Aromathérapie et élément Eau

Il y a déjà deux ans (!), nous avons posé quelques bases dans cet article. Avant de lire la suite que je ne vous donne qu’aujourd’hui (le temps que les informations montent au cerveau ^^), je vous suggère d’en (re)prendre connaissance, cela vous aidera grandement dans la compréhension de l’article du jour.

Nous allons aborder l’élément Eau, union des principes Froid et Humide, ainsi que les huiles essentielles majeures qui y sont associées. Pour cela, on portera notre attention sur le secteur II de la cartographie moléculaire que nous retrouvons ci-dessous :

Ce secteur regroupe l’ensemble des molécules apolaires et négativantes. Nous en voyons deux :

  • le grand groupe des esters (n° 3, en vert)
  • le groupe des sesquiterpènes (n° 4, en violet), coupé en deux (nous ne considérerons uniquement que les molécules situées dans la partie supérieure de ce groupe)

Commençons par les esters. Dans quelles huiles essentielles en trouve-t-on beaucoup ?

  • Gaulthérie couchée : 99 %
  • Sauge sclarée : 80 %
  • Hélichryse d’Italie 45 %
  • Lavande fine : 40 %
  • Bouleau noir : 99 %

D’une manière ou d’une autre, toutes les huiles essentielles de ces plantes entretiennent de façon majoritaire une relation avec l’élément Eau. Que pouvons-nous dire pour argumenter cette thèse ?

-Sauge sclarée, hélichryse d’Italie et lavande fine sont des plantes qui vivent sur des sols très secs et arides, elles savent ce que c’est que de manquer d’eau, c’est pour cela qu’elles ont développé des mécanismes qui empêchent les déperditions d’eau trop importantes liées à la chaleur. Comme si cela ne suffisait pas, lorsqu’on les récolte en vue de les distiller, on les fait sécher un certain temps afin de leur faire perdre l’excès d’eau qu’elles contiennent.
Par ces caractéristiques, elles sont diamétralement opposées à l’élément Feu, Chaud et Sec, chose d’autant plus étonnante que les esters sont des molécules apolaires. C’est-à-dire que, loin d’être hydrophobes, elles présentent une très forte insolubilité dans l’eau (ça l’est bien davantage encore pour les sesquiterpènes). Malgré tout, les huiles essentielles de sauge sclarée, de lavande fine et d’hélichryse d’Italie savent transmettre d’une manière qui n’appartient qu’à elles l’élément Eau pourtant très peu présent dans leur biotope.
-Quant à la gaulthérie couchée, elle ne vit pas dans un milieu aride. Au contraire, son lieu de vie est particulièrement humide et froid, de même que le bouleau noir américain.

Indiquons tout d’abord le fait que toutes ces huiles essentielles sont des anti-inflammatoires puissants. « Certains foyers inflammatoires ‘chauds’ présentent un surplus de charges ‘positives’. Ce type de molécules […] ‘négativantes’ pourront céder des charges négatives afin de compenser l’excès de charges positives et diminuer ainsi l’inflammation » (1). Elles s’opposent au feu de l’inflammation qu’elles apaisent. C’est donc ajouter de l’eau sur le feu afin de l’éteindre en quelque sorte.

  • Gaulthérie couchée et bouleau noir, à la formule biochimique identique, sont anticoagulantes et vasodilatatrices, elles permettent une meilleure circulation sanguine. Par ailleurs, elles ont une action remarquable sur les crampes musculaires dont certaines ont pour origine la déshydratation. Anti-inflammatoires comme nous l’avons dit, elles calment les « points chauds » : tendinite, rhumatisme, arthrite…
  • L’hélichryse d’Italie est fluidifiante du sang et tonique lymphatique. De plus, elle s’oppose aux rétentions hydrolipidiques et à la cellulite, preuve d’une mauvaise circulation périphérique. Elle a donc des actions diluantes et circulatoires. Mucolytique, elle favorise l’excrétion des sécrétions bronchiques trop abondantes, une fois encore en les diluant. Elle calme aussi les inflammations (rhumatisme, arthrite, polyarthrite), ainsi que les coups, chocs et traumatismes.
  • La lavande fine est bien connue pour calmer les brûlures, les coups de soleil, les piqûres d’insectes, etc. Son action anti-inflammatoire s’illustre magistralement à travers crampes et contractures musculaires par exemple, ainsi que lors d’épisodes circulatoires inflammatoires (phlébite, artérite). Tout comme la sauge sclarée que l’on va aborder ci-dessous, la lavande fine apaise les bouffées de chaleur. Enfin, l’huile essentielle de lavande fine est très utile en application cutanée quinze minutes avant séance de radiothérapie.
  • La sauge sclarée tempère la circulation de certains liquides dans le corps. Aussi l’utilise-t-on en cas de règles trop abondantes, qu’elle régule, et en cas de leucorrhée. De plus, elle améliore la circulation artérielle. On peut dire que la sauge sclarée diminue des mouvements trop tumultueux de l’organisme et qu’elle en augmente d’autres qui sont assoupis. Par exemple, elle endigue une transpiration excessive alors qu’elle lutte contre la sécheresse vaginale. De même, lipolytique, elle est une précieuse aide en cas de cellulite, son action drainante excrétant hors du corps certains excès hydrolipidiques.

Bien. Venons-en maintenant aux sesquiterpènes négativants. Selon toute vraisemblance, certaines de ces molécules n’ont pas besoin de se trouver en masse dans les huiles essentielles pour bien agir et faire d’elles des marqueurs de l’élément Eau.
Chez ces sesquiterpènes, on retrouve certaines attributions propres aux esters, à savoir que la plupart des huiles essentielles qui contiennent des sesquiterpènes favorisent la mobilité des liquides (sang, lymphe, etc.) dans le corps, et que, tout comme les esters, les sesquiterpènes apaisent ce que nous avons nommé « points chauds », c’est-à-dire l’ensemble des circonstances lors desquelles il y a brûlures, coups, chocs, douleurs inflammatoires… Enfin, chez elles, on retrouve aussi des propriétés décongestionnantes et drainantes. Nous avons sélectionné cinq de ces huiles essentielles que voici :

  • Achillée millefeuille : 20 %
  • Matricaire : 45 à 48 %
  • Cèdre de l’Atlas : 50 à 85 %
  • Cèdre de Virginie : 50 %
  • Verge d’or : 40 %-L’achillée millefeuille corrige les règles trop abondantes, ainsi que les hémorragies diverses. Par ailleurs, elle draine les œdèmes et soulage les douleurs inflammatoires liées aux entorses et aux foulures.
    -La matricaire chasse les chaleurs de la fièvre.
    -Le cèdre de l’Atlas, grande huile circulatoire au niveau artérielle s’oppose aux stases veineuses et lymphatiques. Lipolytique, elle est utile en cas de rétention hydrolipidique et de cellulite.
    -Le cèdre de Virginie ressemble assez au précédent dans ses attributions thérapeutiques. Son huile essentielle, décongestionnante veineuse et lymphatique, stimule la circulation du sang. Elle est employée en cas d’œdème, de rétention hydrolipidique et lorsqu’un drainage lymphatique s’avère nécessaire.
    -Puissante diurétique, l’huile essentielle de verge d’or porte son action sur les reins qu’elle draine et dont elle efface les inflammations comme les néphrites, ainsi qu’au niveau de la vessie, à travers les si douloureuses et cuisantes cystites.

Pour finir, une chose remarquable (sans véritablement savoir si elle est pertinente) peut être distinguée. Pour cela, parlons du point éclair : il « correspond à la température la plus basse à laquelle un corps combustible émet suffisamment de vapeurs pour former, avec l’air ambiant, un mélange gazeux qui s’enflamme sous l’effet d’une source d’énergie calorifique telle qu’une flamme pilote » (2). Parmi les dix huiles essentielles que nous avons abordées, nous pouvons mentionner qu’une sur dix possède un point éclair inférieur à 50° C, quatre entre 50 et 75° C, et cinq entre 75 et 100° C (3). Cela signifie-t-il que ces huiles essentielles résistent plus facilement que les autres à la chaleur en vertu du fait qu’elles appartiennent à l’élément Eau ? Cela reste à démontrer. Nous verrons dans un prochain article (espérons que cela ne soit pas en 2019, ah ah), où il sera question des huiles essentielles et de l’élément Air, si cette hypothèse est valide ou pas.


