L’agastache anisée (Agastache foeniculum)

Un peu d’aromathérapie (ça faisait longtemps ^.^) pour ce 700e article (si, si !)

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : hysope anisée, fenouil géant, agastache réglisse, agastache fenouil.

Parce qu’originaire d’Amérique du Nord (grandes plaines et grands lacs des États-Unis – Wisconsin, Illinois, Iowa, Dakota, Minnesota, Colorado – et du Canada – Alberta et Ontario), il n’est pas très difficile d’imaginer l’agastache anisée comme faisant partie de la pharmacopée amérindienne. A ce titre, j’ai déniché de nombreuses informations que je vais vous dévoiler ci-après, en m’efforçant de dépasser le stade des quelques lignes toutes semblables que l’on répète ici et là à l’infini dès lors qu’il s’agit d’aborder l’agastache sous ce rapport. Ce qui revient fréquemment dans la littérature ethnobotanique amérindienne, c’est l’emploi de cette agastache pour ouvrir l’appétit juste avant la prise des repas : pour ce faire, on absorbe une infusion chaude de cette plante (Lakota, Dakota, Pawnee, Ponca, Winnebago). Perçue comme une plante réchauffante, l’agastache anisée était aussi conviée au cours des refroidissements (Chippewa) et des rhumes (Cheyenne), et à toutes les occasions de douleurs pectorales consécutives à la toux et à la suite d’une affection bronchique qui amène l’organisme a beaucoup expectorer et/ou, dans certains cas, à cracher du sang (Cree). De plus, comme elle est aussi fébrifuge, elle active la transpiration, facilitant le retour à la santé par une abondante sudation. Les Cheyennes avaient, semble-t-il, repéré la valeur cardiotonique de cette plante, puisqu’ils l’invitaient au sein de leurs remèdes en cas de faiblesse cardiaque et de troubles suggérant une fatigue du cœur. Parce que l’agastache anisée améliore les infusions comme le thé, elle était ajoutée pour sophistiquer la saveur des tisanes de confort, pour lesquelles elle entrait souvent pour elle-même (Lakota, Dakota, Pawnee, Ponca, Winnebago). En outre, comme elle fut plébiscitée pour ses qualités aromatiques et gustatives, on en fit un large usage condimentaire en cuisine. Habituellement réduite à l’infusion de ses feuilles, l’agastache était usitée selon d’autres modes opératoires par les Amérindiens : infusion de racines, cataplasme simple ou composé, poudre de feuilles, etc. Les Chippewa eurent beau classer l’agastache anisée parmi les charmes magiques, l’on remarque peu de diffusion des savoirs amérindiens auprès de la pharmacopée officielle des États-Unis en ce qui concerne cette plante. En vérité, son destin se décida de l’autre côté de l’océan Atlantique : par exemple, on dit que ce sont des apiculteurs européens qui l’importèrent sur le Vieux Continent, en raison de son caractère puissamment mellifère. On cloisonna donc cette plante dans ce domaine et dans d’autres rôles non expressément médicinaux, ce que facilitèrent sa propension ornementale (il existe des cultivars aux floraisons spectaculaires) et ses aptitudes condimentaires. La recherche scientifique fit elle-même ce constat : « L’utilisation ornementale de l’agastache est en fait la plus courante, faisant d’elle l’un des rares exemples de plantes de la famille de la menthe pour lequel la valeur décorative semble éclipser ses potentialités en tant que plante médicinale »1. Conséquemment, peu d’études furent consacrées à l’agastache médicinale, jusqu’à ce qu’une seconde vague d’importation de la plante en Europe ne conduise différents pays à initier de nouvelles recherches, en particulier à propos de son huile essentielle qu’aujourd’hui l’on produit dans plusieurs pays (Ukraine, Russie, Moldavie, Roumanie, sud de la Finlande), mais également dans quelques régions françaises comme les Vosges ou la Bretagne.

Appartenant à un petit genre composé de seulement vingt-neuf taxons (dont Agastache rugosa, étudiée naguère), l’agastache anisée est une plante vivace à vie brève (environ trois ans), dont la racine pivotante s’agrémente de racines rhizomateuses traçantes. Typiques des Lamaciées puisqu’elles sont quadrangulaires, ses tiges lisses et ramifiées portent des feuilles à morphologie variable : parfois, on leur voit adopter l’allure d’une feuille d’ortie, à d’autres se conformer selon la silhouette d’une feuille de lierre terrestre. Qu’elles soient rhomboïdales ou bien achevées par une pointe acuminée, elles dessinent en bordure un feston de grosses dents arrondies qui démontrent bien que ces feuilles duveteuses serties au bout d’un court pétiole sont parfaitement inoffensives, contrairement à l’urticacée sus-citée. La couleur verte, assez claire et tendre, de la face supérieure du limbe contraste avec sa face inférieure blanchâtre parce que pubescente. A bien observer chaque feuille, l’on voit apparaître à l’angle que son pétiole forme avec la partie supérieure de la tige, de petits rameaux composés de deux minuscules feuilles un peu chiffonnées, qui, lorsqu’elles auront grandi et été rejointes par d’autres, verront se former, tout comme les tiges principales qui les surplombent, des épis floraux un peu plus petits que ceux d’Agastache rugosa, puisqu’ils ne mesurent guère que 4 à 8 cm de hauteur. Semblable à une petite massue allongée, le capitule floral de l’agastache anisée porte quantité de petites fleurs tubulaires (bleues, pourpres, mauves, plus rarement blanches) qui s’épanouissent durant de longs mois (presque la moitié de l’année parfois), donnant aux insectes butineurs de passage du pain sur la planche, tant s’accumule le nectar au sein de ces fleurs, également convoité par les papillons, les syrphes et même les colibris ! (En revanche, la plante est répulsive auprès des cerfs et des lapins.)

L’agastache anisée est une solide plante rustique qui tolère sans trop de difficulté des températures qui peuvent descendre jusqu’à – 15° C. Bien qu’elle élise domicile sur des prairies et des friches au sol caillouteux et sec, elle est tout à fait en mesure de vivre sur des sols plus pauvres. Mais sa préférence va tout de même aux terrains correctement exposés à la lumière du soleil, à mi-ombre à la rigueur, aussi bien calcaires qu’argileux, mais à l’extrême condition qu’ils soient bien drainés (dans le cas contraire, c’est l’assurance de faire pourrir la plante).

L’agastache anisée en phyto-aromathérapie

Il y a quelques semaines, le travail entrepris à propos de l’agastache dite « rugueuse » nous avait amené à évoquer le cas de son huile essentielle sur laquelle nous ne nous étions pas attardé. A cette époque, j’avais en revanche fait mention de celle que l’on retire de l’agastache anisée. Or, comme nous voici très justement à l’étude de cette nouvelle plante et que, qui plus est, son huile essentielle est produite et disponible en France en quelques points de vente, il m’apparaît bien plus judicieux de la traiter avec plus d’égard que je n’en ai observé vis-à-vis de celle d’agastache rugueuse (à peu près introuvable sur le territoire national). Entamons donc ce compte-rendu moléculaire par la fraction aromatique. Aux parties aériennes fleuries, qui dégagent une forte odeur mentholée/anisée ou de réglisse (ou bien un mélange des trois, avec parfois une touche citronnée), l’on fait subir une hydrodistillation, ce qui permet à la plante d’offrir une huile essentielle jaune pâle, liquide et mobile, dont le rendement – s’il est maximal aux environs de 3 % – peut s’avérer bien moins important, de l’ordre de 1,6 à 2,3 %. C’est que certains facteurs, comme, par exemple, le déficit hydrique, prédisposent la plante à la formation d’essence aromatique, tandis que des plants trop arrosés produisent une moindre quantité d’huile essentielle, au contraire de ceux qui endurent un stress hydrique modéré. De plus, « le transfert vers des zones ayant des climats différents peut cependant modifier considérablement les rendements et la composition des huiles volatiles produites par la plante, car les facteurs environnementaux peuvent modifier les processus métaboliques »2. On le voit en Ukraine, par exemple : l’huile essentielle qui y est produite contient jusqu’à 60 % de pulégone. Ainsi observe-t-on plusieurs chémotypes en plus de celui-ci : menthone, menthone/pulégone, méthyleugénol, méthyleugénol/limonène, enfin estragole (ou méthylchavicol). C’est ce dernier chémotype, parce que le plus commun en France, qui va être l’objet de notre intérêt. « La composition de l’huile volatile dépend de la partie de la plante utilisée. Ainsi, l’estragole a été trouvé à des concentrations plus élevées dans l’huile volatile des parties aériennes fleuries (80 à 93 %) et moins dans l’huile essentielle extraite des feuilles (18 à 30 %). De plus, la teneur en estragole était la plus élevée lorsque les parties aériennes étaient récoltées à pleine floraison. Le régime d’irrigation, le type d’engrais utilisé et le type de procédure d’extraction ont également influencé la composition de l’huile volatile d’Agastache foeniculum »3. Il est donc clair que les fleurs de l’agastache participent très nettement au taux d’estragole contenu dans le produit final, malgré la couverture capillaire très dense des feuilles de l’agastache anisée, qui abritent quantité de trichomes glandulaires contenant une partie de l’essence aromatique de la plante, mais pas toute. Bref, ce sont donc plus précisément les sommités fleuries des plantes semées au mois de mars que l’on cueille dès le début de la floraison et ce jusqu’à pleine floraison, c’est-à-dire de juin à août. La chaleur estivale n’est pas non plus étrangère à la formation d’essence aromatique dans les tissus de la plante : un climat chaud garantit une belle floraison et donc une meilleure production d’huile essentielle. On observe que la jeunesse et la sénescence de la plante ne sont pas les meilleurs moments pour la récolter, mieux vaut s’y livrer au midi de son existence, car c’est là le moment optimal durant lequel la plante est la plus saturée d’essence aromatique. Il a été également remarqué que l’agastache anisée se cueille préférablement en milieu de journée, la matinée et la soirée étant peu favorables à la concentration de ses tissus en essence aromatique. L’on peut donc affirmer que le meilleur moment, c’est l’apex solaire d’une série de journées situées sur l’apex solaire d’une année (selon le principe des fractales).

Sur la question de la composition biochimique de l’huile essentielle d’agastache anisée, comme j’ai sous les yeux des bulletins d’analyse émanant tout droit de la Ferme du bien-être (Gérardmer, Vosges), j’aurais bien tort de ne pas en faire usage. Voici donc de quoi il retourne :

  • Phénols méthyl-éthers dont estragole (86 à 97 %),
  • Monoterpènes : 7 % dont limonène (2,9 à 6,7 %),
  • Sesquiterpènes : 1,2 à 3,7 % dont β-caryophyllène (0,7 %), germacrène D (0,25 %),
  • Sesquiterpénols : 0,2 à 0,5 %.

Comme il est aisé de le remarquer, c’est une seule molécule, l’estragole, qui domine et s’empare de presque tous le terrain aromatique de cette huile essentielle. Conférant son parfum anisé à l’huile essentielle d’agastache, l’estragole, pris isolément, est une molécule antifongique remarquable, anti-inflammatoire et cytotoxique, mais sa nature fait d’elle une substance génotoxique et cancérigène à doses inadaptées.

Si l’on compare cette huile essentielle à d’autres qui contiennent de fortes proportions d’estragole comme l’estragon (76 %) et le basilic tropical (84 %), l’on peut remarquer que celle d’agastache, au contraire des deux sus-citées, ne produit pas de sentiment d’« écrasement », aspect qui peut rebuter des personnes qui, tout comme moi, ne sont guère à l’aise et ne courent pas après le basilic et l’estragon, puisque ces huiles essentielles ont tendance à les « assommer » et à les étourdir.

L’huile essentielle d’agastache, assez onéreuse, connaît un coût moyen de 12 € pour la valeur d’un flacon de 5 ml en qualité biologique.

Passons maintenant à la fraction non aromatique de la composition biochimique de l’agastache anisée. Face à une telle richesse, on peut regretter de ne pouvoir disposer au moins de la plante sèche dans le commerce de détail (on la trouve parfois, ici ou là, en mélange dans des infusions de confort toutes prêtes : Les jardins de Gaïa, par exemple). L’approvisionnement passera donc nécessairement par l’importation ou par le choix, plus sûr, de pratiquer la culture de cette plante pour consommation personnelle (chose d’autant plus aisée que cette plante est beaucoup plus fréquente en magasin spécialisé : non loin de chez moi, un pépiniériste propose à la vente des semences bio d’agastache anisée, qu’il faut savoir débusquer sous ses autres noms, tels que grande hysope, anis hysope, etc.). De même qu’on observait un pic de production d’essence aromatique au mi-temps de l’existence de la plante, on constate un mouvement similaire concernant ces polyphénols que sont les flavonoïdes, ce qui indique que le moment de cueillette souhaitable se situe au même instant que celui qui voit l’essence aromatique être convoitée, à la différence que les polyphénols se concentrent surtout dans les feuilles, bien moins dans les fleurs. Ainsi, si l’on souhaite un produit fini contenant le plus fort taux de polyphénols, on évitera de cueillir la plante entière. Il est également remarquable que c’est au cours de l’après-midi que le taux de flavonoïdes (et de polyphénols totaux) est le plus élevé dans la plante. Mais, avant d’y arriver, il aura fallu faire connaître à la plante les meilleures conditions d’existence et de culture. « Les composés phénoliques s’accumulent dans divers tissus végétaux et cellules au cours de l’ontogenèse et, respectivement, sous l’influence de divers stimuli environnementaux, étant impliqués dans de nombreuses interactions des plantes avec leur environnement biotique et abiotique » entre autres4. Parmi le vaste clan des polyphénols, remarquons que l’agastache anisée en abrite un grand nombre : des flavonoïdes donc (hespéritine, quercétine, tilianine, génistéine, glucosides de lutéoline, rutine5, hyperoside, apigénine-7-glucoside, naringénine, myricétine, acacétine, agastachine, agastachoside), des acides phénoliques (acides caféique, chlorogénique, rosmarinique, p-coumarique) et des caroténoïdes. Ne reste plus qu’à faire l’énoncé de quelques autres classes moléculaires, et nous aurons fait le tour du sujet : des triterpénoïdes pentacycliques (acide ursolique, acide corosolique, acide maslinique, acide bétulique, bétuline, α-amyrine, β-amyrine), des diterpènes (agastaquinone, agastol), des lignanes (agasténol, agastinol) et enfin des acides organiques (acides malique, butanoïque, hexadécanoïque, férulique).

