Baguette & Bâton

Baguette de sourcier en noisetier. Début XXe siècle. Musée Horniman (Londres).

« Tu es né(e) de l’arbre ! Protège-moi maintenant de tous les côtés ». Cette adresse, on pourrait la formuler autant à l’endroit du bâton que de la baguette. Bien que distincts l’un de l’autre, il n’en demeure pas moins qu’ils possèdent une commune origine étymologique : le mot baguette, tiré du latin baculus, émane anciennement de l’indo-européen bak dont on a tiré le grec baktron dans lequel il n’est pas difficile de reconnaître le moderne bâton. Mais, au fil du temps, les attributions de l’une se sont distinguées de celles de l’autre, quand bien même ils sont tous les deux porteurs d’un pouvoir surhumain abritant, sous une forme réduite, le doigt de l’antique divinité originelle. « Bâton ou verge, la baguette magique n’est jamais qu’une branche d’arbre et celle-ci tient son pouvoir du seul fait qu’elle est censée provenir de l’arbre sacré, Arbre de vie ou Arbre cosmique »1. Chaque arbre – sorbier, noisetier, ou encore sureau – peut se réclamer de ce miracle, bien qu’ils ne soient, chacun, que le souvenir, l’avatar de l’Arbre auquel s’est substituée la baguette. (Dans les contes et les légendes, la feuille, le fétu de paille, l’épine, la brindille, occupent le même rang symbolique, et c’est toujours derrière ces arbres en réduction que se dissimule l’Arbre primordial.) Pour bien marquer cette appartenance commune, signalons que le mot verge, du latin virga, englobe aussi bien la tige, le rameau, le phallus, le fuseau que la baguette (supposément magique), tous ces objets profilés qui tournent, qui frottent, et dont découlent une descendance, une génération, une naissance (celle du premier « homme »), une puissance, une idée, une fonction, un élément catalyseur et civilisateur révolutionnaire comme le Feu ou bien la maîtrise de cet autre principe qu’est l’Eau.

Que pouvons-nous tout d’abord dire à propos du bâton ? Que c’est une arme (magique) réduite à sa plus simple expression, principe recteur rigoureux, punitif et contraignant, dont la martialité se lit jusque dans l’ancienne graphie du mot, baston (donner la bastonnade, c’est frapper à coups redoublés). La dimension coercitive qu’on peut trouver dans le bâton transparaît parfaitement dans diverses expressions : la carotte ou le bâton ; tendre le bâton pour se faire battre ; mettre des bâtons dans les roues. (Il en existe aussi pour la baguette, bien que moins marquées : mener/obéir à la baguette ! ; passer par les baguettes.) Par ce rôle très actif, il n’a pas été difficile d’associer le bâton au feu : c’est ainsi que cette relation apparaît dans le Tarot de Marseille. Les bâtons « correspondent […] à la baguette magique, emblème de l’intention active sur la réalité […]. Ils indiquent l’audace, l’initiative, l’action, la transformation, le dynamisme, le progrès, les inventions, les voyages »2 et tout autre mouvement énergique et rapide (par exemple, d’une drille maniée par des mains expérimentés naît le feu). Waterhouse, dans sa célèbre toile intitulée Le Cercle magique expose une magicienne traçant un cercle à l’aide d’une baguette dont l’embout fume, ce qui est une possible manière de montrer l’appartenance du bâton à l’élément Feu, alors que pour la Wicca, la baguette est d’ascendance aérienne, s’approchant quelque peu du balai. La substitution des Épées (Air) par les Bâtons (Feu) remonte au Moyen âge. Cette énergie vitale des Bâtons, on la retrouve aussi dans l’arcane IV, l’Empereur, figure porteuse d’un sceptre dans la main droite, tandis que sur l’arcane V, le Pape, ce dernier tient le sceptre en main gauche, et semble davantage supporté que porteur. Mais ces deux sceptres ne règnent pas sur les mêmes domaines. De même que la baguette, le sceptre prolonge le bras, porte à travers lui-même (et même au delà) toute la puissance, l’autorité et la dignité de son porteur. Alors que la baguette est avatar de l’Arbre cosmique, le sceptre est figuration en modèle réduit de la colonne du monde et passe, tout comme la baguette semblerait-il, pour axis mundi. Si par le brandissement vertical du sceptre l’on manifeste la toute puissance de son pouvoir, en le brisant, l’on signifie qu’on y renonce. Cette idée de séparation, de rupture dans un engagement ou dans une fonction est visible à travers l’antique coutume qui consistait à briser un bâton en signe de l’abandon d’un droit à propriété ou à héritage ; pour annoncer la mort du roi, l’on brisait son sceptre.

Attributs (dont la coquille, le bourdon – c’est-à-dire le bâton – et la gourde représentée ici par une calebasse) du pèlerin de Compostelle, sculptés sur la façade de la maison située au 16 rue du Pont à Souillac (Lot).

Le bâton, qui joue un rôle assez passif en tant qu’axe du monde, peut tout aussi bien soutenir le pèlerin que l’Ermite (arcane VIIII), bien que dans ce cas dernier, il adopte une fonction d’outil de captation : par son intermédiaire, l’Ermite est en prise avec des énergies beaucoup plus subtiles qu’il n’y paraît à première vue. Ce bâton joue alors le rôle de guide (on peut en dire de même du bâton pastoral et de la crosse épiscopale). A bien observer la crosse d’une fougère, spirale enroulée sur elle-même qui se déploiera ainsi avec davantage de force, l’on peut être frappé par cette puissance miraculeuse que partage aussi le bâton fiché en terre : formant des feuilles et du fruit, il est le symbole de « la vitalité de l’homme, de la régénération et de la résurrection »3, ce qui rend parfaitement clair cet ancien usage printanier des bâtons : en frappant deux bâtons l’un contre l’autre, on simule le fracas des éclairs et du tonnerre, porteurs des germes de vie que la terre attend : le bâton est pourvoyeur des pluies fécondes. Les prêtresses de Déméter frappaient le sol d’un bâton. Ainsi, elles en faisaient surgir la fertilité.

Tout au contraire, il y a une magie dans la baguette que l’on ne croise pas dans le bâton. A sa manière, elle ordonne aussi, mais semble plus agir sur l’esprit et l’impalpable que sur la matière et la contingence. Bien que tout cela ne saute pas aux yeux quand on observe le premier arcane du Tarot de Marseille, le Bateleur (bateler, c’est faire des tours d’adresse et de passe-passe sur le champ de foire ; cela renvoie plus au domaine de la prestidigitation de l’illusionniste qu’à la magie proprement dite). Le Bateleur, dont le nom nous raccorde au bâton, nous le voyons bricoler devant son étal en apparent désordre, tenant une baguette légère dans sa main gauche. D’aucuns prétendent que c’est la même que tient le personnage de l’arcane du Monde, à la différence qu’on ne voit, sur cet arcane, aucun désordre : le monde, achevé, est parfaitement ordonné, le parcours initiatique du Bateleur l’ayant amené à une plus grande maîtrise des énergies. La baguette est l’évident symbole de la puissance invisible qu’exercent la fée, la sorcière, la magicienne. (En douterait-on ? Se promener simplement en tenant à la main une baguette, parfaitement anodine, n’excédant pas 50 cm de longueur, confère au porteur une aura qu’il ne déploierait pas de la même manière sans cela.) Plus précisément, la baguette est ce principe ordonnateur de la manifestation d’une absence sous une apparence tangible, et elle permet d’« unir la volonté du mage aux forces cosmiques soumises à sa direction »4. Grâce à elle, on prolonge cette volonté condensée, énergie mise en forme ordonnée, que l’on conduit, par le truchement de la rectitude de la baguette, plus sûrement vers son but. Par la baguette, l’on peut transiter d’un état à un autre, métamorphoser d’un coup d’un seul (Circé change les compagnons d’Ulysse en porcs en les touchant à l’épaule de sa baguette), transformer (la marraine de Cendrillon transmute une énorme citrouille du jardin en élégant carrosse), commuer les énergies. Instrument de communication entre ce monde et les autres, la baguette est « symbole de la monture invisible, véhicule des voyages [du chaman, du magicien, etc.] à travers les plans et les mondes »5. Ainsi, elle ouvre des passages à travers l’inextricable, l’indicible et le non-dit. C’est pour cela qu’on lui accorde communément la capacité de mettre à jour les trésors (quels qu’ils soient) et de faire naître les sources d’eau. Par la baguette encore, on écarte les influences pernicieuses (sorcellerie, serpents, vers, venins et autres poisons), toutes les mauvaises énergies qui peuvent assaillir et affaiblir les êtres vulnérables dont les enfants en bas âge (on se rappellera de la fée marraine penchée au-dessus du berceau accordant des vœux à l’enfant à l’aide de sa baguette). Cette arme d’exorcisme permet encore de libérer les âmes captives et d’apprivoiser les dragons et autres créatures fabuleuses. Par sa vertu répulsive, la baguette, tout comme le bâton au reste, éloigne la séduction, la tentation diabolique et la plupart des maux. Flageller les arbres du verger et les animaux de la ferme à petits coups de verge, en écarte les mauvaises ondes et les sortilèges. Enfin, croiser deux bâtons en travers d’une entrée qui ne possède pas de porte équivaut au blocage énergétique et physique des lieux face à toute irruption potentiellement malveillante en provenance du dehors.

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  1. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 301.
  2. Laura Tuan, Les secrets des tarots, p. 15.
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 112.
  4. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 125.
  5. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 111.

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John William Waterhouse, Circé offrant la coupe à Ulysse (1891).

La marguerite (Leucanthemum vulgare)

Synonymes : grande marguerite, reine-marguerite, grande pâquerette, grande camomille, chrysanthème blanc, fleur de Saint-Jean.

Il y a quelque chose d’altier dans la posture de cette belle qui est de l’ordre de la royauté, scintillant bijou de bordure des prés. Tout astre qu’elle est, la marguerite est une perle qui brille comme une étoile, emblème artistiquement réduit à six branches, et qui n’est autre que le Soleil, ce qui est tout à fait pertinent pour cette astéracée au disque d’or frangé de rayons d’argent, pour reprendre l’image d’un médecin de l’ancien temps dont la fille se prénommait Marguerite.

De la marguerite, l’on a surtout l’expérience de l’effeuillage archiconnu, autre manière de conter (compter ?) fleurette : par le biais de cette fleur prophétique, on rend l’horoscope (littéralement : « observation du cours des heures et du temps », c’est-à-dire de la Vie) afin de prendre connaissance du caractère propice (ou non) de tel questionnement amoureux : telle personne m’aime-t-elle ? Si oui, comment ? En ce cas, la marguerite est pronostic et diagnostic. Dès lors, certains en font une fleur d’amour. Mais on se situe encore au niveau d’une innocence simple et crédule, toute habillée de pureté. Avec la marguerite, on est bien loin de « mettre une fleur dans le vase » ! Déshabiller la marguerite ? Sans doute qu’à cette évocation l’esprit du poète s’échauffe : « le spectacle d’une reine-marguerite […] paraît détruire son équilibre intellectuel », disait, non sans malice, Stephen Leacock. En Italie, on est allé encore bien plus loin : de fleur d’amour, la marguerite a adopté le statut de fleur de vie, devant répondre à l’angoissante question de savoir si le consultant allait vivre et si oui combien et longtemps.

