Les huiles essentielles de lavandins (Lavandula intermedia)

Synonymes : lavandin doux, lavandin hybride, grosse lavande, grande lavande, lavande bâtarde, lavande Chaten, spigoune, badasse (tiré du nom provençal des lavanderaies sauvages qu’on appelait des baïassières.)

L’histoire médicale antérieure au XXe siècle est muette au sujet du lavandin, et pour cause : il n’existait pas encore (ou n’avait pas été repéré comme hybride de la lavande fine et de la lavande aspic). Ce qui peut passer pour chose normale, sachant le peu d’attention que l’on témoigna pendant longtemps pour distinguer la lavande fine de l’aspic dans la nature, mais également au sein de l’alambic. Au tournant du siècle dernier, les choses évoluèrent, en particulier sous l’impulsion d’un Drômois originaire du Grand-Serre, Léopold Lamothe, qui fut le véritable promoteur de la culture de la lavande fine, secondé par les institutrices et instituteurs de la République, parfaits propagandistes au service de la lavande dont ils recommandaient vivement la culture. A force d’herborisation, l’on se rendit bien compte qu’en certains lieux croissent, côte à côte, la lavande fine et l’aspic, mais aussi de ces grosses plantes aux larges feuilles vertes, aux épis très longs et presque toujours ramifiés et aux fleurs bleu violet plus foncé que chez l’aspic. On en remarqua le caractère hybride. En cela, écoutons ce qu’en disait Antonin Rolet, ingénieur agronome et professeur à l’école d’agriculture d’Antibes : « Ne nourrissant pas de graines ou très peu, car les étamines ne donnent pas ou peu de pollen, elle est propagée par la Fragrans [NdA : la lavande fine] pollinisée par les insectes avec le pollen du Spic, car on la trouve à une altitude plus élevée que celui-ci de 300 à 400 m dans le voisinage de la Fragrans, où les vents ne sauraient avoir porté les graines de Spic. D’ailleurs, le semis direct des graines de Fragrans a réellement donné des hybrides »1. Le caractère hybride, on le sait, confine presque toujours à la stérilité, puisque pas de graines produites n’autorise pas la duplication de la plante. Cela explique pourquoi, dans la nature, on trouve très peu de spécimens issus d’une hybridation naturelle. Leur développement comme plantes cultivées provient du fait qu’on ait bouturé des pieds sauvages : de fait, on parle donc de clones. Cette aptitude au bouturage, de même que la spécialisation xérophile du lavandin, furent des raisons suffisantes pour qu’on les plébiscite, afin qu’ils soient repiqués en des terrains pauvres, voire incultes, sur lesquels ils résistent plus facilement aux fortes chaleurs et à la sécheresse, mais également au vent et au gel hivernal. En 1929, Claude Abrial (1872-1945), secrétaire général du comité régional lyonnais des plantes médicinales et conservateur du droguier de la faculté de pharmacie de Lyon, sélectionna, avec l’aide de son collègue Bruyat, un cultivar de lavandin, l’Eureka, qui sera largement cultivé par la suite dès les années 1930 sous le nom d’Abrial. Mais parce que cloné et très fragile, sa culture fut abandonnée au fur et à mesure de l’élaboration de nouvelles variétés comme le Supérieur dans les années 1950, puis, plus tardivement, le Grosso, lavandin le plus cultivé depuis sa création en 1972. Très robuste, résistant aux maladies (en l’occurrence au phytoplasme de stolbur), le lavandin Grosso, d’un bon rendement, n’en produit pas moins une huile essentielle de médiocre qualité. Malgré tout, en réponse à une forte demande, l’on distilla des quantités de plus en plus importantes à la fois, passant de cuves de quelques dizaines de litres à des caissons de 20 m3. Ce qui n’apparaît pas comme le meilleur moyen d’obtenir une huile essentielle respectable : la mécanisation à outrance insulte la plante réduite au seul statut de vache à lait, son empilement violent dans les cuves, le mode opératoire expéditif, etc., tout cela concourt à faire de l’huile essentielle de lavandin un produit fruste et grossier, raison qui, à elle seule, explique que j’ai tant tardé à produire un article pour la présenter. Mais rien ne se fait de rien, il serait bien difficile d’obtenir quelque chose d’exceptionnel vu les caractéristiques propres à la plante elle-même, indépendamment de toute distillation : « Odeur forte et désagréable d’herbe amère, de camphre, de vinaigre, de poivre, etc. Les fleurs ne sont pas visitées par les abeilles et les troupeaux épargnent la plante »2. Vous parlez d’un pedigree ! C’est vrai qu’on aurait pu s’attendre, de la part du fruit de l’union de la lavande aspic son père et de la lavande fine sa mère, à un résultat un peu plus flamboyant. Certains, pourtant, insistent pour faire de tel lavandin une plante au profil proche de la fine, d’autres de l’aspic. Mais à quoi bon tous ces comparatifs quand aucun lavandin n’est capable à lui seul d’égaler au moins l’un de ses parents ? Si l’un d’entre eux avait pu devenir l’heureuse synthèse olfactive et thérapeutique des deux parents sus-nommés, alors oui, on aurait indubitablement affaire à quelque chose de grandiose. Mais là, non, ne rêvons pas. De plus, cette proximité dans l’allure le fait souvent confondre avec ses parents, dans l’esprit des néophytes qui ignorent jusqu’au mot lavandin. Quand l’on n’y connaît rien, d’un champ de lavandins – pouf ! – l’on en fait une lavanderaie, sans plus de nuance. Le lavandin entretient la confusion dans la tête des gens : autrefois, certains petits malins n’hésitaient pas à utiliser le vocable de lavande pour parler d’une production d’essence de lavandin. Les étiquettes sont aussi verbales. Parfois, des lots de fine sauvage étaient glissés dans l’alambic familial au moment de distiller la lavande vraie cultivée. Pour la bonifier, devait-on s’imaginer. Ce qui n’était pas un crime. Mais il y eut bien d’autres occasions de mêler frauduleusement du lavandin à de la lavande, de distiller le tout et de nommer lavande le produit final ainsi obtenu. Aujourd’hui, grâce à la chromatographie en phase gazeuse qui dissèque avec précision la composition biochimique d’une huile essentielle, de telles malversations sont impossibles : en effet, on voit mal comment falsifier une huile essentielle de lavande fine avec du lavandin sans que ça ne se remarque au moins au niveau de la quantité de camphre (quasi nulle dans la lavande fine, son taux oscille entre 5 et 10 % dans les huiles essentielles de lavandins). Bien plus tôt, à une époque où l’on ignorait l’existence des lavandins, on sophistiquait l’huile essentielle de lavande avec de l’essence de térébenthine, ce qui n’était guère mieux, sinon pire.

Enfin, les lavandins, hormis celui qu’on découvrit à l’état sauvage, portent bien trop la trace de l’homme pour être tout à fait honnêtes. Il y a, dans ces lavandins, quelque chose de pas sérieux, de bleu lavande carte-postale. Cela ne m’étonne guère de porter ce type de jugement, ayant toujours regardé les plantes cultivées comme moins valeureuses que leurs homologues sauvages, sans doute parce que la plante sauvage n’est pas un organisme constamment assisté et surprotégé, et qu’elle doit compter exclusivement sur elle-même et les interactions qu’elle entretient avec les autres plantes et les insectes, dans un cadre naturel. La cultivée, au contraire, trop choyée, trop chouchoutée, est, très justement pour cette raison, la cible des maladies, ce qui est bien normal, puisque la « protection » fournie par l’homme abaisse celle de la plante. A force d’un excès d’interventionnisme, on abâtardit les organismes. Or, pour être beau et solide, il faut lutter en ce bas monde, sinon c’est la porte ouverte à l’avachissement. On ne s’y est d’ailleurs pas trompé très longtemps, puisque, déjà, le prix du lavandin, s’il n’a rien de comparable avec celui de la lavande, ne lui permet pas de la concurrencer, parce que, à titre de comparaison, la lavande fine c’est la Reine de cœur, le lavandin tout juste le valet de pique… (Après enquête auprès d’une dizaine de fournisseurs, voici les prix moyens des huiles essentielles de lavandins en qualité biologique pour un flacon de 10 ml : lavandin Abrial 8,40 €, lavandin Super 8,00 €, lavandin Grosso 6,40 €. Et ça ne date pas d’hier : dans les années 1920, le kg d’essence de lavandin se monnayait autour de 10 francs, contre 23 à 25 francs pour celui de lavande fine.) Son appartenance plébéienne explique aussi qu’on ne le réserve qu’assez rarement à la pratique reine de l’aromathérapie et presque jamais à la phytothérapie (bien que les sommités fleuries de lavandin Grosso soient autorisées à la vente libre en France, il est rare de se faire une infusion de lavandin ; et pis, de toute façon, c’est pas bon ^.^), comparativement à la lavande fine dont l’huile essentielle peut parfaitement faire partie d’une trousse aroma constituée tout au plus de cinq flacons (j’en profite pour vous livrer ma trousse type : lavande fine (si possible sauvage d’altitude), menthe poivrée, citron, niaouli, petit grain bigarade). C’est donc pour cela que, distillés en ¾ d’heure, la plupart des lavandins se retrouvent au rayon des tâches ménagères, où on les flanque plus volontiers dans les lessives afin de camoufler l’odeur peu gracieuse des phosphates, abusant la lessiveuse qui prend leur parfum pour celui de la lavande (qu’importe, c’est du bleu tout pareil !). Ou alors on le voit décharger ses effluves criards dans la première savonnerie provençale venue, au point de vous coller des maux de crâne tant ça poque. Ou encore à garnir ces incontournables navettes dodues qu’on pendouille dans les armoires pour en déloger la vermine – mites en tête – et autres bestioles indésirables. Enfin, dans les eaux de toilette bon marché, eau de Cologne à trois francs six sous, bien plus qu’auprès de la haute parfumerie qui requiert les plus grands crus de lavande fine et s’offusquerait assurément d’un lavandin.

Le lavandin est donc une plante qui n’a pas reçu la valeur de ses parents en héritage. Il essaie tant bien que mal de sentir bon comme papa et maman, mais force est de convenir qu’il n’y parvient pas. Il est donc le parent pauvre des Lavandula, plus précisément l’enfant déshérité de Lavandula vera et de Lavandula latifolia. Et c’est bien dommage. Malgré le fait que l’on dise de l’un qu’il est « Super », un autre est « Grosso », et ça, ça veut tout dire : rien de subtil dans l’épaisseur ! En réalité, le lavandin, je ne puis véritablement l’apprécier, parce qu’il est exactement ce que n’est pas la lavande fine sauvage. Proprement ordonné en longues lignes monotones, il n’a pas la beauté de la fine qu’il faut aller débusquer dans la montagne (on qualifie de « mont Blanc » la lavande qui affiche un taux d’esters supérieur à 40 %, preuve qu’on est bien allé la cueillir à une altitude élevée !). Alors que le lavandin promeut une circulation en ligne droite obligatoire, la fine sauvage invite à bien des circonvolutions et à emprunter un itinéraire qu’on pourrait croire hasardeux vu de l’extérieur, marche déambulatoire à l’image des pérégrinations nectarifères des abeilles. « Naviguer », dit-on. Ça n’est plus de la cueillette, mais un merveilleux voyage ! Rien de tout cela avec l’aseptique lavandin, tout imprégné de fadeur et d’austérité, aspects que l’on ne retrouve pas dans la lavande fine sauvage qui guide les pas de façon bien différente, qui plus est occasion de rencontrer peut-être ce lézard vert au col bleu (Lacerta bilineata) ou cet autre aspic, Vipera aspis, quand ce n’est pas ce trésor des gorges marneuses, l’ammonite fossile, ou cette dent de loup antédiluvienne. Sans compter, bien sûr, la profusion des fleurs de la garrigue qui poussent tout à côté de la fine, comme ces cri-cri emblématiques que l’on froisse entre les doigts une fois défleuris, afin d’en tirer un bruit semblable aux stridulations du grillon (c’est-à-dire la cupidone bleue, Catananche caerulea), tandis que, faucille en main et saquette en bandoulière, l’aventurier de la garrigue fraye son chemin, poignée de bleue après poignée de bleue, les mains trempées d’essence qui l’immunise contre la piqûre de l’abeille dérangée dans son grand Œuvre…

Le lavandin manque assurément de noblesse, mais je vais quand même m’efforcer de vous présenter dans le détail cette « lavande du pauvre ».