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Staphylococcus aureus, Curtobacterium flaccumfaciens, Listeria monocytogenes, Bacillus subtilis, Salmonella sp., Escherichia coli, Pneumonia vulicans), antifongique (Aspergillus niger, A. flavus, Trichoderma viride, Candida albicans, C. utilis, C. tropicalis, Cryptococcus neoformans, Trichophyton mucoides, T. tonsurans, Blastoschimyces capitatus), insecticide (Oryzaephilus surinamensis, Lasioderma serricorne)
  • Anti-oxydante, antiradicalaire, réductrice du stress oxydatif6, inhibitrice de la xanthine oxydase, anti-inflammatoire
  • Anticancéreuse, cytotoxique (cellules du cancer du sein)
  • Régulatrice et tonique du système nerveux, sédative, antispasmodique, anxiolytique
  • Tonique cardiaque
  • Expectorante
  • Permet d’assurer un meilleur confort digestif, anti-vomitive
  • Diaphorétique
  • Antalgique
  • Antihyperglycémique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : tension et douleur digestives, spasmes gastro-intestinaux, aérophagie, mal des transports
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux sèche, angine, rhume et autres infections virales, refroidissement, fièvre
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, prostatite
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : troubles circulatoires veineux, faiblesse cardiaque, angor, artériosclérose, hypertension artérielle, hyperglycémie sanguine
  • Troubles du système nerveux : difficulté d’endormissement, insomnie, stress, anxiété, nervosité, fébrilité
  • Affections cutanées : plaie, piqûre d’insecte, blessure, brûlure
  • Asthénie et fatigue mentale après épisode infectieux
  • Troubles de la sphère gynécologique : douleur menstruelle, tension pelvienne
  • Troubles locomoteurs : tension musculaire, spasmophilie
  • Transpiration excessive
  • Diabète

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches d’agastache anisée : comptez quatre à cinq sommités fleuries en infusion dans un demi-litre d’eau pendant 10 mn.
  • Poudre de feuilles sèches : comptez 3 à 4 g quotidiens délayés dans un véhicule convenable (huile d’olive, huile vierge de coco, miel).
  • Feuilles fraîches froissées et appliquées localement (piqûre d’insecte) ou broyées à la façon d’un cataplasme : dans un mortier, placez suffisamment de feuilles fraîches d’agastache anisée, broyez-les consciencieusement jusqu’à l’obtention d’une pâte lisse et molle qu’on pourra assouplir à l’aide de quelques cuillerées à café d’huile d’olive.
  • Huile essentielle : elle peut s’utiliser en diffusion atmosphérique, en inhalation, ainsi que par le biais d’une olfaction opérée directement au flacon. En la mêlant à un corps gras, il est possible de l’appliquer sur la peau. Quant à l’administration per os, il n’existe guère de recommandation allant dans ce sens. Sans doute faut-il s’inspirer de ce que l’on préconise pour les huiles essentielles de basilic tropical et d’estragon…

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Puisque nous soulignons quelque peu le caractère problématique de l’huile essentielle d’agastache anisée par voie interne, permettons-nous de signaler que son important taux d’estragole (jusqu’à 97 % parfois) peut suffire à la classer parmi les substances potentiellement épileptisantes, que l’on interdira de fait aux femmes enceintes et à celles qui allaitent.
  • Plante condimentaire agréable, l’agastache anisée prête ses feuilles fraîches à bien des usages culinaires : salade composée, salade de fruits, gratins, préparation de boissons fraîches, etc.
  • Cultivars : l’agastache anisée a passionné le monde de la jardinerie, si l’on en croît les nombreux cultivars ornementaux de cette plante comme, par exemple, Golden Jubilee au feuillage jaune vert, Black Adder (aux fleurs bleu électrique piquetées sur un épi de couleur sombre), Blue Spike (épis mauves), Blue Fortune (hybride de A. foeniculum et A. rugosa), etc.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. Source.
  5. « La lutéoline est un flavonoïde (métabolite polyphénolique secondaire de la plante) qui a été utilisé comme colorant jaune naturel, mais maintenant il est valorisé pour son activité contre l’hypertension, l’inflammation, les troubles neurologiques et le cancer, tandis que la rutine est un flavonoïde antioxydant, antihypertenseur, antidiabétique, anti-inflammatoire et doué d’activités cardioprotectrices » (Source).
  6. « Les radicaux libres sont […] connus pour influencer diverses maladies dégénératives chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, les maladies inflammatoires, le vieillissement, la cancérogenèse ou l’arthrite. Les composés antioxydants protègent les cellules contre le stress oxydatif par un mécanisme d’intervention sur l’une des trois grandes étapes du processus oxydatif médié par les radicaux libres, à savoir l’initiation, la propagation et l’arrêt. Ces antioxydants se trouvent naturellement dans de nombreux aliments, et l’équilibre entre les oxydants et les antioxydants dans le corps peut avoir un effet significatif sur la santé humaine » (Source).

© Books of Dante – 2023

Ginkgo biloba

Voici un poème de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) écrit à l’attention de Marianne von Willemer (1784-1860) en 1815.

La feuille de cet arbre

Qu’à mon jardin confia l’Orient

Laisse entrevoir son sens secret

Au sage qui sait s’en saisir

Serait-ce là un être unique

Qui de lui-même s’est déchiré ?

Ou bien deux qui se sont choisis

Et qui ne veulent être qu’un ?

Répondant à cette question

J’ai percé le sens de l’énigme

Ne sens-tu pas d’après mon chant

Que je suis un et pourtant deux ?

Pour illustrer ce poème, j’ai opté pour la photographie d’une feuille de ginkgo fossilisée. Outre que ce fossile a été découvert dans l’état de Washington (États-Unis), je trouve que son caractère fossile redouble le symbole d’immortalité qu’on prête habituellement à cet arbre.

© Books of Dante – 2023

La pâquerette (Bellis perennis)

Conter fleurette, c’est raconter des histoires sur un ton léger afin de séduire ses interlocuteurs. C’est bien ce que je compte faire (le ton léger en moins ^.^) avec ce nouvel article dans lequel on abordera l’histoire médicale de la pâquerette, ce qui peut paraître fort étrange, sachant qu’on attend davantage cette fleurette au registre des croyances inoffensives par exemple…

Un beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : pâquette, pasquette, petite marguerite, marguerite des champs, fleur de pâturage, fleur de Pâques, marguerite anglaise, chrysanthème du soleil.

Bellis perennis : on serait tenté, comme ce fut mon cas autrefois, de transcrire le nom latin de la pâquerette par « mignonne pérenne » par exemple. S’il est hors de doute que l’adjectif fait bel et bien référence au caractère de ce qui est éternel (ce qui est un synonyme plus flamboyant que pérenne ou encore vivace, pour le botaniste peu porté sur la poésie), il est plus difficile de statuer quant au nom bellis, pour lequel n’existe aucune certitude, juste un raccourci linguistique bien facile qui confine ce terme à la beauté, alors qu’il pourrait provenir d’une source beaucoup plus laide : bello, « la guerre ». C’est une plante non seulement présente sur le champ de bétail, mais aussi sur celui dit de bataille : n’existe-t-il pas un contraste saisissant entre les tendres petites fleurettes de la pâquerette et ces terrains ravagés au milieu desquels s’étripent les hommes au sein d’une infâme boucherie ? Afin de laisser derrière nous ces sombres horizons, on a expliqué aussi bellis par le nom du dieu celte consacré au soleil c’est-à-dire Bélénos, ce qui est une explication judicieuse : la pâquerette, comme toutes les astéracées, n’est-elle pas de nature solaire ? Quant à pâquerette… maintenant, autrefois pasquerette (l’accent circonflexe résulte de la disparition de ce « s » que l’on trouvait anciennement dans hôtel/hostel, hôpital/hospital, etc.), certains, dont Fournier, affirment qu’il est une évidente allusion au temps de Pâques, période de l’année à laquelle ces fleurs sont les plus abondantes dans les prairies. « On assure – comme il est souvent notifié un peu trop précipitamment – que son nom lui vient d’une ancienne tradition chrétienne qui veut qu’elle soit cueillie aux environs de Pâques, en hommage au Christ et eu égard à l’époque où ses vertus semblent exaltées »1, ce qui ne me semble pas être autre chose qu’une superstition, du moins une croyance infondée. En réalité, l’étymologie du mot pâquerette passe pour plus terre-à-terre que ça : pâquerette dériverait d’un terme de vieux français, pasquier, du latin pascuum qui, bien plus qu’un simple pâturage (ex pasturage ^.^), était l’exact terme par lequel on désignait la taxe que l’on devait honorer sur les pâturages au Moyen âge. Mais comme l’étymologie de Pâques fait référence au fait de paître, dans un sens comme dans l’autre, on en revient toujours au ras des pâquerettes (c’est-à-dire à une station pas très élevée, on le sait ; cette expression dénote cependant une certaine tendresse, beaucoup de simplicité et de banalité d’esprit, généralement humble), Pâques fêtant le renouveau de la végétation au printemps. L’on peut constater, en jetant un coup d’œil à la mythologie romaine, que ce constat n’a rien de saugrenu : le dieu des jardins et des vergers Vertumnus s’amouracha d’une nymphe des prairies aquatiques dénommée Belidis. Il la poursuivit, elle se métamorphosa à temps en pâquerette (une plante qui cadre assez mal avec l’habitat de type « prairie aquatique »), afin d’échapper aux assiduités de cet être divin mais lubrique (forcément, sans quoi pas de fertilité). Devant une telle chasteté (qui confine à la quasi pureté) de la part de Belidis (à laquelle on a rattaché le mot bellis, « joli », sans doute au forceps ^.^), on peut légitimement s’étonner de constater la relation de la pâquerette à la fertilité et à l’accouchement dans d’autres panthéons : pour la mythologie nordique, la pâquerette est consacrée à la déesse de la beauté, de l’amour et de fertilité, Freya. Il s’agit d’une relation qui perdura longtemps, puisqu’en offrant un petit bouquet de pâquerettes à une future mère, on formule un vœu de fertilité et de grossesse bien réalisée et menée à son terme heureux. C’est peut-être cela qui explique que le symbolisme de la pâquerette se déplaça des adultes aux enfants (ceux-ci étant trop jeunes pour faire leur celui de la marguerite). Par exemple, n’est-ce point avec l’idée même de ces fleurs que s’ouvre la merveilleuse œuvre de Lewis Carroll ? Dès le premier chapitre, Alice « se demandait si le plaisir de tresser une guirlande de pâquerettes vaudrait la peine de se lever et d’aller cueillir les pâquerettes », un souhait qui ne se réalise pas, l’irruption du Lapin blanc aux yeux roses ayant mené Alice vers un tout autre destin2. Carroll savait-il qu’il était de coutume mesure de passer un collier de pâquerettes au cou des enfants afin de les préserver des mauvaises fées ? Peut-être, mais si tel avait été le cas pour Alice, il n’y aurait assurément pas eu de suite à son histoire. En tous les cas, le pouvoir protecteur de la fleur semble directement émaner de son œil, qui est, nous l’avons dit, de nature solaire, un œil contenu dans son nom anglais même, daisy, contraction de day’s eye, « le regard du jour », tiré du vieil anglais daeges eage. On a depuis longtemps remarqué que les capitules floraux de cette métaphore univoque de l’astre diurne qu’est la pâquerette se ferment en fin de journée (ou par temps couvert) et s’ouvrent au matin avec l’apparition du soleil dont ces solsequium fidèles suivent la course d’est en ouest : cette régularité permet à la plante d’être, chaque matin, « fraîche comme une pâquerette », ce qui se dit d’une personne qui a passé une excellente nuit de sommeil. Protectrice face aux ombres ténébreuses, la pâquerette incarne donc l’espoir, car l’approche du matin permet d’échapper à la nuit (aussi sûrement que l’apparition printanière de la pâquerette signale l’arrivée des beaux jours et l’abandon des jours ternes, froids et neigeux de l’hiver). C’est donc sans trop d’inquiétude que l’on peut se laisser à penser que la pâquerette est, à sa manière, un porte-bonheur végétal. D’ailleurs, selon la floriographie qui avait cours lors de l’ère victorienne en Grande-Bretagne, le langage floral de la pâquerette véhiculait plusieurs valeurs dont l’amour loyal et la discrétion (un bouquet de pâquerettes se donne entre amis afin de sceller un pacte qui invite au silence et au secret). Mais encore, « en offrant un bouquet de pâquerettes […], on propose de retrouver sa vision enfantine, un message d’espérance, de pureté juvénile et, pourquoi pas, de renouveau »3, vœu de nouveau départ qui ne peut se concevoir qu’à travers la gaieté et la joie. Quant à l’espièglerie toute enfantine qu’est susceptible d’exprimer la pâquerette, ce poste d’observation pour coccinelle à sept points, elle fait surgir en l’esprit des scènes de dîners champêtres à dînette et nappe à carreaux, autour desquelles s’égaient l’âme enfantine de cette fleur de jeu qui joue, « pour de faux », une partition qui permet, à la nôtre d’âme, de nous retirer de ce monde à la manière d’Alice qui, à la suite du Lapin blanc, disparaît dans le trou qui la conduit vers des aventures dont on ne s’étonne pas qu’elles soient présidées par la seule idée de tresser une guirlande de pâquerettes. Mais « l’impératrice, la fleur de toutes les fleurs » envoie aussi, de temps à autre, des messages pour le moins troubles. C’est du moins ainsi que je le décode dans Hamlet, au sein de cette scène où Ophélie vient à offrir au roi Claudius une pâquerette à défaut de violettes : « Voici une pâquerette. J’aurais voulu apporter des violettes, mais elles se sont toutes fanées au moment que mon père est mort »4. Effectivement, comment pourrait-elle lui offrir des violettes, qui symbolisent la fidélité, alors que le roi a comploté pour faire tuer Polonius le père d’Ophélie par son neveu Hamlet ? Ophélie fait donc usage du langage des fleurs qui, à mots couverts, relate certaines symboliques – la pâquerette qu’elle évoque est image de la dissimulation –, afin de rendre compte de la perspicacité de la jeune fille, dont la subite folie, suite au meurtre de son père, semble lui octroyer une certaine clairvoyance… Par ailleurs, l’humilité de la pâquerette ne lui valut pas toujours que des amis : moins fins que la douce Ophélie, les Allemands décrétèrent la complète éradication de cette plante à la fin du XVIIIe siècle, affolement qui se basa sur la croyance erronée que la pâquerette pût être abortive (c’est même l’exact contraire) !

