La mauve sylvestre (Malva sylvestris)

Synonymes : mauve officinale, mauve des bois, grande mauve, maude, fausse guimauve, fromage, petit fromage, herbe à fromage, fromageaon, fouassier.

Au sujet des origines de la mauve, l’on voit deux thèses majeures s’opposer régulièrement dans la littérature. Si certains affirment qu’elle tire son nom de la couleur de ses fleurs, il est également dit que son nom latin, malva, proviendrait d’un mot grec désignant la plante : malakaï, de malakos qui veut dire « mou », une mollesse qui s’appliquerait plus précisément au ventre (du latin alvus). (De là à prétendre que la mauve serait le ventre mou de la matière médicale…) A première vue, on serait tenté d’accorder davantage de crédit à la première proposition. C’est ce qu’on se dit quand on jette un œil sur les fleurs violet pâle de la mauve. Mais nous verrons que ces deux suggestions, loin de se contredire, se complètent, à la condition d’expliquer en quoi la mauve est quelque chose de « mou », et qui par je ne sais quel tour de force, est parvenu à se maintenir en plusieurs langues : malve en allemand, malva en italien, malwa en polonais, mallow en anglais, etc.
Durant l’Antiquité gréco-romaine, bien des personnalités évoquent la mauve, sans pour autant être tous médecins. Cela exprime le fait que cette plante débordait alors largement du strict cadre médicinal. C’est sans doute Hésiode le premier qui, au VIII ème siècle avant J.-C., nous livre les premières informations concernant la mauve. En effet, le poète grec raillait « les sots qui ne savent pas quelle richesse se trouve dans la mauve et l’asphodèle », et ceux qui étaient incapables de tirer partie de ces deux espèces végétales considérées comme plantes alimentaires des origines. « Selon Plutarque, on présentait au sanctuaire d’Apollon, à Délos, la mauve et l’asphodèle, comme souvenirs et comme spécimens de la nourriture primitive, parmi d’autres produits simples et naturels » (1). J’ignore si Hésiode lui-même se sustentait à l’aide de ces deux plantes, mais il semble transmettre un état de fait qui n’apparaît pas forcément contemporain, mais bien antérieur à sa propre époque, peut-être un héritage lointain des us et coutumes de nos ancêtres qui vécurent durant la dernière période glaciaire qui s’est achevée il y a environ 10000 ans : des graines de mauve ont été découvertes en nombre dans des stations préhistoriques datant de cette période. Ainsi, si la mauve est un aliment des origines, cela remonte bien avant le monde hellénique. Également abordée par Homère, cette plante sut conserver une dimension mythique. Au VI ème siècle avant J.-C., on rencontre la mauve comme plante chère à Pythagore. « Les Pythagoriciens en faisaient une plante symbolique et quasi sacrée, en raison, paraît-il, de l’orientation de ses fleurs vers le soleil » (2). Globalement, Grecs et Romains observèrent l’aptitude de la mauve à l’héliotropisme. Bien plus, les adeptes de Pythagore disaient cette plante « propre à modérer les passions et à procurer la liberté de l’esprit » (3), à élever l’âme, à s’affranchir des contingences terrestres, quand bien même ils constatèrent que la mauve apportait aussi la paix et la liberté du ventre ! Au III ème siècle avant J.-C., Hermippe de Smyrne, qui a écumé la bibliothèque d’Alexandrie pour écrire un monumental ouvrage qu’on ne connaît plus que sous forme de divers fragments, relate le fait que la mauve entrait dans la composition de deux préparations qui étaient censées supprimer l’une la faim, l’autre la soif.
Le médecin Hippocrate recommandait cette plante en cas de digestions difficiles. Mais pas uniquement pour cette raison, puisque ses continuateurs usèrent de malagmata, c’est-à-dire d’une préparation émolliente en application locale. Dès lors, nombreux seront les auteurs à s’attacher aux propriétés thérapeutiques de cette plante qui non seulement était un médicament mais aussi un légume que l’on cultivait dans les jardins grecs et romains, à côté des blettes, des poireaux, de l’oseille, du chervis, de l’aunée, comme cela fut le cas du temps du poète latin Martial. Appréciée des Romains en raison du fait qu’elle leur permettait de tempérer leurs « orgies », il était d’usage de s’en purger copieusement. C’est du moins à cela que se livrait Cicéron qui « raconte qu’il éprouva une violente colique suivie d’un dévoiement qui dura dix jours, après qu’il eut mangé d’un ragoût de bettes et de mauves : ‘La diarrhée, dit-il, m’a si bien pris que je commence, aujourd’hui seulement, à en espérer la fin. Ainsi, moi à qui il en coûte si peu de m’abstenir d’huîtres et de murènes, me voilà sottement pincé par des bettes et de la mauve’ » (4). Le poète Martial conseilla « un mélange de laitue et de mauve à l’un de ses contemporains, dont le visage attristé traduisait une irréductible constipation » (5). Il en usait lui-même, tout comme Cicéron, pour assurer les lendemains de bombance, mais trouvait cet ingrédient trop frustre et assez insignifiant, contrairement à cet autre poète latin qu’était Horace qui prétendait se nourrir uniquement d’olives, de chicorée et de mauve : « Me pascunt olivæ, me cichorea, levesque malvæ ».
Au II ème siècle avant J.-C., Athénée de Naucratis fait référence par fragments à un auteur peu connu, Diphilos de Siphnos, ayant écrit, un siècle avant lui, un ouvrage intitulé Sur le régime adapté pour les personnes en bonne et en mauvaise santé. C’est ainsi que grâce à l’auteur du Banquet des sophistes, l’on apprend que la mauve est considérée comme « lubrifiant de la trachée-artère et dissipatrice des âcretés superficielles ». En plus d’être bonne pour le ventre, elle agit aussi sur les poumons, ainsi que sur la sphère rénale et urinaire. Nous verrons plus loin dans quelle mesure les paroles de Diphilos sont pleines de justesse.
Dioscoride, qui la nommait malachê, mélangeait de la mauve à de l’huile, afin de soulager les piqûres d’abeille et de guêpe. Bien plus, des feuilles de mauve pilées dans du vin et additionnées de graines de lin finement broyées formaient un cataplasme pour les tumeurs cutanées et les inflammations dans les parties voisines. C’est à cette occasion que l’on peut revenir enfin sur le caractère « mou » de la mauve. Malakôs, le mot grec qui signifie mou, provient du verbe malassô, « ramollir ». Aujourd’hui, on ne parle pas de plante ramollissante, mais de plante émolliente, c’est-à-dire d’une plante ayant pour propriétés d’amollir et de détendre les tissus. Ces vertus, que possède la mauve, proviennent de la présence de mucilage, une substance qui, au contact de l’eau, gonfle et prend un aspect visqueux. Ce qui est intéressant dans la recette relatée plus haut, c’est que les graines de lin contiennent aussi du mucilage. On a donc affaire à une recette qui recherche l’amollissement des tissus tumoraux, ce qui procure indirectement un effet anti-inflammatoire.
Pline vante la décoction de mauve dans du lait pour guérir la toux, mais avance qu’elle aurait le pouvoir de nuire à la chasteté ! Plus exactement, il affirme que la graine de mauve serait dotée d’une grande puissance aphrodisiaque, puisque, paraît-il, une racine (parfois trois) de mauve liée à la cuisse incite à combattre dans le camp de Vénus. Qu’elle agisse sur les affections de la matrice ou des seins par sa racine qu’il fallait prendre soin de lier dans de la laine noire, ne dit pas nécessairement que la mauve est aphrodisiaque, bien que, il est vrai, il lui arrivait d’entrer dans la composition d’onguents destinés à favoriser l’amour. Pline, reprenant Xénocrate, ira même jusqu’à affirmer « que les mauves naissent tellement pour l’amour qu’un saupoudrage avec la graine pour le traitement des maladies des femmes accroît infiniment leurs désirs ». S’il est difficile de confirmer que la mauve est aphrodisiaque, il n’en reste pas moins vrai que « plusieurs plantes passaient pour agir sur les accouchements, comme les feuilles de mauve qui, placées sous les parturientes, [les] facilitaient » (6). Quoi qu’il en soit, bien des observations vont dans ce sens que la mauve aurait un rapport avec la sphère génitale féminine, tant d’un point de vue de la sexualité que de l’enfantement. Sur ce dernier point, le botaniste Phainias d’Érèse explique dans son Traité des plantes (IV ème siècle avant J.-C.) qu’on peut observer une comparaison entre le fruit de la mauve qui évoque la forme d’un gâteau, et le placenta (du grec plakoûs) qui, d’après son aspect aplati rappelle celui d’une galette.

Les petits « fromages » végétaux de la mauve.

Au Moyen-Âge, on retrouve la mauve en bonne place au sein du Capitulaire de Villis, cette fameuse ordonnance carolingienne (Charlemagne, Louis le Débonnaire) qui édicte un certain nombre de règles à observer en matière d’espèces végétales. La mauve (malva) y est présentée autant comme médicament que légume.
Fidèle aux paroles de l’Antiquité, Macer Floridus s’inspire largement de Dioscoride et de Sextus Niger, un médecin romain du Ier siècle avant J.-C. Macer met en garde contre l’emploi des feuilles crues, mauvaises pour l’estomac. Cependant, cuites, elles sont très efficaces contre les affections internes, telles que celles de la vessie. Mais, surtout, Macer indique une kyrielle d’indications externes : la mauve intervient sur les douleurs dentaires, comme cicatrisante sur les blessures et les brûlures, comme remède pour réparer les fractures. Il conseille aussi l’usage de la mauve pour des problèmes propres à son époque (XI ème siècle). Des feuilles de mauve pilées et mélangées à du sel s’appliquaient sur les égilops, c’est-à-dire de petits ulcères cailleux se formant à l’angle interne des paupières. Une décoction de mauve dans de l’urine venait à bout de la teigne. Enfin, une décoction de mauve, dans l’huile cette fois-ci, intervenait en cas de feu sacré (ou mal des ardents, feu de saint Antoine), une maladie enclavée aux X ème et XI ème siècles surtout, mais qui ressurgira beaucoup plus tard au cours de l’histoire. Aujourd’hui, elle porte le nom d’ergotisme. Cette affection est provoquée par l’ergot de seigle, une moisissure contenant plusieurs alcaloïdes toxiques. Une fois le seigle récolté, la moisissure se retrouve dans la farine. On ingérait, par l’alimentation, un dangereux poison. Longtemps resté indétectable dans ses causes, le feu sacré provoque une compression des petits vaisseaux sanguins, ce qui entraîne une perturbation de la circulation et, par voie de fait, une gangrène terminale, accompagnée de démangeaisons, de sensation de brûlure et de nécrose. Il va de soi que la mauve ne guérit pas l’ergotisme, pour lequel il n’existe aucun antidote. Cependant, les propriétés émollientes, anti-inflammatoires et rafraîchissantes de la mauve permettaient-elles sans doute de soulager quelque peu les malades.
Au Moyen-Âge, il existe toujours cette controverse portant sur les prétendus pouvoirs de la mauve auprès de la sphère génitale féminine. Si elle est toujours employée dans les affections internes de la matrice et autres obstructions hystériques, Macer indique que la racine de mauve broyée et mêlée à de la graisse d’oie constitue un redoutable pessaire abortif, tandis qu’Albert le Grand voit dans la mauve le plus sûr moyen de savoir si une jeune fille est encore vierge (De secretis mulierum).
Hildegarde distingue deux mauves dans son Physica : elle appelle Babela la première et Ybischa la seconde, qui semble désigner non pas la mauve mais la guimauve, comme les anciens noms de cette plante en attestent : ybesche, ybischea, ywesche, etc. (aujourd’hui eibisch en langue allemande). La grande mauve d’Hildegarde, Babela donc, n’est pas recommandée à l’état cru, car selon l’abbesse, elle contiendrait des « humeurs épaisses et vénéneuses ». Elle fait donc écho aux paroles de Macer Floridus et lui préfère la mauve cuite. De cette manière elle facilite la digestion. Si elle la dit modérément bonne pour le malade, elle serait à éviter chez le bien-portant car elle contiendrait « une sorte de poison ». Dans son exposé, Hildegarde privilégie davantage les usages externes. De la mauve et de la sauge broyées ensemble et mélangées à de l’huile d’olive en cataplasme permettent de venir à bout des maux de tête causés par la mélancolie et les fièvres. Les feuilles de mauve additionnées de racines de plantain appliquées sur les fractures aidaient à leur consolidation. Enfin, la rosée recueillie sur des feuilles de mauve au matin, lorsque le ciel est clair, pur et doux, avait le don d’éclaircir la vue.
Donnons maintenant la parole à l’école de Salerne, en Campanie italienne : « La mauve, émollient fourni par la Nature, des intestins aide la fonction. Moyennant sa décoction, d’un pauvre constipé, la délivrance est sûre. De ses racines la raclure au ventre rend la liberté, sert au beau sexe, et lui procure le retour de ses fleurs, d’où dépend sa santé. » Émolliente, la mauve porte son action sur la sphère digestive par le biais de ses propriétés laxatives. Les deux derniers vers s’appliquent aux femmes pour lesquelles la mauve joue le rôle de tonique utérin et d’emménagogue, les « fleurs » désignant ici les règles (7).
Dans d’autres manuscrits médiévaux, comme les réceptuaires par exemple, on trouve des indications supplémentaires concernant la mauve : somnolence, maladies vésico-rénales (rétention d’urine, gravelle, lithiase), œdèmes pulmonaires, hémorragies, charbon (anthrax), piqûres d’abeille, etc.

Au tout début de la Renaissance, Matthiole nous dit que bien que la mauve ne soit plus consommée comme légume en Italie, elle y est devenue une panacée médicinale (Omnimorbia). A ce titre, Jérôme Bock affirmait en 1577 que quiconque absorbe une dose quotidienne de suc de mauve est assuré d’être préservé de toute attaque morbide dans la journée ! Quant à Matthiole, voici ce qu’il écrit au sujet de cette plante : « La racine sèche macérée un jour dans l’eau, puis enveloppée tout humide de papier et cuite sous la cendre chaude, puis de nouveau desséchée, constitue un excellent dentifrice, qui détruit même le tartre dentaire [nda : cette utilisation sera reprise quelques décennies plus tard par Olivier de Serres]. La décoction des feuilles et des racines en gargarisme calme les maux de gorge […] Les feuilles écrasées avec celles du saule fournissent un excellent emplâtre sur les blessures et toutes les inflammations […] Comme laxatif, on consomme les jeunes pousses pelées et cuites assaisonnées à l’huile et au vinaigre » (8). Amatus Lusitanus, puis plus tard Jean-Baptiste Chomel, préconisèrent la mauve en cas d’ardeur d’urine (sans doute faut-il entendre par là les infections urinaires), tandis que l’Allemand Ettmüller (1644-1683) imagina un onguent de mauve contre la teigne des enfants.

Il est bien évident que la quasi totalité des pouvoirs de la mauve n’a pas échappé à la médecine populaire des campagnes ni à celle des empiriques. L’infusion de mauve soignait les brûlures alors que sa décoction permettait d’apaiser les irritations cutanées et de laver les plaies et les ulcères. Bien connue pour ses vertus digestives, elle soignait diarrhée et constipation, aussi bien chez les êtres humaines que chez les jeunes animaux (veaux, porcelets, poulains). Indigestion, ballonnements, flatulences, tout cela était du ressort de la mauve. Les troubles respiratoires ne sont pas oubliés : cela n’est pas un hasard si la mauve fait partie de la « tisane des sept fleurs », infusion pectorale, en compagnie du bouillon-blanc, de la violette, du coquelicot, de la guimauve, du tussilage et du pied-de-chat. Adoucissante et émolliente, cette tisane était réservée pour la toux, les irritations bronchiques, etc.
Enfin, tout comme cela fut le cas lors de l’Antiquité et du Moyen-Âge, on retrouve la mauve dans les affections génitales spécifiques aux animaux : de la décoction en lavement pour les infections après délivrance à la fumigation de mauve contre les mammites, il était courant de présenter, après la mise-bas des animaux, de la nourriture et des boissons réservées spécialement à leur intention. Ainsi, en Alsace, par exemple, une soupe de mauve et de graines de lin était-elle offerte aux génitrices.