  1. Michel Faucon, Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 123.
  2. Wikipedia.
  3. Voici les points éclair attribués à nos dix huiles essentielles : verge d’or (38° C), achillée millefeuille (57° C), hélichryse d’Italie (58° C), sauge sclarée (62° C), lavande fine (68° C), cèdre de l’Atlas (93° C), cèdre de Virginie (93° C), gaulthérie couchée (94° C), bouleau noir (96° C), matricaire (100° C).

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La bugle (Ajuga reptans)

Synonymes : moyenne consoude, petite consoude, consyre moyen, herbe au charpentier, herbe à la coupasse, herbe à maout, herbe de saint Laurent, dorve.

Cette petite plante cousine des menthes, marjolaines et autres lavandes, vous l’aurez sans doute davantage rencontrée au détour d’un chemin que dans les pages d’un livre de phytothérapie, tant la science moderne l’a peu créditée de propriétés pharmacodynamiques. En effet, le docteur Leclerc ne disait-il pas que « la bugle est la plus résolument inerte des herbes » ? (1). Et Cazin, un siècle plus tôt, n’a pas été non plus très tendre avec elle : « ce vulnéraire si vanté guérit uniquement les plaies que la nature seule conduirait très bien à cicatrice » (2). De là à dire que la bugle ne vaut pas mieux que cautère sur jambe de bois… C’est rude, âpre dirais-je même. Il est vrai que ses divers surnoms font explicitement référence à cette parenté qu’on a dessinée entre la bugle et la grande consoude. Si cette dernière « consolide », la première « chasse » : Ajuga, le nom latin de la bugle, n’étant qu’une transformation du mot abiga, de abigere, un verbe latin signifiant « délivrer ». Et si l’on en croit la littérature, cette réputation ne date pas d’hier. Au XV ème siècle, un herboriste italien du nom de Benedetto Rinio écrivait que « Gilbert l’Anglais et surtout les Allemands font grand éloge de la bugle et déclarent qu’elle l’emporte, pour soigner les plaies, sur toutes les autres plantes, et c’est pourquoi ils lui ont donné le nom de wundkraut » (3). Ainsi, les plaies, mais aussi les plaies atones, les dartres, les fractures relevaient-elles de l’emploi de la bugle qui, accompagnée de scabieuse et de sanicle, puis mêlée à de l’axonge, s’appliquait généreusement comme une panacée digne de la grande consoude, de l’arnica et du dictame de Crète réunis ! Si l’on connaît tous les deux premiers vers du petit poème que l’école de Salerne a réservé à la sauge, qui sait que « qui a du bugle et du sanicle fait au chirurgien la nicle » ?

Tout cela valut que la Renaissance s’empare, elle aussi, de la bugle, mais pas seulement pour ses uniques propriétés vulnéraires. Ainsi Camerarius (1500-1574) et Dodoens (1517-1585) valorisèrent-ils la bugle comme désopilant hépatique. Plus tard, Lazare Rivière (1589-1655), puis Michel Ettmuller (1644-1683) lui accordèrent valeur contre l’angine et, plus grave, contre la phtisie pulmonaire (= la tuberculose). Mais la bugle reste avant tout la panacée vulnéraire du médecin de campagne, censée agir tant sur les plaies, coupures, blessures, ulcères que sur des hémorragies plus sérieuses telles que l’hémoptysie. Le médecin britannique Culpeper se rangeait à ces avis. Ainsi, il écrit que « la décoction de feuilles et de fleurs, en vin, liquéfie le sang coagulé chez les personnes souffrant de contusions internes dues à une chute ou à d’autres chocs. Elle est très efficace contre toutes les plaies », ajoute-t-il. Non seulement la bugle serait vulnéraire et cicatrisante, mais également fibrinolytique comme savent l’être l’huile essentielle d’hélichryse d’Italie et celle de laurier noble dans une moindre mesure. Mieux, trois siècles après Culpeper, l’herboriste britannique Maud Grieve affirme dans son ouvrage intitulé Modern Herbal (1931), que la bugle régularise la circulation à une époque où, en France, Leclerc la disait inefficace.

Petite lamiacée vivace, la bugle se propage par stolons, d’où l’adjectif « rampant » qu’on lui octroie fréquemment. Ses tiges quadrangulaires velues portent à leur base des feuilles pétiolées en rosette, puis des feuilles non pétiolées, opposées deux à deux, de forme oblongue ou ovale. A l’aisselle de ces feuilles supérieures, l’on trouve des verticilles de six à dix fleurs de couleur bleu vif à bleu violacé. A pleine floraison, la bugle rampante atteint une taille maximale de 30 cm.
Assez fréquente, elle est présente sur trois continents : l’Europe, l’Afrique (du Nord), l’Asie (occidentale). Elle affectionne particulièrement les lieux humides et ombragés tels que bois frais, prés, pelouses, parcs et jardins.

La bugle en phytothérapie

Les sommités fleuries de la bugle, de saveur amère et épicée, présentent à l’analyse un certain nombre de substances qui peuvent faire tout dire, mais certainement pas que cette plante est tout à fait dénuée d’effets : des principes amers dont on n’ignore plus l’action sur la sphère hépatobiliaire, du tanin, quelques traces d’essence aromatique, une phytoecdysone (hormone stéroïdienne), enfin des iridoïdes dont l’harpagoside anti-inflammatoire et antalgique.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringente, résolutive, vulnéraire, cicatrisante
  • Laxative douce
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Fébrifuge
  • Tonique

Usages thérapeutiques

  • Maux de gorge, angine, inflammations bucco-laryngées
  • Ulcère gastro-intestinal, diarrhée
  • Insuffisance biliaire
  • Hémorragies : hémoptysie, plaies
  • Douleurs rhumatismales légères
  • Asthénie (?)

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries
  • Décoction de sommités fleuries
  • Cataplasme de feuilles fraîches et contuses
  • Teinture-mère

Note : la teinture-mère de bugle offre un beau remède contre les affections de l’arbre respiratoire : pneumopathies (aiguës et chroniques), asthme, toux rebelle, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Comme nous l’avons vu, nos devanciers se sont plus attachés à faire la démonstration de l’inefficacité de la bugle que d’en répertorier les éventuels méfaits, c’est pourquoi aujourd’hui il est difficile d’affirmer que cette plante peut représenter un quelconque danger à travers un emploi en phytothérapie.
  • Récolte : elle peut se réaliser dès le début de la floraison de la plante, soit au mois d’avril et se poursuivre autant de temps que la plante fleurira.
  • Autres espèces : bugle pyramidale (A. pyramidalis), bugle genevoise (A. genevensis), ivette commune (A. chamaepytis), ivette musquée (A. iva), etc.
    _______________
    1. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 283
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 209
    3. Cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 188

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Le néflier (Mespilus germanica)

