La grande bardane (Arctium lappa)

Un peu rustique, d’allure bonhomme, la grande bardane mérite bien son statut de star de la phytothérapie (elle n’est pas la seule, qu’on se rassure ^.^). De même que ses bractées qui partent dans toutes les directions, j’ai multiplié les angles d’approche dans ce nouvel article.

Chaussez vos lunettes si besoin, prenez le temps et une petite infusion, c’est un peu long ^.^

Bon week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : herbe aux teigneux (à concurrence avec le pétasite), herbe aux pouilleux, glouteron, grateron, grateau, gratteau, grappeau, grappon, grippe copeau, grippe corbeau, bouillas, bouillon noir, chou d’âne, oreille de géant, peignerolle, pignet, oiegnerolle, oignet, napolier, napas, dague, dogue, laparasse, lampourde, cousin, rhubarbe du diable, rapace, artichaut, graquias (ou craquia au Québec).

Au sein du nom latin de la bardane – Arctium lappa – sont condensées deux origines étymologiques. La première, qui est grecque, concerne le mot arctium, provenant d’arktios, « ours », arkteion, « oursin » (ce qui ferait d’Arctium lappa une grande ourse et d’Arctium minus une petite ourse ^.^), en raison de son apparence robuste et de l’allure d’ours mal léché que l’on peut trouver à cette plante, sans oublier, bien sûr, les capitules floraux qui se confondent assez aisément avec le petit animal marin hérissé de piquants acérés. Arction, c’est donc ainsi, il y a 2000 ans, du temps de Pline l’Ancien, que l’on appelait la bardane, comme on peut le constater dans l’œuvre de Dioscoride qui préconisait la racine râpée « pilée et emplâtrée, afin de mitiger les douleurs des ligaments des articulations ». Il ajoutait aussi que « l’on emplâtre les feuilles avec utilité sur les ulcères anciens »1. Chez les auteurs de langue latine, elle apparaît selon différentes appellations : personata chez Pline (parce que cette plante peut attendre la taille d’un homme et qu’une seule de ses feuilles peut dissimuler à la vue son identité) et plus généralement lappa, lui-même émanant du grec labeîn, « saisir, attraper », qui s’explique sans mal en raison de l’aptitude des capitules à s’agripper de partout, et face auxquels s’emportait le poète Virgile. Dans les Géorgiques, cela apparaît très nettement : Virgile estimait cette plante incompatible avec l’élevage des moutons, ce qui se peut aisément comprendre : « Si tu fais de la laine l’objet de tes soins, commence par éviter la silve épineuse : bardanes et tribules »2, tant il est vrai que « ces boules forment, parfois, des amas enchevêtrés dans la toison des moutons »3. Le poète latin objectait les mêmes récriminations en ce qui concerne la culture céréalière : les céréales se meurent sur ces terrains trop riches où la grasse bardane élit domicile, au point que Virgile y voit des forêts, de même que les deux très vieux escargots d’un conte d’Andersen, ce qui, vu leur taille, peut plus facilement se comprendre. (Dans ce conte intitulé L’heureuse famille, Andersen nous apprend qu’autrefois l’on semait la bardane afin de répondre à l’élevage des escargots, cette plante constituant la principale pâture de ces animaux qui ne jurent que par elle, du moins dans le texte d’Andersen.) L’idée selon laquelle la bardane est nuisible pour l’agriculture n’est pas seulement circonscrite à l’époque de Virgile : au début du XXe siècle, Antonin Rolet et Désiré Bouret ne disaient pas moins. Vingt siècles séparant la même idée… On comprend qu’aujourd’hui la bardane puisse encore faire partie du club honni des plantes mal aimées (du moins par les propriétaires de champs et de moutons). Bref. Revenons-en, de nos moutons. Le mot bardane, si l’on ne sait pas trop d’où il sort (peut-être de barda, « couverture pour cheval », vu le grand enveloppement dont ses feuilles sont capables…), il est néanmoins présent sous une forme altérée (parduna) dans le Capitulaire de Villis (encore qu’au haut Moyen âge, parduna désigne aussi bien ces autres plantes à larges feuilles que sont tussilage et pétasite, mais comme ces deux plantes ne font pas partie du capitulaire carolingien, on est en droit de penser que ce parduna s’applique bien à la bardane). Hormis ces considérations d’ordre linguistique, mentionnons tout de même l’usage médicinal de la bardane aux temps médiévaux. Par exemple, on peut l’entrevoir dans la pharmacopée de Hildegarde de Bingen sous le nom de cletta (klette aujourd’hui en langue allemande). Selon l’abbesse, la racine de bardane est parfaitement inutile, lui préférant de loin ses feuilles dont elle indique tout de même la dangerosité pour l’homme, qu’elles soient cuites ou crues, ainsi que ses fleurs, employant la bardane à de rares exceptions (douleurs pectorales et respiratoires, colique, calculs rénaux, ulcère du cuir chevelu), ce qui dessine beaucoup de similitudes avec le profil thérapeutique que l’on accorde aujourd’hui à la bardane. Ce n’est que plus tard que la bardane rencontra un considérable succès médical en tant que topique à travers une foule de maladies cutanées, telle qu’elle est encore considérée aujourd’hui. Elle fut alors très prisée, au même titre qu’une autre racine médicinale, celle de grande aunée (Inula helenium), comme vulnéraire et résolutive, en particulier par l’usage externe des parties souterraines sur les maladies de peau (scrofule, gale, « lèpre », dartre, teigne, bien sûr, sans quoi la bardane ne serait pas l’herbe aux teigneux). On la disait aussi diurétique, sudorifique, détersive, pectorale et un peu astringente, à même d’intervenir en cas de lithiase, de crachement de sang, de goutte, d’arthrite et de rhumatisme.

Mais c’est véritablement au XVIe siècle que la carrière médicale de la bardane emprunta un nouveau tournant, puisque c’est grâce à des décoctions de sa racine (additionnée de séné) que l’on parvint à guérir le roi de France Henri III (1551-1589) de la grande vérole, c’est-à-dire la syphilis, sans doute contractée auprès d’une de ses nombreuses maîtresses, à moins qu’il ne s’agisse là du cadeau empoisonné offert par un mignon tout prêt à busquer le postérieur pour un peu de trésorerie. C’est cette nouvelle ligne sur son curriculum vitae qui conforta son statut de panacée, ce qui incita très probablement Lazare Rivière (1589-1655) à plancher sur les soi-disant propriétés antisyphilitiques de la bardane (à tous le moins est-elle sudorifique et diaphorétique, ce qui est toujours fort utile à travers cette affection vénérienne pénible qu’est la syphilis). A peu près à la même époque, l’agronome français Olivier de Serres rapportait les autres usages de la bardane qu’il avait repérés en son temps (cicatrisation des plaies et des ulcères, guérison des morsures de serpents et des « autres bestes malignes »).

Ériger la bardane au rang d’antisyphilitique allait forcément la placer sur un délicat plan de clivage. Que dire alors de ses prétendues propriétés anti-goutteuses ? C’est du moins ce que vantait le médecin et botaniste anglais John « Burdock » Hill (1716-1775) dans un opuscule plusieurs fois réédité (La gestion de la goutte, dans l’alimentation, l’exercice et le tempérament ; avec les vertus de la racine de bardane, prise à la manière du thé). Bien que souffrant lui-même de la goutte, il y expliquait tous le profit qu’il tirait des vertus anti-goutteuses de la bardane, ce qui ne l’empêcha pas, fait observer Fournier visiblement pince-sans-rire, de mourir exactement de cette maladie. A bien considérer la littérature qui s’étala de 1700 à 1900 environ, il est plus qu’évident que la supposée vertu anti-goutteuse de la bardane fut davantage suivie que sa propension à guérir la syphilis. Comme toujours, la même plante offre son lot d’aficionados et de contempteurs, ceux-ci essentiellement parce que la plante a failli entre leurs mains. Au cours de ces deux siècles, la bardane, dont on utilisait autant la racine que les feuilles et les semences, s’administrait intus et extus. Après bien des errements, « les praticiens sont assez d’accord aujourd’hui (1819) pour regarder la racine de bardane comme un bon dépuratif et un bon sudorifique »4, de même qu’un diurétique secourable : cette plante est utile lorsqu’il importe de mettre en branle les circuits de récurage et d’évacuation des déchets contenus dans l’organisme vers l’extérieur, au risque qu’ils n’encrassent l’économie et n’occasionnent des dépôts capables de causer des lithiases, des troubles locomoteurs essentiellement provoqués par accumulation d’urée et d’acide urique (arthrite, gonflement articulaire, rhumatisme chronique, goutte), ainsi que diverses affections cutanées, surtout celles qui témoignent d’un trouble interne de la dépuration (gale, « lèpre », teigne, tumeurs scrofuleuses et syphilitiques). Cette œuvre de nettoyage s’effectuait également par le biais plus immédiat de la voie externe, la bardane étant vue comme une astringente légère, vulnéraire, émolliente, résolutive et détersive, trouvant, là encore, moyen de faire merveille dans bien des affections cutanées (ulcère atonique et variqueux, tumeur, brûlure, etc.). Pectorale et béchique, on envisageait aussi son emploi au cours de maladies comme l’asthme et l’hémoptysie. Enfin, ses vertus fébrifuges, même légères, ne contrevenaient pas à ce que l’on s’en serve en cas de fièvre intermittente. Puis on parvint à Cazin : il cite nombre d’auteurs ayant donné cette plante dans telle ou telle affection, en raison de ses propriétés x ou y, dont certains la disaient supérieure à telle plante, succédanée de telle autre, etc. Bon, bien évidemment, il y avait aussi des pas contents, des Cullen, Chaumeton et autres Desbois de Rochefort. Ce dernier convenait que la racine de bardane était moins efficace que les sudorifiques exotiques. Après avoir dressé la liste des propriétés que l’on reconnaissait à la bardane, il posa la question suivante : « Mais possède-t-elle vraiment ces propriétés ? Elle n’a pas d’odeur, presque pas de goût, et n’est presque que mucilagineuse. Beaucoup de praticiens sont revenus de ses vertus »5. En manière de contradiction, Botan expliquait que la bardane était si éminemment sudorifique qu’il fallait la préférer, parce que supérieure, à la salsepareille américaine ! Parmi les auteurs contemporains, j’ai même fini par mettre la main sur le Cullen du XXe siècle, en la personne de Varro Eugene Tyler. Dans son Honest Herbal (1996), au chapitre dédié à la bardane, il écrit la chose suivante : « En dépit de sa longue utilisation comme remède folklorique, il n’existe aucune preuve solide que la bardane présente une activité thérapeutique utile »6. Voici une sottise qu’il faut savoir proférer sans broncher du museau ! C’est qu’il va falloir détromper le bonhomme !… D’ailleurs, je me demande bien ce qu’en penseraient la médecine traditionnelle chinoise et la médecine amérindienne, qui usèrent abondamment de cette plante en thérapie.

