Synonymes : lavandin doux, lavandin hybride, grosse lavande, grande lavande, lavande bâtarde, lavande Chaten, spigoune, badasse (tiré du nom provençal des lavanderaies sauvages qu’on appelait des baïassières.)
L’histoire médicale antérieure au XXe siècle est muette au sujet du lavandin, et pour cause : il n’existait pas encore (ou n’avait pas été repéré comme hybride de la lavande fine et de la lavande aspic). Ce qui peut passer pour chose normale, sachant le peu d’attention que l’on témoigna pendant longtemps pour distinguer la lavande fine de l’aspic dans la nature, mais également au sein de l’alambic. Au tournant du siècle dernier, les choses évoluèrent, en particulier sous l’impulsion d’un Drômois originaire du Grand-Serre, Léopold Lamothe, qui fut le véritable promoteur de la culture de la lavande fine, secondé par les institutrices et instituteurs de la République, parfaits propagandistes au service de la lavande dont ils recommandaient vivement la culture. A force d’herborisation, l’on se rendit bien compte qu’en certains lieux croissent, côte à côte, la lavande fine et l’aspic, mais aussi de ces grosses plantes aux larges feuilles vertes, aux épis très longs et presque toujours ramifiés et aux fleurs bleu violet plus foncé que chez l’aspic. On en remarqua le caractère hybride. En cela, écoutons ce qu’en disait Antonin Rolet, ingénieur agronome et professeur à l’école d’agriculture d’Antibes : « Ne nourrissant pas de graines ou très peu, car les étamines ne donnent pas ou peu de pollen, elle est propagée par la Fragrans [NdA : la lavande fine] pollinisée par les insectes avec le pollen du Spic, car on la trouve à une altitude plus élevée que celui-ci de 300 à 400 m dans le voisinage de la Fragrans, où les vents ne sauraient avoir porté les graines de Spic. D’ailleurs, le semis direct des graines de Fragrans a réellement donné des hybrides »1. Le caractère hybride, on le sait, confine presque toujours à la stérilité, puisque pas de graines produites n’autorise pas la duplication de la plante. Cela explique pourquoi, dans la nature, on trouve très peu de spécimens issus d’une hybridation naturelle. Leur développement comme plantes cultivées provient du fait qu’on ait bouturé des pieds sauvages : de fait, on parle donc de clones. Cette aptitude au bouturage, de même que la spécialisation xérophile du lavandin, furent des raisons suffisantes pour qu’on les plébiscite, afin qu’ils soient repiqués en des terrains pauvres, voire incultes, sur lesquels ils résistent plus facilement aux fortes chaleurs et à la sécheresse, mais également au vent et au gel hivernal. En 1929, Claude Abrial (1872-1945), secrétaire général du comité régional lyonnais des plantes médicinales et conservateur du droguier de la faculté de pharmacie de Lyon, sélectionna, avec l’aide de son collègue Bruyat, un cultivar de lavandin, l’Eureka, qui sera largement cultivé par la suite dès les années 1930 sous le nom d’Abrial. Mais parce que cloné et très fragile, sa culture fut abandonnée au fur et à mesure de l’élaboration de nouvelles variétés comme le Supérieur dans les années 1950, puis, plus tardivement, le Grosso, lavandin le plus cultivé depuis sa création en 1972. Très robuste, résistant aux maladies (en l’occurrence au phytoplasme de stolbur), le lavandin Grosso, d’un bon rendement, n’en produit pas moins une huile essentielle de médiocre qualité. Malgré tout, en réponse à une forte demande, l’on distilla des quantités de plus en plus importantes à la fois, passant de cuves de quelques dizaines de litres à des caissons de 20 m3. Ce qui n’apparaît pas comme le meilleur moyen d’obtenir une huile essentielle respectable : la mécanisation à outrance insulte la plante réduite au seul statut de vache à lait, son empilement violent dans les cuves, le mode opératoire expéditif, etc., tout cela concourt à faire de l’huile essentielle de lavandin un produit fruste et grossier, raison qui, à elle seule, explique que j’ai tant tardé à produire un article pour la présenter. Mais rien ne se fait de rien, il serait bien difficile d’obtenir quelque chose d’exceptionnel vu les caractéristiques propres à la plante elle-même, indépendamment de toute distillation : « Odeur forte et désagréable d’herbe amère, de camphre, de vinaigre, de poivre, etc. Les fleurs ne sont pas visitées par les abeilles et les troupeaux épargnent la plante »2. Vous parlez d’un pedigree ! C’est vrai qu’on aurait pu s’attendre, de la part du fruit de l’union de la lavande aspic son père et de la lavande fine sa mère, à un résultat un peu plus flamboyant. Certains, pourtant, insistent pour faire de tel lavandin une plante au profil proche de la fine, d’autres de l’aspic. Mais à quoi bon tous ces comparatifs quand aucun lavandin n’est capable à lui seul d’égaler au moins l’un de ses parents ? Si l’un d’entre eux avait pu devenir l’heureuse synthèse olfactive et thérapeutique