Les lavandins en aromathérapie

Un amateur d’huiles essentielles peut rester dubitatif face à la pléthore d’informations, pas toujours cohérentes, qui concernent les lavandins. Je le comprends. Pour simplifier les choses, nous nous concentrerons uniquement sur les trois principaux cultivars de lavandins disponibles couramment sur le marché, soit le Super (pour « Supérieur »), le Grosso et l’Abrial, qui forment chacun une huile essentielle transparente, extrêmement fluide, mobile, jaune à jaune très pâle selon le taux d’acétate de linalyle qu’elles contiennent respectivement. En distillant les sommités fleuries préfanées en andains et abrégées de la plus grande longueur de leur tige, on obtient une huile lavandulée plus ou moins camphrée, « caractéristique » d’aucuns disent (ce qui ne signifie pas grand-chose) et dont le rendement, bien supérieur à celui de la lavande fine sauvage (0,70 % contre 1,30 %), sera d’autant meilleur que la plante aura été cueillie tôt dans la matinée (entre 5 et 6h00 du matin), par temps sec et ensoleillé, puisqu’un vent froid, de l’humidité, du brouillard, de même qu’un temps pluvieux, sont défavorables à la cueillette mais aussi à la distillation.

Très légères (densité comprise entre 0,87 et 0,90), les huiles essentielles de lavandins sont diversement parfumées en raison de ces critères, mais également en vertu de la valeur intrinsèque de chaque clone. Voici donc réunies, synthétiquement, les données chiffrées qui correspondent, en moyenne, à nos trois huiles essentielles de lavandins :

Chez le Super, les monoterpénols (A) et les esters (B) représentent 80 % du total, contre 75 % chez le Grosso, et seulement 63 % pour l’Abrial qui forme une huile essentielle plus ouverte, laissant davantage de place aux autres familles moléculaires (C, D, E et F).

Propriétés thérapeutiques

Note : pour alléger le texte : S pour Supérieur, G pour Grosso, A pour Abrial.

  • Antispasmodiques (particulièrement marqué chez le S)
  • Sédatifs, calmants, apaisants, relaxants
  • Anti-infectieux variables (antibactériens, antiviraux, antifongiques), antiseptiques
  • Répulsifs insectes, pédiculicides
  • Anti-inflammatoires (S : +++), analgésiques locaux, antalgiques
  • Cardiotoniques, régulateurs cardiaques, hypotenseur léger par vasodilatation (S), anticoagulants et fluidifiants sanguins légers, tonique circulatoire (A)
  • Neurotoniques, neurotropes, adaptogènes
  • Musculotropes, décontractants musculaires
  • Astringents et toniques cutanés, vulnéraires, cicatrisants (A et S surtout)
  • Apaisant pectoral et respiratoire (G)

Usages thérapeutiques

Note : les actions antispasmodiques, musculotropes, neurotropes, additionnées d’une vertu anti-inflammatoire très nette, définissent le champ d’application thérapeutiques de ces trois huiles essentielles : au programme, spasmes de toutes sortes et dystonie neurovégétative.

  • Troubles du système nerveux : insomnie, sommeil agité, autres troubles du sommeil, agitation nerveuse (y compris chez l’enfant), nervosité, nervosisme, agressivité, colère, fatigue nerveuse, stress, anxiété, angoisse, déprime, état dépressif, épuisement, soucis, tension nerveuse, spasmes du plexus solaire
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension artérielle, palpitations, extrasystole, jambes lourdes, phlébite, varice, migraine, céphalée
  • Troubles de la sphère ORL + pulmonaire : otite, sinusite, rhinite allergique, grippe
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : crampe digestive, spasmes gastro-intestinaux, ballonnement
  • Troubles locomoteurs : crampe, entorse, foulure, lumbago, tendinite, inflammation du talon d’Achille, douleur et rigidité musculaire, arthrite, rhumatisme, prise en charge physique et mentale des sportifs avant et après effort
  • Affections cutanées : plaie, ulcère, brûlure, escarre, piqûre, démangeaison, psoriasis, mycose cutanée, dermatoses infectieuse et allergique, transpiration excessive, hyperhidrose, pédiculose
  • Éloigner les insectes (moustique, puce, punaise, mite, tique)

Modes d’emploi

  • Voie orale.
  • Voie cutanée diluée.
  • Dispersion atmosphérique, olfaction, inhalation.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Il faut éviter l’emploi des huiles essentielles de lavandins chez le jeune enfant, la femme enceinte, ainsi qu’auprès des personnes sujettes à l’épilepsie car à doses élevées ces huiles peuvent s’avérer stupéfiantes.
  • Comme les huiles essentielles de lavandins sont un peu plus agressives que celle de lavande fine pour la peau, elles nécessitent donc d’être diluées dans une huile végétale avant toute application.
  • En parfumerie, l’huile essentielle de lavandin qui s’approche le plus du parfum de la lavande fine (sans toutefois l’égaler) est celle de lavandin Super.
  • Autres hybrides : – Le Reydovan : très riche en esters (50 % dont 44 % d’acétate de linalyle), il est moins équilibré en monoterpénols (30 % dont 28 % de linalol). On y trouve un peu de camphre (5 %) et de 1.8 cinéole (5 %), quelques monoterpènes (4 %) et sesquiterpènes (3 %), sans oublier la fraction finale dévolue à la coumarine (0,08 %) ; – Le Sumian (ou Sumiani, Sumyan) : très riche en monoterpénols quant à lui (53 % dont 45 % de linalol), il possède beaucoup moins d’esters que la plupart des huiles essentielles de lavandins (18 % d’acétate de linalyle). Pour finir, une quantité équivalente d’oxydes (8 %) et de monoterpènes (7,50 %), un peu de camphre (4 %) et quelques sesquiterpènes (2 %).
  • Quelques cultivars ornementaux : Lavandula intermedia « Dutch », « Edelweiss », « Niko », etc.

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  1. Antonin Rolet, Plantes à parfums et plantes aromatiques, p. 297.
  2. Léopold Lamothe cité par Antonin Rolet, Ibidem, pp. 297-298.

© Books of Dante – 2022

Le cyclamen d’Europe (Cyclamen purpurascens)

Synonymes : cyclame d’Europe, cyclamine d’Europe, pain de pourceau (sow bread en anglais, schweinbrod en allemand, pan porcino en italien, varkensbrood en néerlandais), arthanite (dérivé d’un mot grec, artos, qui veut dire « pain »), marron de cochon, rave de terre, umbilicus terrae, suffo.

Sa présence sur le blog pourra vous surprendre, plus habitués que nous sommes à y traiter les médicinales plutôt que cette plante que l’on rencontre davantage chez le fleuriste qu’entre les pages d’un guide de phytothérapie moderne. En effet, il paraît difficile d’imaginer que cette ornementale aux fleurs blanches, roses ou violettes, rangée en pots serrés sur l’étal du marchand de fleurs, puisse appartenir à un biotope original. Or, le cyclamen vit bel et bien dans la nature : la vingtaine d’espèces sauvages existantes peuplent une grande partie du pourtour de la mer Méditerranée. A l’instar de la timide violette, le cyclamen affectionne les terres riches en humus (même sur terrains calcaires) et l’ombre des arbres, ainsi que la fraîcheur des fossés, des haies et des broussailles. Il n’est pas rare non plus de le découvrir sur les pentes rocailleuses de moyenne montagne. Si l’on connaît bien la forme de ses feuilles et de ses fleurs, on a généralement tendance à délaisser le cyclamen une fois achevée la floraison, ce qui est dommage, car à ce moment-là, cette plante nous offre une jolie signature : le pédoncule défleuri qui porte le fruit empli de graines va se vriller, de telle sorte d’adopter une forme spiralée (qu’il avait déjà empruntée avant éclosion des boutons floraux). Inexorablement, ce ressort cherche à enfoncer les graines de la plante dans la terre. C’est l’un des aspects chthoniens du cyclamen le plus évident, renforcé par la présence d’un rhizome sombre et circulaire, dont une partie souterraine est dissimulée aux regards. Ajoutons encore que les disques floraux se tournent vers la terre, et nous aurons passé en revue les caractéristiques botaniques du cyclamen qui font accroire à son appartenance au monde du dessous. A l’inverse, parce que les divisions torsadées de la corolle se dirigent vers le ciel, qu’une partie du rhizome charnu émerge du sol, on a attribué à cette plante une nature céleste, d’autant plus accentuée par le cercle ocellé que dessine un rhizome de cyclamen vu de dessus : ⵙ. Autrement dit, le glyphe qu’en astrologie l’on attribue au Soleil. Si l’on observe bien le cyclamen, l’on voit qu’il procède de cercles : l’orbe de son rhizome, le cercle du limbe de ses feuilles, les spirales pédonculaires. De tout cela découle le nom de la plante tiré du grec kyklos. D’ailleurs, l’astrologie botanique antique ne faisait-elle pas intervenir une plante qu’elle nommait kuklaminon1 et qu’elle associait, de par son caractère léonin, à la planète Hélios, c’est-à-dire au Soleil2 ? Or, bien que la couleur de la fleur du cyclamen soit plus ou moins proche de celle qu’on accordait à Hélios durant l’Antiquité, les quelques autres raisons convoquées pour faire du cyclamen une plante solaire me paraissent bien maigres et, pour ainsi dire, inconsistantes. Par exemple, faire du cyclamen un remède des affections cutanées disgracieuses le range plus clairement sous l’égide d’Aphrodite, quand bien même qui recherche la beauté se place aussi sous la houlette du Soleil. Quand on insiste encore sur le fait qu’il soit un remède ORL et pulmonaire, on appartient clairement au signe du Taureau, et de la Balance concernant sa réputation de remède des organes sexuels féminins, c’est-à-dire que, dans les deux cas, on se trouve sous les auspices de la divine Aphrodite. D’ailleurs, le champ d’action thérapeutique du cyclamen dans ce dernier domaine est corroboré par quelques traités de la Collection hippocratique : on l’y voit prescrit pour des affections essentiellement gynécologiques (provoquer les règles, inflammation utérine, douleur matricielle, induration du col, difficulté d’évacuation des lochies, etc.). Une seule prescription non gynécologique concerne une affection de la poitrine qui nous renvoie encore une fois entre les bras de Vénus, car cette divinité/planète règne également sur les affections pectorales. Alors, le Lion (et donc le Soleil), pourquoi ? Mystère… Mais Vénus, assurément : au Japon, le cyclamen est fleur d’amour. Dans le langage floral, il représente la tendresse, l’attachement puissant et la pérennité des sentiments sincères.

Si l’on sait que les Égyptiens, les Grecs et les Romains employaient les diverses espèces de cyclamens présents dans leur pays respectif, l’on a parfaitement connaissance du fait que le cyclamen est une plante de la Femme (nul besoin d’un seule texte astrologique tardif pour s’en assurer). Au IVe siècle avant J.-C., Théophraste revendiquait les qualités emménagogues du cyclamen. Selon ce botaniste grec, le cyclamen entretiendrait d’étroits liens avec la conception et la sexualité. De cette plante, l’on composait des philtres, comme le rappelle Dioscoride : « D’aucuns disent que pilée et figurée en forme de trochisque, elle se met dans les ouvrages pour les enchantements amoureux »3. Portée en amulette, la racine de cette plante était censée faciliter l’accouchement tout en le rendant rapide et facile. Il connaissait une grande renommée dans ce sens. Les données antiques démontrent bien que le cyclamen possède, comme on l’a déjà avancé plus haut, un rapport particulier avec la Femme.

Mais celui que Pline appelait amuletum était aussi reconnu pour ses redoutables propriétés abortives4. Dioscoride rapporte même que si une femme enceinte vient à enjamber cette plante, elle avortera à coup sûr. Or, comme l’on sait que le cyclamen partage avec la mandragore et la verveine une vertu génitrice, on peut déduire de l’énoncé de ces deux dernières données que ce que le cyclamen accorde, il peut tout aussi bien le reprendre. Nous avons listé plusieurs caractéristiques opposées plus haut qui soulignent encore davantage cette tendance. Il est vrai que le rhizome souterrain du cyclamen, par la cyclamine qu’il contient, peut s’avérer toxique à doses non idoines. Cette racine devient alors un puissant purgatif à l’état frais, un poison âcre et irritant apte à provoquer diverses perturbations gastro-intestinales et la mort par asphyxie parfois5. Purger, c’est chasser ; expurger, chasser au dehors. Ces mots sont synonymes du verbe purifier. Par combien d’étapes une substance censément toxique doit-elle passer pour que ce caractère l’abandonne ? Comment se fait-il que cette racine plus ou moins dangereuse pour l’homme représente pour le porc guère plus qu’une friandise bien incapable de mettre en péril son économie ? N’est-ce pas parce que cet animal appartient au clan honni des animaux bestiaux et démoniaques ? C’est de ce pan porcino (pain de pourceau) dont parle Angelo de Gubernatis : le cyclamen aurait pour vertu, non plus de s’acoquiner avec le malin, mais d’en révéler les agissements cachés, rappelant par là à quel point le cyclamen n’est pas plante d’Apollon pour rien. C’est peut-être ce dernier point caractéristique de la plante qui a fait dire à Pline qu’« il faut en semer dans toutes les maisons, s’il est vrai que partout où elle l’a été, les maléfices ne peuvent pas nuire. » Sans à proprement parler de porte-bonheur, on peut assurer que le cyclamen est doté d’un indéniable pouvoir de protection n’ayant pas échappé aux auteurs antiques : par exemple, le pseudo-Apulée recommandait de s’enduire le corps de suc de cyclamen, parce qu’ainsi « on ne sera mordu ni par les animaux sauvages ni par les chiens et que ceux-ci s’enfuiront ». Utilisée de même comme contre-poison, celle plante constituait un bon antidote contre les morsures de serpents aux dires des Anciens.

