Matthew Wood : Sept herbes, les plantes comme enseignants

Dans ce livre, Matthew Wood (né en 1954) s’efforce d’établir des liens entre sept plantes (dont nous donnerons l’identité en fin d’article) et sept épisodes décrivant des situations psycho-émotionnelles particulières tirés de la Bible, plus précisément de la Genèse. Ces vécus psychiques et émotionnels, toujours d’actualité, très précisément décrits et décortiqués par l’auteur par le biais de multiples exemples tirés de sa propre pratique, entrent en relation avec la personnalité des sept plantes pour lesquelles il a opté. S’inspirant de la théorie des signatures et de son pionnier Paracelse (1493-1541), du père de l’homéopathie Samuel Hahnemann (1755-1843) et du docteur Edward Bach (1886-1936) entre autres, Matthew Wood explique comment les teintures-mères des sept plantes qu’il appelle « points de repère » permettent aux personnes affectées par les problématiques exposées dans les paraboles bibliques de se libérer des chaînes qui les entravent.

Je ne vous cache pas que c’est le titre de cet ouvrage ainsi que l’illustration de couverture qui ont en partie motivé l’acte d’acquisition. Cependant, des renseignements pris au sujet du sommaire de ce livre ont complété mon intention de départ, non seulement parce que certaines plantes m’étaient inconnues, mais aussi parce que d’autres, dont je n’ignorais pas l’existence et qui ne sont pas regardées comme médicinales en Europe (ou très peu), offrent ici un autre aperçu de l’étendue de leurs pouvoirs. Mais, sans plus attendre, voici la traduction que j’ai effectuée de la première partie de cet ouvrage, histoire de vous donner un avant-goût de la chose.

« La Nature brille comme une lumière du Saint-Esprit et ainsi cette lumière atteint l’homme, comme dans un rêve », Paracelse.

Un vieil herboriste indien du nord du Minnesota débuta la formation d’un jeune étudiant avec ces mots : « Tout ce que tu dois savoir sur la vie se trouve dans les forêts. Vas-y pour trouver tes réponses. »

La nature est un livre à propos de la vie. Les formes, les couleurs et les habitudes de croissance des plantes racontent les difficultés qu’elles ont rencontrées au cours de leur développement et la façon dont elles ont été surmontées. Les stress physiques causés par le manque ou le surplus de chaleur, de froid, de nutriments, de lumière du soleil, d’ombre, de vent et de pluie ont donné des formes précises aux plantes, en les individualisant les unes par rapport aux autres. Ces formes et qualités précisément articulées correspondent aux propriétés médicinales dévolues à l’herbe, car les qualités au sein de la plante sont aussi une expression des conditions qui l’ont formée.

Le même environnement qui a moulé la plante a également contribué à l’existence de l’organisme humain. Chaque organe du corps, avec sa fonction différente et son environnement interne, représente une réponse aux difficultés qui lui sont présentées par nature. L’organe dans son espace de vie est analogue à la plante dans le sien. Lorsque le corps est stressé au-delà de sa capacité d’auto-régénération, la plante qui correspond à la fonction perdue « enseignera » au corps à reprendre le travail, parce qu’elle remplit une fonction correspondante dans la nature.

Il y a une unité derrière les différentes activités de la vie, que ce soit dans la plante ou dans l’homme, qui ne peut être appelée que « personnalité ». Le caractère intrinsèque d’un être est son « pouvoir médicinal », comme diraient les Indiens, parce que c’est la personnalité qui représente la réponse réussie au stress environnemental. Ce n’est pas dans les « principes actifs » que la médecine moderne distille de la nature. Ceux-ci ne représentent que des fragments, et n’étant pas eux-mêmes entiers, ne peuvent pas restaurer l’organisme dans son intégralité. Quand le guérisseur indien pointa du doigt la forêt, il ne parlait pas d’un tas de produits chimiques, mais de traits de caractère que les plantes incarnent. Elles doivent aider un jeune sur le chemin de la vie.

La personnalité d’une plante peut être « lue » comme celle d’une personne. L’apparence physique et les qualités de son environnement naturel nous disent ce qu’est cette personnalité. Cette correspondance explique l’origine de l’ancienne « doctrine des signatures », l’idée selon laquelle chaque herbe possède un « signe » ou une « signature » pointant en direction de sa vertu médicinale. C’est aussi l’origine de la toute aussi ancienne « doctrine des semblables » exprimée dans la devise « les semblables soignent les semblables » [NdT : c’est-à-dire la très célèbre formulation similia similibus curentur]. Cela indique que l’herbe qui détient le remède est similaire à l’organe, le tissu ou la constitution sur lesquels elle agit. Elle peut même être similaire à l’expression de la maladie, puisque celle-ci aussi a une personnalité, adoptée de la « niche » dans laquelle elle existe.

Il y a aussi une correspondance entre nos émotions et l’environnement. En témoignage de cela, nous disons que nous nous sentons « brillants », « sombres », « chauds », « froids », et ainsi de suite, exprimant nos émotions dans des termes analogues au monde naturel. Il y a une correspondance entre nos émotions et les plantes. La plante qui a appris à faire face à une certaine expression du froid dans la nature sera également en mesure de guérir un semblable état émotionnel « froid ». Ainsi, les plantes peuvent « enseigner » nos émotions ainsi que notre corps.

Nos émotions à leur tour correspondent à nos organes corporels. Chaque émotion a un organe physique qui vibre, pour ainsi dire, quand cette émotion est active. Quand une émotion est bloquée, l’organe analogue devient sans vie, et enfin malade. La plante qui correspond à l’organe affecté correspond aussi à l’émotion qui l’anime, et restaurera les deux à la santé. Nous ne pouvons pas conserver notre santé physique sans la santé émotionnelle qui va avec. Les plantes sont des incarnations de processus qui correspondent à la fois aux expressions émotionnelles et physiques de la vie. Elles présentent des personnalités, des pensées et des sentiments complexes, aussi articulés que les nôtres, parfois plus. Elles peuvent être nos « enseignants » à la fois physiquement et intérieurement, et sont un moyen idéal pour l’éducation et la guérison.

