Un peu rustique, d’allure bonhomme, la grande bardane mérite bien son statut de star de la phytothérapie (elle n’est pas la seule, qu’on se rassure ^.^). De même que ses bractées qui partent dans toutes les directions, j’ai multiplié les angles d’approche dans ce nouvel article.
Chaussez vos lunettes si besoin, prenez le temps et une petite infusion, c’est un peu long ^.^
Bon week-end à toutes et à tous :)
Gilles
Synonymes : herbe aux teigneux (à concurrence avec le pétasite), herbe aux pouilleux, glouteron, grateron, grateau, gratteau, grappeau, grappon, grippe copeau, grippe corbeau, bouillas, bouillon noir, chou d’âne, oreille de géant, peignerolle, pignet, oiegnerolle, oignet, napolier, napas, dague, dogue, laparasse, lampourde, cousin, rhubarbe du diable, rapace, artichaut, graquias (ou craquia au Québec).
Au sein du nom latin de la bardane – Arctium lappa – sont condensées deux origines étymologiques. La première, qui est grecque, concerne le mot arctium, provenant d’arktios, « ours », arkteion, « oursin » (ce qui ferait d’Arctium lappa une grande ourse et d’Arctium minus une petite ourse ^.^), en raison de son apparence robuste et de l’allure d’ours mal léché que l’on peut trouver à cette plante, sans oublier, bien sûr, les capitules floraux qui se confondent assez aisément avec le petit animal marin hérissé de piquants acérés. Arction, c’est donc ainsi, il y a 2000 ans, du temps de Pline l’Ancien, que l’on appelait la bardane, comme on peut le constater dans l’œuvre de Dioscoride qui préconisait la racine râpée « pilée et emplâtrée, afin de mitiger les douleurs des ligaments des articulations ». Il ajoutait aussi que « l’on emplâtre les feuilles avec utilité sur les ulcères anciens »1. Chez les auteurs de langue latine, elle apparaît selon différentes appellations : personata chez Pline (parce que cette plante peut attendre la taille d’un homme et qu’une seule de ses feuilles peut dissimuler à la vue son identité) et plus généralement lappa, lui-même émanant du grec labeîn, « saisir, attraper », qui s’explique sans mal en raison de l’aptitude des capitules à s’agripper de partout, et face auxquels s’emportait le poète Virgile. Dans les Géorgiques, cela apparaît très nettement : Virgile estimait cette plante incompatible avec l’élevage des moutons, ce qui se peut aisément comprendre : « Si tu fais de la laine l’objet de tes soins, commence par éviter la silve épineuse : bardanes et tribules »2, tant il est vrai que « ces boules forment, parfois, des amas enchevêtrés dans la toison des moutons »3. Le poète latin objectait les mêmes récriminations en ce qui concerne la culture céréalière : les céréales se meurent sur ces terrains trop riches où la grasse bardane élit domicile, au point que Virgile y voit des forêts, de même que les deux très vieux escargots d’un conte d’Andersen, ce qui, vu leur taille, peut plus facilement se comprendre. (Dans ce conte intitulé L’heureuse famille, Andersen nous apprend qu’autrefois l’on semait la bardane afin de répondre à l’élevage des escargots, cette plante constituant la principale pâture de ces animaux qui ne jurent que par elle, du moins dans le texte d’Andersen.) L’idée selon laquelle la bardane est nuisible pour l’agriculture n’est pas seulement circonscrite à l’époque de Virgile : au début du XXe siècle, Antonin Rolet et Désiré Bouret ne disaient pas moins. Vingt siècles séparant la même idée… On comprend qu’aujourd’hui la bardane puisse encore faire partie du club honni des plantes mal aimées (du moins par les propriétaires de champs et de moutons). Bref. Revenons-en, de nos moutons. Le mot bardane, si l’on ne sait pas trop d’où il sort (peut-être de barda, « couverture pour cheval », vu le grand enveloppement dont ses feuilles sont capables…), il est néanmoins présent sous une forme altérée (parduna) dans le Capitulaire de Villis (encore qu’au haut Moyen âge, parduna désigne aussi bien ces autres plantes à larges feuilles que sont tussilage et pétasite, mais comme ces deux plantes ne font pas partie du capitulaire carolingien, on est en droit de penser que ce parduna s’applique bien à la bardane). Hormis ces considérations d’ordre linguistique, mentionnons tout de même l’usage médicinal de la bardane aux temps médiévaux. Par exemple, on peut l’entrevoir dans la pharmacopée de Hildegarde de Bingen sous le nom de cletta (klette aujourd’hui en langue allemande). Selon l’abbesse, la racine de bardane est parfaitement inutile, lui préférant de loin ses feuilles dont elle indique tout de même la dangerosité pour l’homme, qu’elles soient cuites ou crues, ainsi que ses fleurs, employant la bardane à de rares exceptions (douleurs pectorales et respiratoires, colique, calculs rénaux, ulcère du cuir chevelu), ce qui dessine beaucoup de similitudes avec le profil thérapeutique que l’on accorde aujourd’hui à la bardane. Ce n’est que plus tard que la bardane rencontra un considérable succès médical en tant que topique à travers une foule de maladies cutanées, telle qu’elle est encore considérée aujourd’hui. Elle fut alors très prisée, au même titre qu’une autre racine médicinale, celle de grande aunée (Inula helenium), comme vulnéraire et résolutive, en particulier par l’usage externe des parties souterraines sur les maladies de peau (scrofule, gale, « lèpre », dartre, teigne, bien sûr, sans quoi la bardane ne serait pas l’herbe aux teigneux). On la disait aussi diurétique, sudorifique, détersive, pectorale et un peu astringente, à même d’intervenir en cas de lithiase, de crachement de sang, de goutte, d’arthrite et de rhumatisme.