A force de trop se focaliser sur cette question d’attraction/répulsion tout à fait typique de Vénus, on en oublierait presque que, pour les auteurs antiques, le cyclamen ne se résume pas qu’à cela. Alors que la Collection des traités hippocratiques se concentre uniquement sur un seul champ d’action, chez Dioscoride, puis Pline, on assiste à une pléthore d’occasions dans lesquelles employer le kuklaminon. Après en avoir fait une description botanique convenable, le médecin grec déroule le fil des propriétés et usages de cette plante énergique qui met en mouvement les fluides corporels stagnants dont le phlegme, l’eau et les flux menstruels. L’on n’en fit pas pour autant une panacée, malgré l’immensité des affections dans lesquelles l’emploi de cette plante était prétendument justifié. D’après Pline, qui en parle en divers endroits de son Histoire naturelle, le cyclamen, que l’on considère purgatif, laxatif, détersif, emménagogue et propre à faciliter l’accouchement, est utile aux besoins variés suivants : affections hépatiques (jaunisse, stéatome), affections urinaires, affections cutanées (plaie, ulcère, brûlure, coup de soleil, engelure, ulcère du cuir chevelu, alopécie), troubles locomoteurs (goutte, membres fatigués), faiblesse oculaire, condylome, etc. Avec Galien, Pline et Dioscoride forment une triade d’auteurs dont le contenu portant sur le cyclamen, une fois réuni en une synthèse sans répétition, dresse un portrait thérapeutique du cyclamen beaucoup plus vaste que celui dessiné par les divers auteurs des traités de la Collection hippocratique. Remarquons que Galien consigne une évidence qui avait visiblement échappée à tous les autres, c’est-à-dire le caractère violemment purgatif du suc de cyclamen, alors que, bien avant lui, si l’on en juge par les modus operandi relevés ici et là, le cyclamen était déjà administré per os : suc, macération dans du vin cuit ou du vin miellé, suppositoire, trochisque. Même les modes d’emploi externes (onction mielleuse ou vinaigrée, emplâtre, décoction pour bain) auraient dû être en mesure d’alerter sur ce point.

Après avoir été énormément plébiscité durant les temps médiévaux où on le vit comme une panacée, entre autres un antispasmodique ayant eu grande vogue en ces temps, le cyclamen… Euh… En fait, non. Il resta très peu usité, malgré tout ce qu’on a pu dire à ce sujet, une confusion cyclamen/aristoloche n’étant pas impossible. Cet inemploi est encore d’actualité : aujourd’hui on emploie plus guère le cyclamen que pour élaborer une teinture-mère homéopathique à base de tubercules frais. Mais tout autre emploi doit être abandonné : si une plante fait davantage merveille au jardin que dans le placard à pharmacie, eh bien c’est parce que c’est là son destin (ou parce qu’il nous reste bien des choses à découvrir à son sujet…).

Aux éléments botaniques que nous avons déjà cités, nous allons en ajouter d’autres afin de compléter le portrait du cyclamen.

Plus haut, j’ai employé le mot rhizome en lieu et place de tubercule : cela a son importance, car si c’était véritablement un rhizome, cela ferait de cette fraction végétale une tige souterraine, or ce n’est pas le cas. Il est tubercule comme savent l’être la pomme de terre et le topinambour. Ce qui nous le fait aussi confondre avec un bulbe, c’est qu’il effleure à même le sol, à la façon d’un oignon tout rond et aplati, ébarbé de radicelles sombres. Du centre supérieur de ce tubercule parfois gros comme le poing, émergent directement des feuilles longuement pétiolées qui portent à leur extrémité un limbe cordiforme dont la face supérieure est marbrée de blanc, tandis que le revers, dirigé vers le sol, se couvre habituellement d’une couche inégale de bordeaux foncé ou de rouge carmin. Parallèlement aux feuilles organisées en rosettes charnues, d’autres « tiges » croissent à partir du même centre : il s’agit des fleurs en devenir. Généralement peu élevés, ces pédoncules floraux spiralés portent des fleurs solitaires et parfumées de couleurs variables (blanc, pourpre, rougeâtre) et déploient le spectacle de leur beauté du mois de juin à celui d’octobre. Le calice comporte cinq divisions, la corolle rotifère cinq pétales en lanière torsadée rabattus vers le haut et cinq étamines. Selon l’espèce, la floraison a lieu à différents moments de l’année (par exemple, mon cyclamen de Naples a déjà fait ses fleurs entre février et avril), ce qui explique qu’on pourrait croire que le cyclamen paraît au jour toute l’année comme le soleil. En réalité, selon l’espèce, la fleur naît avant ou après les feuilles, selon l’espèce, le pédoncule floral serpente en spirale dès la base ou à partir de son milieu. Mais, pour l’homme du commun, ça n’est jamais toujours que des cyclamens. Au fur et à mesure qu’enfle le fruit, le pédoncule se ratatine, ressort fatigué au bout duquel est enchaîné le boulet du fruit, faisait bigrement songer à un fœtus rattaché au placenta par le cordon ombilical. Chacun s’ouvre très facilement en pressant dessus, ce qui libère plusieurs dizaines de graines roux fauve.

La répartition française du cyclamen d’Europe est assez disparate, localisé en des poches où il apparaît massivement à certains endroits. Rare en montagne (jamais au-dessus de 1800 m), ce cyclamen se cantonne au Jura, aux Pré-alpes, au Vercors (je l’ai vu à proximité de Châtillon-en-Diois dans la Drôme l’année dernière), beaucoup plus sporadiquement en Bourgogne. On peut dire qu’il a été dispersé par l’homme qui « l’arrache souvent pour le transporter dans les jardins, d’autre part, il se répand également assez souvent hors de ceux-ci et s’établit dans les régions qui ne le possédaient pas »6. Pour certains, il s’agit du « vestige » d’une ancienne culture implantée auprès des monastères, des cimetières, etc. Secondement, le cyclamen est naturellement disséminé par les fourmis (c’est une espèce myrmécochore) : les graines enduites d’un mucilage sucré incite l’insecte au transport. Petit futé, va ! Par quelle friandise n’attrape-t-on pas les nigauds ?!

A l’instar de la violette, le cyclamen peut parfaitement évoluer à l’ombre. Sub umbra floreo pourrait être sa devise7. Il faut dire que tout comme Viola odorata, il manque cruellement de confiance, d’où la protection des épaisses frondaisons.

Nouvelle flore coloriée de poche des Alpes et des Pyrénées. v.1. Paris, Klincksieck,1906-1912.

Le cyclamen en phytothérapie

Très certainement qu’il doit être cédé aux habitudes d’hier (ou plutôt d’avant-hier). Car ceci n’est pas à proprement parler de la phytothérapie, mais une partie de son histoire. Il n’est jamais superflu d’apprendre par quels tâtonnements sont passés nos prédécesseurs avec telle ou telle plante, quels insuccès ils ont rencontrés avant de jeter l’éponge ou bien d’envisager un changement de paradigme. Nous allons cependant entamer cette première rubrique à la manière dont nous opérons en temps normal. A l’aide d’informations piochées dans trois siècles de littérature, je puis dresser un portrait thérapeutique du cyclamen, dont on n’a presque toujours considéré que le tubercule (pas de décoction de feuilles ni infusion de fleurs à l’horizon), couvert d’une écorce brune et empli d’un suc très âcre, amer, brûlant et excitant la nausée, que recèle une masse blanchâtre parfaitement inodore et pour laquelle « on manque d’une analyse exacte de ses principaux constituants »8. Face à cette lamentation de Cazin, on constate qu’un siècle plus tard Fournier entassa quelques données dans la balance, mais fort peu : le cyclamen contient du cyclamose, qui est un sucre, de l’amidon, de la mannite et au moins du calcium. La seule donnée frappante tient en la présence d’une saponine triterpénique déjà abordée dans l’article consacré au mouron rouge (Anagallensis arvensis), la cyclamine (ou arthanitine). C’est elle qui est responsable des effets décrits plus haut.

Propriétés thérapeutiques

  • Antispasmodique
  • Emménagogue
  • Diurétique
  • Hémolytique, détersif, résolutif
  • Apéritif, purgatif, vomitif, vermifuge
  • Lithontriptique
  • Sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, ménorragie, faire sortir l’arrière-faix après l’accouchement
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, diarrhée, colique, constipation
  • Engorgements et œdème : engorgement des glandes mésentériques, engorgements indolents, obstruction atonique des viscères, hydropisie, résorption des hématomes et des ecchymoses (suite à un traumatisme)
  • Migraine rebelle, bourdonnements d’oreilles
  • Névralgie

De plus, « la racine de cyclamen étant fraîche, est utile pour fondre les tumeurs scrofuleuses. Quelques-uns, pour la rendre plus pénétrante, saupoudrent cette racine de sel ammoniac, après l’avoir écrasée ; et l’appliquent ensuite sur les écrouelles, et sur les autres tumeurs squirreuses ou plâtreuses »9. A la fin du XVIIIe siècle, Desbois de Rochefort classe le cyclamen – remède âcre, dit-il – au rang des substances infidèles auprès desquelles il est préférable de donner son assentiment à la bryone au registre des drogues purgatives. Raison pour laquelle il n’abonde pas dans ce paragraphe, de même que Roques qui l’invite, non pas dans son Traité des plantes usuelles, mais lui concède une place brève dans sa Phytographie médicale. Après un assez long développement botanique, il aborde le cyclamen sous un second angle : ses propriétés délétères, mot sur-employé ces temps-ci et exemple typique de contagion du langage, sans qu’on s’interroge véritablement sur son sens : il provient d’un mot grec ancien qui signifie « nuisible » (ou « pernicieux »), mais pas forcément « mortel ».

Aujourd’hui encore, la seule préparation pharmaceutique française élaborée à partir de tubercules de cyclamen se trouve être une teinture alcoolique destinée à fabriquer des médicaments homéopathiques. C’est la seule, sûrement et sereinement, utilisable aussi. Pour ce faire, dressons un portrait du médicament homéopathique Cyclamen.

Les personnes blondes, de constitution faible et fragile, sont plus particulièrement concernées par Cyclamen. Elles se caractérisent par des difficultés de concentration et de mémorisation, une tendance au perfectionnisme qui, parce qu’il ne trouve pas de débouchés concrets, occasionne un état d’irritabilité. Pour ces personnes, l’échec n’est pas seulement un mauvais résultat, c’est aussi une raison supplémentaire de se lamenter. Mais l’on n’est pas capable de se responsabiliser de la culpabilité de ce qu’on appelle échec. Pour ces personnes, le responsable, c’est forcément l’autre. Il en résulte une mise en retrait, à la façon du pédoncule floral du cyclamen qui, une fois fécondé, n’a pas d’autre but que de s’enfoncer sous terre, afin d’y entrer en sommeil, ainsi qu’en rumination, au sein même de cet atelier secret où il broie du noir (comme d’autres des pigments colorés), afin de peindre son existence en termes toujours plus maussades, plus pure expression d’une humeur dépressive. On serait tenté de l’apostropher par un : « Tu couves quelque chose ! » (assurément pas un œuf, ou bien alors de basilic ^.^, bien qu’on puisse parler à bon droit de couvaison, voire d’incubation). Cette formulation suggère toujours que ce dont on souffre n’est jamais bien grave, mais qu’il importe de le prendre au sérieux. Or, Cyclamen ne peut l’entendre de cette oreille, laquelle a parfois l’habitude fâcheuse de tinter de manière fort désagréable.

A ce portrait psycho-émotionnel s’additionnent un certain nombre de catégories de troubles que voici exposées dans le détail :

  • Vertige avec maux de tête et perturbations auriculaires et visuelles (vision double et scintillement devant les yeux) ;
  • Amoindrissement du goût et de l’odorat, et subséquemment de l’appétit dont on peut assurer qu’il est bel et bien détraqué : incapacité à avaler plus que de toutes petites quantités à chaque prise. Bien que la satiété se fasse forcément désirer, la « digestion » s’accompagne de rots, de vomissements post-prandiaux, de sensation de nausée, de gargouillis dans l’estomac, de régurgitations acides, d’épisodes diarrhéiques. On observe encore une appétence pour les aliments sucrés liquides (qui sont en même temps les moins bien tolérés avec ceux qui sont gras), et même pour des choses incomestibles ;
  • Rhinite chronique avec reniflements et écoulement aqueux ou muqueux ;
  • Transpiration excessive des pieds ;
  • Démangeaison et irritation un peu partout sur le corps ;
  • Perturbations du cycle menstruel, règles prématurées et douloureuses, dysménorrhée, aménorrhée (et chlorose relative) provoquée à la suite d’un effort physique ou après avoir été trempée par la pluie. Crampes menstruelles, saignements foncés avec caillots, tension dans les seins, acné sévère précédant le déclenchement des règles.

