Synonymes : boucage, boucage saxifrage, petite pimprenelle pour le petit ; pied-de-chèvre, faux saxifrage, boucage à grandes feuilles, boucage à feuilles de berle, grande pimprenelle pour le grand ; pimprenelle blanche, persil de bouc, bouquetine en commun.
Avant de nous aventurer au sein de méandres où notre frêle esquif aura toutes les chances de s’embourber, débutons bien plutôt cet article par ce qui nous apparaît de plus certain : si l’on en croit Fournier, petit et grand boucages « n’existant pas en Grèce, les anciens ne les ont pas mentionnés [nda : attention, attention, les « Anciens » ne peuvent et ne doivent, en aucun cas, être réduits à la seule Grèce !]. On ne sait pas par ailleurs, continue-t-il, s’ils ont connu les boucages méditerranéens qui, eux, n’y sont pas rares » (1). On pense, en l’occurrence, au boucage rupestre, autrement dit (en latin), Pimpinella tragium. « Rappelons que le nom de Pimpinella a été retenu par les botanistes pour désigner les boucages, dans les textes latins le mot pimpinella désigne les différentes espèces de pimprenelles », précise Guy Ducourthial (2). C’est donc plus postérieurement qu’on a attribué aux différents boucages le nom générique de pimpinella qui apparaît fort parlant, au regard d’une certaine caractéristique de ces plantes : la racine forte et âcre peut évoquer la morsure du poivre, piper en latin, que d’aucuns pensent retrouver dans le mot pimpinella. Autre chose : si l’on explique que le mot tragium, tiré du grec tragion, fait référence à cet animal qu’on appelle le bouc (tragos), on y voit un peu plus clair : les boucages dégagent une forte odeur. Dans l’œuvre de Dioscoride, l’on croise deux plantes, le Tragion et le Tragos (Materia medica, Livre IV, chapitres 40 et 41), qu’il serait bien tentant d’associer à nos plantes à odeur de bouc que sont les boucages. Mais je sens qu’on s’égare sur cette question. Il y a peu de chance pour que ces tragion et tragos aient un quelconque rapport avec nos boucages, petit et grand. Les choses se compliquent encore davantage lorsqu’on compulse quelques traités d’astrologie botanique dans lesquels on décèle la trace d’un tragion. C’est le cas d’un manuscrit grec qui expose les fabuleuses capacités de ce tragion que, bien entendu, l’on a voulu raccorder à un autre boucage que le petit et le grand, c’est-à-dire celui dont on a déjà parlé, Pimpinella tragium, le plus puant de tous si l’on en croit l’adjectif tragium (cela ne signifie pas pour autant que les autres sentent la rose, loin de là…) : « le tragion avait la réputation d’émettre une odeur forte et repoussante, proche de celle du bouc, à la fin de l’automne. L’observation de cette particularité avait conduit à donner à la plante la réputation de faire fuir ceux qui s’en approchaient. L’imaginaire collectif avait suffisamment amplifié cette réputation pour que l’on ait fini par croire que la plante possédait un pouvoir général de protection dont pouvait bénéficier ceux qui la portaient sur eux : ils n’avaient rien à craindre des animaux dangereux, ni même des lions qui symbolisent […] les plus redoutables d’entre eux et sans doute aussi tous les dangers de quelque nature qu’ils soient » (3). Mettre les mots bouc et astrologie dans le même panier devait nécessairement conduire à évoquer une des constellations du zodiaque, celle du Capricorne. S’il n’est pas évident de savoir si le tragion astrologique est bien plante de cette constellation, il est en revanche tout à fait possible de passer au crible les boucages afin de vérifier si eux le sont bien. Si tel est le cas, le boucage serait non seulement une plante « capricornienne », mais aussi saturnienne, puisque Saturne gouverne les natifs du Capricorne (22 décembre – 20 janvier). En tant que planète, Saturne joue « un rôle calcifiant, durcissant, coagulant. Elle rigidifie et participe aux processus de scléroses, d’obstructions, de fabrication de pierres » (4). Bien. En ce cas, il est nécessaire que les boucages soient des plantes aux vertus lithontriptiques, autrement dit antilithiasiques, ce qu’on a parfois dit d’elles, bien que cela ait été très souvent battu en brèche, en particulier au XIX ème siècle comme l’attestent ces deux extraits :
* « On a exagéré ses vertus au point de lui attribuer le pouvoir de dissoudre les calculs » (5).
* C’est une plante « dont la racine, allongée, blanche, d’odeur de bouc, de saveur âcre et aromatique, a été regardée, bien à tort, comme pouvant dissoudre les calculs » (6).