Mais c’est véritablement au XVIe siècle que la carrière médicale de la bardane emprunta un nouveau tournant, puisque c’est grâce à des décoctions de sa racine (additionnée de séné) que l’on parvint à guérir le roi de France Henri III (1551-1589) de la grande vérole, c’est-à-dire la syphilis, sans doute contractée auprès d’une de ses nombreuses maîtresses, à moins qu’il ne s’agisse là du cadeau empoisonné offert par un mignon tout prêt à busquer le postérieur pour un peu de trésorerie. C’est cette nouvelle ligne sur son curriculum vitae qui conforta son statut de panacée, ce qui incita très probablement Lazare Rivière (1589-1655) à plancher sur les soi-disant propriétés antisyphilitiques de la bardane (à tous le moins est-elle sudorifique et diaphorétique, ce qui est toujours fort utile à travers cette affection vénérienne pénible qu’est la syphilis). A peu près à la même époque, l’agronome français Olivier de Serres rapportait les autres usages de la bardane qu’il avait repérés en son temps (cicatrisation des plaies et des ulcères, guérison des morsures de serpents et des « autres bestes malignes »).
Ériger la bardane au rang d’antisyphilitique allait forcément la placer sur un délicat plan de clivage. Que dire alors de ses prétendues propriétés anti-goutteuses ? C’est du moins ce que vantait le médecin et botaniste anglais John « Burdock » Hill (1716-1775) dans un opuscule plusieurs fois réédité (La gestion de la goutte, dans l’alimentation, l’exercice et le tempérament ; avec les vertus de la racine de bardane, prise à la manière du thé). Bien que souffrant lui-même de la goutte, il y expliquait tous le profit qu’il tirait des vertus anti-goutteuses de la bardane, ce qui ne l’empêcha pas, fait observer Fournier visiblement pince-sans-rire, de mourir exactement de cette maladie. A bien considérer la littérature qui s’étala de 1700 à 1900 environ, il est plus qu’évident que la supposée vertu anti-goutteuse de la bardane fut davantage suivie que sa propension à guérir la syphilis. Comme toujours, la même plante offre son lot d’aficionados et de contempteurs, ceux-ci essentiellement parce que la plante a failli entre leurs mains. Au cours de ces deux siècles, la bardane, dont on utilisait autant la racine que les feuilles et les semences, s’administrait intus et extus. Après bien des errements, « les praticiens sont assez d’accord aujourd’hui (1819) pour regarder la racine de bardane comme un bon dépuratif et un bon sudorifique »4, de même qu’un diurétique secourable : cette plante est utile lorsqu’il importe de mettre en branle les circuits de récurage et d’évacuation des déchets contenus dans l’organisme vers l’extérieur, au risque qu’ils n’encrassent l’économie et n’occasionnent des dépôts capables de causer des lithiases, des troubles locomoteurs essentiellement provoqués par accumulation d’urée et d’acide urique (arthrite, gonflement articulaire, rhumatisme chronique, goutte), ainsi que diverses affections cutanées, surtout celles qui témoignent d’un trouble interne de la dépuration (gale, « lèpre », teigne, tumeurs scrofuleuses et syphilitiques). Cette œuvre de nettoyage s’effectuait également par le biais plus immédiat de la voie externe, la bardane étant vue comme une astringente légère, vulnéraire, émolliente, résolutive et détersive, trouvant, là encore, moyen de faire merveille dans bien des affections cutanées (ulcère atonique et variqueux, tumeur, brûlure, etc.). Pectorale et béchique, on envisageait aussi son emploi au cours de maladies comme l’asthme et l’hémoptysie. Enfin, ses vertus fébrifuges, même légères, ne contrevenaient pas à ce que l’on s’en serve en cas de fièvre intermittente. Puis on parvint à Cazin : il cite nombre d’auteurs ayant donné cette plante dans telle ou telle affection, en raison de ses propriétés x ou y, dont certains la disaient supérieure à telle plante, succédanée de telle autre, etc. Bon, bien évidemment, il y avait aussi des pas contents, des Cullen, Chaumeton et autres Desbois de Rochefort. Ce dernier convenait que la racine de bardane était moins efficace que les sudorifiques exotiques. Après avoir dressé la liste des propriétés que l’on reconnaissait à la bardane, il posa la question suivante : « Mais possède-t-elle vraiment ces propriétés ? Elle n’a pas d’odeur, presque pas de goût, et n’est presque que mucilagineuse. Beaucoup de praticiens sont revenus de ses vertus »5. En manière de contradiction, Botan expliquait que la bardane était si éminemment sudorifique qu’il fallait la préférer, parce que supérieure, à la salsepareille américaine ! Parmi les auteurs contemporains, j’ai même fini par mettre la main sur le Cullen du XXe siècle, en la personne de Varro Eugene Tyler. Dans son Honest Herbal (1996), au chapitre dédié à la bardane, il écrit la chose suivante : « En dépit de sa longue utilisation comme remède folklorique, il n’existe aucune preuve solide que la bardane présente une activité thérapeutique utile »6. Voici une sottise qu’il faut savoir proférer sans broncher du museau ! C’est qu’il va falloir détromper le bonhomme !… D’ailleurs, je me demande bien ce qu’en penseraient la médecine traditionnelle chinoise et la médecine amérindienne, qui usèrent abondamment de cette plante en thérapie.