On peut améliorer les symptômes grâce à plusieurs moyens : se mouvoir plus lentement, pratiquer des massages, fréquenter des lieux chauffés, doucher grâce à de l’eau fraîche les zones qui s’endolorissent durant les règles. En revanche, il peut y avoir une détérioration des symptômes à cause des raisons suivantes : courants d’air frais ou froid, position assise longtemps conservée (la chaise qui tue !), stationner en extérieur durant la soirée, manger des aliments gras et sucrés (exemple typique : se farcir un big mac et un coca sur la terrasse d’un Mcdo à 22h00 en plein mois de novembre ! ^.^).

Modes d’emploi

  • Teinture alcoolique de tubercules frais.
  • Décoction de tubercules frais (5 à 10 g dans ½ litre d’eau).
  • Suc frais.
  • Poudre de tubercule (plus elle est ancienne, moins sa qualité purgative avec tranchées est marquée).
  • Cataplasme de tubercules frais pilés.
  • Onguent d’arthanita : « Cet onguent a été recommandé dans quelques cas de paralysie, pour exciter des évacuations intestinales considérables […]. Il était autrefois très employé ; mais il l’est peu aujourd’hui, parce qu’il excite sur les parties où on l’applique, de l’inflammation, de l’érysipèle, souvent des superpurgations, et souvent aussi des coliques très vives et très douloureuses sans évacuation »10. Il importe de mentionner, au sujet de cette préparation, qui purge par haut et par bas, qu’elle contient les drogues nécessaires pour ce faire : momordique, coloquinte, aloès, euphorbe, scammonée, turbith, cyclamen, etc., soit un sympathique complexe éméto-cathartique purgativo-drastique, dans lequel la myrrhe et le gingembre sont les quelques ingrédients les plus anodins…

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : le tubercule s’extrait du sol à l’automne. S’il est gros, on le coupe en tranches avant dessiccation, puis on le place au séchage à l’étuve ou au soleil. Parfois, quand les tubercules sont rikiki, on les fait sécher d’un seul bloc, et ils prennent par la suite l’allure de figues ratatinées. Mais la dessiccation amoindrit en partie la virulence de ce tubercule ; la torréfaction la supprime intégralement, en même temps que ses propriétés médicinales. Alors, il deviendrait comestible à l’homme (?).
  • Par le biais de la voie interne, le tubercule frais de cyclamen irrite l’ensemble des muqueuses du tube digestif, au point de, souvent, provoquer le vomissement. Des doses excessives occasionnent des phénomènes d’intoxication parmi lesquels on ne trouve pas seulement des inflammations et des hémorragies propres au tube digestif, mais également un sentiment d’hébétude et de torpeur, des troubles visuels et des tintements d’oreilles, des sueurs froides, une sorte de vertige tournoyant. « A tous ces accidents, succède encore une superpurgation qui réduit le malade au tombeau »11. Bulliard rapporte à propos que « qui vomit est guéri » n’est pas un proverbe que l’on peut appliquer à l’action énergique du cyclamen, bien qu’il ait été employé en guise de purgatif empirique dans les campagnes. Mais une dose inadéquate auprès d’un sujet à la nature, l’âge, le tempérament, etc. inadaptés, et c’est rapidement la catastrophe qui se résume et se solde par les dévoiements gastro-intestinaux sus-dits, accompagnés de phénomènes spasmodiques (strangulation, convulsions, etc.). Afin de ne pas succomber à une intoxication au cyclamen, on faisait absorber les antidotes usuels en ce cas : lait, huile et mucilages.
  • Autres espèces : elles sont fort nombreuses. Je n’en ai retenues que trois, parce que les plus fréquemment citées : – le cyclamen de Perse (C. persicum) : c’est le cyclamen des fleuristes ; – le cyclamen de Naples (C. hederifolium) ; – le cyclamen de Grèce (C. graecum).

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  1. Soit l’équivalent grec du latin cyclaminum, deux termes qui, s’ils s’adressent globalement au genre Cyclamen, désignent, dans le monde grec, le cyclamen de Naples et le cyclamen de Grèce, et en Italie essentiellement le cyclamen d’Europe.
  2. La précision qui veut qu’elle serait solaire, consacrée à Apollon, par ses feuilles, n’a pas été retenue, non plus qu’elle ait été attribuée à la Balance, signe vénusien, par sa racine.
  3. Dioscoride, Materia medica, II, 156.
  4. L’amuletum prenait aussi le forme d’une plaque de métal précieux sur laquelle on gravait la fleur ou la feuille d’une plante, puis que l’on portait sur soi afin qu’elle diffuse ses bons effets à toute la personne du porteur.
  5. Le caractère toxique du cyclamen est exploité à diverses occasions : on enduisait les pointes de flèches de son suc paralysant, une propriété qu’on employait aussi lors de la pêche en Calabre, en Sicile et au Liban.
  6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 323.
  7. Qui est aussi celle d’un minuscule pays d’Amérique centrale, le Belize.
  8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 335.
  9. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 32.
  10. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 422.
  11. Pierre Bulliard, Histoire des plantes vénéneuses et suspectes de la France, p. 105.

© Books of Dante – 2022

Les fruits du cyclamen de Naples. On peut voir quelques tortillons.

Le curcuma (Curcuma longa)

Synonymes : safran des Indes, safran du pays (c’est ainsi qu’on l’appelle à la Réunion), safran Bourbon, safran de terre, racine de safran, safran vert, safran péi, épice dorée, turmeric, turmerie sauvage, terra merita, arrow-root de l’Inde, rajanî, kunkuma ranjani, yu-chin, besar, souchet de Babylone, souchet des Indes, souchet de Malabar.

Matière médicale, plante tinctoriale, mais également épice, le curcuma prodigue ses bienfaits depuis plus de trois millénaires. Cette plante vivace, dont certains cultivars ornent les boutiques des fleuristes, est avant tout connue pour les parties d’elle qu’on ne voit pas et qui, à la manière des mains du gingembre son proche cousin, sont constituées de rhizomes, tubercules ramifiés, orange frais à la cassure, c’est-à-dire des tiges souterraines desquelles naissent, à la base même du sol, de longue feuilles lancéolées, brillantes et pointues, et dont le seul limbe peut mesurer jusqu’à 60 cm, faisant facilement atteindre un bon mètre à la plante lorsqu’elle évolue dans son milieu naturel (celui que j’ai à la maison et que j’ai abrité dans un pot depuis maintenant six années n’a jamais formé de feuilles – limbe + pétiole – ayant excédé 50 cm de longueur. Édit : il a dépassé, mi-août, les 65 cm de hauteur. Il a été bien exposé et bien nourri, ce qui explique cette vigueur). Concurremment aux feuilles, apparaissent, quand il est l’heure, des fleurs jaunes pâles enserrées par des bractées roses plus colorées encore, réunies en « massue » (rappelez-vous de l’article sur le gingembre dans lequel j’ai déjà exposé cette organisation florale) de 15 à 20 cm de long, formant à terme des fruits capsulaires, globuleux et triloculés, qui renferment des graines.

Originaire d’Asie tropicale, cette plante fragile qu’est le curcuma, est depuis longtemps cultivées sous ces latitudes, c’est-à-dire plus précisément dans toutes ces régions pluvieuses (zones à mousson, entre autres) à sols malgré tout bien drainés, procurant la chaleur nécessaire pour que puisse s’épanouir celui que les Anglais nomment étrangement turmeric, probable transformation approximative d’un terme que l’on doit aux Français qui délocalisèrent la plante aux Antilles à des vues de culture. Alors que bien des langues s’attachèrent à décrire en premier lieu le caractère principal du curcuma, son jaune qui saute aux yeux (karkouma en sanskrit, kurkum en ancien persan, karom en hébreu, kourkoum en arabe et jusqu’à l’actuel curcuma d’origine espagnol1), pourquoi diantre aller s’enticher d’un turmeric qui s’écarte à si grands pas du chemin, voie d’or, tracé depuis au moins le temps de Dioscoride ? (Celui-ci décrivit une plante dont il est bien difficile de déterminer s’il s’agit du C. longa ou d’un autre, et dont il dit ceci : « Un autre genre de souchet, originaire de l’Inde, ressemble au gingembre : il possède, lorsqu’on le mâche, les propriétés du safran »2. A tous le moins un « xanthorizzha », autrement dit une racine jaune.

Turmeric, oui. De quoi serait-ce donc la transformation, alors ? Eh bien, après implantation du curcuma aux Antilles, on en traita le rhizome pour en faire ce qu’en Inde on en faisait, c’est-à-dire de la poudre jaune. Parce qu’on lui trouva l’apparence d’une substance minérale, voire terreuse, et qu’elle était de grand mérite, on la surnomma de fait terra merita. De là, une oreille inattentive ou paresseuse eut tôt fait de transformer cet idiomatisme en turmeric ! Bref. Cette installation antillaise succéda de peu la seconde irruption du curcuma en Europe dès l’abord du XVIe siècle, où il fut remarqué – signature évidente ! – par la couleur jaune d’un de ses pigments qui, d’emblée, le fit passer pour un puissant agent de lutte contre la jaunisse et par extension comme remède de la sphère hépatobiliaire ce qui, pour le coup, est parfaitement heureux, connaissant les prodiges dont est capable le curcuma au sein de cette sphère d’action. Ainsi, Jacob de Bondt (1592-1631) affirma-t-il que l’électuaire de curcuma est « le spécifique de cette maladie et que, sous son influence, l’humeur vicieuse qui en est cause est expulsée par la sueur et par l’urine »3. Même son de cloche du côté de Nicolas Lémery en fin de XVIIe siècle, qui conseille de « choisir cette racine nouvelle, pesante, compacte, bien nourrie, de couleur jaune safranée »4. En plus de désobstruer le foie et de désopiler la rate, le curcuma s’avère être fort utile comme apéritif, diurétique, emménagogue, antiscorbutique et détersif. Outre son emploi face à la jaunisse, le curcuma intervenait en cas de lithiase et de colique néphritique, d’hydropisie, de fièvre intermittente et de maladies cutanées. Au XIXe siècle, moins fréquemment usité comme matière médicale, le curcuma demeura néanmoins un remède tonique du foie et stimulant des fonctions digestives et diurétiques, jusqu’à ce qu’il tombe progressivement dans l’oubli, au point où, dans les années 1920, le docteur Leclerc, constatant son parfait inemploi, s’engagea dans l’écriture d’un article portant sur l’utilisation thérapeutique du curcuma dans les affections hépatobiliaires en 1936.

« Personne ne semble être en mesure de s’entendre sur ce que les correspondances élémentaires font de cette herbe. Certains disent Air, tandis qu’une source que j’ai trouvé dit Feu. Alors que le Feu a un sens pour moi, je dirais probablement la Terre »5. Je partage l’avis de l’auteur de ces lignes, non seulement pour la raison trop évidente (mais biaisée) qui fait que le rhizome du curcuma loge sous la terre. Cela serait parfaitement ridicule de le prétendre et de s’arrêter là, puisqu’il s’avère que tout est dans tout. De même qu’il existe du yin dans le yang (et inversement), au sein même d’une plante donnée qui nous semble apparaître liée à la Terre (ou que sais-je), il faut s’efforcer de lire entre les lignes les détails des principes moins évidents qui se dissimulent à l’ombre de celui qui se trouve être le principal. Ainsi, malgré sa couleur, le curcuma ne doit pas nous induire en erreur et nous orienter vers le Feu, car si l’on s’attarde sur la majorité moléculaire de son huile essentielle, les cétones, on en peut déduire qu’on a affaire là à une drogue de nature éminemment terrestre (tandis que les monoterpènes et partie des sesquiterpènes contenus dans cette huile essentielle nous renvoient, eux, à l’élément opposé à la Terre, à savoir l’Air). Cette racine peut donc indubitablement faire penser à la Terre dès lors qu’on considère celui qu’on appelle curcuma mère ou curcuma rond. S’apparentant à un œuf, du fait de cette ressemblance, le rhizome de curcuma représenterait la matrice d’où serait issu l’Univers selon les Louchais de Birmanie.