Concernant l’origine et l’étymologie du néflier, force est de constater qu’on s’est longuement perdu en conjectures les plus diverses. Cet arbre doit tantôt son nom à l’apparence de boule tronquée de son fruit, tantôt à la contexture d’immondice de sa pulpe. Dans l’œuvre du philosophe grec Xénophon (IV ème siècle avant. J.-C.), le nom de Mespila est donné à l’actuelle ville irakienne de Mossoul, et Mespilus (1) était déjà le nom par lequel on le désignait durant l’Antiquité. C’est ce qui a fait dire à certains que le néflier proviendrait du sud-est de l’Europe (Balkans) et d’Asie occidentale (Turquie, Caucase, Iran…). Capté par les Romains, il aurait été importé par Jules César en Gaule et ne serait donc pas issu d’Allemagne comme le laisse entendre son adjectif germanica, vision à laquelle s’oppose celle de Leclerc qui affirme que le néflier était déjà présent dans les forêts de Gaule et de Germanie avant même l’invasion des Romains qui en furent, non pas les importateurs, mais les exportateurs, car si tel n’a pas été le cas, on s’étonne de ce que Pline en donne des informations pour le moins nébuleuses. Le naturaliste « distingue » trois Mespilus, mais « on peut discuter à perte de vue sur leur identité, d’autant qu’il n’en avait pas sans doute lui-même une notion bien nette » (2). Du côté des Grecs, l’on donne l’impression de moins cafouiller, mais gardons en tête que le genre Mespilus ne s’arrête pas qu’au seul néflier. Par exemple, l’azerolier (ex Mespilus azarolus) est bien distingué du néflier par Théophraste au IV ème siècle avant J.-C., et fort heureusement puisque l’azerolier tient davantage de l’aubépine que du néflier. La vertu astringente accordée à ce néflier par Théophraste fait écho aux écrits de Dioscoride : « Le néflier est tardif à mûrir, et mangé, il restreint. Il est agréable à l’estomac, et restreint le corps » (3). Outre ce qu’en dira précédemment Hippocrate, qui conseillait la nèfle en cas de fièvre, de ventre échauffé et de selles brûlantes, l’ensemble des médecins grecs et romains, à la suite de Dioscoride, s’entendront pour conserver au néflier cette précieuse propriété astringente.

Présent parmi la liste des seize arbres recommandés par le Capitulaire de Villis sous le nom de Mespilarios, le néflier a également fait bonne figure du côté de l’abbaye de Saint-Gall où l’on sait qu’il fut cultivé au IX ème siècle et probablement auparavant. Dans l’ensemble, la culture du néflier durant toute l’époque médiévale fut fort fréquente, car il avait l’avantage de fournir durant une partie de l’hiver une manne inespérée. En Italie, l’école de Salerne versifie à son sujet : « A bien vider les eaux la nèfle est diligente. Pour le ventre elle est astringente. Encore ferme, elle plaît ; mais pour votre santé, elle est toujours meilleure en sa maturité. » L’agronome italien Pierre de Crescens affirmera à son tour que les nèfles, par « leur nature, […] confortent l’estomac ». Curieusement, chez Hildegarde de Bingen, la propriété astringente de la nèfle est absente du petit texte qu’elle accorde au Nespelbaum. Essence chaude emprunte de douceur, le néflier, par ses racines, chasse les fièvres intermittentes, et par son fruit nutritif « purge le sang ».

Dès la Renaissance et durant l’ensemble du XVII ème siècle, une frénésie s’empare d’un grand nombre de médecins au sujet de la nèfle. C’est ainsi que nous voyons Jean Bauhin (1541-1612) conseiller la nèfle dans les abcès de la gorge et des gencives, pour modérer le flux menstruel (4). Selon Prosper Alpini (1553-1617), elle permet d’endiguer les flux intestinaux, en particulier d’origine dysentérique (Petrus Forestus, 1522-1597). Nombreux seront également ceux qui, sensibles à la théorie des signatures, virent dans la nèfle une possible propriété lithontriptique, en raison de la dureté des noyaux de ce fruit que l’on a apparentés à des lithiases. Ainsi furent-ils employés pour guérir tant la pierre que la gravelle durant un siècle où les observations d’expérimentations fructueuses abondèrent dans ce sens.

Malgré ces éloges dithyrambiques, le néflier, tombé dans l’oubli, restera inusité en médecine au temps de Cazin qui ne lui accorde qu’une dizaine de lignes, une négligence qu’explique Leclerc en ces termes : « Le fruit du néflier est resté le symbole des choses dont l’inconsistance voisine avec le néant, ainsi qu’en témoigne la réponse populaire qu’on oppose à une requête importune : ‘Vous n’aurez que des nèfles !’ » (5). Son surnom de « cul-de-chien » ne l’a sans doute pas aidé non plus, de même que la comparaison qui fut faite entre la forme de ce fruit et celle des bonnets à pointes dont on coiffait le chef des fols au Moyen-Âge.

Le néflier est un petit arbre d’une hauteur maximale de six mètres au tronc tortueux qui porte des feuilles caduques, simples et de grande taille. Vertes au-dessus, cotonneuses sur la face inférieure, elles prennent une belle teinte de bronze mêlée de rose à l’automne. Il fleurit tardivement au printemps (mai/juin) et porte alors des fleurs blanches ou lavées de rose d’environ 3 cm de diamètre. Plus tard, entre septembre et octobre, des fruits charnus, les nèfles, apparaissent : des espèces de petites poires brunes dont la taille n’excède pas 2 à 3 cm, voire 4 à 6 cm pour les espèces à grands fruits. Mais contrairement aux poires les sépales proéminents restent visibles sur le fruit.

Le néflier en phytothérapie

La disgrâce dans laquelle la nèfle est tombée depuis des lustres peut difficilement expliquer sa présence au sein de cette rubrique, car « depuis que l’arboriculture moderne a acquis tant de fruits infiniment supérieurs en saveur comme en beauté à la modeste et quelque peu ridicule nèfle, elle s’est cultivée de moins en moins. Quant au néflier lui-même, quel citadin le reconnaîtrait ? », constatait Fournier il y a de cela 70 ans (6). En effet, aujourd’hui encore la nèfle ne court pas les rues, et qui aurait la chance d’en croiser quelques-unes sur les étals du marché ?
Si l’écorce, les feuilles et les fruits non mûrs nous offrent belle part de tanin, c’est davantage la nèfle parvenue au seuil du blettissement qui fait l’objet d’un usage thérapeutique. En moyenne, une telle nèfle contient jusqu’à 75 % d’eau, des sucres (glucose, fructose : 10 %), de la cellulose (7 à 13 %), du mucilage, des acides (malique, tartrique, lorique, citrique), des vitamines (C, groupe B), du magnésium, etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique astringente des muqueuses intestinales, régularisatrice intestinale, antidiarrhéique, déconstipante
  • Diurétique
  • Astringente cutanée

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère digestive : entérite, dysenterie, diarrhée, diarrhée infantile, diarrhée rebelle
  • Affections buccales : aphte, ulcération buccale, inflammation et irritation de la gorge
  • Affections cutanées : irritation, inflammation, coupure, écorchure, etc.
  • Goutte (?)

Modes d’emploi

  • Nèfles blettes en nature
  • Conserve de nèfles
  • Infusion à froid de poudre de semences dans du vin blanc
  • Décoction des feuilles pour gargarisme

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Alimentation : comestibles, mais immangeables en automne en raison de leur saveur austère et acerbe peu agréable, il faut attendre le début de l’hiver et leur blettissement par le gel (fermentation interne) afin de pouvoir les consommer. Elles deviennent alors molles et sucrées et constituent un fruit apprécié et très nutritif. Cependant, il est tout à fait possible de procéder à un blettissement artificiel en ramassant les nèfles à l’automne, avant les premières gelées. En stockant les fruits dans une pièce aérée et en les mettant au congélateur assez longtemps, on accélère le blettissement. On obtient donc des nèfles consommables de cette manière. Dès lors, elles peuvent être cuites en compote, marmelade, confiture. Il est même possible d’en fabriquer des pâtes (comme celle de coings), du vin après fermentation du jus des fruits, etc.
  • Le néflier possède un bois au grain très fin qui ne fend pas ou peu, et avec lequel, au Pays Basque, on fabrique le manche des splendides makhila, les bâtons de marche basques (la plus importante fabrique de makhila se trouve à Larressorre.)
  • Autres espèces : Mespilus germanica var. apyrena, Mespilus macrocarpa.
    _______________
    1. De mespilus, on a obtenu diverses appellations locales du néflier comme en témoignent les termes qui suivent : mespoulo, mesplo, mesplier, nesplier, neslier, mesle, meille, mêlier, etc.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 671.
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre 1, Chapitre 132.
    4. Dans la culture populaire, le port d’un morceau de bois de néflier suspendu au cou comme amulette était un bon moyen d’écarter les éventuelles complications liées à la grossesse et à l’accouchement. Cette pratique avait même la réputation de conjurer l’avortement.
    5. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 168.
    6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 671.