En Chine, outre que l’on consomme la bardane-racine (niu-bang gen ; aux semences, l’on a accordé le nom de niu-bang zi), on la réserve aussi au rôle de médicament pour des raisons qui rappellent fort ce pourquoi elle est usitée en Europe. Elle dégage les poumons, apporte du confort à la gorge, tout en purifiant l’appareil respiratoire de ses toxines. La bardane agit donc très favorablement sur le méridien du Poumon, celui-là même qui joue le rôle de sas entre l’intérieur et l’extérieur (physiquement et symboliquement). Il y a donc beaucoup d’importance à traiter les voies aériennes supérieures, porte d’entrée vers le système pulmonaire d’une part, gastro-intestinal d’autre part. La bardane est donc impliquée dans les affections des voies hautes (toux, maux de gorge, amygdalite, otite, gingivite, maux de dents). Compagnon du méridien du Poumon, le méridien du Gros intestin, doué d’une action éliminatrice et excrétrice, convient bien à la bardane, puisqu’en cas de perturbation de ce méridien, on voit surgir des affections cutanées (dermatose, irritation et démangeaison, eczéma), qui prouvent bel et bien à quel point la bardane n’a pas démérité de sa réputation dépurative, à laquelle il ne faut pas omettre d’ajouter ses vertus diurétique, diaphorétique et anti-inflammatoire. Qui parle de panacée ? Pas moins que la médecine traditionnelle chinoise ! Écoutez plutôt : « Ce traitement est presque la panacée, il est utilisé pour la purification du corps (le draineur des homéopathes), il permet une bonne circulation de l’énergie des méridiens, calme la nervosité, facilite le transit intestinal, élimine les toxines de tous les organes, fortifie le corps et les quatre membres et élimine les graisses, fait donc perdre du poids »7. Bien davantage qu’en Occident, ce sont surtout les semences de la plante qui sont employées en médecine (décoction et infusion, poudre de semences absorbée avec du vin, graines moulues et saupoudrées quotidiennement sur les aliments, etc.). Qu’en est-il, maintenant, du côté de l’Amérique du Nord ? Bien que la grande bardane y soit d’introduction relativement récente, l’ethnobotanique amérindienne expose un large reflet de son utilisation étendue à plusieurs tribus (Iroquois et Cherokee surtout, Maliseet, Menominee, Micmac, Ojibway…). Les Amérindiens s’y intéressèrent tant qu’on peut affirmer sans risque d’exagération qu’ils conféraient à la grande bardane l’ensemble des propriétés qui suivent : diurétique, sudorifique, dépurative du sang (le purge des humeurs qui l’encombrent et l’empoisonnent), antisyphilitique, analgésique, fébrifuge. Ils lui accordèrent aussi un rôle majeur de remède dermatologique et à même de favoriser la conception. Par l’infusion (de racine, feuille ou semence), la décoction de racine fraîche ou sèche, la poudre de la plante entière ou encore les cataplasmes de racines ou de feuilles premièrement broyées puis bouillies, l’on venait à bout d’un panel de maux qui ne sont pas sans rappeler ce que nous avons pu dire au sujet de la médecine traditionnelle chinoise et de la médecine occidentale : troubles locomoteurs (mal de dos, rhumatisme), affections cutanées (plaie, coupure, ecchymose, urticaire, eczéma, furoncle, éruption de boutons, piqûre d’insecte), affections scrofuleuses, maladies vénériennes (chancre syphilitique), gravelle, hémorroïde, scorbut, fièvre, maux auriculaires, maux de tête (afin de protéger cette dernière de l’ardeur du soleil, l’on cousait ensemble des feuilles fraîches de bardane afin d’en composer un rafraîchissant couvre-chef). Chez les Iroquois, l’on appelait à l’aide la bardane quand il y avait lieu de soupçonner l’utilisation de la sorcellerie dans la survenue de maux d’estomac douteux. Eh oui, comment douter que la bardane anthropophile (parce qu’un peu anthropomorphe, ne serait-ce que par sa haute stature) puisse ne pas être impliquée dans la vie quotidienne des hommes, y compris dans le domaine des choses magiques et spirituelles ? Il y a 2000 ans, Pline l’Ancien révélait que la bardane faisait partie des plantes chères aux druides, sur laquelle pèse l’influence des planètes Vénus et Mercure. Plante froide et sèche, la bardane se retrouva bien plus tard dans le cortège des plantes solsticiales et de celles que l’on jette dans le feu lors de la nuit de la Saint-Jean afin de se prémunir de l’orage (dans les contes, c’est souvent une large feuille de bardane qui offre son concours, protégeant le héros face aux éléments déchaînés venus du ciel, et quand l’eau s’accumule au risque de s’y noyer, c’est encore grâce à une feuille de bardane que l’on se sauve du naufrage. En Grèce, l’on procédait à un rituel étonnant, comme le rapporte Angelo de Gubernatis : « L’homme frappé par l’aëricó [NdA : une sorte de démon forestier] se soigne à l’aide de la bardane. On trempe du pain dans le vin, et on le répand sur la bardane aux larges feuilles. En même temps, les prêtres, par la lecture de l’Évangile, doivent exorciser le diable »8 (qui m’a tout l’air d’être un simple esprit sylvain comme il en existe tant). Au registre des autres croyances protectrices, on