En Malaisie et en Indonésie, on purifie les lieux où se tiennent les cérémonies magiques avec du curcuma dilué dans de l’eau salée et en l’aspergeant à l’aide des larges feuilles de la plante. Il est aisé de comprendre pourquoi cette lustration fait appel au curcuma, ne serait-ce qu’en raison de la couleur jaune d’or qu’il prend parfois : cela en fait un parfait soleil à même de chasser les ombres ténébreuses, d’où l’utilité qu’on lui trouve pour écarter de soi les mauvais esprits ainsi que les sortilèges (en Polynésie française, porter sur soi la racine comme amulette occupe cette fonction propitiatoire et protectrice). Ainsi, l’on comprend mieux pourquoi ces rituels d’aspersion ont cours lors des cérémonies de mariage, d’autant que la couleur orange du rhizome de curcuma, par son symbolisme, nous dirige droit vers la vitalité et la prospérité, toutes les deux secondées par ce jaune magnifiant qui convoie force et succès.

Le curcuma en phyto-aromathérapie

En France, l’on trouve le curcuma sous au moins trois formes principales : le rhizome frais, la poudre de rhizome et l’huile essentielle. Le premier, de couleur jaune orangé franc possède un parfum aromatique (que d’aucuns affirment ressembler à celui de la muscade…), conférant à la salive de celui qui en mâche un morceau une teinte jaune d’or saisissante. Rien de semblable avec la poudre, hormis une couleur qu’elle conserve à l’identique. En effet, le parfum du rhizome frais est très atténué dans la poudre (ainsi que dans les tronçons de rhizome sec). Pour l’obtenir, voici comment l’on procède : « A la maturité que l’on reconnaît par la sécheresse des feuilles, les rhizomes sont arrachés, lavés et séchés au soleil [NdA : durant huit jours], ensuite ils sont coupés en rondelles très minces, séchées de nouveau, et pilées dans un mortier pour faire une poudre que l’on tamise à l’aide d’une toile très fine »6. Selon qu’on destine cette poudre à un usage médicinal ou culinaire, on n’emploie pas les mêmes parties du rhizome : on réserve le curcuma mère (ou rond), c’est-à-dire la partie centrale du rhizome, à la première de ces fonctions, tandis qu’aux doigts, autrement dit les ramifications latérales, échoie la fonction d’aide culinaire. De cela, l’on déduira que l’huile essentielle de curcuma ne s’obtient qu’à partir du curcuma rond, mais je ne suis pas certain que cet ordre des choses soit encore respecté de nos jours.

La fécule amylacée du rhizome de curcuma abrite de la gomme et de la résine, mais surtout un pigment de couleur jaune, la curcumine (5 %), substance phénolique quelque peu amère, accompagnée des deux autres principaux curcuminoïdes que sont la déméthoxycurcumine et la bidéméthoxycurcumine (on y trouve encore de la dihydrocurcumine). On peut encore ajouter à cette liste de la vitamine C, ainsi que plusieurs vitamines du groupe B, sans oublier une pléthore de sels minéraux (fer, zinc, cuivre, manganèse, magnésium, calcium, potassium…). A l’abord de l’huile essentielle de curcuma, on ne parle plus du tout de ces composés, la distillation du rhizome mettant en évidence des molécules aromatiques spécifiques. Riche en essence aromatique, le rhizome de curcuma délivre généralement 4 à 6 % de son poids en huile essentielle. Il s’agit d’un liquide moyennement fluide, sirupeux pourrait-on dire, un peu « lourd », de couleur jaune pâle à jaune foncé vif, et dont la densité est comprise habituellement entre 0,92 et 0,94. Selon que l’on distille le rhizome à l’état sec ou frais, le parfum de l’huile essentielle obtenue diffère nettement : de sec et terreux, il évolue vers quelque chose de plus douceâtre et mielleux, gagnant aussi en « fraîcheur citronnée » et en richesse aromatique. Dans les deux cas, le parfum de l’huile essentielle de curcuma, sans être ni trop chaud et piquant comme celle de gingembre, conserve de façon suffisante une douce note épicée, un peu boisée, sans excès. On alloue à l’huile essentielle de curcuma frais des propriétés thérapeutiques similaires à celle de curcuma sec. D’après la littérature, elles seraient beaucoup plus puissantes.

Voici quelques informations chiffrées qui permettront de mieux se rendre compte du profil moléculaire de cette huile essentielle :

Cétones (C15) : 62,50 %

  • Dont β-turmérone (= curlone) : 21,40 %
  • Dont α-turmérone : 19,80 %
  • Dont ar-turmérone : 19,60 %

Sesquiterpènes : 12,10 %

  • Dont α-zingibérène : 4 %
  • Dont ar-curcumène : 2,60 %
  • Dont β-sesquiphellandrène : 2,30 %
  • Dont α-curcumène : 0,30 %

Monoterpènes : 8 %

  • Dont α-phellandrène : 4,30 %
  • Dont β-myrcène : 0,80 %

Oxydes

  • Dont 1,8 cinéole : 1,30 %

J’ai estimé le prix moyen d’un flacon d’huile essentielle de curcuma biologique de 5 ml à 10,80 € (tout en observant de grandes disparités : de 6 à 16 € selon les fournisseurs !).

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulant hépatique, régénérateur hépatique, dépuratif et drainant du foie, hépatoprotecteur, cholagogue, cholérétique, hypocholestérolémiant
  • Tonique circulatoire, anticoagulant, fluidifiant sanguin, hypotenseur, favorise une fonction cardiovasculaire saine, accélère le pouls
  • Apéritif, digestif, carminatif, antiseptique intestinal, stomachique, anthelminthique, protecteur du système digestif
  • Anti-inflammatoire puissant (à effet non stéroïdien), réduit le taux d’histamine, antalgique, analgésique
  • Antirhumatismal, améliore la mobilité articulaire, renforce les cartilages, soutient le système musculaire
  • Antibactérien, bactériostatique, antifongique, antiviral, parasiticide
  • Immunostimulant
  • Antispasmodique
  • Diurétique, diaphorétique
  • Cicatrisant, vulnéraire, améliore la santé de la peau
  • Anti-oxydant, antiradicalaire, lutte contre le vieillissement cellulaire, protecteur cellulaire, réduit le stress oxydatif
  • Préventif des cancers et des maladies dégénératives, anticarcinogène, antimutagène, anti-angiogenèse, antitumoral (il a été remarqué que les cas de cancer du côlon sont beaucoup moins fréquents dans les aires de consommation régulière du curcuma)
  • Protecteur des lésions cutanées et muqueuses suite aux séances de radiothérapie,
  • Stimulant des fonctions cognitives et de la mémoire, équilibrant de l’humeur, antidépresseur (augmente la sécrétion de sérotonine, de dopamine et de noradrénaline)
  • Emménagogue

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, destruction des toxines du foie, métabolisation des graisses, excès de cholestérol sanguin, lithiase biliaire, diabète sucré
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, nausée, gastrite, insuffisance digestive, lourdeur après repas, ballonnement, gaz intestinaux, aérocolie, colite, inflammation du côlon, maladie de Crohn, inflammation et ulcération des muqueuses gastro-intestinales, parasites intestinaux, diarrhée, acidité gastrique et remontée acide
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : prévention des crises cardiaques, athérosclérose, thrombose
  • Troubles locomoteurs : douleur rhumatismale, articulaire et musculaire, douleur osseuse, crampe
  • Affections cutanées : dermatoses inflammatoires (acné, eczéma), mycose cutanée, psoriasis, affections cutanées prurigineuses, gale, peau mature à rides et ridules, pellicules du cuir chevelu, maintenir l’asepsie du cuir chevelu, abcès cutané
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, rhume des foins, asthme
  • Troubles de la sphère gynécologique : syndrome prémenstruel, douleur menstruelle, cycle menstruel irrégulier
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection de l’appareil génito-urinaire, lithiase rénale
  • Prévention du cancer, cancer de la prostate
  • Troubles du système nerveux : syndrome anxiodépressif, anxiété, pensées négatives, dépression, agitation émotionnelle, saute d’humeur, crainte, peur, troubles du sommeil

Note : la capacité que possède le curcuma à lutter contre bien des états inflammatoires aigus comme chroniques explique qu’il soit impliqué dans le soin de nombreuses affections tributaires d’une inflammation : arthrite, maladies auto-immunes, diabète, affections cardiovasculaires, pathologies pulmonaires, maladies neurologiques (Alzheimer), etc.

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : par usages externe et interne de préférence, parfois en bain et en diffusion atmosphérique. Pourquoi pas en olfaction (massage radial suivi de quelques inspir/expir) si le besoin s’en fait sentir ?
  • Extrait alcoolique.
  • Jus de curcuma frais.
  • Curcumine biodisponible.
  • Poudre de curcuma : en gélule dosée ou diluée dans de l’eau (à raison de 2 à 3 g par prise).
  • Décoction de poudre (7 à 8 g par ½ litre d’eau), décoction de rhizome sec, décoction de rhizome frais concassé dans du lait sucré (la liaison du curcuma à un corps gras permet une meilleure extraction des principes actifs).
  • Cataplasme de poudre de curcuma ou de rhizome frais broyé.
  • Dentifrice : mêler un peu de poudre de curcuma à de l’huile vierge de coco (se conserve au réfrigérateur).