Bon, voilà qui n’arrange pas nos affaires. En revanche, sur la question des durcissements et des affections osseuses, telles que rhumatisme articulaire et arthrite, l’on est un peu plus proche de la réalité, ce terrain, propre au Capricorne, pouvant, en partie, intéresser les boucages. Saturne, qui se caractérise aussi par des insuffisances d’élimination, permet aux boucages de briller d’un point de vue phytothérapeutique, puisqu’ils sont considérés comme des plantes évacuantes. C’est pourquoi le Capricorne a besoin de plantes dépuratives pour s’affranchir d’affections comme les rhumatismes, la goutte, ce en quoi les boucages réussissent bien. Il n’a pas le choix, le Capricorne, il est assujetti à cette unique planète, contrairement au Verseau qui dépend à la fois de Saturne et d’Uranus. Dernier point que l’on peut évoquer pour souligner, une fois de plus, les propriétés évacuantes des boucages, leur implication dans ces phénomènes de restriction propre à Saturne. Les plantes liées à cette planète agissent généralement sur les flux intestinaux en luttant, par exemple, contre la constipation, correspondant à une solidification et à une densification, tout le contraire des boucages qui interviennent sur les mouvements inverses que sont les diarrhées et autres catarrhes intestinaux. En définitive, l’on ne peut pas affirmer que les boucages soient des plantes maîtresses de la constellation du Capricorne. Mais cela n’empêchera en rien qu’on prête à ces plantes un intérêt certain, en particulier à partir du XVI ème siècle : de cette époque date un engouement (sans pareille mesure depuis) pour les boucages. Fournier écrit qu’on « leur attribue tant de si puissantes vertus qu’on en ferait tout un volume » (7) dans lequel on ferait entrer ces plantes comme remède du choléra et de la peste entre autres. Ce qui paraît être une exagération parmi tant d’autres, en Allemagne les boucages intervenant d’un point de vue magique pour lutter contre ces épidémies. Tout ceci est bien compréhensible et rappelle l’obsession des Anciens de l’Antiquité gréco-romaine face aux bêtes venimeuses, qu’elles soient serpent, scorpion ou encore araignée phalange. Au Moyen-Âge et même après, l’épidémie « miasmatique » est ce que l’on redoute sans doute le plus. Il est donc aisé de comprendre que l’homme se soit adressé à une foule de végétaux dans l’espoir d’y découvrir la plante qui viendrait alors à son secours. Et cette attitude n’est pas propre qu’à ces anciens temps, de nos jours on fait encore de même : avant que le taxol de l’if réponde favorablement face à certains types de leucémie, plus de 35000 substances végétales furent testées… Autre chose concernant les boucages mériterait de l’être : « Schroeder et Bossechius l’ont préconisée comme sudorifique et comme propre à expulser les restes du mercure répandus dans les humeurs après un traitement anti-vénérien. Cette propriété n’a pas été suffisamment confirmée par l’expérience », concluait Cazin dans les années 1850 (8). Si jamais les boucages sont des plantes chélatrices des métaux lourds, cela vaudrait quand même la peine que ça se sache, non ?
Un petit, un grand, deux boucages. La moitié d’un mètre pour l’un, le mètre entier pour l’autre. Cela est le premier critère distinctif de ces deux plantes vivaces, assez fréquentes à largement répandues en France, de la plaine à une altitude maximale de 2000-2300 m, principalement sur des sols non acides tels que coteaux, pâturages, lisières de bois et de forêts, bordures de chemins, pelouses, rocailles, haies, à la différence que le petit boucage marque une préférence pour les lieux secs, humides pour le grand.
Outre cette dissemblance de gabarit, l’on peut facilement distinguer ces deux boucages par leurs tiges : le grand les a glabres, creuses, profondément sillonnées, alors que celles du petit boucage sont poilues dans leur partie inférieure, pleines, peu profondément sillonnées. Sur ces tiges, l’on trouve des feuilles de deux natures :
– Les inférieures, plus grandes, plus ou moins longuement pétiolées, composées de folioles en nombre impair (sept, neuf…).
– Les supérieures, petites, souvent trifoliées, parfois réduites à l’état du seul pétiole.
Chez l’un ou l’autre boucage, les fleurs sont réunies en ombelles peu rayonnantes (6 à 15 chez le grand boucage, 10 à 12 chez le petit). Généralement blanches, ces fleurs peuvent piquer un fard léger, ou carrément jaunir (comme c’est le cas du petit boucage). Honorant l’été et une bonne partie de l’automne, ces bouquets fleuris déploient des couronnes de petits fruits oblongues et côtelés, peu ridés, de quelques millimètres de longueur.