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Le ricin (Ricinus communis)

Synonymes : ricin commun, bois de carapat, palma christi.

Il y a environ quatre mille ans, le ricin faisait déjà partie de la pharmacopée babylonienne. Il était également présent chez les anciens Égyptiens comme l’attestent avec évidence la découverte de graines de ricin contenant encore des traces d’huile dans des tombeaux datant de cette époque reculée, ainsi que la mention qui est faite de cette plante au sein du papyrus Ebers. D’ailleurs, le Grec Hérodote témoignera de la culture du ricin sur les rives des rivières et des lacs égyptiens au V ème siècle avant J.-C. Les vertus purgatives, cicatrisantes et capillaires du ricin n’échappèrent pas à ces deux peuples. En Égypte, le ricin portait le nom de Kiki, un terme que reprendra Dioscoride pour faire de cette plante une assez belle description : « C’est un petit arbre de la taille d’un figuier, les feuilles sont semblables à celles du platane, mais plus grandes, plus lisses et plus foncées […] Les fruits, qui se présentent sous la forme de grappes de raisins, lorsqu’on les dépouille de leur écorce, laissent entrevoir des graines semblables à cet animal qu’on nomme ricinus [nda : l’ixode, espèce de tique]. De cette graine, on en tire de l’huile, qu’on appelle huile de ricin […] Trente grains [nda : environ 1,5 g] de cette graine bien mondifiée et bien pilée, bus, purgent par le bas la colère et les humeurs aiguës. Mais à la vérité c’est une médecine fâcheuse et ennuyeuse, parce qu’elle subvertit grandement l’estomac. La graine pilée et appliquée enlève les taches du visage et les marques de la vérole. Les feuilles broyées mitigent les inflammations oculaires, et pareillement les tumeurs […] Emplâtrées avec du vinaigre, elles soulagent le feu saint-Antoine » (1). Bizarrement, hormis les mots « fâcheux » et « subvertit », rien ne laisse penser dans ce passage que Dioscoride ait pu remarquer le caractère toxique du ricin.

Le ricin apparaît tardivement en Europe médiévale. Tout au plus en est-il fait mention par Albert le Grand au XIII ème siècle sous le nom d’Arbor mirabilis, tandis qu’en toute fin de XV ème siècle, l’Hortus sanitatis lui accorde celui de Palma christi, en relation avec l’histoire biblique du ricin (2). A la Renaissance, le ricin, bien connu des Italiens dont Matthiole, offre son huile végétale comme seul agent externe. Ce n’est qu’au XVIII ème siècle qu’on osera à nouveau « redécouvrir » les propriétés du ricin par voie interne et qu’il rentrera à ce titre progressivement dans la pratique courante.

Espèce végétale tropicale, les foyers de naissance du ricin semblent être le sous-continent indien ainsi que les sols drainés et humides des régions d’Afrique du Nord-Est. Là-bas, c’est une plante vivace vivant en pleine nature et qui peut devenir un véritable arbuste dont la taille oscille assez souvent entre six et douze mètres. Sous nos latitudes, le ricin, qui s’est bien acclimaté aux départements méridionaux surtout, n’atteint qu’une taille modeste, deux à quatre mètres au grand maximum. De plus, le climat n’en fait qu’une plante annuelle lorsqu’elle pousse en pleine terre, mais peut parfois atteindre trois ans lorsqu’elle vit sous serre. De très longs pétioles portent des feuilles gigantesques de près d’un mètre d’envergure parfois. D’apparence palmée, elles se composent de sept à dix lobes aigus partant tous d’un même point. Ses fleurs monoïques et sans corolle s’épanouissent à l’été, se conforment en épis allongés et terminaux. Au sommet, l’on trouve les fleurs femelles, au-dessous d’elles les fleurs mâles garnies d’une multitude d’étamines. Après la floraison, l’ovaire à trois loges des fleurs femelles va fructifier et former un fruit tantôt lisse, tantôt hérissé d’aiguillons, qui donnera naissance à trois graines ovoïdes, marbrées de brun, parfois de rouge, pas plus grandes qu’un haricot et dont la forme à évoqué aux Anciens celle d’une tique qu’ils appelaient ricinus. De là, le nom est passé à la plante.

Le ricin en phytothérapie

Les grandes feuilles du ricin, dont on a pu penser qu’elles possédaient quelques éléments à même d’en rendre répréhensible l’usage, sont quelquefois employées dans la thérapeutique. Mais la palme revient sans conteste aux graines de ricin. Comme beaucoup d’oléagineuses, ces graines sont pressées à froid, vu qu’elles contiennent entre 45 et 70 % d’huile végétale qui se retire facilement. Principalement composée de glycérides, cette huile a l’apparence d’un liquide visqueux, limpide, incolore à jaune très pâle, pratiquement inodore, de saveur tout d’abord douceâtre avant de laisser place à une sensation assez désagréable, voire nauséeuse. Dans le tourteau, c’est-à-dire ce qu’il reste de la graine après expression, on trouve environ 20 % de matières albuminoïdes, 5 à 7 % d’eau, du sucre (2,5 %), de la gomme, de la résine, de la lécithine, de l’acide succinique et surtout deux toxines : tout d’abord un alcaloïde du nom de ricinine isolé en 1864, et enfin une toxalbumine nommée ricine, bien plus toxique que la strychnine, présente parfois à hauteur de 3 % dans les graines. Par chance, l’expression de l’huile n’emporte pas ces deux toxines avec elle. L’on comprendra donc que seule l’huile végétale de ricin puisse faire l’objet d’un usage en thérapie, et que l’on passera outre le désir d’envisager une décoction de ces semences.

Propriétés thérapeutiques

  • Laxative puissante (l’huile végétale de ricin déclenche des spasmes intestinaux trois à cinq heures après ingestion), purgative douce à doses plus élevées (cette huile végétale peut même devenir drastique si prise à des doses encore plus importantes, voire même éméto-cathartique, c’est-à-dire qu’elle est susceptible de provoquer le vomissement incoercible)
  • Émolliente (de même que les feuilles)
  • Régénératrice cutanée, régénératrice des ongles et des cheveux, tonique capillaire, tonique du cuir chevelu
  • Vermifuge (plus ou moins efficace)
  • Galactogène (feuilles)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation opiniâtre, occlusion intestinale, hernie, colique, colique de plomb, dysenterie, inflammation intestinale, ascarides
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, bronchite aiguë, fin de pneumonie
  • Accouchement : fièvre puerpérale, suppression des lochies (cette huile végétale est « un purgatif de choix au cours des grossesses », souligne Fournier, (4)). Chez le nouveau-né, elle s’emploie également en cas de rétention du méconium
  • Hémorroïdes
  • Affections cutanées : ulcère et ulcère variqueux, plaie, coupure, blessure, cicatrisation difficile, peau sèche, solidification des ongles, prévention des callosités aux pieds, chute capillaire, pellicules
  • Auto-intoxication

Modes d’emploi

  • Huile végétale en interne (il est possible de l’émulsionner avec un jaune d’œuf, un bouillon aux herbes afin d’en mieux supporter le goût)
  • Huile végétale en massage et application locale. Il est bien évidemment possible d’y ajouter d’autres huiles végétales : avocat (pour les ongles), sésame (pour les soins des pieds. Ou bien des huiles essentielles telles que bay saint-Thomas, pamplemousse, romarin officinal, etc. pour les soins capillaires
  • Cataplasme de feuilles fraîches ou légèrement fanées
  • Macération vineuse de feuilles fraîches