s’imaginait que caresser chaque soir une racine de bardane suspendue au-dessus du foyer permettait de s’assurer un sommeil paisible et réparateur. L’on augmentait la puissance de l’eau bénite en lui ajoutant trois gouttes de suc de bardane le jour de la Toussaint. D’un point de vue plus ludique (quoi que… dans le jeu se dissimule bien des aveux qui ne pourraient s’exprimer autrement…), « les garçons cueillent les capitules de bidens et des lappa, pour les mettre dans la chevelure des filles, et les filles s’efforcent de les placer dans la barbe des garçons. En Picardie, dans l’Aube, les enfants s’amusent à lancer des fruits de bardane sur les habits et de préférence sur la tête des femmes »9. Cela explique peut-être pourquoi l’on a fait de la bardane un symbole d’importunité. En revanche, si une jeune fille a du mal à se dépêtrer des teignes qu’un jeune homme lui a lancées, c’est une signe évident que cette forte attache préfigure un mariage prochain avec lui. Cette même bardane peut même révéler au garçon si celle dont il s’amourache est encore vierge : si elle urine tout de suite après avoir mangé feuilles et racines de bardane, c’est donc qu’elle a perdu sa virginité quelque part. La bardane serait-elle donc aussi symbole d’infaillibilité ? ^.^
Robuste plante de nos campagnes, l’on peut peiner à imaginer que cette géante de la taille d’un homme parfois ne soit que bisannuelle, exposant tout d’abord une rosette de feuilles plus ou moins cordiformes, bien vert foncé au-dessus, aranéeuses sur leur face inférieure (c’est-à-dire cotonneuses, recouvertes de longs poils mous entrecroisés comme des fils d’araignée, à la façon d’un filtre dépuratif). Puis, la plante, entrant dans sa seconde année, se ramifie, voit émerger une tige droite et striée, alors que les feuilles basales ne font que grandir, atteignant parfois, de l’extrémité du limbe au bout du pétiole, une distance de 180 cm ! Sur la tige, des feuilles caulinaires intermédiaires et supérieures, s’égrènent jusqu’au sommet, également ondulées sur les bords, mais de forme plus simple (ovale) et surtout d’un gabarit plus modeste, ce qui confère à la bardane de seconde année sa caractéristique silhouette pyramidale parachevée par la hampe florale qui s’orne de capitules flosculeux et globuleux de 3 à 4 cm de diamètre. Lorsque la floraison se déroule, on peut observer, au centre de chaque capitule, des fleurs fleuronnées de couleur pourpre violet. Ces inflorescences denses sont cernées par des bractées dont les extrémités sont recourbées en forme de houlette dont une observation minutieuse explique l’aisance avec laquelle elles s’accrochent aux vêtements et au pelage des animaux de passage. On appelle ce mode original de dispersion des semences la zoochorie, le même qu’utilisent les petits fruits en grappin de l’aigremoine. La floraison estivale (juin-septembre) de la bardane donne lieu, après fécondation, à la formation de courtes semences aigrettées qui ne possèdent pas la grâce du parachute du pissenlit pour ce qui est de se mouvoir (on l’a dit, la bardane n’est pas aérienne, mais terrestre : elle se déplace donc plus facilement ventre à terre).
J’imagine mal une bardane bien s’épanouir sur un terrain que l’on réserve habituellement aux céréales (et où l’on viendrait la houspiller de virgilienne façon ^.^), puisque les terres pour lesquelles va sa préférence sont de nature lourde, profonde et compactée, tassées par le piétinement du bétail par exemple (un type de sol où l’on n’aurait pas l’idée d’aller flanquer des céréales). Effectivement, elle se développe mieux sur des sols caillouteux, argilo-calcaires et mal drainés, riches en vieil engrais azoté et ammoniaqué, autrement dit à proximité des habitations, et en tous les lieux où se déploient les activités humaines : sur les terrains vagues, au pied des vieux murs, le long des voies de chemin de fer, près des granges, à l’abord des vieilles constructions en ruines, dans les cimetières (!) et dans tous les « autres endroits remarquables où personne ne peut l’ignorer » : bordure de chemin, bois clair, clairière, décombres, remblais, talus. Gérard Ducerf signale que la bardane indique aussi l’ancienne présence de zones ayant longtemps abrité des dépôts de bois. Chez mes grands-parents, se dressaient, non loin de la ferme, de grands tas de bois mis au séchage. Mon grand-père venait directement y débiter les bûches qui finissaient dans le poêle de la cuisine. A la terre du lieu de découpe se mêlaient sciure et copeaux de bois, formant un substrat sur lequel s’épanouissait grassement la verte bardane.
Du fait que la bardane pousse dans le voisinage de l’homme, on a dit d’elle qu’elle était une plante compagne. Voyons voir maintenant à quel point la bardane est de bonne compagnie d’un point de vue médical, non sans avoir osé l’observation suivante : la présence de cette plante en un certain nombre d’habitats que nous avons listés plus haut dit bien sa capacité thérapeutique de venir à bout et de supprimer les contraintes et les endurcissements relatifs à l’accumulation de solides dans l’organisme sur le temps long.