Note : il est possible de faire entrer la poudre de curcuma dans la recette de moult compositions (pommades, savons, crèmes, etc.).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La poudre de curcuma du commerce, consommée quotidiennement, est un bon préventif d’un grand nombre de maux que nous avons rencontrés plus haut. Mais elle est à peu près inopérante d’un point de vue curatif. Cette optique requiert l’emploi d’un curcuma optimisé. Si l’on sait que le curcuma améliore l’efficacité et l’absorption des huiles essentielles de cannelle de Ceylan et de clou de girofle (trouver ces trois épices dans le curry ne doit rien au hasard), il se trouve que le curcuma doit se faire aider par la pipérine du poivre (cela démontre, une fois encore, que la panacée parfaite n’existe pas, et tant mieux !), mais aussi par le gingembre ou bien la bromélaïne de l’ananas. En effet, ces substances augmentent la biodisponibilité de la curcumine, ce qui accroît sa capacité à traverser la barrière hémato-encéphalique.
  • Une plante dotée d’une telle activité n’est pas exempte de quelques effets secondaires plus ou moins indésirables qu’il importe de connaître. Tout d’abord, le curcuma diminue potentiellement l’activité de la glande thyroïdienne. Quand on l’ingère à trop fortes doses, une irritation gastrique, ainsi que des réactions cutanées sont possibles. On recommande généralement d’éviter les expositions solaires en cas de prise prolongée de curcuma. Quant à l’huile essentielle, inadaptée au bébé et à l’enfant, on l’évitera de même en cas de grossesse, car, en raison de sa grosse proportion de cétones (même en C15), cela en fait une huile essentielle potentiellement neurotoxique et abortive. Enfin, les personnes concernées par une occlusion des voies biliaires, celles présentant un faible taux de plaquettes sanguines, ainsi que celles employant des médicaments à vertu anticoagulante, feront de cette huile essentielle un usage prudent et mesuré. La curcumine seule est également contre-indiquée en cas de lithiase biliaire. On a pointé du doigt le curcuma en raison des lectines qu’il contient, ce qui n’a rien de bien pertinent, sachant qu’on en trouve dans bien des végétaux. Beaucoup de ces protéines sont inoffensives, mais d’autres peuvent s’avérer irritantes pour l’organisme, et causer des phénomènes d’intoxication (je vous renvoie au livre du docteur Steven Gundry, Le paradoxe des plantes). Il importe de faire le distinguo entre curcuma d’une part, curcumine de l’autre. Dans le cas du curcuma, qui contient donc des lectines, dans quelle mesure son usage peut-il est problématique au regard des bienfaits thérapeutiques nombreux dont il est capable ? En cas de troubles de l’absorption, de porosité intestinale, on pourra se permettre d’être prudent, puisque les lectines, bonnes comme mauvaises, traversent alors la muqueuse intestinale dégarnie et se propagent à tous l’organisme où elles n’ont rien à y faire, occasionnant maints troubles peu désirables.
  • La couleur trompeuse, de même que le nom qu’on concède à cette poudre tant en anglais (indian saffron, saffron coolie) qu’en français (safran des Indes, racine de safran, etc.), incitent sans aucun doute le touriste, déambulant sur les marchés exotiques d’Inde ou d’Asie du Sud-Est, dans son acte d’achat, s’imaginant acquérir pour rien ce qu’ailleurs n’est concédé qu’au prix de l’or. Cette confusion résulte d’une méconnaissance botanique et originelle. Du côté de l’Amérique du Nord, on a attribué à l’hydrastis du Canada (Hydrastis canadensis) tout un tas de noms vernaculaires anglais (indian turmeric, wild turmeric, curcuma, Ohio curcuma, wild curcuma, kurkuma, etc.) qui peuvent confiner aux mêmes risques d’erreur.
  • Le curcuma est, avec la coriandre et nombre d’autres épices (cannelle, piment de Cayenne, gingembre, muscade, clou de girofle, fenugrec, etc.), l’un des principaux éléments de la poudre de curry (ou carry, kari…), doux ou fort, mais aussi de tous ces autres mélanges plus ou moins connus dont les recettes variables se déclinent du Maghreb (ras el-hanout, épices pour tajine) à l’océan Indien (colombo, massalé), en passant par l’Europe méridionale (épices pour tzatziki), sans oublier la Chine et l’Asie du Sud-Est, les Antilles et quelques coins perdus de Polynésie française. En Inde, le curcuma demeure l’incontournable condiment du dahl, à qui il confère une incroyable couleur et une saveur qui n’est pas moindre, et dans bien des cuisines asiatiques, il est largement utilisé pour colorer et aromatiser les plats de riz, de poissons, de crème de coco, etc. On utilise le rhizome frais que l’on épluche puis râpe ou émince (comme le gingembre), le rhizome sec que l’on réduit en poudre, le jus émanant de l’expression du rhizome très frais, les jeunes pousses, les inflorescences ou plus communément les feuilles fraîches dont le parfum est proche de celui de l’huile essentielle de curcuma frais. A préférer crues (finement ciselées dans une salade, par exemple), on peut néanmoins les consommer cuites lorsqu’on en aromatise une omelette en lieu et place du persil. Quant à l’huile essentielle, elle peut s’intégrer en petite quantité et toujours en fin de cuisson aux mêmes types de préparations. Pour satisfaire ses besoins gourmands, l’Inde s’oblige à maintenir sa première place de pays producteur de curcuma au monde, suivie par d’autres pour lesquels cette épice est tout aussi cruciale (l’Indonésie, la Chine, le Bangladesh, l’Amérique du Sud et les Antilles)
  • Le curcuma est encore une plante tinctoriale – énième casquette. Les Anciens ne manquèrent pas de remarquer que « les teinturiers, les gantiers, les fondeurs et plusieurs autres artisans [NdA : ajoutons-y les parfumeurs et les boutonniers], l’emploient pour teindre en jaune ou en couleur d’or »7. Par exemple, concernant les boutonniers qui façonnaient autrefois des boutons en bois, ceux-ci étaient déjà passés au curcuma avant de recevoir la dorure (à l’érosion de cette dernière, demeurait toujours le jaune du curcuma en arrière-fond). L’industrie de la métallurgie obtenait du cuivre aux tonalités dorées par adjonction de zinc et de poudre de curcuma. On en teintait aussi le cuir et le papier, on en contrefaisait l’ambre aux dires de Jean-Baptiste Porta. Enfin, l’utilisation tinctoriale la plus remarquable demeure celle qui s’applique aux textiles, en particulier les étoffes de laine et de soie, plus que de coton : les fibres animales grasses et protéiques intègrent plus facilement les pigments en raison de leur qualité amphotère, accrochant autant les pigments basiques qu’acides (comme peuvent l’être ceux du curcuma). L’on sait donc comment est obtenue la jolie teinte de la tenue des moines bouddhistes. Petits détails intéressants : en milieu acide, la curcumine vire au rouge cramoisi, tandis qu’elle bleuit en milieu alcalin. Et si l’on souhaite obtenir du vert à l’aide de curcuma, il faut le mélanger à de la poudre d’indigotier (Indigofera tinctora). Enfin, la curcumine brute (qui porte le nom de code barbare E100) est très largement exploitée comme colorant alimentaire, intervenant autant pour jaunir des laitages palots (beurre, fromages), que pour conférer davantage de noblesse à des liqueurs de table.
  • Autres espèces : 1. La zédoaire (C. zedoaria) ; 2. Le curcuma javanais ou temoe-lawaq (C. xanthorrhiza) ; 3. Le mango-gingembre (C. mangga) ; 4. Le curcuma sauvage (C. aromatica). En thérapeutique, on utilise les 1 et 2, en parfumerie les 1 et 3, en liquoristerie le 1, comme épice les 18, 2 et 3, enfin comme pigment les 2 et 4.

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  1. Dans l’article que j’ai consacré au safran, je lui accorde comme synonyme le mot karkom. Ce n’est pas une erreur d’identification, mais signale que curcuma et safran sont unis par un caractère bien identifiable, cette couleur jaune qu’on lit dans le nom que l’on a utilisé pour les désigner toutes les deux. Nicolas Lémery ajoutait que le mot « curcuma » a été « donné encore à plusieurs autres racines jaunes ou rouges, comme celles de la chélidoine, de la garance, de la patience » (Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 868).
  2. Dioscoride, Materia medica, I, 4.
  3. Henri Leclerc, Les épices, p. 53.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 867.
  5. https://marblecrowblog.com/2020/05/06/turmeric-folklore-and-magical-uses/
  6. Joseph Orme, Manuel pratique d’agriculture intertropicale, p. 90.
  7. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 867.
  8. Très exceptionnellement, on utilisait la zédoaire avant l’irruption du gingembre, mais on acheva de l’utiliser en raison de la toxicité de certains éléments que contient son rhizome, connaissant un destin semblable à celui de l’acore calame.

© Books of Dante – 2022

Les huiles essentielles de citronnelles (Cymbopogon sp.)

Citronnelle de Java (Cymbopogon winterianus).

Synonymes : citronnelle de l’Inde, verveine des Indes, herbe à citron, lemon grass, sereh, etc.

Au temps pas si lointain de Joseph Roques (1772-1850), l’on parlait non pas de cymbopogon mais d’andropogon, soit littéralement de « barbe d’homme », terme qu’on remplaça donc par ce cymbopogon auquel j’inverse régulièrement le b et le p, et qui ne me dit rien. Les Anglais usent de barbed wire et de silky head, ce qui est tout à fait compréhensible, quoi que, selon eux, la citronnelle soit ainsi inscrite entre la rudesse et le soyeux, ce qui laisse une très large marge aux interprétations. Mais qu’est-ce que peut bien vouloir signifier ce cymbo ? (Comme si l’affaire qui nous attend n’était pas assez compliquée, sérieusement. Pff.). Bref, empruntons tout de même ce sentier semé d’embûches où les passages difficiles me semblent être assurés par une main courante à l’allure solide. Tout d’abord, notre nautonier qu’est Joseph Roques en la circonstance, nous signale l’existence d’un Andropogon nardus dont la description botanique, qui ne fait pas de doute, permet de reconnaître en elle l’actuel Cymbopogon nardus. Mais cela déraille à partir du moment où l’auteur indique que cette plante porte aussi le nom de « nard indien ». Alors, on pense tout de suite à Nardostachys jatamensi, ce qui ne serait pas une si regrettable erreur si Roques ne poursuivait pas en citant Tibulle (un poète romain du Ier siècle avant J.-C.), et dont on n’est pas certain que le nard qu’il évoque dans ses Élégies soit le même auquel la fiancée du Cantique des cantiques fait référence, ni même encore que ce mystérieux nard qui a inscrit sa présence jusque dans le nom latin de cette plante qu’en français l’on appelle citronnelle de Ceylan. Mais accrochons-nous donc à quelque chose d’un tant soit peu tangible : « Sa racine odorante et fibreuse pousse des tiges articulées, moelleuses, feuillues, semblables à celles des roseaux, et d’une grande hauteur. Les feuilles sont fort longues, lisses, larges d’environ un pouce ; les fleurs nombreuses, d’un vert pâle, et disposées en panicule au sommet des tiges »1. Cela est un portrait applicable à la plupart des citronnelles qui seront abordées dans cet article. Je sais bien qu’entre elles il existe des dimorphismes botaniques qui permettent de les singulariser les unes des autres (c’est-à-dire à une chatte d’y retrouver ses petits), de la même façon, qu’à y regarder de plus près, l’on constate bien des différences entre ces graminées bien de chez nous – brize, fétuque et pâturin –, mais qu’on renonce généralement à distinguer dans le détail. Ces autres poacées que sont les citronnelles ne font pas exception à cette règle qui veut que toutes ces longues herbettes de bordure de chemin, courbant l’échine sous le souffle du vent, soient rangées par nous dans un seul et même sac, fort commode au demeurant. Je lisais récemment, dans un numéro spécial de La Garance voyageuse (n° 136, hiver 2021) intégralement consacré aux Poacées/Graminées, un article dévolu à cette grande famille botanique : c’est à s’arracher les cheveux tant ces plantes sont peu glamours, car insuffisamment attractives (selon moi ^.^). Comment le pourraient-elles, elles qui passent le plus clair de leur temps à écarter les importuns que sont puces et moustiques ? Il faut dire encore que les bordures des feuilles de citronnelle sont si tranchantes – lames gladiolées ou fil d’épée de fer barbelé – qu’elles n’invitent pas franchement aux caresses…

Bref. A la suite d‘Andropogon nardus, Joseph Roques nous expose une seconde plante, Andropogon schoenanthus, dont il nous dit qu’il s’agit là du vétiver des Indes, ce que l’on peut assurément ranger au registre des erreurs, puisque la plante, que l’on connaît encore sous le nom de Cymbopogon schoenanthus, est désignée par les Anglais par le sobriquet d’herbe au chameau. Mais il peut s’appliquer à toute herbe asiatique au parfum doux du genre Cymbopogon, en particulier ce schoenanthus que l’on peut croiser loin des terres asiatiques, comme au Maroc par exemple. Enfin, rien de commun avec nos citronnelles, hormis une forte variabilité phytochimique : ici, nous voyons des chémotypes à monoterpènes, là-bas à cétones (pipéritone, entre autres).

Les approximations qui subsistent dans un texte vieux de deux siècles à peine laissent craindre le pire concernant l’information qui voudrait que Dioscoride et Pline, il y a 2000 ans, aient connu la citronnelle (sans qu’on sache, bien évidemment, laquelle…). Il paraîtrait donc que certaines propriétés médicinales et implications cosmétiques propres à la citronnelle avaient cours en Égypte, ainsi qu’en Grèce et en Rome antique. L’ancestralité de ces usages ressort davantage en Inde, ce qui est bien compréhensible au reste. En vrai, avant le XIXe siècle, en Europe, l’on ne croise aucunes informations relatives aux citronnelles en général. L’on ne les rencontre pas chez Lémery et Pomet, non plus que chez Chomel, la source la plus ancienne qui nous parle de cymbopogon, ex andropogon, c’est donc bien Roques (1837). Parfois, surgit un fait qui repousserait à bien plus loin cet apprivoisement : au XVIIe siècle, un chirurgien militaire du nom de Nicolas Grimm aurait fait valoir les qualités antiseptiques de la citronnelle. Mais l’on n’est même pas certain qu’il ne s’agit pas là d’une légende…

D’un point de vue botanique, l’on pourrait se contenter de signaler que les citronnelles ressemblent à un gros chiendent et s’arrêter là. Si, si ! Mais je sens que vous allez en demander davantage. Allez, avec un peu de courage, sans doute ferai-je de ces plantes un portrait-robot générique autrement plus détaillé que celui offert par Joseph Roques.

L’on peut dire des citronnelles qu’elles se configurent sous forme de touffes denses de tiges creuses, quelque peu « bulbeuses » à leur base, engainées par une profusion de feuilles raides, lancéolées, longitudinalement marquées par une forte nervure qui imprime à chaque feuille son allure de gouttière, aussi acérée que les marges coupantes du limbe vert bleuâtre pâle. Hautes d’un à deux mètres, les citronnelles se caractérisent par leur feuillage semper virens qui renseigne sur la vivacité de ces plantes qui doivent essentiellement leur existence à un rhizome souterrain, étant donné que la floraison, exceptionnelle, serait bien en peine de multiplier ces plantes par le biais de leurs semences.

Les citronnelles, poacées tropicales, apprécient les hivers peu rigoureux, les expositions chaudes et ensoleillées, ainsi que les sols fertiles, bien drainés, sablonneux de préférence. Elles se répartissent naturellement sur une bonne partie de l’Asie (Chine, Vietnam, Indonésie, Inde et Sri Lanka) et sont aujourd’hui cultivées dans de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique centrale et du Sud.

Citronnelle des Indes (Cymbopogon citratus).