Dans la nature, il est difficile de ne pas reconnaître la grande mauve, même si celle-ci adopte un port semi-rampant ou ascendant : en effet, selon qu’elle est bien droite, comme l’envie lui en prend quelque fois, ou couchée (il lui arrive bien plus souvent de faire les efforts nécessaires pour éviter la reptation complète), sa taille à partir du sol passe à peu près du simple au double (de 40 à 100 cm). Cette adaptation à son milieu est aussi observable à propos de son cycle végétatif : habituellement bisannuelle, la mauve peut être marquée par une pérennité un peu plus étendue, et devenir une vivace à vie brève.
C’est donc une racine en pivot assez profonde qui porte des rameaux nombreux, plus ou moins lâches et pubescents. Ses feuilles crénelées, bien que lobées par cinq ou sept, s’inscrivent dans un cercle. Conformées comme celles du lierre ou de la vigne, elles s’achèvent, à l’opposé du lobe le plus grand, par un long pétiole. Molles et lanugineuses, elles accueillent en leurs aisselles, et ce dès le mois d’avril au plus tôt, des fleurs fasciculées qui, une fois bien écloses, peuvent atteindre jusqu’à cinq bons centimètres de diamètre : un calice à cinq sépales, doublé d’un calicule à trois languettes, abritent cinq pétales soudées à leur base (même si ça ne se voit pas au premier coup d’œil), d’aspect qu’on peut qualifier de cordiforme, à l’échancrure plus ou moins profonde. Habituellement veinés de violet dans le sens de leur longueur, ces pétales, mauves donc, prennent parfois des coloris plus soutenus, rose vif, voire rose pourpre (on peut se demander si ces veinules permettent de diriger les abeilles auprès des étamines, puisqu’il est vrai que la mauve est une plante dont les fleurs sont très recherchées par ces hyménoptères).
Puis passe le temps. Les mois estivaux font leur office, et font provisions (parfois jusqu’en automne et même aux portes de l’hiver) de fruits semi-globuleux et orbiculaires, couronnes formées de huit à dix akènes ridés et soudés entre eux, ceux-là même qui forment le gâteau rond, tout plat et percé en son centre, à qui les enfants attribuent le nom de fromage puisqu’ils en ont le goût lorsqu’ils sont encore à l’état frais. Puis, une fois sèche, chaque part se sépare de ses consœurs et s’en va se disperser de par le vaste monde. Enfin, c’est vite dit, toutes ces petites parts de gâteau n’atterrissant jamais bien loin de maman. Se séparer à maturité, c’est ici une image.
Cette plante, assez fréquente jusqu’à des altitudes moyennes (1100-1500 m), apprécie surtout les sols secs et azotés que les cultures ont tendance à délaisser : bordures de chemins, talus, haies, friches, lisières de forêt, ainsi que tous ces terrains proches des habitations que sont les terrains vagues et les décombres.

La mauve sylvestre en phytothérapie

Pas moins puissante, mais plus courante que la guimauve (Althæa officinalis) et le lin (Linum usitatissimum), la mauve était couramment usitée dans les campagnes française où les médecins, appelés au chevet des malades, prélevaient parfois à l’entour des fermes, les fleurs et les feuilles de cette plante qui affecte d’y pousser avec d’autant de plus de véhémence que ces sols ammoniacaux sont riches en nitrates.
S’il est une substance qui caractérise particulièrement la mauve, ce sont les mucilages (de nature pectosique, en ce qui concerne cette plante). Certains chimistes en trouvèrent dans les racines moins que dans les feuilles, mais cependant à hauteur de 25 % environ, ce qui donne une petite idée de la quantité de mucilage qu’elles peuvent contenir.
De peu d’odeur, voire d’odeur nulle, la mauve ne brille pas non plus par sa saveur qu’elle possède assez fade et herbacée, devenant mucilagineuse au fur et à mesure qu’elle est mâchée, ce qui, à force, n’est pas exactement ce qu’il y a de plus agréable en bouche. Si dans le commerce de l’herboristerie, l’on trouve plus souvent les fleurs de mauve à la vente, les usagers des apothicaireries d’antan privilégiaient tant les fleurs que les feuilles de la mauve. Ce que nous faisons aussi d’un point de vue personnel. La racine de mauve fut parfois employée, mais comme celle de guimauve – cultivée à cet effet – est beaucoup plus efficace que celle de la mauve, on a quelque peu laissé de côté cette dernière, qu’on peut tout à fait bien utiliser à défaut.
La mauve ne tient pas qu’à la présence de son mucilage, fut-il nutritif, parce que de nature glucidique. Elle contient aussi du tanin, des saponines, des glucosides flavoniques et des matières résineuses.
Plus précisément, nous pouvons ajouter des sels minéraux (potassium, calcium), des vitamines (B1, B2, C et provitamine A). Dans les fleurs, on a détecté une faible fraction d’essence aromatique, de la malvine et, chose bien plus évidente au regard, de ces anthocyanosides responsables des jolis coloris des pétales de fleur de mauve.

Propriétés thérapeutiques

  • Antitussive, expectorante, mucolytique, pectorale
  • Apéritive (?), anti-inflammatoire intestinale, eccoprotique (en clair : laxative)
  • Émolliente, adoucissante, rafraîchissante
  • Décongestionnante des muqueuses
  • Diurétique légère
  • Insectifuge (?)

Note : les anthocyanosides sont anti-oxydants, protecteurs des membranes cellulaires et anti-agrégeants plaquettaires.

Usages thérapeutiques

Le docteur Jean Valnet préconisait la mauve « partout où il y a de l’inflammation » (9). En gros, on peut dire de cette plante qu’elle porte son action sur un ensemble d’affections inflammatoires, tant externes qu’internes, qui perturbent principalement les muqueuses stomacales, intestinales, pulmonaires, urinaires, oculaires, cutanées, buccales… Avancer qu’elle joue le rôle de « lubrifiant » n’a rien d’exagéré.

  • Trouble de la sphère gastro-intestinale : dans l’ensemble, irritations et inflammations des voies digestives, gastrite, entérite, gastro-entérite, entérocolite, diarrhée, dysenterie, colique, vomissement de sang, constipation chronique, atonique, spasmodique (chez le nourrisson, l’enfant et la personne âgée ; veillez à modifier aussi les habitudes alimentaires néfastes pour corriger ce travers)
  • Troubles de la sphère respiratoire et ORL : irritations et inflammations des voies respiratoires, bronchite, bronchite aiguë, catarrhe bronchique chronique, toux, toux sèche, trachéite, pharyngite, laryngite, maux de gorge, enrouement, angine, amygdalite, rhume, asthme, crachement de sang, adjuvant utile dans la tuberculose (ainsi que dans ces autres maladies infectieuses que sont la grippe, la rougeole, la variole et la scarlatine)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : irritations et inflammations des voies rénales et urinaires, cystite chronique, néphrite, urétrite, affections goutteuses
  • Affections bucco-dentaires : stomatite, glossite, aphte, gingivite, poussée dentaire (chez le nourrisson, on peut utiliser la racine de mauve, comme on le fait de la guimauve)
  • Affections oculaires : inflammation des paupières, ophtalmie, conjonctivite
  • Affections cutanées : plaie, plaie infectée et douloureuse, abcès, ulcère enflammé, tumeur, furoncle, brûlure, eczéma, érythème, piqûres d’insectes (mouche, guêpe), pellicules
  • Vaginite

Note : Pierre Lieutaghi ajoutait aussi que la mauve est secourable en cas d’« inflammations causées par l’absorption de liquides ou de corps caustiques » (10).

En médecine traditionnelle chinoise

On utilise les graines, les feuilles et les racines de Dongkui, alias la mauve de Chine ou mauve crépue (Malva verticillata). Plante de nature froide à la saveur douce, cette mauve est tout à fait qualifiée pour tonifier l’énergie du méridien du Poumon, et pour porter également secours à ceux du Gros intestin, de l’Intestin grêle et de la Vessie. Pour tout dire, cette mauve partage bien des points communs avec la mauve sylvestre : elle agit sur la sphère vésico-rénale à un degré supérieur (hématurie, polyurie, cystite, miction difficile), applique d’égales propriétés aux sphères gastro-intestinale (constipation, dysenterie), respiratoire (pneumonie, maux de gorge) et cutanée (brûlure, morsures d’animaux, piqûres d’insectes, escarres). Enfin, elle semble se montrer plus efficace auprès de la femme, lui rendant le service d’augmenter la lactation et de désengorger les seins gonflés et douloureux.

Modes d’emploi

  • Fleurs : infusion longue, décoction légère.
  • Feuilles : infusion, décoction légère, décoction concentrée.
  • Racine : infusion longue, décoction.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses, de pulpe de racine fraîche.
  • Suc frais en application locale.
  • Teinture-mère.

Note : classiquement, on procède à la décoction de feuilles de mauve. Pour cela, on compte « une poignée par litre d’eau. Bouillir 15 minutes. En lavages oculaires, injections vaginales, lavements émollients, lavage des plaies infectées et douloureuses, bains de bouche » (11).
Note 2 : l’infusion de fleurs peut se sophistiquer en procédant au mélange suivant : 1/3 de fleurs de mauve + 1/3 de fleurs de bouillon-blanc + 1/3 de fleurs de violette.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les fleurs sont cueillies en début de journée, avant leur complet épanouissement, aussi longtemps que dure la période de floraison. On peut donc partir en cueillette plusieurs jours durant, dès le mois de juin, puis juillet (selon les localités, jusqu’en septembre). Quant aux feuilles, il est préférable de les ramasser avant floraison (avril-mai), si l’on souhaite en faire un usage thérapeutique. C’est ce que préconisait Lieutaghi, mais d’autres praticiens ne s’embarrassaient pas de telles restrictions, estimant que cette récolte pouvait l’être au fur et à mesure des besoins, pour une utilisation fraîche et immédiate, et seulement en juin et en juillet en vue d’une dessiccation. Les racines s’arrachent à l’automne, ou bien durant l’hiver de la première année du cycle végétatif de la plante.
  • Séchage : dans l’ensemble, il requiert les mêmes soins attentifs que pour les pétales de coquelicot. C’est une chose qu’on observe dès l’abord avec la racine mucilagineuse de la mauve, qui se doit d’être bien lavée et nettoyée, puis bien séchée au torchon (son fort taux de mucilage peut l’amener à la faire facilement pourrir). Les feuilles et les fleurs se disposent sur une claie, sans se chevaucher trop les unes les autres. On les remue doucement chaque jour, et on peut les protéger à l’aide d’une feuille de papier de soie afin de les soustraire à un excès de luminosité (au cas où elles seraient entreposées dans un local non totalement plongé dans l’obscurité). Les fleurs prennent une couleur bleue caractéristique lorsque leur dessiccation s’est bien déroulée (si non, elles blanchissent). Cette couleur bleue dure dans le temps, mais je ne puis en dire autant des propriétés curatives des pétales dont l’âge est trop avancé. Feuilles et fleurs sont sensibles à la lumière et après séchage elles devront être impérativement stockées dans un récipient hermétique et opaque, placé à l’obscurité.
  • Alimentation : les feuilles destinées à l’usage culinaire peuvent se dispenser des précautions préconisées plus haut. Tout d’abord, on peut élargir la période de récolte, l’étirer de mai à septembre, tout en prenant soin (comme précédemment au reste) de bien choisir ses lieux de cueillette, d’éviter les feuilles piquetées par ce champignon à qui l’on donne le nom vulgaire de « rouille » (Puccinia malvacearum), puis de bien laver sa récolte comme on le ferait de n’importe quelle salade, sauvage ou domestique (un filet de vinaigre dans l’eau de trempage peut parfois avoir son utilité). Toutes jeunes, les pousses se consomment crues en salade ou bien cuites en poêlée, en soupe, en farce, etc., en compagnie d’autres plantes sauvages (plantain, chénopode, amarante, ortie, coquelicot…). Une salade ainsi composée – feuilles de mauve, de pissenlit, de chicorée, un tiers de chaque – est particulièrement goutteuse. Les fleurs ainsi que les boutons floraux trouvent une place de choix sur une salade composée, un taboulé, etc. en compagnie d’autres pétales de fleurs tout aussi comestibles (souci, bourrache, violette, capucine). Les boutons peuvent se confire au vinaigre comme les câpres.
  • Parfois citée comme plante tinctoriale, la mauve, par ses pétales, offre une assez bonne teinture.
  • Associations : à destination de la sphère gastro-intestinale (entérite, diarrhée, dysenterie) : potentille, benoîte, etc. ; à destination de la sphère vésicale (cystite et autres affections de la vessie) : bruyère, myrtille, aspérule odorante.
  • Élixir floral : si l’on ne trouve pas la mauve parmi les 38 quintessences florales du docteur Bach, d’autres que lui ont imité sa méthode pour concevoir un élixir à base de fleurs de mauve. Inspirons-nous de ce que dit Guy Fuinel de cette plante pour mieux comprendre le message porté par cet élixir : « La mauve ne tolère pas la colère, elle calme les nerveux, les excités tous azimuts. Elle est tempérance aussi bien pour le corps que pour l’esprit » (12). Plante au caractère féminin très marqué, emprunte de douceur et de tendresse maternelle, « la mauve propose détente et ressourcement à la femme. Elle lui conseille l’amour sans élans excessifs, sans émotions destructrices » (13). Enfin, l’on peut souligner le fait que cet élixir s’adresse aussi aux personnes que l’idée de vieillir insupporte, craignant cela comme la mort elle-même. Cette crainte, si elle n’est pas endiguée, accélère d’autant plus le vieillissement en suscitant des tensions, objets de nouvelles craintes, etc.
  • Autres espèces : la mauve à feuilles rondes (M. rotundifolia ou M. neglecta), la mauve crépue, frisée ou chinoise (M. verticillata), la mauve musquée (M. moschata), la mauve alcée (M. alcea).
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    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 318.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 614.
    3. Ibidem.
    4. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 181.
    5. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 15.
    6. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 213.
    7. On devrait écrire non pas fleurs, mais flueurs, du latin fluor, « écoulement ».
    8. Cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 614.
    9. Jean Valnet, La phytothérapie, p. 360.
    10. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 287.
    11. Jean Valnet, La phytothérapie, p. 360.
    12. Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 29.
    13. Ibidem, p. 30.

© Books of Dante – 2020

Mauve sylvestre sous-espèce mauritiana.

Le coquelicot (Papaver rhoeas)

Synonymes : pavot sauvage, pavot des champs, pavot rouge, pavot coq, ponceau, chaudière d’enfer, gravesolle, bambagelle, mahon.

Le coquelicot si commun et banal… Enfin, pas tout à fait. Il a longtemps été considéré comme une mauvaise herbe mêlée aux céréales en particulier. Mais que voulez-vous, c’est un habitué des champs. Pline l’ancien rapporte déjà l’affection que porte le coquelicot aux cultures céréalières : entre « les pavots domestiques et les sauvages, existe une espèce intermédiaire qui croît d’elle-même dans les terres cultivées ; nous l’appelons rhoeas ou pavot erratique ». Contrairement à Cazin, il n’alla pas jusqu’à affirmer que le coquelicot est une espèce nuisible des cultures céréalières, ni faire courir à son sujet les bruits les plus saugrenus (1). En attendant, Pline nous livre deux bons indices : premièrement le caractère mobile du coquelicot dont l’introduction très ancienne a accompagné les flux migratoires. Quant au second, il tient dans le mot rhoeas qui signifie à peu près « qui coule » (ou « qui tombe »). Concernant le coquelicot, ce mot fait référence à la brièveté de sa floraison : ses fleurs fanent effectivement très rapidement. C’est d’ailleurs exactement ce que rapporte Dioscoride dans le passage que voici : « Le pavot sauvage, nommé rhoeas, naît au printemps par les champs, avec une fleur qui tombe aussitôt, et dont il a pris le nom en usage chez les Grecs. Ses feuilles sont semblables à celles de la roquette […], mais plus longues, entaillées et rudes. La fleur est semblable à l’anémone sauvage, rouge et quelquefois blanche, et avec un capitule assez long, plus petit toutefois que celui de l’anémone. La graine est rousse, la racine est longue, blanchâtre, moins grosse que le petit doigt, et amère au goût » (2).
Comme l’affirment aujourd’hui les modernes, les Anciens virent dans ce coquelicot une plante bonne à manger : c’est par exemple le cas de Théophraste. Mais c’est surtout en tant que plante médicinale qu’il parvint à tirer son épingle du jeu : la vertu somnifère des capsules du coquelicot n’était pas inconnue de Pline, de Celse, ainsi que de Dioscoride qui le conseille ainsi : « Cinq ou six têtes de coquelicot cuites dans trois cyathes de vin jusqu’à consomption de la moitié, et prises en breuvage, font dormir et reposer la personne » (3). Il ajoute que les semences de coquelicot, absorbées à la dose d’un acétabule (4) avec de l’eau édulcorée au miel, s’avèrent légèrement laxatives. Le coquelicot entrait aussi dans d’autres recettes qui avaient pour but de soulager les douleurs auriculaires, les flux de ventre anormaux (comme la dysenterie) et les inflammations cutanées.