Ce que l’on croit être des pétales – des ligules blanches, en fait – sont, eux, parfaitement stériles. Ainsi, procéder à une séance d’« épétalage » n’est-il pas un moyen de passer outre l’entrave possible de la stérilité, jamais de bon aloi à travers une projection amoureuse ? Se débarrasser de ces fleurons incapables d’engendrer quoi que ce soit, n’est-ce pas une manière de mettre toute la lumière sur les fleurons centraux jaune d’or qui, eux, sont fertiles ? Bien plus qu’une simple opposition du yin et du yang, de l’or et de l’argent, la marguerite est avant tout l’harmonieuse union des contraires.

Davantage qu’oracle sentimental et présage affectif, la marguerite est aussi l’emblème de l’amour et de l’estime que l’on revêt et qui nous habite : quand on la porte sur soi, c’est un gage d’amour, quand on en offre un bouquet à la personne dont on rêve, c’est une manière florale de se déclarer à elle. Offrir, ré-offrir des bouquets dans lesquels se côtoient marguerites et, par exemple, œillets, violettes, véroniques et rameaux de lierre, est une manière de réaffirmer sa fidélité, la loyauté de son amour et le sentiment d’attachement bienheureux que l’on éprouve auprès de sa/son bien-aimé(e). Quand on en reçoit un tel, il ne faut pas avoir de doute sur les sentiments de celui qui vous l’offre : pour lui, vous êtes la reine des prés, à ses yeux la plus belle d’entre toutes. Mais la marguerite, c’est aussi l’exigence d’une patience, histoire de refréner l’ardeur du prétendant. Ainsi invite-t-elle à un certain nonchaloir (« Il n’y a pas le feu » ;  « Sachons profiter avant de trop sérieusement nous engager », etc.) et pourrait, à ce titre, figurer dans quelque poudre de badinage, bien que la marguerite passe pour plus bienveillante que libertine.

Jean-Baptiste Greuze, La Simplicité (1759)

La marguerite est une fleur qui prête « excessivement à l’idylle ; mais il ne faut pas abuser de l’idylle »1. En effet, outre que l’on ne sait jamais quel sort désignera le cercle hasardeux du « je t’aime, un peu, beaucoup, etc. », l’on peut être maladivement tenté de réitérer autant de fois l’expérience que la réponse de l’oracle aura déplu : « Passionnément. Voilà bien cent fois que je lui demande depuis qu’elle est partie et ça répond toujours qu’elle m’aime »2. Ainsi dit Requiem, effeuillant une marguerite, dans le roman de Marcel Aymé, La Vouivre. Combien en faut-il déshabiller pour être assuré que la réponse donnée est la bonne ? Peut-on perpétuellement interroger le sort, tirer les cartes sur le même sujet, au risque de lasser et d’obtenir une réponse plus angoissante que toutes les précédentes ? N’y a-t-il pas quelque chose de pathologique dans cette attitude maniaque ? J’ai souvenir d’une connaissance qui, martel ou marotte en tête, désirait que les cartes disent absolument ce qu’elle en attendait, quitte à les battre encore et encore. Celles-ci, bien que maltraitées, ne se sont jamais défaussées et ont toujours parlé un clair langage. Il en va de même de la marguerite : « En donnant une âme à la plante, la croyance populaire l’a douée de la parole : langage muet le plus souvent, langage emblématique, mystérieux, et qui sait pourtant se faire entendre […]. C’est à ce langage que les arbres, les herbes, les feuilles, les fleurs doivent le don prophétique »3. Et quand la marguerite a parlé, il est difficile de la faire mentir. Le seul qui puisse y consentir est celui qui, par le truchement de ses pétales blancs, lui a demandé son concours ; au fond de son cœur, il adultère la vérité car il ne tolère pas la réponse qui lui a été faite. En cas de « pas du tout », que faire ? S’acharner ? Quand cela survient, « l’amoureux tâche de placer subrepticement trois plantes fleuries de la ‘main du diable’ sous l’oreiller de sa bien-aimée »4. Ce qui me paraît bien risqué – un non n’est-il pas un refus on ne peut plus clair ? – et parfaitement irréalisable, tant qu’on ne sait pas ce que c’est que cette « main du diable »… Un autre écueil peut guetter la personne qui consulte la marguerite : lors d’un oracle à la marguerite, le pire des cas qui puisse se présenter, c’est, dit-on, que l’un des pétales se brise en deux quand on vient à tirer sur lui en égrenant le sort : quand cela a le malheur d’arriver, cela signifie très clairement que le consultant n’aura pas d’amoureux/amoureuse. Mais il existe bien d’autres possibilités que celle de sombrer dans le désespoir si jamais la marguerite répète, encore et encore, la même réponse : lève les yeux de dessus ton obsession et cherche ailleurs la perle que tu crois avoir sous ton nez !

Selon qu’elle est blanche ou noire, la marguerite est propice ou défavorable. En Allemagne et en Hollande, on croyait à l’existence d’une marguerite « noire » dont on a fait un mauvais génie. Ce qui peut passer pour très étonnant, sachant qu’à la marguerite sont généralement associées la plupart des symboliques que nous avons listées jusqu’ici. Mais parfois la tendance s’inverse. Par exemple, l’on connaît une sainte Marguerite de Cortone : « Les mères l’invoquaient lorsqu’elles trouvaient leurs filles trop coquettes, ou affichaient de mauvais penchants pour des garçons »5. Nunucherie. Tout le contraire de ce vers quoi doit mener la marguerite dans l’imaginaire collectif, à l’image d’une amoureuse ardente et femme libérée comme sut l’être la poétesse Marguerite Burnat-Provins (1872-1952). Bien au delà, Marguerite est un prénom d’origine païenne qui est longtemps resté à l’honneur, tant il est investi d’une force guérisseuse émanant de la Terre-Mère elle-même, dissimulant en filigrane la fée Morgane.

La marguerite est une assez grande plante herbacée vivace dont la stature dépend pour beaucoup de la nature du terrain qui la porte (de taille habituellement comprise entre 60 et 80 cm, il arrive de rencontrer des marguerites d’à peine 10 cm de hauteur, d’autres dix fois plus élevées). Dans tous les cas, on lui voit une tige dressée simple ou légèrement ramifiée garnie dans sa partie inférieure de feuilles spatulées et simples, pétiolées et légèrement dentées. Les feuilles caulinaires, forgées dans le même vert foncé, embrassent la tige, demeurent dentées, perdent leur pétioles et s’affinent assez pour devenir linéaires. De mai à novembre fleurit la marguerite : elle s’enorgueillit alors de capitules larges (3 à 6 cm), harmonieux et bien organisés (fleurs centrales tubulaires jaunes dessinant des spirales6 cernées par vingt à trente ligules blanches), perchés sur un long pédoncule.

Très commune (?) de la plaine à la montagne (jusqu’à 2400 m), la marguerite peuple la plupart des milieux ouverts que sont bordures de chemin et de route, talus et enfin prairies, celles des siestes champêtres et bucoliques.

La marguerite en phytothérapie

C’est une plante négligée des Anciens du Moyen âge malgré ce nom de baptême que tous le monde lui connaît7, de même que par l’Antiquité, et qui n’a été véritablement usitée en médecine qu’à partir du XVe siècle.

Sa saveur un peu âcre et amère lui confère quelques propriétés. Elles sont, dit-on, similaires à celles de la camomille romaine et de la matricaire mais beaucoup plus atténuées. On hésite aussi à en faire un succédané de la petite marguerite, c’est-à-dire la pâquerette (que j’ai vu orthographiée « paquette », ce qui est assez mignon ^.^).

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritive, digestive
  • Diurétique, dépurative
  • Antispasmodique, calmante
  • Vulnéraire, détersive
  • Insecticide

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, phtisie et autres affections catarrhales, orthopnée
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse, engorgement de la vésicule biliaire
  • Inflammation et ulcération de la bouche
  • Blessure, hémorragie, saignement de nez

Modes d’emploi

  • Infusion des capitules floraux secs.
  • Infusion des sommités fleuries fraîches.
  • Décoction de la plante entière fraîche.
  • Macération vineuse des sommités fleuries dans le vin blanc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Rôle insecticide : « Rappelons, en passant, que la Grande Marguerite des prés et des bois de nos pays est employée en Bosnie et en Dalmatie pour la litière des animaux domestiques. Elle en chasserait les parasites avec tant d’efficacité, que la rareté des puces dans ces pays a pu être signalée comme un fait biologique digne d’être particulièrement mis en relief »8.
  • Quelques usages culinaires glanés ici ou là : feuilles et jeunes pousses parfois consommées, boutons floraux au vinaigre, etc.

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  1. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 219.
  2. Marcel Aymé, La Vouivre, p. 178.
  3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, pp. 198-199.
  4. Pierre Lieutaghi, La plante compagne, p. 222.
  5. Julie Bardin, Saints, Anges & Démons, p. 104.
  6. 21 spirales dextrogyres et 34 lévogyres. Vous pouvez toujours vous amuser à les compter si détacher les ligules de marguerite vous blase. Par cette observation méticuleuse, on parvient à un surprenant résultat : si l’on divise 34 par 21, l’on obtient 1,619, une donnée très proche du Nombre d’or. Effectivement, comme beaucoup d’autres végétaux, la marguerite est construite selon cette divine proportion.
  7. Le mot marguerite provient du latin margarita, « perle », attribué à la plante au XIIIe siècle.
  8. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales (culture et cueillette des plantes sauvages), p. 406.

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La verveine officinale (Verbena officinalis)

Synonymes : herbe sacrée/sainte (de même en anglais « holy herb » et en allemand « heiligekraut »), herbe aux sorciers/sorcières, herbe aux enchantements, herbe à tous les maux, guérit-tout, veine de Vénus, tête de saint Jean, verveine sauvage, verveine des champs, herbe du foie, herbe de sang, colombaire, menthe de chat, pisterion, etc.

Si je vous parle de verveine, sans doute qu’à l’évocation de ce nom, vous aurez une douce odeur citronnée qui emplira vos narines. Sauf que celle qui va être abordée aujourd’hui n’est pas la verveine parfumée dont on fait des infusions relaxantes invitant au sommeil, vous savez bien, cette plante qui porte des feuilles semblables à celles du pêcher et provenant d’Amérique du Sud. La verveine du jour, c’est celle qu’on qualifie d’officinale. C’est une plante aux tiges grêles, aux feuilles insignifiantes et aux fleurs minuscules, qui apprécie les lieux maigres. Parfois comparée à du fil de fer, c’est vrai qu’elle ne paie pas de mine, tant et si bien que c’est à peine si on la remarque lorsqu’on vient à passer à côté d’elle.