En Chine, outre que l’on consomme la bardane-racine (niu-bang gen ; aux semences, l’on a accordé le nom de niu-bang zi), on la réserve aussi au rôle de médicament pour des raisons qui rappellent fort ce pourquoi elle est usitée en Europe. Elle dégage les poumons, apporte du confort à la gorge, tout en purifiant l’appareil respiratoire de ses toxines. La bardane agit donc très favorablement sur le méridien du Poumon, celui-là même qui joue le rôle de sas entre l’intérieur et l’extérieur (physiquement et symboliquement). Il y a donc beaucoup d’importance à traiter les voies aériennes supérieures, porte d’entrée vers le système pulmonaire d’une part, gastro-intestinal d’autre part. La bardane est donc impliquée dans les affections des voies hautes (toux, maux de gorge, amygdalite, otite, gingivite, maux de dents). Compagnon du méridien du Poumon, le méridien du Gros intestin, doué d’une action éliminatrice et excrétrice, convient bien à la bardane, puisqu’en cas de perturbation de ce méridien, on voit surgir des affections cutanées (dermatose, irritation et démangeaison, eczéma), qui prouvent bel et bien à quel point la bardane n’a pas démérité de sa réputation dépurative, à laquelle il ne faut pas omettre d’ajouter ses vertus diurétique, diaphorétique et anti-inflammatoire. Qui parle de panacée ? Pas moins que la médecine traditionnelle chinoise ! Écoutez plutôt : « Ce traitement est presque la panacée, il est utilisé pour la purification du corps (le draineur des homéopathes), il permet une bonne circulation de l’énergie des méridiens, calme la nervosité, facilite le transit intestinal, élimine les toxines de tous les organes, fortifie le corps et les quatre membres et élimine les graisses, fait donc perdre du poids »7. Bien davantage qu’en Occident, ce sont surtout les semences de la plante qui sont employées en médecine (décoction et infusion, poudre de semences absorbée avec du vin, graines moulues et saupoudrées quotidiennement sur les aliments, etc.). Qu’en est-il, maintenant, du côté de l’Amérique du Nord ? Bien que la grande bardane y soit d’introduction relativement récente, l’ethnobotanique amérindienne expose un large reflet de son utilisation étendue à plusieurs tribus (Iroquois et Cherokee surtout, Maliseet, Menominee, Micmac, Ojibway…). Les Amérindiens s’y intéressèrent tant qu’on peut affirmer sans risque d’exagération qu’ils conféraient à la grande bardane l’ensemble des propriétés qui suivent : diurétique, sudorifique, dépurative du sang (le purge des humeurs qui l’encombrent et l’empoisonnent), antisyphilitique, analgésique, fébrifuge. Ils lui accordèrent aussi un rôle majeur de remède dermatologique et à même de favoriser la conception. Par l’infusion (de racine, feuille ou semence), la décoction de racine fraîche ou sèche, la poudre de la plante entière ou encore les cataplasmes de racines ou de feuilles premièrement broyées puis bouillies, l’on venait à bout d’un panel de maux qui ne sont pas sans rappeler ce que nous avons pu dire au sujet de la médecine traditionnelle chinoise et de la médecine occidentale : troubles locomoteurs (mal de dos, rhumatisme), affections cutanées (plaie, coupure, ecchymose, urticaire, eczéma, furoncle, éruption de boutons, piqûre d’insecte), affections scrofuleuses, maladies vénériennes (chancre syphilitique), gravelle, hémorroïde, scorbut, fièvre, maux auriculaires, maux de tête (afin de protéger cette dernière de l’ardeur du soleil, l’on cousait ensemble des feuilles fraîches de bardane afin d’en composer un rafraîchissant couvre-chef). Chez les Iroquois, l’on appelait à l’aide la bardane quand il y avait lieu de soupçonner l’utilisation de la sorcellerie dans la survenue de maux d’estomac douteux. Eh oui, comment douter que la bardane anthropophile (parce qu’un peu anthropomorphe, ne serait-ce que par sa haute stature) puisse ne pas être impliquée dans la vie quotidienne des hommes, y compris dans le domaine des choses magiques et spirituelles ? Il y a 2000 ans, Pline l’Ancien révélait que la bardane faisait partie des plantes chères aux druides, sur laquelle pèse l’influence des planètes Vénus et Mercure. Plante froide et sèche, la bardane se retrouva bien plus tard dans le cortège des plantes solsticiales et de celles que l’on jette dans le feu lors de la nuit de la Saint-Jean afin de se prémunir de l’orage (dans les contes, c’est souvent une large feuille de bardane qui offre son concours, protégeant le héros face aux éléments déchaînés venus du ciel, et quand l’eau s’accumule au risque de s’y noyer, c’est encore grâce à une feuille de bardane que l’on se sauve du naufrage. En Grèce, l’on procédait à un rituel étonnant, comme le rapporte Angelo de Gubernatis  : « L’homme frappé par l’aëricó [NdA : une sorte de démon forestier] se soigne à l’aide de la bardane. On trempe du pain dans le vin, et on le répand sur la bardane aux larges feuilles. En même temps, les prêtres, par la lecture de l’Évangile, doivent exorciser le diable »8 (qui m’a tout l’air d’être un simple esprit sylvain comme il en existe tant). Au registre des autres croyances protectrices, on s’imaginait que caresser chaque soir une racine de bardane suspendue au-dessus du foyer permettait de s’assurer un sommeil paisible et réparateur. L’on augmentait la puissance de l’eau bénite en lui ajoutant trois gouttes de suc de bardane le jour de la Toussaint. D’un point de vue plus ludique (quoi que… dans le jeu se dissimule bien des aveux qui ne pourraient s’exprimer autrement…), « les garçons cueillent les capitules de bidens et des lappa, pour les mettre dans la chevelure des filles, et les filles s’efforcent de les placer dans la barbe des garçons. En Picardie, dans l’Aube, les enfants s’amusent à lancer des fruits de bardane sur les habits et de préférence sur la tête des femmes »9. Cela explique peut-être pourquoi l’on a fait de la bardane un symbole d’importunité. En revanche, si une jeune fille a du mal à se dépêtrer des teignes qu’un jeune homme lui a lancées, c’est une signe évident que cette forte attache préfigure un mariage prochain avec lui. Cette même bardane peut même révéler au garçon si celle dont il s’amourache est encore vierge : si elle urine tout de suite après avoir mangé feuilles et racines de bardane, c’est donc qu’elle a perdu sa virginité quelque part. La bardane serait-elle donc aussi symbole d’infaillibilité ? ^.^

Robuste plante de nos campagnes, l’on peut peiner à imaginer que cette géante de la taille d’un homme parfois ne soit que bisannuelle, exposant tout d’abord une rosette de feuilles plus ou moins cordiformes, bien vert foncé au-dessus, aranéeuses sur leur face inférieure (c’est-à-dire cotonneuses, recouvertes de longs poils mous entrecroisés comme des fils d’araignée, à la façon d’un filtre dépuratif). Puis, la plante, entrant dans sa seconde année, se ramifie, voit émerger une tige droite et striée, alors que les feuilles basales ne font que grandir, atteignant parfois, de l’extrémité du limbe au bout du pétiole, une distance de 180 cm ! Sur la tige, des feuilles caulinaires intermédiaires et supérieures, s’égrènent jusqu’au sommet, également ondulées sur les bords, mais de forme plus simple (ovale) et surtout d’un gabarit plus modeste, ce qui confère à la bardane de seconde année sa caractéristique silhouette pyramidale parachevée par la hampe florale qui s’orne de capitules flosculeux et globuleux de 3 à 4 cm de diamètre. Lorsque la floraison se déroule, on peut observer, au centre de chaque capitule, des fleurs fleuronnées de couleur pourpre violet. Ces inflorescences denses sont cernées par des bractées dont les extrémités sont recourbées en forme de houlette dont une observation minutieuse explique l’aisance avec laquelle elles s’accrochent aux vêtements et au pelage des animaux de passage. On appelle ce mode original de dispersion des semences la zoochorie, le même qu’utilisent les petits fruits en grappin de l’aigremoine. La floraison estivale (juin-septembre) de la bardane donne lieu, après fécondation, à la formation de courtes semences aigrettées qui ne possèdent pas la grâce du parachute du pissenlit pour ce qui est de se mouvoir (on l’a dit, la bardane n’est pas aérienne, mais terrestre : elle se déplace donc plus facilement ventre à terre).

J’imagine mal une bardane bien s’épanouir sur un terrain que l’on réserve habituellement aux céréales (et où l’on viendrait la houspiller de virgilienne façon ^.^), puisque les terres pour lesquelles va sa préférence sont de nature lourde, profonde et compactée, tassées par le piétinement du bétail par exemple (un type de sol où l’on n’aurait pas l’idée d’aller flanquer des céréales). Effectivement, elle se développe mieux sur des sols caillouteux, argilo-calcaires et mal drainés, riches en vieil engrais azoté et ammoniaqué, autrement dit à proximité des habitations, et en tous les lieux où se déploient les activités humaines : sur les terrains vagues, au pied des vieux murs, le long des voies de chemin de fer, près des granges, à l’abord des vieilles constructions en ruines, dans les cimetières (!) et dans tous les « autres endroits remarquables où personne ne peut l’ignorer » : bordure de chemin, bois clair, clairière, décombres, remblais, talus. Gérard Ducerf signale que la bardane indique aussi l’ancienne présence de zones ayant longtemps abrité des dépôts de bois. Chez mes grands-parents, se dressaient, non loin de la ferme, de grands tas de bois mis au séchage. Mon grand-père venait directement y débiter les bûches qui finissaient dans le poêle de la cuisine. A la terre du lieu de découpe se mêlaient sciure et copeaux de bois, formant un substrat sur lequel s’épanouissait grassement la verte bardane.

Du fait que la bardane pousse dans le voisinage de l’homme, on a dit d’elle qu’elle était une plante compagne. Voyons voir maintenant à quel point la bardane est de bonne compagnie d’un point de vue médical, non sans avoir osé l’observation suivante : la présence de cette plante en un certain nombre d’habitats que nous avons listés plus haut dit bien sa capacité thérapeutique de venir à bout et de supprimer les contraintes et les endurcissements relatifs à l’accumulation de solides dans l’organisme sur le temps long.