Au sens le plus vaste, les plantes sont des représentations des problèmes de la vie humaine. Elles nous parlent dans la poésie de l’âme. Ce livre n’est pas destiné uniquement aux herboristes, mais à toute personne en voie de développement intérieur. Les leçons incarnées par les plantes sont universelles. L’utilisation d’herbes dans la thérapie est une autre prérogative pour ceux qui ont une volonté d’action dans cette direction.

Où commençons-nous notre voyage dans un sujet aussi étendu ? L’étudiant herboriste débutant est toujours submergé par l’énormité du champ [d’action]. Parce qu’il y a tant de plantes, nous devrons isoler quelques points critiques dans l’organisme humain et trouver des herbes qui leur correspondent. Dans ce livre, nous étudierons sept articulations-clés importantes et complètes dans l’organisme humain, puis une série de plantes qui les incarnent.

Les articulations-clés présentées dans ce livre seront appelés les « sept points de repère ». Comprendre celles-ci et les sept herbes qui leur correspondent fournira la base d’une pratique saine des plantes, pour ceux qui en sont intéressés, et pour ceux qui ne le sont pas, une excursion dans les beaux mystères de l’humanité et de la Nature.

Dans la « Grand Medicine Society » des Ojibwés, ou Midewiwin, de la région du lac Supérieur, les élèves apprennent des connaissances en médecine et en herboristerie dans sept grades, dont chacun correspond à une plante qui incarne le pouvoir de médecine implicite dans la leçon de ce rang. L’identité de ces plantes est cachée et inaccessible au grand public. Certaines d’entre elles sont dangereuses. Certains de ces enseignements ont été oubliés, d’autres ne sont plus adaptés à notre époque et d’autres ne le sont que pour les Ojibwés. S’il n’y a pas d’étudiants appropriés, certaines connaissances peuvent disparaître de la tradition. Le contraire est également possible. S’il y a des élèves en dehors de la tradition qui conviennent à la réception de certains enseignements, une personne peut transmettre un héritage précieux à l’un d’entre eux. C’est mon lien avec la Grande Médecine. J’ai eu la chance de recevoir un héritage concernant l’utilisation des herbes guérisseuses. Lorsque cela s’est produit, les connaissances que j’avais absorbées au fil des années dans mon expérience de phytothérapie se sont réunies dans une organisation profonde. Sept des principales plantes de ma pratique se sont démarquées de diverses façons, jusqu’à ce qu’elles se combinent en une unité personnifiant les grands enseignements de la « voie de la médecine ». C’était un ensemble de plantes différentes de celles utilisées dans la Grande Médecine et j’ai exprimé les leçons qu’elles représentent par les mots de la culture occidentale, mais l’esprit demeure identique. C’est l’esprit qui nous murmure toujours les mystères et les défis inhérents à la condition humaine.

Seven Herbs. Plants as teachers est le premier livre de Matthew Wood qui me semble encore édité, mais qui est aussi disponible à l’état d’occasion assez facilement (j’ai acheté le mien dans cette condition à un bouquiniste français pour la modique somme de 10 €). Édité par North Atlantic Books (Berkeley, Californie) en 1987, il compte 128 pages, de format 23 x 15, en noir et blanc, ISBN : 0-938190-91-1, 8,95 $ à l’époque. Voici le site de l’auteur qui apporte des informations supplémentaires, ainsi que des liens vers ses autres ouvrages (une dizaine en tout) et parmi lesquels il en est quelques-uns qui se trouveraient bien d’être traduits en français, de même que ceux d’autres auteurs – je pense en l’occurrence à Wolf-Dieter Storl, à Christian Rätsch, etc. Mais bon, force est de constater que malheureusement des auteurs de cette qualité ne trouvent pas preneur auprès des éditeurs français et c’est bien dommage. Ceux qui se débrouillent bien en anglais pourront au moins tirer partie des ouvrages de Matthew Wood, qui a le mérite d’apporter un véritable souffle novateur (c’est ce qui m’évite de mourir de consomption, à l’image du poisson rouge qui n’a pas d’autre choix que de tourner en rond dans son bocal).

Voilà, voilà : plantes, émotions, Edward Bach, Hahnemann, Paracelse, médecine amérindienne, etc., cela fait beaucoup de mots-clés que l’affection que vous pouvez avoir pour l’un ou l’autre, peut motiver une saine lecture en compagnie de Matthew Wood dont la rencontre livresque me ravit et donne à mon début d’année 2021 une puissante impulsion.

Enfin, voici comme promis les sept plantes choisies par l’auteur, au regard desquelles je place les personnages des histoires bibliques correspondantes :

  1. Lis de Pâques (Lilium longiflorum) – Adam et Eve ;
  2. Yerba Santa (Eriodictyon californicum) – Caïn et Abel ;
  3. Iris versicolore (Iris versicolor) – Noé et l’Arche ;
  4. Armoise tridentée (Artemisa tridentata) – Abraham ;
  5. Oreille de chat (Calochortus tolmiei) – Isaac ;
  6. Actée noire (Cimicifuga racemosa) – Jacob ;
  7. Sabot de Vénus (Cypipedium calceolus) – Joseph.

© Books of Dante – 2021

Le millepertuis officinal (Hypericum perforatum)

Synonymes : millepertuis commun, mille trous, herbe aux mille trous, herbe percée, herbe aux piqûres, trascalon perforé, frascalon, truchereau, trucheran jaune, trucheron jaune, herbe aux mille vertus, chasse-diable, crugie, herbe de la Saint-Jean (1), sang de saint Jean (l’allemand et l’anglais insistent particulièrement sur la filiation du millepertuis à saint Jean-Baptiste, puisque dans ces deux langues, on l’appelle communément Johanniskraut et Saint John’s wort).

