L’ail (Allium sativum)

Fleurs d’ail sur le point d’éclore.

Synonymes : ail blanc, ail cultivé, chapon, poireau fendu, perdrix, thériaque des pauvres, herbe aux sept chemises, herbe aux neuf vertus.

Bien que n’ayant peu développé de variétés au fil des siècles, l’ail, qu’il soit blanc verdâtre ou rose rougeâtre, est une plante pour laquelle l’engouement, bien qu’un peu diminué il me semble, demeure presque intact. Ayant probablement migré des steppes d’Asie centrale (désert du Kirghiz) à une époque préhistorique, peut-être bien issu d’Allium longiscupis, l’ail est cultivé par l’homme depuis au moins 5 à 6000 ans. En grande vénération chez les Égyptiens, aliment des travailleurs de force, on lui fait entretenir une étroite relation avec les bâtisseurs des pyramides égyptiennes, puisque selon Hérodote les ouvriers ayant participé à l’érection de la grande pyramide de Gizeh il y a 4500 ans, recevaient chaque matin une gousse d’ail dont les Égyptiens connaissaient parfaitement les vertus tonifiantes et antiseptiques. Fort bienvenu chez les Grecs malgré son surnom de « rose puante »1, aliment du bas peuple chez les Romains, l’ail ne manqua pas de séduire les populations du pourtour méditerranéen, auprès desquelles il posa ses guêtres il y a plusieurs millénaires, hormis quelques (in)délicats que sa saveur, son parfum, jetaient dans les plus terribles imprécations, tel Horace qui le comparait à la ciguë et au venin de la vipère ! Non, l’ail c’était juste bon pour les bouffeurs de moretum, c’est-à-dire les classes les moins aisées de la population, les paysans, les moissonneurs, etc. En effet, cette espèce de ragoût, pour nous peu ragoûtant, était une mixture constituée d’ail et d’oignon que l’on mêlait soigneusement à du fromage, de l’huile, du vinaigre, et que l’on agrémentait de quelques herbes fraîches comme le serpolet et la coriandre (une sorte de boursin ?). A lire l’auteur anonyme – que l’on a cru longtemps être Virgile – du texte intitulé Le Cachat, le paysan qu’on y voit élaborer son moretum n’a pas l’air malheureux de son sort, il procède même à cette manœuvre avec beaucoup de sainte attention. On ne lui voit aucune répugnance. Éternue-t-il au reste au-dessus de l’odeur qui se dégage de son mortier que d’aucuns prétendent forte et désagréable ? C’est à cela, dit-on, que l’ail doit son nom hébreu, sûm, « sans doute une onomatopée où l’on retrouve l’exclamation que provoque une odeur fâcheuse »2. Il n’empêche qu’à Rome, cet ail-là était exécré, on lui préférait l’ase fétide (ce qui ne vaut pas mieux ; c’est également un jugement de valeur ^.^). On y respectait déjà ce « commandement » que l’on peut lire dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « Les gens de qualité doivent laisser cet assaisonnement aux paysans, aux soldats, aux marins », car il n’y a que les « mauvais » sujets qui ont des pratiques à l’ail, ces dernières n’appartenant « généralement pas à la classe des gros financiers », comme l’on peut lire dans le dictionnaire du parfait parler lyonnais, le Littré de la Grand’Côte que l’on doit à Nizier de Puitspelu. Aussi bannissait-on l’ail de la haute société romaine dont le moindre membre un peu élevé savait que « s’il lui venait la fantaisie de tâter d’un tel mets, il faudrait qu’il se résignât à voir sa maîtresse repousser de la main ses baisers et se réfugier à l’autre bord du lit »3. Peut-être même que devant ses supplications vaines et malheureuses lui intimerait-elle l’ordre impérieux suivant : « Verrouille ton gosier, car tu pues l’ail, laisse-nous un peu reposer » !4. Tout à l’inverse, l’ail participait activement à la pratique de la chasteté imposée durant les Thesmophories qui avaient lieu en Grèce et à d’autres festivités en relation, les Scirophories. Les Grecs haïssaient-ils l’ail ? Les Athéniens, aux dires de Roques, n’étaient-ils pas de gros mangeurs d’ail ? En tous les cas, les femmes en consommaient à ces moments de l’année pour signifier aux hommes qu’elles faisaient abstinence sexuelle. Bref, manger de l’ail, c’est se condamner soi-même à fermer la bouche, c’est s’interdire la parole. Or, celui qui ne parle pas, cet autre qui nous est étranger, c’est le « barbare », celui là même qui est retranché de la classe à laquelle il n’appartient (temporairement) plus, à cause d’ail. Manger de l’ail, c’est donc tomber au rang de la bête puisque c’est là délice plébéien. L’ail est donc bien un marqueur social opposant le citadin au rural irascible. Ne dit-on pas « ail et pain, repas de vilain » ? Ainsi, l’ail est vulgaire, grossier, cul-terreux, car ce rustique participe de l’épouvantable odeur que se traînent partout ces habitants des montagnes arriérés, ces crasseux rats de navire que sont les marins, ainsi que les ouvriers soumis à de rudes travaux, etc. La virilité visqueuse qu’il se trimballe partout où il est abondamment consommé confine à l’âcre sueur animale qui confère au bouc son fumet puant : ainsi la tête d’ail (qui désigne, par analogie morphologique, les bourses dans le langage argotique) épouvante-t-elle par la lubricité et la paillardise qu’elle draine derrière elle. Partant de ce principe, l’on comprend pourquoi il était expressément interdit aux personnes ayant consommé de l’ail de pénétrer dans le temple de Cybèle à Rome. Les seules enceintes où il était toléré étaient celle de l’arène dans laquelle il procurait force et courage aux lutteurs, et celle de la caserne. Pline le disait tonique. Il devait très certainement savoir que lors de la conquête des Gaules par Jules César, les légionnaires ne possédaient dans leur paquetage, en tout et pour tout, que des quignons de pain et des gousses d’ail. Peut-être en raison de son statut de plante de Mars, dieu de la guerre et de la victoire aux combats chez les Romains. Les chroniques de l’époque ne disent pas s’ils épouvantèrent leurs ennemis les Gaulois comme purent le faire les croisés qui, aux dires d’un auteur byzantin, choquèrent les populations rencontrées au Proche-Orient à cause de leur forte haleine aillée !

Honni en tant qu’aliment par certaines classes sociales, l’ail était, en revanche, bienvenu comme remède thérapeutique durant l’Antiquité. Bien avant Grecs et Romains, on le vit bénéficier aux Assyro-babyloniens qui en usèrent comme remède des voies respiratoires et intestinales (ce qu’il est toujours au reste). Faisons donc maintenant le compte des propriétés médicinales que les Anciens remarquèrent au sujet de l’ail, parce que, n’en pas consommer, soit, mais se priver de ses prodigieux pouvoirs serait quand même dommage. Pour Hippocrate, l’ail est apéritif, laxatif, diurétique et, curieusement, emménagogue. De la part de Dioscoride, voici un descriptif davantage détaillé : « Tout ail est aigu, il échauffe, il est piquant [NdA : j’avais écrit « poquant », ce qui est également vrai ^.^], il fait aller à la selle, il émeut et trouble le corps, il dessèche l’estomac, il donne soif, il engendre des ventosités, il ulcère la peau et nuit à la vue »5. A cela ajoutons qu’il pousse aux urines, qu’il convient bien aux affections laryngées comme la toux et l’enrouement, aux désordres cutanés (boutons, lentilles, ulcère, meurtrissure, pelade). Capable d’expulser les poux et leurs lentes, il s’attaque aussi à certains hôtes tout aussi indésirables en sa vertu de vermifuge capable de bannir de son obscure cachette secrète le plus opiniâtre des ténias, vampire des tuyauteries abdominales. On le convoque encore en cas d’hémorroïde, de morsure de vipère et autres « bêtes enragées », de léthargie (oui, c’est un tonique !), de consomption (non, il échauffe de trop !). Tout cela engagea sans doute Galien à lui attribuer le surnom de thériaque des paysans qui, quand on connaît véritablement l’ail, est un honneur. Serenus Sammonicus ne s’y trompera pas, reprenant bien des indications de ses pairs, y additionnant celles-ci : les douleurs auriculaires et dentaires, la migraine, les vomissements, la fièvre, la jaunisse et jusqu’au « feu sacré » (quel qu’il put être).

A l’époque médiévale, même son de cloche, l’ail a toujours vent en poupe : ainsi est-il naturellement présent dans le Capitulaire de Charlemagne, ce texte du haut Moyen âge qui édicte la liste des plantes devant apparaître dans les jardins impériaux. L’alia – plante bien évidemment alimentaire6 – est alors plébiscité pour ses propriétés médicinales, plutôt cru que cuit, comme le préconisait Hildegarde de Bingen au travers d’une sage et lumineuse intuition. C’est un remède pour des maux aussi divers et variés que la surdité, l’extinction de voix, les maux de dents, la rage, la migraine, la fièvre, l’asthme, l’hépatite ou encore les maux de reins. Mais parmi toutes ces informations certes intéressantes, on peut placer en relief les propriétés antiseptiques de l’ail, premièrement établies par l’école de Salerne (probablement en la personne de Platearius). Repérer en l’ail un tel pouvoir fut une idée salvatrice, en particulier quand on connaît son efficacité contre les maladies infectieuses, mais également les épidémies récurrentes dont furent endeuillées les populations européennes durant de longs siècles. Qu’une plante soit mise à profit contre les poux, les vers intestinaux, etc. est un fait indubitable, mais s’en faire un rempart que l’on viendrait interposer entre soi-même et le miasme morbifique, il y a peut-être là un pas qu’on n’aura pas osé franchir, non ? Si ! Ce sas antiseptique, on l’entrevoit très clairement dans cette espèce de « bec » parfois long de 15 cm dont s’affublaient les « Doctor Schnabel » et que l’imaginaire populaire lie étroitement aux épidémies, bien qu’il soit spécifique du médecin en temps de peste, quoi que ce terme puisse recouvrir pour les populations européennes des XIVe aux XVIIe siècle. Cet appendice nasal proéminent façonné dans du cuir ou du carton bouilli, accueillait une éponge vinaigrée (peut-être imbibée du vinaigre des quatre voleurs qui contient de l’ail entre autres…), mais aussi des mélanges de plantes et d’épices réputées pour leur efficacité à lutter contre les émanations « pesteuses » (rose, œillet, menthe, cannelle, clou de girofle, camphre, etc.). Ambroise Paré considérait l’ail utile en cas d’épidémie. Paracelse en fit même carrément un spécifique de la peste. Si je ne suis pas certain que l’ail ait pu avoir une quelconque efficacité contre le variant de Yersinia pestis qui ratissa l’Europe au milieu du XIVe siècle, délestant sa population au moins du quart, on reconnaît cependant à l’ail une action très favorable en cas de maladies épidémiques à caractère pernicieux : on s’assure une couverture prophylactique en consommant de l’ail tous les jours, en en écrasant dans les pièces où séjournent les malades. C’est ni plus ni moins ce que consignait Jean-Baptiste Chomel dans le courant du XVIIIe siècle : « Quelques-uns se croient à l’épreuve du mauvais air lorsqu’ils en ont sur eux ; d’autres ont soin d’en prendre un petit morceau dans la bouche, en approchant d’un malade »7, fonction apotropaïque de l’ail que l’on remarque aussi dans un roman de Jean Giono dans lequel dès le premier chapitre, Angelo, le personnage principal, se trouve plongé en pleine Provence cholérique. Giono décrit une scène où le choléra a planté son grappin dans la chair d’un homme dont « la peau noire de son visage tirée violemment en arrière par une poigne terrible faisait saillir ses dents et ses yeux. La femme se pencha sur lui. Elle se dit que c’était peut-être une mauvaise maladie qui se donne. Elle croqua vite une gousse d’ail »…8. Cette femme, encore indemne, qui pense se « vacciner » à l’aide d’une gousse d’ail, sait-elle seulement qu’au même siècle, c’est-à-dire le XIXe (Giono décrit l’épidémie de choléra de 1832), des médecins ont vus, « sous l’influence de l’ail, les ressorts de la vie se remettre en mouvement sur des cholériques pour ainsi dire agonisants »9 ?

Doctor Schnabel : surnom des médecins de peste faisant référence à leur long bec.