des deux parents sus-nommés, alors oui, on aurait indubitablement affaire à quelque chose de grandiose. Mais là, non, ne rêvons pas. De plus, cette proximité dans l’allure le fait souvent confondre avec ses parents, dans l’esprit des néophytes qui ignorent jusqu’au mot lavandin. Quand l’on n’y connaît rien, d’un champ de lavandins – pouf ! – l’on en fait une lavanderaie, sans plus de nuance. Le lavandin entretient la confusion dans la tête des gens : autrefois, certains petits malins n’hésitaient pas à utiliser le vocable de lavande pour parler d’une production d’essence de lavandin. Les étiquettes sont aussi verbales. Parfois, des lots de fine sauvage étaient glissés dans l’alambic familial au moment de distiller la lavande vraie cultivée. Pour la bonifier, devait-on s’imaginer. Ce qui n’était pas un crime. Mais il y eut bien d’autres occasions de mêler frauduleusement du lavandin à de la lavande, de distiller le tout et de nommer lavande le produit final ainsi obtenu. Aujourd’hui, grâce à la chromatographie en phase gazeuse qui dissèque avec précision la composition biochimique d’une huile essentielle, de telles malversations sont impossibles : en effet, on voit mal comment falsifier une huile essentielle de lavande fine avec du lavandin sans que ça ne se remarque au moins au niveau de la quantité de camphre (quasi nulle dans la lavande fine, son taux oscille entre 5 et 10 % dans les huiles essentielles de lavandins). Bien plus tôt, à une époque où l’on ignorait l’existence des lavandins, on sophistiquait l’huile essentielle de lavande avec de l’essence de térébenthine, ce qui n’était guère mieux, sinon pire.
Enfin, les lavandins, hormis celui qu’on découvrit à l’état sauvage, portent bien trop la trace de l’homme pour être tout à fait honnêtes. Il y a, dans ces lavandins, quelque chose de pas sérieux, de bleu lavande carte-postale. Cela ne m’étonne guère de porter ce type de jugement, ayant toujours regardé les plantes cultivées comme moins valeureuses que leurs homologues sauvages, sans doute parce que la plante sauvage n’est pas un organisme constamment assisté et surprotégé, et qu’elle doit compter exclusivement sur elle-même et les interactions qu’elle entretient avec les autres plantes et les insectes, dans un cadre naturel. La cultivée, au contraire, trop choyée, trop chouchoutée, est, très justement pour cette raison, la cible des maladies, ce qui est bien normal, puisque la « protection » fournie par l’homme abaisse celle de la plante. A force d’un excès d’interventionnisme, on abâtardit les organismes. Or, pour être beau et solide, il faut lutter en ce bas monde, sinon c’est la porte ouverte à l’avachissement. On ne s’y est d’ailleurs pas trompé très longtemps, puisque, déjà, le prix du lavandin, s’il n’a rien de comparable avec celui de la lavande, ne lui permet pas de la concurrencer, parce que, à titre de comparaison, la lavande fine c’est la Reine de cœur, le lavandin tout juste le valet de pique… (Après enquête auprès d’une dizaine de fournisseurs, voici les prix moyens des huiles essentielles de lavandins en qualité biologique pour un flacon de 10 ml : lavandin Abrial 8,40 €, lavandin Super 8,00 €, lavandin Grosso 6,40 €. Et ça ne date pas d’hier : dans les années 1920, le kg d’essence de lavandin se monnayait autour de 10 francs, contre 23 à 25 francs pour celui de lavande fine.) Son appartenance plébéienne explique aussi qu’on ne le réserve qu’assez rarement à la pratique reine de l’aromathérapie et presque jamais à la phytothérapie (bien que les sommités fleuries de lavandin Grosso soient autorisées à la vente libre en France, il est rare de se faire une infusion de lavandin ; et pis, de toute façon, c’est pas bon ^.^), comparativement à la lavande fine dont l’huile essentielle peut parfaitement faire partie d’une trousse aroma constituée tout au plus de cinq flacons (j’en profite pour vous livrer ma trousse type : lavande fine (si possible sauvage d’altitude), menthe poivrée, citron, niaouli, petit grain bigarade). C’est donc pour cela que, distillés en ¾ d’heure, la plupart des lavandins se retrouvent au rayon des tâches ménagères, où on les flanque plus volontiers dans les lessives afin de camoufler l’odeur peu gracieuse des phosphates, abusant la lessiveuse qui prend leur parfum pour celui de la lavande (qu’importe, c’est du bleu tout pareil !). Ou alors on le voit décharger ses effluves criards dans la première savonnerie provençale venue, au point de vous coller des maux de crâne tant ça poque. Ou encore à garnir ces incontournables navettes dodues qu’on pendouille dans les armoires pour en déloger la vermine – mites en tête – et autres bestioles indésirables. Enfin, dans les eaux de toilette bon marché, eau de Cologne à trois francs six sous, bien plus qu’auprès de la haute parfumerie qui requiert les plus grands crus de lavande fine et s’offusquerait assurément d’un lavandin.