Le mot hypericum, qui n’apparaît en tout premier lieu qu’au Ier siècle après J.-C., sous la plume de Dioscoride, a occasionné diverses tentatives d’explication étymologique. L’une d’elles, assez peu palpitante il faut bien le reconnaître, est relayée par Fournier : le « nom d’hypericum, en grec hypericon, signifie originairement ‘semblable à la bruyère’ (il s’agit de la bruyère arborescente [nda : Erica arborea ?] et se rapporte à une espèce à feuilles courtes et étroites de la région méditerranéenne orientale » (2). Mouais. Tout ça manque assurément de sel. La seconde explication, il n’y a que dans un ouvrage de Jean-Marie Pelt que j’en ai trouvé la trace. Beaucoup plus intéressante, elle expose la formation du mot hypericum comme suit : du grec hyper, qui signifie « au-dessus » et eikon, « image ». Littéralement : au-dessus de l’icône. C’est tout à fait séduisant. Ce sens s’expliquerait du fait que les anciens Grecs protégeaient les statues des divinités en suspendant des bouquets de millepertuis au-dessus d’elles, en vue d’en éloigner les mauvais esprits et les « démons », d’où le nom de fuga dæmonum, alias chasse-diable, qu’on a accordé à la plante depuis fort longtemps (des fois, il est dit que cela remonte à l’époque gallo-romaine, parfois que c’est beaucoup plus tardif, puisque cette dénomination aurait pris naissance au Moyen-Âge ; en tous les cas, cela ne semble pas devoir dater antérieurement à la naissance du Christ). Séduisante hypothèse, comme peut l’être également le diable. Mais plus je retourne cette explication dans tous les sens, et moins je la trouve crédible. Quoi qu’il en soit, le diable colle au train du millepertuis de bien des manières. Tenez, par exemple, autre petite leçon d’étymologie. Après nous être occupé d’hypericum, concentrons-nous sur l’adjectif perforatum qui le suit, et avec lequel existe une filiations aux noms vernaculaires que voici : millepertuis, mille trous, herbe percée, herbe aux piqûres. Cet ensemble de substantifs fait référence à la myriade de petits « trous » qui constellent la surface des feuilles de cette plante, d’autant plus visibles quand on les observe à travers les rayons du soleil. Ici, ce sont des légendes qui en amènent la compréhension : pour raccorder le millepertuis à saint Jean-Baptiste, on assure que ces « trous » sont les traces laissées par les gouttes de sang qui jaillirent du cou du supplicié lors de sa décapitation. C’est sans doute un peu bancal, mais cela a au moins le mérite de lier le millepertuis au sang et à l’idée même de blessure, puisque la couleur rouge, on la retrouve lorsqu’on froisse les pétales du millepertuis, laissant au bout des doigts des macules de teinte vineuse. Il n’en fallait pas davantage au millepertuis pour qu’on lui accorde, par le biais d’une aussi évidente signature, une propriété vulnéraire que, fort heureusement, il possède bel et bien, et qui fut très justement plébiscité comme tel par l’école de médecine de Montpellier qui, au XIII ème siècle, déclarait le millepertuis comme un vulnéraire qui ne le cède à nul autre. Cette propriété semble trouver son origine au temps des croisades (XI-XIII ème siècle). En effet, l’histoire raconte que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem s’en servaient pour soulager les plaies et les brûlures sur les champs de bataille. Peut-on en déduire qu’ils connaissaient déjà les vertus antiseptiques et cicatrisantes de l’huile rouge, qu’on obtient par macération de millepertuis dans de l’huile ? A cette dernière question, je n’ai aucune certitude, et, là encore, plus j’y repense, et plus je me dis qu’il s’agit d’une fable qui ne cherche pas autre chose qu’à nous emmener en bateau. Puisque, ce qui est bien plus certain, c’est qu’on ne peut pas dire que le Moyen-Âge ait fait un grand accueil à cette plante : quelques réceptuaires en déclarent l’efficacité contre la goutte ; Albert le Grand, qui le surnomme « couronne royale », un nom qui, me semble-t-il, lui va à ravir, n’en dit cependant pas davantage, de même que Hildegarde de Bingen qui n’en fait absolument pas cas. Elle précise tout simplement, en deux lignes, que cette plante est tout juste bonne pour être donnée en pâture au bétail, et qu’elle ne convient pas du tout à la médecine. (Hildegarde a fait d’autres erreurs, comme avec l’oignon, par exemple. Et sur le seul chapitre du millepertuis, elle ne sera pas la seule à raconter des âneries, aussi ne l’accablons pas trop : elle n’en reste pas moins une très grande phytothérapeute médiévale.)
Le diable semble avoir plus d’un tour dans son sac, même si on le moque un peu, comme le montre l’anecdote suivante : pas content, comme il sied à un personnage de son rang, le diable, pour se venger du millepertuis qui le chasse, chercha à le détruire en dévorant ses feuilles, morsures qui laissèrent en vue des traces de perforation, c’est-à-dire les « trous » ponctuant le feuillage d’Hypericum perforatum comme les étoiles la voûte céleste. Mais le diable peut toujours y aller, le millepertuis est placé sous la houlette de Dieu, comme ne manque pas de le rappeler l’un de ses surnoms anglais, grace of god (comme autres synonymes de sa puissance, il porte aussi ceux de balm of warrior et surtout de touch-and-heal). L’on dit aussi du millepertuis que, parce que son parfum rappelle celui de l’encens, cela le place, de facto, en odeur de sainteté, celle-là même qui met en fuite les mauvais esprits, comme le soulignera Karl von Eckartshausen, signalant cet emploi aux côtés du soufre, de l’ase fétide, du vinaigre et du castoréum, et cela pour protéger aussi bien les habitations que les lieux sacrés, mais également l’être humain sur lequel peut s’abattre les influences négatives, les attaques des forces occultes, parce que les démons tiennent cette plante tant en horreur qu’ils ne peuvent que fuir les lieux où on la fait brûler. Mais comment entendre le terme de démon, et par là même l’action qu’il est censé porter sur l’homme ? Par exemple, quand on prend connaissance de ce qu’écrivait Jean-Baptiste Chomel (1671-1740) à propos du millepertuis, on perçoit une forme de nuance : selon lui, le millepertuis est très utile « pour abattre les vapeurs hypocondriaques, et soulager les prétendus possédés ou maniaques, d’où son nom de fuga dæmonum ». Les prétendus possédés ? Ou ceux qui sont sujet à la manie ? Au XVIII ème siècle, la possession, ça fait un moment qu’elle a botté en touche, ce qui n’était pas encore le cas auparavant, comme l’explique Jean-Marie Pelt : « Au Moyen-Âge, la dépression était volontiers confondue avec la possession ; on pensait que des forces surnaturelles pouvaient s’emparer d’un être humain et provoquer chez lui des sentiments et des effets funestes » (3), comme la mélancolie, les idées noires ou toutes autres ténèbres de l’esprit. Au sens que l’on accorde au mot démon, dépend toute une interprétation, différant du tout au tout. Si on l’entend au sens médiéval chrétien, il n’exprime pas la même chose qu’au sens antique de la pensée grecque, pour laquelle « les démons sont des êtres divins ou semblables aux dieux par un certain pouvoir […] Puis, le mot vint à désigner les dieux inférieurs et enfin les esprits mauvais » (4). Et il serait plus juste d’utiliser le mot adéquat de daimôn : par là, je ne veux bien évidemment pas parler de cette espèce de père fouettard affublé d’un trident et de deux cornes, dont le christianisme nous rabat les oreilles depuis des lustres. Non, le daimôn, sous la forme où parviennent à le dessiner les Grecs antiques, c’est tout autre chose : selon Empédocle, il s’agit du soi occulte qui persiste à travers les incarnations successives. Sa fonction « est d’être chargé de la divinité en puissance de l’individu » (5), ce qui est censé assurer à chacun l’inspiration intérieure alliée à un sentiment d’illumination supérieure. Et si le daimôn se sert de l’esprit et du corps humain comme d’un instrument, ça n’est pas pour les raisons qui amenèrent plus tard les diables du christianisme à agir. La grande différence entre ce type de démons et l’idée que l’on se fait du daimôn, c’est que le premier est forcément extérieur aux hommes qu’il vient tourmenter, tandis que le second n’est pas « une force étrangère attaquant leur raison du dehors, mais une instance de leur propre être » (6). Ceci étant dit, il est utile de préciser que les Grecs pédalèrent pas mal dans la semoule afin de définir et d’établir au mieux cette notion du daimôn, qu’ils surent distinguer de celle de passion qui diffère grandement de ce à quoi l’on associe ce terme aujourd’hui : le passionné est nécessairement plein d’entrain et de fougue. Alors que chez les Grecs, ce mot est marqué du sceau de son sens premier, issu du latin passio, désignant l’action même de supporter passivement un grand abattement, qui affecte l’individu par la langueur et la perturbation morale. Ce qui brouille quelque peu les pistes entre les causes exogènes et les causes endogènes, c’est que « le primitif, sous l’influence d’une forte passion, s’estime possédé, ou malade, ce qui est, pour lui, la même chose » (7). Or, le millepertuis recherche l’ataraxie, c’est-à-dire la libération de ces émotions troublantes, semblant agir aussi bien auprès de la possession que de la maladie de nature morale et psychique.
La théorie des signatures explique que la plante solaire qu’est le millepertuis, s’épanouissant plus particulièrement lors du solstice d’été, est une plante dont la symbolique nous dirige directement auprès de sa propension à savoir chasser les affres grisailleuses de la dépression. Le millepertuis préserve des esprits malins qui, à notre époque moderne, sont autant d’exemples des difficultés que nous pouvons rencontrer, dès lors que s’estompe notre propre soleil intérieur, se muant inexorablement en une pâle et terne piécette d’argent. Sur ce point, cette théorie ne s’est pas trompée : le millepertuis modifie le taux de sérotonine dans le cerveau, ce qui accroît ainsi la sensation de bien-être général. Il aide aussi à supprimer la douleur, et l’on sait très bien que, généralement, les phénomènes algiques et inflammatoires ne sont pas exactement responsables du retour d’un ciel bleu sans nuage, bien au contraire. De plus, facilitant l’endormissement, il lutte donc contre l’insomnie d’origine nerveuse, l’angoisse et la dépression. (Peut-on alors établir l’équation suivante : fuga dæmonum = antidépresseur ?)
Si l’usage interne du millepertuis permet de ramener en soi le soleil, il est important de mentionner que ce même usage n’autorise pas l’exposition au soleil subséquente, puisque cette plante est photosensibilisante. Jean-Marie Pelt en donne l’explication : « Plante étrange, en vérité, que ce millepertuis qui entretient décidément avec le soleil des liens privilégiés. En 1920, en effet, on s’aperçut que des herbivores à robe claire ayant brouté du millepertuis présentaient, lors d’une forte exposition au soleil, des œdèmes et des érythèmes sur les muqueuses et les parties dépigmentées de la peau [nda : on vit aussi apparaître des ulcérations et des nécroses cutanées]. Dans certains cas plus sévères, les animaux étaient frappés d’une intense agitation avec diarrhées, dermatites et perturbations du rythme cardiaque. Des cas mortels furent même rapportés » (8). Est-ce à dire que dans certaines circonstances le millepertuis attire plus qu’il ne repousse le diable ? Hildegarde, souvenez-vous en, qui déclarait le millepertuis juste bon pour que le bétail s’en repaisse, n’a pas fait de remarque de ce type, de même qu’il n’en existe nulle trace auparavant, aucun auteur de l’Antiquité n’ayant fait le constat que le millepertuis pouvait pousser des animaux à se livrer à une espèce de « ménadisme ». Rien de tel chez Dioscoride et Galien. Tout au contraire, ils en signalent l’emploi en direction des « points chauds », comme la sciatique par exemple, mais aussi pour les plaies, les ulcères et les brûlures. Toutes ces plantes (9), dont Dioscoride signale le parfum résineux et la capacité des pétales froissés à teindre les doigts de la couleur du sang (10), sont de plus emménagogues et diurétiques, parfois fébrifuges. Le point de vue des médecins grecs de l’Antiquité ne variera pas énormément jusqu’à la Renaissance, après l’éclipse médiévale presque totale. On établit pour évidentes ses propriétés pectorales, calmantes, hémostatiques et vermifuges (en réalité, il fait mieux fuir les « démons » que les vers…). Mais ce en quoi on s’accorde sans barguigner, c’est avant toute chose la merveilleuse vertu vulnéraire du millepertuis, réputation louée par Matthiole, Paracelse, Camerarius, Fallope, etc. au XVI ème siècle, par Scopoli et Geoffroy au suivant, j’en passe et des meilleurs. Jean-Baptiste Porta transcrit la recette d’un remède censé rendre « vaines les blessures de toutes espèces de bêtes » (11), et que l’on retrouve à peine altérée un peu plus tard dans le Petit Albert. Mais il est une bête plus pernicieuse encore, qui apprécie rien moins que de sévir sur les champs de bataille. L’huile rouge fut qualifiée de vulnéraire par excellence par le chirurgien militaire que fut Ambroise Paré (1510-1590), et que l’Anglais John Gerard résume à ceci en 1597 : « C’est un remède précieux pour les blessures profondes et celles qui traversent le corps ». C’est pourquoi on reste incrédule face à Cazin qui, une fois de plus, n’y va pas avec le dos de la cuillère à pot, assurant, sans sourciller, « qu’il faut reléguer au rang des fables [ce qu’on a rapporté] sur les vertus prétendues vulnéraires et cicatrisantes de l’hypericum » (12). Il a fumé ou bu, c’est sûr ! Ou bien son esprit a été attaqué par les vapeurs d’essence de térébenthine ! A moins qu’on ait acheté sa voix, ce pour quoi j’ai un gros doute, Cazin me semblant plus intègre que bon nombre de parasites qui pullulent de nos jours dans ce milieu. A la fin du XIX ème siècle, le docteur Reclu, dans son manuel à destination des herboristes, réitère cette énormité sans plus donner d’explication : le millepertuis est « dénué de toutes vertus vulnéraires ou cicatrisantes » (13). Et hop, un deuxième adepte de la picole ! Cependant, Cazin ne renie en rien les bons effets du millepertuis en interne, allant jusqu’à conclure sa monographie de la manière suivante : « loué outre mesure par les anciens, et abandonné sans restriction par les modernes, le millepertuis ne mérite ni les pompeux éloges des uns, ni l’inconcevable indifférence des autres » (14). C’est sûr qu’il y avait mieux à faire que de dénigrer le nec plus ultra des vulnéraires en balançant du lourd. Critiquant beaucoup, Cazin n’apporte pas non plus énormément d’eau à notre moulin. Certes, il nuance avec mesure les propriétés antituberculeuses du millepertuis qui, selon lui, sont très exagérées, et fait de même en ce qui concerne ses vertus diurétiques. Bien plus humble, le docteur Martin-Lauzer, contemporain de Cazin, écrivit, en 1854, que « le millepertuis est tombé dans un oubli tel qu’il n’a pu trouver place dans les formulaires modernes, qui seront peut-être un jour retournés contre nous comme une preuve de notre ignorance ». Ah ben oui alors, je ne vous le fais pas dire ! Mais, à partir du début du XX ème siècle, bien des études pharmacologiques menées sur cette plante surent venir à bout des réticences passées, ce qui fait que « le millepertuis, aujourd’hui bien étudié, délivré des fables, a enfin trouvé une juste et bonne place parmi les remèdes végétaux » (15).