L’histoire narre nombre d’anecdotes concernant l’ail. Certaines relèvent de la superstition, alors que d’autres pourraient trouver leur origine dans une ingénieuse forme d’intuition. En effet, il n’échappe à personne que l’ail, à l’instar du millepertuis, est un fuga daemonum, c’est-à-dire qu’il met en fuite aussi bien les poux et les vers comme nous l’avons souligné, mais aussi, croit-on, l’esprit maléfique des maladies infectieuses, démons invisibles venus tourmenter les hommes, comme au temps des anciens Mésopotamiens. De là, il n’est pas du tout étonnant que cette capacité de l’ail a abondé dans la bienfaisance ait été transposée dans une dimension beaucoup plus « magique ». Elle est si répandue – de l’Asie mineure à la Scandinavie, de la Grèce au nord de l’Allemagne – que nous allons nous permettre de nous arrêter sur ce point et de faire un petit tour d’horizon de cette intéressante question. Commençons tout d’abord par dire que l’ail a été l’objet de maints rituels fort fantasques (cf. le théâtre d’Aristophane qui se moque des pratiques de son temps) et d’autres bien réels destinés, par exemple, à contraindre les divinités à faire ceci ou cela. Sur ce dernier registre, les papyrus magiques ne sont pas avares de listes d’ingrédients détaillés bien peu ragoûtants (sang coagulé d’une jeune fille morte, excréments, graisse, etc.) et où l’ail y apparaît sans doute comme le moins pire de tous. La principale fonction magique de l’ail, c’est surtout son pouvoir de protection divine, propriété émanant semblerait-il de son odeur similaire à celle de la foudre (?). Ainsi, l’odeur de l’ail éloignerait les serpents, comme on l’imaginait en Égypte antique, et comme c’était encore récemment le cas dans les Carpates où les bergers se frottaient les mains d’ail béni afin d’écarter les serpents des troupeaux et de les préserver ainsi de toute morsure. Et qui dit Carpates, dit vampire ! Étonnant comme ce fluidifiant du sang est capable de mettre en déroute celui qu’il empêche justement de s’en délecter ! L’ail est, avec le crucifix et l’eau bénite, le principal instrument de l’attirail du parfait chasseur de vampire. Si l’ail demeure célèbre pour repousser ces infâmes créatures, son usage historique en Europe centrale pour cette raison ne relève pas de la seule fiction. La coutume veut donc que pour se protéger des vampires durant le sommeil, il faille lier un collier composé de têtes d’ail à celle de son lit. On défend les enfants du même danger en disposant de l’ail tout autour de leur berceau. En sa qualité de bhûtaghna, comme l’on dit en Inde, il étend sa protection à un plus large domaine : c’est, par exemple, un allié contre le mauvais œil, cela de l’Europe méditerranéenne au sous-continent indien. En Italie, Sicile et Grèce ne confectionne-t-on pas des bouquets de têtes d’ail nouées entre elles par des brins de laine rouge, avant de les suspendre aux portes des habitations ? C’est censé assurer la sécurité de toute la maisonnée des maléfices, des sortilèges, des mauvais sorts, des influences néfastes, des agressions dangereuses, des mauvaises rencontres, allant même jusqu’à préserver du diable la vertu des jeunes filles. Si l’ail écarte, il attire également à lui : n’hésitons pas à dire de lui que c’est un porte-bonheur. C’est bien visible à travers une pratique qui avait cours au XVIIIe siècle auprès des mineurs et des carriers : ils portaient un petit sachet contenant deux gousses d’ail pilées avec un peu de camphre. Chez les Batak de Bornéo, l’on se servait d’ail pour retrouver les âmes égarées. En Italie (Bologne), l’ail passait pour symbole d’abondance. A la Saint-Jean, l’on en jetait des têtes dans le feu, mais surtout l’on en achetait en ce jour précis parce qu’il avait, pensait-on, le pouvoir de préserver son propriétaire de la pauvreté toute l’année durant.

Intervenant dans les circonstances les plus désespérées, l’ail s’illustra parfaitement durant la Première Guerre mondiale, certains médecins faisant appel à ses propriétés antiseptiques afin de panser les blessures et de soigner les infections. Un viatique pour la sauvegarde des corps, à défaut de celle des âmes, quand on est plongé dans un enfer terrestre comme la guerre, est toujours appréciable. L’humble ail est encore de ceux qui permettent d’assurer cette protection.

« L’ail, bravant les injures du temps, enfonce toujours dans le sol son bulbe résistant cuirassé d’écailles et dresse sa tige verte diadémée d’étoiles laiteuses ; bien loin de voir diminuer sa réputation, il s’est nimbée d’une auréole nouvelle de gloire en prenant place dans les fastes de la science moderne, auprès des substances thérapeutiques les plus illustres »10. En effet, à l’époque où Henri Leclerc couchait ces lignes, on mit en évidence plusieurs propriétés majeures de l’ail : ses actions anticancéreuses, hypotensives et antidiabétiques. Ce qui n’est pas rien puisque cancer, diabète et maladies cardiovasculaires sont quelques-uns des principaux fléaux de son siècle et du nôtre.

Plante vivace plus petite que l’oignon, l’ail croît naturellement dans le Midi de la France, en Sicile, en Espagne, en Égypte. Ses longues feuilles étroites et linéaires sont constituées d’un limbe plat à nervure médiane marquée et s’achèvent par une pointe. Une tige unique regroupe à son sommet des fleurs blanches ou rose rougeâtre primitivement enfermées par une membrane, sorte de spathe ovale, qui se déchire peu à peu suivant la floraison, pour laisser paraître une grosse tête sphérique, ombelle globuleuse estivale, sur laquelle on peut parfois remarquer que certaines fleurs n’en sont pas : à leur place, on trouve des bulbilles rouge violacé stériles. Ce sont donc, en quelque sorte, de petites gousses d’ail aériennes, cependant bien différentes de celles que réunit un bulbe souterrain recouvert de plusieurs tuniques parcheminées et vaguement arrondi que l’on appelle tête d’ail, dense réunion de cinq à vingt de ces choses que l’on nomme proprement des caïeux.

Ail violet à col dur : au centre de la tête de gauche, l’on voit le reliquat d’une tige autour de laquelle se pressent les caïeux comme des chiots autour de leur mère. Chez l’ail à col mou, cette tige n’existe pas.

L’ail en phytothérapie

De l’ail frais à l’ail « sec », c’est moitié moins de masse perdue, sans éviction des principes parfumés et gustatifs cependant, qu’il perdra si jamais on le cuit dans l’eau ou le vinaigre, ce que l’on ne fait jamais à travers une pratique phytothérapeutique, ou si peu. Quand on veut le réduire en une sorte de mucilage très visqueux et émollient, alors il faut le cuire, mais c’est bien rare puisque dans la plupart des cas, ce sont les gousses d’ail fraîches et crues que l’on utilise ou bien celles qui ont été déterrées depuis quelques temps déjà.

Qu’est-ce que dissimule l’ail et qui lui a valu à travers les âges autant de succès ? Eh bien, tout d’abord de l’alliine, un glucoside sulfuré qui se transforme en allicine quand on écrase une gousse d’ail, l’ajoine, autre composé organique soufré apparaissant dans les mêmes conditions (elle se développe quand on hache une gousse dans l’huile d’olive), un puissant composant antibiotique, l’allistatine, des flavonoïdes, des saponines, du mucilage, de la cellulose.

Poursuivons notre analyse : de l’eau (61 à 63 %), des glucides (28 à 30 %, dont du glucose), des protéines (6 à 7 %, dont de l’albumine), des lipides (0,10 %). Parmi les sels minéraux et les oligo-éléments, nous pouvons citer le fer, le cuivre, le zinc, le manganèse, le magnésium, le soufre, l’iode, la silice, le sélénium et le phosphore. Dans le groupe des vitamines, l’on compte la A, la B1, la C (18 mg/100 g) et la E. Enfin, ultime mention : 0,05 à 0,10 % d’une essence aromatique bien particulière. Distillé – ce qu’on ne conçoit pas toujours –, l’ail permet la production d’une huile essentielle de couleur citrine, très volatile, âcre, plus dense que l’eau, concentrant la puissante et piquante odeur de l’ail frais. Cette substance est majoritairement constituée par ce que l’on appelle les composés soufrés, classe moléculaire dont on parle peu en aromathérapie en raison de la faiblesse de leur représentation (si jamais on devait les comparer aux monoterpènes omniprésents ou aux esters par exemple). 80 %, c’est la fraction de composés soufrés que l’on trouve dans l’huile essentielle d’ail, dont une bonne part (60 %) revient au diallyl disulfide, le reste (20 %) au diallyl trisulfide.

C’est là un produit peu maniable. En effet, « appliquée sur la peau, elle produit une douleur violente. Elle brûle en donnant beaucoup de fumée, et en répandant une odeur d’acide sulfureux »11. Pas exactement le genre de produit qu’on souhaiterait placer dans son diffuseur atmosphérique ! Cette huile essentielle présente aussi l’inconvénient d’abandonner son odeur à tout ce qui l’entoure. C’est parce qu’elle est très diffusible, un phénomène que l’on constate avec la gousse d’ail déjà : si l’on frotte une partie du corps avec de l’ail, son arôme ne tarde pas à se communiquer au goût, tandis que l’haleine s’empeste de son odeur caractéristique ! Vous comprendrez donc la raison pour laquelle cette huile essentielle sera, par la suite, volontairement mise de côté, ce qui n’est pas une exception : de Jean Valnet à Michel Faucon, nombreux sont les thérapeutes à ne l’avoir que peu ou pas du tout employée.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux : antibactérien (bactériostatique et bactéricide) contre le staphylocoque et Escherichia coli, antifongique et fongicide à large spectre, antiseptique pulmonaire et intestinal, antiparasitaire (pédiculicide, vermifuge et ténifuge), antiviral et virucide
  • Immunostimulant, préventif des maladies infectieuses
  • Apéritif, digestif, stomachique, carminatif, antispasmodique stomacal, purifiant et assainissant intestinal (respecte la flore intestinale), antiputride intestinal
  • Expectorant, modificateur des sécrétions bronchiques, anti-asthmatique
  • Stimulant cardiaque, cardiotonique, hypotenseur, vasodilatateur, fluidifiant sanguin, anti-thrombotique, anti-agrégeant plaquettaire, stimulant circulatoire, ralentisseur du pouls, hypocholestérolémiant, réducteur de la glycémie sanguine, anti-scléreux
  • Diurétique, dissolvant de l’acide urique, antigoutteux, anti-arthritique, sudorifique
  • Cholagogue, protecteur hépatique
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Rubéfiant, vésicant, vulnéraire, résolutif, désinfectant des plaies (même suppurantes), coricide
  • Fébrifuge
  • Stimulant thyroïdien
  • Cortison like léger
  • Anti-oxydant, préventif et inhibiteur de la formation des cellules cancéreuses (estomac, œsophage, poumon)

Usages thérapeutiques

« L’ail fournirait […] la panacée et la source de jouvence recherchée depuis si longtemps », car, poursuit Fournier, « on le propose à peu près pour toutes les maladies du corps humain »12. Alors, le moly, c’est lui ? Non pas, la description qu’en fait Homère est bien trop imparfaite pour commettre l’audace d’y voir une tête d’ail ! Mais si l’on s’attachait à prendre en considération la totalité des pouvoirs thérapeutiques de l’ail, l’on n’aurait aucune peine à en faire quelque chose approchant la fabuleuse herbe magique odysséenne par laquelle Ulysse se préserve des charmes de Circé.

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, digestion pénible, diarrhée, diarrhée infectieuse, dysenterie, colique, dyspepsie, pesanteur, crampe et dilatation d’estomac, spasmes gastro-intestinaux, entérite nerveuse sans diarrhée, intoxication intestinale, candidose intestinale, flatulence, vers intestinaux (ascarides vermiculaires, oxyures, ténias), typhoïde
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, bronchite aiguë, bronchite chronique, bronchite catarrhale, faiblesse rhinopharyngée chronique, rhume, coqueluche, toux opiniâtre et convulsive, asthme, asthme humide, emphysème, tuberculose (forme torpide avec bronchorrhée mucopurulente), gangrène pulmonaire, dyspnée, angine, diphtérie, grippe
  • Affections auriculaires : otite, otalgie
  • Affections bucco-dentaire : maux de dent, carie, muguet, herpès, stomatite vésiculeuse
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : fatigue cardiaque, tachycardie, hypertension, spasmes vasculaires, hémogliase, hypercoagulabilité sanguine, thrombose, prévention des caillots sanguins, prévention des accidents vasculaires cérébraux, phlébite, varice, hémorroïde, embolie, excès de cholestérol, artériosclérose, calcification des artérioscléreux (cristaux d’acide urique), diabète
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, oligurie, lithiase, albuminurie chronique, hydropisie, hydropisie passive, œdème des membres inférieurs, anasarque, blennorragie
  • Troubles locomoteurs : arthrite, rhumatisme, névralgie, muscle endolori, douleur de la colonne vertébrale, douleur goutteuse, tumeur blanche
  • Affections cutanées : plaie, plaie infectée, plaie putride, ulcère, cor, durillon, verrue, acné, furoncle, brûlure, écharde, morsure et piqûre d’insecte, mycose, pied d’athlète, abcès froid, kyste, pourriture d’hôpital, parasites cutanées (poux, gale, teigne)
  • Asthénie, fatigue générale, convalescence, sénescence
  • Scorbut
  • Fièvre intermittente d’origine paludéenne
  • Ophtalmie catarrhale aiguë
  • Cancer

Note : cette dernière propriété n’a rien d’actuel puisqu’elle a été remarquée au début du siècle dernier. Voici le résultat d’une expérience rapportée par le docteur Valnet dans l’un de ses ouvrages : « des injections de cellules fraîches de sarcome ont été faites à des souris. Auparavant, les principes de l’ail avaient été administrés à un certain nombre de souris, qui résistèrent aux effets de l’inoculation, si bien qu’après 180 jours d’observation, elles étaient toujours en vie, alors que les animaux non traités périrent dans les 16 jours »13. Assainisseur puissant, l’ail, surtout s’il est bio, est un très bon anti-oxydant (rH2 à 9,5) et possède un pH acide (5,4), deux conditions qui, lorsqu’elles sont réunies, s’opposent aux pathologies alcalino-oxydées comme l’est… le cancer ! A ce titre, il n’est guère étonnant que les Chinois, gros consommateurs d’ail, connaissent vingt fois moins de cas de cancer que d’autres zones géographiques où les populations n’en font pas ou peu l’usage.

Modes d’emploi

Que cela soit en phytothérapie comme en cuisine, on gardera bien à l’esprit que l’ail frais est de loin préférable à l’ail cuit, puisqu’à la coction s’ensuit une massive perte de propriétés.

  • Décoction de gousses d’ail : 4 à 10 g dans un demi litre d’eau ou de lait. Si cette préparation se destine à un usage vermifuge, elle devra être administrée lorsque la lune est pleine ou nouvelle.
  • Macération : dans le vinaigre (on y plonge des gousses écrasées) ; dans l’huile d’olive (on y pile les gousses d’ail en manière de looch, ce qui permet d’obtenir ce qu’autrefois l’on appelait du nom évocateur de moutarde du diable !) ; dans le vin (on écrase une gousse dans la valeur d’un verre de vin blanc) ; dans l’eau (trois à quatre gousses râpées dans une tasse d’eau chaude à faire macérer toute la nuit et à absorber au matin).
  • En nature, dans l’alimentation quotidienne (une gousse par repas).
  • Sirop : sur une base de décoction d’ail, y ajouter autant de sucre ; réduire jusqu’à consistance sirupeuse.
  • Alcoolature : à la quantité de suc extrait d’1/2 kg d’ail, ajouter la même quantité d’alcool à 40°.
  • Teinture : 50 g d’ail haché en macération durant dix jours dans 250 g d’alcool à 60°. Agiter de temps à autre au cours de la préparation.
  • Suc frais à mélanger à dix fois son poids d’eau (ou de lait).
  • Pommade : piler une partie d’ail finement, y ajouter deux fois son poids de saindoux et quelques gouttes d’huile essentielle de camphre.
  • Cataplasme : piler ou râper des gousses d’ail, les glisser dans deux épaisseurs de gaze fine et appliquer localement. Attention, ça chauffe (au besoin, cela remplace le sinapisme).
  • En cas de verrue, cor, durillon : coupez une rondelle dans une gousse d’ail et maintenez-y la à l’aide d’un sparadrap.
  • Gousse cuite sous la cendre, réduite en purée, puis appliquée en cas de douleurs dentaire et auriculaire sur la dent dolente ou sous l’oreille.

