La bourdaine (Rhamnus frangula)

Bourdaine_baies

Synonymes : bourgère, bourgain, nerprun bourdainier, nerprun noir, aulne noir, aune noir, bois noir, bois à poudre, arbre à sang, rhubarbe des paysans, bois puant, bois de rose (le cœur du bois est de cette couleur, alors que l’écorce de la bourdaine, assez nauséabonde, rappelle l’odeur du cornouiller sanguin, Cornus sanguinea), prunier noir (en latin populaire, niger prunus a donné, par contraction, le mot nerprun), etc.

La bourdaine est un rhamnus, de la famille des Rhamnacées. Mais avant même d’être un rhamnus, c’est, en grec, un rhamnos, mot qui désigne déjà l’arbuste en général. C’est pourquoi, lorsqu’on prend connaissance des textes anciens, il ne faut pas s’y tromper : rhamnos n’y signifie pas forcément la bourdaine. C’est en partie cela qui fait dire que la bourdaine a été ignorée (inconnue ?) des anciens Grecs et Latins.
Chez les Grecs, le rhamnos est, certes, un arbuste, mais épineux, ce que n’est pas la bourdaine. Ainsi, le rhamnos de Théophraste (un nerprun fétide, un lyciet ?), le rhamnos de Dioscoride (un nerprun faux-olivier, un paliure ?) ou le rhamnus de Pline (un paliure ?), ne correspondent en rien à l’identité de la bourdaine. C’est ce qui a fait dire que la bourdaine n’a pas été mentionnée par les auteurs de l’Antiquité gréco-romaine, ce que je crois, compte tenu de son aire de répartition : la bourdaine n’est pas une espèce méditerranéenne. A tel point que Fournier fournit une hypothèse concernant le mot rhamnus : il proviendrait du celtique ram qui veut dire « épine ». C’est sans doute une confusion autour du mot rhamnus qui a fait dire que la fumée dégagée par l’écorce de bourdaine brûlée faisait fuir les esprits malins, une indication assez proche de celle que propose le Livre des Cyranides : « Si tu places dans ta demeure un rameau de la plante rhamnus, tous les mauvais esprits s’enfuiront ». Mais, en l’occurrence, il s’agit d’un nerprun, non de la bourdaine. Une mauvaise lecture, une interprétation erronée sont, sans doute, à l’origine de cette croyance de protection contre les esprits des morts. Par exemple, à Athènes, lors de la fête des Chytroi (la fête des marmites), il était de coutume, le troisième jour des Anthestéries (au début du mois de mars), d’honorer Dionysos, en lui offrant des plats cuisinés placés dans des marmites. Mais cette fête était aussi l’occasion de « mâcher des feuilles de rhamnos […] pour se protéger des morts qui […] étaient censés revenir dans le monde des vivants pour les tourmenter » (1). De même, « des branches de rhamnos placées aux portes et aux ouvertures passaient, d’après Dioscoride, pour éloigner les ‘maléfices des magiciens’ » (2). Mais Dioscoride n’évoque ici qu’un nerprun, qui plus est épineux, et l’on sait toute la valeur accordée aux arbustes épineux par les Anciens sur la question de la protection. Or, la bourdaine est un nerprun sans épines.
Sur ces faits, je ne pense pas que la bourdaine ait été connue des anciens Grecs et Romains.

Le Moyen-Âge en fait peu de cas, du moins l’époque médiévale nous offre-t-elle deux avis contraires. Le premier revient à Hildegarde de Bingen qui dit de son Jolbaum qu’il est « comme une ivraie inutile ». La seconde émane de Pierre de Crescences qui mentionne, aux environs de 1305, que « l’anormus est un petit arbre qui croît dans les montagnes duquel l’écorce du milieu donnée à boire ou en viande, lâche le corps merveilleusement ». Au Moyen-Âge, on a dit que la bourdaine était peu employée, puisqu’on lui préférait le séné en provenance du Levant ou d’Alexandrie. Mais, à la même époque, la bourdaine était encore fournie par l’Allemagne, l’Autriche et, plus loin encore, la Turquie. Bref.