Section d’une tige de millepertuis vue au microscope électronique : on remarque bien, de part et d’autre, les deux protubérances formées par les lignes qui sillonnent la tige.

Le millepertuis est une plante vivace constituée de tiges robustes longées de deux lignes droites et saillantes plus ou moins rougeâtres. Selon que le terrain est de nature riche ou maigre, la taille maximale du millepertuis peut aller du simple au triple (20 à 60 cm). Ses feuilles ovales et sessiles comptent de nombreux points translucides, nettement visibles à contre-jour.
Les fleurs groupées en inflorescences terminales peu denses, se caractérisent par la brièveté de leur éclosion : ouvertes le matin, elles sont fanées le soir même. Mais comme de nouvelles fleurs apparaissent sans discontinuer entre mai et août, voire septembre, on a largement le temps de pouvoir en admirer les cinq pétales jaune d’or : asymétriques, l’une de leur bordure est lisse, l’autre denticulée, et si l’on observe attentivement chacun d’eux, l’on s’aperçoit qu’une ligne de petits points noirâtres en piquette le contour : ces autres petits points ne sont pas autre chose que de minuscules vésicules glanduleuses contenant un pigment rouge pourpre et aromatique, celui-là même qui donne sa belle couleur à l’huile de millepertuis. Puis, chaque fleur fanée est progressivement remplacée par un petit fruit conique dont les trois loges sont bourrées de toutes petites semences noirâtres.
Cette plante très commune et prolifique, apprécie énormément le soleil. D’ailleurs, ce caractère expansif (ou parfois invasif, comme on le lui voit en Amérique du Nord), est intimement corrélé à l’ensoleillement, puisque « la levée de dormance de sa graine est directement liée à une insolation forte » (16), alors que chez d’autres espèces végétales, elle se déclenche par le froid (bouleau, érable, etc.) ou par un chambardement du sol (coquelicot).
Présent jusqu’à 1500-1600 m d’altitude maximum, il colonise surtout les milieux ouverts, ne tolérant pas la frondaison des grands arbres au-dessus de sa tête. On ne trouve donc presque jamais le millepertuis en sous-bois. A la rigueur à l’orée des forêts et à proximité des boisements clairs suffisamment lumineux. Il a tout de même une préférence pour les sols drainés comme les pelouses et les prairies sèches, les landes, les talus, les bordures de chemin et de voies de chemin de fer, les friches et généralement tout autre lieu non cultivé.
Le millepertuis a beau être, comme nous l’avons maintes fois souligné, une plante solaire, il en craint une autre qui l’est tout autant, la piloselle épervière (Hieracium pilosella). A son contact, le millepertuis périclite.