Le lavandin est donc une plante qui n’a pas reçu la valeur de ses parents en héritage. Il essaie tant bien que mal de sentir bon comme papa et maman, mais force est de convenir qu’il n’y parvient pas. Il est donc le parent pauvre des Lavandula, plus précisément l’enfant déshérité de Lavandula vera et de Lavandula latifolia. Et c’est bien dommage. Malgré le fait que l’on dise de l’un qu’il est « Super », un autre est « Grosso », et ça, ça veut tout dire : rien de subtil dans l’épaisseur ! En réalité, le lavandin, je ne puis véritablement l’apprécier, parce qu’il est exactement ce que n’est pas la lavande fine sauvage. Proprement ordonné en longues lignes monotones, il n’a pas la beauté de la fine qu’il faut aller débusquer dans la montagne (on qualifie de « mont Blanc » la lavande qui affiche un taux d’esters supérieur à 40 %, preuve qu’on est bien allé la cueillir à une altitude élevée !). Alors que le lavandin promeut une circulation en ligne droite obligatoire, la fine sauvage invite à bien des circonvolutions et à emprunter un itinéraire qu’on pourrait croire hasardeux vu de l’extérieur, marche déambulatoire à l’image des pérégrinations nectarifères des abeilles. « Naviguer », dit-on. Ça n’est plus de la cueillette, mais un merveilleux voyage ! Rien de tout cela avec l’aseptique lavandin, tout imprégné de fadeur et d’austérité, aspects que l’on ne retrouve pas dans la lavande fine sauvage qui guide les pas de façon bien différente, qui plus est occasion de rencontrer peut-être ce lézard vert au col bleu (Lacerta bilineata) ou cet autre aspic, Vipera aspis, quand ce n’est pas ce trésor des gorges marneuses, l’ammonite fossile, ou cette dent de loup antédiluvienne. Sans compter, bien sûr, la profusion des fleurs de la garrigue qui poussent tout à côté de la fine, comme ces cri-cri emblématiques que l’on froisse entre les doigts une fois défleuris, afin d’en tirer un bruit semblable aux stridulations du grillon (c’est-à-dire la cupidone bleue, Catananche caerulea), tandis que, faucille en main et saquette en bandoulière, l’aventurier de la garrigue fraye son chemin, poignée de bleue après poignée de bleue, les mains trempées d’essence qui l’immunise contre la piqûre de l’abeille dérangée dans son grand Œuvre…
Le lavandin manque assurément de noblesse, mais je vais quand même m’efforcer de vous présenter dans le détail cette « lavande du pauvre ».
Les lavandins en aromathérapie
Un amateur d’huiles essentielles peut rester dubitatif face à la pléthore d’informations, pas toujours cohérentes, qui concernent les lavandins. Je le comprends. Pour simplifier les choses, nous nous concentrerons uniquement sur les trois principaux cultivars de lavandins disponibles couramment sur le marché, soit le Super (pour « Supérieur »), le Grosso et l’Abrial, qui forment chacun une huile essentielle transparente, extrêmement fluide, mobile, jaune à jaune très pâle selon le taux d’acétate de linalyle qu’elles contiennent respectivement. En distillant les sommités fleuries préfanées en andains et abrégées de la plus grande longueur de leur tige, on obtient une huile lavandulée plus ou moins camphrée, « caractéristique » d’aucuns disent (ce qui ne signifie pas grand-chose) et dont le rendement, bien supérieur à celui de la lavande fine sauvage (0,70 % contre 1,30 %), sera d’autant meilleur que la plante aura été cueillie tôt dans la matinée (entre 5 et 6h00 du matin), par temps sec et ensoleillé, puisqu’un vent froid, de l’humidité, du brouillard, de même qu’un temps pluvieux, sont défavorables à la cueillette mais aussi à la distillation.
