Le joli mois de mai, mois des roses et de l’amour

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire un focus sur une plante en particulier, mais de rendre compte de la manière dont on usait des plantes à travers la figure du mât de mai, le plus souvent un fragment végétal qui portait un message symbolique, ayant longtemps servi d’adresse de la part des garçons à l’attention des filles lors des festivités qui prenaient place au mois de mai.

Beau week-end à tous :)

Gilles

Fille d’Atlas et mère du dieu Hermès, Maïa, jeune nymphe courtisée et séduite par Zeus, serait la figure mythologique mineure qui aurait donné son nom au mois de mai (maius mensis). L’on retiendra d’elle que c’est une personnification de l’éveil de la nature au printemps, ce renouveau concordant avec la fécondité et la germination. C’est toute la vivace fertilité et la projection de l’énergie vitale qu’il s’agit alors d’honorer et de fêter en cette époque de l’année. L’ardeur retrouvée du soleil réchauffe les esprits, la joie, renouvelée, exulte, béate de son plein épanouissement. Il est alors utile de mettre à profit la « cure de mai », qui comprend plusieurs opérations consistant à danser, chanter, se rouler dans la rosée, allumer des feux et sauter par-dessus, aller se promener durant la nuit du 1er mai, etc. Cette nuit, précisément, ainsi que, parfois, d’autres qui lui font suite, avait aussi pour fonction l’intégration sociale d’un jeune au sein d’un groupe déjà constitué. C’était l’occasion de faire des farces, d’accumuler, par exemple, tout un bric-à-brac d’objets hétéroclites sur la place du village, d’en faire disparaître d’autres et de les suspendre en des lieux incongrus, d’entraver les chemins et de clouer les portes et les volets, etc. Mais ce qui demeure comme principal marqueur fort du mois de mai, ce sont les mais ou mâts de mai, symbolisant un arbre ou bien figuré par lui. Traditionnellement, le mai est planté sur la place publique du village dans la nuit du 1er mai. Cette pratique avait déjà cours au temps des Romains. Précédé par le sapin de Noël et le buis des Rameaux, le mai, auquel succèdent les festivités de la Saint-Jean, indique, d’un solstice à l’autre, un autre point crucial, formant avec les trois autres dates citées ce qu’Angelo de Gubernatis qualifiait joliment de « glorieux triomphes du soleil. » Le 1er mai étant une fête à fonction amoureuse, le mai symbolisait donc « l’arbre ou la branche [qui] affirme une fois de plus que la terre est fécondée, que la vie se continuera, que le génie du mal est vaincu, que la lumière et l’amour inondent le monde. »1 Fleuri, enguirlandé de rubans de couleur, tout orné de couronnes végétales, le mai est le vibrant témoin de l’énergie de la terre toute condensée, en train de surgir en lui. Ça n’est pas toujours un arbre avec ses racines. Parfois, c’est tout juste un arbuste coupé et fiché en terre, plus modestement encore un bouquet de rameaux ou de simples branches, mais dont le sens symbolique demeure inchangé. Ce qui est plus pertinent, c’est la nature végétale du-dit arbre et la personne à laquelle on s’adresse et à qui l’on rend hommage (le maire, le curé, l’instituteur, etc.). Mais très souvent, le mai prenait place devant la maison des filles bonnes à marier. La coutume qui consistait à « esmayer » allait davantage plus loin qu’une forfanterie de joyeux lurons, car ces mais étaient à la fois une forme de déclaration publique et l’expression des états d’âme des garçons auprès des filles. Comme le dit très précisément l’ethnologue Yvonne Verdier (1941-1989), « les mais sont un jugement public du groupe de garçons sur la vertu et le pouvoir de séduction de chaque fille. » Selon un code végétal symbolique partagé dans toute une région, on faisait varier la nature du mai en fonction du message que l’on souhaitait adresser à telle ou telle. Voici quelques exemples :

  • Bouleau : sagesse, charme ;
  • Charme : sympathie ;
  • Frêne, chêne, buis : déclaration d’amour ;
  • Sapin : honorabilité ;
  • Aubépine : estime ;
  • Cerisier : prête pour le mariage.