Les boucages en phytothérapie
Ce qui ressort majoritairement de l’ensemble des pratiques qui ont concerné les boucages jusqu’à ce jour, c’est que la phytothérapie n’a considéré comme seule matière médicale que la seule racine de ces deux plantes. « Principalement » serait plus juste, puisque les semences entrèrent quelquefois dans la composition de remèdes. A peu de choses près, les propriétés et usages de nos deux boucages se valent, caractéristique que l’on doit à des constituants biochimiques quasiment identiques. Présentons-les : de la résine, du tanin, de l’amidon, du mucilage, une saponine, des matières de nature pectique, etc. De plus, « cette racine possède en même temps une saveur âcre, brûlante, qui peut être à l’origine de son nom pimpinella. (Au Moyen-Âge, pibinella, pour pipernella, de piper, « poivre »). Odeur et saveur s’atténuent graduellement par la dessiccation » (9). Ces quelques mots de Fournier sont bien utiles : la racine des boucages, venant à sécher, perd de son parfum dont le responsable n’est autre qu’une essence aromatique (0,3 à 0,5 %) de couleur jaune d’or chez le petit boucage, contrairement au grand qui « contient une huile essentielle très forte, de couleur bleue », explique Cazin, ajoutant que, selon lui, la substance qui donne sa couleur à cette essence est aussi cause de l’âcreté de la racine du grand boucage, de même que cette coumarine du nom de pimpinelline qui apporte son amertume aux parties aériennes des deux boucages. Ce bleu se retrouve encore dans un autre boucage, Pimpinella nigra, comme le raconte Fournier : « la racine fraîche bleuit à l’air lorsqu’on la coupe (comme certains champignons) et certains fabricants de liqueur ont utilisé cette propriété pour donner à leurs produits une belle teinte bleue » (10). C’est, ma foi, fort intéressant et aussi très intrigant…
Propriétés thérapeutiques
- Stimulants, toniques
- Apéritifs, stomachiques, cholagogues, vermifuges légers
- Diurétiques, dépuratifs, sudorifiques = « évacuants »
- Expectorants, pectoraux
- Vulnéraires, détersifs
- Antispasmodiques
- Emménagogues
- Fébrifuges (?)
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère respiratoire : maux de gorge, angine atonique, infection de la gorge, toux, pharyngite, enrouement, trachéite, bronchite, catarrhe pulmonaire bronchique
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion difficile, diarrhée, crampe d’estomac, pyrosis, catarrhe intestinal
- Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, lithiase vésicale, lithiase rénale, irritation rénale, hydropisie, rhumatismes, goutte
- Troubles de la sphère hépatobiliaire : engorgement hépatique, lithiase biliaire
- Affections bucco-dentaires : stomatite, maux de dents
- Règles douloureuses
Usages homéopathiques : ils concernent exclusivement des affections touchant la tête à partir du cou : douleurs de la nuque et des vertèbres supérieures, torticolis, acouphènes, saignement de nez, maux de tête…
Modes d’emploi
- Infusion de racine fraîche.
- Décoction de racine fraîche (pour lotion, gargarisme, bain de bouche, bain d’yeux).
- Décoction de semences.
- Poudre de racine sèche.
- Teinture-mère de racine.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Boucages = Apiacées = coumarines = phototoxicité. Je pense que c’est clair ainsi, non ?
- Récolte : les semences à maturité parfaite (fin septembre – début octobre, par là). Les racines se déchaussent au printemps mais généralement c’est à l’automne qu’on se livre à la récolte des racines de boucage, petit ou grand.
- Alimentation : ce sont surtout les feuilles récoltées à l’état jeune (au mois de mai) que l’on utilise à travers une pratique culinaire : on peut les incorporer à diverses préparations : salades, soupes, sauces, beurre d’herbes, etc.
- Autres espèces : le boucage rupestre (P. tragium), le boucage voyageur (P. perigrina), le boucage noir (P. nigra), l’anis (eh oui ! P. anisum), etc.
_______________
1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 171.
2. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 579.
3. Ibidem, p. 451.
4. Sylvie Chermet-Carroy, L’astrologie médicale, p. 110.
5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 190-191.
6. M. Reclu, Manuel de l’herboriste, pp. 71-72.
7. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 171.
8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 190-191.
9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 171.
10. Ibidem.
© Books of Dante – 2018