nous laisserons donc la seconde à ses pérégrinations, possédant des propriétés thérapeutiques identiques sans toutefois égaler, dans leurs effets, celles de la garance des teinturiers.
La Riza d’Hildegarde semble donner quelques indices au sujet de la fraction végétale qu’utilise le phytothérapeute lorsqu’il s’adresse à la garance. Si le mot riza provient du grec rhiza (2), alors nous pouvons affirmer sans aucun doute qu’il s’agit de la racine dont la saveur est amère et un peu astringente, l’odeur forte et sui generis comme peuvent l’être celles des asperges ou du chou-fleur une fois ces deux légumes cuits, une odeur bien à eux en somme. Cette racine, malgré son amarescence contient 15 % de sucre, une résine, une huile grasse, des acides (citrique, ruberythrique), ainsi qu’une substance qui rappelle que la garance est cousine de l’aspérule odorante et du gaillet gratteron, l’aspéruloside. Enfin, de nombreux sels minéraux et oligo-éléments (calcium, magnésium, sodium, potassium, phosphore, chlore, silice, soufre, fer) accompagnent plusieurs matières tinctoriales dont la purpurine et – bien plus connue – l’alizarine.

Propriétés thérapeutiques

  • Laxative, eccoprotique, stimulante du péristaltisme intestinal
  • Cholagogue
  • Diurétique, antilithiasique urinaire
  • Astringente
  • Tonique légère

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation opiniâtre, dysenterie, diarrhée du tuberculeux
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance biliaire, lithiase biliaire, cholémie, ictère
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : oligurie, albuminurie, lithiase urinaire (3), rétention urinaire, congestion rénale, néphrite, goutte, rhumatisme articulaire, arthritisme
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux chronique, laryngite
  • Affections cutanées : dartre, dermite cancéreuse
  • Fièvre intermittente

Modes d’emploi

  • Infusion de racines.
  • Décoction de racines.
  • Poudre de racines.
  • Teinture-mère.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : lorsqu’on procédait à la culture en grand de la garance, on extrayait les racines à l’automne de la troisième année, mais cette plante gagne à être récoltée le plus âgée possible, comme le ginseng par exemple. Puis elles étaient séchées en plein air ou au four et prenaient alors le nom d’alizari.
  • Nous l’avons dit, la garance est une plante tinctoriale à tel point qu’un animal qui mange de cette racine voit ses os se teindre en rouge écarlate, chose qui, je suppose, doit également se produire chez l’homme. La racine tel quel, c’est-à-dire fraîche, présente plutôt une couleur jaune en son cœur. Pour que le rouge garance apparaisse, il faut faire passer les racines par des étapes de fermentation et de mise en contact avec l’eau. Sous cette forme pigmentaire, le rouge garance fut aussi utilisé dans le domaine de l’art (peinture à l’huile, aquarelle).
  • L’abandon de la culture de la garance au profit de la synthèse de l’alizarine ne doit pas faire oublier l’importance des Rubiacées en divers domaines, une famille botanique qui compte parmi ses membres le caféier, le quinquina et le gardénia.
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    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 207.
    2. En réalité, riza semble être une altération du vieil allemand rezza qui, s’il ne s’applique pas directement à la garance, fait référence à l’écarlate de sa teinture.
    3. « La garance peut désintégrer, solubiliser et éliminer les calculs des phosphates et carbonates de calcium, d’ammonium, de sodium et de magnésium […] Elle n’a aucune action sur les calculs oxaliques et uriques », Jean Valnet, La phytothérapie, p. 274.

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Garance voyageuse