Le cognassier (Cydonia oblonga)

Synonymes : coignassier, coignier, coudonnier.

Le nom latin du cognassier – Cydonia – est étroitement lié à son histoire même. Inconnu des Égyptiens et des Mésopotamiens, le cognassier était bien connu des Grecs, car il s’agit d’une espèce spontanée qui poussait en bordure de la Mer Caspienne, au nord de la Perse, à l’est de la Turquie, en Grèce septentrionale. Mais le Kydonia (1) d’origine vient de Crète, « ainsi que d’innombrables autres bienfaits, dont la culture du figuier, de la vigne et de l’olivier » (2). En Crète, poussait en effet un cognassier dont Jacques Brosse indique qu’il était déjà cultivé à l’époque minoenne (-2700 à -1200 avant J.-C.). Cela n’est qu’au VII ème siècle avant J.-C. que ce cognassier crétois est introduit en Grèce où, semble-t-il, l’espèce locale sera ensuite greffée sur l’arbre crétois. Présents en Sicile, les Grecs favorisèrent l’expansion du cognassier en Italie, laquelle sera perpétuée par les Romains au fur et à mesure de leur avancée plus au nord de l’Europe. C’est pour cette raison que l’Antiquité, tant grecque que romaine, regorge d’informations concernant le coing. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre qu’Hippocrate utilise ce fruit pour resserrer le ventre et apaiser l’ardeur de la fièvre. Quant à Dioscoride, il en fait un long portrait dans sa Materia medica (Livre 1, chapitre 130). Il dit le coing fort utile à la sphère digestive (flux stomacaux, dysenterie). Déjà, il mentionne son efficacité en cas de prolapsus tant utérin que rectal. Confit au miel, le coing serait diurétique. On en compose des onguents, des emplâtres, des vins, toutes préparations destinées aux mêmes affections dont on reconnaît aujourd’hui au coing la vertu de les endiguer (hémoptysie, métrorragie, vomissement, inflammation des seins, etc.), ce que ne manque pas de partager son contemporain romain, Pline l’Ancien. Selon lui, on devait tracer un cercle de la main gauche autour du cognassier avant d’en déchausser la racine qui, portée en amulette, passait pour guérir les écrouelles. De plus, pendant l’arrachage, il était préconisé d’indiquer « pour qui et pourquoi on arrache la racine de cognassier ».
A cette époque, le coing est tant en faveur que même les poètes s’emparent de lui. C’est ainsi que le chrysomela grec (« pomme d’or » ou « fruit d’or ») est-il appelé malum aureum par Virgile. Quant à Martial, il mentionne la présence de coings confits au miel, de même que Columelle qui indiquera la recette appelée melimela, sur la table des banquets, expliquant que la formule en avait été attribuée aux nymphes qui, disait-on, l’utilisaient pour calmer les vociférations de Zeus enfant. Dans Pétrone (Satyricon) est mentionnée la coutume consistant à piquer un coing d’une myriade de clous de girofle comme on le fait encore aujourd’hui des oranges.
Alors, si les poètes s’en mêlent, par l’intercession des muses, il est normal que le coing entretienne quelque rapport avec les divinités. Tout comme c’est encore le cas à l’heure actuelle dans certaines localités des Balkans, le coing participait aux rites conjugaux. « La fille épiclère (3) a l’obligation de manger du coing avant de s’enfermer avec son époux, et cette indication est donnée par Plutarque dans un contexte où il est question de la naissance d’enfants et où l’époux a l’obligation de s’approcher d’elle au moins trois fois dans le mois. On a aussi interprété cette consommation du coing par la jeune mariée athénienne comme l’expression de sa facilité à vivre le plaisir » (4). Symbole de fertilité et de fécondité, le coing possédait aussi la vertu d’assurer à la femme enceinte la naissance d’un beau garçon « remarquable par la beauté et par l’intelligence » (5). Il est bien possible que les pépins contenus au cœur de ce fruit lui aient valu une telle réputation, quand bien même un fruit comme la grenade en est bien davantage doté, mais c’est surtout le fait qu’Aphrodite ait pris le coing sous sa coupe, aux côtés de ses avatars végétaux habituels que sont la rose et le myrte. Parfois, ne la représentait-on pas portant un coing à la main ?
En Serbie, une pratique appelée « se jeter le coing » rappelle ce que l’on faisait en Sicile avec une pomme. Dans les deux cas, c’est une invitation à l’amour censée conduire au mariage, laquelle trouve son origine dans la mythologie grecque comme nous le narre Angelo de Gubernatis : « On connaît la ruse de l’amoureux Akontius pour obtenir en mariage la belle Cydippe de Délos. N’osant lui faire sa déclaration, il jeta dans le temple de Diane, où elle se rendait pour ses dévotions, un coing avec l’inscription qui suit : ‘Je jure, par la divinité de Diane, de devenir la femme d’Akontius.’ La jeune fille, ayant ramassé le coing, lut à haute voix l’inscription, et par cette lecture, ayant, sans le vouloir, dans le temple de Diane, prêté serment d’épouser Akontius, celui-ci obtint le prix de sa ruse » (6). Le coing porta durant longtemps les qualités d’Aphrodite. Par exemple, on le croise au sein d’un poème d’Edward Lear (1812-1888) intitulé Le hibou et le chat, qui raconte leur rencontre et leurs sentiments : « Ils dînèrent de viande hachée et de tranches de coing qu’ils mangèrent avec une cuillère ; et main dans la main, au bord du sable, ils dansèrent à la lumière de la Lune ».
Comment imaginer que les Grecs firent du coing le fruit du mariage tant il est quasiment immangeable à l’état cru, contrairement à la pomme ? Le coing est-il la pomme d’or de l’éternel désir ou bien la pomme d’or de l’éternelle discorde ? Cru, le coing est acide, râpeux et âcre malgré son odeur délicieusement aromatique et épicée. Est-ce là la tentation ? Pour rendre comestible le coing, il faut le cuisiner, le cuire, lui adjoindre d’autres ingrédients. De la même façon, une connaissance brute peut être elle-même âcre et acide. Et doit subir une transformation dans l’être même. Le fruit croqué par Adam et Eve était-il un coing cru dont la consommation expliquerait la « chute » ? Aucune connaissance n’étant immédiate, est-ce là une façon de nous faire prendre conscience à travers la valeur symbolique du coing que la connaissance se distille à l’intérieur de l’athanor humain ?!!!
De là à dire d’emblée que le coing n’est autre que la pomme d’or du jardin des Hespérides, il n’y a qu’un pas, je vous l’accorde. Et, parlant des Hespérides, c’est une autre figure mythologique féminine qui pointe le bout de son nez : Héra. Je ne reproduirai pas ici ce que j’en ai dit dans l’article consacré au pommier. La ruse (encore !) d’Héra pour séduire Zeus durant la guerre de Troie, avec l’entremise d’Aphrodite, pose question. Se peut-il qu’elle mangea une tranche de coing cru ? C’est tout à fait possible, malgré la saveur âcre et acide généralement associée au coing et dont nous avons parlé plus haut. Seulement… il faut savoir qu’il est comestible cru selon son aire de répartition. Plus il pousse sous un climat chaud (comme l’est celui du Portugal et de la Grèce), plus il devient tendre et juteux, la coction solaire en assurant la consommation. En revanche, un cognassier poussant sous nos latitudes ne se verra pas doté d’un tel privilège, il restera râpeux et désagréablement astringent, ce qui est une frustration tant son parfum fruité est une invitation à croquer dedans. Or, Héra n’était point fille du Nord, et je doute fort qu’elle se soit concoctée une petite compote de coings avant d’embrasser Zeus. Aussi, les pommes du jardin des Hespérides seraient-elles finalement des coings comme certains le prétendent. Rappelant la pomme, on le dit maliforme, et Bauhin, au XVI ème siècle, lui avait donné le nom de Malus cotonea sylvestris. Mais, piriforme, il rappelle aussi la poire ; c’est ainsi que dans Cazin lui est attribué le nom latin de Pyrus cydonia. Mais, bien sûr, le coing n’est ni l’une ni l’autre, et les exégètes se perdent en conjectures quant à l’identité des fruits que portaient les arbres du jardin des Hespérides, dont une chose est sûre, ça n’était ni des oranges ni des citrons.