D’autres usages, comme le pessaire vaginal et le suppositoire sont quelque peu tombés en désuétude. Dans le premier cas, c’était, anciennement, le moyen de savoir si une femme était fertile ou non, en fonction de l’haleine qu’elle aurait le lendemain (visible dans le Traité hippocratique consacré aux femmes stériles). Dans le second, il n’était pas rare que les mères de famille usassent de gousses d’ail comme de suppositoires. Cela avait, dit-on, le pouvoir de fortifier leurs enfants. Ce que contredit le même usage qui a pour vertu de provoquer une fièvre temporaire, artifice bien pratique pour ne pas aller à l’école ou… au travail (autrefois, les prisonniers et les conscrits faisaient de même) !

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : inutile d’insister sur le caractère « difficile » de l’huile essentielle d’ail qui, sans être à proprement parler toxique, est violemment caustique per os au niveau du tube digestif. Par exemple, à la dose d’une goutte pour une valeur d’un demi litre à un litre, un risque d’ulcération des intestins, ainsi qu’une dysenterie grave, sont possibles. Même l’ail frais peut parfois poser problème, en interne comme en externe. Lorsqu’on applique de l’ail pilé en cataplasme retenu par un pansement sur la peau, une vésication et une rubéfaction peuvent survenir. La fragilité de certains épidermes ne se prête donc pas à ce type d’usage. De plus, même en l’absence de cette prédisposition, la durée d’application de tels cataplasmes est susceptible d’irriter et d’enflammer plus ou moins intensément la peau. En cas de verrue, de cor ou de durillon, il est recommandé d’appliquer l’ail sur la zone précise et d’éviter autant que possible de le faire déborder en périphérie, sans quoi l’on peut brûler la peau qui finira pas se dessécher, comme lorsqu’on « pèle » après un coup de soleil trop violent (les usagers intempestifs de la pommade Cochon et autre coricide Le Diable comprendront à quoi je fais ici référence ^.^). Les personnes fragiles et délicates de l’estomac et des intestins devront se garantir de consommer jamais excessivement d’ail, vu qu’il est tout à fait susceptible de causer des irritations gastro-intestinales. L’on fera de même en cas d’affections cutanées spécifiques (dartre, certaines dermatoses), de toux sèche, d’hémoptysie, d’éréthisme vasculaire, d’hyperthermie et dans tous les cas où il y a lieu de suspecter des affections sthéniques impliquant un état phlogistique comme disaient les Anciens, c’est-à-dire inflammatoire. La femme qui allaite en suspendra l’emploi. En effet, l’ail altère la qualité du lait et peut donner des coliques aux nourrissons. Cependant, les personnes qui ne sont concernées par aucune de ces contre-indications se garderont tout de même de faire de l’ail un usage abusif, puisque cette plante, qui a parfois été considérée comme suspecte, peut à terme provoquer des céphalalgies, « altérer les facultés du cerveau et troubler l’esprit ». Mais « il paraît que, dans le Midi de la France, où l’on en fait une grande consommation, on ne craint point ces accidents, et je ne pense pas qu’il y ait en Gascogne plus de fous que partout ailleurs »14. On en frotta même les lèvres de ce Béarnais qu’était Henri IV à la naissance et il prit goût ! En dehors de ces allégations qui ont tout l’air d’être des opinions bien peu fondées, « on devra se rappeler que l’ail est d’une telle puissance qu’il doit être employé avec modération, en fonction de la tolérance personnelle. Il ne convient pas de suivre l’attitude de certaines personnes qui pensent ‘faire mieux’ en multipliant les doses prescrites par cinq ou dix, et parfois plus. Les doses matraques ne sont, en effet, pas plus indiquées en phyto-aromathérapie qu’en chimiothérapie. On se souviendra alors qu’au-delà d’un certain seuil les effets s’amoindrissent, deviennent nuls ou même s’inversent »15.
  • Cuisine : les usages culinaires de l’ail sont fort nombreux. Nous ne les mentionnerons pas tous. Ce que nous pouvons néanmoins dire, c’est que parmi les plantes condimentaires, le groupe des allium (oignon, ail, ciboule, ciboulette) est celui qui est le plus utilisé. La saveur du bulbe se développe quand on le coupe ou l’écrase. Cette saveur plus forte quand le bulbe est cru peut être incommodante, ne serait-ce qu’à cause de l’haleine qu’il provoque. Contre cela, il suffit de croquer quelques graines d’anis, de cumin ou de cardamome. De même, les feuilles de persil, de cerfeuil et d’angélique viennent à bout de l’arôme de l’ail, ainsi que la pomme. Cependant, avant consommation cuite ou crue, il est préférable d’ôter le germe contenu dans la gousse. L’ail cuit peut parfois provoquer des nausées chez certaines personnes : le cuire avec du gingembre frais les fait disparaître. Ce condiment, qu’il est toujours préférable de bien mâcher afin de suffisamment l’insaliver, est l’indispensable ingrédient de bien des préparations géographiquement et culturellement nettement marquées : on le croise dans tous ces mélanges condimentaires que sont curry, harissa, pesto ou encore pistou. C’est lui encore que l’on met dans l’aïoli bien nommé, la brandade, la soupe à l’ail, l’aïgo boulido, la sauce jance et le saupiquet, préparations chères aux gastrolâtres médiévaux, les chapons, c’est-à-dire de « bêtes » croûtons de pain frottés de tant d’ail qu’ils en sont comme imbibés, l’ail fumé au bois de hêtre ou de peuplier, spécialité du nord de la France (Arleux), etc. Parlons enfin un peu de cet ail noir obtenu par un procédé qui fait intervenir la réaction de Maillard donnant ici lieu à la production d’hydroxyméthylfurfural, composé potentiellement cancérigène. Mais les marges de sécurité, que l’on considère suffisantes, ne contre-indiquent pas la consommation d’une telle préparation. On se souviendra quand même que la problématique réaction de Maillard doit être au maximum évitée en cuisine.
  • Jardinage : dans un potager, il faut prendre soin de semer l’ail loin des pois, des haricots et des asperges. En revanche, à proximité des tomates et des pommes de terre, on observe une entente courtoise. L’ail défendra vos rosiers des pucerons si vous l’installez à côté de ceux-ci, mais si jamais l’on vient planter de l’ail près des betteraves, ces dernières sont tout à fait capables d’inhiber la germination des semences d’ail. La macération huileuse d’ail est aussi un bon outil du jardinier pour l’aider à lutter naturellement contre les ravageurs (pucerons, mouches, charançons, etc.) et bon nombre d’affections fongiques s’attaquant aux plantes potagères. Suspendre plusieurs paquets de gousses d’ail dans les vergers sont censées mettre en fuite les oiseaux avides de fruits.
  • Quand on frotte un plat en terre d’une gousse d’ail coupée en deux, c’est avant tout pour en augmenter la solidité, tant le suc d’ail est capable d’assurer la fonction de colle. C’est cette aptitude que l’on faisait valoir au Moyen âge pour lier entre eux les pigments tinctoriaux grâce au jus d’ail.
  • Florithérapie : il existe un élixir à base de fleurs d’ail destiné aux personnes sujettes à des peurs profondes. Les vertus protectrices de l’ail que nous avons évoquées plus haut ne sont très certainement pas étrangères à cette assertion. Il s’agit de ces peurs constantes qui fragilisent les personnes en proie à une insécurité permanente, paralysant leur volonté, les dévitalisant complètement. Ces personnes sont souvent affectées de troubles ciblant les sphères urinaire et respiratoire (toux, infections ORL, otite). Ainsi, cet élixir permet de recouvrer son calme et de ne plus agir (quand cela est encore possible) dans la précipitation.
  • Variétés : on distingue essentiellement l’ail qu’on dit à col mou (Allium sativum var. sativum) et un autre à col dur (Allium sativum var. ophioscorodon). Dans la première catégorie, l’on trouve les cultivars suivants : vivalto, germidour, arno, thermidrone. Dans la seconde : ajo rosa, ajo morado, eden rose, chesnok wight. (Il en existe bien d’autres, j’ai opéré une sélection.)
  • Autre espèce : j’aurais pu la raccorder à l’article portant sur l’oignon, mais comme je l’ai découverte entre-temps, je la place ici : il s’agit du rocambole ou ail perpétuel (Allium scorodoprasum). Et, en dernière minute, alors que je viens de relire intégralement mon article, j’ajoute ici l’ail éléphant (Allium ampeloprasum var. ampeloprasum) qui tient plus du poireau hypertrophié que de l’ail proprement dit.

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  1. Le mot grec skorodon ne dérivant pas de rhodon, « la rose », l’ail ne peut donc être une « rose puante » comme on l’a prétendu.
  2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 36.
  3. Henri Leclerc, Les légumes de France, pp. 98-99.
  4. Jean-Baptiste Basile, Le conte des contes, p. 251.
  5. Dioscoride, Materia medica, II, 145.
  6. Très peu utilisé pour accompagné les viandes aux temps médiévaux, l’ail se réservait plutôt aux poissons et aux sauces.
  7. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 231.
  8. Jean Giono, Le hussard sur le toit, p. 35.
  9. Docteur Michel, médecin en Avignon, cité par François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 36.
  10. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 110.
  11. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 1, p. 176.
  12. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 59.
  13. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 167.
  14. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 1, p. 176.
  15. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 167.

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Marianne Stokes (1855-1927), La vendeuse d’ail (1909).

Les météorites, pierres du ciel et signes de la divinité surhumaine

Octaédrite de 1700 g provenant de la pluie de météorites survenue à Sikhote-Aline (Russie). Ce spécimen mesure environ 12 cm de largeur.

Qu’elles soient pierres de tonnerre, dents de foudre, céraunies ou encore haches de Dieu, toutes ces pierres ne sont pas réductibles au strict statut de météorite : en effet, seul un petit nombre d’entre ces objets sont de véritables météorites, c’est-à-dire, au sens étymologique du terme, de ces « objets lithiques suspendus dans les airs »1. Venues d’en haut, on les dit engendrées dans les nues, tombées du ciel à la faveur de la foudre et/ou du tonnerre (ou bien indépendamment de ces deux événements météorologiques), transportées par le vent, issues des nuages qui s’entrechoquent, propulsées sur terre par les différentes divinités du tonnerre, etc. Ces aérolithes tombent donc du ciel depuis aussi longtemps (et bien avant même) que la main de l’homme est capable d’en consigner les chutes successives : par exemple, en 1808, s’abat au-dessus de la Moravie une « pluie » de plus de 300 météorites, de même qu’en Bohème en 1754. Cela est aussi attesté au Moyen âge : en 1135, en Thuringe, un bloc aussi gros qu’une maison (sic) s’abat sur le sol. Ce phénomène est également observé durant l’Antiquité, durant laquelle Pline compilera certains de ces événements. Tout cela n’est pas circonscrit en un seul temps où la crédulité permettait à quiconque de faire avaler des couleuvres, non : le 18 février 1948, une pluie de météorites pierreuses dégringola du ciel du Nebraska dont le sol accueillit le plus massif météorite pierreux (une tonne), tandis qu’un an plus tôt, le 12 février 1947, c’est la Russie qui reçut de telles précipitations : dans la chaîne montagneuse de Sikhote-Aline (Sibérie orientale), près de 23 tonnes de matériau météoritique ont été récupérées, ce qui n’est pas grand-chose au regard de ce qui a atterrit sur le sol namibien qui s’honore encore aujourd’hui de posséder le plus gros météorite ferreux jamais tombé à la surface de la Terre : il pèse 60 tonnes !2 Voyez donc ci-dessous :

Météorite d’Hoba (Namibie) découverte en 1920.

Alors qu’à la fin du XVIIIe siècle, qu’on dit lumineux, l’Académie des sciences de Paris niait encore l’origine extra-terrestre des météorites, Josef Stepling (1716-1778), mathématicien et naturaliste de Bohème, avait été le premier à en affirmer la véritable origine, remisant au rang des vieilleries éculées toutes les anciennes hypothèses tentant d’expliquer la genèse et la provenance de ces pierres semblant surgir de nulle part.

Chez les Mayas, les Incas et les Aztèques, on utilisait un fer dont l’origine s’est avérée météorique. Pour en désigner la source, ces derniers montraient le ciel abritant la demeure du fer. A vrai dire, ce fer leur était si précieux qu’il était même plus rare que l’or qui, lui, n’est jamais tombé du ciel. Ajouter à la rareté le caractère céleste d’un objet particulier, et il y a de fortes chances pour qu’on le considère comme sacré. Dans d’autres cultures, la voûte céleste n’est-elle pas tapissée de cristaux de roche dont certains se décrochent de temps à autre ? Bien entendu, le lieu et l’opportunité de ce détachement participent de la sacralité céleste. Voit-on des météorites fendre l’air atmosphérique tous les jours que Dieu fait ? Nous savons, nous autres, de quoi il retourne à l’endroit des météorites, du lieu duquel ils peuvent bien émaner. Mais autrefois ? Quel spectacle mystique cela devait occasionner auprès d’hommes non pas crédules mais partageant une conception du monde différente de la nôtre ! Ces pierres du ciel sont donc tout sauf anodines. Tel chaman recevant du ciel telle ou telle pierre, comment ne pas s’imaginer que cette dernière va lui concéder le moyen de se solidariser mystiquement, magiquement, voire thérapeutiquement, avec le ciel ? Parce que, à la manière de l’ange, l’aérolithe est non seulement le sceau de la présence d’une puissance surhumaine extra-terrestre, mais aussi l’évidence d’une communication spirituelle entre le Ciel et la Terre, union particulièrement marquée lorsqu’un météorite vient labourer la terre, à la manière de la houe le sillon.