Comment une plante aussi anonyme a-t-elle pu attirer autant l’attention des Anciens et jouir d’une popularité qui s’illustre par les noms vernaculaires qu’elle porte encore ? En effet, herbe sacrée, herbe à tous les maux, guérit-tout, herbe aux enchantements, herbe aux sorciers, etc., en disent long sur le prestigieux passé de cette plante anodine aux fleurs sans odeur, une plante dont les « propriétés sont difficiles à préciser et, semble-t-il, aussi faibles que vagues »1. A toutes les époques, il y eut quelqu’un pour remettre en cause les usages et propriétés de la verveine, très probablement parce que la connaissance qu’on en avait (ou que l’on s’en faisait) alors ne cadrait pas avec un excès de zèle. Malgré cette charge massive répétée et encaissée au fil du temps par cette plante d’apparence fragile, force est de constater qu’elle se classe toujours parmi les classiques herbes magiques, même si, plus que de l’utiliser, on ne fait qu’en parler. Mais ne restons pas à la surface des choses. Entrons donc dans le détail.

La verveine a été une plante magique très populaire. Mais si on doit la comparer à d’autres plantes par la grâce et la beauté, l’on comprend bien que ce n’est pas en vertu de ces deux atouts que la verveine tire la majeure partie de ses pouvoirs. Elle n’en a pas moins été qualifiée de larme d’Héra (ou d’Isis), de sang d’Hermès, d’herbe d’Héraclès, de plante de Déméter (et de Perséphone), de veine de Vénus, de canne de Zeus, etc. Un demi panthéon y passe, « mais aucun mythe ne semble lui avoir réservé de rôle particulier »2. Effectivement. Au contraire de l’anémone, de la myrrhe ou encore du laurier, on ne lui voit occuper aucun de ces rôles dépeints par les poètes antiques. Peu importe. Pour mieux saisir l’importance de la verveine, il n’est qu’à considérer les divers rituels par lesquels on parvenait à se rendre maître d’elle. Écoutons Pline tout d’abord : « La verveine doit être cueillie vers le lever de la constellation du Chien, sans être vu de la Lune et du Soleil ». Une fois arrachée de la main gauche, on la brandit en direction du ciel, sans doute pour se concilier les dieux (et très certainement aussi pour éloigner la plante du sol, de crainte de voir ses pouvoirs y retourner). A ces prescriptions, on en ajoutait d’autres : on évitait de regarder la plante (le dieu en face ; humilité), on la cerclait une à trois fois afin d’y condenser les forces de la plante. On procédait à moult offrandes propitiatoires, formules et prières conjuratoires. Souvent, on déterrait la plante à l’aide d’un objet de métal précieux (or, argent) ou bien formé par des parties animales dures (corne, dent, os). Ce qui était par-dessus tout surprenant, c’était cette habitude qu’on avait d’approcher la plante à reculons. Tout d’abord, on prétend que ça permet de dérouter les démons. Mais cela sert surtout à remonter le cours des forces : « Peut-être que cette approche à contresens est-elle aussi la seule qui permette d’accéder à l’envers du visible. On marche beaucoup à reculons dans les mythes et les contes »3. Aussi bizarre que cela puisse maintenant nous paraître, ces cérémonies de facture très solennelle avaient un sens qui, très certainement, nous échappe. Ce qui valait hier n’a plus cours aujourd’hui, ce qui explique que, selon Pierre Lieutaghi, la verveine « n’est plus qu’une petite herbe anonyme. Nul ne s’agenouille plus avant de l’arracher »4. Sans doute parce que la divinité pour laquelle on procédait ainsi a disparu du champ des préoccupations de la plupart des humains. La récolte rituelle de la verveine a aussi été abordée par Thierry Thévenin : « La verveine a parfois fait l’objet de pratiques de cueillettes rituelles particulières, qui témoignent du très grand respect que les ‘anciens’ ont pu lui accorder »5. Vu le peu d’égard qu’on consacre à la verveine à l’heure actuelle, il ne faut pas être grand clerc pour saisir que c’est davantage la divinité à travers elle plus que la plante elle-même qui est tenue en grand respect. Pour mieux comprendre cela, convions Mircea Eliade à l’éclaircissement de notre propos : « La valeur magique et pharmaceutique de certaines herbes est due […] à un prototype céleste de la plante, ou au fait qu’elle a été cueillie pour la première fois par un dieu […]. L’efficacité des herbes cueillies ne vaut que pour autant que celui qui les cueille répète ce geste primordial de la guérison […]. Il ne s’agit pas purement et simplement de cueillir une plante, une certaine espèce botanique, mais de répéter une action primordiale pour obtenir une substance saturée de sacré »6. Ainsi, faut-il voir dans la verbenaca des Anciens la seule verveine officinale ou bien un de ces rameaux sacrés, les verbenae, qui pouvaient tout autant être myrte, olivier, sauge que verveine ? En prenant en compte ce qu’énonce Eliade, on outrepasse le sentiment de confusion lisible dans les pages antiques, en particulier quand on convoque, pour la même plante, plusieurs noms différents et que parmi eux certains désignent d’autres plantes proches ou pas du tout. Par exemple, chez les Grecs et les Romains, il est possible d’entrevoir l’ombre d’une verveine (peut-être l’officinale) derrière cette hiera botanê (id est : herbe sacrée), ou bien encore ce peristerêon ou cet aristerêon. Sont-ils des mots qui désignent tous la même plante ? Il y a peu de chance pour que ce soit le cas, et si l’on se concentre uniquement sur l’idée de verveine primordiale, alors cela n’a pas beaucoup d’importance. C’est pour cela, qu’en lisant Pline et Dioscoride, contemporains l’un de l’autre, il est difficile de savoir s’ils ont décrit tous les deux la même verveine. Il n’est qu’à considérer le seul Dioscoride pour constater l’iniquité de la démarche. Par exemple, la « verveine » dont Dioscoride mentionnait qu’on arrosait les salles de festin de son eau était-elle Verbena officinalis ? Certains ont prétendu que non parce que la verveine officinale est parfaitement inodore et que, conséquemment, on n’aurait pas pu en tirer la moindre eau parfumée. Mais ceux-là ignorent-ils que les verveines les plus méridionales forment davantage d’essence aromatique (bien que peu, avouons-le) ? Tout cela est-il bien pertinent ? Certainement pas si l’on observe la verveine en tant qu’idée intellectualisée et non comme espèce botanique matérialisée. Tournons-nous donc vers des choses plus intéressantes.

Comme très souvent durant l’Antiquité, les usages magiques d’une plante s’allient à ses emplois médicinaux. Comme s’il n’y avait presque aucune différence entre ces deux domaines aux frontières poreuses. Il n’est donc pas très étonnant que l’herbe aux enchantements ait vu ses usages empiéter largement sur le territoire de la magie. Si Dioscoride n’est pas très loquace sur la question des emplois magiques de la verveine7, Pline est beaucoup plus prolixe en ce qui concerne l’utilisation de la verveine en magie. Selon lui, elle pourrait agir aussi bien sur les lieux que sur les personnes. Mais il se moque, et Macer Floridus de même 1000 ans après lui, de ce qu’en peuvent bien faire les mages (il se gausse entre autres de certains magoi qui prétendent soigner une blessure par arme blanche à l’aide de la verveine ) : « Quelque libérale que puisse être la nature de ses dons, ce que les mages disent de la vertu de cette herbe me semble devoir être rangé parmi les contes de vieilles femmes »8. Ce qui ne nous arrange guère, puisque c’est très justement cette destination vers laquelle nous allons maintenant nous diriger. Cela serait dommage de s’en priver tant les usages magiques de la verveine sont multiples et variés. De manière succincte, disons que chez les Romains, la verveine était l’une des plantes permettant de balayer les autels dédiés à Jupiter. On en lavait les instruments de culte et elle entrait même dans la composition de philtres et d’amulettes (par exemple, sa racine portée au cou permettait de s’affranchir d’un certain nombre de maux variés). On voit bien à quel point cette plante fut tenue en haute estime durant l’Antiquité, sa réputation de guérisseuse sur plusieurs plans s’illustrant à travers les points principaux qui vont maintenant suivre :