Le millepertuis officinal en phytothérapie

A l’état frais, et à distance respectable, le millepertuis ne sent pas grand-chose. Pour en saisir l’empreinte olfactive, il importe de s’approcher de lui. Il s’en dégage alors un parfum balsamique et résineux, parfois citronné. Si on le mâche, il développe une saveur légèrement amère, âcre et un peu salée. Ce sont là deux bons indices de son efficacité.
Quand on observe le millepertuis amplement fleuri, il est une chose évidente qui saute aux yeux, si l’on ne se contente pas de survoler en un clin d’œil la structure de ses pétales et de ses sépales : chacun d’eux est bordé d’une rangée de petits points noirs, lesquels ne sont pas autre chose que des glandes à essence. En les froissant entre le pouce et l’index, ils abandonnent non seulement leur parfum, mais également leur couleur, sorte de rouge sang caillé et cramoisi. De nature résineuse, cette substance soluble dans l’alcool et dans les corps gras (d’autant plus qu’ils sont chauds), est composée d’hypéricine et de pseudohypéricine. Mais cela ne suffit pas à résoudre à ce seul point la composition biochimique de cette plante, qui est bien plus complexe qu’on ne l’a parfois imaginé. Comme le suggère un peu la couleur de ses fleurs, le millepertuis contient plusieurs corps flavoniques, dont des flavonoïdes comme l’hypérine, la quercétine, la rutine, et un biflavonoïde, l’amentoflavone. Puis arrivent des substances aux noms un peu biscornus : l’hyperforine, composé phénolique appartenant à la classe de phloroglucinols, des proanthocyanines, de l’alcool céryllique et plusieurs types d’acides : stéarique, palmitique, myristique, chlorogénique.
Rassurons-nous, le millepertuis recèle aussi des composants dont les noms sont plus courants et dont l’orthographe ne cause pas de véritables migraines : un tanin, de nature assez proche de celui contenu dans le thé et présent à hauteur de 12 %, des sucres (4 %) et des polysaccharides (5 %), des substances protéiniques (15 %), du pentosane (11 %), de la pectine, de la choline, une pléthore de sels minéraux (4,5 %), dont du fer, chose qui ne doit pas nous surprendre, si l’on prend en considération la relation du millepertuis avec la couleur rouge. Il nous reste à évoquer un produit peu connu et dont l’existence est souvent occultée par le macérât huileux de sommités fleuries de millepertuis, quand on ne fait pas la confusion entre l’un et l’autre. Je veux parler de l’huile essentielle qu’on tire de ces mêmes parties végétales par distillation à la vapeur d’eau. Il est vrai que l’huile rouge est tellement à la portée du premier venu, qu’il serait dommage de s’en passer, d’autant plus que sa fabrication exige plus de patience qu’elle n’engage les frais nécessaires à l’achat d’un petit flacon de cette huile essentielle qui, généralement, n’est pas donnée : en qualité biologique, j’ai évalué un prix moyen de 27,80 € les 5 ml. Aussi, en ce qui concerne cette huile essentielle de couleur verdâtre, les données biochimiques ne courent-elles pas les rues, mais nous pouvons néanmoins indiquer quelques chiffres : des sesquiterpènes (germacrène D, β-caryophyllène), des monoterpènes (α-pinène, β-pinène), des monoterpénols (5 %), enfin une grosse fraction d’hydrocarbures dont 16 à 20 % de 2-méthyloctane.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédatif, équilibrant du système nerveux, anxiolytique, antidépresseur
  • Apéritif, digestif, tonique hépatobiliaire, cholagogue, s’oppose aux excès d’acidité gastrique, vermifuge (?)
  • Antiseptique et régénérant cutané, astringent, cicatrisant, vulnéraire, anti-érythémateux
  • Antihémorragique
  • Diurétique, antiseptique urinaire
  • Stimulant balsamique, décongestionnant respiratoire, anticatarrhal
  • Tonique circulatoire, cicatrisant artérioveineux
  • Tonique utérin
  • Anti-oxydant
  • Anti-infectieux : antibactérien, antiviral
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Fébrifuge, sudorifique

Note : voici résumée, selon le docteur Henri Leclerc, l’action externe du millepertuis sur les blessures et les plaies en général : « il diminue les symptômes douloureux par suite d’une action anesthésique locale, légère, mais constante ; il modère les réactions inflammatoires ; il joue vis-à-vis des tissus lésés un rôle protecteur sans en compromettre la vitalité, sans déterminer de rétention, ni de suppuration des liquides excrétés ; il favorise la réparation du revêtement épidermique » (17).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, catarrhe bronchique chronique, asthme, asthme humide, tuberculose à son début
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, lourdeur d’estomac, flatulence, dyspepsie atonique, colite, entérite, ulcère gastrique, inflammation et irritation de la muqueuse gastrique, dysenterie, diarrhée, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère gynécologique : troubles de la menstruation, prise en charge des symptômes de la préménopause et de la ménopause, leucorrhée, aménorrhée, dysménorrhée, vaginite
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire (cystite), colique néphrétique, catarrhe vésical chronique, oligurie, énurésie, pyélonéphrite, prostatite, affections goutteuses et rhumatismales
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : ictère, colique hépatique, insuffisance hépatique
  • Troubles locomoteurs : affections ostéo-articulaires et ostéoligamentaires, traumatismes musculaires, douleurs articulaires et musculaires, névrite (sciatique), foulure, entorse, luxation, crampe, lumbago
  • Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes, varice, phlébite, insuffisance circulatoire, artériosclérose, artérite oblitérante
  • Troubles du système nerveux : agitation, fatigue nerveuse, épuisement mental, nervosité, angoisse, peur, anxiété, insomnie d’origine nerveuse et médicamenteuse, déprime, dépression (légère à modérée), soulagement des symptômes de manque dans le sevrage (alcool, drogues)
  • Affections cutanées : plaie, plaie bénigne, coupure, ecchymose, hématome, contusion, muqueuse irritée et/ou enflammée, peau fine et hypersensible sujette aux irritations, érythème, coup de soleil et autres brûlures du premier degré (c’est-à-dire qui ne concernent que l’épiderme), ulcère cutané, ulcère variqueux, piqûre d’insectes, crevasse, eczéma, psoriasis, vergeture, chéloïde
  • Migraine, céphalalgie d’origine nerveuse