La grande bardane en phytothérapie

Que contient donc la bardane, en terme de principes actifs, à même d’intéresser le phytothérapeute ? Et dans quelles parties de cette plante les trouve-t-on ? Comme nous avons pu le constater à la lecture des lignes qui précèdent, l’intérêt pour la bardane se situe essentiellement sous terre : c’est effectivement sur sa racine charnue que l’on a fixé le point d’attention prioritaire, ses feuilles dans une moindre mesure (bien qu’on observe une modification de leur perception depuis quelques décennies). Quant aux graines de la bardane, autrefois quasiment inemployées, elles demeurent encore trop peu étudiées. Mais – l’on s’en rendra compte – tout laisse à penser qu’elles mériteraient encore davantage d’attention de la part de la recherche afin de se hisser – pourquoi pas ? – au même niveau que les graines de chardon-marie. Mais débutons tout d’abord par ce qui tient le haut du pavé en matière de substance médicinale depuis des siècles, c’est-à-dire la racine, d’odeur forte, nauséeuse, rappelant un peu celle du renfermé (une odeur de cave d’aucuns diraient : vu d’où on la tire, c’est un peu normal ^.^), de saveur douceâtre et un peu amère à la fois, un tantinet astringente. Enfin, rien de bien engageant si l’on considère encore l’aspect quelque peu gluant qu’adopte cette racine fraîche à la cassure. Cette racine, à l’écorce de couleur fauve et à l’intérieur blanc, dont la longueur est comprise entre 50 et 100 cm, se compose majoritairement de quatre substances que l’on trouve en proportions très élevées : tout d’abord un glucofructosane que l’on connaît bien pour être présent dans la racine de bien des plantes de la famille des Astéracées, c’est-à-dire l’inuline (qui tire son nom de la grande aunée, Inula helenium), qui se décompose à la suite en fructose et lévulose. Cette réserve énergétique propre à la plante représente parfois jusqu’à plus de la moitié du poids de la racine (45 à 70 %). Ajoutons environ 10 % d’eau, 6 % de fibres et 7 % de sels minéraux et oligo-éléments (potassium, calcium, phosphore, fer, sodium, magnésium, etc.), et l’on aura bien rempli notre besace. En quantité, certes. Mais dans le détail et l’infiniment petit, qu’en est-il ? Tenant compagnie à cette énorme masse d’inuline, l’on observe bien encore quelques sucres dans cette racine, dont des hexasaccharides (arctose) et polysaccharides (glucose, rhamnose, arabinose, galactose, xylose), d’intéressantes vitamines (C, E, B1, B2, B6), une essence aromatique (0,2 %) à sesquiterpènes, acides et lactones (dont l’arctiopicrine), des carotènes, des acides organiques (malique, acétique, lactique, isovalérique, tiglique, butyrique, propionique), etc. Venons maintenant au plus près de certaines classes moléculaires qui se sont avérées majeures pour la médecine par les plantes, à compter par les flavonoïdes (quercétine, apigénine, nobilétine) et les acides phénoliques (acides caféique, quinique, arctique, chlorogénique) qui offrent à la racine de bardane un très bel échantillon de polyphénols. On y retrouve encore une fois ces phytostérols (stigmastérol, β-sitostérol, 3-O-acétyluppéol), qui ne sauraient nous faire oublier que la racine de bardane s’enorgueillit d’accueillir dans ses chairs des composés acétyléniques comme l’arctinol et le lappaphen, mais surtout des triterpènes (α et β-amyrine, lupéol, 4-taraxastérol) et des lignanes dont le matairésinol, l’isolappaol, les lappaols A, B, C, D, E, F et H, enfin l’arctiine et l’arctigénine, molécules fort étudiées, que l’on croise aussi dans les feuilles et les semences de la plante. Considérant les seules graines de la bardane, nous pouvons mentionner que s’y trouvent d’autres substances autrefois insoupçonnées (il faut dire qu’on n’était pas allé les y chercher) comme des acides gras, des acides phénoliques, des flavonoïdes, des triterpènes, des sesquiterpénoïdes, une essence aromatique, enfin d’autres lignanes tels que, par exemple, l’arctiisesquinéolignane B, puis une substance encore plus anti-oxydante que la vitamine C et que l’on appelle l’arctiiphénolglycoside A, etc. Quant aux feuilles, qu’on jugeait auparavant peu dignes d’intérêt pour la phytothérapie, elles recèlent lactones (onordopicrine), acides mono et di-cafféolquiniques, et ne me semblent pas avoir encore livré tous leurs secrets.

Propriétés thérapeutiques

La racine :

  • Facilite les fonctions des reins, des voies urinaires, de la vessie et de la prostate, diurétique éliminatrice de l’acide urique et de l’urée, augmente l’azotémie et l’uricosurie, dépurative puissante du foie, de la vésicule biliaire et du sang, drainante des toxines hors du corps (produits chimiques, colorants alimentaires, métaux lourds), liquéfactrice et collectrice de pus dans l’organisme, sudorifique, diaphorétique (« Elle exerce une action douce sur la peau ; elle rétablit la transpiration et la moiteur de cet organe quand il est aride, irrité »10)
  • Hépatoprotectrice, cholérétique, antidiabétique, hypoglycémiante, anti-hyperglycémiante
  • Anti-oxydante, lutte contre le stress oxydatif, anti-inflammatoire, neuroprotectrice
  • Anticancéreuse à cytotoxicité minime (« Contrairement à ses puissants effets inhibiteurs de croissance sur les cellules tumorales, le lappaol F a eu des effets cytotoxiques minimes sur les cellules épithéliales non tumorigènes testées. […] Nos résultats, pour la première fois, démontrent que le lappaol F présente une activité antitumorale in vitro et in vivo »11), inhibe la croissance des cellules cancéreuses (estomac, côlon, foie, poumon, peau), antiangiogénique
  • Digestive, laxative, gastro-protectrice
  • Protectrice cardiovasculaire et thrombotique, régulatrice du système sanguin, favorise la santé du système lymphatique
  • Anti-infectieuse : antivirale, antifongique, antibactérienne (Bacillus subtilus, Staphylococcus aureus, streptocoques, pneumocoques…), immunostimulante, tonique fortifiante
  • Vulnéraire, détersive
  • Stimulante de la libido ? (La bardane rendrait, dit-on, la fertilité. Nous avons dit que des histoires d’amour pouvaient découler des teignes qu’on s’envoyait à travers la figure, alors bon… ^.^)
  • Stimulante de la repousse capillaire
  • Antivenimeuse (venin de vipère, d’insecte)

La semence :

  • Anti-infectieuse : antivirale, antibactérienne
  • Diurétique, diaphorétique, évacuante des toxines qu’accumule le corps lors des états fébriles et infectieux
  • Anti-ulcéreuse gastrique
  • Anti-oxydante, anti-inflammatoire
  • Analgésique
  • Hypoglycémiante, protectrice hépatique
  • Anticancéreuse, antitumorale
  • Préventive des maladies du système nerveux central

La feuille :

  • Anti-oxydante
  • Topique contre les morsures de serpent, les piqûres de guêpe
  • Antiseptique cutanée, émolliente, résolutive, détergente et cicatrisante des ulcères

Usages thérapeutiques

Le domaine d’action majeur de la bardane, c’est avant tout la dépuration de l’organisme, c’est-à-dire son nettoyage, tâche qu’elle effectue à la manière de la pensée sauvage à laquelle il est tout à fait possible de l’associer. Grâce à cette aptitude, la grande bardane est capable de soigner et de guérir bien des affections cutanées témoins d’un désordre intérieur.

La racine :

  • Affections cutanées : acné, furoncle, anthrax, dartre squameuse et furfuracée, prurit dartreux, eczéma (sec, squameux, impétigineux, fuligineux), érysipèle, exanthème, psoriasis, phlegmon, herpès, impétigo, panaris, folliculite (sycosis), teigne, croûte de lait, gale de lait, plaie purulente, ulcère (de jambe, atone, variqueux), abcès, favoriser l’éruption au cours des maladies infectieuses (rougeole, scarlatine, variole, rubéole, oreillons), toutes autres éruptions chroniques obstinées, séborrhée de la face, brûlure, excoriation superficielle, toutes autres démangeaisons, inflammations et irritations cutanées
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie et état dyspeptique, constipation, colite aiguë, gastralgie, choléra
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : cholécystite, colique hépatique, dommage hépatique causé par le paracétamol, stéatose hépatique, ictère, jaunisse, diminution du foie chez le cholémique, diabète sucré du type II (adjuvant)
  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique aigu, toux, tuberculose, irritation des bronches, otite, sinusite, rhume, écoulement muqueux durant la grippe, rhinopharyngite, angine, amygdalite, pleurésie
  • Affections buccopharyngées : gingivite, abcès bucco-dentaire, pyorrhée alvéolo-dentaire
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, lithiase urinaire, irritation de l’appareil urinaire, réduction du volume de la miction, anasarque, hydropisie
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme opiniâtre, arthritisme, goutte, gonflement articulaire de l’arthrite aiguë, entorse
  • Affections du cuir chevelu : alopécie, cheveux gras, pellicules, croûtes sèches, desquamation
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : artériosclérose et ses complication (AVC), engorgement hémorroïdaire, adénite
  • Troubles de la sphère gynécologique : engorgement des seins, cancer du sein, affections utérines (s’étalant de la métrorragie jusqu’au cancer de l’utérus)
  • Obésité
  • Troubles de l’apprentissage et de la mémoire (maladies neuro-inflammatoires et neurodégénératives)
  • Engorgement splénique
  • Blépharite
  • Scorbut
  • Morsure de serpent (vipère : c’est avéré depuis au moins le temps de Columelle), piqûre (abeille, guêpe, frelon, moustique)

La semence : d’usage thérapeutique en bien des endroits du monde (Inde, Japon, Iran, etc.), elle manque encore d’études en Occident. Nous pouvons néanmoins indiquer que la graine de bardane est impliquée dans les affections suivantes :

  • Maladies du système nerveux : épilepsie, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson
  • Affection cancéreuse (gliome, etc.), cachexie cancéreuse
  • Maladies infectieuses du système nerveux : toxoplasmose, encéphalite japonaise
  • Maladies métaboliques : obésité, diabète
  • Affections cutanées : psoriasis (« On dit qu’une teinture des graines, longtemps administrée, est un des meilleurs remèdes contre le psoriasis »12)

La feuille :

  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, articulation douloureuse
  • Affections cutanées : panaris (ainsi qu’un bon nombre de celles que nous avons placées plus haut sous la houlette de la racine)

A tous ceux qui ignorèrent superbement la bardane à leur époque, disons leur simplement qu’une très récente étude chinoise (août 2023) entrevoit le potentiel thérapeutique d’un extrait de feuille de bardane face à la maladie d’Alzheimer… Il faut, en tout, se garder des avis trop tranchés et conserver par devers soi le don de l’observation et de la sagacité.