La grande bardane en phytothérapie
Que contient donc la bardane, en terme de principes actifs, à même d’intéresser le phytothérapeute ? Et dans quelles parties de cette plante les trouve-t-on ? Comme nous avons pu le constater à la lecture des lignes qui précèdent, l’intérêt pour la bardane se situe essentiellement sous terre : c’est effectivement sur sa racine charnue que l’on a fixé le point d’attention prioritaire, ses feuilles dans une moindre mesure (bien qu’on observe une modification de leur perception depuis quelques décennies). Quant aux graines de la bardane, autrefois quasiment inemployées, elles demeurent encore trop peu étudiées. Mais – l’on s’en rendra compte – tout laisse à penser qu’elles mériteraient encore davantage d’attention de la part de la recherche afin de se hisser – pourquoi pas ? – au même niveau que les graines de chardon-marie. Mais débutons tout d’abord par ce qui tient le haut du pavé en matière de substance médicinale depuis des siècles, c’est-à-dire la racine, d’odeur forte, nauséeuse, rappelant un peu celle du renfermé (une odeur de cave d’aucuns diraient : vu d’où on la tire, c’est un peu normal ^.^), de saveur douceâtre et un peu amère à la fois, un tantinet astringente. Enfin, rien de bien engageant si l’on considère encore l’aspect quelque peu gluant qu’adopte cette racine fraîche à la cassure. Cette racine, à l’écorce de couleur fauve et à l’intérieur blanc, dont la longueur est comprise entre 50 et 100 cm, se compose majoritairement de quatre substances que l’on trouve en proportions très élevées : tout d’abord un glucofructosane que l’on connaît bien pour être présent dans la racine de bien des plantes de la famille des Astéracées, c’est-à-dire l’inuline (qui tire son nom de la grande aunée, Inula helenium), qui se décompose à la suite en fructose et lévulose. Cette réserve énergétique propre à la plante représente parfois jusqu’à plus de la moitié du poids de la racine (45 à 70 %). Ajoutons environ 10 % d’eau, 6 % de fibres et 7 % de sels minéraux et oligo-éléments (potassium, calcium, phosphore, fer, sodium, magnésium, etc.), et l’on aura bien rempli notre besace. En quantité, certes. Mais dans le détail et l’infiniment petit, qu’en est-il ? Tenant compagnie à cette énorme masse d’inuline, l’on observe bien encore quelques sucres dans cette racine, dont des hexasaccharides (arctose) et polysaccharides (glucose, rhamnose, arabinose, galactose, xylose), d’intéressantes vitamines (C, E, B1, B2, B6), une essence aromatique (0,2 %) à sesquiterpènes, acides et lactones (dont l’arctiopicrine), des carotènes, des acides organiques (malique, acétique, lactique, isovalérique, tiglique, butyrique, propionique), etc. Venons maintenant au plus près de certaines classes moléculaires qui se sont avérées majeures pour la médecine par les plantes, à compter par les flavonoïdes (quercétine, apigénine, nobilétine) et les acides phénoliques (acides caféique, quinique, arctique, chlorogénique) qui offrent à la racine de bardane un très bel échantillon de polyphénols. On y retrouve encore une fois ces phytostérols (stigmastérol, β-sitostérol, 3-O-acétyluppéol), qui ne sauraient nous faire oublier que la racine de bardane s’enorgueillit d’accueillir dans ses chairs des composés acétyléniques comme l’arctinol et le lappaphen, mais surtout des triterpènes (α et β-amyrine, lupéol, 4-taraxastérol) et des lignanes dont le matairésinol, l’isolappaol, les lappaols A, B, C, D, E, F et H, enfin l’arctiine et l’arctigénine, molécules fort étudiées, que l’on croise aussi dans les feuilles et les semences de la plante. Considérant les seules graines de la bardane, nous pouvons mentionner que s’y trouvent d’autres substances autrefois insoupçonnées (il faut dire qu’on n’était pas allé les y chercher) comme des acides gras, des acides phénoliques, des flavonoïdes, des triterpènes, des sesquiterpénoïdes, une essence aromatique, enfin d’autres lignanes tels que, par exemple, l’arctiisesquinéolignane B, puis une substance encore plus anti-oxydante que la vitamine C et que l’on appelle l’arctiiphénolglycoside A, etc. Quant aux feuilles, qu’on jugeait auparavant peu dignes d’intérêt pour la phytothérapie, elles recèlent lactones (onordopicrine), acides mono et di-cafféolquiniques, et ne me semblent pas avoir encore livré tous leurs secrets.