Le coquelicot est une plante qui a presque failli disparaître en raison du tri soigneux des semences, mais surtout de l’emploi massif d’herbicides, c’est-à-dire ces substances qui visent à détruire les adventices dans un champ, sans s’attaquer à l’espèce cultivée. Par exemple, Roundup est le nom commercial d’un de ces produits fabriqué par Monsanto depuis… 1975. Il insupporte le coquelicot, de même que le bleuet, autre adventice célèbre des champs de céréales, qui a encouru le même risque de disparition. Ce n’est pas là une manière de reconnaître le respect que ces deux plantes méritent amplement. Si l’on a découvert des fleurs de coquelicot dans des sépultures égyptiennes datant du XII ème siècle avant J.-C., ça n’est sans doute pas sans raison qu’on les y a placées. Sic transit gloria mundi. Et cela ne pouvait pas mieux tomber, puisque dans le langage symbolique des fleurs, le coquelicot incarne la grâce éphémère, eu égard, entre autres, à la fragilité et à la brièveté de sa floraison. Tout comme son compère bleuet, le sémillant coquelicot est une plante d’amour chère au poète (5).
Forcé de s’exiler – mais la tâche lui est aisée, puisqu’il est erratique –, le coquelicot a pris possession de terrains justement dédaignés par l’agriculture. Par son adaptabilité, il a su assurer sa survie. Les points rouge sang qui constellaient naguère les champs de blé mûris au soleil s’en sont allés… ailleurs ! Le coquelicot pionnier, même s’il a eu la vie dure, a donc colonisé d’autres contrées : terrains vagues, décombres, vieilles ruines, friches d’anciennes cultures, jachères, dépotoirs, décharges, talus, remblais, bordures de chemin et de route, etc. Ceci étant, il n’est pas rare d’en voir quelques-uns parader en plein champ, en guise de pied-de-nez ! Son déménagement lui a plutôt bien réussi, d’autant que, au contraire de certaines espèces végétales dont le territoire est limité, le coquelicot se trouve presque partout dans le monde.
Nous comprendrons un peu plus loin pour quelle raison le coquelicot, espèce messicole et emblème floral de la France aux côtés du bleuet et de la marguerite, a été harcelé de la sorte. Cela ne lui a pas empêché de faire ses preuves médicinales, dont les premières, comme nous l’avons vu, remontent à l’Antiquité gréco-romaine. Bien plus tard, durant une grande partie de la Renaissance (Matthiole, Jérôme Bock) et même après (Jean-Baptiste Chomel…), les pétales pulvérisés entrent dans la composition d’un remède spécifique de la pleurésie, c’est-à-dire une inflammation de la plèvre, membrane qui isole les poumons de la cage thoracique. Mais sur ce point précis il tombera en désuétude au cours du siècle des Lumières. Seuls seront conservés les usages expectorants du coquelicot « dans les fluxions de poitrine, dans le rhume, dans la toux sèche » (Dictionnaire de Trévoux), comme béchique en définitive. C’est lors du même siècle que le coquelicot fut employé comme succédané de l’opium, puisqu’il agit à sa manière bien que de façon beaucoup plus atténuée, sans en observer les inconvénients. Effectivement, on ne peut évoquer le coquelicot sans parler de l’opium, cette substance extraite d’un des cousins du coquelicot, le pavot somnifère (Papaver somniferum), opium dont on a tiré un antalgique qu’à ce jour aucune molécule synthétique n’est parvenue à égaler : la morphine (ainsi que la codéine). Bien sûr, lier le coquelicot au pavot n’est pas sans danger. Mais, comme souvent, il réside dans l’ignorance.
C’est ce qui amène la question suivante : alors, le coquelicot, toxique ou non ? Qu’on le qualifie de petit cousin du pavot pourrait le laisser penser, sans compter qu’ils sont tous les deux des Papaver. Si l’on connaît l’un rouge sang et l’autre portant des fleurs généralement blanches ou mauves, il se trouve que la fleur du coquelicot peut parfois présenter des coloris proches de celles du pavot. Cependant, entre les deux, un détail d’importance demeure : botaniquement, on ne peut que les distinguer. Mais cela ne répond pas à la question de la toxicité du coquelicot. Nous y venons ! La fleur du coquelicot développe, lorsqu’on la froisse, une odeur vireuse d’opium, ce qui n’est pas, d’emblée, rassurant, d’autant plus que des capsules fraîches du coquelicot exsude, quand on les incise, un suc blanc, du latex en fait, qui se concrète comme l’opium, substance dont les propriétés narcotiques, analgésique et antispasmodiques sont connues depuis au moins 3000 ans.
Cazin, célèbre médecin français du XIX ème siècle, employait énormément les plantes dans un but thérapeutique. Voici porté à la lecture un fait très curieux dont il a été le témoin direct : « Un de mes enfants, âgé de trois ans, atteint de coqueluche, ayant pris le soir 16 g de sirop de coquelicot, eut pendant toute la nuit des hallucinations continuelles. La même dose, répétée quatre jours après, produisit le même effet » (6). On ne peut raisonnablement penser que Cazin ait commis la bourde d’employer du pavot en lieu et place du coquelicot ! Il possède de solides et indispensables notions botaniques qui ne peuvent lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Narcotique, hypnotique plus ou moins léger, les capacités somnifères du coquelicot étaient connues depuis aussi loin que les praticiens de l’Antiquité grecque, et après eux, des médecins arabes. Aussi, doit-on mettre en doute le coquelicot ? Tout dépend duquel l’on parle, du rhoeas ou bien de l’un de ses confrères, Papaver dubium, qui, bien que coquelicot, présente une toxicité que ne possède pas rhoeas. Papaver dubium, autrement dit : coquelicot douteux. Comme son nom l’indique, il est permis d’avoir un doute sur son innocuité. Ce dernier contient un alcaloïde toxique dans ses pétales, l’aporéine, dont l’action est assez proche de la thébaïne, autre des nombreux alcaloïdes contenus dans l’opium. Aussi, le coquelicot employé par Cazin pourrait-il être celui-là ? La confusion est toujours possible entre les deux espèces, dont on a parfois dit qu’elles peuvent s’utiliser l’une et l’autre de la même manière…, ce qui est faire preuve de légèreté. Dans tel cas, on comprend mieux les effets hallucinatoires du sirop sur l’enfant. Ceci étant dit, rien n’est clair à ce sujet, le mot même d’aporéine étant construit sur une racine grecque – aporon – un terme qui signifie lui-même « doute » ! L’aporéine serait donc une substance douteuse contenue dans un coquelicot non moins douteux et faux-ami… Mais si le coquelicot hallucinatoire de Cazin père est bel et bien un Papaver rhoeas ? Cela peut signifier qu’en des cas très particuliers, certains plantes qu’on dit assez anodines, peuvent se montrer très énergiques et provoquer des effets inattendus que l’on peut alors qualifier de secondaires ou d’indésirables. A moins d’une surdose : 16 g, cela représente environ trois cuillerées à café rases ; pour un enfant âgé de 3 ans, les préconisations habituelles situent la dose quotidienne à une seule cuillerée de ce sirop…
Dès lors, l’on comprend pourquoi le charmant coquelicot a été banni des champs de céréales. Ne rien faire, c’était courir le risque de voir des graines (dont la toxicité reste à prouver) se mêler aux céréales, et donc à la farine et au pain, aliment essentiel au XIX ème siècle. Le coquelicot a beau être consacré à Déméter, on ne peut tolérer que la déesse apporte le bon grain mêlé à l’ivraie. En guise de clin-d’œil, signalons que le 1er janvier 1849, soit à peu de chose près à l’époque où Cazin accuse le coquelicot d’être nuisible, la France met en circulation le premier trio de timbres-postaux de toute son histoire : il s’agit de la série à l’effigie de la déesse Cérès (= Déméter) dont la chevelure est ornée d’épis de blé, de rameaux d’olivier et d’une grappe de raisin. Celui qui porte la valeur faciale de 1 franc, eh bien, il possède une couleur qui n’est pas sans rappeler celle des pétales du coquelicot. Appeler à soi les bienfaits que Cérès/Déméter est censée apporter, sans vouloir en supporter le contre-coût, n’est pas très correct ni honnête. Qu’on se rappelle aussi ces soi-disant intoxications provoquées par des graines de nielle des blés (Agrostemma githago), cette jolie plante aux fleurs roses, cousine des œillets, et autre adventice des champs de céréales, mais dont la science, aujourd’hui enfin, est capable d’expliquer l’exact fonctionnement : les saponines amères de la nielle des blés ne sont toxiques qu’à la condition que les graines de cette plante soient absorbées en grandes quantités. Sous forme de semences moulues mêlées à la farine de froment, la nielle devient totalement inoffensive une fois le pain cuit, puisque la cuisson détruit ces saponines.
Quoi qu’il en soit, le cas relevé par Cazin ne doit pas faire en sorte de condamner notre rhoeas. A l’évidence, cela pose la question de la sensibilité du sujet face à une substance donnée. Je me souviens bien d’avoir eu des hallucinations dignes du Serpent cosmique il y a une vingtaine d’années de cela, après la prise d’un quart de comprimé d’un somnifère que l’on trouve encore en vente dans la plupart des pharmacies (et qui est le somnifère le plus prescrit/vendu depuis sa mise sur le marché en 1988).

En lisant la chronique que Paul-Victor Fournier consacre au coquelicot, m’est revenu en mémoire un souvenir marquant qui remonte au début des années 1990. La ligne de bus que j’empruntais pour me rendre à la fac, passait non loin d’une gigantesque et abominable ZAC, aux abords de laquelle des travaux se succédaient pour faire sortir de terre toutes ces mochetés de magasins dont je ne vais pas citer les noms d’enseigne pour ne pas m’attirer d’ennuis ^.^ Des bulldozers, qui avaient précédemment déplacé des centaines de m³ de terre, s’attelaient encore à la tâche, tels ces sisyphes coléoptères qui poussent leur boulette et qui, contrairement au singe savant, ne sèment pas inutilement la merde. Un jour de printemps, après un week-end fort pluvieux, et tout ces efforts de chamboulement, sur l’un de ces énormes monticules de terre amassée, apparurent de « vastes draperies rouges », improbable étendard de coquelicots survenu à la faveur d’éléments réunis en une parfaite osmose. Il faut dire que le coquelicot adore les terres mises à nu, qu’elles le soient par une chenillette industrieuse, ou bien par une machine agricole – tracteur et charrue multi-socs – dont les labours, trop profonds et anti-écologiques, semblent, a contrario, favoriser d’autant plus l’apparition du coquelicot en plein champ où, hélas !, l’herbicide bête et méchant l’attend au tournant. Ou alors d’autres machines encore, bien moins glorieuses celles-là, puisqu’elles sèment la désolation et la mort : « Les habitants des champs de bataille de la Première Guerre mondiale avaient observé que, sur les terres de Verdun labourées par les tirs d’obus, des coquelicots fleurissaient en abondance […] Les graines du coquelicot peuvent demeurer longtemps privées d’air et de lumière dans le sol. Remontées à la surface, elles germent, croissent et fleurissent promptement » (7). Certains voudraient bien y voir là un symbole confraternel, mais je ne puis hélas pas souscrire à cette éventualité. Ce coquelicot, sang du combattant versé lors de la Grande Guerre, c’est donc celui de la mort : c’est immanquablement à cette fleur que le médecin militaire de l’armée canadienne John McCrae (1872-1918) fait appel en 1915 dans un poème qui demeure encore fort renommé, In Flanders Fields, convié notamment lors du Jour du Souvenir qui correspond aux commémorations du 11 novembre dédiées à tous ceux qui sont morts durant la guerre. On les honore, surtout dans les pays du Commonwealth, en particulier au Canada, par des coquelicots en papier qui ont, pour eux, la même valeur symbolique qu’eut autrefois le bleuet en France. Ce Jour du Souvenir est aussi appelé Poppy Day en anglais, qui est aussi le titre d’une chanson parue sur le deuxième album du quatuor britannique Siouxsie & the Banshees en 1979, et dont les paroles ne sont pas autre chose que la première strophe du poème de McCrae.
Je pense que le coquelicot définit bien cette période occultée et comprise entre la naissance (et la renaissance sempiternelle) et cette phase à proximité de la mort qu’est le grand âge gériatrique. On dit plus précisément qu’il symbolise l’oubli qui se situe entre ces deux pôles, tout en le mettant paradoxalement en lumière grâce à l’éclatant écarlate de ses pétales qui tombent aussi vite que les corps meurtris des hommes à l’assaut du Chemin des Dames. Tous ces coquelicots, sont issus de ces graines, peut-être plus nombreuses qu’il y a encore d’éclats d’obus mortifères dans le sol souillé des campagnes verdunoises et de tant d’autres lieux marqués des cicatrices infligées par ce fou furieux qui marche sur ses deux jambes. Plus qu’à l’oubli, alors, le coquelicot oblige au devoir de mémoire et à lutter face à l’amnésie – il n’est pas fleur des revenants pour rien non plus. C’est un signal – red light – qui rend on ne peut plus visible le chambardement, le caractère hautement éruptif, brutal et meurtrier de la violence.

Les semences réniformes de Papaver rhoeas vues au microscope électronique.

Plante herbacée annuelle, le coquelicot est bien difficile à distinguer de ses cousins quand il n’est encore qu’à l’état de rosettes de feuilles basales dont le polymorphisme est très variable. Tout au plus pouvons-nous dire qu’elles sont pétiolées et plus ou moins « lancéolées ». De ce cœur de feuilles au ras des pâquerettes, s’élève au mois d’avril – dressée/dégingandée – une tige simple ou parfois ramifiée, qui s’achève par de longs pédoncules au bout desquels se suspendent, à l’image des lamparos des pêcheurs, deux sépales verts, ventrus et poilus, surplombant les feuilles supérieures velues, sessiles et généralement trilobées. Au fur et à mesure que passe le temps, et sous la poussée d’une force viride, les deux sépales, n’y tenant plus, finissent par s’entrouvrir et abandonner au regard curieux la précieuse marchandise qu’ils contiennent, comprimée comme une balle de soie. De cette gangue végétale fragile, finit par s’échapper une masse rouge écarlate informe : tel une jupe abandonnée, toute froissée, au fond d’un sac de voyage, les quatre pétales du coquelicot rafraîchissent à l’air libre leur teint fripé par cette longue claustration. Solitaires, aux pétales qui se chevauchent, alors que chutent les sépales épuisés dans le vide, les fleurs satinées du coquelicot, parfois larges de 10 cm, ne tiennent pas plus long temps qu’une journée. Tachés de noir à leur base, ces quatre pétales conduisent le regard au cœur de la fleur où trône un pistil capsulaire et ovoïde non poilu, et cerné d’étamines nombreuses au bout desquelles ballottent des anthères de couleur bleu noirâtre. Coiffé d’une sorte de toit de pagode rayonnant d’une douzaine de stigmates, il rappelle aussi le toit d’une tour ronde crénelée de pertuis réguliers sur son pourtour, d’où s’échappent, lorsque la capsule est agitée par les vents comme un hochet, de minuscules graines grisâtres et réniformes.
Le coquelicot opte de préférence pour les sols calcaires, secs et bien ensoleillés. Présent de la plaine à la montagne, on ne le trouve néanmoins guère à plus de 1600 m d’altitude. Malgré cela, cette plante peut être largement représentée en un endroit et être totalement absente d’un autre pourtant tout proche. Bien qu’irrégulier dans sa répartition géographique, le coquelicot est une espèce bien moins menacée qu’à l’époque où on lui a signifié son éviction des champs de blé.