Dès le début de la Renaissance, on parle beaucoup de la bourdaine, même si on ne l’a jamais vue in situ, tel Matthiole qui dit que « son écorce est très active. Elle purge et tonifie comme la rhubarbe, expulse la bile, la pituite et l’eau des hydropiques. C’est une purgation très douce, qui nettoie parfaitement le foie et le fortifie au point que certains sujets atteints de cirrhose et de maladies de la rate s’en sont trouvés guéris. L’écorce externe est astringente, l’interne est dépurative » (3). Comme nous le voyons, la bourdaine, que Dodoens et Matthiole appelaient frangula, a été, ici, admirablement décrite dans ses effets, tandis que Jérôme Bock, au même titre que Matthiole d’ailleurs, recommandait l’usage de l’écorce sèche.
On peut dire que la carrière médicinale de la bourdaine débute véritablement il y a environ cinq siècles, du moins en Europe occidentale. Aux XVII ème et XVIII ème siècles, on considère la bourdaine comme le plus efficace succédané de la rhubarbe, mais aussi le plus économique. C’est ainsi qu’on la rencontre à la cour du roi Louis XIV, le champion de la purge, qui, à chaque fin d’hiver, se faisait drastiquement purger grâce à différentes plantes dont la bourdaine. Alors que Lieutaud (1766) préférait à la bourdaine le séné (Senna alexandrina), qu’il jugeait « moins dangereux », Linné faisait, à la même période (1768), grand cas de la bourdaine. Puis, cette plante sombrera dans l’oubli jusqu’à ce que le docteur Grumprecht ne démontre que bourdaine et rhubarbe présentent des effets similaires (1846). On mettra aussi en évidence l’action laxative remarquable de la bourdaine, laquelle n’est accompagnée d’aucun phénomène d’irritation ou d’intolérance. Malgré cela, la bourdaine sera détrônée par le cascara (Rhamnus purshiana), botaniquement très proche de la bourdaine et dont le seul avantage par rapport à cette dernière réside dans son « exotisme » (le cascara est originaire d’Amérique du Nord). C’est sous l’impulsion de Leprince, en 1892, que la bourdaine perd peu à peu du terrain au profit du cascara. Cela n’empêchera par Leclerc (dans les années 1920) et Poulsons (1930) de parler de la bourdaine dans les meilleurs termes. Ce dernier dira que « même après un long usage, la bourdaine perd très peu de son efficacité, avantage fort rare pour une drogue ».

La bourdaine est un arbuste dont la taille varie de deux à cinq mètres, même s’il lui arrive, exceptionnellement, d’atteindre six à sept mètres. Elle fait partie, avec l’aubépine et la viorne, de ces quelques rares petits arbres à porter un nom féminin (si l’on considère l’ensemble des arbres, tous portent un nom masculin, à l’exception du bouleau qui sera resté féminin jusqu’au XVI ème siècle). Ses branches, minces et lisses, sont couvertes d’une écorce de couleur brun rougeâtre, ponctuée de taches grises. Les feuilles de la bourdaine, ovales et brièvement pétiolées, sont glabres au-dessus et légèrement duveteuses sur la face inférieure. Les fleurs blanches prennent place au bout d’un long pédoncule et fleurissent entre mai et juillet, et attirent énormément les abeilles. Plus tard, des baies globuleuses violet sombre, voire noires, apparaissent. La bourdaine est assez fréquente de la plaine à la moyenne montagne. Elle est présente dans toute l’Europe, à l’exclusion des régions trop nordiques et méditerranéennes.

Bourdaine_écorce

La bourdaine en phytothérapie

La partie de la bourdaine la plus usitée par la phytothérapie se trouve être l’écorce, plus précisément celle des rameaux. C’est exactement la seconde écorce qui est concernée, celle-là même située entre l’écorce proprement dite et l’aubier, de couleur jaune et de saveur amère et nauséabonde. Les Anciens ont remarqué que cette seconde écorce se comportait différemment selon qu’elle était fraîche ou sèche. Dans le premier cas, elle est vomitive. Or tel n’est pas le but recherché par le phytothérapeute lorsqu’il souhaite employer la bourdaine. La dessiccation de la seconde écorce a pour résultante de détruire les substances émétiques qu’elle contient. Il s’avère que la meilleure seconde écorce qui soit est celle qui est prélevée sur les rameaux âgés de trois à quatre ans (au-delà, l’écorce est moins active en raison de principes actifs en moindre quantité et qualité), de préférence durant la floraison de la bourdaine (mai-août) car elle a alors l’avantage de mieux se détacher. Une fois sèche, on constate que plus cette seconde écorce est vieille et mieux elle agit.
Dans la bourdaine, on trouve du tanin, des flavonoïdes, du mucilage, ainsi que des anthraquinones dont la franguline.

