La pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus)

Pervenche_de_Madagascar

C’est au milieu du XVII ème siècle que le chef de colonie à Madagascar, Étienne de Flacourt, rencontre la pervenche malgache. Plante exotique et ornementale prisée, on verra arriver au jardin du roi à Paris des graines de la plante à la fin du même siècle. Par la suite, elle gagnera rapidement les collections botaniques des principaux jardins européens. Aujourd’hui, cette plante, parfois surnommée « rose amère », a conquis bon nombre de zones tropicales ainsi que le bassin de la Mer méditerranée.

Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on cherche à vérifier sa réputation de « coupe-faim » (elle était employée dans ce sens par les marins) et d’antidiabétique. Au Canada, en 1949, le Professeur Noble rejette cette dernière propriété. En revanche, ses expérimentations montrent que les injections de pervenche de Madagascar font brutalement chuter le nombre de globules blancs sanguins. Fort de ce résultat inattendu, il teste la pervenche de Madagascar sur des malades atteints de leucémie, une maladie caractérisée par une prolifération massive et anarchiques de globules blancs dans le sang. Le professeur Noble obtient d’encourageants résultats alors que, dans le même temps, le Professeur américain Svoboda parvient aux mêmes conclusions. C’est ainsi que les équipes américaine et canadienne collaborent. De ces recherches communes naissent deux médicaments obtenus à partir de deux molécules, des alcaloïdes, parmi les 150 que la pervenche de Madagascar contient. La vincristine donne l’Oncovin et la vinblastine le Velbé. Le premier de ces médicaments se destine aux leucémies aiguës, tandis que le second se réserve au traitement de la maladie de Hodgkin, c’est-à-dire le cancer des ganglions, autrefois presque toujours fatal. Malgré tous ces excellents résultats, un problème de taille demeure : la synthèse des deux molécules est très complexe ; il faut alors de contenter de cultiver la plante et d’en extraire ces deux alcaloïdes. Le souci suivant réside dans les rendements très très faibles, puisqu’une tonne de plante sèche ne permet guère d’obtenir que 6 à 10 g de vinblastine et de 0,3 à 1 g de vincristine ! Aujourd’hui encore, la production est assurée par le biais de la culture de cette pervenche à grande échelle à Madagascar (1000 tonnes de plante sèche par an environ).

En France, le Professeur Potier accorde un grand intérêt à la pervenche de Madagascar. S’il sait qu’il est très compliqué de synthétiser vincristine et vinblastine, il parvient tout de même à créer une molécule qui n’existe pas à l’état naturel dans la plante. Elle donne naissance au premier médicament antitumoral fabriqué en France, la Navelbine, qui acquière son autorisation de mise sur le marché en 1989. Ce médicament est surtout utilisé contre le cancer du poumon et parfois dans ceux du sein et de la vessie.

Tous ces médicaments, administrés par injection intraveineuse ou par perfusion, ne doivent pas faire oublier qu’ils proviennent d’alcaloïdes puissants non dénués de toxicité. Ils peuvent ainsi occasionner des troubles intestinaux et/ou neurologiques, des difficultés respiratoires, ainsi qu’une alopécie médicamenteuse.

© Books of Dante – 2016

La digitale pourpre (Digitalis purpurea)

Digitale_pourpre

Malgré sa haute taille et sa prestance qui ne laisse pas indifférent, la digitale pourpre reste totalement ignorée des radars de l’Antiquité. En ce sens, elle est absente de tous les grands traités médicaux de l’époque. C’est effectivement l’une des rares espèces indigènes d’Europe qui n’est entrée que relativement tardivement dans la pharmacopée occidentale.
On a pensé découvrir sa trace au sein du papyrus Ebers (– 1500 ans avant J.-C.), mais il s’avère qu’elle n’a pas été remarquée des populations d’Asie mineuse, ni des Romains, ni des Grecs et encore moins des médecins arabes du Moyen-Âge. Il faut dire que le bassin méditerranéen ne correspond pas à l’aire de répartition naturelle de la digitale pourpre, plus septentrionale, mais accueille en revanche d’autres digitales à fleurs principalement jaunes.
En revanche, en Égypte comme à Rome, on employait bien les vertus médicinales d’une plante, la scille rouge, aujourd’hui abandonnée, dont les effets sont très semblables à ceux de la grande digitale pourpre. Dioscoride en parle dans ses écrits. Il l’indique comme diurétique et stimulante de la pompe cardiaque. Et s’il s’agissait de la digitale, Matthiole, grand lecteur et critique de Dioscoride, n’aurait pas manqué d’y faire allusion. Même Pline l’ignore. Et s’il en avait consigné quelques mots, la Renaissance aurait forcément relayé ces informations, sachant qu’en toute fin de Moyen-Âge/début de la Renaissance, les praticiens de santé sont encore très attachés aux textes antiques (cette importance est telle que l’un des premiers livres imprimés sera l’Histoire naturelle de Pline en 1469). Sans aucune donnée à se mettre sous la dent, il est normal que les premiers thérapeutes s’étant penchés sur cette plante, aient, plus ou moins, pédalé dans la semoule. La plus ancienne mention d’un usage médical de la digitale remonte au V ème siècle, en Irlande.
Durant le Moyen-Âge, on la rencontre parfois dans des « panacées » qui fleurent bon la charlatanerie, mais quelques indices médicaux sérieux nous montrent qu’on connaissait son statut de plante toxique et qu’on l’employait contre l’hydropisie, une des indications de la digitale. L’hydropisie, comme l’explique Jean-Marie Pelt, est « une stase veineuse consécutive à une défaillance du système cardiovasculaire se manifestant par un fort œdème des membres inférieurs » (1).
En 1542, Léonard Fuchs fait de la digitale pourpre une description détaillée dans son De historia stirpium commantarii, mais il ignore totalement les propriétés de la plante et les apparente à celles de la grande gentiane jaune (Gentiana lutea), en la disant, entre autres, vulnéraire. On retiendra de ce médecin allemand qu’il est celui qui lui a attribué le nom de digitalis.
Il faut attendre la fin du XVIII ème siècle pour que, enfin, la digitale soit étudiée sérieusement. Un botaniste du nom de William Withering – qu’on qualifiera de « Linné anglais » – rencontra une guérisseuse gitane qui possédait et utilisait un remède contre des problèmes cardiaques. Il découvrit que cette médication contenait de la digitale. C’est ainsi qu’entre 1776 et 1779, il testera les différentes parties de la plante sur des dizaines de malades, afin d’évaluer les doses et les effets de la digitale sur le cœur, tout en se confrontant à l’effet cumulatif de cette plante sur l’organisme et dans le temps, à l’instar des cétones monoterpéniques. En 1785, soit dix ans après le début de ses travaux, Withering rédiga un mémoire dans lequel il confirma les propriétés cardiotoniques de celle qu’il surnommera « opium du cœur », ainsi que ses vertus diurétiques jouant un rôle majeur sur l’hydropisie. La découverte « officielle » de Withering donne toute sa valeur à l’empirisme, ces savoirs campagnards ancestraux, assez souvent rejetés en dehors de l’urbanité de la science médicale académique. Cependant, « il fallut néanmoins attendre plus d’un siècle pour comprendre le fonctionnement des ingrédients actifs de la plante, et fabriquer les médicaments utilisés aujourd’hui » (2). Entre-temps, en 1801, Beddoes avancera l’action de la digitale sur le cœur et les artères, en 1842, Debreyne confirmera les vertus cardiotoniques de la digitale, alors qu’en 1856, Beau la qualifiera de « quinquina du cœur ». Ce n’est qu’en 1868 que le chimiste Nativelle isolera la digitaline.