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • En tant que laxatif naturel, durant un traitement à l’huile de ricin, il est recommandé de rester chez soi autant que faire se peut. Simple raison pratique ^_^. Le respect de la posologie est lui aussi essentiel : même à doses correctes, cette huile végétale, si l’on en répète trop longtemps l’emploi peut mener à la disparition de l’appétit, ainsi qu’à des états fébriles.
  • Avec le temps, l’huile végétale de ricin peut souffrir comme n’importe quelle autre huile. Quand elle est périmée, elle devient rance, c’est un indice prouvant qu’elle est dès lors inutilisable, puisque susceptible d’être également irritante et drastique.
  • Le ricin ne se cantonne pas qu’à la thérapeutique. Son huile intéresse aussi l’industrie : lubrifiants, savons, travail du cuir, fabrication de laques et peintures, huile d’éclairage, etc. Des feuilles l’on a extrait un biocide agro-industriel.
  • Toxicité : bien que les accidents liés à l’ingestion de graines de ricin sont devenus relativement rares, il me semble important de souligner la toxicité de cette plante qui ne se concentre – rappelons-le – presque exclusivement qu’aux seules semences. Encore vertes, elles sont déjà toxiques et le deviennent encore davantage en mûrissant. On estime que deux à cinq graines sont mortelles chez l’enfant et l’adulte, mais à la seule condition de les mâcher, car si elles sont simplement avalées, la testa gastro-résistante, autrement dit l’enveloppe la plus extérieure de la graine, leur assure de ne pas être attaquées par les processus digestifs. La ricine, dont nous avons parlé plus haut, ne cause donc aucun dommage. De même, si un oiseau venait à avaler une de ces graines sans la croquer, il participerait sans inconvénient pour lui à la dispersion de la plante. En effet, le ricin ne court pas le risque d’exposer directement un oiseau à son poison, car comment pourrait-il tirer parti de ce transporteur s’il s’amusait à prendre la posture du terroriste dans l’avion ? D’ailleurs, puisque nous évoquons cela, rappelons qu’on a fait jouer au ricin un rôle peu recommandable, ni plus ni moins que celui de barbouze. Il est bien possible que la ricine – contre laquelle n’existent ni moyen de prévention ni antidote – ait été exploitée durant la Première Guerre mondiale par les États-Unis, puis par les Britanniques aux environs des années 1940. La ricine a-t-elle été utilisée comme arme de guerre ? Difficile à dire. Il n’en reste pas moins qu’elle a été impliquée dans un sordide épisode de la Guerre froide que je vais maintenant vous narrer. Georgi Markov, romancier et auteur de pièces de théâtre bulgare, s’il s’accoutume assez bien avec le gouvernement communiste de la Bulgarie dans les années 1960, va, dans la décennie plus tard, entrer dans une forme de résistance qui consistera à dénoncer la corruption de l’élite politique de son pays. Devenu dissident, il s’expatrie en Europe de l’Ouest, jusqu’à parvenir à Londres. Considéré comme un traître par sa nation, il reçoit de multiples menaces de mort, échappe à deux tentatives d’assassinat. Le 7 septembre 1978, Markov attend son bus quelque part dans la cité londonienne. Soudain, il éprouve une vive douleur au niveau d’une cuisse et voit près de lui un homme faisant mine de ramasser son parapluie en bredouillant des excuses avant de disparaître. Le soir venu, alors que la cuisse de Markov a gonflé comme sous l’effet d’une morsure d’araignée, le romancier bulgare est pris de fortes fièvres. Hospitalisé le lendemain, il décède le 11 septembre au matin d’un arrêt cardiaque. Une autopsie est effectuée. Elle met en évidence de multiples hémorragies internes (intestins, cœur, nodules lymphatiques). Le taux de globules blancs s’est anormalement envolé. Sur la cuisse de Markov, on décèle une minuscule perforation, puis l’on découvre l’objet qui l’a provoquée : une bille métallique percée de deux trous, dont on apprendra par la suite qu’ils servirent à loger le poison – de la ricine, environ 450 microgrammes – puis recouverte de cire afin que la ricine ne s’en échappe. En attendant, l’autopsie ne révèle la trace d’aucune toxine. Malgré tout, un médecin légiste de la CIA imagine que les résultats de l’autopsie auraient très bien pu être provoqués par la ricine, car ce qu’a révélé cette autopsie correspond parfaitement au mode opératoire de cette toxine lorsqu’elle est administrée par injection. La ricine est composée de deux protéines. La première ouvre une brèche dans la paroi cellulaire, la seconde s’y engouffre, perturbe la production protéinique de la cellule et cause son apoptose.
    Dans cette histoire, connue sous le nom de « l’affaire du parapluie bulgare », on a cherché à imaginer l’arme du crime : probablement un pistolet à air comprimé dissimulé dans le manche du parapluie.
    L’intoxication par la ricine fonctionne aussi par ingestion et inhalation. Dans le premier cas, l’hémorragie se porte sur le tube digestif, dans le second sur les voies respiratoires. Le décès intervient au bout de trois à cinq jours.
    A la lecture de tout cela, vous allez peut-être regarder d’un autre œil les pieds de ricin qu’on utilise comme plantes ornementales et dont on constate la présence gracieuse dans bien des massifs floraux. Déjà, il est interdit de piétiner les plantes, donc, pas touche ! Secundo, la graine de ricin est particulièrement dure sous la dent et je doute fort qu’un enfant puisse en venir facilement à bout. Cependant, en fouillant ici et là, j’ai constaté que l’huile végétale de ricin pourrait peut-être intervenir en cas d’intoxication par ces mêmes graines. Cela ne reste bien sûr qu’hypothèse, je n’ai trouvé nulle part d’informations me permettant d’asseoir la véracité de ce qui va suivre. En cas d’ingestion d’une graine de ricin qui serait éventuellement mâchée, pourquoi ne pas utiliser l’huile végétale de ricin dont on sait qu’elle est éméto-cathartique à haute dose et émolliente ? Faisant violemment vomir, elle pourrait agir comme agent de purification de l’organisme. D’ailleurs ne l’utilise-t-on pas dans ce but en cas d’empoisonnement aux Renonculacées et à certains champignons ? Car, comme l’écrit Fournier, « les soins à donner doivent consister d’abord à vider l’estomac en activant les vomissements, puis à administrer des émollients du tube digestif » (4), ce qui est tout à fait dans les cordes de l’huile végétale de ricin qui, alors, pourrait limiter l’irritation et l’inflammation du tube digestif provoquées par la ricine.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 4, Chapitre 145
    2. « Le ricin représente l’aspect inintelligible de l’expérience, […] des alternances apparentes de décisions, de contrordres et de changements […] Ainsi tout est imprévisible, et l’homme souffre de cette insécurité, de cette absence de logique ou plutôt d’une logique dont il ne découvre pas les secrets […] [Le] ricin invite l’homme à ne pas se fier à sa seule dialectique : il en existe une qui lui est supérieure », Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 817
    3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 828
    4. Ibidem.

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Le prunier (Prunus domestica)

Reine-claude

Nous ne nous poserons pas la question de savoir si le prunier est le fils du prunellier, elle l’a été maintes fois sans jamais trouver de réponse. Notre prunier a beau être « domestica », il n’en a pas toujours été ainsi : fut un temps où vivaient diverses espèces de pruniers sauvages. Qu’un prunier vive dans un verger ne doit pas nous faire oublier son origine : la Nature. Le foyer natal du prunier se situe à cheval entre l’Asie et l’Europe : péninsule balkanique, sud du Caucase, nord de la Perse. C’est sans étonnement que nous retrouvons le prunier en Syrie, dont la culture débute dès l’Antiquité, et c’est sans doute du Proche-Orient qu’il se déploie sous l’impulsion des Romains qui ne connaissaient pas cet arbre au contraire des Grecs : « Le prunier est un arbre très connu, raconte Dioscoride. Ses fruits se mangent mais ils nuisent à l’estomac et ramollissent le ventre. Les prunes de Syrie, et principalement les prunes de Damas sèches, sont utiles à l’estomac et restreignent le corps. La décoction des feuilles faite dans du vin vaut pour le catarrhe qui descend sur la luette, sur les gencives et sur les parties proches du gosier […] Mais cuits dans du vin cuit, ils sont plus utiles à l’estomac et plus aptes à restreindre le corps. La gomme du prunier est conglutinative, et bue dans le vin, fait rompre la pierre. L’on en oint les enfants avec du vinaigre pour les guérir de la gale » (1). A l’époque où Dioscoride écrit ces lignes, à Rome le prunier est déjà bien implanté, ce qui vaudra à Pline de dire « ingens turba prunorum ». Au Ier siècle après J.-C., les Romains cultivent plusieurs variétés de pruniers aux fruits diversement colorés (noirs, blancs, jaunes, pourpres…). Et, tout comme l’a fait Dioscoride, l’on s’attache à en décrire les propriétés médicinales : « Prends des prunes qu’ont ridées la vieillesse et les lointains voyages ; elles soulagent de son fardeau le ventre dur », contait le poète Martial. Propriété déconstipante bien établie, qui sera réaffirmée par Galien qui note, non sans étonnement, l’erreur commise par Dioscoride.