Propriétés thérapeutiques

  • Laxative douce
  • Purgative
  • Cholagogue
  • Vermifuge
  • Digestive
  • Fébrifuge
  • Astringente, détergente, cicatrisante

Usages thérapeutiques

  • Constipation chronique, aiguë, spasmodique
  • Parasites intestinaux (ténia)
  • Hémorroïdes
  • Obésité, embonpoint, cellulite
  • Insuffisance biliaire
  • Affections cutanées : acné, plaie atone, ulcère, gale, teigne, dartre
  • Sudation de la ménopause

Modes d’emploi

  • Décoction suivie de macération (l’action de la bourdaine est assez lente, de l’ordre de huit à dix heures après ingestion ; en cas de constipation opiniâtre, il est conseillé d’en absorber la décoction le soir)
  • Poudre de seconde écorce sèche
  • Teinture-mère
  • Vin
  • Sirop

Contre-indications, précautions d’emploi, autres usages

  • La bourdaine, surtout en décoction, est assez imbuvable. Pour la rendre plus confortable, il est possible de l’aromatiser avec de la menthe, du romarin, de l’anis vert, du fenouil, des zestes d’orange, etc.
  • Outre ce problème de saveur amère prononcée, il est possible que certains intestins délicats ne supportent pas la bourdaine. En ce cas, il est possible d’absorber une décoction de bourdaine en compagnie de plantes émollientes et mucilagineuses (mauve, guimauve, graines de lin, etc.).
  • Est-il besoin de le rappeler, l’écorce de bourdaine ne s’utilise pas fraîche, car les principes actifs contenus dans la seconde écorce sont irritants pour les intestins. C’est pourquoi les écorces sont récoltées et séchées pendant au moins un an afin que les principes actifs responsables de l’action éméto-cathartique de la plante soient oxydés et, partant, deviennent moins agressifs pour l’organisme. Tout au plus l’écorce fraîche provoque-t-elle nausées, vomissements et coliques. Ses effets sont beaucoup moins graves que ne l’affirmaient certains prospectus alarmistes au début des années 2000.
  • Dans le même ordre d’idée, il a été dit que la bourdaine était incompatible avec la grossesse. Rien n’est plus faux, car le prétendre désavouerait les paroles du docteur Leclerc : « Comme elle ne détermine pas d’exagération du péristaltisme de l’intestin on peut la prescrire aux femmes enceintes » (4).
  • Les baies de bourdaine sont, dit-on, toxiques, en raison de la présence d’un alcaloïde aux effets psychotropiques… Or, bon nombre de praticiens (parmi lesquels Cazin) n’ont jamais noté d’effets purgatifs ni toxiques à l’absorption parfois massive de ces baies.
  • La bourdaine est une espèce tinctoriale qui a autrefois été prisée. La seconde écorce offre un pigment jaune qui devient rouge cerise par adjonction d’ammoniaque, mais les teinturiers lui ont préféré le Rhamnus infectorius, désigné parfois par le nom vernaculaire de « graines d’Avignon ». Quant aux baies, on en extrait un pigment vert, le « vert-de-vessie », utilisé par les enlumineurs.
  • L ‘adjectif latin frangula qui qualifie la bourdaine fait « allusion à une certaine fragilité des rameaux qui s’allie cependant à une grande souplesse puisqu’on peut les employer à la place de l’osier et de la viorne et que l’on en fabrique des balais plus durables que ceux de bouleau » (5). Par ailleurs, le bois de bourdaine, surtout les rejets, jouèrent un rôle en vannerie.
  • Si le bois vert de bourdaine, lentement carbonisé, permettait de fabriquer du fusain, le charbon du même bois entrait, avec soufre et salpêtre, dans la composition de la poudre noire, d’où son surnom de « bois à poudre », ou d’ « arbre à sang » en Aquitaine, car on s’en est beaucoup servi lors de conflits armés.
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    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 190
    2. Ibidem, p. 214
    3. Matthiole cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, pp. 674-675
    4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 3
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 674

© Books of Dante – 2016

Bourdaine_fleurs