Modes d’emploi

  • Décoction de racine fraîche : comptez 15 à 60 g de racine débitée en petits morceaux en décoction dans un litre d’eau pendant au moins 5 mn (et jusqu’à 10 maximum), suivie d’une infusion pendant une dizaine de minutes. Cette décoction se destine à un usage tant interne qu’externe (compresse, lotion capillaire). Parfois, certaines affections cutanées rebelles requièrent de forcer la dose. C’est pourquoi l’on peut parfois rencontrer des recettes de décoction concentrée qui emploient jusqu’à 200 g de racine fraîche par litre d’eau. Décoction composée pour la chute de cheveux : feuilles et racines d’ortie, racine fraîche de bardane et sommités fleuries de thym à parts égales en décoction dans un litre d’eau pendant 15 mn. Filtrez et utilisez comme lotion après-shampooing. En friction douce sur le cuir chevelu de façon régulière.
  • Infusion de racine (plus rare, mais toujours possible) : elle se réalise grâce à 10 g de racine sèche (ou 20 g fraîche), à infuser pendant un bon quart d’heure dans un volume d’un litre d’eau.
  • Macération alcoolique de racine : dans un demi-litre d’alcool à 50° (du type rhum ou vodka), déposez 100 g de racine fraîche débitée en morceaux. Laissez en contact pendant au moins trois semaines, à l’issue desquelles il sera nécessaire de passer, de fortement exprimer les racines, puis de filtrer le liquide obtenu, que l’on conservera en bouteille ambrée opaque.
  • Décoction de semences : comptez 20 g de graines de bardane en décoction à petits bouillons dans un litre d’eau pendant 10 mn.
  • Infusion de semences : dans un demi-litre de vin blanc, placez 4 g de semences un peu broyées pour 24 heures.
  • Infusion de feuilles fraîches : comptez 40 g de feuilles morcelées en infusion dans un litre d’eau pendant 15 mn.
  • Cataplasme de feuilles fraîches : triturez au mortier la quantité nécessaire de feuilles fraîches débarrassées du pétiole pour réaliser le cataplasme, jusqu’à l’obtention d’une pulpe assez fine à laquelle on adjoint quelques cuillerées à soupe d’huile d’olive. Après avoir bien mêlé le corps gras, placez à douce chaleur pendant 24 heures avant utilisation.
  • Application locale de feuilles fraîches entières un peu écrasées au rouleau à pâtisserie et/ou chauffées à la flamme quelques instants. On enveloppe ensuite les zones du corps à traiter à l’aide de ces feuilles. Autrefois, afin de se procurer une bonne suée, les habitants des campagnes s’empaquetaient les pieds de feuilles de bardane et les conservaient en place plusieurs heures durant.
  • Suc frais (de racine, de feuille ou de pétiole) en application locale.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : grâce à une fourche du diable, il est possible de déchausser la racine de bardane préférablement entre l’automne de sa première année de vie jusqu’au printemps de la seconde, soit de septembre-octobre à mars-avril, mais jamais sur un pied auquel l’on aperçoit les premiers boutons floraux : afin d’assurer sa floraison et sa fructification, la plante puise très largement dans les réserves accumulées dans sa racine au cours de la première année. Récolter une telle racine, c’est s’assurer d’extirper du sol quelque chose de ligneux, qui plus est pratiquement inactif, la plante se dirigeant tout doucement vers son déclin et sa mort. Une fois arrachée, il s’agit d’éliminer les parties éventuellement abîmées, de brosser la racine, puis de la laver bien proprement avant utilisation immédiate (du moins pour un emploi qui se destine aux quelques prochains jours). Pour ce faire, on prend soin de bien l’emballer dans un torchon et de l’entreposer dans le bac à légumes du réfrigérateur (ou sur un lit de sable humide, si jamais vous disposez d’une cave). La racine de bardane supporte très peu la dessiccation, de plus, une fois sèche, elle perd quasiment toutes ses propriétés, ce qui n’est pas très réjouissant pour une racine difficile à extraire du sol et à faire sécher, et qu’il importe de renouveler chaque année. Ainsi, si vous rencontrez, en boutique bio par exemple, de la racine sèche de bardane en sachet kraft, mieux vaut vous abstenir d’en acheter, elle ne vous servirait à (presque) rien. D’autant qu’on ignore bien souvent de quelle façon elle a été séchée : plus qu’au soleil, il est préconisé de faire appel à la chaleur artificielle (au four) pour obvier au délicat problème de la difficile dessiccation de la racine de bardane qui doit perdre 70 à 80 % de sa masse avant d’être parfaitement sèche, c’est-à-dire prendre la forme de rouelles légères, dures et ridées. Or, ce sont souvent les méthodes les plus naturelles qui offrent les meilleurs profils biochimiques, au contraire d’une méthode comme la lyophilisation sous vide, qui entrave le correct développement des substances aromatiques contenues dans la racine de bardane. Au sujet des feuilles, cela ne concerne que la première année de végétation de la plante : d’avril à mai, s’il s’agit d’en faire un usage alimentaire, de juin à fin août s’il est médicinal. Enfin, les semences se détachent de la plante à l’automne de la seconde année, lorsqu’elle a bien séché sur pied.
  • D’un point de vue alimentaire, les usages qu’on en peut faire en Europe occidentale ne disent rien de ce qu’ils furent autrefois, ni de la manière dont on honore ce légume en d’autres lieux encore à l’heure actuelle. En des temps pas si reculés que ça, la racine de bardane offrit une belle provende (malgré les remarques quelque peu sarcastiques de certains auteurs modernes qui ne sont pas parvenus à en tirer quoi que ce soit de comestible. Pourquoi – toujours ! – faire porter la responsabilité d’un échec sur les plantes, hum ? ^.^) Une fois râpée, elle peut se consommer crue comme la carotte, être cuite à l’eau ou à la vapeur, et demande souvent à être blanchie avant d’être sautée, frite, braisée, rôtie, etc. Des côtes l’on peut faire un usage aussi bien cru que cuit, à la condition d’en ôter la fine peau qui les recouvre (à la façon des côtes de bette). J’ai goûté de ces dernières il y a déjà longtemps, je me souviens que c’était loin d’être mauvais. Quant aux feuilles, on se contentera des plus jeunes si l’on désire les consommer crues (les vieilles deviennent aigres et amères). On les cuira à deux eaux afin d’en ôter la toute petite amertume qu’elles recèlent, si jamais on devait les préparer cuites. C’est ainsi qu’on consomme la bardane en Corée du Sud (u-eong) et au Japon (gôbo ou tokinogawa). Cette racine à texture croquante et charnue, possède une saveur terreuse qui rappelle un peu la noisette. On en trouve de petit diamètre (elles ont l’avantage d’être moins fibreuses) sur les marchés et les magasins en Corée et au Japon, comme nous autres y dénichons radis noir et betterave. Très jeunes racines et tendres feuilles sont consommées crues, bien que la bardane soit plus habituellement cuite en Asie. Afin d’en conserver un meilleur goût, il est recommandé de ne pas peler les racines, mais de bien les frotter à la brosse à légumes, puis de les rincer à l’eau claire. Dans son livre Roots : the definitive compendium with more than 225 recipes (2012), Diane Morgan fait défiler les recettes ayant pour base la racine de bardane, qu’elle agrémente marinée, préparée au vinaigre genre pickles, râpée et assaisonnée d’une sauce au sésame, sautée au curry, cuite en soupe, etc. Les Asiatiques semblent si friands de la bardane que certains cultivars, comme par exemple au Japon, ont été mis au point afin de réduire la taille de leurs feuilles et d’augmenter la saveur de leurs racines. Enfin, sachons que les capitules floraux auxquels on ne voit pas encore les fleurons rose pourpre sont parfois cuits à la vapeur : à la dégustation, on peut leur deviner comme un petit goût d’artichaut.
  • En période de disette, on regarde souvent si l’on ne met pas le pied sur une espèce de plante qu’on dédaignerait en temps normal (nous avons récemment étudié le cas du chénopode blanc, on pourrait lui ajouter bien des plantes qui sont dans ce cas tant elles sont nombreuses), on a utilisé parfois la racine comme ersatz de café, et de ses feuilles l’on fit un des nombreux succédanés du tabac. Ce n’est pas parce que c’est la crise qu’il ne faut pas perpétuer ce vice qu’est la cigarette, laquelle apprécie généralement la présence à ses côtés du petit noir (qui a vu Coffee and Cigarettes de Jim Jarmusch ? ^.^)
  • Aux doses usuelles normales, la bardane ne présente aucun risque d’utilisation. On convient seulement d’y faire attention en cas d’allergie avérée aux astéracées, en cours de grossesse et de se l’interdire si jamais l’on est frappé de diarrhée chronique.
  • Diverses plantes sont capables de tenir compagnie à la bardane dans le cas précis où il est nécessaire de purifier l’organisme. En voici quelques-unes : pissenlit, artichaut, radis noir, boldo, pensée sauvage, saponaire, chardon-marie, fumeterre, patience, cassis, frêne, douce-amère, bouleau…
  • Autres espèces : la petite bardane (A. minus), la bardane tomenteuse (A. tomentosum), la bardane des bois (A. nemorosum).
  • Enfin, dernière observation et non des moindres, le capitule de la bardane a inspiré l’ingénieur suisse George de Mestral (1907-1990) dans la création du Velcro (néologisme formé de l’apocope des deux mots velours et crochet), après avoir observé avec quelle insistance ces capitules s’agrippaient aux poils de son chien !

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  1. Dioscoride, Materia medica, IV, 92.
  2. Virgile, Géorgiques, III.
  3. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales, p. 121.
  4. Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, Manuel des plantes indigènes usuelles, Tome 1, p. 318.
  5. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 417.
  6. Varro Eugene Tyler, Honest Herbal, p. 64.
  7. Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 44.
  8. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 34.
  9. Paul Sébillot, Le Folklore de France, Tome 3, p. 524.
  10. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 320.
  11. Source.
  12. John Fyfe, Specific diagnosis & specific medication, p. 599.

© Books of Dante – 2023

Les crochets de la bardane ne sont-ils point l’évidence manifeste de la capacité de la plante à attraper tout ce qui passe dans l’organisme, à le retenir et à l’éjecter hors du corps ? ^.^

L’eupatoire perfoliée (Eupatorium perfoliatum)

Après l’étude de l’eupatoire chanvrine que nous avons livrée il y a quelques semaines, voici une autre eupatoire thérapeutique originaire d’Amérique septentrionale digne et du plus haut intérêt. Utilisée de longue date par diverses tribus amérindiennes, elle entra petit à petit dans la pharmacopée des États-Unis pour y prodiguer ses soins avec plus ou moins de bonheur selon le praticien. On reviendra donc sur cette estime et ce désamour avant d’établir les faits récents concernant son efficacité thérapeutique moderne.

Un beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : herbe parfaite, origan des marais, herbe à la fièvre, chanvre d’eau, sauge indienne, herbe à souder, herbe aux os.