Infime fraction de divinité parvenue jusque sur la Terre après un fulgurant itinéraire pour le moins hasardeux – course aussi folle et hiératique qu’une fléchette ivre propulsée à travers les pales tournoyantes d’un ventilateur –, l’aérolithe est donc message du ciel, instrument d’un oracle, théophanie, manifestation immédiate de la divinité, en particulier dans sa dimension fertilisante : c’est d’autant plus vrai quand les météorites tombent « en pluie ». Pierres vivantes et parlantes tout imprégnées de sacré sidéral, bien que « tombées du ciel, elles demeurent animées après leur chute »3. Pour peu qu’on en fasse des idoles et qu’on dépasse le seuil de la seule fonction de réceptacle, « l’origine miraculeuse de ces pierres devait grandement contribuer au respect et à la vénération qu’elles inspiraient »4.

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  1. Le mot météorite doit être différencié de météore. Un météore, c’est bien un phénomène qui se déroule dans l’atmosphère, mais ce n’est en aucun cas un fragment minéral provenant de l’espace. Les principaux météores nous sont mieux connus sous les noms de pluie, neige, grêle, tonnerre, éclair, etc.
  2. Parmi les météorites, on distingue les formes pierreuses des formes ferreuses (composées en réalité d’un alliage de fer et de nickel). Ces dernières, qu’on nomme sidérites pour rappeler leur origine céleste, doivent être différenciées de la sidérite strictement terrestre, un carbonate de fer. Il existe deux sidérites principales : l’octaédrite, qui est la plus courante, et l’hexaédrite.
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 751.
  4. Esther Harding, Les mystères de la femme, p. 72.

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Moulage de la météorite tombée le 14 mars 1881 à Middlesbrough (Angleterre).

Le plomb (Plumbum)

Cristaux de galène (accompagnés de sphalérite). Mine de Trzebionka (Pologne).

Idéal mythique inaccessible, l’Âge d’or a laissé dans l’esprit des hommes qui en ont perpétué le souvenir génération après génération, une indélébile trace qu’ils n’ont pas osé porter sur l’échelle des Temps, au risque de ne pas pouvoir exactement situer cette période, contrairement à l’Âge du bronze (- 2700 à – 900 ans avant J.-C.) et à celui du fer (-1 200 à + 100 après J.-C.), deux période qui ne se succèdent pas immédiatement l’une après l’autre, mais qui se chevauchent et impliquent l’emploi de plusieurs métaux conjointement à la pierre parfois. Si dans ce laps de temps l’or et l’argent se réservèrent essentiellement à la bijouterie et à l’apparat, qu’en fut-il du plomb ? Les technologies métallurgiques exploitant le cuivre puis le fer surent parfaitement se passer du plomb pourtant beaucoup plus abondant.

Les hommes de ces anciens temps n’ignorèrent pas la galène, l’un des principaux minerais de plomb dont l’extraction ancienne est parfaitement connue, d’autant que ce minéral est un « plomb » facile à se procurer. Que l’on abatte un coup de pioche sur de la galène, et l’on sera frappé par un éclat de lumière émanant du point d’impact : c’est d’ailleurs cela que ça veut dire, « galène », issu du grec gal, gel, « beau, brillant », parce que sous ses airs sombres, la galène, dès lors qu’on la découvre de son manteau d’obscurité, laisse voir une éclatante blancheur métallique auprès de laquelle on ne saurait passer sans s’arrêter. Trop molle pour en faire des armes et des outils, trop vile pour se destiner à la joaillerie et à l’ornementation, quel sort allait-on bien pouvoir lui réserver ?

Du plomb, on parvint à tirer de la céruse, que l’on préparait ainsi : « Tout d’abord, le plomb (se présentant sous forme de feuilles ou de copeaux) était attaqué chimiquement par des vapeurs d’acide acétique, provenant du vinaigre. Ensuite, une fois placé dans un milieu en fermentation (ex : fumier), il se transformaient en carbonate. Enfin, le tout était broyé pour obtenir de la poudre »1 fine et douce au toucher dont on fit une base blanche permettant de lisser et d’unifier le teint (alors qu’avoir une mine de plomb aujourd’hui ne dit rien de l’éblouissante candeur de lait du lis ^.^). Grâce à son pouvoir couvrant hors du commun par réfraction de la lumière, le blanc de plomb devint un allié de beauté des coquettes de l’Antiquité, à commencer par les Égyptiennes qui tirèrent profit des propriétés caustiques, desséchantes, astringentes et cicatrisantes du plomb, embellissant non seulement le visage, mais supprimant également les plaies, les dartres, etc. Parallèlement à cela, les belles Romaines redoublèrent d’inventivité faisant du minium, un oxyde de plomb, un colorant rouge venant rehausser leur teint, d’où les expressions « avoir bonne mine », « un joli minois ». A la Renaissance, l’on s’inspira – en espérant honorer un héritage – des auteurs antiques. L’on mit donc à nouveau en honneur le blanc de plomb, l’une des drogues minérales permettant toujours de blanchir le visage des élégantes durant le Grand Siècle. « L’objectif de la blancheur est d’entraver les imperfections, ‘comme s’il s’agissait de faire disparaître tout ce qui pourrait interrompre un ordonnancement préétabli’. A la Renaissance, le but des cosmétiques, substantif dérivé de kosmos, renvoie toujours bien au sens étymologique du terme, ‘qui exprime l’idée d’un ordre du monde, celle de son organisation, de son ornement et par conséquent de sa beauté’ »2.

Si l’on exploite largement la brillance opaline de la céruse de plomb, l’on recherche aussi à bénéficier du plomb à travers ses qualités obscurcissantes, en traçant le trait noir qui borde l’œil égyptien afin de protéger celui-ci de la lumière du soleil. En mêlant quelques oxydes de plomb avec de l’eau, on façonnait une teinture permettant de noircir les cheveux. Certaines « teintures employées alors se fabriquaient des plus bizarres ingrédients. On cite entre autres une liqueur épaisse tirée de la graine du sureau et une décoction de sangsues qu’on laisse putréfier pendant soixante jours dans un vase de plomb »3. Mais ces préparations capillaires « offrent de grands dangers, car elles ont toutes pour base le sucre de plomb [ou sel de Saturne], poison des plus subtiles. Bien plus à craindre que de véritables teintures, elles introduisent dans le sang le principe vénéneux du plomb par l’absorption cutanée résultant d’un usage journalier »4.

Tant que le plomb maintint une distance résolue entre la peau et le miroir, cela ne concerna guère que le désir des femmes de se faire bien voir. Libres à elles, après tout, de se tartiner la face comme on occulterait un carreau de verre d’une couche de blanc de Meudon ! Mais, non, hélas, le plomb déborda du cadre cosmétique dans lequel on le croyait enferré aussi sûrement qu’un vitrail dans son bardage plombé, et c’est donc tout naturellement que l’« on a cru pouvoir transporter l’usage du plomb en médecine, quoiqu’il soit vraiment un poison lent, astringent et desséchant »5. Sur ce point, on ne se contenta pas d’en faire un strict usage externe, mais on l’employa aussi à l’intérieur ! Ainsi fit-on depuis à peu près l’époque d’Hippocrate, soit il y a 2500 ans environ. Comprenant que de l’onguent à l’emplâtre il n’y a plus guère qu’un pas, les médecins antiques s’appliquèrent à déterminer dans quels cas précis l’on pouvait justifier l’emploi du plomb en thérapeutique. En Égypte, cette pratique resta périphérique, le plomb assurant des soins essentiellement cutanés par le biais de ses propriétés lénifiantes, apparaissant néanmoins dans de nombreuses recettes comme, par exemple, à travers celles permettant de réaliser des collyres : on a en effet découvert des traces de galène dans des flacons autrefois remplis de ces préparations que l’on n’abandonna qu’à grand-peine puisque l’on pouvait encore prendre connaissance de telles recettes ophtalmiques dans des ouvrages médicaux du XIXe siècle !

En regroupant des données échelonnées de Dioscoride (1er siècle après J.-C.) à Desbois de Rochefort (XVIIIe siècle), je vais tenter de dresser une synthèse de l’histoire médicale du plomb.

A l’aide de la céruse, du plomb lavé, du plomb brûlé et de l’eau de plomb, on regroupait des propriétés rafraîchissantes, astringentes, dessiccatives, émollientes, résolutives, engourdissantes et calmantes. On constate que les emplois se bornaient surtout à l’extérieur du corps : en collyre pour les maux oculaires (en particulier une taie de l’œil que l’on appelait à juste titre plumbum), en emplâtre (comme le célèbre diachylon), onguents et autres pommades. L’on vit apparaître, à travers des préparations alambiquées, une explicite référence à la planète à laquelle, pensait-on, le plomb était lié : sel de Saturne, baume de Saturne, vinaigre de Saturne, magister de Saturne, etc., tout cela se consacrant à soigner (à défaut de guérir) nombre d’affections cutanées (dartre, inflammation érysipélateuse, engelure, pompholyx, ulcère, tumeur et cancer cutané, calvitie), génitales (écoulement vénérien, leucorrhée, priapisme), ainsi que fièvre inflammatoire, diarrhée, hémorroïdes chaudes et fluentes, maux de gorge, etc., pour lesquelles on imagina que les vertus rafraîchissantes du plomb pouvaient être de quelque utilité. Mais c’est là une fraîcheur bien trop froide au goût de Hildegarde qui ne réserva pas au plomb le meilleur des accueils, se contentant d’avertir du caractère nocif du plomb en cas d’usage interne. Déjà, Dioscoride disait de cette substance que « prise par la bouche, elle est chose mortelle, pour autant qu’elle est malfaisante et venimeuse »6. Si jamais l’issue fatale est écartée, il n’en reste pas moins que l’utilisation du plomb comme médicament provoque « sanglot, toux, sécheresse de la langue, froideur dans les extrémités du corps, troubles de l’intellect et paresse dans tous les membres »7. Conscient que le plomb est susceptible d’intoxiquer ceux qui y sont exposés, Dioscoride offrait plusieurs pistes en terme d’antidote comme le lait, tandis qu’à Pline, cela ne posait apparemment pas de problème d’écrire qu’il n’y a pas meilleure matière que le plomb pour protéger de la chaleur et de la lumière les plus luxueuses compositions médicinales de son temps. Hildegarde était bien loin de partager son avis sur ce point : l’abbesse mettait en garde sur le fait que « ni la nourriture, ni la boisson ne se gardent bien dans un récipient de plomb, à cause du froid que celui-ci contient »8. Mais l’on peut pousser bien plus loin : dans les écoles de la République, fin XIXe-début XXe siècle, on apprenait aux élèves cet avertissement domestique : le plomb « forme avec les aliments des composés très vénéneux ; c’est pour cela qu’on ne doit jamais se servir de vases en plomb comme ustensiles de cuisine »9. 2000 ans pour établir cette évidence ! Combien d’accidents domestiques se sont produits entre-temps ? C’est d’autant plus regrettable qu’à l’époque où ces lignes furent tracées, on avait depuis longtemps tiré un trait sur l’emploi du plomb en médecine. Un siècle plus tôt, Desbois de Rochefort écrivait très clairement dans l’introduction de son Cours élémentaire de matière médicale que « le plomb et le mercure sont, parmi ces corps naturels, les plus redoutables pour leurs effets pernicieux, et l’un des fâcheux accidents qu’ils produisent, surtout le plomb, a divisé depuis longtemps les médecins fameux des différentes écoles, et sur sa nature, et sur les procédés de sa curation »10. A la lecture de Desbois de Rochefort, on constate que la place du plomb dans la pratique médicale est bel et bien réduite à peau de chagrin, inversement proportionnelle aux efforts qu’il faut déployer pour soustraire l’organisme à son intoxication, qu’elle soit fugace ou chronique. Tout ceci soulève une interrogation : comment cela se fait-il que l’on vit de plus en plus de personnes intoxiquées au plomb alors qu’en parallèle l’emploi thérapeutique de cette substance ne faisait que reculer ? Réponse : en raison de l’implication de plus en plus massive du plomb dans la vie domestique, l’artisanat et l’industrie. On connaît tous cette anecdote qui voudrait que Rome se soit effondrée parce que sa population goûtait journellement à une eau que des conduites en plomb distribuaient dans les maisons. C’est un élément d’explication, mais il est loin d’être le seul. C’est là que nous pouvons débuter, par la tuyauterie, qui employa abondamment le plomb, métal qui a abandonné son nom à la plomberie qui, Dieu merci !, ne fait plus appel à ce matériau depuis des lustres. Cet usage était préféré par le fait que le plomb autorise la fabrication de « tuyaux sans soudure, très longs, et pouvant se courber sans se casser »11. On en comprit dès lors l’intérêt sans en soupçonner le perfide caractère, mettant en évidence le fait que l’intoxication prend deux formes différentes : celle qui affecte celui qui fabrique les tuyaux, celle qui touche le consommateur de l’eau qui circule dans ces mêmes tuyaux. Voici une liste des métiers qui étaient, de très près ou d’un peu plus loin, confrontés à une manipulation quasi quotidienne du plomb (pour certains, l’on peut n’en pas percevoir la relation, mais pour tous elle existe) : les fabricants de mines de plomb, de céruse et de minium, les vitriers, les émailleurs, les potiers (qui utilisent des vernis au plomb), les faïenciers, les orfèvres, les bijoutiers, les monnayeurs, les cordonniers et passe-talonniers, les teinturiers, les pelletiers, les fabricants de papiers peints et de toiles cirées, les fondeurs, les imprimeurs, typographes et préposés à la casse, les cartiers (sur les anciennes cartes à jouer, les couleurs rouge et jaune sont tirées d’oxydes de plomb), enfin les peintres en couleurs et en bâtiment pour lesquels Pierre Pomet admettra que « le blanc de plomb n’a autre usage que je sache pour les peintres, étant broyé à l’huile ou à l’eau, d’autant que c’est le plus beau que nous ayons, et qui dure le plus longtemps, mais en récompense est une très dangereuse drogue »12. L’excellence immédiate efface souvent un danger manifeste qui paraît bien moins peser dans la balance que le fait d’en envisager l’interdiction pure et simple, pour des raisons évidentes d’insalubrité. On assiste au même phénomène avec des substances chimiques modernes : pourtant décriés, certains insecticides et herbicides, dont on connaît les hauts risques d’utilisation, ne sont toujours pas prohibés.