Le caractère toxique de la digitale ne doit pas faire de doute. On le connaît depuis fort longtemps. Cependant, parmi les deux ou trois cents noms vernaculaires qu’elle porte ici ou là en France, bien peu font référence à cette particularité, et encore moins concernent une propriété médicinale qui aurait été localement usitée. Tout au contraire, la grande majorité de ces surnoms renvoie surtout au côté « ludique » de la digitale. En effet, autrefois les enfants s’amusaient à faire « claquer » ses fleurs sur le dos de la main ou à habiller leurs doigts de ses cloches, figurant alors de petits elfes des forêts. C’est peut-être de ce dernier usage que Fuchs accordera à la plante le nom de digitalis qui, en latin, désigne le dé à coudre. On l’appellera aussi gant de bergère pour des raisons similaires, ainsi que fingerhut en allemand, autrement dit « chapeau de doigt », que l’on confond parfois avec fuchshut, un mot dans lequel on retrouve le nom de celui qui lui en a donné un : Léonard Fuchs. Or, fuchs, en allemand, signifie « renard ». L’anglais lui attribue, quant à lui, le nom de foxglow, « gant de renard ». Étonnant glissement du nom du botaniste allemand à celui de l’animal auquel, semble-t-il, la digitale est liée. Selon une légende scandinave, les fleurs de digitale auraient été offertes au renard pour étouffer le bruit de ses pas quand il attaquait les poulaillers. Ainsi le renard chaussait-ils ses « pieds » de fleurs de digitale figurant des gants. Mais, en tant que symbole incarnant les forces mauvaises, l’association du renard à la digitale était-elle, peut-être, un moyen d’en souligner la dangerosité, ainsi que le caractère funeste. La digitale entretient aussi une relation avec le loup, d’où son nom d’herbe-aux-loups, bien qu’ils soit plus communément associé à l’aconit tue-loup (Aconitum vulparia). Il est dit que les loups absorberaient de la digitale afin de se prémunir contre les appâts empoisonnées qu’on abandonnait à leur intention, comme c’était particulièrement le cas au Moyen-Âge. Or ces appâts étaient fréquemment empoisonnés à l’aconit. Bien évidemment, il ne s’agit là que d’une légende.
Malgré tous les noms sympathiques que sa « ludicité » lui a octroyés, la digitale n’a pas, traditionnellement, bonne réputation. Par exemple, en Bretagne, on disait que sa seule proximité parvenait à faire tourner le lait. Dans la Vienne, on affirmait qu’une femme ne devait pas la toucher sous peine d’être victime d’hémorragie. Mais elle pouvait aussi être bénéfique : la planter dans le jardin assure protection à toute la famille. De même, au Pays de Galles, les femmes en faisaient une décoction dont elles frottaient le sol de leur maison – en insistant particulièrement sur les interstices des dallages s’il y en avait – cela pour se protéger des maléfices à la veille de la nuit de Walpurgis et de celle de Samhain. Ses propriétés protectrices s’illustrent également à travers la façon dont on l’a associée à la vierge Marie. C’est ainsi qu’elle porte les noms de gant de Notre-Dame, gantelée de Notre-Dame, doigt de la Vierge, surnommée ainsi parce que, selon la légende, Marie l’aurait utilisée pour soigner une blessure qu’elle se serait faite au pouce. Était-ce là aussi un bon moyen d’en neutraliser la toxicité, comme le pensent certains ?
Quoi qu’on en dise, la digitale reste toxique vis-à-vis des organismes animaux et humains, tandis qu’elle entretient des relations de sympathie avec d’autres végétaux (arbres fruitiers, tomate, pomme de terre…), dont elle stimule la croissance. Il apparaît même qu’une « décoction de ses feuilles, mêlée à l’eau d’un vase, permet de ranimer le bouquet de fleurs qui s’y trouve » (3).

Grande plante bisannuelle non ramifiée et couverte de poils blanchâtres, la digitale présente un feuillage simple et alterné. Cependant, ses feuilles inférieures se présentent sous forme de rosette basale, vert pâle, veloutées en-dessous et très douces au toucher.
Ses fleurs s’organisent sous forme de longs épis qui s’épanouissent de juin en septembre. Elles forment des cloches pendantes, très longues (près de 5 cm), de couleur pourpre à blanche, mouchetées à l’intérieur. Elle produit ensuite ses fruits, des capsules ovales.
Abondante sur sols granitiques, on la trouve de ce fait plus particulièrement dans le Massif Central et les Vosges, dans des habitats tels que clairières, coupes, talus, fossés, bois clairs, landes, bord des routes, jusqu’à 1000 m d’altitude parfois. Elle est absente du sud-est de la France.

Digitale_pourpre_2

La digitale pourpre en thérapie

Extrêmement puissante, cette plante fait partie, tout comme celles au maniement délicat, des plantes héroïques. Son utilisation doit s’entourer de minutieuses précautions et relève essentiellement d’une stricte autorité médicale (aucune chance de trouver de la digitale en vente libre en France). Il n’est pas question d’en faire un usage personnelle sans courir le risque d’une potentielle et mortelle intoxication. La digitale est sujette à une modification de sa composition biochimique dans le temps et l’espace, selon l’altitude, l’ensoleillement, la nature du sol, etc. Rien que de très normal, on observe ce phénomène chez une foule d’autres plantes pas nécessairement toxiques. Mais, dans le cas de la digitale, il est bon de redoubler de prudence car il est impossible lors d’une cueillette suivie d’une dessiccation des feuilles, de savoir dans quelle mesure cette récolte contient plus ou moins de composants toxiques. Or la médication à la digitale se joue au dixième de gramme près. Inutile, je pense, de préciser qu’il n’est pas bon de s’amuser à l’apprenti-sorcier avec elle, des personnes compétentes dans le domaine qui nous occupe, ayant mis des siècles avant de comprendre comment cette plante fonctionne…

Quand on évoque la digitale, on peut penser à la digitaline, l’une des molécules qui la composent. Mais cela serait oublier que la feuille, unique partie végétale que l’on utilise, contient d’autres éléments formant synergie et agissant comme tel. La digitale contient plusieurs glycosides cardiotoniques que l’on rencontre aussi chez le muguet, le laurier-rose, la scille rouge…, d’autres substances non toxiques, du tannin, un flavonoïde à l’action diurétique et augmentant la résistance des capillaires, enfin des traces d’essence aromatique.

Propriétés thérapeutiques

« C’est le traitement de la faiblesse du myocarde qui est le pivot de toute la cardiothérapie digitalique » (4).

  • Tonique cardiaque (ou cardiotonique) : la digitale ralentit, régularise et renforce les contractions cardiaques
  • Vasoconstrictrice sur le rythme vasculaire périphérique
  • Diurétique
  • Digestive

Usages thérapeutiques

  • Insuffisance cardiaque chronique et ses problèmes associés : asystolie, arythmie, tachycardie, oligurie, œdème des membres inférieurs, ascite, anasarque…

Modes d’emploi

  • Poudre de feuilles
  • Infusion
  • Décoction
  • Macération
  • Alcoolature
  • Sirop
  • Intrait

Précautions, contre-indications et remarques

  • En raison de sa haute toxicité, il va de soi que la digitale ne peut se prêter à une auto-médication. Vous ne la rencontrerez dans aucun guide visant à soigner les bobos quotidiens. L’intoxication à la digitale peut prendre deux formes différentes : par dose massive (dix grammes de feuilles tuent un homme) et par dose modérée mais dont l’absorption est prolongée dans le temps (intolérance, digitalisme). Dans les deux cas, les symptômes d’intoxication sont peu ou prou les mêmes : nausée, vomissement, diarrhée (parfois sanglante), hoquet, vertige, céphalée, absence d’urine, malaise général, anxiété, refroidissement du corps, ralentissement du pouls (parfois à moins de trente pulsations par minute). Ensuite, le pouls accélère de nouveau, la cyanose s’installe, les troubles visuels (éblouissement, hallucinations) se manifestent. Enfin, l’arrêt cardiaque clôture cette liste de symptômes. Comment est-il possible de s’intoxiquer à la digitale même à doses raisonnables ? Pour au moins deux raisons : l’index thérapeutique de la plante est faible, c’est-à-dire qu’à partir du moment où la dose thérapeutique entre en action, cette dose est déjà toxique. Ensuite, l’action thérapeutique de la digitale est lente à se mettre en place, son élimination par l’organisme l’est tout autant, aussi la digitale a-t-elle tendance à s’accumuler dans l’organisme et a y former des réserves potentiellement toxiques.
  • Par simple contact avec la plante fraîche, celle-ci peut déjà irriter la peau ! Il convient de manipuler la plante avec des gants ou de se laver soigneusement les mains par la suite.
  • La digitale est contre-indiquée en cas de troubles fonctionnels cardiaques des nerveux (anévrisme, embolie récente, hémorragie cérébrale, urémie, aortite, typhoïde, maladie de Basedow…) et incompatible avec d’autres substances parmi lesquelles les tannins, le quinquina, la réglisse, l’iodure de potassium, certains médicaments allopathiques…
  • En France, on peut rencontrer deux autres digitales qui n’occupent pas le même biotope que la digitale pourpre : la digitale jaune (Digitalis lutea) et la digitale ambiguë (Digitalis grandiflora). Contrairement à la pourpre, ces deux digitales possèdent des fleurs jaunes et affectionnent les sols secs, calcaires et rocailleux, tandis que la digitale pourpre atteint son plein épanouissement sur des sols siliceux et acides.
  • Depuis les années 1920, on s’intéresse aussi à une autre digitale qui pousse en Europe centrale et dans les Balkans, la digitale laineuse (Digitalis lanata), dont l’étude a montré qu’elle était moins préjudiciable pour la sphère gastrique mais plus toxique que la digitale pourpre.