Passant fut un temps pour une panacée, l’eupatoire perfoliée connut effectivement son heure de gloire au XVIIIe siècle et durant une bonne partie du suivant, période au cours de laquelle les colons furent régulièrement confrontés à cette grippe hivernale typique de l’Amérique septentrionale. Comme les Amérindiens consommaient déjà cette plante médicinale et qu’ils l’employaient afin de mettre un terme à la grippe, aux fièvres intermittentes et au paludisme, il ne fait pas de doute que les colons adoptèrent rapidement cette plante. Surtout qu’à force d’épuisements successifs, de sensations nauséeuses et anxieuses, sans compter les très fortes douleurs osseuses qu’ils durent éprouver, cette « grippe » devait juste leur donner envie de s’en retourner chez eux afin d’y vérifier la meilleure clémence du climat. « Ajoutons à cela les témoignages de nostalgie […], de besoin d’être tenu, et l’on voit comment l’angoisse profonde exprimée est celle de conserver le soutien d’un entourage familier, soudé, soutenant, rassurant »1. Angelo de Gubernatis signalait, sans s’étendre davantage sur le sujet, que l’eupatoire d’Avicenne, c’est-à-dire l’eupatoire chanvrine, possédait de « grandes vertus magiques ». Compte tenu des pouvoirs dont notre eupatoire américaine a été gratifiée par la Nature, on ne tardera pas à la considérer comme une plante apte à mettre en fuite le démon, fut-il seulement celui de la fièvre. A cet effet, certains préconisaient de lustrer les habitations en aspergeant leurs murs à l’aide d’une infusion d’eupatoire perfoliée. Pourquoi pas ? Mais il y a bien mieux encore. Écoutez bien ! Les compte-rendus ethnobotaniques répertorient bien l’eupatoire perfoliée comme une plante médicinale majeure d’Amérique du Nord : bien que la flore nord-américaine ne manque pas d’eupatoires (une quinzaine d’espèces en tout), celle-ci ressort très nettement dans les pratiques en usage chez les Amérindiens. Donnons donc un aperçu synthétique mais précis de l’étendue des usages de l’eupatoire perfoliée tels qu’exercés par diverses tribus localisées à la partie est du territoire nord-américain. Aujourd’hui, alors que la racine de cette plante a été abandonnée par la pratique thérapeutique moderne, du temps des tribus amérindiennes qui vivaient en plus ou moins bonne intelligence avec les colons blancs, l’on en faisait encore des décoctions et parfois des infusions. Mais si l’on considère les parties aériennes, il est facile de constater que les modes d’emploi sont considérablement plus variés (infusion, décoction, cataplasme, plante mâchée et appliquée localement, etc.) et impliqués dans une foule de propriétés médicinales parmi lesquelles nous trouvons celles-ci : l’eupatoire perfoliée est stimulante et tonique, remède gastro-intestinal (laxative, purgative et vomitive), anthelminthique, remède vésico-rénal, analgésique, antirhumatismal, antiseptique, emménagogue, ce qui, jusque-là, se superpose assez bien avec toutes les vertus que l’on reconnaît toujours à l’eupatoire perfoliée. A cela, rajoutons les qualités sudorifiques, diaphorétiques et fébrifuges attribuées à la plante par les Amérindiens, et nous aurons atteint ce que l’on peut désigner comme sa vertu première. De fait, l’eupatoire était conviée lors des rhumes (à leur début), dans les refroidissements, les fièvres avec frisson, ainsi que tout un tas d’autres affections touchant la sphère respiratoire (maux de gorge, pneumonie, etc.). Ainsi qu’on peut le constater, l’eupatoire perfoliée ne démérite pas de son nom ojibway ogaakananiibiish signifiant « plante lance et bouclier ». Qu’elle protège, cela nous l’avons bien remarqué. Mais dans quelle mesure pouvons-nous affirmer qu’elle attaque de sa lance ? Eh bien, selon les Iroquois, l’eupatoire perfoliée est non seulement une plante impliquée dans la divination, mais aussi dans la sorcellerie (par exemple, en étant censée faire passer le goût de l’alcool à celui qui est un peu trop porté sur la bouteille ; l’usage de l’eupatoire dans ce sens permit apparemment de lutter contre ce fléau qui ravagea un grand nombre de tribus inondées d’eau-de-feu sciemment par l’homme blanc lui-même). D’un autre point de vue, toujours relatif à la magie, nous pouvons observons que les Chippewas appliquaient les racines fibreuses de cette eupatoire sur leurs sifflets en guise de charme attractif lors de la chasse au cerf. Quand les colons s’attardèrent sur l’eupatoire perfoliée et prirent connaissance plus avant des qualités qui étaient les siennes, ils oublièrent assurément ce genre de propriétés ! Mais ils en retinrent, je pense, le meilleur quant à ses applications thérapeutiques strictes. Pour exposer cela, je vais tout d’abord commencer par narrer l’expérience vécue par le botaniste Frederick Pursh (1774-1820) près du lac Ontario, dans la petite communauté rurale d’Onondaga en 1808. Sur ce lac régnait influenza. Cette « fièvre du lac », très semblable à la fièvre jaune, prit une forme très alarmante, des malades succombant en quelques jours, voire en quelques heures à peine ! Cette maladie affecta également Pursh, le percluant de douleurs et d’autres maux de tête bien carabinés. Il fut attaqué d’une fièvre si élevée en température, qu’entre plusieurs épisodes hallucinatoires, il faillit quasiment perdre conscience. Heureusement, il connaissait l’eupatoire perfoliée. Celle-ci, malgré le délire de la fièvre, eut le bonheur de traverser l’esprit de notre pauvre botaniste accablé. C’est donc dans un état très diminué par la fièvre et son cortège de douleurs, qu’il prit l’initiative de partir en quête de la plante, ce qui ne se déroula pas sans mal, Pursh manquant à plusieurs reprises de se casser la figure tant la fièvre l’avait affaibli. A son retour chez lui, il procéda sans tarder à la préparation d’une infusion de la plante fraîchement cueillie, la meurtrissant quelque peu et additionnant de gin cette tisane. Il absorba un verre de cette infusion toutes les douze à quinze minutes, et continua ainsi pendant seize heures d’affilé. « Chose étrange, remarqua-t-il, pendant ce temps, bien que plus de deux pintes de gin eussent été utilisées, je ne sentis pas, avec toute la faiblesse dans laquelle j’étais, le moindre effet toxique de la liqueur »2, ce qui n’est pas sans rappeler le « pouvoir magique » de l’eupatoire perfoliée repéré par les Iroquois. Le lendemain, vu les doses administrées, l’eupatoire perfoliée accomplit son office émétique et cathartique, délivrant Pursh, par haut et par bas, d’évacuations alvines d’odeur propre à blesser les narines les moins délicates. Après avoir copieusement libéré son organisme, il sombra dans un sommeil qu’il décrivit après coup comme sain et naturel. Au réveil, détrempé de sueur à l’image de ses draps, il eut le bonheur de constater que ses méchants maux de tête avait disparu, ne ressentant plus qu’une faiblesse généralisée, à la suite de quoi il poursuivit l’absorption de son infusion d’eupatoire, quelque peu allégée, pendant encore trente-six heures, avant de complètement récupérer de cette fièvre violente. Quelques années plus tard, à l’occasion d’autres épisodes fébriles plus habituels, il s’adressa au quinquina, mais sans jamais atteindre l’efficacité de l’eupatoire perfoliée qui, pour être pleinement efficace, ne peut se contenter de petites doses qui ont au moins l’avantage d’être plus agréables au goût que les doses appuyées, capables d’entamer la volonté du malade le plus résolu, mais lui assurant la garantie d’un rétablissement plus prompte que s’il se contentait de saupoudrer l’eupatoire de-ci de-là. Bien entendu, puisqu’on fait ici même référence au quinquina, il est utile de rappeler sa relation avec le paludisme (ou malaria), une maladie qui était encore fréquente au XIXe siècle en Amérique du Nord. Or, comme l’eupatoire perfoliée devint un « substitut indigène de la quinine » (comme l’on disait à la fin du XIXe siècle), cette plante fut aussi adoptée par les colons dans le traitement du paludisme, d’où les nombreuses monographies qui s’emparèrent de l’eupatoire perfoliée entre 1815 et 1945 environ. Durant le seul XIXe siècle, l’on tenait pour acquis que l’eupatoire perfoliée valait bien l’écorce du Pérou. C’est du moins ce que prétendait Andrew Anderson (1789-1839) dans sa thèse inaugurale du mois de mai 1813. Au milieu du siècle, Timothy T. Lockwood (1810-1870) « ne recommandait pas l’eupatoire perfoliée comme une panacée, mais considérait qu’il s’agit d’une herbe indigène précieuse, trop négligée par la profession »3. Sans évoquer ses soi-disant vertus antipaludéennes, Lockwood donnait cette plante comme apéritive, émétique, expectorante et sudorifique, et la considérait plus particulièrement estimable dans les affections suivantes : affections rhumatismales subaiguës et chroniques, dyspepsie, anorexie consécutive à l’ivresse (tiens, tiens ! Décidément ^.^), hépatite chronique, chlorose, bronchite, catarrhe bronchique. Dans la fièvre intermittente, il ne voyait pas davantage en elle qu’un auxiliaire. Quant à la grippe, Lockwood considérait l’eupatoire perfoliée comme capable d’amender l’organisme de ses principales manifestations (douleurs dans la partie antérieure de la tête, du dos et des membres, lassitude et prostration, transpiration morbide, etc.). A la fin du XIXe siècle, le professeur d’université et médecin homéopathe James Tyler Kent (1849-1916) livra, dans le Homeopath physician (février 1887), ses impressions sur l’eupatoire perfoliée, dont il compara à loisir les effets avec ceux de la quinine. Comme l’on sait, un remède homéopathique provoque chez un sujet sain les symptômes d’une affection qu’il est censé combattre chez un sujet malade. C’est ainsi que Kent put s’apercevoir que l’eupatoire homéopathique ne produisait pas le frisson, ni la fièvre et la sudation typique de la quinine, doutant dès lors de l’efficacité de l’eupatoire à l’égal de la quinine dans ce que les anglophones appellent « chills », c’est-à-dire un sentiment de refroidissement surgissant durant une forte fièvre. Il précisa encore davantage le portait thérapeutique de l’eupatoire perfoliée en homéopathie : elle soulage, par sa capacité sudorifique, tous les symptômes de la grippe (nausée, soif, anxiété, douleurs osseuses, à l’exclusion des maux de tête), elle oblitère la toux qui oblige à se tenir la poitrine, elle diminue la chaleur que l’on peut ressentir à la plante des pieds et au sommet de la tête, enfin, elle vient à bout des douleurs osseuses soulagées par le seul mouvement et qui obligent le malade à bouger tant elles font mal, une caractéristique très intéressante sur laquelle nous allons faire un focus un peu plus prolongé. Effectivement, lors d’un épisode fébrile, l’eupatoire est recommandée dans le cas où l’on ressent une douleur dans les os, comme s’ils se brisaient. On appelle, au reste, cette affection du nom de fièvre aux os cassés (break bones fever), qui est aussi celui que l’on attribue à la dengue, c’est-à-dire à cette infection virale transmise par un moustique du type Aedes (aegypti ou albopictus entre autres). On comprend mieux le nom de boneset (de l’anglais bonesetter, terme désignant le rebouteux qui remet les os en place) accordé communément à l’eupatoire perfoliée. Mais elle ne porterait pas ce nom uniquement parce qu’elle permet de soigner une maladie qui donne la sensation d’avoir les os brisés en mille morceaux. En effet, son autre nom d’herbe soudée, s’il est vrai qu’il fait référence à la forme des feuilles de l’eupatoire unies autour de la tige à la manière de celles de la cardère sans toutefois former de godet, s’apparente aussi à celui d’herbe à souder (sous-entendu : les os), la réunion de ces feuilles étant vue comme une signature expliquant l’aptitude de la plante à réparer et à ressouder les os fracturés. Matthew Wood fait remarquer le déni dans lequel les publications scientifiques « autorisées » placent cette propriété de l’eupatoire perfoliée. Que dit la pratique populaire sur ce point ? Une réputation héritée des Amérindiens (Iroquois, Abenaki, Cherokee, etc.) fait encore qu’aujourd’hui les autochtones, les rebouteux (donc, les bonesetter ^.^), etc., considèrent qu’il s’agit là de la principale destination thérapeutique de cette plante, qui serait même capable de stimuler la croissance osseuse, en particulier les tissus du périoste, d’autant mieux qu’on l’associe pour ce faire à la prêle. Ainsi, que ce soit pour des os écrasés, une fracture simple ou grave, l’ostéoporose, « la guérison se passe toujours mieux et plus vite qu’anticipé par les médecins », assure Matthew Wood4. Après ça, comment créditer de la moindre pertinence ce professeur de pharmacognosie qu’était Varro Eugene Tyler (1926-2011), qui professait qu’au vu du singulier manque d’efficacité de l’eupatoire perfoliée, « il paraît incroyable que cette plante ait tenu officiellement le titre de plante médicinale dans ce pays de 1820 à 1950, même si elle était rarement prescrite par les médecins au moins à la fin de cette période »5. Tyler était de ceux qui déniait l’aptitude de l’eupatoire perfoliée à soigner les os cassés. Il ne lui contestait malheureusement pas que cela…

La vaste aire de répartition de l’eupatoire perfoliée coupe l’Amérique du Nord en deux : imaginons une ligne nord-sud tracée du Manitoba au Texas et considérons uniquement la fraction située à l’est pour rendre compte de cet immense territoire où elle se trouve, néanmoins, inégalement répartie, puisqu’elle apprécie pas moins que les terrains surtout humides, les prairies fraîches, l’abord des marais et des tourbières, les forêts alluviales, et toutes les autres eaux stagnantes et marécageuses. En ces lieux, elle dresse, à partir d’une robuste racine fibreuse horizontale, d’assez hautes tiges pubescentes (100 à 150 cm) qui portent des feuilles lancéolées à l’extrémité pointue et à large base, s’unissant de part et d’autre de la tige centrale, comme les pales d’une hélice autour de son axe. A la fin de l’été, l’on voit paraître de denses grappes de minuscules capitules, constitués chacun de 10 à 25 fleurs tubulaires blanc crème au parfum vanillé qui, tout comme celles de l’eupatoire chanvrine, possèdent une force d’attraction auprès de nombreux insectes dont une kyrielle de papillons.