La pâquerette semble être passée à peu près inaperçue des auteurs de l’Antiquité et du Moyen âge : elle est tout d’abord rapidement évoquée par Pline (qui n’en dit pas grand-chose), puis décrite par Platearius de Salerne au XIIe siècle. Mais dans ce dernier cas, il s’agit d’une simple illustration dont le texte s’est égaré. Que faisait-on avec la pâquerette au XIIe siècle en Italie ? Erika Laïs laisse entendre que, peut-être, elle aurait pu jouer un rôle auprès des sages-femmes et des matrones, en raison des indications gynécologiques que nous connaissons de cette plante (attention, cependant, de ne pas imaginer le passé d’une plante à l’aune de ses utilisations modernes). Ce n’est véritablement qu’à partir du Moyen âge tardif et surtout au cours du XVIe siècle, que la pâquerette se fit une place en thérapeutique. Durant la Renaissance, « la pasquerette à la feuille menue » jouit d’une excellente réputation : en 1543, Léonard Fuchs consigna la valeur de la pâquerette contre les blessures et les inflammations de la goutte, puis, en 1554, Matthiole fit part de ses impressions à son sujet : « Les fleurs sont bonnes pour les scrofules, les fractures du crâne et les plaies pénétrantes du thorax ; on les emploie alors en lotion, certains les prônent contre la sciatique et la paralysie. Les feuilles en salade ou cuites dans du bouillon relâchent le ventre ; mâchées, elles guérissent les inflammations de la bouche et de la langue, contuses, elles dissipent celles des organes génitaux ». Puis Jérôme Bock, Jean-Philippe Cornuti et Johann Schröder firent prévaloir les uns après les autres le précieux statut vulnéraire de la pâquerette, une propriété que l’on discerne en filigrane à travers une anecdote du légendaire chrétien durant laquelle Joseph se blessa en construisant une charpente. L’enfant Jésus se tenait tout auprès de lui, un bouquet de ces fleurs dans les mains : quelques gouttes de sang qui perlaient du doigt blessé du charpentier éclaboussèrent les fleurettes immaculées qui depuis s’imprègnent légèrement de pourpre. Même la médecine populaire des campagnes lui reconnaît ce pouvoir sur les chutes et les coups, de même que sur les contusions et blessures qui en découlent. Mais la pâquerette ne se contenta pas que de cette activité de surface, puisque les chocs violents sont tout à fait capables d’entretenir en profondeur des lésions pathologiques du plus mauvais effet : ainsi Chomel explique qu’« on emploie les feuilles et les fleurs […] dans les décoctions et les infusions qu’on donne à ceux pour lesquels on soupçonne intérieurement du sang caillé et extravasé »5, la pâquerette s’avérant du même coup antihémorragique, hémolytique et consolidante. Par ses effets diurétiques, elle fut employée pour résorber les œdèmes (dont l’hydropisie) et soulager les affections rhumatismales et les états lithiasiques. Laxative, pectorale, elle est aussi dépurative (les gens de la campagne ne disaient-ils pas qu’elle nettoie le sang au sortir de l’hiver ?) et permettait, par ses effets rafraîchissants, de tempérer nombre de phénomènes inflammatoires comme le laisse présager la lecture des informations laissées par Nicholas Culpeper au XVIIe siècle. Malheureusement, « après avoir été recommandée comme précieuse dans beaucoup de maladies, la petite pâquerette a cessé de jouir de la faveur des médecins, et aujourd’hui [NdA : 1819] la plupart d’entre-eux ne la connaissent plus, ou ne voient en elle qu’une fleur assez jolie, et ne se doutent pas qu’il fut un temps où on la regardait comme un moyen efficace de résoudre les écrouelles, d’apaiser les douleurs de la goutte, les coliques intestinales, de guérir la pleurésie, l’inflammation du foie, l’hydropisie, l’obstruction des viscères, la phtisie pulmonaire. Avec de si merveilleuses vertus, elle était encore un des meilleurs vulnéraires connus. Il faut bien croire que les anciens médecins s’abusaient sur ces prétendues propriétés, car si, de toutes celles qu’on lui a attribuées, elle en eût seulement possédé une ou deux d’une manière positive, comment eût elle été exclue de la matière médicale ainsi qu’elle l’est aujourd’hui ? »6. Cette désaffection allait s’étendre à tous le XIXe siècle et à une bonne partie du XXe, longue période durant laquelle la pâquerette n’attira pas même les regards des médecins quand ceux-ci s’en venaient se délasser à la campagne, comme l’exprima à regret Joseph Roques.

La pâquerette est une très petite plante vivace, lilliputienne dans le pays des Astéracées, n’excédant pas une taille de 15 cm de hauteur. D’une robuste souche rhizomateuse émerge tout d’abord une rosette de feuilles radicales, aplaties en forme de spatule, parfois légèrement crénelées, nettement pétiolées. Au printemps, cette masse foliaire se voit supplantée par plusieurs « tiges » non feuillées qui n’en sont pas, et pour cause : bien que souvent désignés improprement ainsi, ces appendices nus et pubescents sont simplement des pédoncules à l’extrémité desquels éclosent les capitules floraux de la pâquerette : solitaires, terminaux, mesurant 15 à 30 mm de diamètre, ils se constituent de fleurs tubuleuses de couleur jaune au centre (le disque ou le dôme), hermaphrodites (anthères mâles et stigmates femelles), cernées en périphérie par des ligules femelles blanches la plupart du temps (elles peuvent cependant être légèrement teintées de pourpre sur leur bordure extérieure). Bien que l’on rencontre les fleurs de pâquerette presque toute l’année (à l’instar des feuilles), le gros de la floraison se concentre surtout entre mars et novembre. La fructification a lieu à peu près dans le même temps. Quand on observe attentivement les semences sans pappus ni aigrette de la pâquerette, on se demande quelle serait son aire de répartition si la nature l’avait dotée d’une aide au transport aérien comme en possède le pissenlit. Cela ne l’a pourtant pas empêché de devenir très commune, aussi bien dans son fief d’origine (Europe, Afrique du Nord, Asie occidentale) que dans ces autres territoires que sont l’Australie et les Amériques (depuis plusieurs siècles déjà) où elle est qualifiée d’invasive (quand on la cultive sous sa forme pomponnette, c’est une brave plante, en revanche quand c’est elle qui s’implante spontanément ici ou là, habituellement en masse, rien ne va plus !). A cela, il est une raison précise : se repaissant d’habitats anthropiques, la pâquerette ne suit jamais que celui qui la précède sur ces terrains, d’autant mieux qu’ils seront, un jour ou l’autre, artificialisés et perturbés par la main de l’homme (et son pied, sa truelle, son bulldozer, etc. Vous avez compris l’idée ^.^). Plus précisément, sa présence indique un tassement et un compactage du sol, en contexte fertile. Mais comme c’est une mauvaise fourragère, bien que particulièrement nutritive, elle est dédaignée, sinon refoulée des zones où on la trouve en abondance (quoique pour éradiquer la pâquerette, il faut se lever tôt ^.^). Très résistante aux températures hivernales basses (jusqu’à – 17° C), la pâquerette souffre en revanche de la sécheresse, appréciant rien moins que les sols humides mais bien drainés (elle n’a rien d’une barboteuse, définitivement), enrichis en matière organique animale, raisonnablement exposés au soleil ou à mi-ombre, sur des surfaces assez peu couvertes où elle pourra s’épanouir à plaisir : pelouses urbaines (parc, stade, jardin, plate-bande et tout autre « espace vert » digne de ce nom peu reluisant) ou prairies rurales situées à une altitude maximale de 1800-2000 m.

La pâquerette en phytothérapie

Un article daté de 2015 « a examiné Bellis perennis comme plante médicinale prometteuse avec un large éventail d’activités pharmacologiques qui pourraient être utilisées dans plusieurs applications médicales en raison de son efficacité et de sa sécurité »7. Il s’en est passé du temps depuis la désaffection qu’avait remarquée Loiseleur-Deslongchamps il y a deux siècles. Mais, déjà, Paul-Victor Fournier avait transmis une information globale similaire au contenu de cet article dans les années 1940. Voici ce qu’il écrivit à ce sujet : « La pâquerette n’est pas seulement l’ornement printanier des corbeilles et des plate-bandes, la gracieuse fleurette du printemps, l’éclatant émail des pelouses et des sentiers, elle possède une réelle valeur thérapeutique qu’ont mieux mises en lumière les recherches récentes sur ses saponines »8. Justement, concernant recherches récentes et saponines, nous y voici donc, car de l’eau a coulé sous les ponts depuis le temps de Fournier.

On dit en Suisse et en Allemagne de cette plante inodore qu’elle est l’égale de l’arnica. Pour oser une telle comparaison, c’est qu’il ne faut pas se contenter de libeller ce fait, encore faut-il apporter quelques explications solides qui tiennent tout d’abord à l’exposé du profil biochimique de cette plante. Débutons par mentionner que ce sont les parties aériennes fraîches de la pâquerette qui nous intéressent prioritairement (il existe peu de manières de tirer bénéfice de la pâquerette sèche tant elle paraît peu douée d’action énergique en cet état). De saveur tout d’abord douce, puis amère, les parties hautes de la pâquerette se caractérisent par une importante part de mucilage et de saponines, et sur ce chapitre-là, il est bon de donner quelques détails supplémentaires : on a distingué des saponines triterpéniques auxquelles on a attribué le nom de perennisosides (suivi d’un chiffre, puisqu’on les compte par dizaines : perennisoside I, perennisoside II, et ainsi de suite jusqu’à XX !) et des bellisaponines réduites au sigle BS lui aussi flanqué d’un chiffre : celles qui ont particulièrement suscité l’intérêt de la recherche semblent être les BS1, BS5, BS6 et BS9. L’on peut encore évoquer des saponines triterpénoïdes à l’image de l’asterbatanoside D (que l’on a aussi distinguée dans la souche racinaire de la pâquerette, en compagnie de quatre autres saponines de ce type). S’arrêter là ne rendrait pas honnêtement compte de la richesse de la pâquerette, car elle comprend aussi une foultitude de composés phénoliques que voici ordonnés : des flavonoïdes (glycosides d’apigénine, de kaempférol et d’isorhamnétine, lutéoline, myricétine, quercétine, hydrate de rutine, quercitrine, hespéroside, naringénine, génistéine), des acides phénoliques (acides caféique, chlorogénique, sinapique, p-coumarique, vanillique), des polyphénols (acide rosmarinique), enfin des tanins et substances apparentées (acide gallique, procyanidine C1, anthocyanines).

Terminons-en là en ajoutant l’existence de divers acides organiques (malique, citrique, oxalique, vinique, férulique) et de vitamine C (surtout dans les fleurs, lesquelles abritent encore une toute petite fraction aromatique).

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulante générale, tonique astringente
  • Dépurative sanguine, diurétique légère
  • Sudorifique, fébrifuge, rafraîchissante
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante, antiradicalaire
  • Expectorante, béchique
  • Vulnéraire, résolutive puissante, cicatrisante, régénératrice cutanée, favorise la synthèse du collagène, émolliente, adoucissante, protectrice cutanée, photo-protectrice, anti-ecchymotique
  • Hémostatique, hémolytique (cette activité se situe à son apogée dans les pâquerettes cueillies au cours des mois d’été), antihémorragique
  • Laxative légère, purgative, antidiarrhéique
  • Favorable à la bonne santé du système hépatobiliaire, antihyperlipidémique, réductrice de la glycémie sanguine
  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Staphylococcus epidermidis et aureus, autres germes Gram + et -), antifongique, fongicide (candida, cryptococcus), antiparasitaire, insectifuge, immunomodulatrice
  • Antitumorale, antiproliférative
  • Antispasmodique utérine, tonique utérine, tonique des seins
  • Ophtalmique
  • Anxiolytique9

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, catarrhe bronchique, laryngite, angine, rhume, asthme, toux, pleurésie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, constipation, constipation opiniâtre, indigestion, manque d’appétit, gastrite, entérite
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite et autres inflammations vésico-rénales, insuffisance rénale, lithiase urinaire, rhumatisme, goutte, hydropisie, œdème
  • Affections bucco-dentaires : aphte, ulcération de la bouche
  • Affections cutanées : dermatose, furonculose, acné, eczéma prurigineux, psoriasis, gale, vitiligo, panaris, plaie (saignante, fraîche), ulcère, contusion, hématome, ecchymose, enflure, bleu, croûte de lait, dommage cutané causé par les UVA, chéloïde, peau atone, mâture, relâchée, manquant de tonus
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses ou trop abondantes, mastite, tumeur du sein, manque de tonus utérin, grossesse, hémorragie post-partum
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, varicose, gonflement des glandes lymphatiques
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique et biliaire, diabète
  • Insomnie, surmenage, fatigue
  • Maux de tête, migraine, vertige
  • Affections oculaires : mydriase
  • Troubles locomoteurs : luxation, courbature, foulure, entorse, arthrite, rhumatisme, douleur articulaire et musculaire, lésion des tissus profonds, hémarthrose, traumatisme douloureux, fracture osseuse, accident sportif, choc et état de choc
  • Accélération de la récupération après acte chirurgical (foie, rate, utérus, vésicule biliaire)