Les Romains ayant conquis la Gaule, ils durent emporter dans leurs bagages le cognassier. C’est pourquoi il a été également en faveur durant le Moyen-Âge, car dès 795, le capitulaire de Louis le Pieux en recommande la culture dans les jardins de l’empire carolingien. On le retrouve en l’image du Quittenbaum hildegardien. L’abbesse de Bingen affirme qu’il « est assimilé à la ruse (encore !!!), qui est tantôt utile, tantôt inutile » (7). C’est ainsi qu’elle reconnaît son utilité au seul fruit, contrairement aux feuilles et au bois du cognassier. Appliqué sur les plaies de mauvaise nature voire ulcérées, le coing permet aussi d’apaiser les douleur de la goutte, il est pour Hildegarde un bon moyen de lutter contre la sialorrhée, une excessive production de salive. A la même époque, les apothicaires mettent au point le diacydonium, une purée de pulpe de coings cuite au miel et additionnée d’épices, lequel semble être l’ancêtre de notre actuelle pâte de coings.
Au XIII ème siècle, le médecin aragonais Arnaud de Villeneuve conseille le coing aux estomacs délicats, alors qu’au début du siècle suivant, le byzantin Actuarius suggère une préparation à base de coings, de sucre et de vinaigre qu’il dit fort profitable aux fébricitants. Mais, au Moyen-Âge, le coing doit sa célébrité grâce au cotignac, un compromis entre la gelée et la pâte de coings. Recette présente au sein du Mesnagier de Paris (1393), celui produit à Orléans reste encore aujourd’hui l’un des plus célèbres. Peut-être était-ce de lui que, dit-on, Jeanne d’Arc se régalait et après elle Louis XIV.
Au XVI ème siècle, François Rabelais, qu’on connaît pour son ironie mordante mais également pour sa grande érudition, fera parler l’un de ses personnages en ces termes : les coings « ferment proprement l’orifice du ventricule à cause de quelque stypticité joyeuse qui est en eux, et aident à la concoction première ». Rappelons que Rabelais, qui fut aussi médecin, écrivit cela il y a un peu moins de cinq siècles et que cela n’est pas forcément intelligible pour nous, de même pour le docteur Leclerc qui railla le caractère « joyeux » de cette stypticité (autrement dit, son astringence qui n’a, effectivement, rien de réjouissant).
A la suite de ces rabelaiseries, on dit le coing diurétique, apte à faire retrouver sa vigueur à l’estomac ; on le qualifie d’anti-émétique et d’antihémorragique. Certains ont même vu des « signatures », mais elles sont si absconses que je ne m’en ferais pas le relais.

S’il aime l’humidité et les sols frais, il lui faut donc de la chaleur à ce petit arbre caducifolié au branchage tortueux qui ne supporte pas la taille ! Ses jeunes pousses et feuilles sont velues. Par la suite, les feuilles se développent : elles deviennent ovales, vert foncé au-dessus et laineuses sur la face opposée. Aux mois de mai et juin, de jolies et grandes fleurs solitaires aux bouts des rameaux déploient leurs cinq pétales blancs veinés de rose pâle, et donneront naissance aux coings, fruits d’automne veloutés et jaune d’or.

Le cognassier en phytothérapie

De même que le pommier, on ne s’est jamais que guère soucié des fleurs et des feuilles du cognassier, et l’attention s’est presque toujours concentrée sur son fruit, le coing qui présente une double facette : sa pulpe et ses pépins. Le coing, qui communique aisément sa fragrance aux substances qui viennent à son contact, est composé d’une pulpe légèrement acide, âpre et surtout très astringente (ces caractères s’affaiblissent au séchage et disparaissent totalement à la cuisson). Constituée d’environ 70 % d’eau, elle contient aussi des sucres (jusqu’à 10 %), peu de protides et de lipides (respectivement 0,5 et 0,2 %), des acides (malique, racémique), de la pectine, de nombreux sels minéraux et oligo-éléments (magnésium, phosphore, calcium, potassium, fer, cuivre, soufre), des vitamines (provitamine A, vitamines B1, B2, B3, C). Quant aux pépins, ils « contiennent, sous une écorce brune et coriace, une substance blanche, douce, mucilagineuse, tellement abondante que 4 g de ces semences donnent la consistance du blanc d’œuf à 120 g d’eau » (8).

Propriétés thérapeutiques

  • Pulpe : tonique, astringente, apéritive, stomachique, tonique intestinale, antidiarrhéique, tonique hépatique
  • Pépin : adoucissant, émollient
  • Feuille : astringente légère, fébrifuge légère, sédative, détersive et cicatrisante des plaies

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée et diarrhée chronique (chez l’enfant, le vieillard, le tuberculeux, le convalescent), dysenterie, entérite aiguë, aigreur d’estomac, digestion difficile, atonie digestive, flatulences, manque d’appétit, vomissement, irritation des voies digestives, insuffisance hépatique, prolapsus rectal, fissure anale, hémorroïdes
  • Troubles de la sphère respiratoire ; maux de gorge, toux coquelucheuse, bronchite, hémoptysie
  • Troubles buccaux et gingivaux : aphte, gingivite, boursouflement gingival
  • Troubles gynécologiques : hémorragie utérine, métrorragie, leucorrhée atonique, prolapsus utérin
  • Affections cutanées : crevasse, escarre, excoriation, engelure, brûlure, eczéma, gerçure (lèvres, mamelon), démangeaison et irritation des seins, irritation cutanée, sécheresse cutanée, dartre, rides
  • Affections oculaires : conjonctivite, ophtalmie aiguë ou chronique
  • Faiblesse générale, convalescence
  • Nervosisme, insomnie

Modes d’emploi

  • Suc de coing étendu d’eau
  • Sirop de coing
  • Mucilage de pépins étendu d’eau
  • Infusion de coing, de fleurs et/ou de feuilles
  • Décoction de semences
  • Décoction de pulpe de coing
  • Ratafia, liqueur de coing
  • Macération vineuse de coing
  • Macération alcoolique de pelures de coing
  • Gelée, rob, compote

Suggestion de recette : comptez un joli coing entier découpé en tranches fines. Faites le bouillir dans un litre d’eau jusqu’à ce que le volume ait diminué de moitié. Ajoutez 50 g de sucre en cours de cuisson. Variante : remplacez l’eau par du vin, cela rendra cette décoction d’autant plus astringente, du fait des tanins contenus dans le vin rouge. Préconisée en cas de diarrhées rebelles.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Attention de ne pas abuser du coing, en particulier des recettes à base de pulpe cuite car des occlusions intestinales sont possibles.
  • Comestible, le coing est utilisé pour confectionner confitures, gelées, pâtes de fruits, tartes et gâteaux, liqueurs, etc. Au Maroc, il accompagne parfois certains plats de viande. Quant aux fleurs, elles peuvent être confites au sucre, préparées en gelée à l’instar des pétales de rose, et permettent de décorer joliment une assiette.
  • Autrefois, les coiffeurs utilisaient le mucilage de pépins de coing pour lisser les cheveux. On appelait cela la bandoline.
  • Élixir floral : chez la femme, il vise à équilibrer vie active et vie familiale. Il est aussi conseillé aux femmes qui élèvent seules leurs enfants.
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    1. Cydonia est une transformation du nom de la ville grecque de Kydonia, actuelle La Canée, en Crète occidentale.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 299
    3. « La fille dite ‘épiclère’ est celle qui se trouve seule descendante de son père : elle n’a ni frère, ni descendant de frère susceptible d’hériter », Wikipédia.
    4. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, pp. 525-526
    5. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 121
    6. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 105
    7. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 162
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonnée des plantes médicinales indigènes, p. 311

© Books of Dante – 2017

L’églantier (Rosa canina)

Synonymes : rosier des chiens, rosier sauvage, rosier des bois, rose églantine, cynorrhodon, poil-à-gratter, gratte-cul.