L’eupatoire perfoliée en phytothérapie

Contrairement à l’eupatoire chanvrine, de l’eupatoire perfoliée l’on n’utilise pas la racine mais les sommités feuillées à peine fleuries, qui sont en tous points amères, ce qui signale à notre attention des substances que l’on connaît sous le nom de lactones sesquiterpéniques : c’est en particulier le cas de l’eupafoline, une molécule capable de réduire le stress oxydatif et d’abaisser l’apoptose neuronale et les phénomènes inflammatoires. Mais cette classe moléculaire compte encore des guaïanolides dimériques (comme l’euperfolide), des germacranolides (euperfolitine, euperfoline), de l’eufoliatorine, etc. Au rang des autres substances anti-inflammatoires et anti-oxydantes, nous avons les flavonoïdes (quercétine, hyperoside, isoquercitrine, astragaline, trifoline, rutine, eupatorine, kaempférol…), de même que les acides phénols tels que les dérivés d’acide caféique (acide chlorogénique, acide néochlorogénique, acide 2,4-dicafféoylglucarique, acide 2,5-dicafféoylglucarique, acide 3,4-dicafféoylglucarique, acide 3,5-dicafféoylglucarique). A des acides gras s’ajoutent encore des polysaccharides (1 %), ainsi qu’un produit issu de la dégradation de la chlorophylle, le phéophorbide A, auquel on a trouvé d’intéressantes vertus lymphangiogéniques. Enfin, comme cette plante est une eupatoire, l’on pourrait imaginer qu’elle contienne, tout comme sa cousine européenne l’eupatoire chanvrine, des alcaloïdes pyrrolizidiniques. C’est effectivement le cas, notamment avec de la lycopsamine. Mais cette plante en contient si peu qu’on pourrait considérer ça à l’égal d’une paille : 0,0002 à 0,07 %. Guère plus élevé que la fraction aromatique de cette plante estimée autour de 0,05 %.

Propriétés thérapeutiques

  • Immunomodulante, immunostimulante, augmente la résistance aux infections, antibactérienne, antivirale (grippe A, entérovirus, virus coxsackie), antiparasitaire (Plasmodium falciparum)
  • Tonique gastro-intestinale, stomachique, améliore l’appétit, laxative
  • Diurétique, sudorifique (tient un rang intermédiaire entre les diaphorétiques relaxants et stimulants), fébrifuge
  • Expectorante, mucolytique, anticatarrhale
  • Stimulante et tonique du système nerveux
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante
  • Cytotoxique
  • Antispasmodique
  • Lymphangiogénique
  • Résolutive

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : infection des voies respiratoires supérieures (grippe A), rhume, rhume violent, refroidissement, bronchite aiguë, toux des personnes âgées, toux de la rougeole et de l’asthme, toux avec douleur pectorale et laryngée, enrouement, emphysème, atonie des muqueuses respiratoires, rhinite allergique, mucosités aqueuses abondantes
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, constipation, auto-intoxication alimentaire, perte d’appétit chez l’alcoolique, vers intestinaux
  • Fièvre et états fébriles (fièvres intermittente et rémittente résistantes à la quinine lors desquelles des vomissements d’origine biliaire se manifestent), endolorissement important des muscles du dos et des membres, douleur générale s’étendant à tous le corps, douleur dans les os (comme s’ils étaient brisés), toutes manifestations douloureuses que l’on peut éprouver durant une infection grippale avec fièvre (c’est pourquoi l’eupatoire perfoliée est bien utile comme adjuvante lors d’épisode paludéen et d’infection à la dengue)
  • Affections cutanées : acné, eczéma, gale, démangeaisons
  • Troubles de la sphère circulatoire : couperose, rétention d’eau
  • Troubles locomoteurs : arthrite, rhumatisme
  • Migraine, douleur dans les globes oculaires

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches : comptez 25 à 50 g pour un litre d’eau bouillante en infusion pendant un quart d’heure. Comme le goût est peu agréable, il est souhaitable d’édulcorer et de rectifier la préparation avec de l’anis, de la menthe, etc. En cas de grippe, d’état fébrile, etc., l’on absorbe la valeur d’un verre à vin toutes les demi-heures. A partir de la quatrième ou de la cinquième dose surviennent des nausées considérables. Très souvent, deux doses supplémentaires font plus sûrement vomir. Notons qu’une infusion bue aussi chaude que possible active généreusement la diaphorèse alors qu’une infusion réalisée à froid s’avère davantage tonique que stimulante de la transpiration, à condition d’être absorbée une demi-heure avant les repas.
  • Poudre des parties aériennes : 1 à 2 g en mélange dans un véhicule agréable (pour ceux qui tolèrent le lait, c’est envisageable).
  • Macération alcoolique : dans un volume composé de 80 % d’alcool et de 20 % d’eau, faites macérer pendant trois semaines un même volume de sommités fleuries fraîches. A l’issue, filtrez, passez et embouteillez. L’on peut faire de cette teinture aussi bien un usage interne (quinze gouttes dans un demi verre d’eau tiède trois fois par jour) qu’externe : en diluant quelques gouttes dans de l’eau, l’on peut s’en servir en lotion que l’on applique sur la peau (pour acné, eczéma, etc.) à l’aide d’une compresse.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : comme la floraison de l’eupatoire perfoliée surgit tardivement à la fin de l’été, on conseille de cueillir cette plante plutôt entre le 10 août et la fin de ce mois, plus exactement les parties aériennes utilisables immédiatement à l’état frais ou, si l’on préfère, sèches. Pour cela, rien de plus facile : on réunit les tiges par cinq à huit en bouquets lâches par une ficelle que l’on suspend à une poutre, et le tour est joué !
  • Toxicité : comme nous l’avons souligné, l’infusion est susceptible de provoquer le vomissement à doses trop appuyées. Si c’est l’effet recherché, il n’y a pas lieu de parler de toxicité. Si cette plante est vomitive, il faut en revanche ne pas ignorer ses vertus purgatives capables de déclencher une diarrhée sévère et des saignements gastro-intestinaux, raisons pour lesquelles L’encyclopédie illustrée des herbes de Rodale (p. 51) recommandait de se contenter d’aspirine en cas de fièvre (ce qui n’est pas toujours très intelligent : ça m’évoque ceux qui ne jurent que par l’ibuprofène ou le paracétamol).
  • Cette plante devra être évitée chez la femme enceinte, de même que celle qui allaite, ce qui ne me paraît, dans ce dernier cas, peu judicieux : la lactation augmente les phénomènes oxydatifs et la formation de radicaux libres chez la femme6. Compte tenu des qualités anti-oxydantes de l’eupatoire perfoliée, peut-être est-il profitable pour la femme allaitante d’accompagner cette période avec une plante telle qu’elle. A moins que le spectre des alcaloïdes pyrrolizidiniques ne pèse de tout son poids sur cette « interdiction »… Ceci dit, il est vrai qu’on trouve des anti-oxydants dans de nombreuses espèces végétales d’un maniement plus aisé.
  • On évitera aussi l’eupatoire perfoliée en cas de troubles hépatiques et rénaux avérés. Enfin, comme toutes les représentantes de la famille des Astéracées, il est bon de vérifier qu’aucune réaction allergique n’a lieu à son contact.
  • Autres espèces : la grande eupatoire (E. altissiumum), l’eupatoire occidentale (E. occidentale), l’eupatoire rugueuse (E. rugosum), le pei lan (E. fortunei), etc.

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  1. Hélène Renoux, dans Plantes & santé n° 231 de février 2022, p. 74.
  2. Frederick Pursh, Medical & Physical Journal, juin 1812, p. 450.
  3. Timothy T. Lockwood, Buffalo Medical Journal, septembre 1847, p. 198.
  4. Matthew Wood, Traité d’herboristerie énergétique, p. 228.
  5. Varro Eugene Tyler, The honest herbal, pp. 49-50.
  6. Source.

© Books of Dante – 2023

La cardère sauvage (Dipsacus sylvestris)

« La grande cardère, à la fois cierge et bénitier, lève ses fanaux et ses coupelles à l’office magique du plein été », écrivait joliment Pierre Lieutaghi dans Le livre des bonnes herbes. C’est vrai que les cuvettes de la cardère tiennent des coupes du Tarot, convoquant l’élément Eau, alors que l’allure chandelière de la plante m’évoque des têtes de chenets, bâtons de fer verticaux et gardiens du Feu.

Selon comment l’on regarde une plante (angle de vue, regard neuf porté sur elle, etc.), nous apparaissent bien des choses. On ne trouverait pas ce que l’on ne chercherait pas (ou si, ça s’appelle sérendipité, mais c’est plutôt rare). Réjouissons-nous donc de savoir aujourd’hui que la cardère lutte contre des affections dont naguère nous n’aurions eu que faire. Quand tout nous semble connu, ça n’est jamais qu’une illusion et c’est 10, 20, 100 fois qu’il faut replacer l’ouvrage sur le métier.

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : cabaret des oiseaux, fontaine des oiseaux, baignoire de Vénus, cuvette de Vénus, lavoir de Vénus, peigne de Vénus, bain de Notre-Dame, cardère des bois, cardère sauvage, bonnetier sauvage, laitue aux ânes, tête de loup, peigne du loup, peignerolle1.

Il aurait été étonnant que cette grande plante passe complètement inaperçue des Anciens. C’est ce que soutinrent certains commentateurs appartenant à l’époque moderne. Pourtant, Dioscoride présente, au troisième livre de la Materia medica, une plante qu’il désignait sous le nom de dipsacum et dont il énonçait, au final, bien peu de chose, hormis le fait que la décoction vineuse de sa racine intervenait dans certaines affections du fondement (fistule, fissure anale) et d’autres de nature cutanée (verrue, poireau). Par ailleurs, l’on appelait gallidraga une plante qui ressemble beaucoup à une cardère et dont Pline parlait, rapportant à peu près les propos d’un médecin grec du même siècle que lui, Xénocrate d’Aphrodisios : « celui-ci nomme gallidraga une plante ressemblant au leucacanthos ; elle pousse dans les marais, épineuse, à haute tige férulacée, au sommet de laquelle adhère une boule semblable à un œuf. Dans cette boule, à mesure que l’été s’avance, naissent, selon Xénocrate, des petits vers qui mis dans une boîte avec du pain et portés au bras en amulette du côté où on a mal aux dents, enlèvent immédiatement la douleur ». Au XIXe siècle, soit près de vingt siècles plus tard, Cazin, pour en avoir fait lui-même à plusieurs reprises l’expérience, ne disait pas autre chose au sein de la très brève monographie qu’il accorda à la cardère, à la différence près qu’il écrasait ces vers directement sur les dents souffrantes. La douleur s’estompait quasiment instantanément, disparaissant pour dix à vingt minutes. Dioscoride évoqua, lui aussi, ces vers ou chenilles : « L’on dit que les vers du capitule liés dans un sac de cuir et pendus au cou, ou au bras, guérissent les fièvres quartes »2. En revanche, il ne révélait rien du tout au sujet de la propriété analgésique de ces vers sur les affections dentaires, mais annonçait qu’on appelait aussi cette plante de la manière suivante : labrum veneris, autrement dit « lavoir de Vénus », une désignation qui peut sensiblement s’expliquer en précisant que l’autre nom de cette plante, dipsacos en grec, dipsacus en latin, est tiré d’un mot grec – dipsa – relatif à la soif. Un lavoir n’est pas forcément un lieu où l’on s’abreuve, mais dipsa se rattache davantage aux deux autres noms vernaculaires accordés à la cardère : baignoire et cuvette de Vénus. Tous deux, plus encore que lavoir, renvoient aux soins apportés à la peau du visage et du corps. Le lavoir, s’il est impliqué dans la propreté, l’est moins dans la beauté (des vêtements, certes, mais pas dans celle du corps tout entier). En tous les cas, Vénus est forcément de la partie, en déesse de la beauté qu’elle est. « En raison de l’eau que l’on pouvait recueillir dans les godets que formaient ses feuilles »3, il est normal d’y avoir associé la déesse de Paphos, d’autant que la cardère pouvait, en effet, être revendiquée comme plante vénusienne puisque elle participait à des préparations permettant de faire disparaître certains détails disgracieux du visage.