  • La paix, le bonheur et la concorde : la verveine y concourt en faisant disparaître toute idée de haine. Au temps des Romains, les verbenarii – autrement dit les ambassadeurs de la paix – se présentaient face aux ennemis en brandissant un rameau de verveine. Par cette action, on définissait les confins d’une propriété, d’un territoire, tout bonnement d’un pays, en s’assurant les moyens que la paix entre Rome et les autres peuples ne soit pas rompue. Par extension, elle devint le symbole de la propriété agricole, car elle garantissait la jouissance paisible des terres, ainsi que la fructification des vignes, le développement des fermes. Au-delà, elle fut aussi considérée comme propice au travail et aux affaires, ainsi qu’aux revenus qu’ils occasionnent. En suspendre dans les maisons et dans les divers lieux d’activités professionnelles était fréquent pour cela. De la verveine suspendue à la poutre d’une maison permet d’assurer à ses habitants santé et opulence.
  • La protection : cela apparaît nettement ci-dessus. Ce n’était pas une fonction de la verveine propre qu’au monde romain : il n’y a pas si longtemps, en Normandie, il n’était pas rare de suspendre des couronnes de verveine aux solives des maisons. De quoi protège-t-elle donc ? Des maléfices, des apparitions fantomatiques, des esprits malins, des démons, des entités diaboliques, de l’envoûtement. Chez les Romains, « une simple gerbe de verveine ou de sauge, suspendue au-dessus de la porte pour en éloigner le mauvais œil […] était le seul parfum qui embaumât leur demeure »9. (Les Romains, avant même de se livrer avec profusion aux fumigations généreuses de ce sublime encens venu d’Orient, offraient à leurs dieux des émanations parfumées provenant de plantes parfaitement banales, celles-là même qu’ils avaient à portée de la main.) Globalement, la verveine était réputée comme plante de protection et de dégagement.
  • La purification : la verveine portait chez les Grecs le nom de loustragô (du grec, luô, « laver » et du latin lustratio, « purification »). C’est à base de verveine que les Romains conçurent l’eau lustrale destinée à la lustration, c’est-à-dire à la purification. On lustrait donc les maisons en les aspergeant de cette préparation de verveine, ce qui avait pour conséquence d’apporter la gaieté et la bonne humeur aux habitants, mais également l’harmonie.
  • La divination : herbe messagère, la verveine était aussi connue des druides (on estime que le mot verveine proviendrait du celte ferfaen), et elle occupait une fonction importante pour aider les capacités prophétique des druides et des druidesses à se manifester. Les prophétesses s’en couronnaient la tête afin de mieux rendre leurs oracles. Les ovates celtes (principalement des devins) absorbaient des infusions de verveine avant de procéder à des séances divinatoires. « La verveine tient son pouvoir de quelque intime ressemblance mystique avec la branche lumineuse du ciel »10, c’est-à-dire la foudre. C’est pour cela qu’elle est herbe révélatrice, qui dévoile ce qui, autrement, resterait du domaine de l’indicible et du dissimulé (cela explique peut-être pourquoi, d’un point de vue plus profane, on ait dédié cette herbe à sainte Lucie en Sicile : en lui adressant une prière, on pouvait bénéficier des pouvoirs ophtalmiques de la verveine, cette plante étant censément bénéfique face à l’anémie du nerf optique). En tous les cas, la verveine est plante de l’expression orale d’un pouvoir : on pense, en effet, que verbena pourrait avoir quelque rapport avec le mot verbum, « le verbe, la parole ». De ce verbum découle aussi le moderne verve qui, à travers une de ses acceptions, renvoie non pas à la profusion extatique désordonnée, mais aussi à l’inspiration : cela rappelle, entre autres, que la vaticinatrice de Delphes, la pythonisse, était, elle aussi, couronnée de rameaux de verveine.
  • L’amour : s’il existe au moins une divinité qui se détache du lot dont nous avons détaillé le contenu un peu plus haut, c’est sans équivalence Vénus. La verveine, plante d’Aphrodite, permet de régner sur la gorge et la poitrine, ainsi que sur les organes génitaux, tous armes d’insinuation massive par lesquelles la verveine intensifie le désir et préside aux naissances. C’est pour cela qu’on décorait les représentations de la déesse de rameaux de myrte et de verveine, en particulier sous sa configuration d’Aphrodite victorieuse (Aphrodite nikephoros ou Venus victrix). C’est vrai qu’on a expliqué le verbena comme la contraction douloureuse de Veneris herba. Afin de renforcer la relation de la plante à la déesse, on l’a aussi dite herba colombina (colombaire, herbe aux colombes), attendu que cet animal est un emblème zoologique de Vénus. Dans George Sand, ne voit-on pas les amoureux se donner rendez-vous dans un pigeonnier désaffecté ? Selon Van Helmont, la verveine était une plante magique par excellence. Il importait de la cueillir à l’heure de Vénus au jour du Soleil11. Ceci fait, on la plaçait durant sept jours entiers dans de l’alcool pur, et, une semaine, jour pour jour, heure pour heure où elle aura été cueillie, on s’en lotionne les bras, des épaules jusqu’aux mains (car c’est avec les bras que l’on embrasse). « Puis l’on se présente à l’être aimé en lui offrant aussi un brin de verveine ou une infusion de cette fleur [….]. Le rite est curieux en ceci que, pour parler comme Chrysis dans Aphrodite12 : ‘Les bras, ô mon miroir, sont les vrais chaînes de l’Amour’ »13. Se frotter de verveine permet, par attachement et affection, de voir l’objet de son désir se réaliser (en stimulant la capacité de visualisation). Matthiole le relatait au XVIe siècle et la population, dans certaines campagnes italiennes, en était fermement convaincue : la verveine, qu’on s’en frotte ou qu’on la porte sur soi, permettait de fixer la tendresse. La verveine mena carrière au sein des rites conjugaux jusqu’en toute fin de XIXe siècle en France (et probablement même après) : par la verveine, on conjurait les mauvaises pensées et les sortilèges au moment où la nouvelle épouse entrait dans la maison de la mère de son mari. On parsemait alors le seuil de la maison de feuilles de verveine à son passage. Faire intervenir la verveine à travers des rituels amoureux recherche donc un objectif d’appropriation. En effet, placer un être sous l’emprise de la verveine, n’est-ce pas vouloir délimiter la propriété que l’on souhaite avoir sur lui ? En ce cas, la verveine répondrait au sens de verberare, c’est-à-dire « frapper », verbena désignant aussi le sceau dont on frappait un traité. Ainsi, la verveine assurait-elle le frappement, par scellage, d’un rituel magique, une entente sur un pacte (à travers la formule consacrée : « votre sort est scellé »). La verveine assura des services dans des domaines annexes à l’amour : la fécondité, la vigueur redoutable aux jeux de Vénus, le badinage, le retour de l’être infidèle et des relations distantes perdues de vue. Pour toutes ces raisons, on élaborait parfois des philtres amoureux, ce qui est bien un pléonasme, puisque le mot philtre provient du grec philtreîn qui veut dire « aimer ». En tous les cas, il est toujours question de ne pas savoir/pouvoir se satisfaire uniquement de soi, comme nous y invite la formule magique « j’aime », qui « se dit en latin amo, abrégé de a me eo, ‘je vais hors de moi’ »14. Mais parce que Vénus implique toujours cette alternance d’épisodes d’attraction et de répulsion, nous pouvons glisser de la concorde à la discorde, de l’amour à la haine, du « bien » à ce que certains pourraient, mal commodément, désigner comme « mal ». Mais « disons la vérité tout de suite : il n’y a pas une chose existante en elle-même et qui soit le Mal. Le Mal est un acte, et non pas un être. Le mal est l’acte d’un être libre, et bon par lui-même, qui diminue et vicie son être ou l’être d’autrui, au lieu de l’augmenter et de l’évertuer »15. Ainsi, la verveine n’a-t-elle pas toujours été herbe amoureuse. Par exemple, le Livre des Cyranides nous indique qu’il suffit de placer sous l’oreiller d’un homme de la verveine durant sept jours pour qu’il n’ait pas de rapport sexuel faute d’érection. Selon Savonarole, mâchée pendant le même laps de temps, elle permet d’atteindre le même objectif. Et si l’on fait perdurer cette manducation pendant quarante jours, on accède à la chasteté. Plus pernicieux, si l’on jette de la poudre de cette herbe de discorde « entre deux amants, ils auront peu de temps après des différents et des bruits ensemble »16. Avec la verveine, l’on pouvait autant réunir que séparer, et parfois, cela empruntait des voies plus alambiquées, comme voici. Une vieille incantation du XVIIe siècle nous explique comment provoquer une querelle au sein d’un couple dont on convoite l’un des membres : «  Le premier vendredi de la nouvelle Lune, il faut avoir un couteau neuf et aller cueillir une verveine. Il faut se mettre à genoux, la face tournée vers le soleil levant, et coupant ladite herbe avec le couteau, dire ‘Sara isquina safos, je te queille, herbe puissante, afin que tu me serves à ce que je voudray’. Puis vous vous levez sans regarder derrière vous. Étant dans votre chambre, vous la ferez sécher et pulvériser, et vous ferez avaler cette poudre à la personne »17.

Comme il est aisé de le constater, la verveine était bien souvent invitée à participer aux rituels magiques, parfois davantage comme un élément du décor que pour une fonction bien précise ou que l’on ne comprend plus : par exemple, dans les Métamorphoses d’Ovide (Livre VIII), la verveine intervient au début du rituel de rajeunissement du père de Jason commandé par Médée, sous l’œil attentif de la déesse Hécate dont la verveine est justement l’une des plantes dédiées. Mais le poète ne nous en dit pas davantage.

D’un point de vue strictement thérapeutique, l’on ne peut pas dire que le Moyen âge ait fait grand cas de la verveine. Par exemple, est-on certain que l’Ysena de Hildegarde soit bien Verbena officinalis ? Parce que dans les textes, jusqu’au XVe siècle, la confusion avec l’aigremoine était plus que fréquente. Quelques indications (maux de gorge, ictère, douleurs dentaires), si elles peuvent faire penser aux attributions de la verveine, ne permettent en aucun cas de trancher en sa faveur. Et même lorsque Hildegarde explique que l’Ysena fait fuir la vermine (qui n’est pas autre chose qu’un esprit malin de l’ancien temps !). Bien après, ici ou là dans les textes médicaux, l’on ne peut s’empêcher de glisser quelque allusion aux pouvoirs magiques de la verveine, afin de les vanter sans en avoir l’air ou bien de les démolir : « Les démonographes, les sorciers, les magiciens, les enchanteurs en composaient des breuvages, des philtres qui, en frappant l’imagination, en égarant l’esprit des personnes faibles ou crédules, les rendaient imbéciles ou maniaques »18. Comme vous avez la dent dure, docteur Roques, constamment à blâmer ceux qui s’écartent de la seule voie soi-disant toute tracée. C’est d’autant plus dommageable en un siècle où Michelet allait s’atteler à la délicate tâche d’honorer la Sorcière par un récit fort célèbre (bien que fantaisiste à certains égards). Roques ne rapporte aucun usage de son temps, hormis quelques spécificités qu’on doit aux empiriques, à une petite Fadette tout droit surgie d’un roman de George Sand, et dont les modes d’action, alliant prières et application, s’apparentent davantage à une médecine magique populaire des campagnes qu’à la médecine prônée par Joseph Roques. La verveine ne peut donc l’intéresser en aucune manière, tout simplement prêter le flanc à sa vindicte acerbe (on connaît bien l’opinion de Roques face aux charlatans et aux amuseurs de foire). Il ira même jusqu’à se gausser de ses semblables : « Les pharmacologues surannés regardent la verveine comme un puissant vulnéraire […]. Voilà le charme des amulettes renouvelé », grince-t-il19. Il faut bien dire, qu’en plein milieu du siècle des Lumières, Jean-Baptiste Chomel rapportait un usage pour le moins curieux concernant la verveine : « L’herbe fraîche pilée, mise dans un petit sac de toile suspendu au cou, soulage les douleurs de la migraine, suivant Rivière qui tient ce remède de Forestus »20. Ce qui a tout l’air d’affaires superstitieuses, en l’état où on les trouve chez les païens, et telles que dénoncées par Nicolas Lémery à la fin du XVIIe siècle. C’est surtout qu’on a la sensation de venir à rebours : Chomel nous renvoie à Lazare Rivière (XVIIe siècle), qui, lui-même, nous expédie en plein XVIe siècle (Forestus) ! Pourtant, classée parmi les ophtalmiques, luttant contre les inflammations oculaires, la verveine est censée nettoyer et éclaircir les yeux. Mais non, impression persistante d’être miro ! Bref. Faisons tout de même un état des lieux des capacités médicales qu’on accordait sans barguigner à la verveine aux XVIIe et XVIIIe siècles, avant même qu’elle ne tombe dans l’oubli dans les années 1780-1800. D’observations diverses et variées, nous pouvons conclure que la verveine est apéritive, céphalique, fébrifuge, détersive, vulnéraire et résolutive. Propre encore à la colique venteuse, elle atténue la lithiase tant du rein que de la vessie, s’avère galactogène, habile à conjurer les « pâles couleurs » et la jaunisse. On la recommande encore face à une affection particulièrement douloureuse : les points de côté. On exploitait toutes ces propriétés en préparant des décoctions, des infusions dans le vin blanc, en pilant la plante sous forme de cataplasme, en exprimant le suc de la plante.

Après cela, c’est le grand saut dans le néant. Desbois de Rochefort ne lui accordait plus qu’une seule vertu céphalique, à laquelle il n’attachait que peu de confiance. Puis Cazin en relata les anciens emplois, sans paraître en avoir grande opinion lui-même, signalant ses usages populaires ayant encore cours de-ci de-là. Et encore, conclue-t-il : « Les vertus attribuées à la verveine ne reposent de l’aveu des médecins de nos campagnes, que sur des faits douteux, de fausses observations ou des préjugés »21. Hop, fermez le ban !