Les citronnelles en aromathérapie

Comme on l’a pu voir plus haut – et sans qu’il ait été besoin de beaucoup insister –, avec les citronnelles, c’est méli-mélo assuré ! Par chance, tout lot d’huile essentielle est dûment identifié avant analyse, ce qui m’autorise ici même à présenter des chiffres dont je suis sûr. En fait, par la couleur et surtout le parfum, il est plus facile de distinguer les différentes citronnelles dont on va parler ici, davantage que par leurs caractéristiques botaniques, raison pour laquelle je ne me suis pas appesanti sur ce point. Déjà qu’avec les citronnelles, ça n’est pas la grande fête, autant ne pas ajouter de motif qui creuserait davantage encore le fossé entre ces plantes (que j’aborde pour la première fois sur le blog depuis sa création en 2012) et moi-même, puisque, je l’admets bien volontiers une fois de plus (il m’est arrivé de faire cet aveu par ailleurs), les citronnelles ne sont pas des huiles essentielles dont je raffole, elles font même partie du petit groupe d’huiles essentielles qui me mettent mal à l’aise, finissant même par m’écœurer à la longue. Si j’ai vaincu les réticences rencontrées face au niaouli, que je puis tout juste tolérer l’arbre à thé après lequel je ne cours toujours pas après, il reste encore à me colleter avec ces huiles à aldéhydes terpéniques surtout, à monoterpénols dans une moindre mesure (quand bien même les excès de géraniol et de linalol me laissent le cœur au bord des lèvres). Cela tombe bien, car c’est exactement le sujet du jour, ces deux grandes familles moléculaires auront l’occasion d’être abordées dans le détail.

A : citronnelle de Ceylan

B : citronnelle de Java

C : citronnelle des Indes

D : lemongrass

Premier constat : de la A à la D, l’on voit le taux total de monoterpénols s’effondrer, mouvement qui s’accompagne d’une augmentation inversement proportionnée des aldéhydes terpéniques (ou monoterpénals). Bien que toutes ces huiles essentielles soient liquides, mobiles et limpides, d’une densité située aux alentours de 0,87 à 0,90, il s’avère que l’hydrodistillation de la plante entière dans chaque cas permet à toutes de se singulariser par la couleur de son huile essentielle : très souvent jaune clair chez C. nardus et C. winterianus, cette dernière peut brunir quelque peu, à l’instar de C. flexuosus qui peut tourner à l’orange ambré, bien que plus souvent vert pâle à jaune franc, tout comme C. citratus.

Chez C. citratus et C. flexuosus, ce qui frappe, c’est un parfum vif, parfois trop puissant, allié à une fraîcheur citronnée et un peu amère, dans laquelle on distingue des notes de violette (C. flexuosus) et un classique parfum de litsée (C. citratus). D’aucuns affirment qu’il existe une ressemblance olfactive entre certaines citronnelles et la verveine citronnée, ou encore la mélisse, mais il ne faut rien exagérer et ne pas mélanger les torchons avec les serviettes ! Du côté de C. nardus, la grosse proportion de monoterpénols rapproche cette huile essentielle du parfum de la monarde, du géranium, à la rigueur du palmarosa. Quant à C. winterianus, on observe chez elle une quasi parité entre monoterpénols et monoterpénals, improbable mélange citronné et fleuri d’une monarde à géraniol et d’une litsée citronnée. C’est peut-être celle des quatre qui me déroute le plus, sans doute parce que, à cheval sur deux chaises, elle cherche à cumuler les avantages des uns et des autres. Mais c’est oublier que les monoterpénols sont positivants, les aldéhydes terpéniques négativants. C’est-à-dire que les premiers, comme le géraniol par exemple, sont toniques, alors que les seconds, citrals A et B, sont calmants, sédatifs et hypotenseurs. C’est aussi ce qui explique que C. nardus et C. winterianus, riches en monoterpénols, se classent parmi les huiles essentielles positivantes, C. citratus et C. flexuosus étant, elles, négativantes.

En général, les huiles essentielles abondamment pourvues en monoterpénols sont anti-infectieuses à large spectre d’action (antivirales, antifongiques, antibactériennes et antiparasitaires), de même qu’immunomodulantes. Quant aux huiles essentielles à monoterpénals, on leur trouve les propriétés thérapeutiques générales suivantes : anti-infectieuses (antivirales, antifongiques, antibactériennes), digestives et stomachiques, enfin anti-inflammatoires. Bien évidemment, il s’agit là de portraits d’ensemble qui disent peu quelles sont les spécificités de chaque huile essentielle de citronnelle. Et c’est là qu’il va falloir synthétiser tout cela afin de ne pas se laisser déborder par les informations (ce qui va être une autre paire de manches). Allez zou, c’est parti ! ^.^

Propriétés thérapeutiques

Pour davantage de lisibilité (?), chaque fois qu’une propriété ou un usage est spécifique à une huile essentielle, je la spécifie par les quatre majuscules suivantes : C pour citratus, F pour flexuosus, N pour nardus et W pour winterianus.

  • Antiseptiques atmosphériques et désodorisantes
  • Anti-infectieuses : antibactériennes, antivirales (F, N), antiparasitaires, antifongiques (action sur Candida albicans, Penicillium digitatum, Saccharomyces cerivisiae, trichophyton ssp.), insecticides et insectifuges (sur Aedes albopictus vecteur du chikungunya, Culex nigripalpus vecteur de l’encéphalite de Saint-Louis, Ochlerotatus triseriatus, etc.) ; cependant, la rémanence de ces huiles essentielles étant assez médiocre, il est nécessaire de répéter souvent les applications (toutes les trois ou quatre heures)
  • Anti-inflammatoires, analgésique (C), antinociceptive (F), antalgique percutanée (N)
  • Antispasmodiques (W, N)
  • Toniques circulatoires et vasodilatatrices (C, F), lymphotonique (F), anti-cellulitique (C, F)
  • Digestives (F, N), désinfectante intestinale (N), excitante gastrique (F), stimulante hépatobiliaire (F)
  • Calmantes du système nerveux central (C, F), équilibrantes du système nerveux autonome (C, F), sédatives et calmantes (C, F), anxiolytique (F)

Spécifiquement :

  • C. citratus : hyperthémisante, tonique musculaire ;
  • C. flexuosus : fébrifuge, galactogène, anticonvulsivante ;
  • C. winterianus : dépurative cutanée ;
  • C. nardus : emménagogue (?), décongestionnante pelvienne, diurétique légère, immunostimulante, anti-oxydante.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie digestive (F), digestion difficile (F), indigestion (N), ballonnements (N), flatulences (C), crampe gastro-intestinale (C), entérite (F), colite (F), gastro-entérite (N), diarrhée (N), vers intestinaux (N)
  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires, musculaires (contracture, crampe, spasmes) et rhumatismales, arthrite, douleurs tendineuses, névralgie, sciatique (toutes sauf N), foulure (C), lumbago (C), ostéoporose (F)
  • Répulsion des insectes (moustique, tique, puce, puceron, punaise, pou, araignée), en soulager les piqûres (moustique), piqûre d’ortie
  • Affections cutanées : acné (sauf C), soin des peaux grasses (N, F), transpiration excessive (N, W, F), furoncle (W, N), eczéma (N, F), herpès labial et génital (F), mycose cutanée comme le pied d’athlète (C, F, N), abcès (W), séborrhée du cuir chevelu (N)
  • Troubles du système nerveux : insomnie et autres troubles du sommeil (C, F), stress (F), fatigue mentale (W), déprime (W)
  • Troubles de la sphère gynécologique : douleurs pelviennes et congestion du petit bassin (W, N), insuffisance lactée (F)
  • Fatigue (F, N), fatigue chronique (F), baisse de tonus (F), épuisement (F), hypotonie (N)
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume (W), grippe (F, W), état fébrile (C), mycose respiratoire (N)
  • Autres mycoses : aspergillose (F), candidose (F, N)
  • Migraine (N)

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Sédative et rééquilibrante du système nerveux, elle amène le sommeil, apaise les peurs, aide à se sortir de situations dites sans issue. Elle purifie assez bien une pièce, à condition de répéter successivement l’opération. Plante énergique, elle permet de sortir de l’immobilisme et de la torpeur. Elle est donc très utile lorsqu’on a la sensation de piétiner, d’être apathique. Ainsi, elle permet de faire table rase et d’entrevoir l’avenir avec davantage de joie et d’optimisme. Enfin, elle apporte la sympathie.

Dans quel cadre l’utiliser : pour purifier une habitation, pour se débarrasser des sensations d’inquiétude et d’anxiété qui encombrent le mental, pour affiner la concentration, pour faire plus facilement le deuil d’une situation.

Modes d’emploi

  • En dispersion atmosphérique : seules ou accompagnées d’autres huiles essentielles à visée relaxante, répulsive, etc.
  • Application locale : en friction ou en massage selon les cas.
  • En bain de pieds (après dilution des huiles dans une dispersion adaptée, du type solubol ou autre).
  • Usage interne : il s’avère rare, et l’on peut dire des huiles essentielles de citronnelles qu’elles sont peu employées dans ce sens.

Précautions d’emploi, contre-indications et autres information

  • Ne jamais utiliser les huiles essentielles de Cymbopogon winterianus et C. nardus pures car elles sont dermocaustiques sur les peaux sensibles et les muqueuses : action lacrymogène et tussigène, irritations cutanées possibles chez les personnes particulièrement sensibles. Ainsi donc, la dilution dans une huile végétale est impérative chez les personnes à la peau fragile ainsi que chez les bébés. Quoi qu’il en soit, certaines molécules aromatiques contenues dans ces huiles essentielles sont potentiellement allergènes.
  • On les évitera chez la femme enceinte ainsi que chez les personnes sujettes à une cardiopathie (une accélération du rythme cardiaque est possible par inhalation de ces huiles essentielles).
  • En cuisine : la citronnelle fraîche est l’indispensable condiment de bien des préparations culinaires asiatiques. La base renflée des tiges, finement ciselée, s’additionne pour aromatiser les soupes et bouillons, les salades, les plats de poisson, de crevettes et de volaille, parfois même les viandes rouges, bien que plus rarement. Les plats de légumes et les desserts ne sont pas oubliés, non plus que la pâte de curry vert à laquelle participent les feuilles fraîches de citronnelle. Vu la répartition géographique large des citronnelles en Asie, nombreux sont les pays de la Chine à l’Inde qui usent d’au moins l’une d’entre elles en cuisine. La fréquentation des citronnelles en cuisine asiatique est si ample qu’on en est arrivé à employer leurs huiles essentielles industriellement pour la confection de boissons, pâtisseries et confiseries. Nous autres n’en savons rien, mais les feuilles fraîches de citronnelle, lorsqu’elles sont finement hachées, forment une infusion au parfum délicat, le lemongrass tea.
  • L’industrie de la parfumerie – comment s’en étonner ? – s’est aussi emparée de la citronnelle pour ses notes de tête hespéridées et de cœur. Déjà, au XIXe siècle, Eugène Rimmel avait fait la remarque que telle citronnelle imitait la verveine et que telle autre permettait de contrefaire l’essence de rose. En règle générale, la citronnelle intéresse bien davantage l’industrie des produits d’entretien (savonnerie, lessives et détergents, désodorisants, sprays et autres produits insecticides, etc.), et beaucoup moins celle des produits d’hygiène (cosmétiques, crèmes), comme si la citronnelle avait davantage à sa charge la protection et la propreté, plus que la séduction.
  • Risque de confusion : de nombreuses autres plantes que la citronnelle, de par leur parfum citronné plus ou moins prononcé, sont dénommées pour cette raison comme elle. C’est le cas de la mélisse, de l’aurone mâle, de l’ambroisine, de la verveine citronnée, du thym citron, de la santoline, de la litsée, etc.
  • Variétés et autres espèces : Cymbopogon citratus CT myrcène : il s’agit d’une variété malgache de la citronnelle constituée de 80 % d’aldéhydes terpéniques (géranial 47 % ; néral 33 %) et d’un taux remarquable de β-myrcène (7 %), et pour laquelle Simon Lemesle dit ceci : « La citronnelle à myrcène nous offre un arôme clair, simple et généreux qui procure un certain optimisme, une chaleur réconfortante et positive. Les utilisateurs pourront saisir dans une huile essentielle de qualité un aspect rigide, tendu qui rassemble, redresse et enracine délicatement »2. Elle s’adresse surtout à la sphère digestive et au système locomoteur (rhumatisme, douleur articulaire, ostéoporose). Cymbopogon giganteus : citronnelle de Madagascar ou ahibero. Très différente des autres, elle ne contient pas d’aldéhydes terpéniques et se caractérise par des monoterpénols très dissemblables du géraniol, du citronnellol et du bornéol : cette huile essentielle ne sent donc pas le géranium, non plus que le palmarosa, mais développe un parfum frais, herbacé, voire mentholé en partie causé par les monoterpénols suivants : cis-p-mentha-1,8-dien-2-ol (12,40 %), cis-p-2,8-menthadiénol-1-ol (12,40 %), trans-p-mentha-1,8-dien-2-ol (17,40 %), trans-p-menthadiénol-1-ol (6,90 %), trans-isopiperiténol (4,20 %), trans-carvéol (2,40 %). On y trouve quand même à peu près 25 % de limonène et une petite fraction de cétones (carvone 3 %). Utilisable dans le même cadre que les autres, on lui a remarqué une action anti-infectieuse exploitable dans bien des cas de mycose presque toujours à base de candida (candidose cutanée, unguéale, buccale, intestinale, vaginale), à travers des infections cutanées d’origine bactérienne (acné, éruptions, etc.) et herpétiques. Cymbopogon validus ou herbe bleue africaine : monoterpènes 27 % (dont myrcène 12 %), monoterpénols 22 % (dont linalol 15 %), sesquiterpènes 17 %, esters 3 %, monoterpénals 2 % Cymbopogon martinii Sofia ou gingergrass : monoterpènes 47 % (dont camphène 23 %, limonène 9 %, α-thujène 5 % et α-pinène 5 %), monoterpénols 14 %, esters 12,50 % (dont acétate de géranyle 8 %), sesquiterpènes 7 %.