Le coquelicot en phytothérapie

L’on a pu dire que le coquelicot « c’est l’opium de la pharmacie familiale » (8). Pourtant, il apparaît difficile et même osé de comparer l’humble coquelicot au pavot (Papaver somniferum) dont on tire l’opium et, par extension, la morphine et la codéine. Si ces deux plantes se ressemblent, c’est avant tout parce qu’à leur caractère inodore à l’état frais, fait suite une odeur vireuse assez désagréable lorsqu’on vient à froisser leurs pétales. A cette analogie olfactive, s’en associe une autre de nature gustative portant sur les latex très amers excrétés par ces deux plantes quand on en incise les parties hautes que sont les tiges et surtout les capsules. Ce qu’il importe aussi de préciser, c’est que le coquelicot reproduit les effets du pavot, mais très faiblement, et encore cela ne s’applique-t-il qu’au seul extrait tiré de ses capsules. La grande question a été posée maintes fois : le coquelicot contient-il, même en infime fraction, un peu d’opium ? Bien qu’ayant été dit « légèrement vénéneux ou toxique », le coquelicot ne contient aucune substance psycho-active, quand bien même on a cru tirer de ses capsules quelque chose qui s’apparente à l’opium. On a même pensé y voir de la morphine, c’est-à-dire l’un des constituants de l’opium. En revanche, le coquelicot contient bel et bien un alcaloïde, la rhoéadine, présent dans l’opium, chose que partage son compère Papaver dubium qui, lui, présente à l’analyse de cette aporéine dont nous avons déjà parlé plus haut. En terme d’alcaloïdes, le coquelicot possède aussi de l’isorhoéadine et de la papavérine, ce qui, en aucun cas ne peut lui faire partager l’héroïque réputation de son célèbre cousin fabriquant d’opium.
Les pétales du coquelicot, lorsqu’ils sont frais, sont un peu amers, de texture mucilagineuse, mais contiennent aussi du tanin, et, chose bien évidemment frappante, un pigment responsable de la couleur des pétales du coquelicot, écarlate comme une crête de coq, d’où son nom comme nous l’apprend Fournier : « Coquelicot est une autre forme de cocorico et a d’abord désigné le coq lui-même ; il a été appliqué à la plante par comparaison avec la crête rouge de l’oiseau » (9). Ce pigment est le résultat de l’association de plusieurs corps anthocyanosidiques.
Par ailleurs, l’on a découvert une petite quantité d’acide méconique dans le latex du coquelicot, mais cette substance à peu près inactive, n’est pas très sollicitée par la médecine. Que pouvons-nous encore énumérer ? D’autres acides (gallique, malique), de la cire, de la gomme, de la fibrine et des sels minéraux (dont une grosse portion de potassium, mais aussi du calcium, du magnésium et du fer).
Dans les graines, on a trouvé environ 40 % d’huile végétale.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédatif, narcotique léger, hypnotique, inducteur du sommeil (en particulier chez les enfants et les personnes âgées), anxiolytique
  • Antispasmodique, antitussif, expectorant, pectoral

Note : à l’origine, le coquelicot formait pour un quart la tisane dite des quatre fleurs pectorales, qui compte aussi le bouillon-blanc ou molène, la mauve et la violette. Plus tard y ont été ajoutées trois autres plantes : le tussilage et, au grand dam de Leclerc, la blafarde guimauve et l’anecdotique pied-de-chat (ou antennaire). Ces sept fleurs pectorales doivent être bien distinguées du groupe des quatre espèces pectorales que sont le lierre terrestre, l’hysope officinale, la véronique officinale et le capillaire de Montpellier.

  • Analgésique dans les douleurs modérées
  • Sudorifique
  • Adoucissant, émollient

Note : les remèdes émollients (du latin emollir, « amollir ») sont des « médicaments adoucissants qui relâchent les tissus et atténuent leur inflammation » (10). On les utilise tant en interne (infusion, looch…), qu’en externe (cataplasme, fomentation).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, catarrhe bronchique chronique, pneumonie, coqueluche, toux (spasmodique, quinteuse, rebelle, coquelucheuse, sèche), irritation de la gorge et de la poitrine, enrouement, angine
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : maux de ventre des enfants (tranchées et coliques)
  • Troubles du système nerveux : insomnie et troubles du sommeil essentiellement chez l’enfant et le vieillard, irritabilité, nervosité et nervosité excessive, émotivité, anxiété
  • Fièvre éruptive dans la rougeole et la scarlatine (on ne s’en étonnera pas, le coquelicot rouge, ardent et solaire, comme son homologue animal avec lequel, substantivement, il se confondit à une époque reculée, offre là encore une merveilleuse signature, d’autant plus pertinente qu’autrefois la scarlatine portait aussi le nom de fièvre écarlate)
  • Inflammation des yeux et des paupières (c’est bel et bien l’inséparable ami du bleuet)
  • Abcès et douleurs dentaires

Modes d’emploi

  • Infusion de pétales séchés (à édulcorer au besoin).
  • Tisane des sept fleurs pectorales : 1/7 de chaque. 10 g du mélange pour la valeur d’un litre d’eau.
  • Tisane sudorifique : violette, pensée, bourrache, coquelicot, en parties égales.
  • Tisane somnifère et endormante : on peut associer le coquelicot à de bien nombreuses plantes parmi lesquelles nous comptons le houblon, l’aubépine, la fleur d’oranger, la ballote fétide, la verveine citronnée, la mélisse officinale, la lavande fine, le lotier corniculé, le tilleul, l’aspérule odorante, la valériane officinale, etc.
  • Tisane pour les maux de ventre des enfants : ½ part de pétales de coquelicot + ½ part de feuilles de sauge officinale. Ou bien : ¼ de pétales de coquelicot + ¼ de semences de fenouil + ¼ de semences d’anis + ¼ de semences de carvi.
  • Décoction longue de raisins secs ou de figues sèches dans laquelle on place une pincée de pétales de coquelicot pour la valeur d’une tasse.
  • Décoction de capsules sèches tant pour usage interne qu’externe (bain de bouche, gargarisme).
  • Teinture alcoolique.
  • Vin de coquelicot : macération vineuse et édulcorée de pétales frais.
  • Sirop de pétales de coquelicot.
  • Conserve de pétales de coquelicot (mode opératoire identique à celui utilisé pour la confection de la conserve de rose).
  • Cataplasme de pétales appliqué chaud (sur les inflammations aussi bien oculaires que dentaires).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule au fur et à mesure de l’éclosion des pétales, soit sur une période assez longue, de mai à juillet environ. On peut ramasser les capsules lorsqu’elles sont encore de couleur jaune verdâtre, les utiliser immédiatement ou bien les livrer au séchage sur une toile tendue. Si la dessiccation ne fait pas perdre aux pétales leurs propriétés, il n’en va pas de même pour les capsules dont elle amoindrit très nettement les vertus. Ces dernières sèchent sans précaution particulière. La dessiccation des pétales leur fait perdre environ 92 % de leur masse à l’état frais. Aussi, pour bien les sécher, il importe de s’y employer dans un local sec, chaud, aéré (pas en plein soleil de préférence), tout en veillant à remuer régulièrement la drogue. Si tout se déroule à merveille, les pétales sont censés passer du rouge vif au lie-de-vin ou à un rouge terne, ce qui est tout à fait normal. En revanche, ce qui l’est moins, c’est de les voir noircir ou se décolorer : c’est là un indice que les choses ne se sont pas passées comme on l’avait prévu. Une fois bien secs (ils craquent facilement dans les doigts), les pétales doivent obligatoirement être stockés dans un récipient parfaitement étanche, que l’on prendra soin d’entreposer à l’abri de la lumière, et surtout de l’humidité (les pétales de coquelicot ont la fâcheuse tendance à capter l’humidité ambiante, ce qui, à terme, finit par les faire moisir).
  • Si l’on se sait potentiellement intolérant aux narcotiques de type opiacé, on prendra soin d’éviter l’emploi thérapeutique du coquelicot. Dans les autres cas, on déconseillera l’usage de la décoction de capsules chez l’enfant âgé de moins de 8 ans ; au-dessus, la posologie devra nécessairement être adaptée à l’âge et à la corpulence/nature/etc. du sujet. Il en va de même avec le simple sirop de coquelicot dont voici les doses journalières exprimées en cuillerées à café : une de 15 à 36 mois, deux entre 3 et 5 ans, trois à cinq entre 5 et 12 ans, cinq à dix pour les adultes.
  • Alimentation : la capitale française du coquelicot est la petite bourgade seine-et-marnaise de Nemours, située au sud de Paris. Les confiseurs s’y donnent à cœur joie pour offrir aux papilles curieuses des bonbons aromatisés au coquelicot. Les pétales, qui offrent leurs bons services pour atteindre cet objectif, permettent aussi de confectionner des liqueurs, des sirops, des crèmes glacées. En plus des pétales, les jeunes feuilles ainsi que les graines sont comestibles. Les rosettes de feuilles, on en peut faire une salade, les cuire doucement à la poêle, ainsi qu’en soupe ou en potage : oui, pourquoi ne pas faire comme Louis XIV qui se faisait servir des soupes à l’ortie et au coquelicot ? Dans les Cévennes, les feuilles de coquelicot sont l’une des herbes de ce plat rural et rustique que sont les caillettes et que l’on dit ardéchoises. Ma grand-mère, qui était drômoise, n’était pas exactement de cet avis, et d’ailleurs elle ne les appelait pas ainsi, mais crépinettes (du nom de la crépine de porc qu’on utilise pour réaliser cette recette). Elle en préparait d’excellentes avec de la soutourne et du vert de blette, entre autres. Quant aux petites semences de coquelicot, elles se prêtent aux mêmes usages que celles de pavot : sur une salade, dans une pâte à pain ou dans tout autre préparation où leur présence sera appréciée. Légèrement grillées dans une poêle sèche, puis mêlées à du sel de table, elles permettent d’élaborer un condiment bien agréable (qui l’est bien davantage quand on ajoute des graines de nigelle), faisant ainsi concurrence au gomasio d’origine japonaise.
  • Autres espèces : le pavot douteux (P. dubium), dont nous avons déjà évoqué le cas, le pavot argémone (P. argemone), dont les pétales moins larges ne se chevauchent pas, le pavot hybride (P. hybridum). Ces deux derniers sont beaucoup plus rares. La seule concurrence avec le coquelicot, en terme de risque de confusion, c’est avant tout celle de Papaver dubium.
  • Les pétales secs et pulvérisés du coquelicot, après avoir été apprêtés de diverses manières et selon des procédés plus ou moins alambiqués, ont permis d’obtenir une belle teinte rouge franc, à même d’imprimer sa carnation au papier, au cuir, à la soie, à la laine, et même aux joues et aux lèvres des femmes.
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    1. Dans les Flandres, on faisait croire aux enfants que le coquelicot était un « buveur de sang » afin qu’ils ne s’aventurassent pas dans les champs de blé.
    2. Dioscoride, Materia medica, Livre IV, chapitre 54.
    3. Ibidem.
    4. L’acétabule est une unité de mesure des liquides qui correspond à 1,5 cyathe, soit environ 6,75 cl.
    5. « Pour savoir si on est payé de retour en amour, on fait claquer un pétale de coquelicot entre ses doigts. Plus le pétale claque fort et plus on est aimé », Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 61.
    6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 325.
    7. Jean-Marie Pelt, La raison du plus faible, p. 84.
    8. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 72.
    9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 733.
    10. Larousse médical illustré, p. 441.

© Books of Dante – 2020

Pétales de coquelicot après séchage.

Le millepertuis officinal (Hypericum perforatum)

Synonymes : millepertuis commun, mille trous, herbe aux mille trous, herbe percée, herbe aux piqûres, trascalon perforé, frascalon, truchereau, trucheran jaune, trucheron jaune, herbe aux mille vertus, chasse-diable, crugie, herbe de la Saint-Jean (1), sang de saint Jean (l’allemand et l’anglais insistent particulièrement sur la filiation du millepertuis à saint Jean-Baptiste, puisque dans ces deux langues, on l’appelle communément Johanniskraut et Saint John’s wort).