  1. Jean-Marie Pelt, Les vertus des plantes, pp. 105-106
  2. Joel Levy, Histoire du poison, p. 198
  3. Jacques Brosse, La magie des plantes, pp. 214-215
  4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 330

© Books of Dante – 2016

La digitale prend place au sein des Grandes Heures d'Anne de Bretagne sous le nom latin de Simbaleria (Daymoiselles en vieux français)

La digitale prend place au sein des Grandes Heures d’Anne de Bretagne sous le nom latin de Simbaleria (Daymoiselles en vieux français)

L’anémone pulsatille (Anemone pulsatilla)

Anémone pulsatille

Synonymes : coquelourde, fleur de Pâques, passe-velours, fleur de vent, herbe au vent…

Penchée sur sa tige comme une cloche qui se balance au vent, l’anémone pulsatille doit son nom au latin pulsare , « agiter », « secouer », « mettre en branle » et au grec anemos, « vent ».
Il semble donc que les mots pulsatille et pulsatile (relatif aux pulsations) aient le même sens. Ce qui est loin d’être une idée ridicule compte tenu du fait que l’anémone pulsatille est un remarquable antispasmodique. Elle limite donc les spasmes. Peut-être faut-il voir là sa signature…
Pour mieux comprendre l’association de l’anémone pulsatille avec le vent, il faut se pencher sur la mythologie grecque. « Cette fleur était aux temps antiques une jolie nymphe radieuse [Chloris], courtisée par les dieux Borée, le vent du nord, et Zéphyr, le vent d’ouest. La nymphe appartenait à la cour de la déesse Flora, l’épouse de Zéphyr, qui ne supportait pas l’attirance de son mari pour la jeune fille. Alors Flora changea sa rivale en fleur qui désormais dût subir les assauts violents du vent du nord toujours amoureux » (1). Cette fleur fragile, « on ne peut en jouir longtemps, car, mal fixée et trop légère, elle tombe, détachée par celui qui lui donne son nom, le vent » (2). Cela dénote un caractère fluctuant, transitoire et éphémère, inféodé au caprice du vent.
Dans l’épisode mythique d’Aphrodite et d’Adonis, l’anémone prend une connotation plus tragique. Adonis trouve la mort lors d’une partie de chasse, éventré par un sanglier. Aphrodite, son amante, s’arrache vêtements et cheveux comme c’est de coutume dans la poésie antique dès lors qu’on souhaite suggérer une profonde douleur. Elle verse alors autant de larmes qu’Adonis a perdu de sang. Et du jeune éphèbe naît l’anémone purpurine, une fleur qui exprime la fugacité du printemps de l’homme, c’est-à-dire sa jeunesse. Elle est, plus largement, la fleur des dieux qui meurent et ressuscitent (dans le christianisme, elle est assez souvent reliée au symbolisme de la crucifixion) ; « l’anémone montre aussi la richesse et la prodigalité de la vie en même temps que sa précarité » (3).

Inexistante en Grèce, l’anémone pulsatille ne peut être l’anemônê qu’utilisèrent Hippocrate et Dioscoride comme plante emménagogue. Elle semble avoir été remarquée des Celtes. Les sources antiques sont très maigres, le Moyen-Âge ne fera pas mieux puisqu’il l’ignore royalement. Elle apparaît néanmoins clairement enluminée dans les Grandes heures d’Anne de Bretagne (1503-1508) sous le curieux nom latin d’Alius quinque digiti me et, en vieux français, sous celui de Chesnarde.
L’entrée majeure de la pulsatille dans la thérapeutique n’aura véritablement lieu qu’au XVIII ème siècle, quand bien même le sagace Matthiole aura abordé quelques-unes de ses propriétés deux siècles auparavant. On la rencontre dans les travaux du botaniste Georg Andreas Helwing (1719), puis dans les écrits du médecin autrichien Anton von Stoerck (1771) où on lui voit jouer un rôle médical (affections dartreuses, paralysie, syphilis…). Au début du XIX ème siècle, le père de l’homéopathie, Samuel Hahnemann, fait de la pulsatille un spécifique du coryza. Hufeland l’utilise contre l’amaurose en 1824 et Ramon contre la coqueluche quinteuse quatre ans plus tard. Enfin, au tout début du XX ème siècle, la pulsatille est employée comme sédatif dans diverses affections nerveuses.

C’est une plante vivace de 10 à 40 cm de haut, à feuilles divisées en segments étroits et longuement pétiolées. Les fleurs apparaissent en premier : de grosses clochettes (5-9 cm) dont la couleur va du mauve au bleu en passant par le violet rougeâtre. Six pétales pointus forment un sombre écrin à ses nombreuses étamines jaune d’or. Et, particularité de cette plante, l’extérieur de la corolle est recouvert de poils mous et soyeux. De toute manière, tout est laineux, soyeux, velu, ce que vous voudrez… chez elle, et les feuilles n’échappent pas à cette règle. Elles se développent au moment où les cloches sont déjà largement ouvertes, presque flétries. Elles portent de longs poils blanchâtres et soyeux qui s’épaississent avec le temps. Les fruits, quant à eux, sont regroupés en une tête chevelue formés d’akènes velus et oblongs, terminés par une longue arête plumeuse et persistante que le vent aidera à sa dispersion.
Plante assez commune, l’anémone pulsatille croît dans les pâturages, pelouses sèches et coteaux de presque toute l’Europe (hormis la région méditerranéenne) qu’elle ponctue, au printemps, du violet sombre de ses fleurs.
Elle a sa référence pour les sols calcaires et volcaniques pauvres, les terrains assez secs ou très bien drainés, en plein soleil, jusqu’à 1000 m d’altitude.

Anémone_pulsatille_fruits

L’anémone pulsatille en phytothérapie

Les parties les plus actives de cette plante sont celles qui se situent au-dessus du sol, celles qui sont donc exposées au vent. Le camphre d’anémone ou anémomine a été extrait des feuilles dès 1771. Cette substance, ainsi que les acides phénoliques et les hétérosides que la plante recèle, donnent toute sa valeur à l’anémone pulsatille.

Propriétés thérapeutiques

  • Antispasmodique puissante, sédative génitale et cardiaque (elle influence et diminue l’irritabilité et la suractivité du système nerveux ganglionnaire, diminue de façon progressive l’intensité des battements cardiaques sans modifier la pression sanguine)
  • Expectorante
  • Diurétique
  • Diaphorétique
  • Rubéfiante, vésicante
  • Antibactérienne

Note : la poudre de feuilles sèches est sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Spasmes génitaux (ovarite, orchite), spasmes gastro-intestinaux, spasmes respiratoires (coqueluche, asthme, toux quinteuse), éréthisme cardiovasculaire
  • Coryza
  • Douleurs menstruelles, névralgiques et céphaliques, migraine
  • Anxiété, stress, angoisse
  • Dartres, taches de rousseur

Modes d’emploi

Il est possible d’employer les feuilles fraîches en infusion ainsi qu’en cataplasme. Cependant, la meilleure option concerne quand même l’alcoolature. On obtient cette dernière en plaçant dans de l’alcool (90 à 95°), autant de plante que d’alcool, et l’on fait macérer le tout pendant huit à dix jours. Secouer de temps à autre, puis, à l’issue, passer en pressant les plantes, puis filtrer. Pour un usage interne, compter 20 à 40 gouttes par jour.