Modes d’emploi

  • Infusion de fleurs et de feuilles fraîches : comptez une cuillerée à café en infusion dans une tasse d’eau, soit 25 à 50 g par litre d’eau, pendant 10 mn. On peut bouillir brièvement le mélange avant de le faire infuser. Cette infusion s’avère aussi être efficace comme spray répulsif face aux insectes (cela nous rappelle que la pâquerette est une cousine du spécialiste en la matière, le pyrèthre).
  • Décoction simple : plongez 15 à 20 g de pâquerette fraîche dans un litre d’eau, portez à ébullition et, dès les premiers bouillons, laissez cuire pendant une dizaine de minutes.
  • Décoction de feuilles et de fleurs fraîches : comptez 100 g de pâquerette fraîche en décoction dans un litre d’eau pendant 10 mn. Cette décoction se destine essentiellement à un emploi externe, pour compresse, lavage et gargarisme. Au cas où l’on constaterait une faible activité de cette préparation, il faut savoir qu’il est permis de subtiliser les parties aériennes de la pâquerette par ses racines. Cette dernière décoction s’avère parfois plus efficace sur les affections cutanées telles que l’eczéma.
  • Macération vineuse de fleurs et de feuilles : dans un litre de vin blanc, déposez deux poignées de plante fraîche, et laissez macérer pendant une quinzaine de jours.
  • Macération huileuse de fleurs : voici l’une des principales préparations thérapeutiques à base de pâquerette couramment disponible dans le commerce de détail (existe en flacon-pompe et en roll-on) et représentant une véritable alternative à l’arnica, plante sur laquelle pèse des menaces de surexploitation. L’huile de pâquerettes stimule la micro-circulation, tonifie la peau et resserre les tissus, ce qui lui permet de raffermir les seins, de galber le buste et de lutter contre les vergetures. Pour l’obtenir, rien de plus simple : remplissez un bocal bien propre de capitules de pâquerette fraîchement cueillis, tassez-les bien et couvrez d’huile d’olive jusqu’à ras-bord du bocal. Ceci fait, obturez votre récipient et exposez-le durant trois semaines à la lumière du soleil en l’agitant vigoureusement de temps à autre. A l’issue de la macération, passez, exprimez bien les capitules afin d’en extirper toute l’huile, puis conservez dans un récipient opaque placé à l’abri de la lumière. Une fois parvenu(e) à cette extrémité, il ne manque plus que d’utiliser cette huile qui, au contraire d’une huile de massage relaxante, est bien loin de sentir la rose : l’odeur de ce macérât est sans doute son seul défaut.
  • Cataplasme de fleurs et de feuilles fraîches pilées appliqué sur la peau.
  • Mastication des feuilles fraîches : remède minute pour pallier aux petits maux bucco-dentaires.
  • Suc frais des fleurs et des feuilles (utilisable à la manière de l’emploi précédent).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut se réaliser toute l’année. En revanche, l’on se méfiera des lieux passants, la pâquerette étant particulièrement sensible aux pollutions. Avant même l’apparition des hampes florales (ou à la rigueur juste au moment où elles pointent le bout du nez), on coupe les rosettes au ras du sol à l’aide d’un couteau comme on le ferait de n’importe quelle salade, à la condition d’effectuer cette opération par temps sec, après que la rosée du matin se soit bien dispersée. Ensuite, on leur ôte les feuilles jaunies, abîmées, terreuses. Quant aux fleurs, vu la hauteur, même modeste, à laquelle elles se perchent, elles sont moins sujettes à ce type de précaution. Le séchage n’est guère nécessaire, la pâquerette ne se prêtant pas à un tel type de traitement, préférant, de loin, l’ensemble des modes d’emploi que nous avons listés ci-dessus.
  • Dans le célèbre roman de Victor Hugo Les Misérables, l’on voit Cosette effeuiller une pâquerette. Si elle avait lu Ronsard (ce dont je doute), elle aurait appris que la pâquerette se mange au moins depuis le Moyen âge, ce qui aurait un peu amender sa condition précaire auprès des Thénardier. De la pâquerette l’on peut en consommer les jeunes feuilles en salade, de préférence sous forme de mesclun, car à force leur saveur âcre peut finir par irriter la gorge. Autrefois consommée comme herbe à cuire avec le pissenlit et la chicorée durant les disettes, la pâquerette peut se prêter à différents usages : racines et boutons floraux au vinaigre (comme les câpres et les cornichons), boutons confits au sucre, ligules en salade, feuilles plus âgées dans les potages, etc. Un thé de « pétales » frais représente une infusion de confort très vitaminée et agréable qu’il est possible d’associer à des feuilles de basilic et de capucine, mais qu’on peu très bien limiter à eux-mêmes.
  • Hormis l’habituelle précaution à prendre avec cette plante en raison de son statut d’astéracée (allergie possible), il n’existe pas de contre-indications quand la plante est correctement utilisée. En revanche, comme la pâquerette retarde la vidange gastrique, il est préférable de la prendre à des moments éloignés des repas.
  • Les agronomes ont découvert que cette plante fournit de la chaux aux terrains sur lesquels elle pousse et qu’elle a une prédilection précisément pour les sols qui en manquent.
  • Il existe un élixir de fleurs de pâquerette qui permet au mental la synthèse des informations provenant de multiples horizons. Il aide à les intégrer de façon globale en cas d’éparpillement et de dispersion. Du reste, ne donne-t-on pas une infusion de pâquerettes aux enfants distraits ? Cet élixir est aussi capable de soutenir l’individu qui s’engage dans une voie particulière qui va lui faire opérer de profondes mutations dans son existence.
  • Autres espèces : la pâquerette sauvage (Bellis sylvestris), la pâquerette des Alpes (Bellis alpina), etc.

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  1. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon Dieu, p. 205.
  2. Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, p. 41.
  3. Didier J. Roguet, Symboles et sentiments. Secrets de plantes, p. 129.
  4. William Shakespeare, Hamlet, p. 197.
  5. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 430.
  6. Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, Manuel des plantes indigènes, Tome 1, p. 293.
  7. Source.
  8. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, pp. 723-724.
  9. « Bellis perennis peut produire des effets biphasiques sur le comportement anxiogène et les performances d’apprentissage des rats » (Source).

© Books of Dante – 2023

La ronce (Rubus fruticosus)

La ronce est une plante si prolixe qu’elle m’a invité à me comporter de même dans ce nouvel article fleuve. Si elle partage la haie avec l’ortie, ça n’est pas pour rien : à elles deux, elles forment un très précieux duo dont on peut très aisément se contenter pour une foule de maux du quotidien, et cela sans avoir à aller chercher bien plus loin que la haie la plus proche.

Régalez-vous bien de la ronce et de ses mûres !

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : ronce des bois, ronce des haies, ronce frutescente, aronce, éronce, mûrier sauvage, mûrier des haies, mûrier de renard, meuron, catimuron, catin-muron (Nord), amouros de Bartas (Midi), roumi.

Une très longue histoire unit l’homme à la ronce : dès les temps néolithiques (il y a au moins 8000 ans), l’homme préhistorique se repaissait de ses fruits comme l’attestent des dépôts de graines découverts dans différents sites européens. Goûter ce que la Nature met à notre disposition n’est cependant pas sans danger, mais c’est ainsi que sont déterminées les découvertes utiles à l’homme. Ces savoirs, bien qu’oubliés de la plupart de nos contemporains, en particulier ceux qui sont nés en milieu urbain, n’ont pas pour autant été abandonnés des gens de la campagne, ils se sont même perpétués, car il n’y a pas encore si longtemps, l’homme suffisamment proche de la Nature, appliquait le principe du test qui « est facile à comprendre. Tu prends une fleur [de ronce] dans la bouche, ça dessèche, y’a plus d’salive »1. C’est ainsi qu’il fut remarqué que la mûre est nutritive tout en étanchant la soif, et que les pousses de ronce, que les enfants bretons grignotaient en allant à l’école ou en gardant les vaches, faisaient ainsi découvrir au palais leur astringence, c’est-à-dire cette capacité qu’a une substance de resserrer les tissus trop lâches et manquant de tonus. D’un point de vue médicinal, c’est en remontant à Hippocrate et à Théophraste que l’on rencontre les premières indications. Ce phénomène d’astringence est bien connu, de même que les propriétés antihémorragiques et anti-diarrhéiques de la ronce. Écoutons Dioscoride : « la décoction des rameaux resserre l’intestin et l’utérus ; les feuilles mâchées raffermissent les gencives, écrasées elles s’appliquent sur les ulcères pour les cicatriser, sur les hémorroïdes, sur l’épigastre pour calmer les maux d’estomac ». Il ajoute que la décoction des fruits, en gargarisme, soulage les diverses irritations de la gorge. En quelques lignes, voici donc brossé le portrait thérapeutique de la ronce qui fait effectivement la part belle à l’astringence, que cette plante doit surtout à ses tanins.

Cet arbrisseau (c’est le sens suggéré par l’adjectif fruticosus) n’échappa nullement à Pline qui recommandait d’en cueillir les bourgeons de la main gauche. Il mentionnait l’existence d’une composition à base de mûres, le panchrestos (« bon à tous les maux »), qui n’est en fait qu’une formule assez proche du diamoron, terme dans lequel on reconnaît le nom latin de la mûre, morum (ce mot désigne tout autant le fruit de l’arbre que l’on nomme mûrier noir, Morus nigra, qui n’a, bien évidemment, rien à voir avec la ronce). Bref, Pline indiquait la ronce comme un remède de la bouche, de la gorge et de l’estomac. Dans un passage de l’Histoire naturelle transparaît une propriété tout à fait exacte malgré l’enrobage « magique » dont l’affuble le naturaliste romain  : « Un rameau, commençant à avoir du fruit, cassé à la pleine lune, pourvu qu’il n’ait pas touché la terre, a les mêmes effets hémostatiques, surtout contre les règles excessives, attaché aux bras des femmes ». On donnait aussi la ronce pour soulager les douleurs articulaires, ce que souligne la souplesse des rameaux de cette plante, véritables « jambes » de la ronce qui lui permettent de loin se projeter…

Le poète Horace, qui pourtant n’était pas médecin (mais, parce qu’au contact des muses, il savait sur le monde bien plus que le commun des mortels), recommandait lui aussi la mûre : « mangez, avant la fin du repas, des mûres noires, cueillies sur l’arbuste avant que le soleil ne soit trop chaud, c’est le moyen le plus sûr de passer l’été sans être malade. » Peut-être se souvenait-il, tout comme Ovide, que la mûre date d’une époque où le printemps était éternel, bien avant celle où l’homme fut dans l’obligation d’arracher sa subsistance à la glèbe hostile. Bien qu’Ovide en signalait l’âpreté, la mûre était, de même que la fraise des bois, un fruit incarnant l’âge d’or, dont les épines rappellent qu’il est bel et bien révolu.

(Profitons, au passage, pour indiquer que si l’on fait référence aux usages anciens des mûres, c’est avec l’ignorance complète de l’identité précise des unes et des autres. Pour faciliter l’écriture de cet article, j’ai volontairement regroupé toutes ces informations sous la bannière du seul Rubus fruticosus.)

Au Moyen âge, la ronce et sa mûre firent tout autant d’émules. D’après l’école de Salerne, « de ronce le feuillage, âpre, amer, astringent, arrête l’utérus, le ventre incontinent ». C’est pourquoi la mûre, et plus généralement les feuilles de ronce, passèrent pour un bon remède contre la dysenterie, chose soulignée par le Grand Albert qui mentionne une recette à base de poudre de limaçons brûlés et de mûres pulvérisées, un aspect que remarqua également Hildegarde de Bingen, conseillant la brema contre la dysenterie hémorragique, les écoulements hémorroïdaires, les maux bucco-dentaires, la congestion de poitrine, les plaies infectées, la verminose, la toux, la fièvre, etc. Fournier écrivit que Hildegarde regardait les mûres comme fortifiantes. Elle n’affirma pourtant rien de tel : « Le fruit qui pousse sur les ronciers ne fait pas de mal à l’homme en bonne santé ni au malade et se digère facilement. Mais il n’a pas de vertus médicales »2. Ni bénéfique ni maléfique selon elle, la mûre n’entrait pas pour autant dans le cortège des fruits et des baies dont on se méfiait comme de la peste au Moyen âge. Par la suite, les principaux auteurs du XVIe siècle (Matthiole, Fuchs, Tragus, Dodoens, Bauhin, Tabernaemontanus…) ne firent que rependre les antiques indications de leurs prédécesseurs : dysenterie, hémorragie, ulcération des muqueuses buccales, etc., à quoi l’on peut ajouter, au XVIIe siècle, lithiases rénales et urinaires, diarrhée, règles trop abondantes, irritation des parties génitales. Remarquons qu’à cette époque et au XVIIIe siècle qui lui succède, on employait autant les fruits que les sommités feuillées de la ronce, mais également l’écorce de la racine, pratique qui s’est depuis perdue, mais qui n’empêche pas d’établir le portrait thérapeutique de la ronce comme suit : astringente et détersive, la ronce s’adresse, en tant que pectorale aux affections respiratoires des voies hautes (angine, inflammation de la gorge). On la destine aussi à ce que l’on désigne du terme générique de dévoiement de ventre, ainsi qu’à des affections qu’on affuble d’un nom si vague qu’il est bien difficile de savoir à quoi se rapporte l’auteur qui émet une telle information. C’est le cas des plaies situées au niveau « des parties secrètes » : on peut aussi bien imaginer un flux hémorroïdaire qu’une fissure anale par exemple. En tous les cas, le message est passé : la ronce est très clairement identifiée comme un astringent hémostatique et le restera comme on peut le voir encore, au tout début du XIXe siècle, dans un ouvrage de Loiseleur-Deslongchamps qui évoquait les sommités feuillées de la ronce. Parce que détersives et astringentes, elles permettent de composer des remèdes propres à lutter contre les maux bucco-dentaires en général, les désordres gastro-intestinaux, vésicaux et pectoraux. Mais il rapporta aussi un autre écho qui n’avait à proprement parler rien de médical : il s’étendit sur la question de « la malignité de la mûre ». Il révélait que des médecins accusèrent les fruits de la ronce de causer des coliques, de produire des maux de tête, de provoquer des fièvres intermittentes : « En Angleterre, on empêche les enfants d’en manger parce qu’on croît qu’ils engendrent la gale et la teigne »3. Ce que réfutait Loiseleur-Deslongchamps, qui possédait suffisamment d’expérience pour ne pas tomber dans un panneau aussi grossier. Voici, pour se convaincre du contraire, un témoignage vieux de presque deux siècles : « On croit assez généralement que leur usage est nuisible, mais cette opinion n’est point fondée, à moins qu’on n’en mange avec excès. Les mûres sont aussi faciles à digérer que beaucoup d’autres fruits sauvages. Il faut voir autour des villages comme les enfants courent les bois pour s’y nourrir de mûres en attendant les noisettes. J’ai plusieurs fois rencontré dans les taillis de la vallée de Cernay (Yvelines) des groupes d’enfants qui étaient comme barbouillés de lie de vin. Ils mangeaient des poignées de mûres avec un morceau de pain noir, c’était leur goûter. ‘Les mûres vous incommodent-elles quelquefois ? – Non, monsieur, me répondit un jour le plus alerte de la troupe ; plus j’en mange, mieux je me porte’ »4. Une réponse en tout point identique à celle que fit le botaniste suisse Jean Bauhin (1541-1612) qui avouait s’en rassasier copieusement sans avoir jamais observer aucune suite fâcheuse. Cependant, il appert qu’on surnomme parfois la ronce du sobriquet peu flatteur de mûrier des poux (une autre plante du pauvre, la noix de terre, Bunium bulbocastanum, portait aussi ce surnom de plante à poux), signe de négligence sinon de pauvreté (sur lequel nous nous arrêterons plus longuement un peu plus loin). Tout cela fait voisiner la ronce avec des forces obscures peu enviables, qui plus est lorsqu’elle est également mûre de renard, animal diabolique s’il en est. Par contagion, sans doute, la mûre tomba dans le même panier que le renard, celui-ci étant accusé de communiquer des maladies aux ronces, donc aux mûres que, de fait, l’on ne ramassait pas. Bref, les contempteurs de la ronce ne purent donc pas apprécier la valeur thérapeutique du sirop de mûres, très prompt à calmer les inflammations de la gorge et les ardeurs d’urine, non plus que la non moins agréable liqueur de mûres qu’autrefois, pour satisfaire aux besoins, l’on invitait les enfants du côté d’Angers à partir à la cueillette des mûres qu’ils menaient le long des haies et à la lisière des bois, rapportant à l’usine des mûres par petites quantités (1 à 2 kg par enfant à chaque voyage). Afin de produire annuellement 3000 litres de cette liqueur, fallait-il que de très nombreux enfants, à l’approche de la grande rentrée scolaire de septembre, aillent se griffer les mains et s’érafler les mollets aux fourrés épineux (ce n’est point de là que provient l’expression « école buissonnière », mais cela aurait pu être). Cette activité très secondaire et chichement rémunératrice s’expliquait pour une très simple raison, que nous communique François Dorvault : « Dans certaines localités de la France, les mûres des haies sont si abondantes que nous ne concevons pas comment dans les mauvaises années de la vigne on n’obtient pas du vin, de l’alcool, du vinaigre »5. Signalons que les ronces étaient beaucoup plus foisonnantes au XIXe siècle. En effet, à cette époque-là, l’on n’avait pas encore arraché la plus grande partie des haies pour faire place au remembrement des terres, opération qui se tint dans le courant du XXe siècle, au cours duquel l’exode rural éloigna bon nombre de marmots des haies qui demeuraient en place (ce qui ne se produisit pas, j’en suis sûr, sans abandonner dans le cœur de ceux qui quittèrent la terre pour le béton, une nostalgie certaine…).