Le mot hypericum, qui n’apparaît en tout premier lieu qu’au Ier siècle après J.-C., sous la plume de Dioscoride, a occasionné diverses tentatives d’explication étymologique. L’une d’elles, assez peu palpitante il faut bien le reconnaître, est relayée par Fournier : le « nom d’hypericum, en grec hypericon, signifie originairement ‘semblable à la bruyère’ (il s’agit de la bruyère arborescente [nda : Erica arborea ?] et se rapporte à une espèce à feuilles courtes et étroites de la région méditerranéenne orientale » (2). Mouais. Tout ça manque assurément de sel. La seconde explication, il n’y a que dans un ouvrage de Jean-Marie Pelt que j’en ai trouvé la trace. Beaucoup plus intéressante, elle expose la formation du mot hypericum comme suit : du grec hyper, qui signifie « au-dessus » et eikon, « image ». Littéralement : au-dessus de l’icône. C’est tout à fait séduisant. Ce sens s’expliquerait du fait que les anciens Grecs protégeaient les statues des divinités en suspendant des bouquets de millepertuis au-dessus d’elles, en vue d’en éloigner les mauvais esprits et les « démons », d’où le nom de fuga dæmonum, alias chasse-diable, qu’on a accordé à la plante depuis fort longtemps (des fois, il est dit que cela remonte à l’époque gallo-romaine, parfois que c’est beaucoup plus tardif, puisque cette dénomination aurait pris naissance au Moyen-Âge ; en tous les cas, cela ne semble pas devoir dater antérieurement à la naissance du Christ). Séduisante hypothèse, comme peut l’être également le diable. Mais plus je retourne cette explication dans tous les sens, et moins je la trouve crédible. Quoi qu’il en soit, le diable colle au train du millepertuis de bien des manières. Tenez, par exemple, autre petite leçon d’étymologie. Après nous être occupé d’hypericum, concentrons-nous sur l’adjectif perforatum qui le suit, et avec lequel existe une filiations aux noms vernaculaires que voici : millepertuis, mille trous, herbe percée, herbe aux piqûres. Cet ensemble de substantifs fait référence à la myriade de petits « trous » qui constellent la surface des feuilles de cette plante, d’autant plus visibles quand on les observe à travers les rayons du soleil. Ici, ce sont des légendes qui en amènent la compréhension : pour raccorder le millepertuis à saint Jean-Baptiste, on assure que ces « trous » sont les traces laissées par les gouttes de sang qui jaillirent du cou du supplicié lors de sa décapitation. C’est sans doute un peu bancal, mais cela a au moins le mérite de lier le millepertuis au sang et à l’idée même de blessure, puisque la couleur rouge, on la retrouve lorsqu’on froisse les pétales du millepertuis, laissant au bout des doigts des macules de teinte vineuse. Il n’en fallait pas davantage au millepertuis pour qu’on lui accorde, par le biais d’une aussi évidente signature, une propriété vulnéraire que, fort heureusement, il possède bel et bien, et qui fut très justement plébiscité comme tel par l’école de médecine de Montpellier qui, au XIII ème siècle, déclarait le millepertuis comme un vulnéraire qui ne le cède à nul autre. Cette propriété semble trouver son origine au temps des croisades (XI-XIII ème siècle). En effet, l’histoire raconte que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem s’en servaient pour soulager les plaies et les brûlures sur les champs de bataille. Peut-on en déduire qu’ils connaissaient déjà les vertus antiseptiques et cicatrisantes de l’huile rouge, qu’on obtient par macération de millepertuis dans de l’huile ? A cette dernière question, je n’ai aucune certitude, et, là encore, plus j’y repense, et plus je me dis qu’il s’agit d’une fable qui ne cherche pas autre chose qu’à nous emmener en bateau. Puisque, ce qui est bien plus certain, c’est qu’on ne peut pas dire que le Moyen-Âge ait fait un grand accueil à cette plante : quelques réceptuaires en déclarent l’efficacité contre la goutte ; Albert le Grand, qui le surnomme « couronne royale », un nom qui, me semble-t-il, lui va à ravir, n’en dit cependant pas davantage, de même que Hildegarde de Bingen qui n’en fait absolument pas cas. Elle précise tout simplement, en deux lignes, que cette plante est tout juste bonne pour être donnée en pâture au bétail, et qu’elle ne convient pas du tout à la médecine. (Hildegarde a fait d’autres erreurs, comme avec l’oignon, par exemple. Et sur le seul chapitre du millepertuis, elle ne sera pas la seule à raconter des âneries, aussi ne l’accablons pas trop : elle n’en reste pas moins une très grande phytothérapeute médiévale.)
Le diable semble avoir plus d’un tour dans son sac, même si on le moque un peu, comme le montre l’anecdote suivante : pas content, comme il sied à un personnage de son rang, le diable, pour se venger du millepertuis qui le chasse, chercha à le détruire en dévorant ses feuilles, morsures qui laissèrent en vue des traces de perforation, c’est-à-dire les « trous » ponctuant le feuillage d’Hypericum perforatum comme les étoiles la voûte céleste. Mais le diable peut toujours y aller, le millepertuis est placé sous la houlette de Dieu, comme ne manque pas de le rappeler l’un de ses surnoms anglais, grace of god (comme autres synonymes de sa puissance, il porte aussi ceux de balm of warrior et surtout de touch-and-heal). L’on dit aussi du millepertuis que, parce que son parfum rappelle celui de l’encens, cela le place, de facto, en odeur de sainteté, celle-là même qui met en fuite les mauvais esprits, comme le soulignera Karl von Eckartshausen, signalant cet emploi aux côtés du soufre, de l’ase fétide, du vinaigre et du castoréum, et cela pour protéger aussi bien les habitations que les lieux sacrés, mais également l’être humain sur lequel peut s’abattre les influences négatives, les attaques des forces occultes, parce que les démons tiennent cette plante tant en horreur qu’ils ne peuvent que fuir les lieux où on la fait brûler. Mais comment entendre le terme de démon, et par là même l’action qu’il est censé porter sur l’homme ? Par exemple, quand on prend connaissance de ce qu’écrivait Jean-Baptiste Chomel (1671-1740) à propos du millepertuis, on perçoit une forme de nuance : selon lui, le millepertuis est très utile « pour abattre les vapeurs hypocondriaques, et soulager les prétendus possédés ou maniaques, d’où son nom de fuga dæmonum ». Les prétendus possédés ? Ou ceux qui sont sujet à la manie ? Au XVIII ème siècle, la possession, ça fait un moment qu’elle a botté en touche, ce qui n’était pas encore le cas auparavant, comme l’explique Jean-Marie Pelt : « Au Moyen-Âge, la dépression était volontiers confondue avec la possession ; on pensait que des forces surnaturelles pouvaient s’emparer d’un être humain et provoquer chez lui des sentiments et des effets funestes » (3), comme la mélancolie, les idées noires ou toutes autres ténèbres de l’esprit. Au sens que l’on accorde au mot démon, dépend toute une interprétation, différant du tout au tout. Si on l’entend au sens médiéval chrétien, il n’exprime pas la même chose qu’au sens antique de la pensée grecque, pour laquelle « les démons sont des êtres divins ou semblables aux dieux par un certain pouvoir […] Puis, le mot vint à désigner les dieux inférieurs et enfin les esprits mauvais » (4). Et il serait plus juste d’utiliser le mot adéquat de daimôn : par là, je ne veux bien évidemment pas parler de cette espèce de père fouettard affublé d’un trident et de deux cornes, dont le christianisme nous rabat les oreilles depuis des lustres. Non, le daimôn, sous la forme où parviennent à le dessiner les Grecs antiques, c’est tout autre chose : selon Empédocle, il s’agit du soi occulte qui persiste à travers les incarnations successives. Sa fonction « est d’être chargé de la divinité en puissance de l’individu » (5), ce qui est censé assurer à chacun l’inspiration intérieure alliée à un sentiment d’illumination supérieure. Et si le daimôn se sert de l’esprit et du corps humain comme d’un instrument, ça n’est pas pour les raisons qui amenèrent plus tard les diables du christianisme à agir. La grande différence entre ce type de démons et l’idée que l’on se fait du daimôn, c’est que le premier est forcément extérieur aux hommes qu’il vient tourmenter, tandis que le second n’est pas « une force étrangère attaquant leur raison du dehors, mais une instance de leur propre être » (6). Ceci étant dit, il est utile de préciser que les Grecs pédalèrent pas mal dans la semoule afin de définir et d’établir au mieux cette notion du daimôn, qu’ils surent distinguer de celle de passion qui diffère grandement de ce à quoi l’on associe ce terme aujourd’hui : le passionné est nécessairement plein d’entrain et de fougue. Alors que chez les Grecs, ce mot est marqué du sceau de son sens premier, issu du latin passio, désignant l’action même de supporter passivement un grand abattement, qui affecte l’individu par la langueur et la perturbation morale. Ce qui brouille quelque peu les pistes entre les causes exogènes et les causes endogènes, c’est que « le primitif, sous l’influence d’une forte passion, s’estime possédé, ou malade, ce qui est, pour lui, la même chose » (7). Or, le millepertuis recherche l’ataraxie, c’est-à-dire la libération de ces émotions troublantes, semblant agir aussi bien auprès de la possession que de la maladie de nature morale et psychique.
La théorie des signatures explique que la plante solaire qu’est le millepertuis, s’épanouissant plus particulièrement lors du solstice d’été, est une plante dont la symbolique nous dirige directement auprès de sa propension à savoir chasser les affres grisailleuses de la dépression. Le millepertuis préserve des esprits malins qui, à notre époque moderne, sont autant d’exemples des difficultés que nous pouvons rencontrer, dès lors que s’estompe notre propre soleil intérieur, se muant inexorablement en une pâle et terne piécette d’argent. Sur ce point, cette théorie ne s’est pas trompée : le millepertuis modifie le taux de sérotonine dans le cerveau, ce qui accroît ainsi la sensation de bien-être général. Il aide aussi à supprimer la douleur, et l’on sait très bien que, généralement, les phénomènes algiques et inflammatoires ne sont pas exactement responsables du retour d’un ciel bleu sans nuage, bien au contraire. De plus, facilitant l’endormissement, il lutte donc contre l’insomnie d’origine nerveuse, l’angoisse et la dépression. (Peut-on alors établir l’équation suivante : fuga dæmonum = antidépresseur ?)
Si l’usage interne du millepertuis permet de ramener en soi le soleil, il est important de mentionner que ce même usage n’autorise pas l’exposition au soleil subséquente, puisque cette plante est photosensibilisante. Jean-Marie Pelt en donne l’explication : « Plante étrange, en vérité, que ce millepertuis qui entretient décidément avec le soleil des liens privilégiés. En 1920, en effet, on s’aperçut que des herbivores à robe claire ayant brouté du millepertuis présentaient, lors d’une forte exposition au soleil, des œdèmes et des érythèmes sur les muqueuses et les parties dépigmentées de la peau [nda : on vit aussi apparaître des ulcérations et des nécroses cutanées]. Dans certains cas plus sévères, les animaux étaient frappés d’une intense agitation avec diarrhées, dermatites et perturbations du rythme cardiaque. Des cas mortels furent même rapportés » (8). Est-ce à dire que dans certaines circonstances le millepertuis attire plus qu’il ne repousse le diable ? Hildegarde, souvenez-vous en, qui déclarait le millepertuis juste bon pour que le bétail s’en repaisse, n’a pas fait de remarque de ce type, de même qu’il n’en existe nulle trace auparavant, aucun auteur de l’Antiquité n’ayant fait le constat que le millepertuis pouvait pousser des animaux à se livrer à une espèce de « ménadisme ». Rien de tel chez Dioscoride et Galien. Tout au contraire, ils en signalent l’emploi en direction des « points chauds », comme la sciatique par exemple, mais aussi pour les plaies, les ulcères et les brûlures. Toutes ces plantes (9), dont Dioscoride signale le parfum résineux et la capacité des pétales froissés à teindre les doigts de la couleur du sang (10), sont de plus emménagogues et diurétiques, parfois fébrifuges. Le point de vue des médecins grecs de l’Antiquité ne variera pas énormément jusqu’à la Renaissance, après l’éclipse médiévale presque totale. On établit pour évidentes ses propriétés pectorales, calmantes, hémostatiques et vermifuges (en réalité, il fait mieux fuir les « démons » que les vers…). Mais ce en quoi on s’accorde sans barguigner, c’est avant toute chose la merveilleuse vertu vulnéraire du millepertuis, réputation louée par Matthiole, Paracelse, Camerarius, Fallope, etc. au XVI ème siècle, par Scopoli et Geoffroy au suivant, j’en passe et des meilleurs. Jean-Baptiste Porta transcrit la recette d’un remède censé rendre « vaines les blessures de toutes espèces de bêtes » (11), et que l’on retrouve à peine altérée un peu plus tard dans le Petit Albert. Mais il est une bête plus pernicieuse encore, qui apprécie rien moins que de sévir sur les champs de bataille. L’huile rouge fut qualifiée de vulnéraire par excellence par le chirurgien militaire que fut Ambroise Paré (1510-1590), et que l’Anglais John Gerard résume à ceci en 1597 : « C’est un remède précieux pour les blessures profondes et celles qui traversent le corps ». C’est pourquoi on reste incrédule face à Cazin qui, une fois de plus, n’y va pas avec le dos de la cuillère à pot, assurant, sans sourciller, « qu’il faut reléguer au rang des fables [ce qu’on a rapporté] sur les vertus prétendues vulnéraires et cicatrisantes de l’hypericum » (12). Il a fumé ou bu, c’est sûr ! Ou bien son esprit a été attaqué par les vapeurs d’essence de térébenthine ! A moins qu’on ait acheté sa voix, ce pour quoi j’ai un gros doute, Cazin me semblant plus intègre que bon nombre de parasites qui pullulent de nos jours dans ce milieu. A la fin du XIX ème siècle, le docteur Reclu, dans son manuel à destination des herboristes, réitère cette énormité sans plus donner d’explication : le millepertuis est « dénué de toutes vertus vulnéraires ou cicatrisantes » (13). Et hop, un deuxième adepte de la picole ! Cependant, Cazin ne renie en rien les bons effets du millepertuis en interne, allant jusqu’à conclure sa monographie de la manière suivante : « loué outre mesure par les anciens, et abandonné sans restriction par les modernes, le millepertuis ne mérite ni les pompeux éloges des uns, ni l’inconcevable indifférence des autres » (14). C’est sûr qu’il y avait mieux à faire que de dénigrer le nec plus ultra des vulnéraires en balançant du lourd. Critiquant beaucoup, Cazin n’apporte pas non plus énormément d’eau à notre moulin. Certes, il nuance avec mesure les propriétés antituberculeuses du millepertuis qui, selon lui, sont très exagérées, et fait de même en ce qui concerne ses vertus diurétiques. Bien plus humble, le docteur Martin-Lauzer, contemporain de Cazin, écrivit, en 1854, que « le millepertuis est tombé dans un oubli tel qu’il n’a pu trouver place dans les formulaires modernes, qui seront peut-être un jour retournés contre nous comme une preuve de notre ignorance ». Ah ben oui alors, je ne vous le fais pas dire ! Mais, à partir du début du XX ème siècle, bien des études pharmacologiques menées sur cette plante surent venir à bout des réticences passées, ce qui fait que « le millepertuis, aujourd’hui bien étudié, délivré des fables, a enfin trouvé une juste et bonne place parmi les remèdes végétaux » (15).

Section d’une tige de millepertuis vue au microscope électronique : on remarque bien, de part et d’autre, les deux protubérances formées par les lignes qui sillonnent la tige.

Le millepertuis est une plante vivace constituée de tiges robustes longées de deux lignes droites et saillantes plus ou moins rougeâtres. Selon que le terrain est de nature riche ou maigre, la taille maximale du millepertuis peut aller du simple au triple (20 à 60 cm). Ses feuilles ovales et sessiles comptent de nombreux points translucides, nettement visibles à contre-jour.
Les fleurs groupées en inflorescences terminales peu denses, se caractérisent par la brièveté de leur éclosion : ouvertes le matin, elles sont fanées le soir même. Mais comme de nouvelles fleurs apparaissent sans discontinuer entre mai et août, voire septembre, on a largement le temps de pouvoir en admirer les cinq pétales jaune d’or : asymétriques, l’une de leur bordure est lisse, l’autre denticulée, et si l’on observe attentivement chacun d’eux, l’on s’aperçoit qu’une ligne de petits points noirâtres en piquette le contour : ces autres petits points ne sont pas autre chose que de minuscules vésicules glanduleuses contenant un pigment rouge pourpre et aromatique, celui-là même qui donne sa belle couleur à l’huile de millepertuis. Puis, chaque fleur fanée est progressivement remplacée par un petit fruit conique dont les trois loges sont bourrées de toutes petites semences noirâtres.
Cette plante très commune et prolifique, apprécie énormément le soleil. D’ailleurs, ce caractère expansif (ou parfois invasif, comme on le lui voit en Amérique du Nord), est intimement corrélé à l’ensoleillement, puisque « la levée de dormance de sa graine est directement liée à une insolation forte » (16), alors que chez d’autres espèces végétales, elle se déclenche par le froid (bouleau, érable, etc.) ou par un chambardement du sol (coquelicot).
Présent jusqu’à 1500-1600 m d’altitude maximum, il colonise surtout les milieux ouverts, ne tolérant pas la frondaison des grands arbres au-dessus de sa tête. On ne trouve donc presque jamais le millepertuis en sous-bois. A la rigueur à l’orée des forêts et à proximité des boisements clairs suffisamment lumineux. Il a tout de même une préférence pour les sols drainés comme les pelouses et les prairies sèches, les landes, les talus, les bordures de chemin et de voies de chemin de fer, les friches et généralement tout autre lieu non cultivé.
Le millepertuis a beau être, comme nous l’avons maintes fois souligné, une plante solaire, il en craint une autre qui l’est tout autant, la piloselle épervière (Hieracium pilosella). A son contact, le millepertuis périclite.

Le millepertuis officinal en phytothérapie

A l’état frais, et à distance respectable, le millepertuis ne sent pas grand-chose. Pour en saisir l’empreinte olfactive, il importe de s’approcher de lui. Il s’en dégage alors un parfum balsamique et résineux, parfois citronné. Si on le mâche, il développe une saveur légèrement amère, âcre et un peu salée. Ce sont là deux bons indices de son efficacité.
Quand on observe le millepertuis amplement fleuri, il est une chose évidente qui saute aux yeux, si l’on ne se contente pas de survoler en un clin d’œil la structure de ses pétales et de ses sépales : chacun d’eux est bordé d’une rangée de petits points noirs, lesquels ne sont pas autre chose que des glandes à essence. En les froissant entre le pouce et l’index, ils abandonnent non seulement leur parfum, mais également leur couleur, sorte de rouge sang caillé et cramoisi. De nature résineuse, cette substance soluble dans l’alcool et dans les corps gras (d’autant plus qu’ils sont chauds), est composée d’hypéricine et de pseudohypéricine. Mais cela ne suffit pas à résoudre à ce seul point la composition biochimique de cette plante, qui est bien plus complexe qu’on ne l’a parfois imaginé. Comme le suggère un peu la couleur de ses fleurs, le millepertuis contient plusieurs corps flavoniques, dont des flavonoïdes comme l’hypérine, la quercétine, la rutine, et un biflavonoïde, l’amentoflavone. Puis arrivent des substances aux noms un peu biscornus : l’hyperforine, composé phénolique appartenant à la classe de phloroglucinols, des proanthocyanines, de l’alcool céryllique et plusieurs types d’acides : stéarique, palmitique, myristique, chlorogénique.
Rassurons-nous, le millepertuis recèle aussi des composants dont les noms sont plus courants et dont l’orthographe ne cause pas de véritables migraines : un tanin, de nature assez proche de celui contenu dans le thé et présent à hauteur de 12 %, des sucres (4 %) et des polysaccharides (5 %), des substances protéiniques (15 %), du pentosane (11 %), de la pectine, de la choline, une pléthore de sels minéraux (4,5 %), dont du fer, chose qui ne doit pas nous surprendre, si l’on prend en considération la relation du millepertuis avec la couleur rouge. Il nous reste à évoquer un produit peu connu et dont l’existence est souvent occultée par le macérât huileux de sommités fleuries de millepertuis, quand on ne fait pas la confusion entre l’un et l’autre. Je veux parler de l’huile essentielle qu’on tire de ces mêmes parties végétales par distillation à la vapeur d’eau. Il est vrai que l’huile rouge est tellement à la portée du premier venu, qu’il serait dommage de s’en passer, d’autant plus que sa fabrication exige plus de patience qu’elle n’engage les frais nécessaires à l’achat d’un petit flacon de cette huile essentielle qui, généralement, n’est pas donnée : en qualité biologique, j’ai évalué un prix moyen de 27,80 € les 5 ml. Aussi, en ce qui concerne cette huile essentielle de couleur verdâtre, les données biochimiques ne courent-elles pas les rues, mais nous pouvons néanmoins indiquer quelques chiffres : des sesquiterpènes (germacrène D, β-caryophyllène), des monoterpènes (α-pinène, β-pinène), des monoterpénols (5 %), enfin une grosse fraction d’hydrocarbures dont 16 à 20 % de 2-méthyloctane.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédatif, équilibrant du système nerveux, anxiolytique, antidépresseur
  • Apéritif, digestif, tonique hépatobiliaire, cholagogue, s’oppose aux excès d’acidité gastrique, vermifuge (?)
  • Antiseptique et régénérant cutané, astringent, cicatrisant, vulnéraire, anti-érythémateux
  • Antihémorragique
  • Diurétique, antiseptique urinaire
  • Stimulant balsamique, décongestionnant respiratoire, anticatarrhal
  • Tonique circulatoire, cicatrisant artérioveineux
  • Tonique utérin
  • Anti-oxydant
  • Anti-infectieux : antibactérien, antiviral
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Fébrifuge, sudorifique