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries fraîches ou sèches.
  • Décoction des sommités fleuries fraîches ou sèches.
  • Teinture alcoolique : macération à froid des sommités fleuries fraîches dans un alcool fort.
  • Macération vineuse : 50 g d’écorce de frêne (des feuilles, à défaut) et 50 g de sommités fleuries fraîches de millepertuis dans un litre de vin rouge ou blanc durant huit jours. A l’issue, filtrage et stockage.
  • Huile essentielle : voie orale (usage bref : une semaine maximum), voie cutanée diluée dans une huile végétale adaptée. Pourquoi pas dans la célèbre huile rouge indissociable du millepertuis ?
  • Macérât huileux : il existe de nombreuses recettes, dont certaines mettent en œuvre un mode opératoire permettant d’accélérer la cadence, usant de la technique du bain-marie. Mais la plus célèbre, et la plus pratiquée aussi, consiste en une macération solaire de millepertuis dans de l’huile (d’olive le plus souvent ; j’ai cependant vu que celles d’arachide, de pépins de raisin, de macadamia, etc., étaient parfois conviées à l’occasion). L’on peut faire le choix de n’utiliser que les fleurs débarrassées de leur calice ou bien les sommités fleuries, que l’on renouvelle ou pas durant l’opération qui dure, selon les personnes un certain nombre de semaines, à la condition expresse qu’elles soient bien ensoleillées, afin que le soleil puisse faire doucement chauffer l’huile végétale utilisée, condition sine qua non de l’expression de l’hypéricine qui donne sa jolie teinte à l’huile rouge. J’ai déjà écrit un article plus élaboré à ce sujet. Je vous laisse vous y référer si besoin est. Il est ici.
  • Historiquement, bien que le Codex se soit enrichi de compositions magistrales farfelues, il est remarquable que le millepertuis ait prêté son concours à la recette d’une teinture dite balsamique, mais mieux connue sous le nom de baume du commandeur, issu de la combinaison de l’angélique et du millepertuis, auxquels on ajoute de l’encens d’oliban, de la myrrhe, du benjoin, du bois d’aloès et du baume de Tolu, mélange final qui doit sentir excessivement bon ^.^