Très légères (densité comprise entre 0,87 et 0,90), les huiles essentielles de lavandins sont diversement parfumées en raison de ces critères, mais également en vertu de la valeur intrinsèque de chaque clone. Voici donc réunies, synthétiquement, les données chiffrées qui correspondent, en moyenne, à nos trois huiles essentielles de lavandins :
Chez le Super, les monoterpénols (A) et les esters (B) représentent 80 % du total, contre 75 % chez le Grosso, et seulement 63 % pour l’Abrial qui forme une huile essentielle plus ouverte, laissant davantage de place aux autres familles moléculaires (C, D, E et F).
Propriétés thérapeutiques
Note : pour alléger le texte : S pour Supérieur, G pour Grosso, A pour Abrial.
- Antispasmodiques (particulièrement marqué chez le S)
- Sédatifs, calmants, apaisants, relaxants
- Anti-infectieux variables (antibactériens, antiviraux, antifongiques), antiseptiques
- Répulsifs insectes, pédiculicides
- Anti-inflammatoires (S : +++), analgésiques locaux, antalgiques
- Cardiotoniques, régulateurs cardiaques, hypotenseur léger par vasodilatation (S), anticoagulants et fluidifiants sanguins légers, tonique circulatoire (A)
- Neurotoniques, neurotropes, adaptogènes
- Musculotropes, décontractants musculaires
- Astringents et toniques cutanés, vulnéraires, cicatrisants (A et S surtout)
- Apaisant pectoral et respiratoire (G)
Usages thérapeutiques
Note : les actions antispasmodiques, musculotropes, neurotropes, additionnées d’une vertu anti-inflammatoire très nette, définissent le champ d’application thérapeutiques de ces trois huiles essentielles : au programme, spasmes de toutes sortes et dystonie neurovégétative.
- Troubles du système nerveux : insomnie, sommeil agité, autres troubles du sommeil, agitation nerveuse (y compris chez l’enfant), nervosité, nervosisme, agressivité, colère, fatigue nerveuse, stress, anxiété, angoisse, déprime, état dépressif, épuisement, soucis, tension nerveuse, spasmes du plexus solaire
- Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension artérielle, palpitations, extrasystole, jambes lourdes, phlébite, varice, migraine, céphalée
- Troubles de la sphère ORL + pulmonaire : otite, sinusite, rhinite allergique, grippe
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : crampe digestive, spasmes gastro-intestinaux, ballonnement
- Troubles locomoteurs : crampe, entorse, foulure, lumbago, tendinite, inflammation du talon d’Achille, douleur et rigidité musculaire, arthrite, rhumatisme, prise en charge physique et mentale des sportifs avant et après effort
- Affections cutanées : plaie, ulcère, brûlure, escarre, piqûre, démangeaison, psoriasis, mycose cutanée, dermatoses infectieuse et allergique, transpiration excessive, hyperhidrose, pédiculose
- Éloigner les insectes (moustique, puce, punaise, mite, tique)
Modes d’emploi
- Voie orale.
- Voie cutanée diluée.
- Dispersion atmosphérique, olfaction, inhalation.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Il faut éviter l’emploi des huiles essentielles de lavandins chez le jeune enfant, la femme enceinte, ainsi qu’auprès des personnes sujettes à l’épilepsie car à doses élevées ces huiles peuvent s’avérer stupéfiantes.
- Comme les huiles essentielles de lavandins sont un peu plus agressives que celle de lavande fine pour la peau, elles nécessitent donc d’être diluées dans une huile végétale avant toute application.
- En parfumerie, l’huile essentielle de lavandin qui s’approche le plus du parfum de la lavande fine (sans toutefois l’égaler) est celle de lavandin Super.
- Autres hybrides : – Le Reydovan : très riche en esters (50 % dont 44 % d’acétate de linalyle), il est moins équilibré en monoterpénols (30 % dont 28 % de linalol). On y trouve un peu de camphre (5 %) et de 1.8 cinéole (5 %), quelques monoterpènes (4 %) et sesquiterpènes (3 %), sans oublier la fraction finale dévolue à la coumarine (0,08 %) ; – Le Sumian (ou Sumiani, Sumyan) : très riche en monoterpénols quant à lui (53 % dont 45 % de linalol), il possède beaucoup moins d’esters que la plupart des huiles essentielles de lavandins (18 % d’acétate de linalyle). Pour finir, une quantité équivalente d’oxydes (8 %) et de monoterpènes (7,50 %), un peu de camphre (4 %) et quelques sesquiterpènes (2 %).
- Quelques cultivars ornementaux : Lavandula intermedia « Dutch », « Edelweiss », « Niko », etc.
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- Antonin Rolet, Plantes à parfums et plantes aromatiques, p. 297.
- Léopold Lamothe cité par Antonin Rolet, Ibidem, pp. 297-298.
© Books of Dante – 2022