Note : voici résumée, selon le docteur Henri Leclerc, l’action externe du millepertuis sur les blessures et les plaies en général : « il diminue les symptômes douloureux par suite d’une action anesthésique locale, légère, mais constante ; il modère les réactions inflammatoires ; il joue vis-à-vis des tissus lésés un rôle protecteur sans en compromettre la vitalité, sans déterminer de rétention, ni de suppuration des liquides excrétés ; il favorise la réparation du revêtement épidermique » (17).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, catarrhe bronchique chronique, asthme, asthme humide, tuberculose à son début
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, lourdeur d’estomac, flatulence, dyspepsie atonique, colite, entérite, ulcère gastrique, inflammation et irritation de la muqueuse gastrique, dysenterie, diarrhée, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère gynécologique : troubles de la menstruation, prise en charge des symptômes de la préménopause et de la ménopause, leucorrhée, aménorrhée, dysménorrhée, vaginite
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire (cystite), colique néphrétique, catarrhe vésical chronique, oligurie, énurésie, pyélonéphrite, prostatite, affections goutteuses et rhumatismales
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : ictère, colique hépatique, insuffisance hépatique
  • Troubles locomoteurs : affections ostéo-articulaires et ostéoligamentaires, traumatismes musculaires, douleurs articulaires et musculaires, névrite (sciatique), foulure, entorse, luxation, crampe, lumbago
  • Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes, varice, phlébite, insuffisance circulatoire, artériosclérose, artérite oblitérante
  • Troubles du système nerveux : agitation, fatigue nerveuse, épuisement mental, nervosité, angoisse, peur, anxiété, insomnie d’origine nerveuse et médicamenteuse, déprime, dépression (légère à modérée), soulagement des symptômes de manque dans le sevrage (alcool, drogues)
  • Affections cutanées : plaie, plaie bénigne, coupure, ecchymose, hématome, contusion, muqueuse irritée et/ou enflammée, peau fine et hypersensible sujette aux irritations, érythème, coup de soleil et autres brûlures du premier degré (c’est-à-dire qui ne concernent que l’épiderme), ulcère cutané, ulcère variqueux, piqûre d’insectes, crevasse, eczéma, psoriasis, vergeture, chéloïde
  • Migraine, céphalalgie d’origine nerveuse

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries fraîches ou sèches.
  • Décoction des sommités fleuries fraîches ou sèches.
  • Teinture alcoolique : macération à froid des sommités fleuries fraîches dans un alcool fort.
  • Macération vineuse : 50 g d’écorce de frêne (des feuilles, à défaut) et 50 g de sommités fleuries fraîches de millepertuis dans un litre de vin rouge ou blanc durant huit jours. A l’issue, filtrage et stockage.
  • Huile essentielle : voie orale (usage bref : une semaine maximum), voie cutanée diluée dans une huile végétale adaptée. Pourquoi pas dans la célèbre huile rouge indissociable du millepertuis ?
  • Macérât huileux : il existe de nombreuses recettes, dont certaines mettent en œuvre un mode opératoire permettant d’accélérer la cadence, usant de la technique du bain-marie. Mais la plus célèbre, et la plus pratiquée aussi, consiste en une macération solaire de millepertuis dans de l’huile (d’olive le plus souvent ; j’ai cependant vu que celles d’arachide, de pépins de raisin, de macadamia, etc., étaient parfois conviées à l’occasion). L’on peut faire le choix de n’utiliser que les fleurs débarrassées de leur calice ou bien les sommités fleuries, que l’on renouvelle ou pas durant l’opération qui dure, selon les personnes un certain nombre de semaines, à la condition expresse qu’elles soient bien ensoleillées, afin que le soleil puisse faire doucement chauffer l’huile végétale utilisée, condition sine qua non de l’expression de l’hypéricine qui donne sa jolie teinte à l’huile rouge. J’ai déjà écrit un article plus élaboré à ce sujet. Je vous laisse vous y référer si besoin est. Il est ici.
  • Historiquement, bien que le Codex se soit enrichi de compositions magistrales farfelues, il est remarquable que le millepertuis ait prêté son concours à la recette d’une teinture dite balsamique, mais mieux connue sous le nom de baume du commandeur, issu de la combinaison de l’angélique et du millepertuis, auxquels on ajoute de l’encens d’oliban, de la myrrhe, du benjoin, du bois d’aloès et du baume de Tolu, mélange final qui doit sentir excessivement bon ^.^

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle ne doit pas être trop tardive (si les fleurs les plus basses ont roussi, il est déjà trop tard). Avec la floraison pleine du millepertuis, c’est comme si tous ces pétales bien écartés laissaient s’évaporer tant l’odeur et la saveur de la matière médicale. Il importe donc de cueillir les fleurs (ou les sommités fleuries) au tout début de l’éclosion des pétales, c’est-à-dire communément au mois de juin (en fait, la période de récolte s’étale du mois de mai au mois d’août). Cela, c’est pour un emploi quotidien, ce qui se trouve facilité du fait que de nouvelles fleurs apparaissent chaque jour, éclosant et se fanant dans la journée (la cueillette devra donc être plutôt matinale, mais jamais aurorale pour éviter que la plante ne soit couverte de rosée).
  • Séchage : il est délicat. Il importe de bien vérifier qu’il ne reste plus d’humidité résiduelle sur les sommités fleuries avant de leur faire subir l’épreuve de la dessiccation – deux s, deux c. Une fois sèches, les feuilles perdent rapidement de leur saveur. Quant aux fleurs, elles « sont d’autant plus jaunes qu’elles ont été mieux séchées et depuis moins de temps » (18). Mais cela n’empêche en rien le tout de se décolorer avec le temps, fleurs et feuilles prenant une teinte plus ou moins brunasse, malgré un rigoureux stockage au sec et à l’abri de la lumière, ce qui oblige à renouveler le stock chaque année. On s’imposera donc de récolter la juste quantité utilisable pour la seule année à venir. Il n’est pas utile, ni souhaitable, de ramasser le millepertuis au kilo si c’est pour jeter un gros excèdent pour cause de vétusté. En ce cas, n’oubliez pas que le délai de garde du macérât huileux est supérieur (deux ans), et qu’il est porté à une limite beaucoup plus étendue en ce qui concerne la teinture alcoolique.
  • Toxicité : Jean-Marie Pelt nous a déjà alertés par l’intermédiaire de l’extrait que j’ai incisé dans le corps de texte de la première partie. De l’effet du millepertuis chez les animaux qui en consomment en masse et qui stationnent ensuite en plein cagnard, l’on peut tout de suite faire la déduction suivante : chez l’homme, l’exposition solaire après une prise régulière de millepertuis est susceptible de provoquer des dermatites, des gonflements et d’autres brûlures cutanées, comme toute substance photosensibilisante, alliée au soleil, est censée le faire. L’hypéricine, c’est-à-dire le principe phototoxique du millepertuis, étant très peu soluble dans l’eau, par le biais d’une infusion ou d’une décoction de millepertuis, l’on ne craint donc absolument rien. A moins de brouter du millepertuis frais, d’ingurgiter des préparations fortement chargées en la dite substance incriminée – teinture alcoolique et macérât huileux en quantité dantesque –, le risque peut devenir réel. Mais sans cela, il n’y a donc, là encore, aucune crainte à avoir. Pour que le phénomène de photosensibilisation se déclenche, il faut nécessairement grande quantité de cette hypéricine et exposition au soleil le temps nécessaire (cela ne se fait pas en quelques secondes ou minutes). Il faut dire aussi que le millepertuis entretient avec le soleil une relation particulièrement trouble, d’autant plus troublante que de cette plante potentiellement photosensibilisante, l’on tire cette huile rouge dont l’application locale sur la peau vient en soulager les coups de soleil !, et dont elle ne ferait qu’augmenter le caractère agressif si jamais cette utilisation était immédiatement suivie d’un bain de soleil prolongé, puisque l’on peut établir l’équation simple suivante : hypéricine + UV = aïe. De tout cela, l’on peut faire la conclusion que l’hypéricine soulage à l’ombre ce qu’elle est susceptible de provoquer en pleine lumière (et ce, qu’elle soit absorbée per os ou appliquée sur la peau). On a bien souvent tendance à oublier que ces substances phototoxiques – comme les molécules aromatiques qu’on appelle furocoumarines – sont tout aussi actives par voie interne. Au contraire de la chrysomèle du millepertuis, nous ne possédons pas d’élytres protectrices nous permettant de parer l’agressivité des rayons du soleil, qui s’additionnent à la propension de l’hypéricine à entrer en réaction avec les UV.
    Outre que l’hypéricine augmente la photosensibilité cutanée, il s’avère qu’un excès de millepertuis en interne peut irriter le système nerveux, devenir convulsionnant même, et provoquer de fortes migraines. Quant à l’huile essentielle , qui n’est pas phototoxique, elle peut éventuellement causer quelque irritation cutanée après application (pour éviter tout désagrément, procéder au test dit du « pli du coude »).
  • Ce malencontreux effet a bien évidemment été brandi comme une épée (de bois) par les contempteurs du millepertuis. L’on dit parfois que l’interdiction à la vente libre en France fut à mettre sur le compte d’une inefficacité du millepertuis, ce qui est, vous vous en doutez, une parfaite ineptie. Tout au contraire, c’est pour cause d’efficacité (et, accessoirement, de concurrence), qu’on a écarté cette plante. De nombreuses études menées sur plusieurs décennies sont parvenues à aller au-delà de ce pour quoi l’on considérait le millepertuis jusqu’à la Seconde Guerre mondiale à peu près. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence et montrer l’équivalence, sinon la supériorité parfois, d’effets entre le millepertuis et les antidépresseurs, tous chimiques, la plante présentant bien moins d’effets secondaires à la clé. Contrairement à la brutalité d’action de cette thérapie chimique et synthétique, le millepertuis, lui, prend son temps, qui n’est autrement que le temps nécessaire, pour agir, ne pouvant envisager une guérison ex nihilo. C’est pourquoi on peut parfois lire que ses effets sont longs à se manifester. Non, ils ne sont pas longs, ils sont tout simplement normaux. Ne sont-ce pas, au contraire, toutes ces pilules bleues ou roses qui vont trop vite, dans une société folle où tout (ou presque) est toujours trop rapide, où le médicament doit remettre le travailleur droit sur ses jambes et dans sa tête, parce que cette société, qui confond le vide avec la vacuité, estime que, à la dureté de la tâche, le temps ne peut pas être autre chose que de l’argent. Ceux qui ont fait le choix d’opter pour le millepertuis pensent tout à fait différemment. Ceci étant dit, « le millepertuis n’est nullement cette drogue miracle qu’on a voulu en faire en le comparant au Prozac® qui d’ailleurs n’en est pas une non plus » (19). Il est vrai qu’on a cherché pendant longtemps LE principe actif du millepertuis. Fournier se devait bien d’avouer, dans les années 1940, qu’alors, on n’en savait encore rien. Mais, encore une fois, un principe actif isolé d’une plante, administré isolement, provoque des effets qu’on n’avait jamais observés avec l’emploi de la plante entière aux doses usuelles, via les modes d’emploi traditionnels. C’est pourquoi l’on a constaté que la prise interne de millepertuis (en tant qu’extrait standardisé), concomitante à celles de divers médicaments chimiques (à visée cardiotonique, anti-asthmatique, antirétrovirale, contraceptive, etc.), pouvait en diminuer l’activité thérapeutique. L’un ne condamne pas l’autre. Il n’est pas question de ce principe binaire qui opposerait le « bon » au « mauvais ». A ce titre, l’argile et le charbon actif, qui, ensemble, ne font pas bon ménage, excellent chacun en célibataire. Avec le millepertuis, il suffit d’observer cette règle qui n’a rien de bien compliqué, pour ne pas dire sorcier… ;-)
  • Autres espèces : le millepertuis des montagnes (H. montanum), le millepertuis à quatre ailes (H. tetrapterum), le millepertuis tacheté (H. maculatum), le millepertuis de Richer (H. richeri), le millepertuis élégant (H. pulchrum), le millepertuis pubescent (H. hirsutum), le millepertuis rampant (H. humifusum), etc.
  • A distinguer de l’androsème officinal (H. androsaemum).
    _______________
    1. Le millepertuis n’est pas l’unique herbe dite de la Saint-Jean. Vulgairement, on a l’habitude de répéter qu’elles forment un groupe de sept plantes : l’armoise, la sauge, la joubarbe des toits, le lierre terrestre, la marguerite, l’achillée millefeuille et, donc, le millepertuis. Mais il en existe bien plus que sept. Pour en savoir davantage, se référer à mon livre Herbes & feux de Saint-Jean.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 637.
    3. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 68.
    4. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 348.
    5. Eric Robertson Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, p. 157.
    6. Ibidem, p. 186.
    7. Ibidem.
    8. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 67.
    9. Dioscoride en énumère quatre à la toute fin du Livre III de la Materia medica : chapitre 146 : hypericon ; chapitre 147 : askyron ; chapitre 148 : androsaimon ; chapitre 149 : korès.
    10. Ce qu’illustre bien le mot androsaimon, du grec andros, « homme » et haïma, « sang ».
    11. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 157.
    12. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 596.
    13. M. Reclu, Manuel de l’herboriste, p. 64.
    14. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 596.
    15. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 308.
    16. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 177.
    17. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 273.
    18. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 595.
    19. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 70.

© Books of Dante – 2020

Les plantains

Synonymes :

  • Grand plantain (Plantago major) : plantain à grandes feuilles, plantain à larges feuilles, plantain ordinaire, plantain à bouquet, queue de rat, herbe aux oiseaux, pied du blanc (typiquement européen, le grand plantain s’est répandu à bien des régions du monde à partir du XVI ème siècle, comme au Québec où certaines tribus amérindiennes lui donnèrent ce nom) ;
  • Plantain lancéolé (Plantago lanceolata) : herbe à cinq côtes, herbe à cinq coutures, oreille-de-lièvre, bonne femme, lancelée, petit plantain, plantain étroit, herbe de saint Joseph, herbe au charpentier, tête noire…

Les plantains ont reçu tant de noms vernaculaires depuis l’Antiquité gréco-romaine qu’il est parfois difficile de savoir de quelle plante l’on parle. Fort heureusement, en ce qui concerne ces plantes herbacées, les Anciens ont su faire preuve de précision. Chez les Grecs, les plantains répondent aux noms d’arneion, de probateion, de poluneuron, d’heptapleuron, de kunoglôsson, d’arnoglôsson (lequel dernier peut être petit – mikron – ou grand – meizon). Mais l’ensemble de ces termes n’a rien à envier avec les noms beaucoup plus récents qu’on utilise aujourd’hui pour désigner ces plantes : pied-d’homme (1), oeil-de-chien, langue-de-brebis (ou d’agneau), oreille-de-lièvre, etc., tout cela en raison de la forme spatulée qu’affectent les feuilles de ces plantes. Ainsi parle le pseudo-Apulée qui ajoute à l’attention de ses lecteurs les noms portés par le « plantain » par les divers peuples de son époque : asoeth en Égypte, thisarikam en Espagne, astirhok en Afrique, tarbêlothadion en Gaule, plantagô minor à Rome, etc. Aujourd’hui même, il est difficile de dire si toutes ces dénominations s’appliquent à la même plante, ou bien s’il s’agit de transposer en des mots l’idée qu’on peut se faire du plantain (qui, bien entendu, n’est pas partout le même : dans notre domaine, c’est une erreur grave que de voir midi à sa porte).
Quoi qu’il en soit, le plantain demeure une plante très connue et très utilisée durant l’Antiquité. Outre le pseudo-Apulée qui en rapporte largement l’usage, il y eut durant le Ier siècle après J.-C., un auteur qui tint l’arnoglôsson, soit la langue-d’agneau, en grande estime. Alors que les hippocratiques font complètement l’impasse sur cette plante, le médecin grec Thémison de Laodicée lui consacre l’intégralité d’un ouvrage. Avec lui, viennent Dioscoride et Pline qui faisaient déjà la distinction entre le grand plantain (Plantago major) et le plantain lancéolé (Plantago lanceolata). Chacun d’eux indique les différentes parties de ces plantains à employer, les préparations à réaliser et les modes d’emploi. Les feuilles, desséchantes et astringentes (donc cicatrisantes), étaient largement employées pour tout ce qui touche aux affections cutanées (abcès, ulcère de différentes natures, plaie, plaie suppurante, brûlure, excoriation, tumeur, anthrax, feu sacré, lichen…), mais aussi pour tous les problèmes hémorragiques que sont les morsures de chien, les crachements de sang, les hémorroïdes, les fistules, le saignement des gencives, l’écoulement de la matrice… En règle générale, on accordait aux plantains une action efficace contre les douleurs (maux de dents, d’oreilles, d’estomac, d’utérus) et les affections locomotrices (douleur de la goutte, des tendons et des articulations, luxation). A l’intérieur, on les réservait pour des affections pulmonaires (crise d’asthme, phtisie) et gastro-intestinales (indigestion, dysenterie et autres flux de ventre). Comme la mauve, par ses vertus vulnéraires et adoucissantes, le plantain est un anti-inflammatoire indirect, et s’employait donc dans beaucoup de cas où il y avait inflammation interne comme externe.
J’ai abrégé. Mais sachez qu’il y aurait encore beaucoup à dire sur nos deux énergumènes (je parle de Pline et de Dioscoride, pas de nos deux plantains). Ils feront d’ailleurs les choux gras de Macer Floridus mille ans plus tard, comme si rien n’avait changé en un millénaire : comment peut-on être naïf à ce point pour le croire ? Et, puisque nous parlons de chou, ils iront jusqu’à prendre la tête à ce brave Cazin qui, à mon avis, devait être de mauvaise humeur lorsqu’il a rédigé l’assez courte monographie qu’il consacre au plantain. J’sais pas, il a dû découvrir que dans les bonbons au plantain, il n’y avait généralement jamais de plantain, de même que dans la guimauve il n’y en a pas non plus. Un truc du genre, peut-être. Mais il est vrai qu’avec ce que nous venons de nous ingurgiter, il est possible que quelques estomacs délicats ne supportent pas la charge et finissent par tout revomir – burp. Nous y reviendrons tout à l’heure.
On a reconnu au plantain des vertus antivenimeuses. Beaucoup de plantes, et cela de l’Antiquité jusqu’au Moyen-Âge, auront été créditées de ce pouvoir, parfois à tort, mais pas en ce qui concerne le plantain, à tel point qu’une vieille légende raconte ceci : « Avant de livrer bataille aux vipères, les belettes auraient soin de se rouler sur des touffes de plantain de façon à s’assurer une immunisation complète, prélude d’une victoire infaillible » (2). Selon le symbolisme chrétien, la belette représente la guérison. Il pourrait s’agir là de l’évocation d’une force solaire – ici la belette – terrassant un esprit chthonien représenté par le serpent. Quoi qu’il en soit, Pline préconisait le grand plantain, qui avait sa préférence, en cas de piqûres de scorpion et de morsures d’animaux, car il « a une force merveilleuse pour dessécher et resserrer, et produit l’effet d’un cauter » (ou cautère, c’est-à-dire un fer à cautériser).
Galien reprendra peu ou prou les indications de Pline et de Dioscoride, indiquant que le plantain possède des propriétés rafraîchissantes et desséchantes pouvant être mises à profit pour cicatriser les plaies, soigner les abcès, les tumeurs et les ulcères, calmer les maux de dents, arrêter les hémorragies, lutter contre la dysenterie, les obstructions hépatiques et rénales, etc. (Une bonne partie de ce que nous avons dit se retrouvera plus ou moins réécrit par des praticiens de l’Antiquité tardive comme Aetius, Alexandre de Tralles et Paul d’Égine.)