Rosier des chiens. Comme c’est peu élégant eu égard à cet arbuste délicat. Mais rien n’est vraiment là par hasard et trouve son explication dans les dédales de l’histoire conjointe des hommes et des plantes. Remontons donc jusqu’à Hippocrate, rien que ça ! A cette lointaine époque, on parle d’une plante qu’on appelle autant Kunobotê que Kunosbatos. Déjà, on mettait à profit son action astringente pour cicatriser les plaies. Afin de présenter au mieux ce que les Anciens ont retenu de cette plante, commençons par partager le court texte que Dioscoride lui accorde (Materia medica, Livre 1, chapitre CV) : « L’églantier est un arbrisseau qui croit un peu plus grand que ne le fait la ronce, et a les feuilles plus larges que celles du myrte. Les épines qui sont à l’entour des branches sont dures et fermes. Il produit une fleur blanche et un long fruit semblable aux noyaux des olives. Lequel, en mûrissant, devient roux et a, par le dedans, une certaine mousse. Le fruit sec et cuit dans le vin et la décoction bue, elle restreint le flux du ventre. Mais premièrement il faut tirer hors cette mousse, pour autant qu’elle nuit à l’artère [nda : la trachée-artère] du poumon ». Si Dioscoride ne décrit peut-être pas Rosa canina, au moins sommes-nous certains d’être face-à-face avec l’une des nombreuses espèces d’églantiers existantes. Poursuivons avec un texte astrologique rédigé en grec et postérieur à Dioscoride, dans lequel on nous présente Kunobotê comme étant une plante de la Lune : « Cette plante guérit les douleurs aiguës qui surviennent sur le buste, l’estomac et les flancs car la Lune est désignée pour être dans le Cancer, qui domine le buste et les flancs. La fleur de la plante bue de façon continue, purifie les rates gonflées, évacue la cause de l’enflure par l’urine et les excréments. Elle passe pour agir sur la rate car la Lune occupe la place de la rate. La racine de la plante portée en amulette est propre à procurer une vue perçante. Elle secourt avec succès ceux dont la vue est affaiblie, puisque la Lune, après le Soleil, s’est vu attribué la lumière des yeux. Elle rétablit ceux dont l’estomac est ulcéré. Elle convient encore à ceux qui souffrent de colique et se tordent de douleur » (1). Cette façon quelque peu surannée d’aborder l’églantier peut nous plonger dans un abîme de perplexité, mais les informations ci-dessus apportées, par leur exactitude, forcent le respect. Par exemple, nous verrons en quoi l’églantier est impliqué dans le bon fonctionnement de la vision. Que pouvons-nous ajouter de plus ? Galien ne fait guère que reprendre Dioscoride, quant à Pline, il reste relativement confus au sujet de son Cynosbatos. C’est à peu près à cette époque que l’histoire du rosier des chiens voit le jour, car selon Pline, « les dieux mêmes […] avaient révélé en songe cette merveilleuse propriété à une mère dont le fils avait été mordu par un chien atteint de cette terrible maladie » (2) qu’est la rage. Il est bien possible que l’on soit allé un peu vite en besogne et que les aiguillons de l’églantier dont la forme évoque celle des crocs d’un chien, soient devenus, par analogie, le symbole de la capacité de l’églantier à être un remède contre les morsures canines. Si l’églantier, par son astringence, ses propriétés antiseptiques, hémostatiques et cicatrisantes, peut soigner ce type de blessure, il est bien évident qu’il n’a rien d’un remède antirabique.

Au XII ème siècle, Hildegarde aura été sensible aux charmes de l’églantier (De bluffa) dont elle dit qu’il « représente l’affection ». Elle en fit un remède pulmonaire, stomacal et anti-asthénique. Ce n’est qu’au début du XVI ème siècle qu’on voit réapparaître l’églantier, alors évoqué en vers (du vieux françois !) par l’apothicaire tourangeau Thibault Lespleigney (1496-1550) :

« Bedegard, sans point de mensonges
Est ressemblant à une esponge
Croissant en la rose canine,
Vertu a de pacifier
Le flux de sang et flux de ventre,
Et conforte quant elle y entre
L’estommach et spasme guérist,
La grande raige des dens lenist
Aussy de sang le crachement
Et faict uriner largement.
A morsure donne remède
Quant de chien enraigé procède. »

Tout à fait clair, n’est-ce pas ? Outre que l’auteur répète une erreur vieille de plusieurs siècles, son poème thérapeutique est assez convaincant, mais il ne sera pas le seul à raviver le souvenir de Pline, puisque le Petit Albert (XVII ème siècle) s’en fera encore le relais. Mais n’allons pas si vite et revenons sur un mot : bedegard, aujourd’hui orthographié bédégar (ou bédéguar), est issu de l’arabo-persan bàdàward, qui signifie « souffle de rose » et fait référence à cette sorte de galle vert rougeâtre, en touffe chevelue et hirsute, que portent parfois les églantiers et dont le responsable est un insecte qui pique et pond dans les bourgeons de l’églantier, le cynips du rosier (Diplolepis rosae). De cette excroissance, on a aussi fait matière médicale. Tragus (1552) et après lui Simon Paulli (1666) s’en servirent comme somnifère, pour guérir les plaies et les brûlures ulcérées, apaiser les maux de gorge, affranchir les intestins de la dysenterie. Aux XVI-XVII ème siècles, nombreux seront les praticiens à faire appel à l’églantier. Ainsi Johann Crato von Krafftheim (1519-1585) conseille le cynorrhodon « pour amender la rougeur de la face, réprimer les vapeurs, tempérer les humeurs, rafraîchir et relâcher les reins et assurer l’expulsion des calculs » (3), tandis que Johann-Karl Rosenberg mentionne en 1631 l’usage d’un électuaire confectionné à base de pulpe de cynorrhodons qu’il employait tant pour les troubles gynécologiques (gonorrhée, métrorragie) que gastro-intestinaux (diarrhée, dysenterie), ainsi que, comme le fera également Pierre Borel (1620-1671), contre les lithiases urinaires. En 1678, Madame Fouquet, la mère du célèbre surintendant des finances de Louis XIV, dans son Recueil de réceptes (un ouvrage co-écrit avec Madame de Montespan, contemporain du Petit Albert et assez semblable dans le fond, où recettes anodines partagent les pages avec d’autres plus « obscures ») propose un « opiat de cynorrhodons » contre les flux de ventre, alors qu’en toute fin de siècle, Nicolas Lémery évoque lui aussi le bédégar : il s’agit d’une « espèce d’éponge, grosse comme une petite pomme, ou comme une grosse noix, de couleur rousse, elle est appelée éponge d’églantier ou bédégar. Elle est astringente, on en tire par distillation une eau propre pour les maladies des yeux. » Au XVIII ème siècle, le médecin français Joseph Lieutaud (1703-1780) donne du cynorrhodon les principales propriétés : diurétique, rafraîchissant, fortifiant stomacal et astringent gastro-intestinal. Puis, au XIX ème siècle, bien que longtemps inscrit au Codex par le biais de la conserve de cynorrhodons (qui en disparaîtra en 1884), l’églantier demeurera surtout un remède populaire, prisé cependant par des Cazin et des Leclerc. Dans ce même siècle, par exemple, dans les Alpes de Haute-Provence, on faisait sécher les cynorrhodons puis on les réduisait à l’état de poudre, formant une « farine » que l’on cuisait en biscuits, alors qu’au XX ème siècle, durant la Seconde Guerre mondiale, les enfants des campagnes anglaises ramassaient autant de cynorrhodons que nécessaire afin d’en élaborer un sirop riche en vitamine C qui était distribué à la population pour éviter les carences.