Parfois aussi, les mais se faisaient le support de la désapprobation des garçons : ainsi, les mais de la honte jouaient autrefois le rôle du « shaming » aujourd’hui. Les jeunes filles aux mœurs dites légères, lorsqu’elles étaient visées par un tel mai, se débrouillaient, vaille que vaille, pour se débarrasser de cette méchante publicité qui n’était ni à son avantage ni à celle de sa famille : la réputation, dont le mai se voulait le porte-parole, pouvait, en effet, nuire au futur conjugal de la fille incriminée, mais il représentait aussi un signal lancé à l’attention des garçons par trop naïfs. Là encore, donnons quelques exemples de l’inventivité des garçons à l’endroit des filles :

  • Houx et autres espèces épineuses : mauvais caractère, inamabilité, mœurs équivoques ;
  • Noyer : mœurs légères ;
  • Sapin : conduite qui laisse à désirer, mauvaise langue ;
  • Aubépine : caractère revêche ;
  • Sureau : manque de franchise, conduite légère ;
  • Aulne : mauvaise conduite ;
  • Pommier : buveuse (« portée » sur l’alcool) ;
  • Saule : insensibilité ;
  • Lilas : malpropreté ;
  • Tilleul : fille qui cache sa grossesse ;
  • Fusain : putain ;
  • Cerisier : fille volage, dévergondée.

« On dit en effet, d’une dévergondée : c’est un cerisier, chacun peut se pendre à ses branches et se régaler à peu de frais. »2 Paul Sébillot vient de nous donner une explication quant au cerisier. On peut s’en accorder quelques autres : avec le lilas au suave parfum, on laissait entendre que la jeune fille ne devait pas se laver souvent ; avec le sureau que, bien que lavée régulièrement, elle ne sentait pour autant pas la rose (le feuillage du sureau dégage effectivement une odeur repoussante) ; fusain, quant à lui, s’expliquait par assonance avec le mot putain (de plus, son bois dégage une petite odeur fétide pas des plus agréables). Sébillot nous fournit encore des éléments de compréhension « la signification du mai est basée aussi sur des jeux de mots […] : le hêtre, il te hait ; le tilleul, il te veut ; le charme, tu me charmes ; l’aunaie (aulne), je t’aurai ; le sau (saule), je te veux ; la boulie (bouleau), je t’oublie. »3 Celles qui se voyaient vernies par un message végétal favorable devaient tout de même se méfier qu’un coup du sort ne vienne pas s’opposer aux meilleures intentions des garçons. Par exemple, la chute d’un mai devant telle ou telle maison n’augurait pas du meilleur pour la jeune fille dont il était l’emblème. La période était si électrique que l’on pouvait soupçonner un présage, bon ou mauvais, là où il n’y en avait pas nécessairement. Mais, davantage que l’intervention du surnaturel et des hostiles forces commandées par une rivale auprès d’une mégère de type sorcière, les dégradations émanaient plus souvent des garçons eux-mêmes : un mai pouvait être détruit par jalousie, vengeance ou représailles. Plus souvent, un mai était subtilisé par un autre moins flatteur, tout cela pour des raisons identiques, attendu qu’en mai, fais ce qu’il te plaît ! ^.^ Bref, ça devait être un sacré chambard ! C’est qu’on s’amusait drôlement, autrefois, dans les campagnes, tout cela dans le but avoué et insurpassable de l’amour, dont le mois de mai était censément le galvaniseur. Profitons pour préciser que si le mois des roses et favorable à l’amour, il ne l’est pas au mariage : « la période restait propice aux fiançailles, c’est-à-dire aux engagements demeurés à l’état de germe prometteur »4, non à la consommation pleine et entière. D’ailleurs, « ceux qui passaient outre devaient s’attendre à vivre une union stérile et orageuse, puis à finir leur jours dans le malheur et la pauvreté. A moins que l’un des deux époux ne sombre dans la folie. »5 Le parfait mois des mariages, c’est juin, le mois de Junon, déesse qui, on le sait, préside à l’harmonie dans les mariages (à défaut de vivre le sien avec sérénité ^.^). Je ne dispose pas de statistiques pour vous indiquer si cette croyance avait une incidence réelle sur le nombre de mariages contractés en mai au XIXe siècle, par exemple. Ce que je puis néanmoins vous dire, c’est qu’en France, entre 2019 et 2023, on n’a pas observé moins de mariages en mai que durant les trois mois hivernaux (janvier et février n’ont pas moins mauvaise réputation que mai) à l’exclusion, bien entendu, du printemps 2020 où les gens se virent parquées comme des bêtes. Au XXIe siècle, la malédiction tient plutôt en ceci : bien que le nombre de mariages stagne ces derniers années, les violences conjugales au sein du couple explosent.