Petite plante vivace (50 cm : cela me semble être sa taille la plus élevée, mais peut-être n’est-ce qu’un mirage après tout), présente en de nombreux points d’Europe tempérée, d’Asie (Chine, Japon) et d’Afrique (Maghreb), la verveine officinale fabrique des tiges raides tétragones à angles scabres qui, bien que creuses, opposent une franche résistance lorsqu’on tire dessus. Légèrement purpurine et velue à la base, la verveine possède des feuilles deux à trois fois pennées, opposées, dont les folioles dentées et très profondément découpées forment une manière de rosette tapissante au niveau du sol. De cette masse foliaire, émergent dès le mois de mai des hampes florales sur lesquelles s’égrènent de minuscules fleurs étoilées (3 à 4 mm) de couleur habituellement mauve à lilas clair (il leur arrive d’être blanches). A contrario, chacune d’elles donne naissance à un gros fruit lisse et allongé d’un centimètre. Brun noirâtre lorsqu’il est parfaitement mûr, surmonté d’un bec bref, il se divise en quatre akènes distincts.

Dans les flores, on dit la verveine très fréquente, en colonie. Je n’ai pas cette impression, quand bien même il est vrai que l’on ne trouve jamais ce que l’on ne recherche pas. Pourtant, le 15 août dernier, en me promenant, j’ai emprunté un itinéraire inhabituel qui m’a amené à arpenter un sentier serpentant au sein d’un bois clair et en bordure duquel se tenaient, fait remarquable, quelques pieds de mélisses, mais surtout une colonie de verveines, au nombre si conséquent qu’il m’a été impossible d’en distinguer les individus les uns des autres. Cette configuration contraste grandement avec les cas, beaucoup plus fréquents me semble-t-il, où cette espèce, se trouvant isolée, expose le spectacle navrant de sa désolante maigreur, d’autant plus si elle vient se jucher en ces lieux incultes que sont décombres, décharges, pieds des vieux murs (c’est pas pour faire sa Cosette, c’est juste que la verveine est très gourmande en azote qu’elle trouve à profusion dans ces coins-là). On la voit aussi frayer sur les talus, s’aventurer même dans les prés. Mais comme elle est la plupart du temps dédaignée par les animaux qui, de toute façon, ne la recherche pas, elle ne redoute pas les coups de dents des herbivores ruminants et placides de nos campagnes.

Du coup, j’en ai cueillis tout juste sept brins. Une éternité que je n’avais pas ramené avec moi un peu de verveine, plante qui m’appelle très fortement en ce moment. Aussi, pourquoi donc se refuser à elle ?

La verveine officinale en phytothérapie

A l’heure actuelle, la verveine, bien que toujours officinale par son nom, n’est plus une panacée. Au XIXe siècle, Cazin se plaignait que, peu étudiée, on ne savait pas ce qu’elle contenait. C’est une plante dont on ignore encore aujourd’hui, parce que justement oubliée, les interactions qu’elle peut entretenir avec d’autres médications.

Essentiellement concernée par ses sommités fleuries, la verveine n’est pourtant pas tout à fait dénuée de composants biochimiques intéressants, tanin et principe amer en tête. Mais l’analyse chimique est beaucoup plus généreuse aujourd’hui : l’on sait, par exemple, que la verveine recèle ce que l’on appelle des iridoïdes dont la verbénaline, la verbénine, l’hastatoside et l’aucubine. Mais aussi des hétérosides phénylpropaniques (comme l’eukovoside et la verbascoside), des flavonoïdes, des saponines, diverses enzymes (émulsine, invertine), du mucilage, enfin une infime fraction d’essence aromatique (0,06 %. C’est-à-dire qu’il faut distiller un quintal de cette plante pour en tirer tout juste 60 g d’huile essentielle). Parfois (il y a longtemps, comme l’expliquent Antonin Rolet et Désiré Bouret), la distillation valait aussi pour la verveine officinale du Midi quelque peu odoriférante : « Remarquons, disent-ils, que certaines plantes médicinales étant également utilisées en parfumerie ou en distillerie, le producteur et le récolteur auront toujours la ressource de passer à l’alambic les portions mal séchées, ou mal cueillies, ou les débris inutilisables en droguerie, ou encore l’excédent de la récolte »22.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritive, digestive, améliore l’assimilation des aliments, stimulante de la vésicule biliaire, draineuse hépatique
  • Antirhumatismale, antinévralgique
  • Expectorante, antitussive
  • Astringente, résolutive, vulnéraire, détersive
  • Dégage les stases sanguines, décongestionne les œdèmes, redonne de la vivacité à la circulation du sang, dépurative du sang
  • Fébrifuge
  • Sédative légère, tonique du système nerveux central, antidépressive légère
  • Active sur les contractions utérines, active de façon bénéfique sur les œstrogènes et la progestérone, augmente la sécrétion lactée
  • Remède oculaire : « Le chat se réjouit de la présence de la verveine parce que cette plante fortifie ses yeux »23 ^.^

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : spasmes gastriques postprandiaux, somnolence après repas, douleur gastrique, insuffisance biliaire, hernie intestinale (ombilicale), hépatique aiguë, ictère
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : maux de gorge, asthme, névralgie auriculaire, affections fébriles (paludisme ?)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : gravelle, hématurie, hydropisie, œdème, ascite, goutte, rhumatisme
  • Autres troubles locomoteurs : arthrite, sciatique, lumbago, entorse
  • Affections cutanées : contusion, coup, choc, foulure, plaie, plaie de difficile cicatrisation, ulcère, ecchymose, écorchure, psoriasis et autres dermatoses
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, abcès dentaire, pulpite
  • Troubles de la sphère gynécologique : troubles prémenstruels, règles irrégulières ou interrompues, insuffisance lactée, abcès du sein, préparation à l’accouchement
  • Troubles de la sphère circulatoire : engorgement sanguin, hémorroïdes, cellulite douloureuse, engelure
  • Maux de tête, céphalalgie rebelle, migraine d’origine nerveuse et/ou liée aux règles, inflammation oculaire
  • Troubles du système nerveux : stress, tension et fatigue nerveuse, anxiété, insomnie, convalescence
  • Point de côté, point pleurétique douloureux, douleur de la pleurodynie

Modes d’emploi

  • Infusion : compter 15 g par litre d’eau. Faire bouillir 10 mn et infuser à couvert.
  • Décoction (pour usage externe) : une poignée (40 à 50 g) dans un litre d’eau en décoction durant 10 mn. On peut appliquer cette lotion par le biais de compresse. Variante : une poignée (40 à 50 g) dans un litre de vinaigre en décoction durant 10 mn. On applique la mixture égouttée aussi chaude que possible sur les points névralgiques.
  • Macération vineuse de la plante fraîche finement ciselée dans le vin rouge.
  • Cataplasme de l’herbe fraîche hachée : en application locale sur la région hépatique pendant 20 mn.
  • Plante fraîche pilée avec du sel et du poivre. Utiliser cette mixture en friction sur les points névralgiques douloureux, etc.
  • Extrait de plante fraîche : 20 à 25 gouttes deux à trois fois pas jour (confort du foie, drainage hépatique, etc.).
  • Poudre de feuilles : nettoie et protège les dents. Peut facilement intégrer la recette d’une pâte dentifrice maison.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : se déroule dès le printemps (avril, mai et juin), tout juste avant floraison. On sectionne à ras de terre les tiges bien garnies de feuilles. Le séchage, très facile, doit s’opérer promptement, seule manière d’assurer une verdeur conservée à la plante sèche.
  • La verveine officinale ne doit s’envisager que sur une cure de courte durée. La femme enceinte y fera attention, de même que les personnes carencées en fer.
  • Appliquée sur la peau, la verveine fraîche y détermine des empreintes de couleur rouge (cela explique, en partie, son surnom d’herbe de sang).
  • En médecine traditionnelle chinoise, la verveine officinale est une plante considérée comme de nature froide et de saveur amère. Pour cela, on lui octroie un domaine de compétence auprès des méridiens du Foie et de la Rate/Pancréas.

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  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 958.
  2. Guy Ducourthial, Petite flore mythologique, p. 207.
  3. Pierre Lieutaghi, La plante compagne, p. 197.
  4. Ibidem, pp. 198-199.
  5. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 123.
  6. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, pp. 299-301.
  7. Il fait seulement référence à la confection d’amulettes : « On la nomme herbe sacrée parce qu’elle participe très souvent aux préparations destinées à la purification des lieux, pour l’y pendre et pour la porter sur soi » (Dioscoride, Materia medica, IV, 60).
  8. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 157.
  9. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 97.
  10. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 260.
  11. En d’autres occasions, on modifiait le jour de récolte : le mardi pour les affaires courantes, le jeudi pour les rituels de guérison, le vendredi pour les incantations.
  12. Roman de Pierre Louÿs daté de 1896.
  13. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 135.
  14. Le Voile d’Isis, mars 1921, p. 146.
  15. Ibidem, pp. 146-147.
  16. Grand Albert, p. 93.
  17. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 553.
  18. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 197.
  19. Ibidem.
  20. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, pp. 365-366.
  21. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 980.
  22. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales (culture et cueillette des plantes sauvages), p. 23.
  23. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 34.

© Books of Dante – 2022

Son crédo ? Pousser n’importe où. C’est aussi en cela que la verveine est magique.

L’huile essentielle de pruche (Tsuga canadensis)

Synonymes : tsuga de l’Est1, pruche de l’Est, pruche bleue, épinette pruche, épinette de l’Est, sapin du Canada, haricot, violon, sapin hemlock2.