Hôte rural, voisin du sureau noir, l’églantier draine derrière lui bien des légendes qui disent assez les relations ténues entre un végétal typique et les habitants des campagnes. Voici quelques morceaux choisis pour se faire une idée : « Dans le Berry, conduire son troupeau avec un bâton de bois d’églantier, c’est le mener à la ruine et au malheur ; en Poitou, gare aux jeunes filles qui touchent ou cueillent une fleur d’églantier, leur mariage sera retardé d’une année au moins. Même dans les cimetières il faut se méfier de l’églantine, elle porte malheur aux familles des tombes sur lesquelles elle aura été déposée » (4). Maléfique, l’églantier ? C’est une vision « fortement attestée par une légende qui veut que pour rejoindre le ciel, Lucifer ait eu l’idée de se servir de cet arbuste fleuri pour y parvenir… sans jamais réussir car les aiguillons de l’églantier sont presque tous retournés vers la terre » (5). Précisons que sur le plan symbolique, l’églantier s’est souvent trouvé en opposition avec la rose, de même que l’ivraie est une plante diabolique et le froment d’émanation divine. C’est, dit-on, à un églantier que Judas se serait pendu… Ce qui est, bien évidemment, fort douteux ; j’avais déjà expliqué, en ce qui concerne le sureau, que cette légende devait être prise avec des pincettes, parce que se pendre à un sureau, ça n’est pas le moyen le plus adéquat, alors avec un églantier… Mais l’églantier n’est pas qu’une plante qu’on a, à dessein, dépeinte comme sinistre. Par exemple, en Allemagne, on lui reconnaît le pouvoir d’écarter la foudre et « du côté de Forcalquier, si vous coupez une baguette sur un églantier par une nuit de pleine lune, celle-ci vous permettra de jeter ou d’annuler un sort » (6). Comme c’est le cas pour un incalculable nombre de plantes, l’églantier joue sur l’ambivalence, et n’est pas que sorcellerie et mauvais œil, comme nous le rappelle Pierre Lieutaghi : « Au midi du solstice, il est bon de s’arrêter devant un églantier chargé de fleurs et, les yeux clos, de s’abandonner au parfum tout brodé d’insectes, de s’associer aux louanges de la terre » (7).

L’églantier est un arbuste caducifolié portant des tiges vigoureuses et sarmenteuses, rameaux courbés, retombants ou grimpants selon les supports et la végétation environnante : par exemple, un spécimen isolé en bordure de chemin est souvent de taille plus modeste que son confrère qui peuple la haie. Cela tient à la présence d’une multitude d’aiguillons et non d’épines comme on le lit trop souvent, ce qui est une hérésie, un botaniste vous coupe la tête pour ça, alors, bon, je vous en prie ^_^. Des aiguillons robustes tournés vers le bas, si cela eut été vers le haut, il n’aurait jamais pu grimper, c’est sur lui qu’on se serait appuyé. Donc, après cette digression nécessaire, sachons que l’églantier atteint facilement une taille moyenne de trois mètres, tout au plus cinq. Les feuilles sont caractéristiques des Rosacées : foliacées, à l’impair nombre de folioles plus ou moins ovales et dentées. Il est rare de compter plus de neuf folioles sur une feuille d’églantier. Les églantines – c’est ainsi qu’on appelle parfois les fleurs d’églantier, sont généralement blanches ou rose pâle. Comme de coutume chez les Rosacées, elles portent cinq pétales ainsi que des sépales verts qui choient au sol avant fructification. Groupées en corymbes ou solitaires, mesurant de 2 à 8 cm de diamètre, elles s’épanouissent de mai à juillet et envahissent l’air d’un doux parfum. Après floraison, petit à petit, les fruits apparaissent. Ovoïdes, lisses et charnus, de couleur rouge orange corail, ce sont en réalité des pseudo-fruits. Ils sont produits par le réceptacle floral devenu pulpeux, lequel renferme les vrais fruits, des carpelles poilues que les garnements désignent sous le sobriquet de poil-à-gratter et qu’ils se font un malin plaisir de glisser dans le t-shirt de leurs petits camarades, les bougres !
Espèce végétale très ancienne comme l’attestent les fossiles qu’on a retrouvés, elle est encore largement présente dans les régions tempérées d’Europe, d’Asie et d’Afrique du Nord, tant en plaine qu’en montagne (1800 m). L’églantier affectionne particulièrement les terrains hostiles tels que broussailles, friches, lisières de champs et de forêts, bosquets, talus mal entretenus, haies, etc.
Il demeure, même encore aujourd’hui, une espèce de choix pour opérer les greffes des rosiers cultivés. Ne dit-on pas que l’églantier en est l’archaïque grand-père ?

L’églantier en phytothérapie

De l’églantier, l’on pourrait employer les feuilles, mais l’on ne s’en est jamais servi que comme succédané du thé et du tabac. Nous en fournirons pourtant quelques informations plus bas. Qu’à cela ne tienne, l’églantier n’est pas dépourvu de bienfaits, bien au contraire : les fleurs, mais elles n’ont aucune commune mesure avec ce qu’elles produisent à l’automne, c’est-à-dire les cynorrhodons, dont on utilise la pulpe ainsi que des graines qui n’en sont pas puisqu’il s’agit de carpelles. Les plus aventureux peuvent même jeter leur dévolu sur les poils qui les garnissent, mais ça n’est pas une sinécure !
Les fleurs contiennent des acides (malique, citrique), du sucre, de la gomme, une résine, de la cire, du tanin, une huile grasse ainsi qu’une essence aromatique. Les carpelles, dont la décoction dégage une douce odeur de vanille, recèlent de la vanilline. Quant aux cynorrhodons, ils sont, on peut le dire, la quintessence de ce que l’églantier est capable d’offrir. Composé d’eau à près de 50 %, un cynorrhodon affiche un taux de glucides avoisinant les 20 %. A cela, ajoutons 4 % de protides et seulement 0,4 % de lipides. Mais ne nous arrêtons pas en aussi bon chemin. Là encore, on retrouve acides malique et citrique, résine, tanin (2 à 3 %), essence aromatique (traces), mais surtout 20 à 25 % de pectine, des flavonoïdes, du sorbitol et, pour finir, une incomparable richesse en vitamines : provitamine A, vitamines B1, B2, B3, E, K et tout particulièrement C : jusqu’à 1700 mg au 100 g de pulpe de cynorrhodons frais ! Imaginez un peu : 1,7 % ! Pour donner un ordre d’idée, un seul cynorrhodon fournit autant de vitamine C qu’un gros citron. Et après, certains vont « s’amuser » avec des baies de goji, tss… Quelques données chiffrées concernant les sels minéraux et, là aussi, ça cartonne : aux 100 g de pulpe fraîche, nous trouvons 146 mg de sodium, 257 mg de calcium, 258 mg de phosphore et 290 mg de potassium. Clôturons cette rubrique en mentionnant que le bédégar est surtout riche en tanin.