Tant mieux après tout, non ? Qui pourrait bien tolérer à chaque pas « une brousse rébarbative faite de ronces griffues »6 ? En voici encore : « Rien de plus méchant que cette plante dont les tiges souples, rouges et épineuses jaillissent, dans tous les sens, des buissons et s’étendent au loin, agrippant les passants avec la férocité d’une pieuvre : pas une de ses parties qui ne soit prête à griffer : le pédoncule de ses fleurs, les divisions de son calice, les nervures elles-mêmes de ses feuilles sont armés de fins aiguillons : malheur aux imprudents marmots qui exposent leurs mollets nus aux perfides caresses de cette harpie »7. Rapportant ces propos du docteur Leclerc, Fournier attirait l’attention sur le fait de ne pas trop forcer au noir le portrait de la ronce, par le biais d’une pratique facile et tentante, mais tout à fait ridicule : faire prévaloir une logique binaire qui ordonne le monde en classant les plantes et les animaux en deux catégories : les utiles et les nuisibles. En agissant de la sorte, l’on n’est pas prêt de convaincre bravement des bienfaits du monde sauvage. Il est préférable d’opter pour une plus large vision de l’esprit comme cela transparaît dans l’un des tomes du Nouveau traité de Joseph Roques. Un de ses interlocuteurs, qu’il décrit comme une jeunesse plus ou moins débauchée, adepte des salons et de la mollesse qui y règne, s’adressa un jour à lui de cette manière : « Docteur ! j’aime peu la campagne, surtout vos herborisations au milieu des ronces et des broussailles ; cependant vous en parlez de manière à me faire désirer de vous suivre un jour dans vos promenades agrestes »8.

La ronce passe-muraille… Qu’est-ce qui résiste à cette plante ?

Qui perdrait son temps à mesurer ses gestes afin de prélever la douceur sucrée au mépris des griffures que, peut-être, il recevra si jamais il ne prête pas assez d’attention à l’acte qu’il est en train d’accomplir ? C’est qu’on ne cueille pas les mûres comme ailleurs l’on ramasse les noix (c’est-à-dire par des procédés barbares qui consistent à secouer les arbres comme des pruniers !). Et il faut savoir, avant de juger, pourquoi autrefois l’on partait à la recherche des mûres plus fréquemment qu’aujourd’hui, au point que cela représentait, avec tant d’autres activités minoritaires, un complément de revenu, certes modeste, mais face auquel l’on n’aurait jamais eu la mauvaise idée de faire la fine bouche. C’est là ce qui nous fait aborder une évidence : dans un roman de Hermann Hesse (Narcisse et Goldmund, 1930), l’on voit l’un des personnages « aller aux mûres », activité menée afin d’assurer une subsistance incertaine qui expose la cueilleuse au sacrifice de sa vie. La ronce « offre » ses fruits, mais quel prix est-on susceptible de consentir pour s’assurer ou non la survie ? La cueillette sauvage, mûre ou pas mûre, a longtemps été regardée comme un marqueur de pauvreté au XIXe siècle, mais également au début du suivant. Aline Mercan fait observer que « consommer des plantes sauvages vous désigne et vous stigmatise comme n’ayant pas les moyens de cultiver ou d’acheter de ‘bons légumes’ »9. Aller par monts et par vaux (qui prendrait le temps ? Ceux-là même qui n’ont ni champ à labourer ni troupeau à garder… soit des gens pas sérieux…) pour glaner les fruits sauvages de la terre passait pour un déshonneur que seul un être manquant de civilisation était capable de commettre. Cela renvoyait à un archaïsme désuet et, il faut bien l’admettre, un peu inquiétant aussi : n’y a t-il pas, à travers l’acte même de cueillette sauvage, une forme de déchéance ?10 Ceux qui condamnaient celui qui se livrait à la cueillette sauvage des haies et des talus se plaçaient dans le prolongement des poètes antiques qui célébraient les bienfaits de l’agriculture pour les avoir délivrés de l’indigeste provende du gland et d’une part non négligeable de la bestialité attachée à l’exercice d’une telle pratique. Déjà, Virgile plaçait la ronce en opposition à la violette et au narcisse, parce que cette plante de misère n’a rien à voir avec ces fleurs de rêve. Cette dichotomie n’a eu de cesse de peser lourdement sur la ronce, qu’on plaça aussi face à la vigne et au figuier (on dit, à la manière d’un proverbe, que la figue ne pousse jamais sur la ronce, de même que la rose ne prend jamais racine sur le fumier). Ceux qui consommaient les jeunes pousses printanières de la ronce arrachées au talus ou bien un pain de disette pour lequel entrait une bonne part de feuilles de ronce réduites en poudre, outre leur indigence, faisaient emprunter à leur existence de bien curieux chemins sur lesquels le chrétien (qui travaille et cultive de « vrais » légumes dans son potager) ne s’aventurait pas, de peur de… L’oisiveté du glaneur était mal considérée, elle sympathisait avec le chapardage et des procédés peu avouables qui durent entretenir autrefois de folles idées dans l’esprit de ces âmes bien comme il faut qui conspuaient leurs infortunés voisins. Ne pouvait-on pas estimer le niveau de débauche d’un malandrin, à la vitesse avec laquelle la broussaille épineuse emplissait son lopin de terre ? La terre qui se couvre de ronces, n’est-ce point là le signe d’une malédiction divine ? Dans Hamlet, la ronce allégorique semble être une entrave pour accéder au Ciel (surtout si elle loge dans le cœur). Or, si la ronce éloigne de Dieu… ne court-on pas le risque de tomber entre les griffes du diable ? C’est parfaitement lisible dans bon nombre de croyances et de superstitions : la ronce signe l’égarement, la perte du chemin mais aussi de soi-même, elle est le moyen de la punition infligée par quelque fée ou esprit de la nature. Par sa présence intempestive, elle indique la proximité de génies diaboliques, de la mort qui survole ruines et décombres, de fantômes malfaisants, sans doute parce que pendant longtemps la ronce a été vue comme une contrefaçon du diable. D’ailleurs, cette plante saturnienne est associée au crapaud dans certains actes de sorcellerie en Italie (d’après Nicolas Lémery, « le crapaud est appelé rubeta, parce qu’il se tient souvent sous la ronce qu’on appelle en latin rubus »11). La ronce symbolise encore l’envie orchestrée par le biais de machinations magiques, l’injustice et la cupidité qui s’agrippent à tout et par le moyen desquelles l’on obtient l’objet de son désir par le truchement d’une voie bien peu honorable. Rien de bien drôle en somme, si l’on se concentre seulement sur ses « pires » aspects, dont le paroxysme est, pense-t-on, de confiner au tombeau : envahissant souvent les cimetières pas ou mal entretenus, la ronce accouche d’un fruit noir comme le charbon et dont le suc, une fois qu’il est mêlé à de la crème, produit une teinte mauve assez triste et funéraire. C’est ce même suc dont se servirent entre autres les cabaretiers des environs de Paris, sophistiquant quelque peu les vins manquant de couleur (s’il y a duperie, elle est bien innocente, mais cela fait jouxter une fois de plus la mûre avec le système D, celui qu’on actionne afin d’éviter de sombrer dans la complète indigence). Voici donc ce qui s’appelle noircir le portrait, comme le redoutait Fournier. C’est un élan bien facile dans lequel on tombe sans prévenir, et qui fait surtout imaginer et dire bien des sottises, ainsi que d’autres paroles manquant vivement de nuance. Alors, qu’en réalité, la ronce est main de fer dans un gant de velours, toute en ambivalence, comme bien souvent au reste, ce qui, peut-être, fit dire à un botaniste que la ronce est « plante de Vénus en Bélier : si quelqu’un demande la raison pour laquelle Vénus est si épineuse, dites-lui que c’est parce qu’elle se trouve dans la Maison de Mars ». Comment ne pas distinguer le couple Vénus/Mars dans ce fer et ce velours ? Au Moyen âge, on décrivait l’amour par cette métaphore : il s’agit d’une petite quantité de miel que l’on cueille sur les ronces (toujours cette volonté de rendre bien visible le fait que rien ne peut jamais se départir d’une contrepartie désagréable qui se résume en une seule formule : se faire envoyer sur les ronces ! ^.^). Pourtant, à bien considérer la ronce et sa mûre (ce qui implique de ne pas se borner à les vouer aux gémonies), l’on discerne, au sein d’une médecine non officielle, bon nombre de remèdes populaires pour lesquels on faisait appel aux vertus de la ronce, au pouvoir des nombres et à la capacité protectrice de cet arbrisseau, abandonnant ou ignorant toute autre considération. Par exemple, dans les Côtes-d’Armor, on frottait à l’aide de bourgeons de ronce les dartres, puis l’on plaçait ces mêmes bourgeons dans un sachet de toile que l’on suspendait, au choix, au cou du malade ou au-dessus de la porte d’entrée de son habitation. Les lieux de passage fréquent des hommes sont privilégiés, car, par l’intermédiaire du seuil, l’on entre dans un autre état d’être. Paul Sébillot indiquait quelque chose de très semblable : « pour se guérir des furoncles, il faut passer neuf fois sous une tige de ronce que le hasard aura planté par les deux bouts (Périgord) ; à Guernesey, cette opération devait être faite neuf matins de suite et à jeun »12. Une variante plus expéditive (qui ressemble de loin à l’urtication) consistait à se faire traîner dans un fourré de ronces, moyen des plus profitables paraît-il pour se débarrasser d’une furonculose (par arrachage des furoncles grâce aux épines de ronce, je suppose ? ^.^). Dans beaucoup d’autres rituels de guérison des bêtes et des hommes, l’on retrouve, constant, l’appel à ce chiffre impair qu’est le 9 : en Cornouailles, il faut passer, à rebours du soleil, neuf fois à travers une ronce. Si elle forme une arche (comme tout à l’heure la porte d’entrée), c’est un meilleur moyen de guérison : ainsi faisait-on passer les petits malades anglais afin de les délivrer de l’affection qui les faisaient souffrir, de même que le bétail que l’on croyait placé sous l’influence de quelque sortilège. Au-delà de cette nécessité de passer dans ou sous une arche de ronces, on retrouve encore la magie des nombres dans d’autres rituels, comme celui-ci : afin de guérir une morsure de serpent, il faut frotter la blessure à l’aide de neuf feuilles de ronce. Dans les écrits d’un auteur contemporain, en l’occurrence Thierry Thévenin, l’on en croise un autre : « On prend sur le même pied neuf feuilles dont on coupe à chacune la pointe, en disant une prière à la plante pour qu’elle éloigne le mal, et on fait une décoction qu’on sucre avec du miel »13. On la voit encore protectrice en Géorgie : on garnissait de plantes épineuses, dont la ronce, les fenêtres des chambres afin que les épidémies ne pénètrent pas à l’intérieur des maisons. Si jamais une infection avait déjà touché un village, toute ferme isolée des alentours s’efforçait jusqu’à passer une charrue tout autour des bâtiments. Ces terres labourées (un cercle magique, en somme) par une lame en fer (un métal qui met en fuite les démons) et ces défenses épineuses aux ouvertures étaient considérées comme des protections magiques face aux esprits malveillants responsables, imaginait-on, des maladies infectieuses. Rappelons que la ronce est un objet magique dans bien des contes de fées, la haie qui soustrait le héros au désir d’anéantissement de son adversaire : on y voit ainsi une étrille, un peigne ou une brosse se métamorphoser en fourré de ronces infranchissable.

Il y a plus de 20 ans, Pierre Lieutaghi écrivait qu’on avait jusqu’alors dénombré environ 2000 formes différentes de la ronce commune en la seule Europe. « Si les ronces constituent pour le botaniste un épouvantable maquis, pour le vulgaire la chose est beaucoup plus simple, annonçait Fournier un demi-siècle avant lui : il distingue sans effort framboisier et ronce des buissons, et, pour notre part, nous nous en tiendrons ici à cette manière de voir »14. M’accordant à Fournier, je n’ai pas l’intention d’aller m’emberlificoter dans un dédale sans fin. Sachons seulement que Rubus, le nom de genre, s’appliquait aux ronces, framboisiers et églantiers durant l’Antiquité. Depuis, on a rangé ces derniers parmi les roses. Quand on voit l’allure de certains rosiers sauvages comme l’églantier, peut-on dire que la ronce commune tiendrait, elle aussi, de l’arbuste ? Non, mais c’est sa tendance – trompeuse – à poser ses rameaux un peu partout sur les branches des autres qui pourrait faire accroire cette idée. N’est-elle pas liane, quand on la voit pendante sur trois ou quatre bons mètres ? Ni arbuste, ni liane, juste un arbrisseau vivace et sarmenteux, à feuillage semi-persistant qu’on voit se déployer abondamment sur les tiges de la première année auxquelles on donne le nom de primocanes végétatives. Bien que vigoureuses (elles atteignent facilement 3 à 6 m de long, parfois bien davantage : 9 m), elles sont stériles et ne portent aucune fleur durant tout ce temps. L’année suivante, c’est au tour des floricanes génératives d’entrer en action : les primocanes cessent leur développement, mais voient poindre de place en place des bourgeons verticaux qui donnent lieu à des rameaux latéraux à croissance soutenue (5 à 8 cm par jour !) qui, dès le mois de mai, déploient leurs premières fleurs : cinq pétales arrondis organisés en rosette (2 à 4 cm), blancs ou légèrement lavés de pourpre. Au fur et à mesure de la floraison, on voit apparaître les premières mûres. De vertes, elles deviennent rouges avant de considérablement s’obscurcir pour présenter à l’œil un beau noir violacé et brillant à pleine maturité. Globuleuses et juteuses à l’image des framboises, les mûres en elles-mêmes ne sont pas des fruits mais des drupes, c’est-à-dire des agglomérats de petits fruits (drupéoles) concentrés tout autour du pédoncule.