Au début du Moyen-Âge, le prunier gagne les hautes terres. C’est ainsi qu’on le croise dans le Capitulaire de Villis, de même que dans le viridarium du plan de Saint-Gall en Suisse. Très concise, l’école de Salerne ne lui accorde qu’un seul vers : « Fraîche ou sèche, la prune offre un double profit, car elle lâche et rafraîchit ». La propriété rafraîchissante de la prune sera également exploitée par les médecins arabes médiévaux, tel que Mésué pour lequel la prune vaut pour tempérer tant la fièvre que la soif, mais également « pour les chaleurs du foie et des autres parties molles », nous explique le Grand Albert (2). S’ils sont tous unanimes au sujet des propriétés bienfaisantes de la prune, il n’en va pas de même du côté du monastère de Ruperstberg. En effet, Hildegarde déconseille la consommation de ce fruit mauvais à manger, « car il excite la mélancolie chez l’homme et augmente en lui les humeurs mauvaises » (3). Seul le bien-portant pourra en faire usage, et encore de manière extrêmement modérée. En revanche, Hildegarde accorde à l’écorce et aux feuilles des propriétés vermifuges et capillaires, à la résine celles de dissiper les douleurs de la goutte, les maux oculaires et les douleurs de côté. Selon elle, l’amande contenue dans le noyau de la prune est bonne pour apaiser la toux. Enfin, elle fait du prunier une essence magique pour qui « est rendu fou par des malédictions » (4).

A la Renaissance, s’opposent deux clans. L’un d’eux, mené par Brassavole, érige au pinacle les dires de Dioscoride, le second, engagé par Matthiole, s’en remet aux paroles de Galien, et force est de constater que c’est ce dernier qui remportera l’épreuve de la vérité sur la base d’une erreur commise quinze siècles plus tôt par Dioscoride : oui, la prune est bien laxative !
La prune jouit d’une telle renommée qu’au XVII ème siècle on dénombre environ 180 variétés et plus de 300 au début du XX ème siècle. Parmi elles, se distinguent des prunes « historiques » :

  • La prune de Damas : rapportée par les croisés de Damas après l’échec du siège de cette ville en 1148, d’où, peut-être, l’expression : « Y aller pour des prunes », équivalent de « pour des bagatelles », c’est-à-dire trois fois rien. La quetsche, de forme oblongue et à robe violette, est le fruit d’une variété de prunier de Damas. On trouve aujourd’hui le quetschier en Alsace-Lorraine, en Allemagne, au Luxembourg et en Autriche. Cette prune fit partie du diaprunum, « composition laxative, excellente et purgative, et propre en tous lieux, en tout temps, pour potion et lavements ». Tout l’art de la réclame de l’époque en quelques mots ! ^_^ Cet électuaire est destiné à régler les fièvres tenaces mais aussi des problèmes touchants la vésicule biliaire, les poumons, les reins et la vessie.
  • La reine-claude : prune verte mise au point en France et nommée ainsi en hommage à la première femme de François 1er : Claude de France, la bonne reine.
  • La mirabelle : petite prune bien française dont on distingue deux variétés principales : la mirabelle de Nancy et celle de Metz. Une lorraine, donc, qui offre ses fruits dorés en fin d’été.
  • La prune d’ente (5) : elle est issue d’un croisement entre le prunier de Damas et un autre prunier. C’est de ce prunier que sont tirées les prunes qui deviendront les véritables pruneaux d’Agen dont les propriétés laxatives sont vantées par Molière dans Le malade imaginaire (1673). Le pruneau est le résultat de la dessiccation de la prune d’ente. On ramasse les fruits, on les lave, on les expose sur de la paille au soleil avant de les envoyer au four dans lequel le dessèchement se poursuivra au maximum 24 h afin d’obtenir un pruneau présentant un taux d’humidité de 20 à 22 %, parfois plus. C’est pour cette raison qu’il faut environ 3 kg de prunes fraîches pour obtenir 1 kg de pruneaux.

Pas très grand (5 à 10 m de hauteur), ce fruitier porte des feuilles ovales, vertes et finement dentées. Comme la plupart des rosacées fruitières, les fleurs blanches à cinq pétales du prunier apparaissent tôt au printemps, avant les feuilles. Le fruit du prunier, la prune, généralement recouverte de pruine, est une drupe juteuse, charnue et sucrée qui atteint pleine maturité en fin d’été, début d’automne.

En fonction des localités géographiques, on n’alloue pas au prunier et à son fruit la même valeur symbolique. Alors qu’au Japon il est arbre de bon augure, en Chine il forme avec le pin et le bambou le groupe des « trois amis de l’hiver ». Par sa floraison hâtive, le prunier est considéré comme l’annonciateur du printemps, grâce à ses fleurs inspirant espoir, beauté et virginité, leur fragilité rappelant aussi le caractère éphémère de la vie. Mais, bravant le froid et le gel, le prunier incarne l’idée du courage qui confine parfois à l’immortalité.
Il semble qu’il ne jouisse pas de la même réputation en Occident du fait qu’on l’associe à la sottise pour une raison qui demeure assez mystérieuse. Mais pas seulement : le prunier évoque aussi l’abondance fertile et féconde, la prospérité (pour rendre prolifique un verger il faut y planter un prunier), l’amour conjugal (une déclaration d’amour délivrée sous un prunier est le gage d’un beau mariage). En outre, la prune, dont la connotation érotique n’est plus à prouver, entre en relation avec l’acte sexuel : par exemple, au XVIII ème siècle, offrir des prunes à la femme qu’un soupirant convoitait était de rigueur. L’on trouve même dans le Grand Albert une recette, entre autres à base de prunes, permettant de « réparer le pucelage perdu » !

Petit damas noir

Le prunier en phytothérapie

Aujourd’hui, toute l’attention se porte sur le fruit de cet arbre. Comme cela a été le cas de bien d’autres plantes, ce que l’on privilégie à l’heure actuelle n’a aucune commune mesure avec ce qui se faisait autrefois. Rappelons-nous Hildegarde. Il faut dire que, entre-temps, l’amélioration du prunier par les arboriculteurs est passée par là. Les cadres de référence sont donc bien dissemblables d’une période à l’autre. Nous communiquerons ici des données moyennes, sans nous attarder sur telle ou telle variété de prune. Assez peu riche en vitamines (C et B notamment, davantage de provitamine A), la prune se rattrape avec ses nombreux sels minéraux et oligo-éléments (potassium, sodium, calcium, phosphore, fer, magnésium, manganèse, bore, etc.). Albumine et acides (malique, citrique, succinique, salicylique) ajoutent leurs pierres à l’édifice. Si la prune à l’état frais contient environ 80 % d’eau, ce taux chute à 30 % dans le pruneau, parfois moins, alors que celui de sucre est multiplié par douze, une augmentation qui n’est pas inversement proportionnelle. C’est comme si la dessiccation de la prune visant à en faire un pruneau fabriquait du sucre en cours de route. C’est le cas : dans un seul pruneau, la moitié de son poids est constitué de divers sucres (glucose, fructose, etc.).