Propriétés thérapeutiques

  • Fleur : laxative, tonique
  • Feuille : astringente, cicatrisante, tonique
  • Carpelle : sédative
  • Cynorrhodon : diurétique, dépuratif, tonique, fortifiant, anti-anémique, antirachitique, antiscorbutique, renforce les défenses immunitaires, astringent, cicatrisant, hémostatique, anti-oxydant, nutritif, apaisant de la soif, vermifuge, anti-inflammatoire, actif sur la vision crépusculaire (cf. provitamine A)
  • Bédégar : équilibrant nerveux, somnifère, tonifiant, astringent, cicatrisant, stimulant des fonctions gastriques

Usages thérapeutiques

  • Fleur : constipation légère, irritation de la muqueuse intestinale
  • Feuille : crachement de sang, crampe d’estomac, diarrhée
  • Carpelle : palpitation, insomnie, agitation nocturne, nervosité, instabilité nerveuse, anxiété, angoisse
  • Cynorrhodon :
    – Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase urinaire, douleur lithiasique, catarrhe vésical, colique néphrétique (notons que le cynorrhodon est un diurétique non irritant pour les reins)
    – Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée (y compris celles des enfants et des tuberculeux), dysenterie, entérite, atonie des voies digestives, inflammation gastrique, parasites intestinaux (ascaris), ténia (médecine populaire en Suisse)
    – Asthénie, avitaminose, scorbut, fatigue printanière, épuisement, convalescence, déficience immunitaire, sensibilité aux infections (dans la grippe, par exemple, le cynorrhodon est un très bon préventif, de plus il permet d’abaisser la fièvre, d’accélérer l’élimination des déchets, de rétablir les forces, de renforcer le système immunitaire), rhume, refroidissement
    – Affections cutanées : plaie, ulcère atone, brûlure, hémorragie
    – Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, gonorrhée
    – Ostéo-arthrite
  • Bédégar : néphrite, insomnie, agitation (autrefois, on en garnissait les taies d’oreiller, comme on l’a couramment fait avec les cônes de houblon car, disait-on, le bédégar a la faculté de favoriser le sommeil et les rêves prémonitoires, mais il s’agit là d’une toute autre histoire)

Modes d’emploi

  • Infusion des fleurs, des feuilles, des cynorrhodons, des carpelles ou des bédégars
  • Décoction des cynorrhodons ou des carpelles
  • Teinture
  • Poudre de cynorrhodons secs
  • Macération acétique ou huileuse des fleurs
  • Macération vineuse de bédégars secs
  • Sirop de cynorrhodons
  • Vin et liqueur de cynorrhodons
  • Confiture, gelée, marmelade de cynorrhodons

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles en avril et mai, les fleurs durant les mois de juin et juillet, les cynorrhodons après les premières gelées, ils sont alors davantage sucrés et pulpeux.
  • Il est impératif de filtrer soigneusement les infusions et les décoctions de cynorrhodons afin d’éviter d’absorber les poils irritants qu’ils contiennent, car ce qui vaut pour la peau vaut également pour les muqueuses : ces duvets occasionnent de douloureuses démangeaisons. Bien que cela se dissipe au bout d’une heure environ, l’expérience n’est guère agréable. Leur richesse en acide citrique semble expliquer ce phénomène.
  • Cuisine : l’usage culinaire de l’églantier n’est plus à prouver. Il est déjà fort ancien puisqu’il remonte à l’Antiquité, et concerne tant les fleurs que les cynorrhodons : ce sont autant de confitures, bonbons, boissons (vins, sirops, thés), mais aussi des purées de cynorrhodons accompagnant viandes et gibiers comme cela se fait en Suisse et en Allemagne, sauce pour pâtes et pizzas (en compagnie de tomates) ou, pourquoi pas, en soupe, tel que cela se pratique en Suède où la soupe nationale – le nyponsoppa – est élaborée à base de cynorrhodons.
  • Élixir floral : Wild rose, du docteur Bach, appartient au groupe de l’indifférence. Élixir préconisé pour les personnes passives ayant perdu espoir. C’est donc un élixir qui développe enthousiasme et implication quand résignation et abandon battent l’esprit en brèche.
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    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 294
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 838
    3. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 194
    4. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, p. 59
    5. Ibidem, p. 60
    6. Ibidem
    7. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 221

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La pulmonaire officinale (Pulmonaria officinalis)

Synonymes : grande pulmonaire, pulmonaire des bois, herbe aux poumons, herbe de cœur, herbe de tac, herbe au lait de Notre-Dame, sauge de Jérusalem, sauge de Bethléem.

On a longtemps prétendu que la pulmonaire n’était que d’usage récent et qu’elle fut inconnue du Moyen-Âge, ce en quoi il est permis de douter car, dans les écrits d’Hildegarde, il est fait référence à une plante que l’abbesse appelait Lunckwurtz, dans laquelle on a vu la pulmonaire, très certainement parce qu’Hildegarde réservait essentiellement cette plante à des usages pectoraux : « Si toutefois on a le poumon enflé au point d’étouffer et d’avoir peine à retrouver son souffle, faire cuire de la pulmonaire dans du vin, en boire souvent à jeune, et on sera guéri » (1). A ces quelques lignes, l’on peut associer une image : à la BNF se trouve un manuscrit italien du XIV ème siècle sur lequel figure une plante dont il serait difficile de renier l’identité, d’autant que le mot pulmonara est bel et bien mentionné sous cette illustration (cf. ci-dessous). C’est sans doute la première fois que ce nom lui est attribué. Cependant, attention aux confusions, car il existe une autre pulmonaire, un lichen du nom de Lobaria pulmonaria. Présent chez Dioscoride, comme nous le rappelle Matthiole dans ses Commentaires (1554), « il y a aussi une autre herbe, vulgairement appelée pulmonaria, à feuilles de buglosse ou de bourrache et dont les fleures rappellent la cynoglosse ». Mais cette pulmonaire officinale n’apparaît pas chez Dioscoride. « Les herboristes expérimentés [par décoction concentrée de la plante ou grâce au suc des feuilles additionné de sucre] lui attribuent une réelle efficacité pour la guérison des ulcères du poumon », ajoute Matthiole. Aujourd’hui encore, on ne compte pas un seul ouvrage de phytothérapie qui évoquerait la pulmonaire sans faire référence à la théorie des signatures. Cette dernière a attribué à la pulmonaire des propriétés permettant d’agir sur la sphère respiratoire, en raison de ses feuilles aux taches alvéolées qui évoquent un poumon constellé par les tubercules de la phtisie, d’où le fait qu’on se soit imaginé cette plante comme capable de guérir la tuberculose, ce qui, à une époque plus récente, fut regardé comme les fariboles d’un doux dingue. C’est cette exagération, ou du moins l’incompréhension des modernes au sujet des Anciens, qui a valu à la théorie des signatures d’être abondamment raillée. Pourtant, cette théorie fonctionnant par analogie s’applique à de très nombreuses plantes parmi lesquelles nous pouvons citer le saule, la chélidoine, la prêle, la noix, etc. Si la pulmonaire ne guérit pas un tuberculeux (dans le sens où elle n’inhibe pas ni ne détruit le bacille de Koch), il doit être souligné que le calcium, le potassium, la silice et le tanin qu’elle contient sont de bienfaisants agents sur ce type de pathologie. Non reconnue académiquement, il n’en reste pas moins que la pulmonaire est demeurée longtemps un remède populaire comme en témoigne Cazin en 1858 : « Les habitants de la campagne […] composent avec la pulmonaire, le chou rouge, quelques oignons blancs, du mou de veau et une suffisante quantité de sucre candi et d’eau, un bouillon que j’ai moi-même employé avec beaucoup de succès dans les affections de poitrine » (2). D’autres variantes de cette recette intègrent des navets et du cresson. Tout cela n’empêche pas la pulmonaire de tomber dans une certaine forme de disgrâce, alors que ce sont d’autres Borraginacées – la grande consoude et la bourrache – qui tiennent à l’heure actuelle le haut du pavé.