Durant ces deux premières années, la ronce est abondamment couverte de crochets (dont le profil dessine parfaitement ceux de ces harpons préhistoriques qu’on taillait dans un morceau d’os)  : on en trouve sur les tiges (qu’elles soient vertes, rougeâtres ou violacées), sur les pédoncules, sur les feuilles aux trois à sept folioles dentées et même jusque sur les nervures inférieures des dites feuilles ! Quand l’on sectionne un rameau épineux de ronce dans le sens de la longueur, on découvre un cœur moelleux qu’abrite un revêtement extérieur particulièrement coriace. Même sans ses épines, qui dissuadent de faire le moindre geste brutal, l’on a généralement beaucoup de mal à briser l’un de ces rameaux, tant ils sont habillés d’une puissance qu’on aurait bien du mal à leur dénier. Ainsi armée, la ronce s’enchevêtre, s’enracine par marcottage lorsque ses rameaux touchent le sol, favorisant son déploiement à un territoire plus large, devenant rapidement impénétrable, d’autant que la croissance de la plante s’accentue à l’abord des haies et des broussailles. Cette aisance est facilitée par le fait que la ronce apprécie les sols pauvres plutôt acides et peu calcaires, les terres désolées, les terrains vagues sinon vacants et tout autre lieu ouvert mis à nu comme les coupes rases en forêt par exemple : j’ai récemment observé dans les Hautes-Alpes une parcelle autrefois couverte de hêtres toute tapissée, sur plusieurs dizaines de m², par un épais fourré de ronces, contribuant ainsi à « refermer » ce milieu, chose qui lui est parfois reproché : est-ce un mal ? Non, car selon Thierry Thévenin, la ronce est une véritable opportunité de protection de la biodiversité. Par exemple, elle protège les arbres dans leurs jeunes années (Roques mentionnait déjà ce fait il y a deux siècles), offre un gîte protecteur efficace à bien des animaux, etc. De plus, la ronce est la grande habituée des talus qu’elle protège de l’érosion en s’accrochant à tous les supports qu’elle rencontre. Mais elle est surtout une très courante représentante de la haie, quand elle ne la forme pas à elle toute seule ! C’est elle qui garantit, avec l’aubépine et le prunellier, tout aussi épineux, la protection de la faune peuplant la haie. Mais elle a été – et l’est toujours – traquée comme mauvaise herbe, et cela malgré l’ensemble des services rendus pendant des siècles. C’est particulièrement vrai dans les régions où l’on détruit la ronce, comme en Normandie. Il en va de la ronce comme du chiendent : ce sont deux espèces quasiment indestructibles et dont l’arrachage procure bien du plaisir ^.^ Mais la ronce n’est pas que l’hôte de la haie ! On la trouve aussi fréquemment dans d’autres types d’habitats : au bord des chemins, le long des sentiers, en lisière de forêts, dans les broussailles et les terres en friche. Largement répandue en Europe, on en note la présence en Asie septentrionale ainsi qu’au Japon.

La ronce en phytothérapie

Chez la ronce, tout est bon ou presque : de l’extrémité des racines (pour les plus intrépides) à celle des rameaux chargés de fruits bien mûrs, l’homme a su tirer, à toutes les époques, des remèdes capables de répondre à ses maux. Comme l’on sait, chaque période possède ses modes, et ce qui valait comme matière médicale hier n’est plus considéré aujourd’hui. Retenons donc qu’à l’heure actuelle on emploie exclusivement les mûres et les feuilles sous deux formes : lorsqu’elles sont encore à l’état de bourgeons non lignifiés et une fois déployées.

Commençons donc par ces dernières. Précisons avant toute chose que la phylogénie de Rubus fruticosus étant très complexe (en raison probable de « l’existence de multiples stratégies de reproduction : apomixie, hybridation et polyploïdie »15), elle agit pour une bonne part sur le profil biochimique de telle ou telle ronce, et donc de la qualité des feuilles cueillies ici ou là. Cependant, nous pouvons dresser un portrait général de la composition biochimique des feuilles de ronce qui comprend l’ensemble des composants suivant : des acides phénoliques (acides caféique, gallique, ellagique, p-coumarique, néochlorogénique), des tanins (10 % environ) dont des ellagitanins (comme la casuarinine et la sanguiine H-6/lambertianine C), ainsi que des gallo-tanins dimériques et ces tanins condensés que sont les anthocyanines (cyanidine-3-O-glucoside entre autres). De nombreuses substances appartenant au vaste groupe des flavonoïdes sont présentes dans les feuilles de ronce : des flavonols (quercétine, kaempférol) et des flavon-3-ols (catéchine, épicatéchine, gallate de méthyle). Enfin, des acides triterpéniques (acides rubinique et rubusique) complètent le tableau. Sels minéraux et oligo-éléments ne sont pas en reste (fer, calcium, magnésium, potassium, cuivre, manganèse), de même que la vitamine C (jusqu’à 90 mg aux 100 g de feuilles fraîches, soit, à poids équivalent, trois fois plus que dans les mûres !).

Passons maintenant au fruit, acide et légèrement sucré lorsqu’il est parfaitement mûr. Sur la question de la variabilité du profil biochimique, on se borne aux mêmes constatations qu’en ce qui concerne les feuilles : différentes variables influent sur la mûre avant et après sa récolte. Aux divers facteurs géo-climatologiques s’additionnent d’autres conditions : stade de maturation du fruit au moment de sa cueillette, temps qu’il fait au moment de cette opération, conditions de stockage des fruits, etc. Tout cela contribue au résultat final, comportant de grandes différences observables au moment même où l’on cueille des mûres : alors que certaines d’entre elles s’esquichent entre les doigts, y abandonnant de sanglantes traînées, d’autres s’en échappent et rebondissent au sol tant elles paraissent caoutchouteuses. Mais, dans un cas comme dans l’autre, ça ne reste pas moins que des mûres, que nous allons maintenant décortiquer dans le détail.

Essentiellement composée d’eau (à 85 %), la mûre contient 12 à 14 % de glucides (dont divers sucres : dextrose, lévulose, glucose, fructose, saccharose ; de la pectine ; du mucilage ; des fibres solubles et insolubles), des acides organiques (malique, succinique, citrique, oxalique, cinnamique), des acides hydroxybenzoïques (acide p-hydroxybenzoïque, acide syringique), des vitamines (B3, B9, C, E, K et provitamine A : la mûre recèle de nombreux caroténoïdes tels que α et β-carotène, lycopène, lutéine, zéaxanthine, β-cryptoxanthine), ainsi qu’une flopée d’éléments minéraux (potassium, calcium, sodium, magnésium, cuivre, fer, zinc, sélénium, aluminium, cobalt, nickel, chrome, manganèse, etc.). Au niveau des polyphénols, nous constatons que la mûre n’est pas moins dépourvue que les feuilles en acides phénoliques (acides caféique, gallique, ellagique, p-coumarique), en flavonoïdes (catéchine, gallate de catéchine, gallocatéchine, épigallocatéchine, quercétine, rutine, lutéoline, procyanidine B2) et en tanins condensés (anthocyanines).

Afin de clôturer le début de cette seconde partie, ergotons un peu sur un point bien particulier et dont on ne parle pas énormément, ce qui est bien normal vu la rareté du produit en question : il s’agit de l’huile végétale retirée des pépins de mûre (drôle d’idée, n’est-ce pas ? Déjà que celle de pépins de raisin c’est limite, mais alors là !…). Bref, vous saurez maintenant que dans les grains de mûre (c’est-à-dire précisément les semences qui se fichent dans les dents quand on mange une mûre), l’on trouve à peu près 10 à 15 % de cette huile végétale exprimée par pression à froid. Elle se compose des acides gras suivants (qui sont, hélas, tous des acides gras à longue chaîne…) : à des acides mono-insaturés (oléique : 15 %) et saturés (palmitique : 5 % ; stéarique : 3 %), qui sont certainement les moins problématiques, s’ajoutent de très grosses proportions d’acides gras polyinsaturés (linoléique : 61 % ; linolénique : 14 %). Huile parfois commercialisée, on peut se demander à quoi cela peut bien servir, d’autant que ce produit onéreux m’apparaît parfaitement inutile, malgré les arguments contraires qu’on nous sert pour nous inciter à d’autres sentiments : « Cette huile contient de grandes quantités d’oméga-3 et 6 et de vitamine E, qui sont censées être bénéfiques pour la peau. L’huile de graines de mûre peut aider à restaurer la peau endommagée ou ridée car elle absorbe les nutriments »16. Certes, certes. Mais à condition d’avoir une alimentation particulièrement détériorée incapable de fournir le peu d’oméga dont on a besoin, il n’est pas très utile de faire appel à ce type de produit. De plus, les oméga (3 comme 6) sont plus nocifs que bénéfiques pour la santé puisque ce sont tous des acides gras polyinsaturés à longue chaîne qu’il faut véritablement rejeter en bloc malgré toute la propagande qui est orchestrée autour de ces substances (par exemple, les oméga-3 en supplémentation sont susceptibles de provoquer une fibrillation auriculaire).

Propriétés thérapeutiques

La feuille :

  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante, antiradicalaire (« La présence d’anthocyanines en général et de cyanidine-3-O-glucoside en particulier dans la ronce est la source de la capacité antioxydante de réprimer à la fois l’oxydation chimique induite par les radicaux peroxydés et l’oxydation intracellulaire »17).
  • Anti-infectieuse (antibactérienne, antivirale), antiseptique, désinfectante
  • Tonique des muqueuses gastro-intestinales, anti-diarrhéique
  • Diurétique, dépurative, hypo-azotémique
  • Astringente cutanée, cicatrisante, hémostatique
  • Antipyrétique
  • Tonique utérine
  • Antidiabétique, stabilisatrice de la glycémie
  • Antidépressive du système nerveux central, anxiolytique, favorise le maintien d’une humeur saine, calme et stable
  • Active sur le système osseux, elle maintient le capital osseux en santé (cf. la tige de la ronce très similaire dans sa conformation à celle de la cardère pour laquelle nous avons pu constater l’implication dans la bonne santé du système osseux)

Le fruit :

  • Anti-inflammatoire, anti-oxydant, antiradicalaire
  • Apéritif, laxatif
  • Stimulant, tonique, fortifiant
  • Antiscorbutique
  • Dépuratif
  • Astringent, cicatrisant
  • Rafraîchissant

Usages thérapeutiques

La feuille :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée chronique, diarrhée des nourrissons (selles liquides, fréquentes, d’aspect argileux, de couleur blanchâtre), dysenterie (y compris infantile), dyspepsie, gastrite, hémorragie passive (estomac, intestins), entérite chronique, pyrosis
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : oligurie, rétention d’urine, hydropisie, hématurie, cystite, pyélite, lithiase rénale et urinaire
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux sèche, toux grasse sur les bronches, gorge irritée, enrouement, aphonie, angine, pharyngite, amygdalite, coqueluche, grippe, coup de froid, refroidissement, rhume, hémoptysie et crachement de sang
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, ramollissement, saignement et inflammation des gencives, névralgie dentaire, aphte, ulcère buccal, glossite, stomatite, muguet
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, régulation des menstruations (métrorragie, règles trop abondantes), douleurs menstruelles, hémorragie utérine passive
  • Affections cutanées : dartre, acné, furoncle, infection mycosique, eczéma, psoriasis, abcès chaud, plaie (atone, ancienne), ulcère (de jambe, atone), irritation, ecchymose, brûlure, soins cosmétiques de la peau et du cuir chevelu (« La ronce et ses composants antioxydants, en particulier les composés phénoliques, contribuent positivement à la santé de la peau en inhibant les dommages oxydatifs liés à la formation de rides et d’autres troubles de la peau comme l’hyper-prolifération et la sécheresse cutanée. Elle est utilisée dans l’industrie cosmétique en raison de son parfum spécifique et de son potentiel antioxydant. Elle est fréquemment utilisée dans la formulation de produits de soins de la peau, pour le nettoyage du visage, les produits de soins des cheveux, pour traiter la peau grasse […]. Les extraits de feuilles sont utilisés pour le vieillissement cutané et la composition des déodorants »18). Rappelons que la ronce est riche en tanins, substances qui dégraissent, dessèchent, assainissent et aseptisent. Il ne s’agit pourtant pas de faire subir aux muqueuses et à la peau le traitement que le tanneur réservait aux cuirs pour les apprêter, mais on comprend la similitude d’usage ^.^
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme goutteux, usure articulaire, entorse
  • Hémorroïdes
  • Diabète
  • Anémie, faiblesse générale, déficience immunitaire
  • Inflammations oculaires (« Jadis on préparait un bon collyre avec le suc des jeunes pousses battu dans de l’eau de rose avec un blanc d’œuf »19)
  • Réduction du risque de cancer de l’œsophage, du sein et du col de l’utérus

Note : une tige rougeâtre hérissée d’aiguillons qui écorchent qui les frôle, c’est une belle signature de la capacité de cette plante d’allure revêche à adoucir les affections des voies respiratoires supérieures (dans son milieu naturel, la ronce est une plante qui favorise la respiration des sols). On peut également voir dans cette tige l’image végétale d’un tube digestif enflammé et ulcéré, dont l’intérieur est tapissé d’une moelle qui n’est pas sans évoquer les muqueuses internes de l’œsophage, de l’estomac et des deux intestins.