Contre-indications et précautions

Comme toutes les plantes de la famille des Renonculacées, du commun « bouton d’or » (renoncule âcre) au fatal aconit napel, il est nécessaire de ne pas procéder à la légère avec l’anémone pulsatille, même si elle n’arrive pas à la cheville de l’aconit en terme de toxicité. A l’état frais, la pulsatille est donc toxique, un aspect que l’on ne rencontre plus une fois que la plante est sèche. Celle-ci devient alors inoffensive mais inactive. Âcre et corrosive, la pulsatille fraîche peut provoquer, en externe, des érythèmes, une vésication, une ulcération, parfois même un début de gangrène. Une intoxication en interne se traduit par une brûlure de la bouche et de la gorge, des stomatites, une abondante salivation, une inflammation du tube digestif, des vomissements, de la diarrhée, une inflammation rénale, une miction douloureuse, des vertiges, des convulsions, enfin, des troubles respiratoires.


  1. Josy Marty-Dufaut, Jardin médiéval et biodiversité, p. 46
  2. Ovide, Métamorphoses, Livre 10, p. 383
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 43

© Books of Dante – 2016

Grandes_heures_Anne_Bretagne_Anémone_pulsatille

Le poirier (Pyrus communis)

poirier

Nous avons dit du pommier qu’il était typiquement d’origine européenne. Ce n’est pas le cas du poirier qui proviendrait d’Asie mineure, peut-être même du Cachemire. Et encore parlons-nous des poiriers primitifs, non des poiriers domestiques. Le poirier, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est le résultat d’hybridations entre plusieurs espèces ancestrales, dont très certainement le poirier sauvage (Pyrus pyraster) qu’on rencontre assez fréquemment dans les bois, les terrains vagues, les talus de toute la France. Quand on compare ce poirier sauvage et n’importe quel poirier commun, on se rend rapidement compte des mutations qui ont eu lieu : ce poirier sauvage porte des rameaux dressés et épineux (les épines ont disparu chez le poirier commun), de longues feuilles vert foncé (elles sont plutôt rondes chez le commun). L’unique ressemblance réside au niveau des fleurs composées de cinq pétales blancs. Quant aux petites poires du poirier sauvage, leur âpreté explique sans doute pourquoi cet arbre fruitier a subi de multiples transformations au fil des siècles. L’astringence de ces fruits en faisait une provende négligeable alors que les très nombreuses variétés horticoles de poires (Belle angevine, Bergamote de Pentecôte, Citron des Carmes, Doyenné du Comice, Louise-bonne, Passe-crassane, Cuisse-madame, etc.) ont aboli ce caractère sauvage.

Déjà connu des populations européennes préhistoriques, le poirier a traversé le détroit des Dardanelles (le poirier se nomme darda en albanais ; c’est ce mot qui a donné son nom au célèbre détroit) à une époque relativement ancienne, passant alors de l’Asie à l’Europe. De là, il gagne assez rapidement les Balkans. Il sera très abondant dans le Péloponnèse, une région que l’on surnommera Apia avec raison. En effet, Apio est le nom grec du poirier. C’est ainsi que Théophraste l’appellera Apion, alors qu’Homère relate l’existence d’un curieux Ogchné. Par la suite, le poirier transite des Balkans à l’empire romain. Au II ème siècle avant J.-C., Caton l’ancien mentionne six sortes de poires. Deux siècles plus tard, le naturaliste Pline en dénombre plus d’une trentaine ! Cette inflation ne doit pas nous faire omettre de préciser que ces poires demeuraient néanmoins âpres et astringentes. Aussi, de ces poires confectionnait-on des poirés et des résinés, toutes boissons interdites aux malades par leur médecin. Voilà déjà que le pirus, ainsi qu’on l’appelait chez les Romains, n’avait pas bonne presse. Lorsque nous avons abordé le pommier, nous avons souligné le fait que la pomme s’est déplacée de la déesse Héra à la déesse Aphrodite, et qu’Héra conserva pour elle le poirier. C’est un fait, puisqu’on rencontre parfois une Héra Apia, cette épiclèse faisant bien évidemment référence au poirier. Certains temples dédiés à cette divinité étaient en partie fabriqués à base de bois de poirier, un arbre dont on façonnait des statues à l’effigie de la déesse. Il n’en reste pas moins que le poirier aura une valeur cultuelle bien en-deçà de celle du pommier. Il est dit que la poire aurait été un symbole d’Aphrodite, puisque ce fruit est chargé d’une dimension érotique en raison de sa saveur douce, de son suc abondant et de sa forme typiquement féminine. Au Ier siècle après J.-C., l’agronome Columelle mentionne une poire d’amour (pira venerea). Mais allier les caractéristiques modernes de la poire avec Aphrodite/Vénus, c’est, sans doute, aller un peu vite en besogne, sachant le caractère presque incomestible de la poire durant l’Antiquité.
Tandis que la pomme occupe une place solaire toute faite d’immortalité et de puissance, la rudesse des symboles associés au poirier en fera un arbre lunaire attaché au royaume des morts. Sa brève et fragile floraison en fait un arbre de deuil, sa fleur blanche soulignant le caractère éphémère de l’existence (Japon, Chine).
De nombreuses contradictions concernent le poirier et son fruit. Par exemple, les Romains attribuèrent deux significations au mot pirus : le nom de la poire et celui des organes génitaux masculins. Mais, en tant qu’arbre relativement peu sacré, on vit en lui une forme « négative » du pommier, son fruit n’étant alors considéré que comme une représentation grossièrement caricaturale du corps féminin. « En Chine, des amants n’y partageraient jamais une poire, car le mot qui la désigne est homonyme du mot pour séparation » (1). Il n’y a donc pas que la pomme qui fait preuve d’échos discordants. Le poirier restera une essence dédaignée et mésestimée durant des siècles. Plus craint que vénéré, de nombreuses coutumes « folkloriques » attestent de cela. D’aspect sinistre, le bois de poirier pourrit facilement et, à l’état sec, il craque beaucoup en vieillissant. C’est ce qui a fait croire qu’il était habité d’esprits mauvais, que l’on chassait en faisant brûler la mousse qui pousse sur son tronc. Ceux qui avaient mal aux dents devaient s’en prendre (physiquement) à un poirier jusqu’à ce que cesse leur mal. Ces rites, plus païens que folkloriques, semblent être les héritiers de pratiques beaucoup plus anciennes, comme celle à laquelle se livraient des chasseurs à Auxerre, en Bourgogne. Il y avait là un poirier auprès duquel ils apportaient les têtes des animaux qu’ils avaient tués à la chasse. Ce poirier finira par être arraché et brûlé par saint Amâtre l’évêque d’Auxerre au V ème siècle après J.-C.
Bien qu’Albrecht Dürer représentera une vierge à la poire en 1526 et que la vierge noire de la cathédrale de Chartes ait été sculptée dans du poirier, cet arbre restera à couteaux tirés avec le christianisme. Voici deux anecdotes à même d’illustrer notre propos : « Un jour, un brave curé avait voulu  »faire moderne » en remplaçant les saints de pierre de son église en autant de sculptures, taillées dans le bois des poiriers d’un verger voisin. Étonné que ses ouailles ne se recueillent pas devant ces  »nouveaux saints », il s’entendit répondre par l’une d’elles :  »Comment voulez-vous que je prie devant elles, je les ai connues poirier ? » » (2). En Italie, « un paysan sicilien, voyant qu’avec le bois d’un poirier stérile on allait façonner un crucifix, lui lança ce vers comique :  »Tu n’as pas fait de poires et tu veux faire des miracles ? » » (3). Assez mi-figue mi-raisin tout cela quand même !
La poire, c’est aussi la vanité et l’orgueil (« ne pas se prendre pour la queue d’une poire »), mais aussi la bêtise et la naïveté (« la bonne poire »). C’est également la sombre brutalité de la torture : c’est ce que nous rappelle l’engin connu sous le nom de « poire d’angoisse ». En forme de piridion, cet objet était fiché dans la bouche des suppliciés, puis actionné par un système de vis et de ressorts.