On a aussi attribué au plantain, outre des propriétés médicinales, des propriétés magiques et astrologiques. En effet, l’arnoglôsson – notre langue-de-mouton – était considéré comme une plante d’Arès, le dieu grec qu’on a assimilé à Mars. En tant que planète, Mars gouverne le signe du… Bélier (ça ne s’invente pas) et celui du Scorpion. Un extrait d’un vieux traité astrologique rapporté par Guy Ducourthial explique les raisons pour lesquelles le plantain est plante d’Arès : « Sa racine guérit les tumeurs malignes sur les parties sexuelles, car Arès a son domicile dans le signe du Scorpion, qui a reçu en partage cette partie du corps. La graine de la plante, en enduit, guérit les parties sexuelles gangrenées et difficiles à cicatriser dans cette partie du corps. La plante, portée en amulette, convient parfaitement pour le mal de tête, car Arès a son domicile dans le signe du Bélier, lequel est à la tête de l’univers. Le suc, pris en boisson et en lavement, rétablit ceux qui souffrent de dysenterie, ceux qui crachent le sang et il est efficace pour les hémorragies, car Arès domine le sang » (3). Bien qu’on ne sache pas s’il s’agit là du grand plantain ou du plantain lancéolé, notre astrologue anonyme indique donc d’assez bonnes raisons pour attribuer la planète Mars au plantain. Cette mélothésie ne doit pas occulter le fait qu’on recherchait aussi des astuces symboliques liées au pouvoir des chiffres : ainsi, « trois racines sèches de plantain, bues dans trois cyathes (4) de vin et autant d’eau guérissent la fièvre tierce et quatre racines la fièvre quarte », nous explique Dioscoride. Parfois, des désaccords se faisaient jour. Si Théophraste conseille de cueillir le plantain « avant que le soleil ne le frappe », Dioscoride indique, sans donner davantage d’explications, que le plantain se ramasse après le coucher du soleil, qui plus est en lune descendante et de la main gauche.

Au Moyen-Âge, la réputation du plantain n’a pas été oubliée et n’a pas échappé aux médecins médiévaux. Comme à son habitude, Macer Floridus reste relativement fidèle aux antiques prescriptions concernant le plantain. C’est pourquoi l’on retrouve dans son discours bien des paroles déjà évoquées. Rappelant Pline, il réaffirme la puissance du grand plantain face au plantain lancéolé, mais, dans l’ensemble, il indique pour chacun de ces deux plantains des propriétés et usages similaires : étancher le sang, sécher les plaies suppurantes, dissoudre les tumeurs les plus dures, déterger les ulcères sordides, cicatriser les blessures récentes. Selon Macer, une longue liste d’affections relève du plantain : mangé cuit comme légume pour les flux de ventre, en compagnie de lentilles pour apaiser les douleurs intestinales et la dysenterie, et expulser hors du corps les parasites intestinaux. De plus, brûlure, érysipèle, morsure de chien, ulcération buccale, maux dentaires, douleurs d’oreilles, hémoptysie, fièvre quarte et phtisie entrent dans la ligne de mire de l’arsenal thérapeutique du plantain. On retrouve, en filigrane, le côté très martien, sinon guerrier du plantain, une plante qui fut alors, à l’instar de l’achillée millefeuille, très utilisée par les soldats sur les champs de bataille vues ses qualités hémostatiques. Ce que Macer note de neuf (il y en a quand même un peu, ne soyons pas mauvaise langue) dans son De viribus herbarum réside en trois points : les vertus gynécologiques du plantain aiderait à l’expulsion du placenta. Ensuite, « broyée dans du vinaigre, et appliquée sous la plante des pieds, elle [la plante, ici, le plantain lancéolé] calme la douleur qu’y produit souvent une longue marche » (5). Appliquer une plante qui tire son nom de la plante des pieds sous cette même plante semble relever de la théorie des signatures. Il n’empêche que, pour en avoir fait l’expérience, ça marche ! Les effets rafraîchissants du vinaigre accompagnés de ceux, anti-inflammatoires, du plantain y sont bien pour quelque chose. Enfin, notre ami Macer indique le plantain contre les inflammations oculaires, peut-être en utilisant une eau de plantain. De cela, nous reparlerons un plus loin. En attendant, voyons voir ce que la pharmacopée hildegardienne nous réserve à propos du plantain. Tout d’abord, nous pouvons mentionner qu’Hildegarde distingue deux plantains, celui qu’elle appelle Psillium et l’autre Plantago. Le premier n’est autre que le psulleion des Anciens, c’est-à-dire une plante dont le nom latin actuel est Plantago afra. Le Psillium d’Hildegarde, de nature froide, vient à bout de fortes fièvres et de brûlures d’estomac, la froideur de ce plantain corrigeant ces deux inflammations. Elle l’indique aussi, avec muscade, galanga et glaïeul en cas de… comment dire ? Aujourd’hui, nous dirions « asthénie intellectuelle ». C’est évident qu’avec un tel mélange, l’asthénie ne devait pas faire long feu ! « Par son équilibre tempéré, il réjouit l’esprit de l’homme quand celui-ci est oppressé ; tant par son froid que pas sa tiédeur, il ramène le cerveau à la santé et lui donne de la vigueur », précise-t-elle (6). Quant au Plantago d’Hildegarde, de nature chaude (Arès en filigrane ?) et sèche, il est utilisé contre la goutte, les élancements, les points de côté, les piqûres d’insectes. C’est ce même plantain qu’Hildegarde conseille d’employer avec la mauve pour favoriser la consolidation des fractures. Pour cela, Hildegarde propose la recette de « l’onguent d’Hilaire », élaboré à base de persil, de plantain, de basilic et de sysémère mêlés à du saindoux et à de l’huile de laurier. Hildegarde, qui ne devait pas être coutumière de la bombance, pense aussi à notre foie : « Si on a pris diverses nourritures de façon immodérée et que le foie est blessé et endurci, [il faut] couper en petits morceaux de cette herbe [que l’on nomme tussilage] avec deux fois autant de racines de plantain » (7). L’abbesse prend également soin de notre esprit (ou âme ?) lorsqu’elle dit ceci : « Si un homme ou une femme a bu un philtre d’amour maléfique, qu’il prenne du suc de plantain, avec ou sans eau, puis qu’il prenne une autre boisson forte [laquelle ? Elle ne ne dit malheureusement pas], et cela le soulagera : il sera purgé de l’intérieur, et son état sera amélioré » (8). Par ailleurs, elle signale l’usage d’une poudre composée de plantain, de géranium et de mauve, fort utile contre « le poison et les paroles magiques ». C’est peut-être ce qui fera dire à Paul Sédir bien plus tard que « la plante entière guérit les maléfices » (9).
Trotula de Ruggiero (10), exerçant la médecine et la chirurgie au sein de la célèbre école de médecine de Salerne, est, en quelque sorte, le pendant méridional de l’abbesse de Bingen. Dans son Traité des maladies des femmes, elle conforte les vertus emménagogues du plantain en cas de métrorragie et de déplacement de l’utérus. Comme elle ne se préoccupait pas que de gynécologie, elle a aussi laissé un bon nombre de recommandations sur ce que le docteur Leclerc appelait la coquetterie : par exemple, Trotula conseillait l’usage du mucilage d’un plantain particulier, le psyllium, contre « les fissures des lèvres provenant de baisers excessifs »… ^.^
En toute fin de Moyen-Âge, on parle d’une « eau vulnéraire » ou « eau d’arquebusade ». Elle n’est, ni plus ni moins, qu’une eau de plantain aux vertus rafraîchissantes, dépuratives, adoucissantes et astringentes. A l’époque, cette eau jouissait du même prestige que celle de bleuet pour les ophtalmies et autres inflammations oculaires. Elle intervenait alors en lavement sur les ulcères et autres maladies cutanées, en application locale sur hémorragie bénigne. Enfin, par voie interne, sur diarrhée et phtisie (ce que l’on appelle aujourd’hui tuberculose). Bien plus tard, au XIX ème siècle, Joseph Roques semble beaucoup apprécier cette eau de plantain pour les affections oculaires.
Le Petit Albert, qu’il est raisonnable de dater du XVII ème siècle, relate le cas d’un soldat polonais ayant guéri l’un de ses camarades blessé par arme blanche avec de l’eau de rose et de l’eau de plantain, un usage qui se perpétuera bien après, puisque lors de la Première Guerre mondiale, on employa abondamment le plantain pour ses vertus hémostatiques, ainsi que la bourse-à-pasteur entre autres. Mais avant d’en arriver à l’aube du XX ème siècle, on accorde au plantain toute sa place, en l’occurrence au sein du Dictionnaire de Trévoux, par exemple, qui dit que « cette plante est vulnéraire, résolutive, fébrifuge, et qu’on s’en sert dans la dysenterie, dans le crachement de sang, dans les hémorroïdes », ce qui, sans pour autant en faire des tonnes, s’avère tout à fait exact. Voilà. Fin XVIII ème, tout va encore bien pour nos plantains, jusqu’à ce que Cazin père ne vienne jeter une véritable bombe, belle charge rédigée de 25 bonnes lignes bien aiguisées contre cette plante, pour lequel, dit-il, « il faut avoir une foi robuste pour croire aux propriétés du plantain […] opérées sans doute par l’eau dans laquelle avait bouilli le plantain, ou avec laquelle on l’avait distillé » (11). Rappelons qu’au XX ème siècle, Jean Valnet s’érigeait vertement face à une certaine catégorie d’imbéciles qui ne voyaient pas autre chose dans une tisane que de l’eau « salie ». Bref. En attendant, c’est là un sévère coup de semonce ! Dire de Galien et de Matthiole qu’ils furent crédules à l’endroit du plantain, a très justement suscité la mienne, d’incrédulité. Or, selon Cazin, l’ancienneté n’est pas seule gage de crédulité, puisque, ajoute-t-il, « des auteurs plus modernes et non moins crédules » prirent en considération ces plantes, quand ils ne leur déroulèrent pas le tapis rouge (12). Que la logorrhée verbale des auteurs antiques comme médiévaux lui ait flanqué le bourdon, je puis le reconnaître, sachant que même la plus opiniâtre des chattes n’y retrouverait qu’à grand-peine ses petits. Mais Cazin, intraitable, ne laisse rien passer. Par exemple, sur l’usage populaire de la feuille de plantain appliquée sur les plaies fraîches, il n’est pas loin de tenir le même discours qu’avec l’achillée, à savoir qu’il est impensable d’user de ces plantes sur des plaies ouvertes, récentes et saignantes. Si c’est effectivement mal venu en ce qui concerne l’achillée, le plantain s’y prête à merveille, tout au contraire. Peu importe, pour Cazin le plantain n’est pas cicatrisant (résolutif, vulnéraire, etc.). Mais que lui reste-t-il donc, alors ? Une efficacité sur certaines fièvres intermittentes, les ulcères atoniques et scrofuleux, les dartres corrosives et suppurantes. C’est tout.
Cependant, « la phytothérapie actuelle a rendu justice à ces plantes que le XIX ème siècle avait méprisées malgré leur passé glorieux » (13). Après une petite page botanique, c’est ce vers quoi nous allons tendre : l’actualité thérapeutique des plantains.

Les minuscules fleurs du grand plantain en vue rapprochée.

Qu’on ait appelé « major » l’un de ces plantains, ne me semble pas être une référence à la suprématie de ses pouvoirs thérapeutiques aux dépends de l’autre. Peut-il alors s’agir d’une question de gabarit ? Hum… Bien que majeur (et très certainement vacciné), le grand plantain est d’une stature plutôt modeste, même une fois fleuri, puisqu’il ne dépasse que très rarement 40 cm de haut, tandis que le plantain lancéolé, comme le suggère un peu son nom, est beaucoup plus élancé, et se paie même le luxe d’aller percher ses épillets floraux à pas loin de 60 cm de hauteur, dans les temps les plus fastes, bien entendu (parce que des fois, il est plus rachtok que ça). Alors ? A la rigueur, l’on peut dire que les feuilles plus larges et plus étalées du grand plantain lui donnent un air trapus et costaud. Mais grand ? Euh. Bref, bottons courageusement en touche ^.^ Puisque nous parlons des feuilles, remarquons que chez les deux espèces, elles sont marquées de fortes nervures longitudinales, et s’organisent en rosette basale à partir d’un centre duquel émergeront plus tard les hampes florales. Du côté du lancéolé, ses feuilles sont généralement cinq fois plus longues que larges, ascendantes, ou parfois couchées-ascendantes, rétrécies à leur base en un long pétiole placé dans la continuité du limbe. Celles du grand plantain, assez souvent orientées perpendiculairement aux hampes florales, sont formées de deux parties bien distinctes : un limbe plus ou moins ovale et un pétiole ailé aussi long que le limbe, le tout donnant l’illusion d’une raquette végétale.
Plus précoce dans sa floraison, le plantain lancéolé part à la conquête du ciel dès le mois d’avril, à l’aide des ses hampes florales, sortes de hallebardes végétales, sillonnées dans leur longueur, tandis que le grand plantain patiente facilement jusqu’en juin pour ce faire, et à la différence que ses hampes sont nues et non striées. Dans un cas comme dans l’autre, les fleurs en épis denses, de couleurs variables (verdâtres chez le major, brunâtres aux anthères jaunes bien visibles chez le lanceolata), achèvent ces hampes, comme un fer une flèche. Généralement petites, tassées comme des pingouins sur la banquise, les fleurs de plantain n’attirent guère l’attention, le plus « démonstratif » restant sans doute le lancéolé, peut-être parce qu’il se donne à voir en dehors des zones qu’affectionne généralement son « grand » cousin, c’est-à-dire des lieux incultes, terrains plus ou moins vagues, décharges, talus, remblais, décombres, ballast ferroviaire, jusqu’aux fissures du bitume des parkings urbains, où il aime à se faire piétiner allègrement, à la manière de la renouée des oiseaux, autre traînasse des bouts de trottoirs. Mais ne soyons pas si catégorique, parce que, en effet, il arrive fréquemment de rencontrer le grand plantain dans les mêmes types d’habitats que le plantain lancéolé, à savoir : les prairies, les jardins, le bord des chemins de campagne qui mènent aux champs (et où l’on voudra).
Très fréquents en plaine, nos deux plantains peuvent devenir montagnards et s’installer à pas loin de 2300 m d’altitude !