Le fruit :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, entérite, colite, dysenterie infantile
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, asthme
  • Troubles de la sphère gynécologique : ménorragie, métrorragie
  • Anémie

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles de ronce : comptez une cuillerée à café (fraîches) à trois cuillerées à café (sèches) pour la valeur d’une volume d’eau représenté par un mug de 25 cl, soit 15 à 40 g par litre d’eau, en infusion dans une eau non bouillante (90° C) pendant 8 à 10 mn. Dans le registre de l’infusion composée, l’on trouve dans le commerce de nombreuses préparations toutes prêtes aux destinations nombreuses (amincissement, tonique du système respiratoire, tonique du système osseux, spécial ménopause, anti-allergique, pour seconder un sevrage tabagique, pour assurer un meilleur confort intestinal, etc.). Mais il existe de nombreuses recettes réalisables par soi-même car fort simples à mettre en œuvre comme, par exemple, un mélange à parts égales de feuilles de ronce et de feuilles d’aspérule odorante. Ou cet autre un peu plus complexe : feuilles de ronce (30 %), feuilles d’aspérule odorante (30 %), feuilles de fraisier (30 %) et feuilles de menthe poivrée (10 %). La pratique a fait apparaître qu’il est toujours profitable à la ronce de se voir accompagnée d’une plante riche en fraction aromatique : c’est toujours là l’assurance de former une très utile et efficace synergie. Ceci étant dit, il n’est pas superflu de mentionner qu’à elles seules les feuilles de ronce forment un très agréable succédané du thé, surtout quand on les prépare de la façon suivante : après cueillette, abandonnez au séchage vos feuilles de ronce, juste le temps qu’elles flétrissent. Dès qu’elles sont toute molles, hachez-les grossièrement, réunissez-les dans un torchon propre, aspergez-les un peu d’eau à l’aide d’un vaporisateur, enfermez-les dans le torchon et placez ce ballotin en un lieu chaud pour deux à trois jours. Une fois passé ce délai, déballez les feuilles fermentées, puis faites les sécher pour de bon. Une fois qu’elles sont bien sèches, conservez-les dans une boîte métallique bien hermétique. Une variante suggère de mêler aux feuilles de ronce une même quantité de feuilles de framboisier.
  • Décoction de feuilles de ronce : dans un litre d’eau (ou de vin), placez, selon les besoins, 30 à 100 g de ces feuilles fraîches (et jusqu’à 200 g). Faites porter à ébullition et menez une décoction à petits bouillons pendant 5 mn, après quoi laissez infuser pendant encore 10 mn à couvert hors du feu. Cette décoction se réserve surtout à l’usage externe (gargarisme, bain de bouche, bain de pied, bain de siège, injection vaginale, lotion cutanée et capillaire, etc.).
  • Cataplasme de feuilles fraîches pilées au mortier.
  • Poudre de feuilles : comptez 4 à 5 g de cette poudre quotidiennement.
  • Feuilles fraîches mâchées : très efficace pour assurer des soins bucco-dentaires réguliers. C’est là une pratique très ancienne qui remonte au moins à l’époque du médecin romain Serenus Sammonicus.
  • Suc frais de bourgeons de ronce : les bourgeons tout juste cueillis au printemps et placés dans un bocal finissent par exsuder un suc sirupeux dont on peut, aux dires de Valnet, se servir comme cicatrisant et anti-inflammatoire sur les plaies et au cours des angines.

Il nous reste à considérer quelques modes d’emploi relatifs à l’usage de la mûre thérapeutique, davantage qu’alimentaire (on placera plus bas – section Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations – quelques recettes allant dans ce sens). Mais, voyons dès à présent quelles sont les façons les plus simples de tirer partie de la mûre dans une pratique phytothérapeutique domestique et familiale :

  • Mûres en nature : une fois bien lavées, on peut les additionnée d’un filet de jus de citron et éventuellement les sucrer un peu.
  • Sirop de mûres : pour une partie de suc obtenu par pressage de mûres, ajoutez deux parts de sucre. Faites subir à l’ensemble une légère cuisson. Administrez à la cuillère ou bien dilué dans un demi-verre d’eau tiède.
  • Teinture de mûres : dans un litre d’alcool à 50°, faites macérer pendant un mois la valeur d’un bon bol de mûres fraîches. Exposez votre bocal au soleil ou à douce chaleur et agitez-le de temps à autre. A l’issue, pressez bien les mûres macérées et filtrez afin d’enlever un maximum de pulpe et de semences.
  • En délayant dans un peu de vin rouge le suc de quelques mûres écrasées, on obtient un badigeon que l’on peut appliquer au pinceau souple sur les plaies et les écorchures superficielles (rappelez-vous de l’association du rouge de la mûre et de celui du sang).
  • Gelées et confitures de mûres : en Basse-Normandie et dans les pays de la Loire, la confiture de mûres soignait les diarrhées.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : comme chacun y est allé de ses préférences et que, de plus, la ronce offre des visages très disparates en fonction des lieux et du climat où elle évolue, se sont glissées dans la littérature de très nettes dissemblances concernant les conditions de cueillette des feuilles de cet arbrisseau rustique. Concernant les jeunes pousses (c’est-à-dire les très jeunes feuilles encore pliées sur elles-mêmes comme les ailes d’un papillon au sortir de la tendre chrysalide), on s’entend sur une période s’étalant de la fin de l’hiver (mars) jusqu’au début du printemps (avril). Quant aux feuilles entières bien développées, il est parfois indiqué qu’on peut les ramasser en toutes saisons, ce qui me semble quelque peu exagéré, car il y a tout de même une grande différence entre la tendreté du bourgeon printanier et la vieille feuille rougissante qui jette dans les fourrés comme l’éclat d’une vigne abandonnée. De ces feuilles-là, abîmées, jaunies, déchirés, etc. l’on ne peut faire un usage phytothérapeutique. Il est donc souhaitable de prélever les feuilles de la ronce jusqu’à floraison à peu près. Quant aux mûres, selon les régions, dès le début du mois d’août on peut récolter les mieux exposées et pratiquer cette activité réjouissante jusqu’à la fin du mois de septembre, parfois octobre lorsqu’on se situe en altitude. Prenez garde de ne pas cueillir des mûres placées trop près du sol : elles pourraient avoir été en contact avec un animal de passage porteur de germes pas forcément sympathiques. Si le renard vient grappiller la ronce, il est susceptible (tout comme le chien, d’ailleurs, ne jetons l’anathème sur personne !) de transmettre des maladies à la ronce ainsi souillée. Le séchage des feuilles ne présente rien de particulier, pour peu qu’on les dispose sur des claies en un lieu sec et abrité des rayons directs du soleil. Une fois qu’elles sont devenues bien souples et qu’elles craquent sous les doigts, il ne reste plus qu’à les stocker dans une boîte métallique hermétique qui saura les retrancher de l’affront des insectes, de la lumière et de l’humidité. Quant aux très jeunes bourgeons feuillés, le séchage est un peu plus délicat, vu la grande quantité d’eau de végétation qu’ils contiennent. Les cueilleurs professionnels privilégient le séchage à l’air froid et sec.
  • En cas d’infusion et de décoction des feuilles, il faut prendre soin de bien les filtrer avant consommation afin d’en retirer les épines.
  • Éviter autant que faire se peut de préparer infusion et décoction de feuilles de ronce dans un ustensile métallique non émaillé du fait de la réaction du fer avec les tanins contenus dans ces mêmes feuilles.
  • Les mûres sont généralement déconseillées aux constipés chroniques.
  • A l’aide des rameaux flexueux de la ronce sectionnés en hiver (novembre-février), il est possible de fabriquer des liens qui, bien qu’un peu rustiques, sont dotés d’une grande solidité : on en tresse des paillassons, par exemple. Autrefois, ils étaient également conviés au travail de la paille de seigle, dont on élaborait paniers, plateaux et ruches, comme nous le rappelle le poète Virgile.
  • La mûre offre un jus tinctorial de couleur gris-bleu, l’écorce de la racine une teinture orangée.
  • Confusion : il existe un arbre, le mûrier noir (Morus nigra), dont les fruits s’appellent aussi mûres, terme appliqué aux fruits de la ronce en raison d’une analogie d’aspect.
  • Les usages culinaires de la mûre sont variés : sauces, garnitures de viandes, confitures, gelées, vins, sirops, liqueurs, alcools, jus de fruits, gâteaux, glaces, etc. Communiquons quelques recettes. Voici celle d’un sirop : cueillez les mûres quand elles sont bien noires. Si nécessaire, lavez-les. Puis mettez-les dans un récipient résistant au feu. Ajoutez un verre d’eau par kg de fruits. Placez le récipient au bain-marie et chauffez jusqu’à ce que les fruits aient rendu leur jus. Versez sur un tamis garni d’un linge fin et pressez avec un pilon. Faites cuire 5 mn le jus de mûres avec le sucre équivalent. Versez en bouteilles préchauffées. Bouchez-les et cachetez-les avec de la cire. Conservez en position couchée. Une autre de liqueur : 500 g de mûres, 500 g de sucre, un demi-litre d’alcool à 90° et un demi-litre de lait. Mettez tous les éléments dans un grand bocal, fermez hermétiquement. Laissez macérer douze jours en remuant matin et soir. Filtrez et mettez en bouteille. Je pense qu’il est possible de substituer le lait par un équivalent du type lait d’amande.
  • Élixir floral base de fleurs de ronce : il est destiné à ceux qui ne parviennent pas à concrétiser leurs projets et qui rencontrent des difficultés pour mettre leurs idées en pratique. Élixir conseillé aux personnes qui pratiquent la méditation, la visualisation, le travail onirique, etc.
  • Autres espèces : le framboisier (Rubus idaeus), le framboisier noir (Rubus occidentalis), le framboisier asiatique (Rubus chingii), la ronce bleue (Rubus caesius), etc. La petite ronce bleue des champs se distingue de la ronce des haies par le fait qu’à maturité ses mûres sont couvertes de pruine, substance cireuse que l’on remarque aussi en fine pellicule sur la « peau » des prunelles et de certaines prunes.
  • Cultivars : ces plantes cultivées forment généralement des fruits plus longs, plus larges et plus lourds que ceux de la banale mûre sauvage. Voici quelques noms : Jumbo, Thornfree, Black Satin, Loch Ness, Cherokee, tous sans épines.

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  1. Christophe Auray, Remèdes traditionnels de paysans, p. 23.
  2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 90. Un peu plus loin dans le texte, au paragraphe 119, elle réitère la même observation.
  3. Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, Manuel des plantes indigènes, Tome 1, p. 194.
  4. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 42.
  5. François Dorvault, L’officine, p. 1189.
  6. Adolphe Retté, Quand l’esprit souffle, p. 293.
  7. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 38.
  8. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 46.
  9. Aline Mercan, Cueillettes de mémoires en Hautes-Alpes, p. 121.
  10. Aujourd’hui, le regard porté sur les plantes sauvages alimentaires est en train de doucement se modifier et l’on commence à revenir des anciens anathèmes jetés à la face des orties et du plantain dont la consommation passe maintenant pour une ouverture d’esprit et une marque de bienveillance. Faisons donc « honneur aux laides, aux sans-fleurs, aux grisâtres, à tous les visages revêches du décombre et de la jachère : [car] mieux que le lis et la rose, ils ont veillé à la survie des hommes » (Pierre Lieutaghi, La plante compagne, p. 131).
  11. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 146.
  12. Paul Sébillot, Le folklore de France, Tome 3, p. 418.
  13. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, pp. 304-305.
  14. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 833.
  15. Source.
  16. Source.
  17. Source.
  18. Ibidem.
  19. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 836.

© Books of Dante – 2023

L’agastache (Agastache rugosa)

Unique agastache asiatique, cette plante de la famille des Lamiacées est aussi appelée menthe coréenne. Mais ce n’est là qu’une approximation. Découvrez donc cette jolie plante prometteuse peu connue en France.

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : agastache menthe, menthe coréenne, menthe indienne, hysope géante pourpre, hysope géante ridée, patchouli chinois, réglisse bleue, huo xiang (Chine), kawamidri (Japon), bae cho hyang, banga (Corée du Sud).

En Corée du Sud, le mont Gariwang est un sanctuaire sacré ayant fait l’objet d’une protection royale dès le XIVe siècle, au point d’avoir été classé comme espace protégé en 2008. Cinq ans plus tard, la zone s’est retrouvée déclassée. Que s’est-il donc bien passé entre-temps ? Eh bien en 2011, la ville sud-coréenne de Pyeongchang a remporté l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2018. Afin de faire face à la nécessité de doter ces jeux d’une piste skiable digne de ce nom (c’est-à-dire satisfaire aux « standards »), un site a été pressenti : le mont Gariwang. Mais, afin de le rendre praticable, il a fallu tailler dans le vif du sujet, c’est-à-dire abattre des arbres qui n’étaient là que pour gêner la marche des opérations… Ainsi a-t-on rasé 78 hectares de forêt, ce qui en l’occurrence représente pas loin de 60000 arbres, dont des sapins de Khingham (Abies nephrolepis) et des ifs du Japon (Taxus cuspidata), pour la plupart âgés d’un demi-millénaire. Autrement dit, l’une des dernières zones forestières les plus ancestrales de Corée du Sud a été sacrifiée pour une compétition sportive de deux semaines. Bravo ! ^.^ Aujourd’hui, la restauration écologique du mont Gariwang est envisagée, puisque ces installations sportives, dont personne ne veut, sont laissées à l’abandon du fait des coûts d’entretien faramineux qu’elles représentent. Dans une étude de 2021, des chercheurs coréens se sont penchés sur le problème et envisagent de restaurer le site grâce à deux plantes, l’astilbe rouge (Astilbe rubra) et l’agastache (je suis mauvaise langue, paraît-il qu’une plantation de bouleaux est aussi prévue…). Pas sûr que ça suffise : l’agastache ou menthe coréenne a beau être un must en Corée, on ne remplace pas au pied levé des arbres pluriséculaires par deux herbes qui n’ont pas de rapport avec un arbre. Mais on argumente. On prétend que les deux plantes seront capables d’apporter au sol nu une couverture, de le protéger contre les effets néfastes du vent et des précipitations (d’autant que les zones forestières détruites sont en pente… dans le sens du ski, mais apparemment pas dans celui du bon sens : n’y a-t-il pas meilleur moyen que l’arbre pour éviter que la montagne ne vous tombe sur la figure ?).