Nous n’en avons pas pour autant terminé avec les facteurs d’intoxication au plomb, passons maintenant aux risques domestiques. Voici quelques exemples : utilisation de cosmétiques contenant du plomb, consommation de boissons (vin, cidre, poirée, bière) falsifiées par adjonction de sels de plomb dans le but de les édulcorer (les sels de plomb, malgré leur nom, possèdent un traître petit goût sucré), consommation de pâtisseries (par exemple : gâteau glacé au chromate de plomb), utilisation courante d’objets en étain (mais pouvant contenir, sans qu’on le sache, jusqu’à 75 à 80 % de plomb !), séjourner dans des appartements où les pièces ont été peintes à la céruse, préparer des aliments dans de la vaisselle vernissée, en conserver d’autres (exemple : des cornichons) dans des pots en terre dont le vernis contient du plomb, etc. Comme vous le voyez, la liste est vaste, ce qui explique les nombreux cas d’intoxication auxquels les médecins purent assister, ayant eu affaire à des cas d’intoxication aiguë, assez spectaculaires mais guérissables (bien que le rétablissement en soit très allongé), et une forme chronique bien plus grave, se produisant par inhalation de poussières de plomb ou de vapeurs de plomb. En cela nous ne pouvons passer outre ce que l’on appelle colique de plomb (ou du peintre), principale manifestation du saturnisme, qui démontre dans quelle immense mesure ce métal était impliqué dans de très nombreuses professions et occasions de la vie de tous les jours, si bien qu’il eût été très difficile de le substituer alors par un moyen plus innocent. Voici, pour dessiner un portrait, les principales caractéristiques de l’intoxication chronique ou saturnisme : une profonde anémie accompagne un amaigrissement marqué, le pouls faiblit, l’haleine s’empeste, la peau jaunit, le ventre se creuse et se rétracte. « L’estomac et les intestins se racornissent et se rétrécissent dans leur diamètre13, ce qui produit l’aplatissement du ventre, la rétraction de l’ombilic et du fondement ; les excréments ont la plus grande peine à filtrer le long de leur canal ; ils séjournent et se moulent dans les interstices très resserrés du côlon, d’où vient la constipation la plus rebelle »14. Parfois s’instaure un volvulus ou invagination intestinale. Tout cela s’accompagne de douleurs continuelles centrées sur l’ombilic, s’exaspérant par moment et irradiant jusqu’aux côtes et aux organes génitaux. Cette affection porte bien son nom de saturnisme : il y est question, on ne peut pas mieux, de densification, tant cela resserre, crispe, assèche, racorni. Parce que l’on voit aussi la vessie être contractée, les urines ne plus s’écouler. Le système pulmonaire peut, lui aussi, être l’objet de cette constriction qui affecte la trachée-artère. La déglutition, par contraction spasmodique, est très empêchée. Presque, peut-on dire, qu’à travers le saturnisme plus rien n’entre, plus rien ne sort. Ne dit-on pas du constipé qu’il est mélancolique ? A cette concentration viscérale due à la colique de plomb, l’on peut encore ajouter les autres signes suivants : paralysie radiale, tremblement des mains, troubles articulaires dans les genoux et les pieds, accidents cérébraux, impuissance, fausse couche, etc. Nous ne nous arrêterons pas sur les diverses méthodes de désintoxication d’un autre temps, mais préciserons qu’en ce qui concerne le saturnisme, l’homme s’en remit à des substances antidotaires plus ou moins efficaces dont l’huile d’olive, le ricin, le tan de chêne, la coloquinte, l’absinthe, le tabac, le chanvre, le séné ou encore la jusquiame. Pousser un danger par un autre, comme on l’a souvent vu !… Le mieux étant encore de se tenir à distance du toxique.

Dans un vieil article, je faisais savoir l’hypothèse selon laquelle Vincent van Gogh aurait été affecté de saturnisme, parce que, dit-on, à la manière de Cronos dévorant ses enfants, il aurait fait de même avec ses tubes de peinture !… Au comble du désespoir, l’on peut faire des gestes bien absurdes. Si l’on souhaite en finir, mieux vaut user du plomb d’une autre manière que celle-ci (se tirer du plomb dans la cervelle demeure bien plus efficace, à la condition qu’il soit durci à l’antimoine). Il y a fort longtemps – et plutôt que de bêtement s’intoxiquer en léchant les peintures au plomb de son intérieur –, on faisait appel au plomb d’une tout autre manière, que je vais maintenant vous raconter. Mais avant tout laissez-moi vous dire qu’il y avait dans le garage de mon père un peu du matériel qui lui restait de l’époque où il s’était dit qu’il allait devenir plombier. Mais, par manque de passion, il ne poussa pas au-delà d’un an son apprentissage. Au beau milieu de ce matériel inutile, il y avait des plaques d’un plomb bien différent de la galène brute de la collection de minéraux que j’avais dans ma chambre, elle si dure, sombre et obscure, n’offrant rien de commun avec ces plaques que je m’amusais parfois à pétrir entre mes doigts d’enfant, quitte à fractionner une partie à force de torsion, y gravant parfois des messages de la pointe d’un clou, à la manière d’un stylet s’enfonçant dans la cire ou l’argile fraîche, sans me soucier qu’en des temps insoupçonnés de moi, des hommes firent de même, mais pas pour explorer ludiquement les propriétés ductiles de cette matière. Durant l’Antiquité gréco-romaine, on employait de semblables plaquettes de plomb : les défixions ou katadesmoi. J’ai explique ailleurs en détails la fonction de ces katadesmoi, plaques de plomb (un métal bon marché que l’on pouvait facilement se procurer), sur lesquelles on inscrivait un sort hostile (d’exécration) permettant de lier magiquement une personne (aujourd’hui, il nous reste l’expression « jeter un plomb » sur quelque chose ou quelqu’un). Puis l’on enterrait la tablette en un lieu sombre et discret. Ainsi la confiait-on aux bons soins de Cronos, alias le séparateur (parce qu’il tient une faucille) ou bien le grand destructeur (on le voit également porteur d’un sablier, incarnant le Temps amenant la mort mais aussi une nouvelle naissance). Ce qui, pour le but recherché, est parfait. Ainsi, on enfouit de préférence les katadesmoi la nuit venue dans des tombeaux, des tertres funéraires, auprès des sanctuaires dédiés à une divinité chthonienne, au fond d’un puits ou d’une rivière, etc. Par cet enfouissement, on renforce la mise en relation de la tablette (et donc du texte qu’elle contient) avec le monde d’en-bas, dont on espère qu’il va causer bien des misères aux personnes visées… Parce que la lourdeur maussade de Saturne, astre livide, d’une démarche paresseuse aux mouvements indolents, peut forcer quiconque à porter des semelles de plomb et à marcher avec à pas de plomb. Cette pondération alourdissante est celle du soleil de plomb qui écrase, qui flingue en plein vol (prendre du plomb dans l’ail). Pis que de se faire plomber les fesses, la force des katadesmoi résidait dans le fait de plomber littéralement le moral des personnes ciblées, de leur faire péter les plombs, emmenant toujours plus bas, à la manière des plombs de sonde, de filets et de lignes de pêche, qui, à l’instar des plombs de chasse, affaiblissent les chairs au point de les faire sombrer toujours plus bas dans une nuit sans fin. Après cela, quoi d’étonnant à ce que du latin plumbum l’on ait tiré le mot plongeon, qui exprime bien à quel point il y a de la pesanteur et de la lourdeur dans le plomb qui ne peut pas faire autrement que de vous envoyer par le fond, à l’image du plomb fondu qui fait le grand saut dans un baquet d’eau lorsqu’on vient à pratiquer la molybdomancie, c’est-à-dire la divination au plomb fondu (ce terme est forgé sur un abus de langage qui faisait autrefois passer le plomb pour du molybdène et vice-versa ; malgré ses surnoms de plombagine et de mine de plomb, le molybdène n’est pas une galène ni je ne sais quel autre oxyde de plomb. Solide et blanc comme l’argent, il porte le numéro atomique 42 et son abréviation s’écrit Mo : c’est bel et bien un élément à part entière.).

Tablette de défixion découverte roulée dans la main d’un mort dans un cimetière de la cité macédonienne de Pella. IVe siècle avant J.-C.
Le texte révèle la supplication d’une femme qui demande aux démons auxquels elle fait appel de faire tout le nécessaire pour que son mari ne se tourne pas vers d’autres femmes, en particulier l’une d’entre elles dont elle demande qu’elle périsse misérablement. Chercher à détourner untel(le) de tel(le) autre était très fréquent : « Je détourne x de y, de son visage, de ses yeux, de sa bouche, de sa poitrine, de son âme, de son estomac, de son pénis, de son anus, de tout son corps. Je détourne x de y ».

Après tout cela, comment prétendre durant une seconde pouvoir tirer juste parti du plomb ? N’y a-t-il pas chez le plomb une pondération qui soit équilibre et modération, plus qu’un abyssal enfoncement ? Bien sûr que si : regardons du côté de la médecine traditionnelle chinoise pour laquelle la planète Saturne et le métal plomb sont tous les deux associés à l’élément Terre, central par rapport au Feu, à l’Eau, au Bois et au Métal. Ce centre est aussi axe et pivot. C’est pourquoi le plomb recentre sans figer exagérément les personnes trop « volatiles », « déséquilibrées », en proie au vertige. Dans cette optique, le plomb apporte solidité, profondeur, imperturbabilité et individualité inentamable. On comprend aussi par là même l’attribution du plomb au chakra Muladhara, permettant l’enracinement. Le culbuto a le cul plombé afin de reprendre son équilibre même quand il est renversé ou qu’on lui assène une pichenette. Par le sobriquet de cul-de-plomb, on désigne les personnes trop sédentaires. Le plomb dessine donc bien cette idée de fixité, mais aussi d’assurance, de rectitude et de droiture, tel que cela transparaît dans l’expression « être d’aplomb », un à plomb qu’on n’obtient pas sans un fil à plomb, « souple symbole de la verticalité »15. Lorsqu’on a du plomb dans la tête, cela dénote un caractère sage, posé et sérieux (ce qui est curieux, l’or semblant convenir davantage à cet usage, par son intrinsèque valeur et une densité bien supérieure à celle du plomb puisqu’elle vaut 19,3). Il y a tout de même une certaine noblesse dans le plomb, d’autant que l’on n’ignore pas ses indéniables vertus protectrices : « La galène placée dans la maison est un bouclier imperméable aux influences négatives. Elle ne laisse rien passer. Ni les rayonnements radioactifs, ni les rayons X ne sont capables de la franchir »16. Est-ce pour cette raison qu’au Moyen âge l’on enfermait les défunts de haut parage dans des « chercus » de plomb, comme on peut le voir dans Le Roman de Renart : l’une des poules, Copette, estourbie par le perfide nain roux, fut enfermée « dans un beau cercueil de plomb ». Protège-t-on de cette manière-là les trépassés des entités du dessous ? Parce qu’« il symbolise la base la plus modeste d’où puisse partir une évolution ascendante »17, on a voulu faire du plomb le point de départ de la transcendance, premier pas directeur vers l’Empyrée, séjour des célestes divinités. Les mystères de Mithra expliquent très justement le rôle du climax, échelle à sept échelons : « En gravissant cette échelle cérémonielle, l’initié parcourait effectivement les ‘sept cieux’ »18. Voici, d’après Celse, les sept degrés de cette échelle (qui en compte un huitième, la sphère des étoiles fixes) :

7 – Or Soleil

6 – Argent Lune

5 – « Alliage monétaire » Mercure

4 – Fer Mars

3 – Bronze Jupiter

2 – Étain Vénus

1 – Plomb Saturne

L’on dit que la progression ne peut être qu’ascendante, que le plomb peut se métamorphoser en or et, contrairement à ce qu’écrivait Racine, qu’en un plomb vil l’or ne peut être changé, car cela ferait emprunter une route inverse à celle que recherche l’alchimiste qui aspire « symboliquement à se détacher des limitations individuelles, pour atteindre les valeurs collectives et universelles »19. Par sa molle et lourde lenteur, le plomb demande de ne pas se précipiter et que chaque chose advienne en son temps, car le plomb et les autres métaux « seraient de l’or s’ils avaient eu le temps de le devenir »20. Est-ce à dire qu’extraire de la galène, c’est interrompre prématurément sa maturation et sa future transformation en or ? Pour ce métal, bien que d’aucuns le prétendent, je l’ignore. En revanche, ce qui est certain, c’est que « l’argent résulte en général de la décomposition de minerais sulfureux, tels que la galène et l’argentite »21. Du plomb, à défaut d’or, il peut être fait de l’argent. Et au vu de la rareté de l’or, on a dû faire avorter bien de ces processus en arrachant de leur gangue terreuse ces minerais de plomb, destinés à être transformés en un moyen de faire parvenir jusqu’à l’homme, en son cœur et en son corps, non pas les secrets de la transcendance, mais un véritable poison.

Détail d’un cercueil de plomb romain (IIIe siècle avant J.-C.). Metropolitain Museum of Art (New-York).

Caractéristiques minéralogiques

Comme le plomb natif, à l’inverse de l’or et de l’argent, n’existe pas naturellement, nous allons nous tourner en direction de l’un de ses principaux minerais, la galène, non sans avoir communiqué quelques informations relatives au seul plomb : de densité inférieure au premier des deux métaux suscités (11,3), le plomb est le plus mou et le moins tenace des métaux : il se laisse couper facilement au couteau, abandonnant sur la tranche un aspect très lisse et particulièrement étincelant ne faisant pas illusion très longtemps : nous rappelant rapidement qu’il est un métal dit non noble, ce rayonnement du plomb s’obscurcit promptement à l’air libre. Fusible à partir de 327° C, le plomb s’allie très facilement à la plupart des autres métaux, à l’exception du fer : voilà que Mars vient s’opposer à Saturne, le « petit maléfique » au « grand maléfique » !… Curieux… Venons-en maintenant à ce minerai de plomb naturel qu’est la galène (ou alquifoux, non moins curieux).