De même qu’il nous arrive de nous concocte une petite tisane de bourgeons de pin (pour conserver des cordes vocales bien nettes), il n’était pas rare, autrefois, de se préparer un thé d’aiguilles de pruche (quand on en avait le temps, on en faisait tout bonnement une espèce de sapinette, autrement dit une bière de pruche). A cette infusion de confort, l’on peut ajouter diverses préparations, médicinales celles-là, faisant montre des précieux pouvoirs astringents et antiseptiques de l’écorce brun foncé rougeâtre de la pruche, et que la médecine amérindienne exploitait sagement pour guérir différentes affections comme la diarrhée, les colites et diverticulites, la leucorrhée, la cystite, le rhume et la fièvre, mais aussi pour apaiser les maux de gorge et de bouche, pour désinfecter et favoriser la cicatrisation des plaies et des écorchures. Aux dires des chroniques, on laisse entendre que c’est grâce à la pruche que Jacques Cartier et son équipage échappèrent à un plausible scorbut en 1535 après avoir été soignés par des autochtones dont ils firent la rencontre (mais on pense, plus assurément, qu’il s’agit non pas de la pruche mais de l’annedda, c’est-à-dire de cet autre conifère qu’on appelle Thuja occidentalis). En attendant, il est parfaitement avéré que la pruche sauva la vie à de nombreuses personnes lors des disettes, tout cela après récolte de son cambium, dont on parvenait même à tirer une espèce de farine. Comme on peut le constater de notre point de vue d’Européens, la pruche, comme tout arbre emblématique (elle est devenue celui de l’état de Pennsylvanie en 1931), est exploitée pour bien d’autres motifs que son huile essentielle, production somme toute récente au regard de l’histoire de cet arbre conjointement à celle des hommes. Cette essence fournit de quoi fabriquer de la pâte à papier (vu que la communication, c’est un peu son rayon), mais encore du bois d’œuvre solide et hydrofuge destiné à la menuiserie et à la charpenterie, mais, une fois encore, à ces vecteurs de communication que sont la lutherie et la fabrication de traverses de voies de chemin de fer. Mais l’on sait bien où mène, la plupart du temps, une exploitation sans mesure, surtout quand la forêt dans laquelle évolue la pruche ne compte pas d’autres espèce de conifère qu’elle. Une pression énorme pesa donc sur la seule pruche durant l’ensemble du XIXe siècle, ce qui mena, fin XIXe-début XXe, au (presque) complet dépouillement des pruches présentes dans les forêts de Pennsylvanie. La pruche, hélas pour elle, n’eut pas même le temps de dire ouf qu’un autre danger, en provenance d’Asie de l’Est, allait poindre le bout de son nez : le minuscule puceron lanigère de la pruche (Adelges tsugae), un insecte piqueur-suceur tuant l’arbre en 4 à 15 ans, et dont on pense qu’il aurait été introduit accidentellement en 1924, mais repéré seulement en 1951. Aujourd’hui décimées, les forêts de pruche du sud des Appalaches et des Smoky Mountains valent à l’espèce d’être classée sur la liste rouge de l’UICN. « Étant donné que la pruche de l’Est est fortement concentrée dans les habitats riverains, qu’elle maintient un couvert forestier dense et qu’elle est à feuille persistante, sa disparition devrait avoir une incidence majeure sur les processus forestiers, y compris la transpiration »3, amenant également une probable perturbation du débit des flux hydrologiques hivernaux, impliquant in fine la disparition d’espèces étroitement liées à l’écosystème dans lequel évolue la pruche, tout en majorant l’espace à d’autres espèces d’arbres venant occuper la place laissée vacante par la pruche. Parmi ceux-ci, l’on dénombre l’érable rouge, le bouleau flexible et le tulipier de Virginie. L’huile essentielle de pruche devenant, de fait, de plus en plus rare, je vous enjoints donc à l’écoresponsabilité et à la plus grande réserve en ce qui la concerne. Elle doit se concevoir uniquement dans un cadre thérapeutique et non comme un bête additif dans les produits ménagers comme j’ai pu m’en rendre compte au cours de lectures menées ici et là (de toute façon, les huiles essentielles – quelles qu’elles soient – dans les produits ménagers, c’est parfaitement absurde, puisque, à terme, ces substances se retrouvent dans la nature, où elles n’ont rien à y faire, intoxiquant les milieux aquatiques entre autres, etc.). Autant donner des perles à un pourceau. Ce n’est pas parce que c’est « naturel » que la ressource est illimitée et qu’on en peut faire un usage irraisonné. Tout au contraire, il importe de conserver un œil méticuleux sur les stocks disponibles écologiquement soutenables, et s’inciter soi-même à substituer la pruche par une autre espèce proche moins en danger. Il faut dire que le prix moyen de cette huile essentielle – 16 € les 5 ml – y encourage grandement.

Comme nous l’avons dit, la pruche est remarquable en tant qu’unique conifère présent dans les forêts d’arbres à feuilles caduques du Canada et des États-Unis, où elle occupe la fraction orientale de ces deux grands pays, se tenant en lisière de forêt, à proximité des lieux humides et frais, abondamment pourvus par les pluies estivales, voire les sols marécageux ou ceux carrément détrempés par les précipitations en provenance de l’océan Atlantique (raison pour laquelle on trouve des pruches uniquement dans les zones côtières, comme, par exemple, la pruche de l’Ouest qui borde l’océan Pacifique, de l’autre côté des deux mêmes pays). Capable de s’élever en altitude pour y conquérir la fraîcheur, la pruche apprécie grandement l’ombre.

Cet arbre à la croissance lente (il lui faut un siècle pour atteindre une taille de 25 m), ne dépasse guère les 30 m au plus fort de son âge (600 à 800 ans), bien que certains sujets parviennent à s’élever exceptionnellement beaucoup plus haut (53 à 55 m), ce qui est surtout le fait de spécimens isolés dont les branches poussent dès la base du tronc de l’arbre, alors qu’en cas de peuplement dense, seules les plus hautes branches sont maintenues sur le tronc. Mais, dans un cas comme dans l’autre, les racines de la pruche étant peu profondes, cela rend l’arbre vulnérable à la sécheresse (on comprend pourquoi elle fuit les sols secs trop ensoleillés) et aux coups de vent. Étonnante dans son allure, la pruche possède une cime qui s’affaisse et toujours s’oriente à l’Est, tandis qu’elle surplombe les branches latérales de l’arbre, pratiquement horizontales et même légèrement pendantes ou nettement réclinées. Grêles et flexibles, les rameaux de la pruche portent de toutes petites aiguilles étroites, plates et courbes (taille comprise entre 5 et 25 mm), au revers desquelles se dessinent deux lignes blanches qui ne sont autre que les stomates de l’arbre, c’est-à-dire ce par quoi se déroulent les échanges gazeux. La floraison printanière de la pruche donne lieu à de petits cônes pendants de 15 à 25 mm, tout d’abord verdâtres quand ils sont immatures, puis devenant bruns au fur et à mesure que les écailles unguiformes s’ouvrent sur les minuscules graines de la pruche.

La pruche en aromathérapie

Une fois la récolte des rameaux aiguillés achevée, l’on procède à la distillation de cette matière végétale par le biais de la vapeur d’eau. On obtient un liquide limpide et mobile, de couleur jaune très pâle ou bien parfaitement incolore, dont la densité oscille entre 0,902 et 0,938.

Voici de quelle manière est elle biochimiquement constituée :

  • Monoterpènes : 57,30 % (dont α-pinène : 18,20 % ; dont camphène : 7 à 16 % ; dont limonène : 3,80 à 7,20 %)
  • Esters : 37 % (dont acétate de bornyle : 36,20 %. C’est une molécule que l’on trouve aussi dans le sapin de Sibérie, l’épinette noire, la tanaisie commune, le romarin officinal, etc.).
  • Cétones : 2,30 à 4 % (dont pipéritone : 2 %)
  • Sesquiterpènes : 2,40 %
  • Monoterpénols : 2 %

Sur l’ultime question du « qu’est-ce que ça sent ? », on pourrait être bêtement tenté de répondre par une odeur de pin ou de sapin, mais ce serait alors une injure. (Pour se convaincre du contraire, il faut, au moins un fois dans son existence, s’approcher olfactivement de cette merveille qu’est l’absolu de pruche de chez Hermitage Oils. A découvrir à Maison Néroli, Paris.) Afin de brasser largement la question olfactive, j’ai recueilli, parmi des témoignages de clients publiés sur plusieurs sites différents, des mots et impressions qui cherchent à définir l’identité olfactive de l’huile essentielle de pruche. En voici quelques-uns : boisé, odeur de bois vernis, balsamique, résineux, chaud sans excès, note de fumée, épicé, richesse poivrée, frais, mousse, vert, verdoyant, vif, piquant, pétillant, croustillant, terreux, légèrement doux, fruité (agrumes). Etc. Pas mal, pour un « sapin », non ?

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse (antibactérienne, antivirale, antifongique), antiseptique atmosphérique
  • Stimulante du système immunitaire, permet d’assurer une activité surrénalienne saine
  • Revigorante, ré-énergisante
  • Tonique respiratoire, soutient du système respiratoire, anticatarrhale, mucolytique, expectorante, balsamique, antiseptique des voies respiratoires, bronchodilatatrice puissante, décongestionnante respiratoire, oxygénante4
  • Analgésique, anti-inflammatoire
  • Antispasmodique
  • Vasoconstrictrice
  • Anti-oxydante, antiradicalaire, préventive du vieillissement cellulaire
  • Préventive des cancers (sein, peau, foie, poumon, côlon, estomac) et lymphomes
  • Tonique nerveuse puissante, apaisante, équilibrante, réconfortante, rassurante, réchauffante, stimulante des pensées positives, antidépressive

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux spasmodique, maux de gorge, bronchite, bronchite chronique, MPOC, pneumonie, faiblesse respiratoire, congestion pulmonaire, mucus surabondant, asthme, asthme nerveux, grippe, états fébriles, otite, sinusite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : prévention des ulcères gastrique, diarrhée, dysenterie
  • Affections buccales : aphte, inflammation buccopharyngée, difficulté de déglutition par congestion de la gorge provoquée par une pharyngite, par exemple
  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires, douleurs et tensions musculaires, rhumatisme
  • Troubles de la sphère circulatoire : circulation sanguine difficile, hémorroïde
  • Affections cutanées : peau sèche, plaie, écorchure, ulcère cutané
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse, dépression, fatigue psychique, léthargie, se libérer des dépendances (alcool, tabac)

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Il y a une sorte de puissance sacrée dans la pruche, visible dès l’abord de cette évocation : Claude Lévi-Strauss, dans La pensée magique, relatait le fait que les Ojibwa de l’île Parry considéraient cet arbre comme intercesseur de l’aigle, et qu’à cet emblème animal la pruche faisait pendant, elle dont la clarté aiguise le chakra du troisième œil, alors capable, sous son influence, d’observer les choses sous une perspective nouvelle, en même temps qu’elle rafraîchit le mental et qu’elle le calme.

La pruche est parfaite quand on craint de passer l’hiver dans son corps, mais aussi dans sa tête, même si ce n’est pas en vrai l’hiver, parce qu’un refroidissement n’a pas besoin d’une saison spécifique pour se faire sentir, et qu’à tout moment dans l’année, l’on peut manquer de luminosité, de chaleur et de tendresse. Ainsi, lorsqu’on a besoin de sécurité, d’équilibre, d’harmonie et de force, la pruche fait merveille pour encourager à l’optimisme, pour apporter le positif qui fait défaut car, de toute façon, la pruche ne cautionne en aucun cas le désespoir. De plus, on peut dire que la pruche, plus que de dénouer, dilue les crispations et fixations mentales, dissout les pensées encombrantes et répétitives, ainsi que les cristallisations énergétiques qui prennent place dans l’individu, au risque qu’il ne s’étouffe et qu’il ne se racornisse. Quand l’idée fixe occupe un trop large espace, la relaxation n’est plus même possible, la méditation se fait plus difficile, la concentration défaillante, la mémoire joueuse de tour. Parfois, ces empêchements puissants qui ont tout l’air d’une marotte, évitent justement de lâcher la prise qu’on tient fermement, parce que la difficulté que l’on éprouve au passage d’un gué (qu’on s’imagine périlleux) est telle qu’on se prive du loisir d’opérer sans filet. Alors, il importe de faire appel à la pruche, ne serait-ce que pour se prouver qu’il est encore possible de faire confiance à quelqu’un : « les pruches, de par leur nature même, sont des êtres matures et gracieux. Leurs branches tombantes et leurs aiguilles fines et douces les définissent comme des aînées élégantes et sages qui nous apprennent à embrasser le changement avec grâce »5. C’est pourquoi l’on peut voir en elles une mère, voire une grand-mère, féminité renforcée par un nom qui ne l’est pas moins (très rares sont les arbres à porter un nom féminin), figures matriarcales qui conservent longtemps leurs branches mortes sur leur tronc, en guise de poids accumulé des expériences acquises au fil des âges. Autre signature merveilleuse et magistrale : tandis que le pin (noir ou sylvestre, c’est comme l’on voudra) meurt quand on l’étête (cf. le mythe d’Adonis), la pruche est capable du tour de force – admirable chez un conifère – de « repartir » dès la base si jamais elle vient à être coupée, même à vif. Par elle, on peut, de nouveau, libérer les énergies de création, nouer et entretenir (avec les chakras du cœur et de la gorge) des relations. A travers elles, avouer une vérité est rendu possible, de même qu’aimer, sans condition aucune. Sois. Aime. Dis-le.