La vierge à la poire, Albrecht Dürer, 1526

La vierge à la poire, Albrecht Dürer, 1526

Au Moyen-Âge (du moins entre le IX ème et XII ème siècle), la poire est encore loin d’avoir acquis les lettres de noblesse qu’on lui connaît aujourd’hui. Bien qu’inscrite au Capitulaire de Villis comme espèce végétale indispensable, la poire ne trouve que des usages relativement limités : elle était impérativement cuite au vin ou à l’hypocras pour des raisons que nous explique l’école de Salerne : « La poire ne vaut rien sans vin. Si vous la mangez en compote, c’est un excellent antidote. Mais poire crue est un poison ». Hildegarde partagera cette opinion et en déconseillera la consommation quand les poires sont crues, car « elles produisent en l’homme des humeurs mauvaises quand elles ne sont pas cuites » (4). Au siècle d’Hildegarde, on évoque encore l’âpreté de la poire. En revanche, une fois cuite, elle devient un excellent médicament dépuratif, purgatif et antitussif. Le Bibaum d’Hildegarde (Birnbaum est l’actuel nom allemand du poirier) sera très peu plébiscité par l’abbesse qui met en garde contre les racines, la sève, jusqu’aux feuilles même du poirier. Selon elle, les seules choses dignes d’intérêt chez le poirier, c’est son gui ainsi que la rosée recueillie sur ses feuilles, bonne pour éclaircir la vue. Mais il s’agit là de tout autre chose…

Le poirier en phytothérapie

Du poirier, la phytothérapie aura surtout retenu les feuilles à l’état jeune, ainsi que le fruit, l’écorce dans une moindre mesure. Selon les parties considérées, on trouve différents principes actifs. Comme toutes les écorces, celle du poirier contient des tannins. Dans les feuilles, on a découvert une substance dont la busserole (Arctostaphylos uva-ursi) est riche : l’arbutine. Quant au fruit, outre sa haute teneur en sucre (lévulose), il est particulièrement nanti de vitamines (A, B1, B2, C…) et de sels minéraux (sodium, calcium, phosphore, soufre, magnésium, potassium, zinc, chlore, fer, cuivre, iode, arsenic, manganèse…). A quantité égale, cela en fait un fruit nutritivement aussi intéressant que la pomme, bien que plus calorique en moyenne (60 calories aux 100 g). Notons aussi la présence de pectine et de tannins dans la poire.

Propriétés thérapeutiques

  • Écorce : astringente, fébrifuge légère
  • Feuilles : diurétiques, éliminatrices de l’acide urique, anti-inflammatoires, sédatives et antiseptiques des voies urinaires
  • Poire : diurétique, éliminatrice de l’acide urique, dépurative, déconstipante, laxative, nutritive, reminéralisante, sédative, rafraîchissante

Usages thérapeutiques

  • Écorce : ulcère cutané, plaie atone
  • Feuilles : infections urinaires (colibacillose, cystite), oligurie, lithiase urinaire, affections prostatiques (prostatisme), rhumatismes, goutte
  • Poire : asthénie, anémie, surmenage, convalescence, grossesse, diarrhée, constipation, tuberculose (adjuvant), rhumatismes, goutte, arthrite, diabète (le lévulose contenu dans la poire en autorise la consommation par le diabétique)

Modes d’emploi

  • Cure de poires : 0,5 à 1,5 kg par jour pendant deux jours
  • Décoction de feuilles : 50 g par litre d’eau pendant deux minutes sur feu vif ; puis vingt minutes en infusion hors du feu
  • Décoction d’écorce : 50 g par litre d’eau pendant vingt minutes

Contre-indications et remarques

  • La poire crue peut être parfois difficilement digestible par certains estomacs délicats. Il faudra alors la préférer cuite.
  • Une consommation régulière de poire a pour effet d’abaisser la tension artérielle.
  • Le poiré est une boisson fermentée à base de poires. Très diurétique et déconstipant, il possède aussi des vertus excitantes. Les nerveux l’éviteront.
  • En cuisine, les usages de la poire ne manquent pas : confitures, compotes, sirops, boissons, pâtisseries…
  • L’élixir floral de fleurs de poirier permet un rééquilibrage et une meilleure aisance corporelle. Il équilibre la colonne vertébrale et favorise l’alignement du corps dans son axe vertical. Il nous invite donc à faire le poirier, en somme.

  1. David Fontana, Le nouveau langage secret des symboles, p. 41
  2. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, p. 101
  3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 298
  4. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 161

© Books of Dante – 2016

Poirier_fleurs

Le pommier (Malus communis)

Pommier_fleurs

Le pommier est une espèce très anciennement connue et cultivée. Il apparaît que nos pommiers actuels sont le fruit d’hybridations multiples, dont les premières origines remontent au néolithique. Les pommiers sauvages européens sont très certainement les ancêtres des pommiers modernes, et, contrairement aux pêchers et autres cerisiers, le pommier ne serait pas issu du territoire asiatique, du moins est-ce la thèse proposée par Paul-Victor Fournier. Il a été dit que le pommier aurait été localisé en Palestine ainsi qu’en Égypte entre le XIII ème et le X ème siècle avant J.-C. « Les plantations de Ramsès II dont on fait état et les textes bibliques que les traducteurs rapportent au pommier ne peuvent s’entendre d’un arbre qui ne supporte pas le climat de l’Orient » (1). En revanche, le pommier était beaucoup plus répandu chez les Grecs et les Romains en particulier. Du temps de Pline, on connaissait une trentaine de pommiers différents, employés tant pour leurs vertus médicinales qu’alimentaires. Les pommes étaient mangées crues ou cuites à la vapeur, sous la cendre, dans du vin ; on en faisait des marmelades, etc. Il est également dit que les Romains faisaient des pépins de pomme un usage particulier : ayant connaissance du poison qu’ils contiennent, ils s’en servaient lors des exécutions. Cependant, cela reste sujet à controverse du fait de la maigre teneur d’hétérosides cyanogénétiques qu’on y trouve…

Au IX ème siècle, le pommier est présent dans les jardins de l’abbaye de Saint-Gall (Suisse), et inscrit sous le nom de pomarius dans le Capitulaire de Villis carolingien. Il est en faveur à cette époque médiévale, en particulier pour les vertus médicinales de ses feuilles (affections de la rate, du foie, de l’estomac et des intestins), de sa sève (douleurs goutteuses, rénales et stomacales), parfois même de la mousse qui pousse sur son tronc !
Celui qu’Hildegarde appelait Affaldra (un terme proche de l’actuel mot allemand servant à désigner cet arbre : apfelbaum) avait la réputation de donner des fruits digestes pour les bien-portants, même crus. Par contre, Hildegarde les déconseille aux malades, à l’exclusion des vieilles pommes flétries, davantage profitables.
Du côté de l’Italie, l’on met en évidence les propriétés laxatives de la pomme. L’école de Salerne se fendra d’un vers on ne peut plus explicite : post pomum vade cacatum (« après la pomme allez en quelque lieu secret, où vous puissiez en paix laisser votre paquet » !)