Après toutes ces anecdotes périphériques, que reste-t-il à la cardère proprement dit ? « La racine du chardon à foulon était regardée autrefois comme un bon apéritif et comme un diurétique puissant ; mais des expériences faites avec soin et sans impartialité, ont prouvé que ses propriétés étaient presque nulles, et ne méritaient pas de la faire employer ; c’est pourquoi, de nos jours, elle est tombée en désuétude. » Voici à quoi se résume la sentence de Loiseleur-Deslongchamps dégainée à l’encontre de la cardère dans son Manuel des plantes usuelles indigènes (1819). Après ça, et durant pas loin d’un siècle et demi, pratiquement rien ne sera révélé au sujet de cette plante par les thérapeutes français (de Roques à Valnet, soit de 1820 à 1970) qui, selon toute vraisemblance, suivirent le mot d’ordre de Roques, à savoir que la cardère « est plus utile aux arts qu’à la médecine »4. Eh bien, puisque c’est comme ça, digressons nous aussi et empruntons le sentier des arts ! En 1493, le peintre allemand Albrecht Dürer, alors âgé de 22 ans, s’exposa à travers une toile qu’il est convenu aujourd’hui de désigner comme L’autoportrait au chardon. Ce dernier est suffisamment détaillé pour qu’on le reconnaisse aisément : il s’agit d’une espèce de panicaut (probablement le panicaut des champs, Eryngium campestre). Cela n’est évidemment pas une plante choisie tout à fait par hasard par le peintre, le chardon, en général, signalant l’initié. Bien qu’étant d’un abord austère, revêche et désagréable, le chardon, parce qu’il expose une défense périphérique, permet de protéger le cœur des assauts du dehors, ce que, probablement, Dürer n’ignorait pas, le chardon qu’il tient à la main se nommant feld-mannstreu en allemand, ce qui signifie un gage d’amour de la part du futur mari envers sa fiancée. A moins qu’il ne faille y voir un symbole plus élevé, en relation avec la passion christique ou le respect envers sa Muse. Dans un cas comme dans l’autre, ce symbole est lumineux, s’inscrivant dans le rayonnement capitulaire que l’on retrouve aussi dans la cardère laquelle, bien qu’elle y ressemble beaucoup, n’est cependant pas un chardon. Ma grand-mère, lors de ses nombreuses occasions de partir avec son troupeau de chèvres dans la montagne, rapportait, lorsque c’était la période, de grandes tiges de cardère dont elle faisait des bouquets secs. On ne peut effectivement pas lui dénier ses incontestables qualités ornementales. Il est encore un domaine dans lequel excella la cardère et sur lequel il n’est point permis de douter : il s’agit de son implication dans l’industrie textile. Dans ce but, celle qui porte le nom de cardère à foulon (Dipsacus sativus) a été très tôt cultivée. De cette plante, on utilisait les capitules épineux qui étaient fixés sur des planches ou des tambours, le tout formant des brosses bien particulières dont le but était de carder (de carde, du latin carduus, « chardon ») les lainages fins et légers ainsi que la filasse, afin de leur conférer un aspect doux et pelucheux. Elle fut préférée à la cardère sauvage dont les pointes sont trop droites, au contraire des siennes qui sont crochues, plus souples, voire élastiques, ce qui leur autorise une aisance impossible aux autres. Ainsi a-t-on fait depuis le Moyen âge jusqu’à une époque récente, la cardère constituant pendant fort longtemps l’un des indispensables instruments de la manufacture drapière, avant, bien sûr, de tomber dans la désuétude, l’homme de l’ère industrielle, âpre au gain, ayant préféré remplacer la cardère naturelle par un homologue métallique. Mais l’homme, imparfait, parvient toujours, imparfaitement, à imiter la Nature : la cardère, encore cultivée en grand en Normandie et dans le Vaucluse au XIXe siècle pour cet usage, connut un regain d’intérêt au siècle suivant. En 1947, Fournier écrivait ceci : « L’emploi des capitules du chardon à foulon comme cardes s’est de nouveau développé récemment, spécialement pour la fabrication des lodens et draps analogues. En effet, les cardes d’acier manquent de la souplesse nécessaire et y produisent souvent de grosses détériorations »5. Mais tout cela est bien terminé : après avoir cultivé cette plante dans des cardonnières pendant des siècles, celle-ci se raréfie du fait de l’abandon de cette culture bien spécifique. Certaines comptines rendent compte de cette ancienne utilisation de la cardère. En voici une, dont j’ai choisie la troisième strophe :

La laine des moutons,

C’est nous qui la cardaine.

La laine des moutons,

C’est nous qui la cardons.

Cardons, cardons,

La laine des moutaines,

Cardons, cardons,

La laine des moutons.


Cardère à foulon, celle-là même dont on usait dans l’industrie textile. Piquants recourbés, bractées plus courtes. Photo de Karl Blossfeldt.


Plante fréquente en Europe, en Afrique du Nord ainsi qu’au Proche-Orient, la cardère adopte des terres argileuses, pas ou peu acides. Sauvage par certains de ses lieux de vie (lisière de forêt, ripisylve, prairie, fossé humide, talus), elle se tourne aussi en direction des hommes, ne dédaignant pas ces lieux où l’activité humaine est nettement visible : jardins, friches, terrains vagues, décombres, bordures de chemins, ballasts, ruines, etc.

Cette grande plante bisannuelle (jusqu’à deux mètres) est formée d’une tige bien droite et cannelée, d’une couleur verte assez terne (avant de tourner au bistre en séchant), mais réveillée de nombreuses épines dressées. De même que chez les Astéracées, l’on voit au pied de la plante une couronne de feuilles en rosette, tandis que les feuilles supérieures, lancéolées, portent une forte nervure centrale proéminente sur le dessous, qui s’orne, ainsi que les bordures, d’aiguillons acérés. Opposées une à une, ces feuilles caulinaires sont soudées sur la tige de telle manière qu’elles forment ces creux où l’eau de pluie s’amasse et que le botaniste appelle phytotelmes, et nous autres bassine de Vénus : Roques, qui visiblement n’était pas allé y voir à deux fois, disait que l’eau recueillie dans ces vasques était si limpide que… Euh, pas toujours, surtout quand y baignent les cadavres d’insectes qui s’y sont peut-être noyés. C’est pourquoi elle abrite parfois une eau que l’on ne souhaiterait en aucun cas réserver à Vénus comme eau de beauté afin qu’elle s’y baigne (car, à propos de beigne, elle t’en foutrait une tant cette eau peut passer souvent pour frelatée ^.^). S’il nous faut abandonner l’idée selon laquelle la cardère offre aux femmes une eau de beauté, elle apporte néanmoins une aide bienvenue aux petits oiseaux qui viennent s’agripper à ses tiges afin de puiser dans ces réceptacles naturels de quoi étancher et restaurer leur soif. Cela, c’est ce que l’on croit généralement. Or, lorsque ces phytotelmes pourraient s’avérer utiles lors des fortes chaleurs estivales, ils sont la plupart du temps vides. On ne peut donc pas affirmer naïvement que la plante fabrique des buvettes pour les oiseaux de passage (les visites avicoles sont surtout printanières et automnales, non destinées à soulager la soif, mais la faim). Si ces cuvettes peuvent être occasionnellement utilisées dans un but qui passe pour plus fantasmé qu’avéré, peut-on dire que c’est là sa fonction essentielle ? La plante a crée ces réservoirs aériens pour d’autres raisons, afin qu’ils la servent elle en priorité. Oui, mais pourquoi et comment ? Eh bien, « comme de petits insectes vivent souvent dans ces réservoirs, on a […] imaginé, et bien à tort, de ranger la cardère parmi les plantes insectivores »6. Pourtant, dès 1876, Charles Darwin imaginait possible que la cardère tire, d’une façon ou d’une autre, partie de la présence de ces cadavres d’insectes. Je ne vais pas faire le compte des hypothèses absurdes qu’a retenues l’histoire, juste en venir à la plus récente et vraisemblable. A ce titre, le n°48 du magasine Espèces (été 2023) a ouvert une enquête à ce sujet peu étudié et a reposé une question restée en suspens durant autant de temps qu’on a pu dire que la cardère n’avait aucun bénéfice thérapeutique à proposer. A la surface interne des réservoirs, l’on peut voir (non pas à l’œil nu mais au microscope) de « petits poils à tête globuleuse », des trichomes desquels s’échappent des filaments qui s’allongent et qui se rétractent, et que l’on a surnommés « serpents de pharaon ». A proximité de ces trichomes, on observe un certain nombre de micro-organismes dont beaucoup ont pour fonction de fixer l’azote. C’est peut-être là que se jouerait une symbiose entre la plante et ce milieu bactérien si particulier. La présence de cadavres d’insectes dans les phytotelmes semble corrélée avec une meilleure croissance de la plante et une augmentation de 30 % de la production de semences. Cependant, ces résultats ont été contredits… On n’en sait malheureusement pas davantage, le mystère reste donc encore bien entier.


Une eau apparemment limpide emplit les phytotelmes d’une cardère sauvage. Vénus viendra peut-être tremper ses arpions dans cette jolie vasque naturelle…


La seconde année de la vie de la plante est marquée par sa floraison : un capitule principal de forme ovoïde se développe, cerné de capitules secondaires ainsi que de bractées plus hautes que les inflorescences, le tout doté de crochets extrêmement épineux. Autant dire qu’on n’attrape pas cette plante à pleines mains. De juillet à août, chaque capitule se trouve ceinturé par deux minces couronnes de petites fleurs lilas, mauves, violettes ou plus rarement blanches, bien individualisées : contrairement aux Astéracées qui portent des fleurons centraux et des ligules périphériques, chez la cardère toutes les fleurs sont identiques, en forme de corolle quadrilobée accompagnée de quatre étamines. La floraison de la cardère est très curieuse dans le sens où elle est bidirectionnelle : un anneau de fleurs s’épanouit vers le bas, tandis qu’un autre adopte un mouvement ascendant en direction du sommet du capitule. Longtemps après la mort de la plante, les akènes de la cardère restent fortement attachés aux capitules durant de longs mois. C’est alors que le chardonneret, grand fan de chardons, se laisse tenter par cette plante qui en a toute l’allure : il vient retirer ses semences serrées de sa grosse tête ovoïde.

La cardère en phytothérapie

Le caractère invasif de la cardère en Amérique du Nord n’a pas empêché certains esprits curieux et éclairés de se concentrer sur autre chose que son éradication, surtout quand l’on sait de quoi elle est capable : sans plus nous appesantir sur les détails, signalons qu’elle soulève le tapis et brosse la poussière qui s’y cache.

Bien que cette plante ne soit pas issue de la famille des Astéracées, sa racine assez grosse en pivot, blanche, de saveur légèrement amère et inodore, n’en contient pas moins de l’inuline, c’est-à-dire un polysaccharide formant les réserves de la plante. Elle possède néanmoins un point commun avec d’autres plantes de sa propre famille (les Dipsacacées), scabieuses et knauties, par le biais d’une substance nommée scabioside (une saponine). Cette racine médicinale compte, en outre, un principe amer, de l’acide silicique et des sels minéraux dont du potassium. Il est dommage qu’on n’en sache pas davantage au sujet de la composition biochimique de la cardère pour laquelle il n’existe aucune information à propos des parties aériennes de cette belle et grande plante, hormis ceci : dans la plante entière à l’exclusion de la racine, l’on trouve un chromogène du nom de dipsacan. Entre 35 et 100° C, il produit un colorant bleu égal à l’indigo, la dipsacotine… (L’ethnobotanique amérindienne nous apprend que les Iroquois usaient d’une lotion contre l’acné concoctée à base de poudre de feuilles de cardère, la poudre de racine étant considérée comme poison…) Tout cela fait l’effet d’une médecine préhistorique. Depuis lors, de l’eau a passé sous les ponts et je suis en mesure de vous en dire davantage, tant sur la composition biochimique de la racine que des parties aériennes, les feuilles tout particulièrement.