Propriétés thérapeutiques
La racine :
- Facilite les fonctions des reins, des voies urinaires, de la vessie et de la prostate, diurétique éliminatrice de l’acide urique et de l’urée, augmente l’azotémie et l’uricosurie, dépurative puissante du foie, de la vésicule biliaire et du sang, drainante des toxines hors du corps (produits chimiques, colorants alimentaires, métaux lourds), liquéfactrice et collectrice de pus dans l’organisme, sudorifique, diaphorétique (« Elle exerce une action douce sur la peau ; elle rétablit la transpiration et la moiteur de cet organe quand il est aride, irrité »10)
- Hépatoprotectrice, cholérétique, antidiabétique, hypoglycémiante, anti-hyperglycémiante
- Anti-oxydante, lutte contre le stress oxydatif, anti-inflammatoire, neuroprotectrice
- Anticancéreuse à cytotoxicité minime (« Contrairement à ses puissants effets inhibiteurs de croissance sur les cellules tumorales, le lappaol F a eu des effets cytotoxiques minimes sur les cellules épithéliales non tumorigènes testées. […] Nos résultats, pour la première fois, démontrent que le lappaol F présente une activité antitumorale in vitro et in vivo »11), inhibe la croissance des cellules cancéreuses (estomac, côlon, foie, poumon, peau), antiangiogénique
- Digestive, laxative, gastro-protectrice
- Protectrice cardiovasculaire et thrombotique, régulatrice du système sanguin, favorise la santé du système lymphatique
- Anti-infectieuse : antivirale, antifongique, antibactérienne (Bacillus subtilus, Staphylococcus aureus, streptocoques, pneumocoques…), immunostimulante, tonique fortifiante
- Vulnéraire, détersive
- Stimulante de la libido ? (La bardane rendrait, dit-on, la fertilité. Nous avons dit que des histoires d’amour pouvaient découler des teignes qu’on s’envoyait à travers la figure, alors bon… ^.^)
- Stimulante de la repousse capillaire
- Antivenimeuse (venin de vipère, d’insecte)
La semence :
- Anti-infectieuse : antivirale, antibactérienne
- Diurétique, diaphorétique, évacuante des toxines qu’accumule le corps lors des états fébriles et infectieux
- Anti-ulcéreuse gastrique
- Anti-oxydante, anti-inflammatoire
- Analgésique
- Hypoglycémiante, protectrice hépatique
- Anticancéreuse, antitumorale
- Préventive des maladies du système nerveux central
La feuille :
- Anti-oxydante
- Topique contre les morsures de serpent, les piqûres de guêpe
- Antiseptique cutanée, émolliente, résolutive, détergente et cicatrisante des ulcères
Usages thérapeutiques
Le domaine d’action majeur de la bardane, c’est avant tout la dépuration de l’organisme, c’est-à-dire son nettoyage, tâche qu’elle effectue à la manière de la pensée sauvage à laquelle il est tout à fait possible de l’associer. Grâce à cette aptitude, la grande bardane est capable de soigner et de guérir bien des affections cutanées témoins d’un désordre intérieur.
La racine :
- Affections cutanées : acné, furoncle, anthrax, dartre squameuse et furfuracée, prurit dartreux, eczéma (sec, squameux, impétigineux, fuligineux), érysipèle, exanthème, psoriasis, phlegmon, herpès, impétigo, panaris, folliculite (sycosis), teigne, croûte de lait, gale de lait, plaie purulente, ulcère (de jambe, atone, variqueux), abcès, favoriser l’éruption au cours des maladies infectieuses (rougeole, scarlatine, variole, rubéole, oreillons), toutes autres éruptions chroniques obstinées, séborrhée de la face, brûlure, excoriation superficielle, toutes autres démangeaisons, inflammations et irritations cutanées
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie et état dyspeptique, constipation, colite aiguë, gastralgie, choléra
- Troubles de la sphère hépatobiliaire : cholécystite, colique hépatique, dommage hépatique causé par le paracétamol, stéatose hépatique, ictère, jaunisse, diminution du foie chez le cholémique, diabète sucré du type II (adjuvant)
- Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique aigu, toux, tuberculose, irritation des bronches, otite, sinusite, rhume, écoulement muqueux durant la grippe, rhinopharyngite, angine, amygdalite, pleurésie
- Affections buccopharyngées : gingivite, abcès bucco-dentaire, pyorrhée alvéolo-dentaire
- Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, lithiase urinaire, irritation de l’appareil urinaire, réduction du volume de la miction, anasarque, hydropisie
- Troubles locomoteurs : rhumatisme opiniâtre, arthritisme, goutte, gonflement articulaire de l’arthrite aiguë, entorse
- Affections du cuir chevelu : alopécie, cheveux gras, pellicules, croûtes sèches, desquamation
- Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : artériosclérose et ses complication (AVC), engorgement hémorroïdaire, adénite
- Troubles de la sphère gynécologique : engorgement des seins, cancer du sein, affections utérines (s’étalant de la métrorragie jusqu’au cancer de l’utérus)
- Obésité
- Troubles de l’apprentissage et de la mémoire (maladies neuro-inflammatoires et neurodégénératives)
- Engorgement splénique
- Blépharite
- Scorbut
- Morsure de serpent (vipère : c’est avéré depuis au moins le temps de Columelle), piqûre (abeille, guêpe, frelon, moustique)
La semence : d’usage thérapeutique en bien des endroits du monde (Inde, Japon, Iran, etc.), elle manque encore d’études en Occident. Nous pouvons néanmoins indiquer que la graine de bardane est impliquée dans les affections suivantes :
- Maladies du système nerveux : épilepsie, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson
- Affection cancéreuse (gliome, etc.), cachexie cancéreuse
- Maladies infectieuses du système nerveux : toxoplasmose, encéphalite japonaise
- Maladies métaboliques : obésité, diabète
- Affections cutanées : psoriasis (« On dit qu’une teinture des graines, longtemps administrée, est un des meilleurs remèdes contre le psoriasis »12)
La feuille :
- Troubles locomoteurs : rhumatisme, articulation douloureuse
- Affections cutanées : panaris (ainsi qu’un bon nombre de celles que nous avons placées plus haut sous la houlette de la racine)
A tous ceux qui ignorèrent superbement la bardane à leur époque, disons leur simplement qu’une très récente étude chinoise (août 2023) entrevoit le potentiel thérapeutique d’un extrait de feuille de bardane face à la maladie d’Alzheimer… Il faut, en tout, se garder des avis trop tranchés et conserver par devers soi le don de l’observation et de la sagacité.