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle ne doit pas être trop tardive (si les fleurs les plus basses ont roussi, il est déjà trop tard). Avec la floraison pleine du millepertuis, c’est comme si tous ces pétales bien écartés laissaient s’évaporer tant l’odeur et la saveur de la matière médicale. Il importe donc de cueillir les fleurs (ou les sommités fleuries) au tout début de l’éclosion des pétales, c’est-à-dire communément au mois de juin (en fait, la période de récolte s’étale du mois de mai au mois d’août). Cela, c’est pour un emploi quotidien, ce qui se trouve facilité du fait que de nouvelles fleurs apparaissent chaque jour, éclosant et se fanant dans la journée (la cueillette devra donc être plutôt matinale, mais jamais aurorale pour éviter que la plante ne soit couverte de rosée).
  • Séchage : il est délicat. Il importe de bien vérifier qu’il ne reste plus d’humidité résiduelle sur les sommités fleuries avant de leur faire subir l’épreuve de la dessiccation – deux s, deux c. Une fois sèches, les feuilles perdent rapidement de leur saveur. Quant aux fleurs, elles « sont d’autant plus jaunes qu’elles ont été mieux séchées et depuis moins de temps » (18). Mais cela n’empêche en rien le tout de se décolorer avec le temps, fleurs et feuilles prenant une teinte plus ou moins brunasse, malgré un rigoureux stockage au sec et à l’abri de la lumière, ce qui oblige à renouveler le stock chaque année. On s’imposera donc de récolter la juste quantité utilisable pour la seule année à venir. Il n’est pas utile, ni souhaitable, de ramasser le millepertuis au kilo si c’est pour jeter un gros excèdent pour cause de vétusté. En ce cas, n’oubliez pas que le délai de garde du macérât huileux est supérieur (deux ans), et qu’il est porté à une limite beaucoup plus étendue en ce qui concerne la teinture alcoolique.
  • Toxicité : Jean-Marie Pelt nous a déjà alertés par l’intermédiaire de l’extrait que j’ai incisé dans le corps de texte de la première partie. De l’effet du millepertuis chez les animaux qui en consomment en masse et qui stationnent ensuite en plein cagnard, l’on peut tout de suite faire la déduction suivante : chez l’homme, l’exposition solaire après une prise régulière de millepertuis est susceptible de provoquer des dermatites, des gonflements et d’autres brûlures cutanées, comme toute substance photosensibilisante, alliée au soleil, est censée le faire. L’hypéricine, c’est-à-dire le principe phototoxique du millepertuis, étant très peu soluble dans l’eau, par le biais d’une infusion ou d’une décoction de millepertuis, l’on ne craint donc absolument rien. A moins de brouter du millepertuis frais, d’ingurgiter des préparations fortement chargées en la dite substance incriminée – teinture alcoolique et macérât huileux en quantité dantesque –, le risque peut devenir réel. Mais sans cela, il n’y a donc, là encore, aucune crainte à avoir. Pour que le phénomène de photosensibilisation se déclenche, il faut nécessairement grande quantité de cette hypéricine et exposition au soleil le temps nécessaire (cela ne se fait pas en quelques secondes ou minutes). Il faut dire aussi que le millepertuis entretient avec le soleil une relation particulièrement trouble, d’autant plus troublante que de cette plante potentiellement photosensibilisante, l’on tire cette huile rouge dont l’application locale sur la peau vient en soulager les coups de soleil !, et dont elle ne ferait qu’augmenter le caractère agressif si jamais cette utilisation était immédiatement suivie d’un bain de soleil prolongé, puisque l’on peut établir l’équation simple suivante : hypéricine + UV = aïe. De tout cela, l’on peut faire la conclusion que l’hypéricine soulage à l’ombre ce qu’elle est susceptible de provoquer en pleine lumière (et ce, qu’elle soit absorbée per os ou appliquée sur la peau). On a bien souvent tendance à oublier que ces substances phototoxiques – comme les molécules aromatiques qu’on appelle furocoumarines – sont tout aussi actives par voie interne. Au contraire de la chrysomèle du millepertuis, nous ne possédons pas d’élytres protectrices nous permettant de parer l’agressivité des rayons du soleil, qui s’additionnent à la propension de l’hypéricine à entrer en réaction avec les UV.
    Outre que l’hypéricine augmente la photosensibilité cutanée, il s’avère qu’un excès de millepertuis en interne peut irriter le système nerveux, devenir convulsionnant même, et provoquer de fortes migraines. Quant à l’huile essentielle , qui n’est pas phototoxique, elle peut éventuellement causer quelque irritation cutanée après application (pour éviter tout désagrément, procéder au test dit du « pli du coude »).
  • Ce malencontreux effet a bien évidemment été brandi comme une épée (de bois) par les contempteurs du millepertuis. L’on dit parfois que l’interdiction à la vente libre en France fut à mettre sur le compte d’une inefficacité du millepertuis, ce qui est, vous vous en doutez, une parfaite ineptie. Tout au contraire, c’est pour cause d’efficacité (et, accessoirement, de concurrence), qu’on a écarté cette plante. De nombreuses études menées sur plusieurs décennies sont parvenues à aller au-delà de ce pour quoi l’on considérait le millepertuis jusqu’à la Seconde Guerre mondiale à peu près. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence et montrer l’équivalence, sinon la supériorité parfois, d’effets entre le millepertuis et les antidépresseurs, tous chimiques, la plante présentant bien moins d’effets secondaires à la clé. Contrairement à la brutalité d’action de cette thérapie chimique et synthétique, le millepertuis, lui, prend son temps, qui n’est autrement que le temps nécessaire, pour agir, ne pouvant envisager une guérison ex nihilo. C’est pourquoi on peut parfois lire que ses effets sont longs à se manifester. Non, ils ne sont pas longs, ils sont tout simplement normaux. Ne sont-ce pas, au contraire, toutes ces pilules bleues ou roses qui vont trop vite, dans une société folle où tout (ou presque) est toujours trop rapide, où le médicament doit remettre le travailleur droit sur ses jambes et dans sa tête, parce que cette société, qui confond le vide avec la vacuité, estime que, à la dureté de la tâche, le temps ne peut pas être autre chose que de l’argent. Ceux qui ont fait le choix d’opter pour le millepertuis pensent tout à fait différemment. Ceci étant dit, « le millepertuis n’est nullement cette drogue miracle qu’on a voulu en faire en le comparant au Prozac® qui d’ailleurs n’en est pas une non plus » (19). Il est vrai qu’on a cherché pendant longtemps LE principe actif du millepertuis. Fournier se devait bien d’avouer, dans les années 1940, qu’alors, on n’en savait encore rien. Mais, encore une fois, un principe actif isolé d’une plante, administré isolement, provoque des effets qu’on n’avait jamais observés avec l’emploi de la plante entière aux doses usuelles, via les modes d’emploi traditionnels. C’est pourquoi l’on a constaté que la prise interne de millepertuis (en tant qu’extrait standardisé), concomitante à celles de divers médicaments chimiques (à visée cardiotonique, anti-asthmatique, antirétrovirale, contraceptive, etc.), pouvait en diminuer l’activité thérapeutique. L’un ne condamne pas l’autre. Il n’est pas question de ce principe binaire qui opposerait le « bon » au « mauvais ». A ce titre, l’argile et le charbon actif, qui, ensemble, ne font pas bon ménage, excellent chacun en célibataire. Avec le millepertuis, il suffit d’observer cette règle qui n’a rien de bien compliqué, pour ne pas dire sorcier… ;-)
  • Autres espèces : le millepertuis des montagnes (H. montanum), le millepertuis à quatre ailes (H. tetrapterum), le millepertuis tacheté (H. maculatum), le millepertuis de Richer (H. richeri), le millepertuis élégant (H. pulchrum), le millepertuis pubescent (H. hirsutum), le millepertuis rampant (H. humifusum), etc.
  • A distinguer de l’androsème officinal (H. androsaemum).
    _______________
    1. Le millepertuis n’est pas l’unique herbe dite de la Saint-Jean. Vulgairement, on a l’habitude de répéter qu’elles forment un groupe de sept plantes : l’armoise, la sauge, la joubarbe des toits, le lierre terrestre, la marguerite, l’achillée millefeuille et, donc, le millepertuis. Mais il en existe bien plus que sept. Pour en savoir davantage, se référer à mon livre Herbes & feux de Saint-Jean.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 637.
    3. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 68.
    4. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 348.
    5. Eric Robertson Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, p. 157.
    6. Ibidem, p. 186.
    7. Ibidem.
    8. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 67.
    9. Dioscoride en énumère quatre à la toute fin du Livre III de la Materia medica : chapitre 146 : hypericon ; chapitre 147 : askyron ; chapitre 148 : androsaimon ; chapitre 149 : korès.
    10. Ce qu’illustre bien le mot androsaimon, du grec andros, « homme » et haïma, « sang ».
    11. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 157.
    12. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 596.
    13. M. Reclu, Manuel de l’herboriste, p. 64.
    14. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 596.
    15. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 308.
    16. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 177.
    17. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 273.
    18. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 595.
    19. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 70.

© Books of Dante – 2020