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome IV, pp. 214-215.
  2. Simon Lemesle, Huiles essentielles et eaux florales de Madagascar, p. 16.

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Lemon grass (Cymbopogon flexuosus).

Inflorescence de citronnelle de Ceylan (Cymbopogon nardus).

Une épicerie dans une rue de Hong-Kong.

L’éleuthérocoque (Acanthopanax senticosus)

Synonymes : ginseng russe, ginseng de Sibérie, buisson du diable, racine de la taïga, poivre sauvage, eleuthero, touch-me-not, shigoka, ciwujia, kan jang.

Eleutherococcus est l’étrange nom de genre accordé à un groupe de plantes de la famille des Araliacées (qui comprend aussi le lierre grimpant, Hedera helix) par le botaniste russe Carl Johannes Maximowicz (1827-1891) en 1859, soit quelques années après l’identification de cet arbuste dans son habitat naturel, c’est-à-dire les sous-bois humides mais bien drainés, les sols riches mi-ombragés ou parfois très ensoleillés, des forêts montagneuses mixtes ou à leur orée broussailleuse, d’une grande zone géographique située à l’est de l’Asie, comprenant notamment la Sibérie orientale, les provinces septentrionales de la Chine (Hebei, Shanxi), le Japon et la Corée, où cet arbuste robuste est très abondant, malgré les conditions rudes qui règnent en la plupart de ces lieux : les températures (qui peuvent atteindre les – 30° C) obligent l’éleuthérocoque à la rusticité et à la résistance au froid, ce qu’il fait au reste avec assez de facilité, étant d’ailleurs tributaire du gel pour s’assurer une germination plus aisée bien que fort lente : les semences de l’éleuthérocoque doivent subir l’épreuve du froid pour mieux réussir dans la vie. Si vous souhaitez vous-même semer cette plante dans votre jardin – des semences sont disponibles à la vente sur le site du Conservatoire National des Plantes –, vous aurez tout intérêt à les stocker préalablement au congélateur pendant quelques mois avant toute tentative de semis. L’éleuthérocoque se doit d’enregistrer cette épreuve afin de communiquer ce pouvoir inscrit en lui, à qui consommera cette plante, comme, par exemple la longévité, tel que le conseille la médecine traditionnelle chinoise depuis plusieurs millénaires (tonifiant du qi, renforçant l’énergie du méridien de la Rate et nourrissant de l’énergie du méridien des Reins, l’éleuthérocoque n’a effectivement pas usurpé sa réputation de plante de longue et bonne vie). « L’éleuthérocoque voudrait que les gens ne vieillissent pas, qu’ils n’aient pas peur de la mort, qu’ils ne se laissent pas immobiliser par des angoisses inutiles et qu’ils profitent de la vie très, très longtemps. Un sacré défi, mais lui qui pousse dans les froidures et la pauvreté des steppes, il connaît la valeur de la vie »1. L’éleuthérocoque a beau couvrir uniquement ses jeunes rameaux d’épines (à l’image du rosier, il protège essentiellement ce qui est fragile), on pressent à quel point il souhaite assurer une protection, tout d’abord face aux différents travers que l’homme est susceptible de croiser tout au long de son existence, mais également en pratique : par exemple, au Japon, c’est l’un de ses cousins, Acanthopanax sieboldianus, dont on forme des haies qui, dit-on, résistent bien à la pollution, mais qui, surtout, clôturaient autrefois la périphérie des maisons des samouraïs, convenant néanmoins qu’une fois l’hiver venu, l’épine à elle seule n’entrave pas le rayon des regards indiscrets.

Ce petit arbuste de deux à trois mètres de hauteur est couvert de feuilles caduques longuement pétiolées, palmatilobées par trois à sept, et dont chaque lobe est soigneusement dentelé sur son pourtour. Afin de rappeler sa parenté avec le lierre grimpant, on lui voit arborer, généralement en juillet, des ombelles globuleuses dont les fleurs mâles sont violettes et les femelles de couleur jaune verdâtre. L’union des deux sexes produit des grappes de baies noires et charnues.

L’éleuthérocoque en phytothérapie

L’éleuthérocoque est une plante assez semblable au ginseng en ce qui concerne ses propriétés même s’il a été largement ignoré par rapport à ce dernier. Il possède justement des composés similaires aux ginsénosides de Panax ginseng. C’est d’ailleurs en recherchant une plante sauvage qui, par analogie, posséderait le même portrait thérapeutique offert par le ginseng, que le professeur Brekham, directeur du département de physiologie et de pharmacologie de l’Institut biologique d’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de l’ex URSS situé à Vladivostok, entama de premières études dans les années 1950 (et pour plusieurs décennies), faisant connaître cette plante médicinale à l’Occident au milieu des années 1970.

De la racine cylindrique bien droite ou au contraire très ramifiée de couleur brun foncé, l’on retire un certain nombre de composants dont beaucoup sont doués d’une action pharmacologique très nette. Tentons, sans trop dire d’âneries, de faire un inventaire de tous ces éléments.

Tout d’abord, nous voyons des glycanes, plus précisément des éleuthéranes, auxquels on a attribué les lettres de l’alphabet pour plus de commodité (A, B, C, D, E, F et G). A leur côté, se trouve ce que l’on appelle d’un nom proche, les éleuthérosides, eux aussi identifiés par des lettres : éleuthéroside A (glycoside de daucostérol), éleuthéroside B2 (glycoside de syringine), éleuthéroside C (polysaccharide), éleuthéroside D (lignane), éleuthérosides I, K, L et M (saponines triterpènes). En plus de cela, on y croise de la sésamine et du syringarésinol (deux autres lignanes), une coumarine (isofraxidine), des phénylpropanoïdes, des phytostérols (β-sitostérol), des flavonoïdes, une foule de sels minéraux et d’oligo-éléments (calcium, potassium, sodium, magnésium, fer, cuivre, zinc, manganèse, chrome, bore, phosphore, strontium, aluminium, baryum, etc.).

Bien que non usitées à l’instar des racines, les baies de l’éleuthérocoque renferment divers acides (caféique, vanillique, férulique, benzoïque et p-coumarinique), ainsi que des éléments minéraux comme le calcium, le magnésium et le potassium. Quant aux feuilles, leur hydrodistillation permet d’en retirer une huile essentielle dans laquelle on trouve une bonne centaine de molécules aromatiques dont une demi douzaine seulement forme la moitié de ce produit : des sesquiterpènes (β-carophyllène, germacrène D, β-bisabolène, α-humulène) et des sesquiterpénols (α-bisabolol).

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène +++, accroît l’énergie, vitalisant, stimulant et tonique physique, augmente la capacité de résistance de l’organisme à l’effort et à l’égard de facteurs nocifs de nature physique, chimique ou biologique (poisons, certains médicaments chimiques, radiations ionisantes, modification des températures, décalage horaire, agents infectieux : bactéries, virus, parasites comme le trypanosome), améliore la récupération après l’effort, stimulant des surrénales mais réduit l’augmentation de la corticostérone suite à l’irruption d’un stress (on observe une libération plus économique et plus efficace de cette hormone)
  • Stimulant du système nerveux central, tonique nerveux, neuroprotecteur, améliore la mémoire et les fonctions cognitives, tonique psychique
  • Stimulant des glandes sexuelles, tonique sexuel, favorise la sécrétion androgénique
  • Immunostimulant, immunomodulateur, protecteur immunitaire, promoteur des cellules cytotoxiques et des lymphocytes
  • Anti-infectieux : antiviral à large spectre (virus à ARN : grippe, rhinovirus, virus respiratoire syncytial)
  • Hypoglycémiant, antihyperglycémiant, hypolipémiant, hypocholestérolémiant, hépatoprotecteur
  • Antistress, relaxant, sédatif, calmant
  • Anti-inflammatoire
  • Améliore la micro-circulation sanguine cérébrale, contribue au maintien d’une bonne circulation sanguine
  • Apéritif, stimulant du transit
  • Favorable à la bonne santé du système respiratoire
  • Antitumoral
  • Préventif de l’ostéoporose

Usages thérapeutiques

  • Quand on est déjà patraque physiquement : asthénie physique et sexuelle, fatigue, épuisement, surmenage, état de faiblesse et de langueur, stress physique, immunodéficience, convalescence
  • Quand on est déjà patraque psychiquement et intellectuellement : stress psychique, faiblesse intellectuelle, tension nerveuse, manque de tonus intellectuel, mémoire défaillante, manque de concentration
  • Quand on ne souhaite pas être patraque : toute situation exigeant de soutenir une attention, une vigilance, une concentration plus intenses qu’à l’accoutumée, supporter des efforts physiques intenses (entraînement sportif, épreuves d’exception : par exemple, meilleure adaptation à l’apesanteur chez les cosmonautes, contrer les effets du décalage horaire, lutter contre le froid) de même que psychiques et intellectuels (épreuves d’examens, etc.)
  • Autres troubles du système nerveux : angoisse, amélioration de l’humeur, insomnie
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, infection des voies respiratoires, maladies pulmonaires obstructives chroniques
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation
  • Réduire la glycémie sanguine, endiguer le diabète
  • Prophylaxie contre le développement du cancer, carcinome du sein, de l’estomac, de la bouche, des ovaires, mélanome cutané, intoxication chimique liée à la chimiothérapie, difficulté à supporter les séances de radiothérapie (l’éleuthérocoque fut administré après la catastrophe de Tchernobyl d’avril 1986)
  • Céphalée

Modes d’emploi

  • Poudre de racine à diluer dans un jus de fruits ou présentée en gélules (extrait sec).
  • Extrait hydro-alcoolique : deux à trois prises de 30 gouttes chacune par jour (on peut fabriquer une teinture-mère de ménage en faisant macérer une partie de racine d’éleuthérocoque dans cinq parties d’alcool (style alcool pour fruits titrant 40 à 45°).
  • Décoction de racines mondées en petits fragments. Faire frémir jusqu’aux bouillons de l’ébullition. Dès qu’ils surviennent, couper le feu, laisser infuser à couvert pendant ¼ d’heure.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine âgée de deux à trois ans s’arrache à l’automne ou bien au début du printemps. On la sèche intégralement, puis on la pile jusqu’à obtenir de tout petits fragments. La poudre exige un mixeur puissant pour se former.
  • Peut-on prétendre que l’éleuthérocoque n’est pas toxique ? Probablement. Affirmer qu’il est inoffensif, en revanche, serait beaucoup plus risqué, car de nombreuses contre-indications ont été relevées : la prise d’éleuthérocoque est incompatible avec la consommation d’alcool, de thé et de café, avec un traitement contre l’insomnie (hexobarbital, etc.), l’usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, lors d’un traitement anticoagulant, anti-agrégeant, antidiabétique et/ou cardiotonique (digoxine, etc.). L’éleuthérocoque est un inhibiteur enzymatique : sa consommation peut endiguer la bio-transformation de médicaments pris en parallèle. Certains états de santé – maladies auto-immunes, greffe récente, apnée du sommeil, narcolepsie, maladies mentales, hypertension (Une fois oui, une fois non…), endométriose, état fébrile avec fièvre supérieure à 39° C, etc. requièrent l’attention du praticien. Chez l’enfant de moins de 12 ans, l’éleuthérocoque n’est pas recommandé, de même que chez la femme enceinte et celle qui allaite. En tous les autres cas, il est préférable d’éviter les prises tardives (jamais après 17h00), de même qu’une consommation quotidienne organisée sur un trop long temps (une cure d’éleuthérocoque oscille entre six semaines et trois mois). Un surdosage, une utilisation inappropriée, peuvent être susceptibles de provoquer un certain nombre de désagréments dont nervosité, excitation, irritabilité, palpitations et tachycardie, angoisse, confusion, tendance à l’insomnie, maux de tête, etc.
  • Associations possibles : avec le ginseng, l’ortie, la prêle, etc.
  • Autres espèces : le himeukogi (Eleutherococcus sieboldianus), le wu jiu pi (Acanthopanax gracilistylus), etc.

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  1. Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 68.
  2. Il a été remarqué que cet éleuthéroside possédait un caractère cumulatif dans l’organisme avec le temps. Ainsi se retrouve-t-il dans la rate et le pancréas, mais également dans d’autres glandes du corps (hypophyse, surrénales).

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