Modes d’emploi
- Décoction de racine fraîche : comptez 15 à 60 g de racine débitée en petits morceaux en décoction dans un litre d’eau pendant au moins 5 mn (et jusqu’à 10 maximum), suivie d’une infusion pendant une dizaine de minutes. Cette décoction se destine à un usage tant interne qu’externe (compresse, lotion capillaire). Parfois, certaines affections cutanées rebelles requièrent de forcer la dose. C’est pourquoi l’on peut parfois rencontrer des recettes de décoction concentrée qui emploient jusqu’à 200 g de racine fraîche par litre d’eau. Décoction composée pour la chute de cheveux : feuilles et racines d’ortie, racine fraîche de bardane et sommités fleuries de thym à parts égales en décoction dans un litre d’eau pendant 15 mn. Filtrez et utilisez comme lotion après-shampooing. En friction douce sur le cuir chevelu de façon régulière.
- Infusion de racine (plus rare, mais toujours possible) : elle se réalise grâce à 10 g de racine sèche (ou 20 g fraîche), à infuser pendant un bon quart d’heure dans un volume d’un litre d’eau.
- Macération alcoolique de racine : dans un demi-litre d’alcool à 50° (du type rhum ou vodka), déposez 100 g de racine fraîche débitée en morceaux. Laissez en contact pendant au moins trois semaines, à l’issue desquelles il sera nécessaire de passer, de fortement exprimer les racines, puis de filtrer le liquide obtenu, que l’on conservera en bouteille ambrée opaque.
- Décoction de semences : comptez 20 g de graines de bardane en décoction à petits bouillons dans un litre d’eau pendant 10 mn.
- Infusion de semences : dans un demi-litre de vin blanc, placez 4 g de semences un peu broyées pour 24 heures.
- Infusion de feuilles fraîches : comptez 40 g de feuilles morcelées en infusion dans un litre d’eau pendant 15 mn.
- Cataplasme de feuilles fraîches : triturez au mortier la quantité nécessaire de feuilles fraîches débarrassées du pétiole pour réaliser le cataplasme, jusqu’à l’obtention d’une pulpe assez fine à laquelle on adjoint quelques cuillerées à soupe d’huile d’olive. Après avoir bien mêlé le corps gras, placez à douce chaleur pendant 24 heures avant utilisation.
- Application locale de feuilles fraîches entières un peu écrasées au rouleau à pâtisserie et/ou chauffées à la flamme quelques instants. On enveloppe ensuite les zones du corps à traiter à l’aide de ces feuilles. Autrefois, afin de se procurer une bonne suée, les habitants des campagnes s’empaquetaient les pieds de feuilles de bardane et les conservaient en place plusieurs heures durant.
- Suc frais (de racine, de feuille ou de pétiole) en application locale.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : grâce à une fourche du diable, il est possible de déchausser la racine de bardane préférablement entre l’automne de sa première année de vie jusqu’au printemps de la seconde, soit de septembre-octobre à mars-avril, mais jamais sur un pied auquel l’on aperçoit les premiers boutons floraux : afin d’assurer sa floraison et sa fructification, la plante puise très largement dans les réserves accumulées dans sa racine au cours de la première année. Récolter une telle racine, c’est s’assurer d’extirper du sol quelque chose de ligneux, qui plus est pratiquement inactif, la plante se dirigeant tout doucement vers son déclin et sa mort. Une fois arrachée, il s’agit d’éliminer les parties éventuellement abîmées, de brosser la racine, puis de la laver bien proprement avant utilisation immédiate (du moins pour un emploi qui se destine aux quelques prochains jours). Pour ce faire, on prend soin de bien l’emballer dans un torchon et de l’entreposer dans le bac à légumes du réfrigérateur (ou sur un lit de sable humide, si jamais vous disposez d’une cave). La racine de bardane supporte très peu la dessiccation, de plus, une fois sèche, elle perd quasiment toutes ses propriétés, ce qui n’est pas très réjouissant pour une racine difficile à extraire du sol et à faire sécher, et qu’il importe de renouveler chaque année. Ainsi, si vous rencontrez, en boutique bio par exemple, de la racine sèche de bardane en sachet kraft, mieux vaut vous abstenir d’en acheter, elle ne vous servirait à (presque) rien. D’autant qu’on ignore bien souvent de quelle façon elle a été séchée : plus qu’au soleil, il est préconisé de faire appel à la chaleur artificielle (au four) pour obvier au délicat problème de la difficile dessiccation de la racine de bardane qui doit perdre 70 à 80 % de sa masse avant d’être parfaitement sèche, c’est-à-dire prendre la forme de rouelles légères, dures et ridées. Or, ce sont souvent les méthodes les plus naturelles qui offrent les meilleurs profils biochimiques, au contraire d’une méthode comme la lyophilisation sous vide, qui entrave le correct développement des substances aromatiques contenues dans la racine de bardane. Au sujet des feuilles, cela ne concerne que la première année de végétation de la plante : d’avril à mai, s’il s’agit d’en faire un usage alimentaire, de juin à fin août s’il est médicinal. Enfin, les semences se détachent de la plante à l’automne de la seconde année, lorsqu’elle a bien séché sur pied.