Vivace à rhizome, poilue et rugueuse, la pulmonaire se présente comme une plante assez petite (40 cm au maximum), d’apparence trapue. Elle s’orne de feuilles cordiformes à la base n’apparaissant qu’après floraison, et des feuilles ovales et engainantes dans les parties supérieures. Toutes portent les caractéristiques taches blanchâtres dont nous avons parlées. Les fleurs – corolles d’une seule pièce comptant cinq lobes – en bouquets terminaux, émergent très tôt au printemps, au mois de mars et achèvent leur complet épanouissement deux mois plus tard, non sans être passées par toutes les couleurs : elles sont tout d’abord rouges à l’état de boutons, puis pourpres, enfin bleu violacé à pleine floraison. Ces dissemblances s’expliquent par une modification du pH des fleurs au fur et à mesure de leur évolution.
Fréquente en Europe centrale et septentrionale, la pulmonaire l’est beaucoup moins en France où elle semble suivre une ligne nord-sud matérialisée par les frontières avec l’Allemagne, la Suisse et le nord de l’Italie. C’est ainsi qu’on peut croiser son chemin dans les Vosges, le Jura, les Alpes, mais toujours à une altitude comprise entre 1000 et 1800 m. Récemment, on vient de me signaler sa présence dans les Pyrénées (merci à mon informatrice ^_^).
Elle s’implante sur des sols riches et ombragés : bordures de ruisseaux, bois clairs, talus humides, haies, pâturages de montagne.

La pulmonaire officinale en phytothérapie

Plante sans odeur, la pulmonaire est de saveur astringente quelque peu mucilagineuse, un indice révélant la présence dans ses tissus (plante fleurie à l’exception du rhizome et des racines) de tanins (10 %) et d’un peu de mucilage. En plus de cela, matières grasses et résineuses accompagnent flavonoïdes, polysaccharides et saponines (9 %). La pulmonaire, tout comme sa cousine la grande consoude, attire notre attention par l’allantoïne, agent adoucissant et hydratant, présent dans bien des produits cosmétiques, mais surtout par une intéressante proportion d’acide silicique (4 à 5 %) qui, comme on le sait aujourd’hui, permet l’excrétion rénale de l’aluminium. En dehors de cet oligo-élément, la pulmonaire contient calcium, phosphore, potassium et jusqu’à 50 mg de vitamine C aux 100 g de feuilles fraîches. Enfin, contrairement à la bourrache et à la grande consoude, il n’existe aucun alcaloïde dans la pulmonaire.

Propriétés thérapeutiques

  • Adoucissante, émolliente
  • Pectorale, expectorante, fluidifiante des sécrétions bronchiques
  • Diurétique
  • Sudorifique
  • Hémostatique, astringente (elle l’est davantage encore une fois sèche)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : irritations pulmonaires et bronchiques, bronchite chronique, catarrhe pulmonaire, asthme, coqueluche, difficulté d’expectoration, irritation de la gorge, toux chronique, enrouement, hémoptysie, adjuvant dans la tuberculose
  • Trouble de la sphère urinaire : lithiase, strangurie, atonie vésicale
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie
  • Affections cutanées : plaie, blessure, blessure saignante, engelure, dartre
  • Hémorroïdes

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles et/ou de sommités fleuries
  • Décoction de feuilles et/ou de sommités fleuries
  • Poudre de feuilles sèches

Suggestion de recette : pulmonaire (1/3) + tussilage (1/3) + plantain (1/3)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : à floraison pour un usage immédiat. Les feuilles, dès la fin du printemps.
  • Confusion : il est possible de ne pas faire la différence entre la pulmonaire officinale et d’autres pulmonaires, en particulier la pulmonaire à longues feuilles (Pulmonaria longifolia), mais cette dernière partage les mêmes caractéristiques médicinales que la pulmonaire officinale. Il n’y a donc pas lieu de s’en émouvoir.
  • Cuisine : les feuilles à l’état jeune sont parfaitement comestibles, tant crues et ciselées en salade, que cuites en potage avec, au choix, plantain, ortie, mouron des oiseaux ou encore oseille. Plus âgées, mieux vaut les faire cuire, sachant qu’elles sont alors plus « coriaces ». On peut les ajouter aux farces, viandes hachées, omelettes, etc. Gustativement, elles se rapprochent de la saveur des feuilles de consoude et de bourrache. Quant aux fleurs, pourquoi ne pas en décorer une salade ou un plat de crudités ?
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    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 35
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 796

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Le lichen d’Islande (Cetraria islandica)

Synonymes : mousse d’Islande, cétraire d’Islande, orseille d’Islande.

Le mot lichen est issu du latin mais avant lui du grec leikhêin qui signifie « qui lèche », tant sa capacité à élire domicile sur des supports variés est immense. On compte plus de 20000 lichens connus qui colonisent tous les milieux ou presque de l’hémisphère Nord (toundra, zones montagneuses et humides, etc.), de formes diverses (arbuscules, croûtes, lames foliacées, etc.), aux coloris variés (jaune, vert, orange, gris, brun, etc.) dépendant des taux d’humidité et de luminosité auxquels les lichens sont exposés, sur de multiples supports (sol, rochers, troncs et branches d’arbre, feuilles, toit des maisons, murs, objets métalliques, vitraux des églises ; d’autres encore s’agrippent sur la carapace de certaines tortues, etc.).

Qu’est-ce qu’un lichen ? Les lichens sont des organismes doubles composés d’un champignon et d’une algue. Champignon et algue sont réunis en symbiose, association dans laquelle chaque partie tire bénéfice de sa juxtaposition si intime qu’ils nous paraissent former un organisme unique. Ce qui est le cas, car ni l’un ni l’autre des protagonistes ne saurait faire seul ce qu’ils réalisent à deux. Le champignon met sur la table l’eau et les sels minéraux indispensables à l’algue pour qu’elle effectue la photosynthèse, de plus il lui permet d’éviter la déshydratation. Quant à l’algue, elle apporte sucres et vitamines au champignon.

Chez la plupart des lichens, l’un des symbiotes, le champignon, fait partie des Ascomycètes (chez quelques espèces exotiques c’est un basidiomycète qui remplit ce rôle). Les algues appartiennent soit aux Chlorophycées, soit aux Cyanophycées. Ordinairement ce sont des champignons bien définis qui entrent en symbiose avec des espèces algales données.

Les lichens se multiplient soit par des fragments de leur thalle contenant à la fois les hyphes du champignon et les cellules des algues, soit par agglomération du mycélium du champignon enserrant des algues unicellulaires (gonidies), se formant dans des coupes spéciales à la surface du thalle.