Commençons tout d’abord par la racine. De très classiques flavonoïdes (comme la silymarine par exemple) jouxtent des acides phénols tels que la saponarine, les acides caféique et chlorogénique, etc., formant une belle proportion de polyphénols. A cela, s’ajoutent des triterpénoïdes, mais surtout ces iridoïdes (cantleyoside, loganine, acide loganique, swéroside) et bis-iridoïdes dont les sylvestrosides I, II, III et IV anti-inflammatoires. Dans les feuilles, on compte autant d’iridoïdes et de bis-iridoïdes que dans les racines, à la différence que ces totaux ne sont pas, de part et d’autre, constitués des mêmes corps. Par exemple, en ce qui concerne les iridoïdes, on y trouve surtout de l’acide loganique, de la loganine et des sylvestrosides III et IV, alors qu’on y compte beaucoup moins de swéroside. Même constat du point de vue des polyphénols, en quantité deux à quatre fois plus importante dans les feuilles que dans les racines (quand je pense qu’on s’est esbigné à arracher et utiliser cette racine pour si peu, alors que…). Ce sont la saponarine et l’acide chlorogénique (7) qui sont prioritairement représentés, accompagnés par d’autres acides phénols (acide dichlorogénique) et flavonoïdes (lutéoline, apigénine, iso-orientine, isovitexine, etc.), faisant croître la teneur en polyphénols totaux, dont la proportion est aussi fonction de différents facteurs tels que la variation des températures au fil des saisons, la sécheresse possible durant l’année de récolte de la plante, les pollutions, l’exposition aux UV, les attaques des agents pathogènes, etc. (la proportion de polyphénols anti-oxydants est essentiellement une réponse de la plante à l’égard des différents stress dont elle est accablée).

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, stimulante vésicale, sudorifique, dépurative efficace et puissante
  • Apéritive, digestive, stomachique, stimulante du péristaltisme intestinal
  • Tonique hépatique, hépatotrope, hépatoprotectrice des cellules du foie face au stress oxydatif, détoxicante hépatique, stimulante biliaire, cholagogue, antidiabétique, anti-cholinestérasique (action plus puissante par les racines que par les feuilles)
  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Borrelia burgdorferi8), antifongique
  • Renforce le système immunitaire
  • Anti-oxydante (action plus puissante par les feuilles que par les racines), antiradicalaire, anti-inflammatoire, antinociceptive
  • Anticancéreuse
  • Promeut la santé osseuse et articulaire9, assouplit les raidissements articulaires et musculaires
  • Circulatoire sanguine, antihémorragique utérine

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse, affections de la vésicule biliaire, nécessité de dépurer le foie, hépatite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, maux d’estomac, manque d’appétit, indigestion, ballonnement, flatulences
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : assurer un meilleur confort urinaire, infection urinaire
  • Cancer
  • Affections cutanées : eczéma, psoriasis, acné, dartre, furoncle, impétigo, dermatose prurigineuse, verrue, taches de rousseur
  • Troubles locomoteurs : goutte, arthrose, rhumatisme, fibromyalgie, ostéoporose, fracture osseuse, inflammation musculaire chronique provoquant douleur et entrave des mouvements, traumatisme musculaire et articulaire douloureux (étirement, déchirement)
  • Maladie de Lyme (surtout à forme arthritique)

Note : on évoque depuis quelques années le rôle non négligeable mais, semblerait-il, mal défini de la cardère dans le traitement de la maladie de Lyme. C’est une donnée qu’il serait bon de faire grandir grâce à des recherches conséquentes. Fort heureusement, une étude estonienne datant de 2022 révèle que « l’extrait éthanolique des feuilles de Dipsacus fullonum montre un grand potentiel comme source possible de nouveaux composés contre Borrelia burgdorferi en phase stationnaire »10. Ce qui permet encore d’accroître la relation de la cardère à la maladie de Lyme, c’est que cette affection qui attaque les muscles et les os fait écho à la plante dont les tiges, même sèches, conservent leur robustesse, sans compter cette allure dégingandée à travers laquelle on a pu observer une affinité avec le squelette. Matthew Wood fait remarquer qu’une paire de phytotelmes placée de part et d’autre de la forte tige centrale de la cardère évoque pour lui les deux reins disposés latéralement à la colonne vertébrale. Les Reins, en médecine traditionnelle chinoise, c’est là que réside et qu’est stockée cette énergie primordiale qu’on appelle le Jing. Or, comme les os sont considérés comme une extrusion des Reins, que le méridien des Reins prend à sa charge la plupart des tissus durs et structurels de l’organisme que sont les os, les articulations, les cartilages et les tendons, l’on n’a pas tardé à voir dans la cardère des signatures qui font fortement écho à la maladie de Lyme dans ses principales manifestations, en particulier les atteintes et douleurs ostéomusculaires (mais qui ne se cantonnent pas qu’à cela, car on observe très souvent une fatigue incoercible, ainsi que ce brouillard mental particulièrement redouté des malades de Lyme). Or, lorsque cette énergie Jing devient déficiente, cela se traduit, au niveau des genoux et du bas du dos, par des raidissements douloureux, comme si des vexations et des frustrations pesaient de tous leur poids sur la structure du corps et, partant, de l’esprit également, les blocages énergétiques cristallisant au point de former des douleurs en divers endroits du corps. Comme la cardère répare ce qui est brisé (au sens physique comme psycho-mental), elle est, de fait, un excellent remède du Jing, permettant de désenclaver l’esprit et le corps des sensations douloureuses dans lesquelles ils se trouvent enfermés, libérant tant les mouvements ostéomusculaires que les mémoires corporelles qui y sont tétanisées.

Dernière remarque et non des moindres : la maladie de Lyme est transmise par morsure d’une tique qui circule à dos de cerf. Alors que Borrelia burgdorferi stimule la croissance des bois de l’animal, chez l’humain, cette infection, bien loin de lui faire pousser les cornes, se traduit par un caractère syphilitique dont la forme arthritique détruit muscles et articulations. Imaginez donc qu’en Chine l’on se sert du bois de cerf comme remède à cette maladie !

Alors que la maladie de Lyme ne fait que progresser, l’Amérique du Nord s’offusque de la manière dont la cardère européenne envahit son territoire. Elle ferait mieux de considérer que cette soi-disant invasion coïncide avec l’émergence et le déploiement toujours plus marqué de Lyme année après année. Et pour cause, cette perle, sise tout à côté du dragon, est impliquée dans la guérison de la maladie de Lyme.

Modes d’emploi

  • Extrait hydro-alcoolique de cardère : dans un tiers de litre d’alcool à 60°, placez 200 g de racine en macération pendant deux à trois semaines. A l’issue de l’opération, filtrez, pressez bien les racines détrempées, puis conservez en bouteille opaque. Administrez à raison de 20 à 25 gouttes par prise trois fois dans la journée.
  • Décoction de racine sèche : une cuillerée à café par tasse d’eau (ou 10 à 30 g par litre d’eau) en décoction pendant 3 à 10 mn.
  • Poudre de racine : 6 g par jour en deux prises (le matin et le soir).
  • Infusion de feuilles : comptez 15 g de feuilles de cardère par litre d’eau pendant 10 mn.
  • Décoction de feuilles : on peut utiliser jusqu’à 60 g de ces feuilles par litre d’eau en décoction pendant une douzaine de minutes. La décoction concentrée se réserve plutôt aux affections cutanées que nous avons listées ci-dessus.
  • Macération vineuse de feuilles : dans un litre de vin rouge, déposez 30 à 50 g de feuilles de cardère finement cisaillées. Laissez en contact pendant deux ou trois jours, à l’issue desquels vous procèderez au filtrage soigneux de la préparation (en raison des épines que comptent les feuilles de cardère. Cette remarque vaut également pour infusion et décoction de feuilles).

Dans le registre de l’anecdote plus étrange que drôle, signalons l’ancien usage de l’« eau de nuit » : il s’agit de l’eau de pluie accumulée dans ces godets naturels formés par les feuilles de la cardère. Des auteurs (Fournier, Lieutaghi) alertent sur la pratique consistant à utiliser ce liquide comme lotion ophtalmique : « Ces emplois sont condamnables car une multitude d’impuretés, de cadavres d’insectes, font souvent du ‘lavoir de Vénus’ une flaque stagnante »11, voire un cloaque malodorant. A chacun de voir, ai-je envie de dire… On écrasait bien ces fameux vers de cardère sur les dents, pourquoi ne pas s’avaler une infusion à froid des insectes venus se noyer là ? ^.^

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : on peut extraire la racine de cardère du sol en fin d’été de la première année, ou au printemps de la seconde (rappelons que la cardère est une plante bisannuelle). Quant aux feuilles, il est préférable de les recueillir lorsque la plante est sous forme de rosette, ainsi qu’au tout début du printemps de la seconde année de vie de la plante. On peut alors couper la plante à ras du sol et la suspendre au bout d’une ficelle afin de la faire sécher. La dessiccation de la cardère ne pose pas de problème particulier tant qu’elle s’opère dans un local sec et correctement aéré.
  • Association : dans une visée de drainage cutané, l’on peut joindre à la cardère la bardane et/ou la pensée sauvage par exemple.
  • Autres espèces : la cardère laciniée (D. laciniatus), la verge de pasteur (D. pilosus), la cardère âpre (D. asper), la cardère de Chine (D. asperoides), la cardère du Japon (D. japonicus), la cardère féroce (D. ferox), etc.

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  1. Comme synonyme, on a accordé Dipsacus fullonum à la cardère sauvage. De façon bien étonnante, cette plante, qui n’a jamais été utilisée (ou si peu) dans l’industrie textile, a écopé de l’adjectif fullonum qu’il eût mieux valu réserver à la cardère à foulon (Dipsacus sativus), plus adaptée au nom et à la tâche, comme l’attestent ses nombreux noms vernaculaires (chardon à foulon, chardon à bonnetier, chardon à drapier, peigne à cardeur).
  2. Dioscoride, Materia medica, III, 11.
  3. Larousse des plantes médicinales, p. 202.
  4. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 285.
  5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 216.
  6. Ibidem.
  7. Il s’agit d’un puissant anti-oxydant qui inhibe les dommages causés à l’ADN et augmente la résistance des lipoprotéines de basse densité à la peroxydation lipidique.
  8. Sans être à proprement parler antibactérienne sur ce spirochète, la cardère déloge cette bactérie et facilite son exposition aux agents antibactériens qui se chargent de lui. En plus de cela, la cardère permet une meilleure élimination des neurotoxines liées à la présence des borrelia dans l’organisme, prévenant par là la pénible réaction d’Herxheimer.
  9. Selon la médecine traditionnelle chinoise, la racine de cardère (xu duan), agissant au niveau du Foie et des Reins, porte une action générale sur le système ostéomusculaire et tendineux.
  10. Source.
  11. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 151.

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Les motifs végétaux de la cardère surent inspirer les artistes de l’Art nouveau. Ici, feuilles et capitules décorent joliment ce vitrail de Maurice Pillard-Verneuil.