  • Composition : plomb (86,59 %), soufre (13,40 %). Avec inclusions d’argent, d’antimoine, de fer, de zinc, d’or, de sélénium et de bismuth (0,01 %).
  • Densité : 7,2 à 7,6.
  • Dureté : 2,5 à 3 (tendre et fragile).
  • Morphologie : cristaux cubiques de forme hexaédrique, octaédrique, en tablettes, en macles ; agrégat grenu et squelettique ; stalactite.
  • Couleur : gris clair, gris foncé, gris noirâtre, avec nuance bleutée sur les cassures fraîches. Fonce facilement à l’air libre.
  • Éclat : métallique, très prononcé sur les plans de clivage.
  • Transparence : opaque.
  • Clivage : très bon à parfait selon /001/, /010/ et /100/, imparfait selon /111/. Comme la halite, se fragmente en petits cubes sous le choc.
  • Cassure : subconchoïdale.
  • Fusion : fond très facilement sur le charbon de bois en libérant des vapeurs sulfureuses.
  • Solubilité : dans l’acide nitrique (HNO3) et l’acide chlorhydrique (HCl).
  • Nettoyage : à l’eau distillée.
  • Particularité : malléable, molle, flexible, ductile.
  • Morphogenèse : hydrothermale, sédimentaire et métasomatique de contact.
  • Paragenèse : blende, calcite, fluorite, pyrite, quartz, tellure, argent, argentite, arsenic, altaïte, diaphorite, etc.
  • Autres minéraux contenant du plomb : pour la plupart du temps, ce sont des minerais dit complexes, parce qu’ils sont très fréquemment associés à des minerais d’argent et de zinc au sein des mêmes gisements. – Minium (Pb : 90,67 %) – Cérusite (PbO : 83,53 %) – Pyromorphyte (Pb : 82 %) – Vanadinite (PbO : 78,35 %) – Mimétite (PbO : 74,59 %) – Jordanite (Pb : 71,90 %) – Wulfénite (PbO : 61,40 %). Parmi les oxydes de plomb dont nous avons parlés plus haut dans notre article, nous avons évoqué le cas du minium (Pb3O4). Ajoutons-y la litharge (PbO). La céruse, quant à elle, est un carbonate de plomb formé d’oxyde de plomb et de craie blanche pulvérisée (définitivement interdite en France le 1er janvier 1915).
  • Gisements : en abondance dans plusieurs continents à travers le monde : – Europe : Allemagne, République tchèque, Slovaquie, Autriche, ex Yougoslavie, Italie, Espagne, Roumanie, Pologne, Grande-Bretagne. – Amériques : États-Unis. – Asie : Russie, Birmanie. – Afrique : Zambie. – Océanie : Tasmanie. Dans l’île de Man, l’on a découvert de grands cristaux de galène de 25 cm. A l’ouest de la République tchèque, près de Stříbro, de grands cristaux hexaédriques aussi larges que la main ont été mis à jour.
  • Utilisation : principal minerai de plomb, minerai d’argent selon les origines (ex : mine de Pont-Péan en Ille-et-Vilaine, mines allemandes de la Saxe, etc.).

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  1. Anne-Lise Vincent, Édition, traduction et commentaire des fragments grecs du Kosmètikon attribué à Cléopâtre, Université de Liège, p. 85.
  2. Ibidem.
  3. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 60.
  4. Ibidem, p. 244.
  5. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 279.
  6. Dioscoride, Materia medica, V, 53.
  7. Ibidem, VI, 22.
  8. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 146.
  9. O. Pavette, Notions élémentaires de sciences, p. 244.
  10. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, pp. XXXVII-XXXVIII.
  11. O. Pavette, Notions élémentaires de sciences, p. 244.
  12. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 44.
  13. « Quelquefois le canal intestinal est tellement rétréci que tous les intestins pourraient tenir dans la paume de la main ; quelquefois leur diamètre est si resserré, qu’un tuyau de plume, et même une épingle un peu forte n’y peuvent entrer » (Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 292).
  14. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaires de matière médicale, Tome 1, p. 291.
  15. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 442.
  16. Reynald Boschiero, Le guide des pierres de soins, p. 158.
  17. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 765.
  18. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 110.
  19. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 765.
  20. Mircea Eliade, Forgerons et alchimistes, p. 87.
  21. J. Kouřimsky & F. Tvrz, Encyclopédie des minéraux, p. 43.

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Poids commercial officiel en plomb. Musée de l’Agora antique (Athènes).

L’oignon (Allium cepa)

Est-il possible de concevoir que le lis à la virginale blancheur et à l’envoûtant parfum puisse être issu du même sérail que l’oignon, ce « lis âcre » qui confine à l’humilité forcée le plus chafouin d’entre les hommes par l’acrimonie de son caractère lacrymogène ? Pourtant, cette parenté ne nous dit pas d’où provient l’oignon. En effet, cette plante qui apparaît dans notre champ de connaissance comme exclusivement cultivée ne fait état d’aucun parent sauvage. Il semble pourtant bien que l’oignon potager moderne soit dérivé de formes d’oignons archaïques en provenance d’Asie occidentale (Iran, Afghanistan, Baloutchistan). Il a été répandu dès les temps préhistoriques aussi bien en Inde qu’en Chaldée, puis en Égypte, où sa culture remonte à au moins 5000 ans, contemporaine de celle de l’ail et de la consommation alimentaire de ce dernier en compagnie du radis, lors de l’érection monumentale de la pyramide de Khéops. Cet aliment qui donnait de la force n’avait pas que valeur nutritive : en effet, tout d’abord largement consommé par le peuple, l’oignon entra dans le champ du sacré et du religieux, au point que l’on en prohiba la consommation alimentaire, bien qu’on considère que durant l’antiquité égyptienne il fut la plante (légume et remède) sans doute la plus répandue. En Égypte, l’oignon était lié à Osiris, divinité de la végétation et du renouveau végétatif, mettant en fuite ce mauvais esprit qu’incarnait Seth, la stérilité désertique. Intégré aux rites mortuaires, il y figurait le symbole de la renaissance et l’espoir d’éternité. N’est-ce pas pour cette raison que l’on plaçait un oignon dans la main du défunt, en son sarcophage même ? On remarque encore une cérémonie mortuaire dédiée à Osiris, le rituel dit de l’ouverture de la bouche « destiné à lui redonner la lumière de la vie. Pour cela, cinq bulbes d’oignons étaient utilisés correspondant aux yeux, aux oreilles et à la bouche »1. Celui qui était représenté fréquemment sur les fresques des tombeaux était aussi invité à protéger les vivants contre les maladies. On constate donc que l’oignon était plébiscité en de nombreuses occasions. Puis, à une époque plus tardive, au sein même de la prêtrise égyptienne, on supprima la consommation d’oignons (de même que celle de l’ail), et cela pour plusieurs raisons : on se mit tout d’abord à regretter le fait que sa forte odeur puisse être inconvenante pour les divinités (qu’au passage l’on ne se gênait pas à contraindre à s’exécuter grâce à lui au besoin !). Deuxièmement, il pousse à la sensualité et excite l’appétit vénérien. Enfin, il observe une croissance contradictoire avec celle de la Lune comme nous l’explique Jean-Baptiste Porta rapportant les propos de Plutarque : « L’oignon […] connaît les forces et les modifications des astres ; il vit et germe au déclin de la Lune, et décroît quand la Lune est nouvelle. C’est pourquoi les prêtres égyptiens n’en mangeaient point »2, de même que les Grecs (les pythagoriciens s’en abstenaient par exemple) et les Latins. Tout cela alla si loin que Juvénal se sentit dans l’obligation de moquer cette superstition dans ses Satires et les divinités égyptiennes par la même occasion ; cette adoration de l’oignon et le tabou qu’on met à ne pas croquer cet espèce de poireau ! De cela, bien des peuples antiques n’eurent guère cure : un oignon, quelques olives et une galette, c’était là le repas coutumier de bien des hommes du peuple en Grèce pendant bien longtemps. Les Hébreux, eux aussi, ne s’embarrassèrent pas de cet interdit (au reste, leur religion n’était pas la même), regrettant, après l’exode, l’oignon poussant en Égypte : « Il nous souvient des poissons que nous mangions en Égypte, sans qu’il nous en coûtât rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Et maintenant nos âmes sont accablées, nos yeux ne voient que la manne »3. Jamais contents ! Rappelons-nous qu’« il est souvent plus facile d’être asservi dans l’opulence que de risquer la liberté dans le dénuement »… N’est pas cynique – à la manière de Diogène de Sinope – qui veut !

Aux temps du poète Homère, l’oignon était déjà bien connu des Grecs. Mais, petit à petit, cette plante fut de moins en moins employée à des fins religieuses par les prêtres (par effet d’imitation de ce qui se déroulait en Égypte ?). En effet, l’on pensait qu’il était difficile de se concilier les dieux avec une haleine chargée. Imagine-t-on seulement un Apollon, une Athéna ou, pire, une Aphrodite avec une haleine empestée de relents d’oignon ? Non pas. En revanche, l’oignon fut soigneusement rangé au nombre des substances dont on usait pour faire pression sur eux lors de rituels (avec ail, sang, excréments, sanie, etc.). A la divinité cela ne sied guère, mais aux communs des mortels, aux dires de Varron, cela n’avait pas tant d’importance semblerait-il : « Nos aïeux, bien qu’ils exhalassent l’odeur de l’ail et de l’oignon, n’en respiraient pas moins les meilleurs sentiments »4. Et si cela est par trop incommode, sachons que l’on peut chasser l’odeur d’oignon en mangeant de… l’ail ! Mais celle de l’ail, qui peut la déloger ? Bien nombreux furent ceux qui se passèrent de ces correctifs plus ou moins inefficaces : étant bien plus qu’une émanation sociale, l’odeur d’oignon fut même un marqueur géographique et culturel distinctif fort. C’est le légume des gueux et des « gens de la terre », « la nourriture de la rafataille, des forçats des galères de Rome, de la soldatesque qui, à en croire Aristophane (dans La Paix) a toujours une odeur de scrognoignon, autrement dit l’odeur du rot du mangeur d’oignon »5. Populaire, mais synonyme de prodigalité, l’on disait proverbialement que « si tu te trouves sans chapon, sois content de pain et d’oignon » (sauf si, bien entendu, tu vis en quelque contrée septentrionale où l’âcreté de l’oignon, plus prononcée qu’au sud, t’arracherait bien plus que des larmes). Mais cela ne découragea pas ces grands consommateurs d’oignons qu’étaient les Romains : il est imaginable que ce sont eux qui firent pénétrer l’oignon au nord de l’Europe : peut-on voir dans le « onion » anglais actuel un descendant de l’unio décrit par l’agronome latin Columelle comme un bulbe uni, sans caïeux (comme fait l’ail) ? Peut-être bien. En tous les cas, ce n’est pas la racine latine qui s’est imposée dans la plupart des langues européennes, bien plutôt celle d’origine gauloise, caepa : ce terme serait le reflet de la nature potagère de l’oignon (kèpaia) ou bien de son caractère lacrymogène, à l’instar de la fumée d’un feu de cheminée (kapnè). Bien que cette racine gauloise ait été supplantée par uniones (VIIIe siècle), ungeon et oingnon (XIIe siècle), ognon (à la Renaissance ; il perdura jusqu’à la fin du XIXe siècle !), et maintenant oignon en français, l’on constate dans bien des langues que le mot qu’on utilise pour désigner l’oignon est un dérivé du caepa gaulois : cebolla (espagnol), cipolla (italien), cebula (polonais), cebola (portugais), ceapă (roumain), zwiebel (allemand). De là découlèrent les cive, civette, ciboule, ciboulette qu’on rencontre en français.

Durant l’ensemble du Moyen âge, l’oignon sera largement consommé, bien davantage que l’ail, accompagnant bien des viandes, la volaille, ainsi que le poisson, plongeant ses effluves dans les sauces qui propagent des odeurs vineuses et corsées, ruisselantes de graisse saturée de lourdes épices, amendant la boyauterie intestinale des flatulences qui s’y contractent et pétaradent à force de se la farcir de fèves et d’autres légumineuses. Mais il n’est pas que pitance de misérable coquin incapable de se bien tenir à table : voyez Henri IV qui, paraît-il, s’en régalait et pourtant il était roi. Il puait aussi ouvertement de la gueule. On peut se demander à juste titre comment il put bien honorer sa réputation de chaud lapin et l’oignon sa renommé d’aphrodisiaque ^.^ Ushna, « le chaud », est un surnom sanskrit applicable tant à l’un qu’à l’autre. Pour bien montrer que l’oignon n’est pas qu’un « peu romantique », remontons jusqu’à l’Antiquité romaine pour comprendre le rôle lubrique qu’on lui fit jouer : on voit bien dans Athénée (Les Deipnosophistes) l’oignon opter pour une posture aphrodisiaque, devenant pour le moins salace chez Martial qui écrit : « Bander, depuis longtemps ta queue ne le peut guère. Tu t’agites pourtant comme un fou pour le faire. Rien n’y fait : ni oignons excitants, ni roquette, ni même désormais l’obscène sarriette ». Moins rêche et plus subtil, accordons maintenant nos regards à ce « kamasutra arabe » qu’est ce manuel d’érotologie datant du XVe siècle, œuvre probable du cheikh Nefzaoui, Le Jardin parfumé (aka La Prairie parfumée ou s’ébattent les plaisirs) : il suggère une recette à base d’oignons susceptible de rendre « le sexe éveillé jusqu’au lendemain matin ». Loin des fastes chatoyants de l’Orient, l’oignon prit part aux cérémonies nuptiales en Europe : en Grèce, un pot d’oignons est parfois inscrit sur la dot, alors qu’en Bretagne, se déroulait encore il y a un siècle une coutume qui avait pour nom « la soupe aux mariés » dans laquelle « carottes et oignons prennent des formes phalliques pour bien marquer ce rituel de passage. De même l’assaisonnement avec du poivre et des épices doit relever les ardeurs du mari et même de la femme »6. En cela, il faut surtout discerner le fait que l’oignon est un nourriture symbolique de régénération qui tient avant tout à son odeur qui, bien que repoussante, provoque aussi « un sentiment de puissance vitale »7, sans doute en rapport avec une fragrance assez proche de celle de la semence humaine. C’est pourquoi, « des vertus aphrodisiaques lui sont […] prêtées, tant pour sa composition chimique que pour ses suggestions imaginatives »8. Enfin, pour que vous compreniez bien à quel point tout se situe au-dessous de la ceinture avec l’oignon, faisons ici même appel à une expression bien connue : « Occupe-toi de tes oignons », que quelques esprits chagrins et tatillons transcrivent en « occupe-toi de tes affaires », ce qui est une manière polie d’exprimer le fond de sa pensée. Que sont-ce donc que ces affaires ? Et à quoi donc fait référence le mot oignon dans cette expression ? Eh bien, il désigne l’anus. Par extension, se mêler de ses oignons, c’est donc exclusivement s’occuper de ses fesses (et non de celles du voisin) ^.^ (Insistons sur ce point : l’oignon est si ouvertement érotique qu’il y a deux ans une photographie d’oignons a été censurée par F*c*b**k en raison des formes généreuses qu’ils arboraient et que les algorithmes ont très certainement dû prendre pour des fesses ou des seins !)