Forme de symbiose très ancienne puisqu’on estime à 500 millions d’années (1), et peut-être davantage, la rencontre entre algues et champignons, le lichen est un organisme doté de caractéristiques particulières. Du fait de ses aires de répartition, il est doué d’une très grande résistance. Il possède ce que l’on appelle la capacité de reviviscence. Lorsqu’il se déshydrate, il se recroqueville et réduit ses fonctions physiologiques. Et se régénère à la première trace d’humidité, sous forme de pluie, par exemple, ou de rosée matinale ou encore de vapeur d’eau contenue dans l’air. Il pousse très lentement, de l’ordre de quelques millimètres par an, d’où la taille minime de la plupart des lichens. Si le substrat est particulièrement ingrat, la croissance peut ne pas excéder 0,1 mm par an ! Cependant, il compense cela avec sa longévité, parfois exceptionnelle, puisqu’on a retrouvé dans les Alpes des lichens dont l’âge a été évalué à plus de 1000 ans ! S’il pousse si lentement, c’est qu’il ne bénéficie pas toujours des bienfaits de la photosynthèse. En effet, ce phénomène n’est possible que lorsque le lichen est humide. Ainsi, un lichen se développant sur un rocher exposé en plein soleil, devra attendre le petit matin, moment qui conjugue pour lui, une humidité et un ensoleillement à même de pouvoir mettre en branle le système de photosynthèse.

Enfin, c’est un pionnier des hauteurs et des rochers. Là où plus rien ne pousse, subsiste le lichen. Le record d’altitude est détenu par Lecanora polytropa qu’on a découvert à 7400 m dans la chaîne himalayenne. Il est aussi connu pour peupler des territoires d’où les plantes à fleurs sont quasi absentes, comme par exemple l’Antarctique qui compte près de 300 espèces de lichens contre seulement deux espèces de plantes à fleurs. Les conditions de vie qui sont les siennes lui ont expérimentalement permis de montrer qu’il résistait pendant plusieurs heures à une température proche du zéro absolu (- 273,15° C), de même qu’à une forte chaleur (100° C).

Maintenant, venons-en plus particulièrement au lichen d’Islande. C’est un « grand » lichen puisque sa hauteur atteint une dizaine de centimètres, mais c’est dire les efforts qu’il a dû faire pendant de longues années ! Il présente un thalle brunâtre, parfois vert olive, mou et ramifié en lanières ascendantes et buissonnantes à consistance de cuir. La surface du thalle est ponctuée çà et là d’ocelles rougeâtres qui ne sont autres que les apothécies, c’est-à-dire les réserves. C’est leur forme de bouclier en cuir porté par les fantassins romains, la cetra, qui a donné son nom au cétraire d’Islande.
Il est présent sur toutes les régions froides et montagneuses de l’hémisphère Nord : Norvège, Islande, Groenland, Alpes, Pyrénées, Vosges, Auvergne, sur landes, rochers, écorce des arbres (conifères surtout), tourbières, etc. Plus la latitude baisse, et plus le lichen d’Islande prend de l’altitude. C’est pourquoi en France on ne le trouvera pas en plaine comme cela peut être le cas en Scandinavie, mais plutôt à 2500 m d’altitude.
Compte tenu de sa lente croissance, il est préférable d’éviter de le récolter en trop grande quantité, d’autant qu’il est menacé par la pollution de l’air dont il dépend essentiellement.
Le lichen d’Islande n’a fait irruption dans la matière médicale qu’à la fin du XVII ème siècle. Au XVIII ème siècle, plusieurs monographies lui furent consacrées et, au siècle suivant, des analyses biochimiques réalisées. Dans les régions septentrionales ainsi qu’en Allemagne, c’est resté un remède populaire fort réputé pour des affections que nous retrouverons plus loin, et auxquelles on peut rajouter les suivantes : scorbut, mal de Bright, colique, enrouement, amaigrissement, etc.

En haut de la deuxième colonne en partant de la gauche, on voit bien les apothécies rougeâtres du lichen d’Islande dont la forme en bouclier a donné son nom au Cetraria islandica.

Le lichen d’Islande en thérapie

Les thalles du lichen d’Islande sont particulièrement riches d’hydrates de carbone et de polysaccharides de structure assez proche de celle de l’amidon. Mais ce lichen ne contient pas que cela : de l’acide usnique aux propriétés antibiotiques, de l’acide lichenstéarique, du mucilage, un principe amer du nom de cétrarin(e) ou acide cétrarique, enfin des sels minéraux (phosphate, calcium, potassium).

Propriétés thérapeutiques

Le lichen d’Islande, de par les 2 à 3 % de cétrarine qu’il contient, s’avère particulièrement amer en infusion et en décoction. C’est pourquoi les populations scandinaves le cuisaient dans le lait, après l’avoir débarrassé de son principe amer par décoctions répétées. Sucré, il était alors consommable. La macération dans de l’eau froide alcaline durant vingt-quatre heures a le même effet. Une fois sec, le lichen était pulvérisé et jouait le rôle de farine. En phytothérapie, il n’en va pas de même, tous les remèdes ne goûtent pas forcément le bonbon à la violette. Cependant, une chose curieuse a été remarquée : une première décoction ne supprime pas la cétrarine, alors qu’une seconde, oui. Et, dans un cas comme dans l’autre, les propriétés du lichen d’Islande diffèrent :

  • Quand il est privé de sa cétrarine, il est beaucoup plus « agréable », mais, bien sûr, beaucoup moins actif. Il n’en reste pas moins qu’il est alors diurétique, expectorant, émollient, adoucissant, fortifiant et reconstituant.
  • Dans le cas contraire, la première décoction se révèle être tonique, stimulante, antitussive, anticatarrhale, antispasmodique et antivomitive.

Hormis ces deux profils qui nous rappellent qu’un lichen est l’association de deux organismes, le lichen d’Islande agit favorablement sur la sphère gastro-intestinale (apéritif, digestif, stomachique, il accélère et régularise le péristaltisme gastro-intestinal). Ajoutons à cela ses propriétés anti-anémiques, stimulantes du système nerveux central, fébrifuges et antibactériennes.

Usages thérapeutiques

-Lichen à cétrarine

  • Troubles de la sphère pulmonaire : hémoptysie, catarrhe chronique, asthme humide, toux rebelle, toux quinteuse
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie des organes digestifs, dyspepsie atonique, dysenterie, diarrhée
  • Vomissements incoercibles : toux émétisante, état cholémique, vomissement migraineux, chloroformique, lié à la grossesse
  • Abattement des forces, épuisement, convalescence après maladie infectieuse, fatigue générale, anémie

-Lichen sans cétrarine

  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : affections catarrhales aiguës, maux de gorge, toux sèche, irritation du larynx
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : irritation gastro-intestinale, diarrhée avec irritation, colite, acidité gastrique, inappétence, indigestion
  • Inflammations buccales

En outre, le lichen d’Islande s’utilise en cas de fièvres intermittentes, de sueurs nocturnes et de mal de mer ou des transports.

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Décoction première
  • Décoction seconde
  • Teinture-mère
  • Alcoolature
  • Poudre

Notons que si l’on fait bouillir ce lichen assez longtemps, on obtient une gelée très utile pour stimuler les enfants affaiblis par une coqueluche ou une bronchite. Elle est également très efficace dans les cas de diarrhées chroniques et de diarrhées des tuberculeux.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • L’usage du lichen d’Islande est déconseillé en cas d’ulcères gastro-duodénaux et d’ulcères intestinaux.
  • Il existe d’autres lichens utilisés en thérapie : la parmélie du tilleul (Parmelia tiliacea) et la pulmonaire (Lobaria pulmonaria), qui ont toutes deux des effets semblables au lichen d’Islande.
  • Du lichen d’Islande, on a fait des usages tinctoriaux, de même qu’avec de très nombreux autres lichens. Contenant une petite fraction d’essence aromatique, le lichen d’Islande a joué un rôle dans la parfumerie comme note de fond et fixateur. Aujourd’hui, l’on connaît mieux l’absolu de mousse de chêne (Evernia prunastri).
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    1. Les plus anciens fossiles de lichens datent du Cambrien (- 541 millions d’années à – 485 millions d’années).