Propriétés thérapeutiques

  • Nutritive, énergétique
  • Stimulante et tonique nerveuse
  • Laxative, régulatrice intestinale
  • Décongestionnante et désintoxiquante hépatique
  • Diurétique, dépurative du sang, stimulante rénale
  • Anti-oxydante (le pruneau l’est davantage encore)

Note : les feuilles de prunier sont laxatives, diurétiques, fébrifuges et vermifuges.

Usages thérapeutiques

  • Constipation, constipation opiniâtre (c’est le fruit destiné à tous ceux « qui vont difficilement à la garde-robe », écrivait élégamment Joseph Roques au début du XIX ème siècle)
  • Fruit idéal pour les rhumatisants, les goutteux, les néphrétiques, les hémorroïdaires, les hépatiques, les artérioscléreux, les sportifs, les enfants, etc.
  • Asthénie, surmenage, anémie

Modes d’emploi

Ils sont fort nombreux : l’on peut employer la prune fraîche ou cuite, le pruneau en nature ou également cuit.

  • Prunes fraîches en nature, à jeun, avant les repas
  • Jus de prunes fraîches, à jeun, avant les repas
  • Compote, marmelade de prunes fraîches
  • Décoction de feuilles fraîches
  • Pruneaux désucrés et désacidifiés : fendez des pruneaux dans le sens de la longueur, puis laissez-les tremper dans un bol d’eau pure et tiède durant une douzaine d’heures. Faites-les cuire à grande eau pendant deux à trois heures en changeant l’eau de cuisson trois fois durant cette opération. « Ce procédé constitue un régulateur idéal de la circulation intestinale et de l’appétit, un désodorisant des selles, un moyen puissant de désengorgement du foie et de désintoxication humorale » (6). J’en conviens, ce mode d’administration est très long à mettre en œuvre. Cependant, on a imaginé plus rapide, certains auteurs se sont affranchis de la coction aux trois eaux : ils divisent la durée de trempage par deux et préconisent l’exposition des pruneaux aux rayons du soleil car, disent-ils, « les nutriments endormis par le séchage seront à nouveau stimulés » (7).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • C’est bon les pruneaux, n’est-ce pas ? Il ne faut pas m’en laisser un bol à portée de main sans surveillance, de même que les dattes, les figues, les abricots secs et, bien entendu, les pistaches ! Seulement, il réside qu’un excessif délice de bouche nous sera payé tôt ou tard : si le pruneau déconstipe, une consommation outre mesure mènera à son exact opposé que d’aucuns nomment « prunite », autrement dit une bonne diarrhée. Le juste équilibre en toute chose, comme toujours. C’est donc à dose raisonnable qu’on administrera des pruneaux (sans mauvais jeu de mots ^_^). Particulièrement digestibles, ils sont profitables à ceux qui ne supportent pas la prune fraîche : le convalescent, le vieillard, celui dont l’estomac trop délicat ne peut la supporter. Et, à défaut de pruneaux, ceux-ci pourront s’en remettre à de la confiture de prunes.
  • Alimentation : les usages gastronomiques de la prune ne manquent pas. Le pruneau peut se déguster tel quel comme tout autre fruit sec, en pâtisseries (le far breton, par exemple), en boisson (le jus de pruneaux), avec une viande (gibier, volaille, agneau)… Ils devront être choisis noirs, brillants, moelleux et charnus, de préférence. Mirabelle et quetsche se prêtent à merveille à la confection de pâtisseries, de confitures et d’eaux-de-vie. Elles sont d’excellents fruits de table, à l’instar de la reine-claude.
  • Variétés : la couleur du fruit rend compte de leur multiplicité. Jaune, rouge, jaune rougeâtre, pourpre, violet, bleu, vert… Nous ne listerons pas ici les quelques 400 variétés de prunes qui existent au monde, nous en avons données quelques-unes, ajoutons-y celles qui suivent : prune de Sainte-Catherine, prune de Saint-Antonin, prune précoce de Tours, petit damas noir, gros damas noir, gros damas violet, damas de Maugeron, damas de septembre, gros damas blanc, etc.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 1, Chapitre 136
    2. Grand Albert, p. 248
    3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 166
    4. Ibidem, p. 165
    5. Ente, mot bien connu des cruciverbistes, est un synonyme du mot greffe.
    6. Paul Carton cité par Henri Leclerc, Les fruits de France, pp. 61-62
    7. Roger Castell, La bioéléctronique Vincent, p. 123

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Mirabelle

Le panais (Pastinaca sativa)

Synonymes : pastenade, pastenaille, patenais, grand chervis, racine blanche.

Antiquité et panais ne sont pas choses incompatibles si l’on en croit le chapitre 72 du troisième livre de la Materia medica de Dioscoride : « Du panais sauvage que les Grecs nomment spondylion ». Mouais. Cela me fait penser à la berce, tout ça. Continuons. « La tige, haute d’une coudée et quelquefois plus grande, en la sommité de laquelle la graine y est double, semblable au séseli, mais plus large, plus blanche, et plus écailleuse, de forte odeur. Ses fleurs sont blanches et la racine pareillement blanche, semblable au raifort ». Là, ça tombe mal, puisque le panais est l’une des rares Apiacées à former des fleurs jaunes. De plus, Dioscoride ajoute ensuite que « ce panais naît dans les marais et les lieux aquatiques », alors que le panais préfère les sols secs. Un peu plus avant dans le Livre 3 de Dioscoride, au chapitre 50, l’on rencontre la pastenade, un nom qui est, avec pastenaille et patenais, l’un des quelques surnoms du panais et que l’on retrouve à l’évidence dans son nom latin actuel, Pastinaca. Mais cette pastenade décrite par Dioscoride n’est pas non plus le panais car elle porte également des fleurs blanches. Nous ne sommes donc pas plus avancés. Ce méli-mélo est le reflet d’une migration du mot pastinaca de la carotte au panais au fil du temps. En effet, du temps de Pline et de Columelle, pastinaca désigne la carotte et sera attribué au panais durant le Moyen-Âge.
Paul-Victor Fournier avance que le panais de Dioscoride se dissimule derrière le mot Elaphoboskon. En me référent au site Pl@nteUse, ce terme apparaît bien dans le Livre 3, au chapitre 69. J’ouvre donc le fac-similé de la Materia medica que je possède, traduite en vieux français, éditée à Lyon en 1559 à l’origine. Et là, stupeur ! Non seulement le titre ne correspond pas, mais l’illustration associée à ce chapitre n’a rien à voir avec le texte : tout deux concernent le pyrèthre, une plante de la famille des camomilles ! Bref, concentrons-nous donc sur ce texte : « Il produit des feuilles et une tige comme la carotte et le fenouil sauvage. L’inflorescence est semblable à celle de l’aneth [nda : chose intéressante, les fleurs de l’aneth sont également jaunes]. La racine est grosse d’un doigt, longue, de très fervente saveur [nda : par fervente, entendre brûlante, piquante…]. Elle tire le flegme [nda : l’humeur, le mucus], et par cela en lavant la bouche avec sa décoction faite avec du vinaigre, elle aide aux douleurs dentaires. Mâchée, elle attire le flegme. Ointe avec de l’huile, elle fait transpirer, ayant vigueur sur les longs tremblements. C’est un valeureux remède aux membres refroidies, et amortis de leur opération naturelle ».

Au Moyen-Âge, que d’aucuns qualifient d’âge sombre, on y voit un peu plus clair au sujet du panais. Bien moins répandu aujourd’hui que la carotte qui est l’apiacée dont l’exploitation agricole ne se dément pas, le panais apparaît pourtant dans le Capitulaire de Villis sous le nom de Pastinaca, la carotte sous celui de Carvita. A cette époque, la préférence semble pourtant aller au panais. En tant qu’aliment, il est mentionné dans le Mesnagier de Paris (XIV ème siècle), le Tacuinum sanitatis nous montre une illustration sur laquelle deux personnages procèdent à la récolte des panais. Mais cela ne semble pas être partagé par tout le monde : « Le panais, racine champêtre, n’est pas d’un goût appétissant. Son nom, dit-on, vient du mot paître (1). Encore que le panais soit fort peu nourrissant ». Ainsi s’exprime l’école de Salerne à propos de cette plante dont on peut se demander s’il s’agit du panais sauvage ou cultivé.