Quelle que puisse être la vulgarité de ces derniers propos, il ne fait aucun doute que l’oignon possède grand rapport avec la fertilité et la fécondité dans un sens assez large. Par exemple, selon la mythologie grecque, Léto, mère d’Apollon et d’Artémis, déesse de la maternité et de l’enfance, avait l’oignon comme légume dédié. En Allemagne, dans les campagnes, l’oignon prenait part à un rituel divinatoire pour le moins curieux : « Les filles à marier qui désiraient connaître le nom de leur promis prenaient une petite botte d’oignons et inscrivaient sur chacun d’eux le nom d’un prétendant. La veille de Noël, elles les déposaient sur un autel, et celui qui germait [le premier] était le bon, à défaut d’être le préféré »9. Cette divination par l’oignon porte le nom de crommyomancie. Au-delà même de cette unique mancie, l’on vit souvent l’oignon devenir le support par le truchement duquel interpréter signes et présages, provoquant même des réponses aux interrogations des hommes, d’un point de vue météorologique tout d’abord, importance cruciale inscrite sous forme proverbiale : « Quand les oignons ont trois pelures, grande froidure ». Plus précisément : « Le nombre de peaux [trois, sept, c’est variable] dont s’entourent les oignons à la veille de la froidure renseigne sur ce qu’on peut attendre de l’hiver. Jamais un oignon ne s’est trompé »10. Après le froid, l’humide. Pour cela, il faut couper six oignons en deux : à chaque moitié l’on attribue un mois de l’année. Puis on dépose sur chacune d’elles une pincée de sel. Enfin, « de la quantité d’humidité amassée dans chaque moitié, on en déduisait le degré d’humidité du mois correspondant »11. C’était encore un oracle qui permettait de répondre à une interrogation médicale d’après Artémidor de Daldis (IIe siècle après J.-C.) qui expliquait qu’un oignon mangé en songe par un bien-portant est de mauvais augure, alors que consommé en grande quantité par un malade, c’est un indubitable signal de guérison. Et si, pour de vrai, l’on mange des oignons, c’est là un moyen assuré de rendre les songes obscures et tumultueux d’après Jean-Baptiste Porta, puisque ce légume engendre « des songes qui apparaissent sous la forme de fantômes étranges et turbulents, ténébreux et fâcheux »12. Et sa réputation de bhûtaghni, alors ? En effet, l’oignon porte le même nom sanskrit que le basilic tulasi puisque ces deux plantes sont censées détruire les esprits et les démons, ce qu’explique le sens de ce mot. De quoi se réjouir, non pas se lamenter comme on le faisait en Grèce où l’oignon passait assez souvent comme symbole de la tristesse. Dans Les Grenouilles d’Aristophane, après qu’Eaque ait corrigé Dionysos d’importance, il lui demande, moqueur, pourquoi il pleure. « Je hume des oignons », répond ce dernier. D’après le poète français Georges Mogin dit Norge (1898-1990), « si les oignons font pleurer, c’est à cause du respect humain. Dans l’ancien temps, explique-t-il, les oignons faisaient rire et chacun les respirait afin de trouver la gaieté. Un sage blâma ce rire dénué de fondement et les oignons en furent humiliés. Ils comprirent que les larmes seules sont tolérables sans motif »13, pseudo-évidence moralisatrice face à laquelle il faut obligatoirement regimber !

S’arrêter à la plus criante manifestation sans aller au-delà de ce principe fondamental qui fait larmoyer les yeux, ce serait faire bien peu de cas de l’oignon, en son fondement même, ce que n’ignora pas François Thomas en 1929 quand il prit la décision – après moult réflexions je suppose – de fonder la secte des adorateurs de l’oignon, écrivant dans un petit livre les propos suivants : « Si nous savions être de bons oignons, nous aurions la vie éternelle. Car enfin l’oignon est bien un bulbe dont on casse la tige pour l’empêcher de monter en graine. Et pourtant, cet eunuque, ce castrât mûrit et on le récolte. Et l’année suivante, il germe et rajeunit encore. Empêché d’avoir des enfants, l’oignon devient enfant lui-même. Il va vers la perfection »14. Râmakrishna allait plus loin encore, comparant « la structure feuilletée du bulbe, qui n’aboutit à aucun noyau, à la structure même de l’ego, que l’expérience spirituelle épluche couche après couche, jusqu’à la vacuité »15.

Si l’oignon avait été inconstance intangible pour le médecin, on ne serait pas allés bien loin à ce sujet. Après qu’on ait pu constater que l’oignon faisait pleurer – « Ce bulbe, si nuisible à la vue, donne à l’ouïe plus de finesse », précisait Serenus Sammonicus16 –, prêtons l’oreille à cette seconde évidence : il fait également pisser. Et l’on trouve trace de cette aptitude de l’oignon à l’inondation depuis au moins le temps de Pline et de Dioscoride, qui, après être passée entre les mains de Platine de Crémone et de Jean-Baptiste Chomel, se vérifie encore de nos jours. Favorable au bon fonctionnement des reins et de la vessie, l’oignon fait donc perdre les eaux par le biais d’un usage exclusivement cru (hydropisie, ascite, œdème des membres inférieurs, épanchement péricardique, etc.). Il semble encore avoir une influence sur d’autres types de fluides, à en croire Chomel : « Les oignons seuls, cuits sous la cendre et écrasés, appliqués ensuite comme un emplâtre sur la région de la matrice, après un accouchement laborieux, ont fait vider une matière purulente et les restes de l’arrière-faix »17. Dès que ça suinte ou dégouline, ou bien qu’il faut activer le cours de certains liquides organiques (urine, salive, larmes), l’oignon se montre sous un jour favorable, comme on peut encore le constater à travers cette indication notée par Macer Floridus : « Aspiré par les narines, [le suc d’oignon] en fait écouler les mauvaises humeurs »18. J’en frémis d’avance ! En revanche, plutôt que de s’injecter du suc d’oignon dans le pif, on peut – et c’est de loin préférable – utiliser cet engin qu’on appelle un Rhino Horn, dans lequel on place de l’eau additionnée d’un peu de suc d’oignon si l’on veut – une lichette, pas davantage (ça fonctionne aussi très bien avec du vinaigre de cidre, du jus de citron, du sel marin, de l’eau pure également). Le même auteur, après avoir comme à son habitude ratissé ce qu’il raconte chez Dioscoride, Galien et d’autres, donnant lieu à bien des redites et des bis repetita, s’accorde, se désaccorde, tant et si bien qu’on ne sait plus trop à quelle musique il faut se fier, tant le fatras d’informations compilées au kilomètre qu’il réserve au chapitre 33 de son De viribus herbarum est particulièrement indigeste. Il en ressort néanmoins les faits suivants : l’oignon possède une activité indéniable sur la sphère gastro-intestinale. C’est un topique intervenant sur bien des maux (plaie, blessure, morsure, écorchure, etc.). Il endigue les douleurs auriculaires, oculaires, dentaires et buccales, remédie à la mauvaise haleine (!) et à l’extinction de voix, fait repousser les cheveux (comme l’on peut également voir du côté de l’école de Salerne et de la médecine arabe qui font de l’oignon, additionné de sel et de poivre, une pâte capillaire). Du point de vue de Hildegarde de Bingen, l’oignon ne doit pas être consommé cru (à quoi ressemblaient les oignons du XIIe siècle ?), car « il est dangereux et vénéneux », bien meilleur cuit car la cuisson détruit ce qu’il y a de « nocif » en lui. Elle en fait un remède des états fébriles, de la goutte (comme on faisait par ailleurs, en Sibérie par exemple : les guérisseurs sibériens employaient l’oignon pour soigner et guérir les hémorroïdes et l’arthrite). Intelligemment, Hildegarde en contre-indiquait l’utilisation chez les personnes dont l’estomac est souffrant.

La chose la plus curieuse que j’ai dénichée au sujet des propriétés thérapeutiques de l’oignon est celle qu’il déploierait face à la « peste », les médecins arabes du Moyen âge lui faisant assurer la fonction d’antidote et de protecteur face à cette maladie. Pas sûr que de suspendre des chapelets d’oignons aux portes des habitations suffise à mettre en fuite celle que j’ai volontairement placée entre guillemets. A ce propos, Chomel y alla aussi de sa ritournelle : pour combattre la peste, il faut placer au four des oignons farcis de thériaque. Puis l’on en administre le suc aux « pestiférés » que l’on couvre ensuite chaudement pour favoriser chez eux la sudation. Dans le même temps, on applique « un pareil oignon écrasé sur le bubon pestilentiel »19.

L’oignon est une plante bisannuelle dite géophyte, c’est-à-dire que ses bourgeons sont enfouis dans la terre, lieu du développement de ce que l’on désigne improprement par le terme de bulbe, qui n’est autre que le renflement souterrain de la tige de cette plante, base épaissie des feuilles qui se recouvrent les unes les autres, écailles charnues auxquelles on donne le nom de tunique pour montrer à quel point l’oignon est bien habillé, et à bien différencier des radicules formant une couronne échevelée, qui sont les véritables racines blanches, fines et fibreuses. Les feuilles nues, fistuleuses, sillonnées de nervures parallèles, sont tubulaires et creuses, autant que la hampe florale qui permet à la plante d’atteindre une hauteur de 100 à 120 cm quand elle est surmontée de ce pompon – ombelle globuleuse à nombreux rayons portant chacun des petites fleurs blanches, verdâtres ou pourpre rougeâtre à symétrie trimère : de juin à juillet, elles font voir trois sépales, trois pétales et six étamines. L’oignon fait oublier qu’il produit des fruits constitués de capsules à trois loges remplies de semences noirâtres presque rondes qui ne donnent pas exactement raison aux adorateurs de l’oignon (comme l’on s’en doute, chaque génération d’oignons ne naît pas de rien : compulser les catalogues des grainetiers permet de s’en assurer).

L’oignon en phytothérapie

Je vous ferai ici grâce des anecdotes auxquelles on ne prête jamais attention sur la question de l’huile essentielle d’oignon. Vous saviez que cela existait ? Vous en serviriez-vous maintenant que vous connaissez l’existence de la chose ? De toute façon, inutile d’insister, je n’en parlerai pas, car c’est presque infamant – surtout pour l’oignon (et que dire de l’ail ?) – de le réduire uniquement à sa portion la plus congrue. S’il a des liens avec le lis, c’est par son appartenance à la même famille, celle des Liliacées, non pas pour une in-subtile question d’aromathérapie qui pique les yeux, à l’instar de l’huile essentielle d’oignon. Non, ici même nous allons strictement nous préoccuper du totum, et vous verrez que c’est déjà très bien. Décortiquons donc l’oignon, dévoilons un peu ce qu’il dissimule sous ses tuniques d’alicament.

La phytothérapie s’intéresse exclusivement à ce qui se trouve entre les racines et radicelles et les feuilles que nous ne voyons jamais garnir l’oignon classique, le brun bistre, hormis dans ces bottes de petits oignons blancs frais à certaines périodes de l’année. L’oignon, qui est le nom de la plante, est aussi celui de ce que, improprement, l’on appelle un bulbe, n’étant en réalité pas autre chose que le renflement de la tige de la plante à sa base (comme chez le fenouil). Quand on utilise cent fois l’oignon, c’est à peine si l’on fait de même une fois de chaque de son feuillage, de ses jeunes radicelles ou encore de ses pelures incomestibles. Bon, ne nous attardons pas sur ce genre de considération. Si l’on se concentre uniquement sur l’oignon « bulbe », c’est qu’il a su faire montre de ses nombreux pouvoirs depuis des lustres.

Comment accepter, tout d’abord, que cette masse ovoïde plus ou moins ronde et relativement dure soit composée de pas loin de 85 % d’eau ? C’est pourtant bel et bien le cas. S’y ajoutent 13 à 14 % de glucides (dont 10 à 11 % de sucres incristallisables – des polysaccharides comme l’inuline – mais pas d’amidon), peu de matières azotées (1,60 %) et de lipides (0,10 %). Un peu de cire s’allie à du mucilage et de la gomme, des flavonoïdes (quercétine) côtoient des dérivés polyphénoliques et des stérols.

Quand on tranche un oignon, outre qu’on peut ouvrir la voie aux canaux lacrymaux, on voit sourdre un suc dont divers acides (acétique, phosphorique, etc.) sont responsables de l’acidité. Rosissant quelque peu à l’air libre, ce suc est susceptible de se convertir en vinaigre par fermentation.