Les plantains en phytothérapie

Ici, nous dépasserons les querelles et les clivages habituellement observables à l’endroit des plantains : il importe peu de savoir lequel des deux a été le plus souvent plébiscité (Botan et Bardeau indiquent, par exemple, que la préférence fut accordée au plantain lancéolé). Tout au contraire, retenons ce qui unit de ce qui désunit : à l’image de la consoude, avec laquelle les plantains possèdent nombre de propriétés communes. Pour être clair et bref, disons seulement, que du grand plantain au plantain lancéolé, c’est kif-kif bourricot (en terme de propriétés et d’usages médicinaux).
De ces deux plantes inodores et à la saveur herbacée un peu amère et styptique, nous utiliserons essentiellement les feuilles (le plus souvent à l’état frais, mais pas toujours), quelques fois les racines (beaucoup plus fréquemment dans l’ancien temps), moins souvent les semences (d’autres plantains que ceux-ci sont spécialisés dans ce domaine). Ceci étant dit, rien n’empêche de considérer les plantains (major et lanceolata), tant pour leurs feuilles que pour leurs sommités fleuries, et d’utiliser les unes mêlées aux autres dans une pratique phytothérapeutique régulière.
Faisons maintenant le point des divers composants biochimiques qu’offrent nos deux plantains. Fournier signalait que, parmi les plantes médicinales, plantain lancéolé et grand plantain se remarquaient par le fait d’être les rares représentants de la caste des « astringents-émollients », une caractéristique qui s’explique par une importante quantité de tanin (pour l’astringence) et de mucilages (pour l’émollience). Remarquons des hétérosides iridoïdes, l’aucubine et le catalpol, ainsi qu’un flavone du nom d’apigénine, des vitamines (A, B1 et C ; pour cette dernière, on en trouve jusqu’à 70 mg aux 100 g de feuilles fraîches au printemps), nombre de sels minéraux et d’oligo-éléments (sodium, soufre, chlore, magnésium, zinc (14), potassium, etc.), des matières gommeuses et pectineuses, des acides (citrique, oxalique, silicique, planténolique), enfin un corps aromatique de la famille des coumarines, l’esculétine.

Propriétés thérapeutiques

  • Désinfectant, antiseptique et calmant cutané, émollient et adoucissant de la peau et des muqueuses
  • Expectorant, antitussif, fluidifiant des sécrétions bronchiques, anticatarrhal pulmonaire
  • Astringent doux et léger, vulnéraire, résolutif, cicatrisant
  • Stimulant, tonique amer, reminéralisant, reconstituant de portée générale
  • Laxatif (à hautes doses), antidiarrhéique (à faibles doses)
  • Dépuratif, diurétique (les semences surtout)
  • Anti-inflammatoire, freine les phénomènes allergiques
  • Antibactérien léger, antivenimeux, antidote de l’opium (15)
  • Hémostatique, augmente la coagulabilité sanguine, antihémorragique
  • Anti-ophtalmique
  • Fébrifuge

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire et ORL : toux, toux sèche, toux grasse, toux coquelucheuse, extinction de voix, douleur auriculaire, rhinite, rhinite allergique, inflammation nasale, saignement de nez, rhinopharyngite, pharyngite, laryngite, trachéite, catarrhe bronchique chronique, asthme, asthme humide, bronchite aiguë, bronchite chronique, adjuvant utile dans le traitement de la tuberculose pulmonaire, hémoptysie, crachement de sang
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée bénigne, diarrhée, dysenterie, entérite, colite, constipation, pyrosis, gastrite, ulcère gastro-duodénal, autres irritations du tube digestif en général
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : catarrhe chronique des voies urinaires, néphrite, hématurie, incontinence urinaire
  • Affections bucco-dentaires : stomatite, gingivite, névralgie et douleur dentaire
  • Affections oculaires : fatigue oculaire, inflammation des paupières, conjonctivite, blépharite, yeux chassieux
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrite, métrorragie, pertes blanches, leucorrhée
  • Troubles circulatoires : hémorroïdes, fistule
  • Affections cutanées : peau sèche, enflammée et/ou squameuse, brûlure, acné, acné rosacé, plaie fraîche, plaie purulente, coupure, ulcère, ulcère variqueux, abcès, panaris, dartre, furoncle, impétigo (et ses complications : ecthyma, par exemple), contusion, piqûre d’insecte (abeille, guêpe, frelon, moustique), piqûre d’ortie, morsure de vipère, morsure de chien, ampoule du marcheur et du travailleur de force
  • Fatigue, asthénie, anémie, retard du développement infantile (le docteur Jean Valnet donnait le plantain en équivalence avec l’huile de foie de morue en ce cas ; ce qui n’est pas rien)
  • Infection grippale, fièvre
  • Maux de tête, céphalée
  • Jaunisse
  • Crampe musculaire
  • Lésion et fracture osseuse
  • Dépuration de l’organisme de son acide urique, de son urée et de ses chlorures (ce qui, à terme, a forcément un effet bienveillant sur les affections rhumatismales et goutteuses qui en dépendent)

En médecine traditionnelle chinoise

« Le général chinois Ma-Wu, sous la dynastie Han, sauva son armée grâce à son palefrenier et à une plante. Errant avec son armée dans une région inhospitalière et aride, ses soldats et ses chevaux étaient décimés jour après jour. Son palefrenier remarqua que trois chevaux qui broutaient plus particulièrement un plantain (Plantago asiatica) résistaient sans problèmes. Il l’essaya en infusion et se remit sur pied. L’armée fut sauvée par cette providence et la plante est restée dans la pharmacopée chinoise comme anti-inflammatoire, antimicrobien et diurétique » (16). Effectivement, en médecine traditionnelle chinois, on utilise les talents du Che Qian Zi, alias le plantain asiatique, une espèce qui ressemble beaucoup à notre Plantago major. On use de la plante entière ou des semences. Parce qu’acide et doux, de nature froide, on reconnaît à ce plantain la qualité de disperser l’énergie des méridiens du Foie et de la Vésicule biliaire, et de tonifier celle des méridiens de la Rate et de la Vessie. Pour le non initié, ça n’est pas forcément très clair, mais quand on entre dans le détail, on constate que les propriétés et usages propres à ce plantain se rattachent beaucoup à ceux des plantains européens (major et lanceolata), portant son action sur les sphères respiratoire (expectorant et mucolytique ; maux de gorge, toux, coqueluche, rhume, hémoptysie), vésico-rénale (diurétique ; affections urinaires, cystite, miction difficile, hématurie) et ophtalmique (conjonctivite).

Modes d’emploi

  • Infusion, décoction, décoction concentrée de feuilles fraîches dans l’eau, le vin ou bien un mélange des deux.
  • Suc frais en application locale ou mêlé à un véhicule adapté (miel, huile, etc.).
  • Sirop : Lémery en a laissé une recette longtemps usitée. Au sujet du sirop de Nicolas Lémery, voici comment s’y prenait l’apothicaire né à Rouen en 1645 : il broie finement quatre onces de racines fraîches de plantain et une once de ses semences. Il place tout cela dans quantité suffisante d’eau qu’on pousse aux bouillons jusqu’à consomption du tiers. Puis à cette décoction, il incorpore le sucre nécessaire pour lui donner consistance de sirop (17).
  • Hydrolat aromatique : la plupart du temps issues d’une cueillette sauvage, les feuilles et fleurs fraîches de plusieurs plantains (major, media, lanceolata) sont distillées à la vapeur d’eau. On en tire un hydrolat aromatique applicable surtout à la peau en tant que sédatif et cicatrisant d’une part, anti-ophtalmique d’autre part. A peu de chose près, il joue le même rôle qu’une infusion de plantain qui s’avère fort secourable sur les démangeaisons et irritations provoquées par l’eczéma, l’urticaire, la varicelle, l’acné et les piqûres d’insectes. Comme collyre, il soulage les inflammations oculaires, et instillé dans les narines, il procure un nettoyage efficace toujours bienvenu en cas de rhinite simple ou allergique.
  • Macérât huileux de feuilles de plantain (seules ou accompagnées de fleurs de millepertuis et/ou de pétales de lis blanc).
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses puis légèrement pilées (on peut, au préalable, les tremper brièvement dans de l’eau bouillante).
  • Application et friction locale de feuilles fraîches sur piqûres d’ortie, d’insectes, petites écorchures et éraflures. Ces mêmes feuilles fraîches peuvent être placées dans les chaussures : elles soulagent les pieds durant la marche, les rafraîchissent en limitant les phénomènes inflammatoires (ampoules et rougeurs).

Extra : une suggestion de recette, signée par le docteur Joseph Roques, médecin valentinois (1772-1850), et autre de mes grands chouchous : « Prenez miel de Narbonne, une once, décoction de plantain et de feuilles de rose filtrée, une livre. Mêlez et faites fondre exactement le miel. On bassine souvent les yeux avec cette liqueur, dans laquelle on trempe aussi des compresses dont on les recouvre, et que l’on humecte de temps en temps. »

Précautions d’emploi, contre-indications et autres informations

  • Récolte : préférablement à la belle saison, soit de mai à septembre, en ce qui concerne les feuilles. Cazin indiquait que la racine pouvait l’être toute l’année. Attention de ne prélever aucun plantain en tout lieu passant. Le séchage du plantain lancéolé est plus aisé que celui du grand plantain : ce dernier, plus humide, devra voir ses feuilles être tranchées en tronçons, perpendiculairement aux nervures. On opérera le tout en un lieu sombre et bien aéré. Quant au stockage, il devra être réalisé bien au sec : les plantains, craignant l’humidité, peuvent voir leurs feuilles noircir, ce qui n’est pas, en général, un bon indice de la qualité de la drogue.
  • On ne connaît ni toxicité ni contre-indication grave à l’usage de nos différents plantains, ce qui explique qu’ils soient :
  • Comestibles ! Le plantain lancéolé devra être cueilli au printemps pour ses jeunes feuilles, qu’il est alors possible de manger crues, en compagnie, pourquoi pas, d’ail des ours, d’achillée millefeuille, d’ache, de pissenlit, de mauve, de cochléaire, d’ortie… (18). Il importe de privilégier pour chacune de ces plantes les toutes jeunes pousses, celles d’entre les plus tendres. En mélange, et avec le concours d’une bonne romaine toute simple, on peut réaliser une jolie et bonne salade dépurative printanière. On peut faire de même avec un plantain de plaine, le plantain pied-de-corbeau, d’entre tous le plus savoureux sans doute, mais disponible uniquement dans le Midi et sur la façade ouest (les Italiens s’en régalent tant qu’ils ont fini par en organiser la culture). Plus âgées, cueillies après floraison, il est vrai que les feuilles du plantain lancéolé deviennent plus coriaces et plus âpres, ce qui les prête davantage à la cuisson comme légume vert (soupe, farce, etc.), contrairement à celles du grand plantain qui, même cuites, restent épaisses et ligneuses, ce qui ne les rend pas toujours très agréables en bouche. Ce qui l’est bien davantage, chez lui, ce sont ses fleurs, de même que, plus tard, ses graines, que l’on peut consommer aussi bien crues que revenues au beurre, ce à quoi ne se sont pas trompés de nombreux petits oiseaux (pinsons, chardonnerets, canaris), de même que les lapins et autres animaux apparentés, qui en grignotent aussi les feuilles, tant celles du plantain lancéolé que du grand plantain. Et si jamais on ne peut/veut les manger, on peut toujours les fumer, comme cela se faisait autrefois, après les avoir apprêtées comme l’on fait des feuilles du tussilage (cf. article correspondant).
  • En synergie avec des feuilles d’eucalyptus globuleux, le plantain gagne en pouvoir anti-inflammatoire de nature desséchante. Pour un effet anti-inflammatoire adoucissant et émollient, on mêlera au plantain des plantes dites pectorales telles que la mauve sylvestre, la violette ou le bouillon-blanc.
  • Depuis quelques années, on rencontre un autre plantain, l’ispaghul (P. ovata) provenant d’Inde et qu’on confond avec un plantain européen, le psyllium (P. afra). Très souvent, on désigne par psyllium l’ispaghul, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes d’identification. Pour mieux les distinguer, on accorde au plantain d’Inde le nom de psyllium blond, alors que le psyllium européen est dit rouge en raison de la couleur de ses graines. Si ce dernier porte le nom de psyllium, c’est grâce à la ressemblance de ses semences avec des puces. Tout naturellement, il porte les noms vernaculaires d’herbe-aux-puces, pulicaire, plantain pucier, etc. Les graines de ces deux plantains sont riches en mucilage, cette substance qui gonfle au contact de l’eau en prenant une texture assez visqueuse. La principale vertu de ces graines est d’être laxatives en cas de constipation rebelle. Elles enrayent aussi les diarrhées en protégeant les muqueuses intestinales. Enfin, l’ispaghul est de plus en plus détourné de son usage premier puisqu’il sert de coupe-faim dans le cadre de régimes amincissants.
  • Autres espèces : le plantain moyen (P. media), le plantain des sables (P. arenaria), le plantain maritime (P. maritimum), le plantain à feuilles carénées (P. holosteum), le plantain pied-de-corbeau (ou pied-de-corneille, corne-de-cerf : P. coronopus), etc.
  • Confusions : le « plantain des Alpes » n’en est pas un, il s’agit là d’un des nombreux surnoms de l’arnica (Arnica montana). Ensuite, le « plantain d’eau » (Alisma plantago-aquatica), dont les feuilles ressemblent beaucoup à celles de P. major, n’est pourtant en rien un plantain (il n’appartient même pas à la même famille, mais à celle des Alismatacées). Il s’agit aussi d’une plante médicinale, usitée en médecine traditionnelle chinoise, et présente naguère au sein de la pharmacopée de l’ancien temps. Ses feuilles et rhizomes âcres, vésicants, exhalant une forte odeur de chlore, sont depuis lors oubliés.
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    1. Plantago, du latin planta, la plante des pieds, et ago, suffixe exprimant la ressemblance. Ce mot fait directement référence au Plantago major. C’est là l’étymologie la plus fréquemment acceptée.
    2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 276.
    3. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 335.
    4. Cyathe : il s’agit d’un petit gobelet servant de mesure pour le vin et l’eau et représentant un douzième de septier (ou chopine), c’est-à-dire à peine 4 cl. Ce n’est pas pire que de savoir que le petit mystre valait huit scrupules, n’est-ce pas ? ^.^
    5. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 87.
    6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 34.
    7. Ibidem, p. 103.
    8. Ibidem, p. 64.
    9. Paul Sédir, Les plantes magiques, p. 169.
    10. Trotula de Ruggiero, ayant vécu peu de temps avant Hildegarde de Bingen (l’Allemande est née l’année suivant celle du décès de l’Italienne), a laissé un certain nombres d’écrits qui ne sont malheureusement pas disponibles en français à l’heure actuelle. On peut regretter que ce spécialiste de l’histoire médicale du Moyen-Âge qu’était le docteur Henri Leclerc, n’ait pas intégralement, comme il l’a fait de l’Hortulus de Walahfrid Strabo, transmis en français la parole latine de Trotula, recelée dans le De passionibus mulierum medendis (Traité des maladies des femmes).
    11. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 776.
    12. Ibidem.
    13. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 354.
    14. Fournier expliquait que « le plantain lancéolé serait une plante à calamine, capable d’extraire du sol de fortes quantités de carbonate de zinc », (Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 773). Si le plantain est riche en zinc, on comprend mieux pourquoi on le prescrivait en cas de retard de croissance chez l’enfant, puisqu’une carence en zinc peut se solder, entre autres, par des retards tant de poids que de taille.
    15. Selon ce que rapporte Paul Sédir, c’est le fait de la racine infusée dans le vin qui est capable de ce prodige.
    16. Dominique Lepage, Miscellanées végétales. Un autre regard sur les plantes, p. 4.
    17. Lémery destinait ce sirop aux diarrhée, aux hémorragies, à la gonorrhée, etc., des affections qui peuvent donner l’impression d’un tableau disparate, mais à travers lesquelles on peut désenclaver une racine grecque commune visible dans les mots diarrhée, gonorrhée, hémorr(h)agie, métrorr(h)agie, etc. Souvent placée comme suffixe dans bien des mots de la langue française, -rrhée provient de l’ancien verbe grec rheo qui signifie « couler ». Effectivement, le plantain est reconnu pour entraver le cours des flux anormaux ou trop abondants.
    18. J’imagine bien un mélange de toutes ces plantes, séchées et émiettées, à saupoudrer au-dessus d’une salade, d’un potage, d’un plat de légumes, ou bien encore de certaines spécialités fromagères fraîches ou d’autres préparations aux œufs.

© Books of Dante – 2020

Le grand plantain en mode « rosulaire » (Plantago major rosularis).