Poursuivons la lecture des quelques vers que l’école de Salerne accorde au panais : « Mais il a des vertus qui de toutes les belles méritent de toucher le cœur. D’un amant, d’un époux, il redouble l’ardeur ; réchauffe également les dames, et chez elles ramène tous les mois une utile pâleur ». Que le panais soit aphrodisiaque, c’est bien là une des rares mentions faites à ce sujet dont j’ai connaissance. En revanche, il est plus que probable que le panais est emménagogue. Mais nous considérerons cette information avec circonspection. A peu près à la même époque, Macer Floridus consacre un chapitre de son De viribus herbarum au panais. Outre le fait qu’il réaffirme la puissance aphrodisiaque du panais, il fait intervenir graines et racine dans diverses préparations dans des buts ciblés : affections de la rate et du foie, douleurs lombaires, asthme, dysenterie, douleurs dentaires, affections cancéreuses, etc. N’oublions pas la cerise sur le gâteau : « Le panais est un talisman contre les serpents […] La graine de panais, bue avec du vin, neutralise l’effet de la piqûre du scorpion » (2) !!! Une véritable obsession. Pour donner un ordre d’idée, sur les 77 plantes abordées par Macer Floridus dans le De viribus herbarum, plus de 40 % sont censées neutraliser les venins, une proportion n’ayant aucune commune mesure avec la réalité.
Ces exagérations sont-elles à l’origine de la désaffection du panais ? En tous les cas, on constate son abandon aux environs du XVII ème siècle.

Le panais est une plante de la famille des Apiacées à laquelle appartiennent cerfeuil, persil et autre carotte. C’est une bisannuelle robuste qui peut atteindre le mètre de hauteur, parfois plus. Elle est généralement très ramifiée et porte des tiges raides et poilues, dont l’odeur est fortement développée. Au bout de chaque ramification, on trouve une ombelle (5 à 10 cm de diamètre) de fleurs jaune d’or minuscules (1 mm à peine) qui fleurissent de juillet en septembre et qui donneront des fruits aplatis d’1/2 cm de longueur tout au plus.
Elle est assez fréquente et pousse en basse altitude et sur sols calcaires, sur des friches et prés secs, en bordure de chemin également. Il est possible d’en voir en masse aux abords des voies de chemins de fer.
Il se cultive dans une terre fraîche et très ensoleillée. Il est semé au printemps et ramassé quatre mois plus tard.

Le panais en phytothérapie

Le renouveau des « légumes anciens » sur les étals des marchés nous a habitué depuis quelques années à y rencontrer la racine du panais aux côtés des persils et cerfeuils tubéreux, des rutabagas, des topinambours et autres carottes de différentes couleurs. Ces légumes, tant plaisants à regarder, témoignent d’une demande accrue de la part du consommateur en ce qui concerne la diversité végétale qu’il peut placer en son assiette. Après avoir été longtemps dédaigné et écarté, le panais revient petit à petit à la mode, et il est très fréquent d’en trouver dans des boutiques biologiques et même ailleurs. C’est donc cette racine qui peut pourvoir à un certain nombre d’usages phytothérapeutiques, mais également les parties sommitales du panais, c’est-à-dire ses semences.
De saveur douce et au parfum aromatique agréable, la racine charnue du panais cultivé se distingue de celle du panais sauvage dont l’odeur n’est pas forcément des plus agréables. C’est d’ailleurs sur ce seul point que ces deux panais sont dissemblables. La racine du panais, qui s’emploie exclusivement fraîche, n’a pas eu l’honneur – contrairement à celle de la carotte – d’être précisément étudiée. « L’analyse de cette racine, qui, je crois, n’a pas été faite, serait d’une grande utilité », déplore Cazin dans les années 1850 (3). Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et nous sommes en mesure de combler cette lacune. Et, à propos d’eau, cette racine en contient environ 80 %. Puis viennent des sucres (13 %), des substances azotées (1,5 %), des sels minéraux (1 % dont une grosse proportion de potassium), une huile fixe contenant différents acides (pétrosélinique, oléique, linoléique, palmitique), environ 0,35 % d’essence aromatique, sans oublier cette précieuse provitamine A. Quant aux semences, elles ont été beaucoup moins analysées. Peut-être verra-t-on un jour de l’huile essentielle de panais, car les graines de cette plante contiennent environ 2 % d’une essence aromatique dans laquelle on trouve des acides butyrique, propionique et caprinique. Mais d’ici là, il est toujours possible de porter son attention sur les semences du panais que l’on utilise à fructification complète.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, dépuratif, stimulant rénal, détoxiquant
  • Apéritif, digestif, nutritif
  • Plus ou moins excitant
  • Antirhumatismal
  • Emménagogue (?)
  • Fébrifuge (semences)

Usages thérapeutiques

  • Troubles gastro-intestinaux : perte d’appétit, digestion difficile, ballonnement, affections gastriques
  • Troubles de la sphère urinaire : catarrhe vésical, dysurie, douleurs lithiasiques
  • Troubles de la sphère respiratoire : affections pulmonaires, toux, maux de gorge
  • Hydropisie, œdème
  • Douleurs rhumatismales
  • Fièvre (semences)

Note : mentionnons que la racine du panais est recommandable aux personnes ayant de l’embonpoint, aux phtisiques, aux affaiblis, aux convalescents.

Modes d’emploi

  • Potage, purée de racine
  • Macération vineuse de racine
  • Infusion de semences broyées
  • Racine râpée, crue, en nature

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine se ramasse de l’automne au printemps, mais ses mois de prédilection sont ceux d’hiver, et doit être consommée jeune car, comme l’écrivit le docteur Leclerc, « le panais veut être mangé à la fleur de l’âge ». En effet, on ne gagnerait rien à faire forcir cette racine qui deviendrait ligneuse et, donc, inutilisable, tant pour les arts de la table que pour ceux de la pharmacie. Les feuilles peuvent être cueillies d’avril à juin, les fleurs de juillet à septembre. Enfin, les graines, quand elles sont bien sèches sur pied.
  • Toxicité : elle est minime mais se doit d’être rappelée. Comme tous les membres des Apiacées, le panais secrète une sève photosensibilisante, particularité due aux coumarines et furanocoumarines qu’il contient. De plus, l’on a constaté qu’une trop grande consommation de panais occasionnait des éruptions et des rougeurs cutanées. Enfin, les personnes sujettes à une affection rénale, les dyalisés, etc., se mettront hors de portée du panais.
  • Alimentation : l’histoire du panais se confond avec celle de la carotte qui l’aura largement étouffé. Pourtant, il est proche d’elle par une saveur douce néanmoins plus légère. De valeur nutritionnelle située entre la pomme de terre et le rutabaga, le panais se prêtre à de nombreuses préparations : globalement, toutes les recettes faisant intervenir la carotte sont applicables au panais. Cet aliment doux et sain sera agréablement convié dans les soupes et potages. Cuit à la vapeur, sauté, mijoté, il fait des merveilles. Lors d’une cuisson, il est préférable de n’utiliser que peu de matière grasse afin de faciliter l’absorption de la précieuse provitamine A. Et pourquoi ne pas tout bonnement le râper ? Ajoutons-y un filet d’huile d’olive, le jus d’un citron, du sel, du poivre, des graines de sésame et, chose que je fais souvent, quelques baies roses. En ce qui concerne ses feuilles, elles sont également comestibles, à l’état cru lorsqu’elles sont jeunes, cuites plus âgées. Certains cueillent même les fleurs pour les frire.
  • Autre espèce : Pastinaca urens (panais brûlant), au suc âcre, au contact irritant pour la peau. C’est une espèce méridionale.
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    1. Pastinaca, du latin pasture, renvoie bien sûr à la pâture où paissent les animaux.
    2. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 130
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 677

© Books of Dante – 2017