Facteur de santé et de longévité, l’oignon est un aliment revitalisant et minéralisant, apportant du sodium, du potassium, de la silice, de l’iode, du fer, du soufre, du cuivre et du magnésium. La Bulgarie, grande consommatrice d’oignons, compte de nombreux centenaires parmi sa population. Ceux-ci peuvent tabler sur les vitamines qu’il contient (A, B1, B2, C), même si bien peu doivent savoir que l’oignon, légèrement acide (pH 6,50), est un excellent antioxydant (rH2 : 12). Peu importe, de manière empirique, les bienfaits de l’oignon se sont propagés à eux.

Terminons-en là avec cette substance qui nous arrache des larmes, en particulier lorsque nous pelons un de ces gros oignons jaunes et forts : une essence aromatique est, bien entendu, responsable de ce méfait. Bien que présente en faible quantité (0,015 %), la forte proportion de composés soufrés dont elle est composée lui accorde une sulfureuse odeur particulièrement piquante, irritante, mais aussi lacrymogène. Cette odeur évolue selon que l’oignon est frais ou non. Dans ce cas, ce sont des alkysulfonates qui sont à l’origine de son odeur. Mais une fois cuit, il s’agit de disulfures (d’allyle, de propyle et de propényle). Si on vient à le frire, son odeur change encore, des diméthylthéophènes apparaissant par le biais de ce mode de préparation.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux (antibiotique sur le staphylocoque), antiseptique externe
  • Apéritif, digestif, carminatif, antifermentaire intestinal, vermifuge20
  • Stimulant hépatique et pancréatique, hypoglycémiant, antidiabétique21, hypocholestérolémiant
  • Stimulant circulatoire, anti-thrombotique, anti-scléreux
  • Stimulant rénal, diurétique, éliminateur de l’urée et des chlorures22
  • Expectorant*, pectoral*, anticatarrhal bronchique
  • Antirhumatismal, antalgique, anti-inflammatoire
  • Détersif, résolutif, cicatrisant, adoucissant*, émollient*, maturatif des abcès
  • Stimulant du système nerveux, hypnotique léger, somnifère
  • Stimulant général
  • Aphrodisiaque (propriété souvent citée bien qu’on n’en ait pas la preuve scientifique)
  • Insectifuge
  • Antiscorbutique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, diarrhée, constipation, flatulence, colite infectieuse, fermentation intestinale, irritation intestinale, digestion pénible, hypochlorhydrie, vers intestinaux (oxyures), lithiase biliaire
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : oligurie, azotémie, chlorurémie, albuminurie, infection génito-urinaire, ischurie, rétention urinaire atonique, urémie, rhumatisme, arthritisme
  • Rétentions liquidiennes anormales : anasarque, hydropisie, œdème, ascite, cirrhose ascitique, pleurésie, péricardite, épanchement
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : rhume, toux, toux rebelle, coqueluche, catarrhe bronchique aigu et chronique, asthme, bronchite, angine, enrouement, pharyngite, laryngite, grippe, sinusite, surdité (cophose), bruissements et bourdonnements d’oreilles
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension artérielle, artériosclérose, prévention des thromboses, congestion cérébrale, adénite
  • Affections bucco-dentaires : névralgie dentaire, aphte, stomatite, ulcération de la muqueuse buccale
  • Affections cutanées : abcès, panaris, furoncle, clou, verrue, cor, plaie, ulcère, écorchure, crevasse, engelure, brûlure, hématome, tuméfaction, piqûre d’insecte (abeille, guêpe), morsure (chat, chien, araignée), taches de rousseur, tache de vieillesse
  • Asthénie, fatigue générale, surmenage, croissance, rachitisme, prévention de la sénescence
  • Affections scorbutiques
  • Troubles de la sphère génitale masculine : prostatisme, impuissance
  • Repousse capillaire
  • Diabète léger

Modes d’emploi

Les oignons cultivés dans le sud de la France sont doux et sucrés. Ils se prêtent mieux à un usage alimentaire, tandis que les septentrionaux, généralement plus âcres, se réservent davantage aux pratiques thérapeutiques. L’oignon cru comme cuit offre bien des services. Cru, il peut entrer dans un rite de consommation quotidien, à l’instar de l’ail. Faiblement cuit, il possède encore quelques aptitudes médicinales (marquées d’un astérisque dans le paragraphe « propriétés thérapeutiques »), mais au-delà plus du tout (ou presque), donnant alors accès à des avantages très minoritaires que nous recenserons pour autant dans la liste ci-dessous.

  • Vin diurétique n° 1 : 500 g d’oignon cru finement haché dans un litre de vin blanc. On peut exprimer le suc des oignons, le filtrer et le mêler au vin blanc.
  • Vin d’oignon n° 2 : 300 g de pulpe d’oignon, 100 g de miel bien liquide, 600 g de vin blanc sec.
  • Décoction d’oignon (avec ou sans ses pelures) : 180 g d’oignon dans un litre d’eau miellée (il est préférable d’ajouter le miel après coup). On peut effectuer une décoction des seules pelures (une bonne poignée pour un litre d’eau) durant dix minutes.
  • Macération aqueuse : hachez un oignon, placez-le dans un quart de litre d’eau chaude pendant quatre à huit heures. Après filtrage, à boire à jeun, le matin, avec un peu de jus de citron.
  • Alcoolature : un poids d’alcool à 90° pour le même poids d’oignon cru tranché en macération pendant dix jours.
  • Sirop d’oignon : tranchez une douzaine d’oignons blancs finement. Placez-les dans un mélange d’eau (un litre) et de sucre (500 g), et faites bouillir jusqu’à obtenir une consistance sirupeuse.
  • Bouillon d’oignon : il s’agit tout simplement d’un bouillon aux herbes auquel on ajoute, au moment de la prise, trois à quatre cuillères à café d’oignon cru finement haché.
  • Suc frais mêlé à du vin blanc ou à de l’eau miellée en interne ; suc appliqué en compresse (en le plaçant sur un coton par exemple), en « frottement » (friction) d’appoint (sur piqûre d’insecte, en cas de céphalée, etc.), en instillation dans l’oreille (à diluer, mais en général mieux vaut éviter de faire pénétrer quoi que ce soit dans les oreilles).
  • Cataplasme : pilé et cru, ou bien légèrement cuit (pour en façonner un cataplasme tiède), on peut encore le mêler, dans un cas comme dans l’autre, à un corps gras pour former un liniment.

La liste est longue. Mentionnons quelques modus operandi qui sortent de l’ordinaire : la pellicule qui sépare deux tuniques, voile diaphane, peut s’appliquer seule sur les plaies en guise de pansement antiseptique, que l’on disposera avec la même grâce dont fait preuve un doreur avec ses feuilles d’or de quelques micromètres d’épaisseur. Coupez un oignon en deux, placez-le près de la table de chevet. Ses émanations sont, dit-on, capables d’apaiser les « crises de nerfs », d’éloigner les moustiques et, comme je l’ai récemment appris, d’« aspirer » les virus ambiants durant la nuit. Bhûtaghni, je vous ai dit.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : lorsque jaunissent les feuilles, c’est-à-dire dès le mois d’août, l’on peut arracher les oignons puis les faire sécher au soleil pendant deux bonnes semaines ou bien les entreposer au grenier sur une couche de paille pour ce faire.
  • En cuisine, l’oignon est particulièrement connu pour les usages culinaires multiples qu’on en fait depuis fort longtemps. Impossible de tout recenser, une encyclopédie n’y suffirait très certainement pas. Bien plus que l’ail, il est un ingrédient indispensable de bien des cuisines en France, en Italie, en Allemagne, au Maghreb, en Inde, en Chine, etc. Les recettes dans lesquelles il entre en composition sont innombrables, mais l’on peut retenir ici quelques grands classiques comme la soupe à l’oignon (après bamboche bien arrosée), la tarte du même nom et le confit, dont la douceur n’a d’égal que la suave onctuosité. Son alliance harmonieuse avec le clou de girofle le fait utiliser dans bien des marinades, de même qu’avec d’autres épices, participant, en Inde, à certaines formules de curry, ou à cette recette médiévale qu’est le saupiquet (contraction de « sauce piquante »), préparation épaisse et chaude des épices qu’elle contient en nombre. Au choix, l’on voit figurer l’oignon dans la soupe à la tomate, les aubergines à l’athénienne ou encore les petits pois à la française. Les petits oignons blancs, compagnons de barbotage des cornichons rigolos, se prêtent très facilement à la conservation au vinaigre : bien que tout petits, vous pouvez les y laisser nager seuls. Pour cela, vous en bourrez un bocal propre jusqu’à ras-bord, vous couvrez de vinaigre de cidre, puis vous fermez bien hermétiquement le couvercle. Selon la grosseur des oignons, il faut attendre deux à quatre mois avant consommation. Dernier point : les oignons blancs vendus en botte ont l’avantage d’avoir des feuilles comestibles. Il serait donc dommage de les jeter d’autant qu’elles se préparent aussi bien crues que cuites.
  • Si vous êtes un gros consommateur d’oignon frais, il est possible que votre peau s’imprègne de son odeur, de même que votre haleine. Dans ce dernier cas, on peut la délivrer de ce parfum en mâchant une pomme, un brin de persil ou encore en croquant quelques grains de café. Une goutte d’huile essentielle de menthe poivrée peut aussi faire l’affaire.
  • Arts domestiques : confinant à la pharmacie et à la cuisine, il aurait été étonnant que l’oignon ne fasse pas parler de lui au chapitre des trucs et astuces pour la maison. Et, là encore, il y a pléthore de choses à raconter, et cela grâce à un bête oignon coupé en deux dont on n’imagine pas la polyvalence : préserver de la rouille des objets en métal, nettoyer les vitres et les miroirs, redonner de l’éclat à du cuir vernis, lustrer les boutons de porte, « faire les cuivres », nettoyer l’argenterie (y compris celle qui n’est pas en argent !), s’essayer à l’art de la teinture (avec les pelures des oignons jaunes et rouges), etc. Et si tout cela vous ennuie, vous pouvez toujours vous amuser à rédiger des messages secrets en les écrivant avec du suc d’oignon, encre sympathique bon marché.
  • Toxicité : à l’état de « bulbe », l’oignon peut être consommé par la plupart des estomacs. Cependant, on l’évitera dans les cas que nous allons maintenant lister : au niveau gastro-intestinal surtout, l’oignon désoblige l’estomac délicat, dyspeptique, affecté d’hyperacidité, c’est-à-dire d’hyperchlorhydrie (en effet, le suc d’oignon augmente l’acidité de l’estomac ; il est en revanche fort utile dans le cas contraire – l’hypochlorhydrie – et son corollaire, le pyrosis). Pouvant provoquer des vomissements, l’oignon peut aussi être à l’origine de pesanteurs digestives, d’éructation. On veillera, encore, à faire un usage attentionné de l’oignon en cas de pathologies hémorragiques et dartreuses, ainsi que dans la plupart des affections caractérisées par un état inflammatoire (l’ascite inflammatoire, par exemple). Enfin, les nerveux et les personnes irritables en feront un usage mesuré.
  • Autres espèces : – le poireau (Allium porrum) ; – l’ail (Allium sativum) ; – l’échalote (Allium ascalonicum) ; – la ciboule ou cive (Allium fistulosum) ; – l’oignon de Sibérie (Allium sibiricum) ; – l’oignon de Chine (Allium macrostemon) : c’est le Xie Bai de la médecine traditionnelle chinoise.
  • Variétés : l’oignon est effectivement variable en tailles, formes et couleurs, marquant chaque territoire conquis d’une spécificité propre. Ainsi a-t-on affaire à de petits oignons pas plus gros que l’ongle de l’auriculaire et d’autres plus volumineux qu’une tête humaine ! Ils se déclinent en sphériques bien ronds, en aplatis, en piriformes ou en allongés comme l’on voit certaines échalotes. En terme de couleurs, un éventail chromatique balaie le spectre du blanc le plus immaculé à un rouge pourpre violacé si foncé qu’il pourrait passer pour noir. Voici de quelles couleurs se compose cette palette : blanc nacré, jaune paille, jaune cuivre, chamois, jaune brun, rose, saumon, incarnat, rouge violacé. Quelques noms de variétés pour en terminer là (peut-être pas les plus connues et courantes, simplement celles dont j’ai croisées la route au fur et à mesure de mes recherches) : Rayolle des Cévennes (jaune cuivré), Valencia (brun doré), Red Stockton (rouge), Pâle de Niort (rouge), De Mazères (rose cuivré), Walla Walla (brun doré), Sturon (jaune cuivré), blanc de Tournon (cette ville d’Ardèche est l’une des capitales de l’oignon), rose de Toulouges (Pyrénées-Orientales), Barletta (blanc).
  • Un oignon, c’est encore une montre à gousset, une manière argotique de désigner l’argent, enfin cette déformation du pied qu’on appelle hallux valgus.

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  1. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 70.
  2. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 44.
  3. Nombres, XI, 5-6.
  4. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 98.
  5. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 421.
  6. Christophe Auray, Remèdes traditionnels de paysans, p. 32.
  7. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 695.
  8. Ibidem.
  9. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 425.
  10. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 185.
  11. Nadine Cretin, Fête des fous, Saint-Jean et belles de mai, p. 304.
  12. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 200.
  13. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, pp. 416-417.
  14. Ibidem, p. 426.
  15. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 694.
  16. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 21.
  17. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, pp. 180-181.
  18. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 124.
  19. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 181.
  20. « La meilleure preuve de sa puissance médicinale, c’est qu’il est bon vermifuge, et qui dit médicament vermifuge, dit toujours qualités thérapeutiques précieuses. » (P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 144).
  21. En 1923, on a découvert que l’oignon contenait une forme d’insuline végétale hypoglycémiante, la glucokinine. Elle provoque une baisse du taux de sucre dans le sang. Si son action est plus longue à se manifester, elle est surtout plus durable dans le temps que l’insuline.
  22. Si la cellule est trop endommagée (cirrhose avancée, cancer du foie…), espérer qu’une cure d’oignons vienne chasser les chlorures excédentaires tient tout juste du fantasme.

© Books of Dante – 2022