- D’un point de vue alimentaire, les usages qu’on en peut faire en Europe occidentale ne disent rien de ce qu’ils furent autrefois, ni de la manière dont on honore ce légume en d’autres lieux encore à l’heure actuelle. En des temps pas si reculés que ça, la racine de bardane offrit une belle provende (malgré les remarques quelque peu sarcastiques de certains auteurs modernes qui ne sont pas parvenus à en tirer quoi que ce soit de comestible. Pourquoi – toujours ! – faire porter la responsabilité d’un échec sur les plantes, hum ? ^.^) Une fois râpée, elle peut se consommer crue comme la carotte, être cuite à l’eau ou à la vapeur, et demande souvent à être blanchie avant d’être sautée, frite, braisée, rôtie, etc. Des côtes l’on peut faire un usage aussi bien cru que cuit, à la condition d’en ôter la fine peau qui les recouvre (à la façon des côtes de bette). J’ai goûté de ces dernières il y a déjà longtemps, je me souviens que c’était loin d’être mauvais. Quant aux feuilles, on se contentera des plus jeunes si l’on désire les consommer crues (les vieilles deviennent aigres et amères). On les cuira à deux eaux afin d’en ôter la toute petite amertume qu’elles recèlent, si jamais on devait les préparer cuites. C’est ainsi qu’on consomme la bardane en Corée du Sud (u-eong) et au Japon (gôbo ou tokinogawa). Cette racine à texture croquante et charnue, possède une saveur terreuse qui rappelle un peu la noisette. On en trouve de petit diamètre (elles ont l’avantage d’être moins fibreuses) sur les marchés et les magasins en Corée et au Japon, comme nous autres y dénichons radis noir et betterave. Très jeunes racines et tendres feuilles sont consommées crues, bien que la bardane soit plus habituellement cuite en Asie. Afin d’en conserver un meilleur goût, il est recommandé de ne pas peler les racines, mais de bien les frotter à la brosse à légumes, puis de les rincer à l’eau claire. Dans son livre Roots : the definitive compendium with more than 225 recipes (2012), Diane Morgan fait défiler les recettes ayant pour base la racine de bardane, qu’elle agrémente marinée, préparée au vinaigre genre pickles, râpée et assaisonnée d’une sauce au sésame, sautée au curry, cuite en soupe, etc. Les Asiatiques semblent si friands de la bardane que certains cultivars, comme par exemple au Japon, ont été mis au point afin de réduire la taille de leurs feuilles et d’augmenter la saveur de leurs racines. Enfin, sachons que les capitules floraux auxquels on ne voit pas encore les fleurons rose pourpre sont parfois cuits à la vapeur : à la dégustation, on peut leur deviner comme un petit goût d’artichaut.
- En période de disette, on regarde souvent si l’on ne met pas le pied sur une espèce de plante qu’on dédaignerait en temps normal (nous avons récemment étudié le cas du chénopode blanc, on pourrait lui ajouter bien des plantes qui sont dans ce cas tant elles sont nombreuses), on a utilisé parfois la racine comme ersatz de café, et de ses feuilles l’on fit un des nombreux succédanés du tabac. Ce n’est pas parce que c’est la crise qu’il ne faut pas perpétuer ce vice qu’est la cigarette, laquelle apprécie généralement la présence à ses côtés du petit noir (qui a vu Coffee and Cigarettes de Jim Jarmusch ? ^.^)
- Aux doses usuelles normales, la bardane ne présente aucun risque d’utilisation. On convient seulement d’y faire attention en cas d’allergie avérée aux astéracées, en cours de grossesse et de se l’interdire si jamais l’on est frappé de diarrhée chronique.
- Diverses plantes sont capables de tenir compagnie à la bardane dans le cas précis où il est nécessaire de purifier l’organisme. En voici quelques-unes : pissenlit, artichaut, radis noir, boldo, pensée sauvage, saponaire, chardon-marie, fumeterre, patience, cassis, frêne, douce-amère, bouleau…
- Autres espèces : la petite bardane (A. minus), la bardane tomenteuse (A. tomentosum), la bardane des bois (A. nemorosum).
- Enfin, dernière observation et non des moindres, le capitule de la bardane a inspiré l’ingénieur suisse George de Mestral (1907-1990) dans la création du Velcro (néologisme formé de l’apocope des deux mots velours et crochet), après avoir observé avec quelle insistance ces capitules s’agrippaient aux poils de son chien !
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- Dioscoride, Materia medica, IV, 92.
- Virgile, Géorgiques, III.
- Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales, p. 121.
- Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, Manuel des plantes indigènes usuelles, Tome 1, p. 318.
- Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 417.
- Varro Eugene Tyler, Honest Herbal, p. 64.
- Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 44.
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 34.
- Paul Sébillot, Le Folklore de France, Tome 3, p. 524.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 320.
- Source.
- John Fyfe, Specific diagnosis & specific medication, p. 599.
© Books of Dante – 2023
Les crochets de la bardane ne sont-ils point l’évidence manifeste de la capacité de la plante à attraper tout ce qui passe dans l’organisme, à le retenir et à l’éjecter hors du corps ? ^.^