Modes d’emploi

  • Voie interne : possible dans du miel, une huile végétale. Peu fréquente.
  • Diffusion atmosphérique, olfaction, inhalation humide.
  • Voix externe : massage lent et profond au niveau du plexus solaire et des surrénales, au niveau de la plante des pieds et du haut de la poitrine (omoplates, épaules). Massage radial.
  • Bain.

Quelques exemples de synergies :

  • Verte et respiratoire : pruche, sapin baumier, pin sylvestre, épinette bleue.
  • Calme intérieur : pruche, camomille romaine, lavande fine.
  • Purificatrice et rafraîchissante : pruche, cèdre de l’Himalaya, ylang-ylang.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Bien qu’on assure que l’huile essentielle de pruche est non toxique, non irritante et non sensibilisante, il importe de la diluer dans une huile végétale avant toute application, puisque des cas d’irritation cutanée ont été recensés (cf. une majorité de monoterpènes). Durant la grossesse, on contre-indique généralement la pruche durant les trois premiers mois.
  • Bon à savoir : pour accroître le pouvoir d’action de la pruche, il est profitable de la mêler à une autre huile essentielle riche en limonène (l’essence de citron peut parfaitement convenir).
  • Autres espèces : on remarque les pruches uniquement dans l’hémisphère nord, sur deux continents seulement : l’Amérique du Nord et l’Asie. Dans le premier, on observe deux pruches orientales, la pruche du Canada et la pruche de Caroline (T. caroliniana), faisant pendant à deux autres pruches, occidentales celles-là : la pruche de Mertens (T. mertensiana) et l’hemlock de l’Ouest (T. heterophylla). En Asie, l’on trouve deux pruches au Japon (T. diversifolia, T. sieboldii), de même qu’en Chine (T. chinensis, T. forrestii), une en Corée (T. ulleungensis), enfin une dernière en région himalayenne (T. dumosa).

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  1. Tsuga, du japonaisツガ : nom donné au Tsuga sieboldii.
  2. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes d’identification, sachant que ce terme désigne en anglais la grande ciguë, Conium maculatum. Mais bon, d’un côté l’on a un arbre, de l’autre une herbe dont on ne tire aucune huile essentielle.
  3. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23865229/
  4. Par son action oxygénante accrue, l’huile essentielle de pruche est bénéfique pour le cerveau, le cœur et l’ensemble des autres organes vitaux.
  5. https://treespiritwisdom.com/tree-spirit-wisdom/hemlock-tree-symbolism/

© Books of Dante – 2022

La verge d’or (Solidago virga aurea)

Synonymes : solidago, solidage, verge dorée, verja daurada, gerbe d’or, canne d’or, herbe des juifs, baguette d’Aaron, bâton d’Aaron.

Bien qu’étant originaire d’Europe et d’Asie, la verge d’or est passée complètement inaperçue des Anciens. Le premier à l’évoquer comme simple médicinal fut un médecin catalan officiant à l’école de Montpellier, Arnaud de Villeneuve (1240-1311). Si l’on en croit ce qu’on dit de lui, il employa cette plante et en consigna les effets les plus évidents : « Arnault de Villeneuve dit qu’un gros [NdA : environ 4 g] de poudre de verge d’or, infusé du soir au matin dans un petit verre de vin blanc, continué douze ou quinze jours, brise la pierre dans la vessie !… », raconte Cazin en 1858. Cette prouesse le laisse pour le moins dubitatif, et il s’empresse d’ajouter que « l’oubli dans lequel est tombée cette plante s’explique par de telles exagérations »1. Pour preuve, à son époque la verge d’or était parfaitement inemployée. Pourtant, Joseph Roques, que Cazin cite dans la brève monographie qu’il consacre à cette plante, n’en disait pas moins qu’Arnaud de Villeneuve. Par ailleurs, ce même médecin catalan employait la verge d’or en cataplasme sur les ulcères de jambe. Perspicace, Arnaud de Villeneuve mit en évidence les deux principales propriétés de la verge d’or : son action astringente d’une part, et diurétique d’autre part. C’est dire si elle ne porte pas le nom de solidage par hasard. Ce mot est issu du verbe latin solidare, autrement dit : « affermir, consolider ». En raison de ses propriétés vulnéraires, elle consolide, elle rend entier. C’est une référence explicite à son pouvoir de guérison des plaies. Solidago, terme forgé par Otto Brunfels au XVIe siècle se destina un temps à la pâquerette avant d’échoir à la verge d’or. Avec raison !

Aux XVe et XVIe siècles, les médecins allemands (Solenander, Grulling, etc.) prisèrent fort la verge d’or et ne tarirent point d’éloges sur la capacité de cette plante à refermer les plaies, mêmes internes, ainsi que son pouvoir lithontriptique (= « briseur de pierre »). Alors qu’en 1554 Matthiole ne la décrivit que brièvement, en 1546 l’Alsacien Jérôme Bock plaçait la verge d’or et la sanicle (qui était alors une panacée) sur le même pied d’égalité. La sanicle, très réputée dans les contrées germaniques bien avant Jérôme Bock, présente, en effet, un portrait thérapeutique presque identique à celui de la verge d’or, à l’exception de ses actions curatives sur la sphère vésicale et rénale. En France, au tout début du XVIIe siècle, Olivier de Serres fit de la verge d’or une jolie description dans son Théâtre d’agriculture. Au XVIIIe siècle, le Dictionnaire de Trévoux n’oublia pas la verge d’or, « tout à la fois vulnéraire et diurétique, propre pour le calcul et pour la dysenterie », non plus que les illustres Carl von Linné et Jean-Baptiste Chomel qui la décrivirent comme l’un des plus utiles végétaux. En 1731, le médecin allemand Johann Christoph Lischwitz fit valoir la valeur hémostyptique de la verge d’or sur l’hémoptysie et l’ulcère de l’urètre. Puis, peu à peu, on se désintéressa de cette plante presque inusitée. Une longue traversée du désert attendait la verge d’or, malgré son indéniable réputation d’astringente, de vulnéraire et de diurétique qui mena les hommes à l’utiliser à travers une foule de maux (hémorragie utérine, néphrite, hydropisie, catarrhe vésical, gravelle, etc.). Pourtant, elle n’entrait pas dans la composition du faltrank (ou vulnéraire suisse) pour rien. Mais bon, non, la verge d’or ne déchaîna plus les passions, enfin, jusqu’à ce que… « Beaucoup de choses renaîtront, qui étaient depuis longtemps oubliées », proclamait le poète Horace… jusqu’à ce que Duché, en 1886, la prescrive dans l’anurie et la dysurie, et surtout Leclerc qui rapprochait la verge d’or de la bruyère, ce qui n’est pas rien !

« Je ne sais pas par quel endroit les alchimistes ou chercheurs de pierre philosophale font tant d’estime de cette plante », s’interrogeait Jean-Baptiste Chomel au siècle des Lumières2. Le seul fait qu’elle soit une plante médicinale majeure ne nous autorise pas à expliquer cet engouement. Je ne sais pas si elle permet de dénicher la pierre philosophale, mais on lui accorde la réputation de briser celle qui se trouve dans les reins et dans la vessie. Il faut dire qu’elle est diurétique, qu’elle pousse donc les urines dans les voies qui leur sont imparties, et plausiblement ce qui les encombre jusqu’à la sortie, empruntant le trajet de la verge d’or jusqu’au dehors. D’où ce virga aurea qui sonne si bien et dont la transcription française – verge d’or – fait bien évidemment référence à sa gerbe de fleurs dorées plus qu’à ses pouvoirs de fontaine diurétique. Mais plus que cela, la verge d’or s’appelle surtout ainsi tout d’abord parce qu’elle est virga, initialement « branche verte », puis canne, baguette (destinée à battre, soumettre, donc à placer sous une férule autoritaire et rigoureuse). Par exemple, une volée de bois vert ne saurait se passer de verge, un mot qui dénote une forte activité, bien plus que celle qui consiste à se faire simplement taper sur les doigts ! Animée d’une force agissante et d’un pouvoir de transformation – la verge ou baguette est tout autant la batte de la baratte que la drille du trépan –, il est tout naturel qu’elle soit devenue une « arme » magique et qu’elle ait été employée comme baguette magique : « C’est avec une verge ou une flèche semblable, c’est-à-dire avec la foudre d’or, qu’Indra, dans les hymnes védiques, ouvre la caverne où les démons, les voleurs, ont caché les vaches, les trésors, les eaux du ciel, l’ambroisie, les épouses divines »3. Par cette capacité à déceler les trésors, qui s’est transposée à la verge d’or, l’on peut plus aisément expliquer l’accointance que cette plante posséderait vis-à-vis de la pierre philosophale, elle-même trésor et moyen de le découvrir. Étant employée dans les charmes d’argent, c’est sans doute grâce à cela qu’elle a la réputation d’attirer à soi la bonne fortune (tout en repoussant les démons, les serpents, les vers, les ténèbres vénéneuses). Ainsi, lorsqu’elle pousse à proximité de la porte d’une maison, c’est bon signe. Mais comme les trésors ne se comptent pas qu’en pièces sonnantes et trébuchantes, sachez encore que « la verge d’or […] a aussi le pouvoir de procurer une épouse à qui la désire »4. Enfin, pour savoir qui sera votre futur(e) amoureux(se), portez donc sur vous un peu de verge d’or. Goldrute, mein schatze !

Pour Guy Fuinel, la verge d’or est la plante de la solitude assumée : « Alors que tant de gens s’agitent, s’insurgent, s’interrogent, proclament ou déclament, la verge d’or reste seule et silencieuse. Son chemin ne passe pas par l’agitation permanente »5. Exprimant assez vertement que « lâcher prise » n’est pas autre chose qu’un euphémisme de « laisser pisser », la verge d’or pourrait être l’emblème du neuvième arcane du Tarot de Marseille, l’Ermite, qui, en l’occurrence tient en main ce qui n’est pas qu’instrument de la marche du pèlerin mais plus encore celui de sa sage clairvoyance.