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Le mouron des oiseaux (Stellaria media)

Synonymes : mouron blanc, mouron d’hiver, herbe à l’oiseau, bec de moineau, morgeline, alsine, stellaire.

Dans le deuxième livre de la Materia medica de Dioscoride, on rencontre une présentation de deux « morgellines », l’une mâle, l’autre femelle (chapitre 171). Mais il s’agit du mouron rouge dont les fleurs peuvent parfois être bleues. Un peu plus loin, chapitre 176, un mouron aux fleurs célestes est décrit, mais il ressemble fort à un myosotis. C’est seulement au quatrième livre, chapitre 75, qu’on lit ceci : « Du mouron, que les Grecs et les Latins appellent alsine ». Là, pas de doute, c’est bien de notre mouron des oiseaux dont il s’agit, alsine n’étant que l’ancien nom latin de notre plante (Alsine media). « Le mouron […] naît dans les lieux ombragés et couverts », nous raconte Dioscoride qui poursuit en disant qu’il « peut utilement servir, avec de la farine de blé, contre les inflammations oculaires. En cas de douleurs auriculaires, on peut également introduire son jus dans l’oreille. » De plus, il en fait un remède astringent et rafraîchissant.

Puis, c’est le trou noir pour le mouron. Rien au Moyen-Âge, ni à la Renaissance. Au XIX ème siècle, Cazin n’en parle même pas, au suivant Leclerc non plus. En revanche, en France, au XIX ème siècle, on lui voit jouer un rôle autre que médicinal : le mouron des oiseaux était récolté puis vendu par les marchands de mouron, une activité qui permettait de mettre du beurre dans les épinards, à condition d’en avoir, mais elle reflète surtout la grande indigence de nombre d’habitants des faubourgs. « On en pourrait écrire presque autant sur les pauvres diables qui exercent cette industrie très curieuse, spéciale aux grandes villes, consistant à trouver péniblement dans la flore plus ou moins maigre des banlieues, des produits vendables aux pauvres gens et à les offrir en pleine rue… […] Se faire du mouron n’est pas une sinécure et c’est surtout la promesse et la crainte, souvent réalisées, de lendemains difficiles et sombres » (1). Ces vendeurs ambulants vendaient aussi du mouron comme nourriture destinée aux oiseaux qui en raffolent, d’où les noms d’oiseaux que porte la stellaire, dont l’un, morgeline, est la contraction du verbe mordre et du mot geline, terme vieilli désignant la poule qui, dit-on, est friande de mouron.

Annuelle ou vivace à vie courte, le mouron des oiseaux se rencontre tant en Europe qu’en Asie. Il se compose de tiges molles et charnues, relativement ramifiées, portant des feuilles opposées et ovales, s’achevant par une pointe. Souvent étalé sur le sol où il forme d’épais tapis, demi-couché devrions-nous dire, il lui arrive pourtant d’atteindre une vingtaine de centimètres lorsqu’il se dresse. Ses petite fleurs comptent cinq pétales blancs profondément divisés en deux, ce qui donne l’impression qu’il en porte dix en tout. Les sépales forment une étoile à cinq branches, ce qui explique le nom latin de stellaria (stella, « étoile »). Chose remarquable, le mouron des oiseaux peut rester fleuri toute l’année, il lui arrive même d’ouvrir ses pétales sous la neige.
Le mouron des oiseaux est une espèce que l’on peut dire rudérale, ce qui signale sa présence aux abords des activités humaines : décharges, décombres, bordures de chemins, terres en friche ou cultivées. En ville, on peut le croiser au pied des murs, niché dans une anfractuosité du goudron et des trottoirs. Dans tous les cas, il apprécie les sols humides, riches et azotés, et ce jusqu’à 2000 m d’altitude. Et c’est parce qu’il a tendance à coloniser ces terrains – le jardin n’est pas non plus exempté de sa présence – qu’on l’a tout d’abord regardé comme une « mauvaise herbe envahissante ». Mais on s’est par la suite rendu compte que sa présence dans les champs cultivés, les vignes, etc. était profitable pour au moins trois raisons : la préservation de l’humidité du sol, la lutte contre son érosion, favorisant une couverture protectrice même durant les froids hivernaux.

Le mouron des oiseaux en phytothérapie

La plante fleurie fraîche propose bien des choses intéressantes : source de vitamines (A, B, C) et de sels minéraux (fer, magnésium, calcium, potassium, silice), la stellaire contient des flavonoïdes dont la rutine, de la coumarine, de la saponine, enfin des acides carboxyliques.

Propriétés thérapeutiques

  • Pectorale, expectorante
  • Tonique générale
  • Digestive
  • Diurétique
  • Adoucissante, calmante, rafraîchissante
  • Astringente légère, détersive, résolutive, cicatrisante
  • Purifiante
  • Permet le tarissement de la lactation

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère pulmonaire : pneumonie, hémoptysie, catarrhe pulmonaire (2)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation et catarrhe des reins et de la vessie, néphrite, cystite
  • Affections cutanées : inflammation et irritation cutanée, démangeaisons eczémateuses et psoriasiques, urticaire, plaie superficielle, plaie ouverte, ulcère de jambe, ulcère de mauvaise nature, lupus, érythème fessier du nourrisson
  • Inflammations intestinales
  • Hémorroïdes
  • Rhumatisme articulaire
  • Troubles oculaires

Modes d’emploi

  • Infusion de plante fraîche
  • Décoction de plante fraîche
  • Suc frais
  • Teinture
  • Cataplasme de feuilles fraîches hachées

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut se pratiquer dès le mois de mars (j’en cueille moi-même depuis une quinzaine de jours) et se poursuivre durant de longs mois, au fur et à mesure des besoins. Je ne conseille pas le séchage, il amoindrit grandement la qualité de la plante qu’il est, au contraire, préférable de consommer fraîche. Une fois cueillie, elle se conserve facilement pendant quarante-huit heures au bas du réfrigérateur, elle présente cet intérêt de ne pas être des ces plantes qui se flétrissent rapidement. Mais ne tardez pas trop pour en faire la consommation, que ce soit pour un usage phytothérapeutique ou alimentaire. Lors de vos cueillettes, prenez soin d’éviter les lieux passants, les abords de route, etc., enfin toutes sortes de lieux qui pourraient vous laisser craindre que le mouron qui y pousse ait subi une quelconque pollution. Ce qui est assez frustrant, car, justement, le mouron adore ces endroits !
  • Cuisine : le mouron des oiseaux est une plante nutritive et doucement savoureuse. Même fleuri, il est excellent en salade (soit seul, soit accompagné de pissenlit, de lierre terrestre, de lamier blanc, etc.). Cuit, on peut l’incorporer à une soupe, un velouté, une omelette, une farce ou tout simplement le cuire à la manière des épinards.
  • Autres espèces : la stellaire des bois (Stellaria nemorum) et la stellaire holostée (Stellaria holostea).
  • Faux ami : le mouron rouge des champs (Anagallis arvensis). Petite plante tapissante comme le mouron des oiseaux, ce mouron s’en distingue aisément, ayant les fleurs rouges. Si elles peuvent parfois être bleues ou roses, il leur arrive d’être blanches, ce qui renforce la ressemblance avec le mouron des oiseaux. Si j’attire l’attention sur ce faux ami, c’est que le mouron rouge se révèle non dénué de toxicité.
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    1. La Garance Voyageuse, n° 83, p. 16
    2. L’abbé Sébastien Kneipp préconisait l’usage du mouron des oiseaux pour soigner diverses affections respiratoires. A cette plante, il adjoignait prêle, plantain et absinthe.

© Books of Dante – 2017