Siècle après siècle, nombreux furent les praticiens à employer les différentes parties du pommier. Ainsi de Tabernaemontanus (16 ème siècle) qui destine l’eau distillée des fleurs aux soins de la peau et aux rougeurs du visage ; Simon Pauli (17 ème siècle) recommande la pomme pourrie cuite sous la cendre pour confectionner des cataplasmes applicables sur la gangrène afin d’en limiter la propagation ; Jean-Baptiste Chomel (18 ème siècle) établit quant à lui des propriétés majeures de la pomme (pectorale, antitussive et rafraîchissante) ; le professeur Léon Binet (20 ème siècle) mettra en évidence les propriétés cardiotoniques des pelures de pomme.
Le pommier fut l’objet d’une multitude de préparations magistrales et d’usages populaires. Par exemple, l’écorce de pommier, jugée tonique et astringente, fut utilisée dans les campagnes pour soigner les diarrhées. Quant à la pomme elle-même, elle servait d’agent externe dans des préparations destinées à frictionner la peau ou à panser les plaies et les blessures. On a, très justement, appelé ces préparations des pommades ! Par exemple, pour soigner une blessure, on préparait une pommade à base de jus de pomme et d’huile d’olive. Autrement, un cataplasme de pomme cuite au four puis écrasée et éventuellement mêlée à du saindoux, faisait l’affaire.
Les apothicaires s’emparèrent de la pomme. Certains eurent leur préférence pour la pomme de reinette, d’autres pour la « transparente blanche ». Sur cette base, ils élaborèrent des infusions, des potions, ainsi que des sirops, dont l’un d’eux, le sirop de pomme du roi Sapor, savant mélange de pomme, de bourrache, de buglosse, de safran, etc., fut très en vogue.

Venons-en maintenant à l’aspect symbolique, mythologique et spirituel de la pomme. Cela n’est pas de la tarte de tout bien démêler tant les informations au sujet de ce fruit sont denses et nombreuses.
Si l’on observe les mythologies scandinave, germanique, celtique et grecque, il en ressort une impression très particulière : on a la sensation que la pomme est partout présente, comme si elle était le Fruit par excellence. Son nom latin de pomum y est sans doute pour quelque chose. En effet, il ne désigne pas que l’unique pomme : il est le nom générique des fruits à pépins ou à graines. Aussi pomum peut-il désigner autant la pomme que la poire, la grenade, la figue, le coing, etc. Mais, par contresens, on en est venu à traduire le mot pomum par pomme, « un sens exclusif qu’il n’eut jamais » (2). Pourtant, la déesse Pomona, qui règne sur l’ensemble des arbres fruitiers, devrait nous rappeler qu’il n’est pas permis de limiter le nom latin pomum au seul fruit qu’on appelle aujourd’hui la pomme. C’est ce qui fera dire à Angelo de Gubernatis que, « avec le nom de pomum, la pomme a hérité de tous les mythes où les poma jouent un rôle » (3). Quant aux Grecs, ils utilisaient un mot unique servant à désigner les fruits listés plus haut : mèlon.

Dans la mythologie grecque, la pomme est assez souvent présentée comme attribut d’Éros, mais surtout comme celui de sa mère, Aphrodite (il en va de même de Vénus dont l’art statuaire la représentera tenant une pomme dans la main). La pomme serait donc, de fait, un symbole d’amour, de génération et d’immortalité. Expliquons pourquoi en choisissant des extraits de la mythologie grecque.
« Au mariage de la déesse grecque Thétis, Éris (la Discorde) suggéra qu’une pomme d’or soit remise à la plus belle des femmes présentes. Les déesses Héra, Athéna et Aphrodite revendiquèrent toutes les trois ce titre. Zeus demanda à Pâris, le fils du roi de Troie Priam, de départager les concurrentes. Pâris offrit la pomme à Aphrodite, qui lui promit qu’il serait aimé de toute femme qu’il choisirait et lui décrivit les charmes d’Hélène, l’épouse du roi de Sparte Ménélas. Pâris séduisit Hélène et l’enleva, ce qui provoqua la guerre de Troie » (4). L’on entrevoit dès lors le caractère ambivalent de la pomme qui n’évoque pas ici l’amour chaste (Athéna) ni l’amour conjugal (Héra), mais l’amour érotique et l’adultère, la convoitise et la concupiscence, à travers la figure d’Aphrodite, déesse des unions clandestines et du désir passionné et aveugle. C’est de ce fragment mythologique qu’est née l’expression « pomme de la discorde ».

Le jugement de Pâris, par Rubens (1639)

Le jugement de Pâris, par Rubens (1639)

Avant même que la pomme fut attribuée à Aphrodite, le pommier était, avec le poirier, sous le patronage de la déesse Héra, à laquelle on avait offert, lors de son mariage, un pommier aux pommes d’or, habituellement connu sous le nom de pommier du jardin des Hespérides (par « pommes d’or », il ne faut pas entendre par là un véritable fruit, mais une métaphore) et convoité par Hercule, dont le onzième travail est de s’emparer des pommes d’or. Initialement gardé par Atlas, ce jardin fut confié à ses trois filles, les Hespérides (Hesperia, Aeglé et Erythie). Peu soucieuses, elles volaient les pommes. Héra dut se résoudre à faire monter la garde par un dragon duquel, pensait-elle, personne n’oserait s’approcher. Mais c’était sans compter sur le rusé Hercule qui, bernant Atlas, déroba les pommes avant de se rendre à son ultime travail : faire sortir Cerbère des Enfers et mettre en évidence la nature immortelle des pommes du jardin des Hespérides. Après ce vol, il ne resta plus à Héra que la poire qui est, dit-on, une pomme déformée, donc imparfaite…
Ce mythe forme un intéressant contrepoint avec celui dans lequel on rencontre Jason et les Argonautes dont l’objet de la quête n’est autre que la toison d’or qui est, tout comme les pommes d’or, étroitement surveillée par un gigantesque serpent. Deux héros, deux objets de quête, deux défenseurs, mais deux destins différents : si Hercule est un demi-dieu, Jason n’est qu’un mortel. Et c’est là que la symbolique se divise, quand bien même il existe, entre les pommes et la toison, plus d’un lien : si nous savons que le mot mèlon désigne entre autres la pomme, il fait aussi référence au petit bétail (mouton, chèvre). Or, qu’est donc la toison d’or sinon une peau de bélier ?

Quittons la presqu’île balkanique et remontons plus au nord. On rencontre la pomme dans la mythologie germanique. La déesse de « l’amour, du mariage et de la maternité » (une compilation d’Aphrodite, d’Héra et d’Artémis en quelque sorte), Freyja, porte une pomme comme attribut, tandis que, plus au nord encore, la déesse Idhuna s’identifie avec l’arbre de l’immortalité qui se trouve être un pommier. L’on voit ici se profiler les deux principaux symboles qu’incarne la pomme, l’amour et l’immortalité. En effet, Idhuna, « la toujours jeune », a en sa possession des pommes d’or, assurant une jeunesse éternelle aux dieux. La pomme y est décrite comme étant un fruit régénérateur et l’on en extrait un jus qui joue à peu de chose près le même rôle que l’ambroisie olympienne, c’est-à-dire un « nectar » perpétuant l’immortalité des dieux (5).
Du côté de la tradition celtique, des motifs similaires se répètent. La pomme est une nourriture miraculeuse apportant sagesse, connaissance, science, révélation et magie (Merlin n’enseignait-il pas à l’ombre d’un pommier ?). On rencontre, une fois de plus, l’idée de renouvellement et de perpétuelle jeunesse, de fraîcheur, qui rappelle qu’Alexandre le Grand serait parti en Inde pour y rechercher une eau de vie, parce que, disait-on, là-bas, des prêtres, qui buvaient de cette eau, vivaient pendant des siècles.
Bref. L’immortalité, davantage que l’amour, est au cœur du symbolisme celte de la pomme. Le pommier, cet arbre de l’autre monde, est une source intarissable de vie et de santé, et la pomme est typiquement un fruit divin, objet de la convoitise des hommes.
Pour les Celtes, le pommier est partout : l’Ynis Afallach, autrement dit, la latinisée Insula pomorum (ou Insula Avallonis), est l’île de la pomme, l’île de la pommeraie : la célèbre Avallon mythique (6) qui abrite les pommiers magiques dont la surveillance est assurée par Morgane. Ces pommiers forment un bosquet sacré.
On ne peut donc pas s’étonner de retrouver le pommier au sein de l’alphabet oghamique. L’ogham fabriqué à base de bois de pommier porte le nom de Quert. C’est un ogham qui incarne bien des symboliques que nous avons rencontrées jusque là : la santé, la vitalité, la jeunesse, la beauté, l’art, l’amour. Il rend compte de la nécessité de se purifier et de se régénérer corporellement (7). De plus, il invite à se questionner sur l’achèvement de la vie et sur sa posture face à la mort.
Les pommes d’or du jardin des Hespérides ainsi que celles que garde Morgane sur Avallon impliquent, bien entendu, une symbolique solaire. En Lettonie, le pommier est considéré comme un arbre solaire et les pommes décoratives du solstice d’hiver sont le signe de la renaissance de la lumière. « D’après une légende populaire du Hanovre […] une jeune fille descend à l’enfer par un escalier qui se présente à ses yeux sous le pommier de la basse-cour de la maison. Elle voit un jardin, où le soleil semble encore plus beau que sur la terre, les arbres sont en fleurs et chargés de fruits. La jeune fille remplit son tablier de pommes, qui deviennent d’or dès qu’elle revient sur la terre » (8). Cette descente aux enfers se solde par un savoir, une connaissance supérieurs (les secrets de la vie, de la mort, de l’au-delà, de la guérison, de la santé et de l’amour). Il s’agit là d’un conte qui rappelle assez celui de La jeune fille sans mains.