La verge d’or est une plante herbacée vivace possédant une racine traçante fibreuse pouvant s’enfoncer jusqu’à un mètre sous terre et de laquelle s’érige une dure et forte tige (mais moelleuse et au cœur d’aspect spongieux intérieurement), épaisse, cannelée, rougeâtre violacé à sa base (et parfois même beaucoup plus haut que ça), verte et pubescente à son sommet, lequel se situe 40 à 100 cm au-dessus du sol. Les larges feuilles basales ovales sont munies d’un pétiole alors que les supérieures, plus étroites, n’en possèdent jamais et se mêlent à une inflorescence peu dense, grappe de capitules jaune d’or apparaissant entre juillet et octobre, régalant les abeilles de leur abondant nectar durant une bonne partie de l’année. Astéracée oblige, les fleurs tubuleuses et centrales de la verge d’or sont groupées en capitules à allure de bouton de chemise (à la manière de ceux de la tanaisie vulgaire), et seuls ceux situés en périphérie de l’inflorescence sont équipés de ligules jaunes femelles peu nombreuses. La fructification donne lieu à de petits akènes velus surmontés d’une aigrette favorisant l’anémochorie.

La verge d’or est une plante assez courante, tant en plaine qu’en montagne. On la croise au soleil ou à mi-ombre, sur sols essentiellement secs, sablonneux et plutôt acides, tels que rocailles, zones rocheuses, landes, clairières, prés maigres, bois clairs, terrains vagues. « Elle deviendrait une plante d’ornement si elle était exotique et moins commune »6. Heureusement que l’on n’a pas attendu après ça pour porter intérêt à ses qualités thérapeutiques !

La verge d’or en phytothérapie

La racine de la verge d’or contient essentiellement beaucoup d’inuline (comme de nombreuses astéracées, elle constitue une substance de stockage ; il serait intéressant de savoir, si de cette racine, l’on peut extirper un ersatz de chicorée ou pas), ainsi que des saponines (virgaureasaponines). Mais celles-ci n’y sont jamais aussi nombreuses que dans les feuilles où elles atteignent un très haut niveau à l’automne (et qu’elles perdent en séchant). Mais, quoi qu’on en ait dit, la partie souterraine de la verge d’or n’est pas celle qui, de tous temps, a fait le plus d’émules. Pour s’en convaincre, un coup d’œil jeté aux recettaires nous renseigne sur ce point : ce sont les sommités fleuries qui représentent le gros des troupes, quelquefois les feuilles seules. La matière végétale aérienne est abondante et efficace. Pourquoi donc aller s’enquiquiner à extraire du sol une racine qui fait tout pour y rester, hum ? Inodores, les feuilles un peu amères se distinguent surtout par une saveur astringente et âpre, tandis qu’aux fleurs on peut trouver un vague parfum épicé. Les parties aériennes fleuries de la verge d’or nous offrent de quoi nous réjouir : une quantité non négligeable de tanin (10 à 15 %), divers acides (caféique, chlorogénique, acétique, quinique, salicylique), du mucilage, de la résine, de nombreux flavonoïdes (quercétine, quercitrine, isoquercitrine, hyperoside, rutine, kaempférol, nicotiflorine, afzéline, astragaline, narcissine et j’en oublie), des polysaccharides, divers sucres (glucose, galactose, rutinose, rhamnose), des hétérosides phénoliques (virgauréoside A, leiocarposide), enfin quelques traces d’essence aromatique à coumarines dont j’ignore si la composition biochimique de l’huile essentielle qu’on en tire est proche de celle de verge d’or du Canada, produit assez anodin au parfum un peu boisé et balsamique (désolé, je ne parviens pas à déceler le « fleuri » et le « citronné » qu’on prête à cette huile essentielle), qui fait doublon (enfin, presque), avec la plupart des produits de phytothérapie à base de Solidago virga aurea (à choisir, mieux vaut un extrait de plante fraîche (EPF) de cette dernière qu’une huile essentielle de l’autre, car les huiles essentielles, c’est pas automatique et ça ne devrait pas l’être).

Voici néanmoins quelques chiffres qui permettent de savoir où on se situe avec cette huile essentielle de Solidago canadensis :

  • Monoterpènes : 48,80 % (dont α-pinène : 14,20 % ; dont limonène : 11,80 % ; dont β-myrcène : 10 % ; dont sabinène : 5,70 %)
  • Sesquiterpènes : 40,90 % (dont germacrène D : 29 %)
  • Esters : 3 % (dont acétate de bornyle : 2,90 %)
  • Sesquiterpénols : 1,30 %
  • Monoterpénols : 0,70 %

Nous dirons deux mots des propriétés et usages thérapeutiques de cette huile essentielle en fin d’article.

Propriétés thérapeutiques

  • Draineuse rénale, draineuse et assainissante des voies urinaires, diurétique puissante, éliminatrice des déchets (acide urique, urée), antiseptique et sédative des voies urinaires
  • Protectrice capillaire, favorise la circulation du sang, dépurative sanguine, hémostyptique
  • Draineuse hépatique, cholérétique
  • Apéritive, digestive, carminative, antidiarrhéique
  • Astringente, détersive, vulnéraire, cicatrisante, adoucissante
  • Anti-infectieuse : antifongique (anticandidosique)
  • Anti-oxydante
  • Diaphorétique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation de l’appareil urinaire (néphrite aiguë ou chronique, pyélonéphrite, cystite, urétrite), colique néphrétique, difficulté et douleur lors de la miction, catarrhe vésical, ulcère vésical, mal de Bright, lithiase (rénale et vésicale), urine sédimenteuse, albuminurie, phosphaturie, hématurie, excès d’urée, colibacillose, incontinence urinaire, troubles locomoteurs liés à un excès d’urée et d’acide urique (goutte, rhumatisme, arthrite), affections pléthoriques (collections liquidiennes : hydropisie naissante, œdème rénal, obésité), hypertrophie de la prostate (d’aucuns s’imaginent que cela pourrait avoir une incidence sur le bon fonctionnement des organes génitaux masculins, ce qu’explique, d’après eux, explicitement le nom de la plante… Il serait dès lors facile de conseiller la verge d’or contre les troubles principaux qui affectent la virilité. Mais ça serait un peu trop fort de café, n’est-ce pas ?)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : petite insuffisance hépatique, hépatisme, ictère, lithiase biliaire (?), diabète
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée (y compris celle des tuberculeux et des jeunes enfants), dysenterie, entérite (y compris chez le nourrisson), entérite mucomembraneuse, entérocolite, entéralgie, gastro-entérite (chez l’enfant), toute autre inflammation du tube digestif, hémorragie gastro-intestinale, constipation, gaz intestinaux
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : rhume, sécrétions nasales chroniques, rhinite allergique, maux de gorge, toux, catarrhe pulmonaire
  • Affections bucco-dentaires : ulcère buccal, stomatite, relâchement gingival, gencives saignantes, branlantes, enflées
  • Troubles de la sphère gynécologique : candidose vaginale, ménorragie
  • Affections cutanées : plaie, plaie de guérison difficile, ulcère, ulcère de jambe, brûlure, piqûre d’insecte, eczéma chronique, tumeur cutanée

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries et/ou de feuilles.
  • Décoction de sommités fleuries et/ou de feuilles : compter de 10 à 50 g pour un litre d’eau. Faire bouillir 2 à 5 mn, puis faire infuser durant 10 mn. Variante : jeter un litre d’eau bouillante sur 50 g de sommités fleuries. Faire bouillir pendant 10 mn et laisser en contact pendant une douzaine d’heures. Passer. Boire dans la journée.
  • Teinture alcoolique : faire macérer 20 parties de sommités fleuries dans 100 parties d’alcool. Variante : faire bouillir 100 g de sommités fleuries fraîches de verge d’or dans un litre d’eau jusqu’à réduction de moitié. Laisser infuser. Ajouter 250 g d’alcool. Passer et conserver en flacon ambré bouché. Aujourd’hui, l’on peut se contenter d’un EPF. Parmi les anciennes préparations magistrales unissant les principes actifs de la verge d’or (entre autres) à l’alcool, citons l’eau vulnéraire (ou d’arquebusade) et le vulnéraire suisse (faltrank).
  • Sirop : ½ litre de la décoction donnée plus haut mêlé à 750 g de sucre. A placer sur feu doux jusqu’à ce que l’ensemble prenne une consistance sirupeuse.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses en application locale. On peut se servir aussi de la poudre de feuilles que l’on saupoudre ou bien que l’on mélange à de l’argile verte afin d’en former une pâte applicable sur plaies et ulcères.
  • Bain de bouche : il se réalise à l’aide de la décoction (froide) évoquée plus haut.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule lors de la floraison, laquelle est bien évidemment fonction du climat et de l’altitude. La verge d’or pouvant pousser jusqu’à 2800 m, on comprend que la floraison des spécimens montagnards est plus tardive. Ceci dit, nous sommes bien peu nombreux à nous rendre auprès de sphères aussi élevées. Redescendons donc sur terre et signalons qu’en règle générale, les sommités fleuries de la verge d’or se sectionnent entre juillet et octobre, en particulier au moment précis où débute tout juste la floraison. En effet, cette plante poursuit son activité végétative même une fois coupée. Si on s’y prend trop tardivement, on risque de se retrouver avec une plante sèche fructifiée !
  • On préconise des cures d’une durée d’une semaine, suivie d’un même laps de temps d’arrêt, avant de reprendre pour une nouvelle semaine.
  • Des fleurs jaune d’or de la verge dorée l’on peut tirer une teinture jaune adaptée à la coloration de la laine et de la soie.
  • Autres espèces : elles sont nombreuses. Seul le Solidago virga aurea est indigène, mais aujourd’hui on rencontre sur le territoire français d’autres espèces. C’est le cas de la verge d’or du Canada (Solidago canadensis) en provenance d’Amérique septentrionale et introduite en France en 1648. Autre solidage américain, la verge d’or géante (Solidago gigantea). Débarquée en France dès 1758, elle s’est rapidement implantée, puis imposée comme espèce potentiellement invasive. Malgré son nom, cette plante possède une stature nettement inférieure à celle de la plante précédente. Citons encore la verge d’or toujours verte (Solidago sempervirens) et la verge d’or en zigzag (Solidago flexicaulis).
  • Huile essentielle de verge d’or du Canada : cette substance à peu près formée d’une moitié de monoterpènes et d’une moitié de sesquiterpènes, possède une action sur la sphère cardiovasculaire (hypotensive, anti-inflammatoire et antispasmodique cardiovasculaire). L’on s’en sert donc en cas d’hypertension artérielle, d’artérite, d’endocardite et de péricardite. Elle n’est pas non plus sans effet sur les sphères hépatique (petite insuffisance hépatique) et rénale (draineuse et diurétique, comme sa consœur virga aurea) sur lesquelles elle porte ses vertus anti-inflammatoires et analgésiques. On lui prête encore des capacités anti-oxydantes, expectorantes, mucolytiques et anti-allergéniques (elle abaisse et soulage notamment les réactions allergiques relatives aux pollens survenant à la fin de l’été). Cette huile essentielle non toxique peut en certains cas s’avérer capable d’induire irritation et sensibilisation. On recommande aux femmes enceintes de l’éviter durant les trois premiers mois de grossesse.

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  1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 976-977.
  2. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 505.
  3. Angelo de Gubernatis, La Mythologie des plantes, Tome 1, p. 52.
  4. Ibidem.
  5. Guy Fuinel, La sérénité et les plantes, p. 84.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, pp. 337-338.

© Books of Dante – 2022

La verge d’or du Canada se configure de manière bien différente.