Oui, donc, en Corée, l’agastache est partout au point de porter le nom de menthe coréenne également en anglais (korean mint), bien qu’elle n’ait rien d’une menthe et ne soit en aucun cas une exclusivité coréenne. Quand je dis qu’elle est partout, c’est un fait, non une exagération. D’ailleurs, c’est inscrit même dans son nom coréen : bae cho hyang signifie « plante dont l’odeur est si forte qu’elle bannit d’autres odeurs ». C’est ce qui s’appelle prendre (presque) toute la place ! On l’a dans le nez depuis au moins le Xe siècle, époque depuis laquelle elle joue le rôle d’encens. Or, de la cassolette à la casserole, il n’y a qu’un pas : l’agastache s’est donc également invitée en cuisine, ajoutant les statuts de plante alimentaire et condimentaire à son palmarès. Par exemple, elle participe à la confection des crêpes coréennes, ainsi qu’à diverses soupes et autres préparations (ragoûts de poissons, plats de viandes…), dans lesquelles on l’ajoute au dernier moment (à la manière du persil en France et du basilic en Italie), venant largement concurrencer la périlla (Perilla frutescens) dans certaines provinces. Enfin, c’est une plante médicinale incontournable, non seulement en Corée, mais aussi en Thaïlande et en Chine. Connue comme telle depuis au moins la dynastie chinoise des Han (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.), on en retrouve des traces claires dans les médecines traditionnelles chinoise et coréenne remontant au moins au VIe siècle, entre autres à travers la refonte du Shen’nong Bencaojin que l’on doit à Tao Hongjing. En médecine traditionnelle chinoise, l’on considère que l’agastache est une plante âcre suffisamment échauffante pour être capable de réduire l’humidité excessive qui affecte l’ensemble du tube digestif. Liée aux méridiens de la Rate/Pancréas et de l’Estomac, l’agastache fait donc appel au principe de la Terre qui assèche l’Eau selon la loi d’inhibition. En médecine traditionnelle coréenne, l’agastache est présente au sein d’une formule composée constituée de treize plantes1 appelée Gwakhyangjeonggi-san, à travers laquelle on retrouve l’aptitude de l’agastache à placer ses bienfaits au niveau de la sphère gastro-intestinale, s’avérant efficace en cas de syndrome du côlon irritable à tendance diarrhéique, d’indigestion, de ballonnements, de nausée et de vomissement. De plus, des études « confirment les actions anti-inflammatoires et anti-oxydantes du Gwakhyangjeonggi-san, le présentant ainsi comme un candidat potentiel pour cibler les maladies inflammatoires et les maladies associées au stress oxydatif »2. La science moderne, attestant donc les sages recommandations des Anciens, est aujourd’hui capable d’établir, en s’inspirant des vieilles pharmacopées chinoise et coréenne, le profil thérapeutique de l’agastache, matière médicale dont il s’agira pour nous d’exposer tout à l’heure le détail.

L’agastache est une plante vivace à vie courte de la famille des Lamiacées d’origine extrême-orientale3, puisqu’on la trouve en Chine, Mandchourie, Corée, Japon, Vietnam, Taïwan et Russie (Sibérie orientale, Kraï du Primorye). Là, elle peuple les terrains exposés mi-ombre mi-soleil (il ne lui faut néanmoins pas trop d’ombre, car cela lui ferait perdre une bonne partie de sa fragrance), légers, sableux et bien drainés, acides à neutres, comme les zones herbeuses de montagne (1500 m), les berges de cours d’eau, les forêts un peu humides mais sans excès (par exemple, elle ne saurait supporter les sols argileux), les prairies ensoleillées.

Les tiges quadrangulaires de l’agastache, qui deviennent ligneuses à la base en forcissant avec l’âge, sont très ramifiées dans leurs parties hautes. Elles s’ornent de feuilles opposées plus ou moins cordiformes, grossièrement dentées sur les bords, gaufrées et ridulées à la surface du limbe et piquetées de fins poils blancs le long des nervures se trouvant au dos. Les feuilles vert cendré de l’agastache dégagent une odeur aromatique très perceptible lorsqu’on les froisse. Entre juillet et septembre, c’est le temps de la floraison pour cette plante qui tire très justement son nom de la profusion de longs épis floraux qui surgissent, faisant grimper la plante à plus d’un mètre de hauteur (agastache provient du grec agan, « beaucoup » et stachys, « épis »). Verticillées, les fleurs de l’agastache s’empilent effectivement les unes sur les autres, formant de grandes structures florales (5 à 15 cm, voire 20 cm) de couleurs variées : pourpre, mauve, violet, violet rose, plus rarement blanc. Également parfumées, ces fleurs attirent beaucoup les abeilles et produisent, dès le début de l’automne, de petites graines brunes, ainsi qu’un miel de qualité.

L’agastache en phytothérapie

Si l’on se préoccupait (par chez nous) autant de l’huile essentielle d’agastache que l’on ne démontre d’intérêt pour celle de cette autre agastache qu’est l’hysope anisée (Agastache foeniculum), eh bien, sans doute aurions-nous ici affaire à un article d’aromathérapie et non de phytothérapie. Oh, l’huile essentielle d’agastache rugueuse existe bel et bien, mais ne court pas exactement les rues, à l’identique avec celle de sa cousine qu’on parvient cependant à cultiver et à distiller en France (comme du côté de la Ferme du bien-être, par exemple). Mais cela sera l’objet d’un article futur, laissons donc là cette huile essentielle. A propos de l’essence aromatique qui irrigue les tissus de l’agastache du jour, l’on ne s’étendra pas sur le sujet, surtout que, depuis les années 1990, l’on a eu la bonne idée de se concentrer aussi sur les composés non volatiles de cette plante. Cependant, puisqu’on a affaire à la plante préférablement fraîche et que celle-ci embaume naturellement, il est bien difficile de faire l’impasse sur sa fraction aromatique qui peut rappeler à certains la menthe verte, à d’autres une odeur qui se partage entre l’anis, la réglisse et la bergamote. Cette essence, qui confère un goût âcre et piquant à l’agastache, de rendement médiocre à faible (0,1 à 1 %), semble différente à chaque étude que l’on fait porter sur elle. C’est qu’elle est aussi assujettie aux chémotypes dont on a repéré sept types différents (estragole, pulégone, isopulégone, menthone, isomenthone, méthyle-eugénol et népétalactone) qui, à eux seuls, expliquent un peu mieux les grandes disparités olfactives qui peuvent caractériser l’huile essentielle d’agastache. Par exemple, il est possible d’avoir affaire à des huiles essentielles où l’estragole plafonne à plus de 95 %, d’autres où l’isomenthone atteint 45 % pour s’effondrer à moins de 2 % dans un autre lot, etc. Orientons-nous maintenant auprès des autres composants, non moins intéressants et nous verrons que c’est avec raison que l’on s’est penché sur autre chose que de seules molécules aromatiques. Commençons donc par citer diterpénoïdes (agastanol, agastaquinone) et triterpénoïdes (acide maslinique), lignanes (agastinol, agasténol) et phytostérols (daucostérol, β-sitostérol). A cela, rajoutons quelques acides organiques (malique, citrique, cinnamique), des sucres (glucose, saccharose, maltose, mannose) dont le taux augmente dans les fleurs d’agastache au stade où elles sont à l’état de bouton jusqu’à celui qui les voit largement s’épanouir (afin d’assurer l’attraction des pollinisateurs qui viennent collecter là un abondant nectar ?). Ensuite, viennent des éléments minéraux (zinc, cuivre, sélénium, iode) et vitaminiques (acide ascorbique, vitamines du groupe B), des caroténoïdes (lutéine, α-carotène, β-carotène, zéaxanthine, violaxanthine, antheraxanthine, β-cryptoxanthine…). Au nombre des composants massivement présents, nous constatons de nombreux acides phénols (acide rosmarinique, chlorogénique, néochlorogénique, salvianolique B, acide caféique et ses dérivés, citrusine C, népétoidine B) qui, avec pas moins de flavonoïdes (acacétine, précurseur de la tilianine, apigénine, apigétrine, lutéoline, diosmétine, phlorizine, rutine, quercétine, kaempférol, épicatéchine, linarine, gastachine, agastachoside, iso-agastachoside…), forment un total de polyphénols absolument considérable dont on peut imaginer qu’il va activement participer aux nombreuses propriétés de l’agastache que voici.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Bacillus cereus, Micrococcus luteus), antifongique (Aspergillus sp., Candida sp., Trichophyton sp., Geotrichum capitatum), antivirale, antispirochétique, nématocide (Meloidogyne incognita), acaricide (Demodex sp.)
  • Anti-oxydante, antiradicalaire, anti-inflammatoire (L’agastache inhibe l’activité de l’élastase et de l’hyaluronidase, deux enzymes associées au processus de vieillissement des cellules et, de plus, améliore l’activité du glutathion et de la superoxyde dismutase, deux anti-oxydants impliqués dans la lutte contre le stress oxydatif. Le combat contre les DRO, c’est-à-dire les dérivés réactifs d’oxygène, est une lutte sans fin, car si on les laissait faire, ces substances s’attaqueraient aux membranes cellulaires, oxyderaient vaillamment l’ADN et commettraient plein d’autres joyeusetés du même type.)
  • Tonique cutanée : restaure l’humidité de la peau et sa fermeté, amoindrit les rides, augmente la densité du collagène de type I et le niveau d’acide hyaluronique ; sédative cutanée : lutte contre l’irradiation aux UVB
  • Tonique du cuir chevelu : renforce la vitalité du follicule pileux, augmente le tonus du cuir chevelu, favorise la repousse capillaire
  • Immunostimulante (en Asie, on considère qu’elle rivalise avec le ginseng, tout en affectant le système immunitaire plus doucement, l’incitant à relever sensiblement les défenses internes de l’organisme)
  • Protectrice cardiovasculaire, anti-athérogène, normalise la pression artérielle, améliore la circulation sanguine
  • Apéritive, digestive, anti-vomitive, carminative, stomachique, favorise la diversité du microbiote intestinal, protectrice gastrique, anti-inflammatoire du tractus gastro-intestinal
  • Anti-ostéoporotique, anti-ostéoclastagénique, atténue la perte osseuse4
  • Anticancéreuse, antitumorale, cytotoxique
  • Antipyrétique, fébrifuge, sudorifique
  • Antidiabétique, antilipogénique, anti-adipogénique, réduit l’oxydation du LDL
  • Neuroprotectrice, sédative du système nerveux central
  • Tonique sexuelle masculine (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : indigestion, manque d’appétit, diarrhée, gastro-entérite, gastrite aiguë, dyspepsie, nausée (y compris matinale), vomissement, gaz intestinaux, ballonnements, inconfort gastrique, douleur stomacale provoquée par le froid
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, sinusite chronique, angine, bronchopneumopathie obstructive chronique, inflammation allergique des voies respiratoires
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : angor, artériosclérose
  • Affections cutanées : acné, ulcère, inflammation, éruptions cutanées, érythème, rides, déshydratation et perte d’eau trans-épidermique, sécheresse et rugosité de la peau, dermatite des mains et des pieds, infection mycosique (teigne, pied d’athlète)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : hépatite chronique, diabète
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : goutte, hyperuricémie
  • Troubles locomoteurs : courbature, douleur musculaire, paralysie, parésie, tremblement des extrémités (au cours de la vieillesse), ostéoporose post-ménopausique
  • Fatigue, léthargie
  • Maux de tête, fièvre, forte chaleur estivale difficilement supportée (à coupler avec le gotu kola)
  • Cancer (sein, prostate, côlon)
  • Obésité
  • Malaria (avec Artemisia annua)

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries : comptez 5 à 10 g sec (ou 10 à 20 g frais), en infusion dans un litre d’eau bouillante pendant 15 mn. Pour faire de cette infusion un usage externe, doublez les doses utilisées et laissez infuser à couvert pendant deux heures. S’utilise en compresse sur la peau, le cuir chevelu, etc.
  • Poudre de feuille : 4 à 9 g par jour en plusieurs prises dans un véhicule convenable.
  • Cataplasme : broyez 100 g de feuilles fraîches au mortier afin de former une pulpe bien lisse à laquelle on ajoute deux à trois cuillerées à café d’huile végétale de noyaux d’abricot ou d’olive. Mélangez bien. S’applique en masque sur la peau du visage.
  • Macération vineuse : placez deux poignées d’agastache fraîche dans un litre de vin rouge pendant trois semaines au soleil. A l’issue, on filtre et on conserve à l’ombre, bien bouché.
  • Macération alcoolique : sur 200 g de sommités fleuries fraîches d’agastache, versez un demi-litre d’alcool (rhum à 50° par exemple) et laissez macérer le tout en un lieu sombre pendant un mois. Agitez de temps à autre. A l’issue, passez, exprimez bien, filtrez et conservez en petites bouteilles opaques. 40 à 60 gouttes par jour réparties à trois moments de la journée.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : lors de la première année de vie de la plante, une seule cueillette est envisageable vers la mi-juillet (il faut compter douze à treize semaines après le semis environ). L’année suivante, il est possible de procéder à deux ramassages (juillet et septembre). A cet âge, non seulement la plante est plus productive quantitativement, mais offre un produit de qualité bien supérieure. Quand approche le tout début de la floraison, c’est le moment crucial auquel procéder à la cueillette qui se déroule le matin quand la chaleur commence à se lever (la plante perd en humidité et en rosée matinale, mais ne voit pas son essence aromatique être complètement volatilisée). Le séchage se déroule à l’ombre, en un lieu bien ventilé : après avoir lié ensemble les tiges par douzaine, on suspend ces paquets par le biais d’un bout de ficelle à un clou ou une tringle.
  • L’usage de l’agastache durant la grossesse n’est pas recommandé, non plus que pendant l’allaitement. On remarque aussi que cette plante n’est pas compatible avec des troubles circulatoires tels que l’hypotension et la thrombophlébite.
  • L’agastache adopte une fonction condimentaire à l’état frais comme sec. Les jeunes feuilles séchées et réduites en paillettes peuvent être saupoudrées au-dessus des salades et plats qui requièrent son attention. Fraîche, elle aromatise les jus de fruits, les compotes, les confitures, les salades de fruits, etc.
  • Autres espèces : l’agastache anisée (A. foeniculum), l’agastache mexicaine (A. mexicana), l’agastache faux-népéta (A. nepetoides), l’agastache géante du Nouveau-Mexique (A. pallidiflora), etc.

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  1. Voici ces treize plantes : Agastache rugosa, Perilla frutescens, Angelica dahurica, Areca catechu, Poria cocos, Magnolia officinalis, Atractylodes macrocephala, Citrus reticulata, Pinellia ternata, Platycodon grandiflorum, Glycyrrhiza uralensis, Ziziphus jujuba et Zingiber officinale.
  2. Source.
  3. L’agastache dite rugueuse est la seule agastache asiatique, toutes les autres étant d’origine nord-américaine, à l’image de celle que l’on connaît un peu en France grâce à son huile essentielle, l’agastache anisée (Agastache foeniculum).
  4. « Il a été démontré que l’effet anti-ostéoporotique est également médié par des changements dans le microbiote intestinal, en augmentant le nombre de Deferribacteraceae, de protéobactéries et de Bacteroidota et en diminuant le nombre de bactéries Bacillota » (Source). On comprendra dès lors que les facteurs perturbants du microbiote intestinal (abus de médicaments allopathiques, malbouffe, etc.) puissent se porter, incidemment et sans qu’on s’en rende compte sur la bonne intégrité osseuse générale.

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