Maintenant, nous allons avoir tout le loisir de constater que le légendaire chrétien a réservé à la pomme des attributions dont la communauté avec ce que nous avons exposé jusque là ne fait pas de doute. Mais, d’un autre côté, la pomme chrétienne s’en détache résolument. L’on connaît tous l’épisode biblique durant lequel la « fautive » Eve croque dans une pomme, ce qui lui vaut, ainsi qu’à Adam, son expulsion du Paradis. C’est ce que nous explique la Genèse à propos de ce fruit capable « d’ouvrir l’intelligence ». Le hic, c’est que nulle part dans la Bible la pomme est mentionnée explicitement. L’on sait que ce fruit est présenté comme celui de l’arbre du bien et du mal. Pour les chrétiens d’Occident, la pomme serait le fruit le plus à même de correspondre à celui de l’arbre de la connaissance. Et la tentation d’Eve va coller à la pomme comme une seconde peau. Or, l’idée de tentation et de péché annexée à la pomme n’est, pour Paul-Victor Fournier, qu’un enfantillage procédant d’une énorme confusion. Nous avons dit plus haut que chez les Grecs, le mot mèlon s’appliquait à l’ensemble des fruits à graines et à pépins. Pour le christianisme, le mot latin qui désigne la pomme est malum (le mot malus est l’actuel nom latin scientifique du pommier). Mais malum, c’est aussi le mal. On comprend un peu mieux pourquoi la pomme fut choisie pour symboliser le mal dans lequel Eve, sous les conseils du serpent, a croqué. Croquer la pomme peut alors signifier deux choses : abuser de sa sensibilité pour désirer le mal et abuser de son intelligence et de sa liberté pour le commettre.
Si l’identité botanique de l’arbre de la connaissance est sujette à caution, on a voulu voir dans cet arbre un figuier, en relation avec les feuilles dont Eve et Adam se parent afin de masquer leur nudité. Mais aussi la mandragore, dont on dit qu’elle serait née de la semence d’Adam assoupi, attendant la venue d’Eve. Contrairement au pommier absent de la Bible, la mandragore y est bel et bien mentionnée. Ses fruits, en forme de petites pommes, entretiennent le trouble, d’autant que la mandragore fut autrefois appelée malum terrae : elle est donc aussi bien une « pomme de la terre » qu’un « mal issu de la terre »… Mais, me direz-vous, la mandragore n’est pas un arbre. S’il est permis de penser que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est une mandragore, il faudrait alors entendre le mot « arbre » comme une manière amphigourique de désigner la mandragore.
Beaucoup plus tard, afin d’amoindrir les symboliques chrétiennes de la pomme, on dira qu’elle est la matérialisation de la parole divine et de la rédemption (au Moyen-Âge, on représente Jésus et Marie une pomme à la main).

Tout comme la pomme de discorde de Pâris, avec la pomme d’Eve il est question de choix. « Suivant l’analyse de Paul Diel, la pomme, par sa forme sphérique, signifierait globalement les désirs terrestres ou la complaisance en ces désirs. L’interdit prononcé par Yahvé mettrait l’homme en garde contre la prédominance de ces désirs, qui l’entraînent vers une vie matérialiste par une sorte de régression, à l’opposé de la vie spiritualisée, qui est le sens de l’évolution progressive. Cet avertissement divin donne à connaître à l’homme deux directions et à choisir entre la voie des désirs terrestres et celle de la spiritualité. La pomme serait le symbole de cette connaissance et de la mise en présence d’une nécessité, celle de choisir » (9). Le choix peut s’expliquer par la simplicité et la rusticité de la pomme, au regard de son aspect rassurant et de sa rotondité rappelant le monde. L’abondance, la prospérité, la puissance et, nous l’avons souligné, la liberté et la connaissance, font de la pomme un symbole complexe contenant l’homme mais duquel ce dernier est, dans le même temps, exclu.
J’ignore qui, le premier, aura remarqué que, lorsqu’on coupe une pomme perpendiculairement au pédoncule, l’on voit une étoile à cinq branches formée par les réceptacles dans lesquels logent les pépins. Leur disposition dessine un pentagramme. Le nombre cinq, formé du trois masculin et du deux féminin, était, selon les pythagoriciens, le nombre de l’amour et de l’harmonie (10). On y a aussi vu les quatre éléments – Eau, Terre, Feu, Air – réunis dans un cinquième, la quintessence. Il a même été dit que l’enclosement du pentagramme au cœur même de la chair de la pomme, mais sans jamais faire partie de celle-ci, représentait l’involution de l’esprit dans la matière charnelle. L’inquiétude de l’homme vis-à-vis de la pomme trouve sa source dans le fait que, bien qu’on puisse la tourner dans tous les sens, la pomme place l’homme devant une forme d’initiation, de connaissance jamais acquise sans danger. Elle lui rappelle la vigueur du désir perturbateur qui n’est qu’illusion et, par-dessus tout, l’immortalité qui ne lui est pas réservée.

Pomme_pentagramme

Bien loin des dieux, l’homme du peuple s’est, lui aussi, emparé de la pomme. L’on devinera dans les lignes qui vont suivre, comme une forme d’héritage symbolique qui a su se perpétuer dans bien des pays européens. A travers ces divers rites, la pomme a valeur pré-nuptiale et mariale, mais c’est aussi elle qui détermine la fécondité. Petit tour d’horizon.
– Envoyer des pommes à une femme, en jeter à ses pieds (Europe du nord, Autriche) est un signe d’amour de la part du prétendant. En Serbie, la femme qui reçoit et accepte une pomme se sait engagée. En Sicile, une jeune fille qui désire connaître son futur conjugal, jette une pomme dans la rue et attend de voir qui la ramasse. Si c’est un homme, un mariage n’est pas loin ; si c’est une femme, il lui faut tenter sa chance l’année suivante ; enfin, si c’est un prêtre, c’est le signe, pour elle, qu’elle demeurera à jamais « vieille fille ».
– En Hongrie, après l’échange des anneaux, l’époux offre une pomme à son épouse, tandis qu’en Grèce, les époux se partagent une pomme avant d’entrer dans la chambre nuptiale.
– Enfin, au Monténégro, « la belle-mère offre une pomme à la jeune mariée, qui doit la jeter sur le toit de l’époux ; si la pomme tombe bien sur le toit, le mariage sera bien béni, c’est-à-dire, il y aura des enfants » (11).

Le genre pommier regroupe un ensemble d’arbres et d’arbustes localisé uniquement dans l’hémisphère Nord. Il se distingue nettement du poirier par son fruit qui est une drupe, alors que la poire est un piridion. Ces arbres ou arbustes ne sont généralement pas de grande taille, dix mètres de hauteur tout au plus. Le tronc est généralement gris et tortueux. Le bois de pommier, bien que recherché par l’ébéniste et le tourneur, est bien moins réputé que celui du poirier. Ses branches, velues quand l’arbre est jeune, glabres plus tard, ont un port tombant. Elles se parent de feuilles ovales, alternes, légèrement crénelées, sombres au-dessus, plus claires sur la face opposée. Floraison printanière pour la plupart des variétés. Les boutons rose vif se groupent en petits bouquets qui déploient ensuite leur corolle blanche à cinq pétales. Légèrement odorantes, mais davantage parfumées la nuit, elles produiront la pomme à l’endocarpe coriace, à la chaire douce, acidulée ou acerbe.
Aujourd’hui, il existe plus de 5000 variétés de pommiers qui se distinguent les unes des autres par la forme, la taille, la couleur, l’odeur et la saveur du fruit. On peut distinguer trois groupes de variétés issues du pommier commun :
– Le pommier doux (Malus communis, var. mitis) : ensemble des pommiers à pommes douces ou pommes à couteau, telles que la reinette, la pomme d’api, le cœur-de-pigeon, etc.
– Le pommier acerbe (Malus communis, var. acerba) : ensemble des pommiers destinés à la production de pommes à cidre.
– Le pommier paradis (Malus communis, var. paradisiaca) : variétés de pommiers précoces.

Le pommier en phytothérapie

De cet arbre fruitier, l’on utilise surtout le fruit, beaucoup plus rarement les feuilles, l’écorce et les fleurs. De la pomme, l’on distingue la pelure de la pulpe. Bien que formant un tout indissociable, les principes actifs se répartissent différemment. Par exemple, on trouve davantage de vitamines dans la « peau » que dans la pulpe de la pomme (12).
Dans l’ensemble, la pomme contient du fructose, de la pectine, des acides organiques, des vitamines (A, B1, B2, C, PP), des sels minéraux (calcium, manganèse, fer, magnésium…), ainsi que des hétérosides cyanogénétiques logés dans les pépins.

Propriétés thérapeutiques

  • Digestive, régulatrice des fonctions intestinales, antiseptique intestinale, protectrice gastrique, déconstipante, laxative douce, purgative, antidiarrhéique
  • Béchique, pectorale, anticatarrhale
  • Hypotensive, préventive de l’artériosclérose et de l’infarctus du myocarde, dépurative sanguine, hypocholestérolémiante
  • Diurétique et éliminatrice de l’acide urique (s’oppose surtout à sa formation)
  • Décongestionnante et stimulante hépatique
  • Sédative nerveuse, tonique nerveuse, stimulante nerveuse, inductrice du sommeil
  • Fébrifuge légère, rafraîchissante
  • Antirhumatismale
  • Tonique musculaire
  • Antilithiasique (concerne le cidre)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, maux de gorge, enrouement, rhume, bronchite, angine, diphtérie, otalgie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, ulcère gastrique, gastrite, gastro-entérite chronique, entérite aiguë chez l’enfant, entérocolite, colite, colite muqueuse, dyspepsie, diarrhée (infantile, aiguë, chronique), dysenterie
  • Troubles urinaires et rénaux : lithiase urinaire, oligurie, rétention urinaire (+ goutte, rhumatismes, arthrite)
  • Hypertension, cholestérol sanguin en excès
  • Insomnie et troubles du sommeil, anxiété, nervosité, neurasthénie, asthénie physique et intellectuelle, surmenage
  • Grossesse, convalescence, anémie, déminéralisation, obésité
  • Troubles cutanés : acné, eczéma, herpès, gale, teigne, tanne, comédons, petit ulcère, plaie atone, lésion cutanée, brûlure, gerçure, crevasse
  • Fièvre, fièvre typhoïde
  • Diabète
  • Nettoyage dentaire, douleur dentaire

L’écorce s’avère tonique, astringente et un peu fébrifuge. Elle doit faire l’objet d’une décoction. Quant aux feuilles, il faut longuement les laisser infuser (10 à 15 mn). Elles sont avant tout diurétiques (dysurie, inflammations des voies rénales et urinaires). Enfin, l’infusion de fleurs de pommier adoucit la gorge et calme la toux.

Modes d’emploi

  • Cure de pommes très mûres, râpées, sans trognon ni pépins : c’est un usage populaire déjà relaté du temps de Matthiole (16 ème siècle). Il faut compter 0,5 à 1,5 kg de pommes par jour pendant deux jours. En cas de dépuration de l’organisme, de constipation, de troubles diarrhéiques aigus… Prise le matin, la pomme est dépurative, alors que le soir elle est laxative.
  • Décoction : couper une pomme entière en tranches, couvrir d’un demi-litre d’eau bouillante dans une casserole. Laisser réduire de moitié, ajouter un peu de sucre et mélanger le tout. A prendre avant le coucher en cas de difficultés d’endormissement, d’insomnie, etc.
  • Suc de pomme : outre le fait qu’il soit diurétique, c’est un excellent raffermissant des tissus cutanés. En cas d’affaissement des traits du visage, pour raffermir les seins et l’abdomen.
  • Pommade : anciennement, la pomata était un mélange de pulpe de pomme et d’axonge (c’est-à-dire du saindoux). Depuis, le mot pommade s’est généralisé à l’ensemble des onguents. La pommade de pomme est adoucissante.

Remarque

Il serait trop long de parler du cidre dans cet article. Nous pouvons cependant en dire quelques mots, puisqu’il est à l’origine de bien d’autres liquides. Par exemple, en distillant du cidre normand, on obtient le calvados, alors que le cidre breton donne naissance au lambig.
Bien sûr, du cidre, on tire le fameux vinaigre de cidre (ou de pomme, comme disent nos amis suisses). Il a été chroniqué ici et .
Le cidre, diurétique à l’instar du jus de pomme, ne doit pas faire l’objet d’un abus, puisqu’il prédispose aux gastrites hyperchlorhydriques par transformation de l’acide malique en acide acétique.
Quant à l’implantation normande du pommier, elle remonte au XI ème siècle selon certains, au XVI ème selon d’autres sources. Mai le cidre n’est pas une invention normande. Ce sont les marins basques qui ont fait découvrir au VI ème siècle aux marins normands le sagarnoa, autrement dit le vin de pomme, connu au Pays basque depuis l’Antiquité. Le cidre breton sera plus tardif, lui : XIII ème siècle.


  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 776
  2. Ibid.
  3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 300
  4. David Fontana, Le langage secret des symboles, p. 127
  5. Au Danemark, on a découvert des tumulus vieux d’environ 3500 ans qui contenaient des cercueils en chêne abritant des pommes, du moins ce qu’il en restait. Pommier et chêne furent également sacrés pour les Gaulois. Rédemption et espoir de résurrection sont à l’origine de la coutume consistant à déposer des pommes sur les tombes.
  6. Avallon est un nom dérivé du celte abellio qui veut tout simplement dire pomme. Le gallois afal, l’irlandais abhal, le breton aval, qui sont autant de façons de nommer la pomme, font écho à l’anglais apple, à l’allemand apfel, à l’ancien allemand aepfel, etc.
  7. Élixir floral du Docteur Bach : Crab Apple. Inscrit dans le groupe du découragement, cet élixir traite les sensations de souillures. C’est donc un élixir de purification destiné aux personnes qui ont la sensation d’être intoxiquées ou salies, dans leur corps et/ou dans leur âme. Crab est le mot anglais qui désigne le crabe mais aussi le morpion et le cancer.
  8. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 303-304
  9. Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 777
  10. Il existe dans le Petit Albert, une recette magique, celle de la pomme d’amour, dans laquelle on retrouve les nombres deux et trois, la pomme coupée en deux, le vendredi, jour de Vénus, ainsi que des éléments végétaux extérieurs : le myrte, autre plante d’Aphrodite, et le laurier, plante assurant victoire dans ses entreprises.
  11. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 301-302
  12. Ce taux est très variable ; il dépend de multiples facteurs : variété sauvage ou cultivée, épiderme rouge ou vert, climats, régions…

© Books of Dante – 2016