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  1. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 227.
  2. Paul Sébillot, Le Folklore de France, Tome 3, p. 403.
  3. Ibidem, p. 404.
  4. Daniel Lacotte, Peurs, croyances et superstitions, p. 186.
  5. Ibidem.

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Le neem (Azadirachta indica)

Si jamais vous demandez du neem dans n’importe quelle boutique de produits naturels, on vous mènera vers deux rayons. Tout d’abord, celui des articles destinés aux soins capillaires. Là, vous trouverez de la poudre de feuilles de neem. Puis celui des produits destinés à lutter contre les insectes. En cet autre rayonnage, vous découvrirez l’huile de neem. Mais vous conduirait-on en un autre secteur du magasin ? Probablement pas. Pourtant, le neem est loin de se réduire aux seules fonctions de soin capillaire repoussant les insectes (quand bien même il s’agirait d’insectes dans vos cheveux ! ^.^) Il est davantage que cela. C’est ce que ce nouvel article souhaite exposer.

Beau week-end à tous :)

Gilles

Synonymes : margousier, margosier, lilas de Perse, lilas indien, pharmacie de village, pharmacie de la nature (« nature drug’s store »), nimba, nivarini, sarva roga, fierté de l’Inde, fierté de la Chine.

Synonymes latins : Melia azadirachta.

Très anciennement vénéré comme une divinité en Inde, le neem est un arbre majeur des pharmacopées unani et ayurvédique. Pour cette dernière, il est nimba, c’est-à-dire « celui qui conserve la santé » ou encore nimbati swastyamdadati, « qui procure bonne santé ». Guérissant tous les maux, il incarne donc une panacée indienne supplémentaire ! Qu’en disent les textes médicaux antiques ? Eh bien que l’écorce, les racines, les feuilles et les semences, toutes thérapeutiques, sont données comme anti-inflammatoires, antipyrétiques, astringentes et anti-infectieuses (antibactériennes et antifongiques essentiellement). Le neem porte l’action la plus manifeste sur le côlon, les poumons et la peau (en médecine traditionnelle chinoise : principe du Métal, méridiens du Poumon et du Gros intestin). Il est vrai, tant pour la médecine unani qu’ayurvédique, qu’on lui voit très fréquemment jouer le rôle de remède cutané (affections fongiques, plaies et ulcères). A ce titre, il participe à des compositions telles que aragwadhadi kwatham (guduchi, casse et neem) spécifiquement destinée à l’interface cutanée. Ceci dit, l’Ayurvéda recommande de ne pas utiliser le neem en cas de défaillance trop marquée du dosha vata (perte osseuse importante, sensation de froid, extrême faiblesse…). Parfois, l’emploi des feuilles de neem dépasse le simple cadre thérapeutique et il est fait appel à leur vertu prophylactique : on attache des feuilles de cet arbre après la porte des habitations où séjournent des malades. On en répand également tout autour des lits de ceux-ci, ce qui autorise, pense-t-on, une protection face à l’infection de l’air ambiant, ces feuilles formant là un hygiénique rempart salvateur. On concède donc au neem une valeur apotropaïque, ce porte-bonheur étant censé écarter les mauvais esprits de la maladie. Au cours de l’histoire conjointe du neem avec les hommes, il s’en fallut sans doute de peu qu’on ne remarque, parallèlement à ces vertus, celles que le neem applique en des circonstances très similaires où il est question de la défense de l’intégrité. Ainsi écarte-t-il aussi les ravageurs qui détruisent les cultures, de même que les semences entreposées dans les réserves. C’est pourquoi l’on mêle des feuilles de neem aux grains afin de les soustraire à l’appétit vorace de plusieurs insectes dont charançons, coléoptères et papillons de nuit. Ces emplois empiriques des feuilles de neem contre les insectes se sont étendus à des domaines connexes. Par exemple, surnommer l’huile de neem « huile du jardinier » ne relève pas tout à fait du hasard. Effectivement, cette huile est employée pour soigner les végétaux, tant d’intérieur que ceux destinés à l’agriculture, en les préservant autant des insectes que des champignons pathogènes (le neem est même capable de réduire la quantité de mycotoxines dans les stocks de maïs, en particulier de la fumonisine B1, sécrétée par des champignons du type Fusarium sp.). Cela nous indique donc que le neem est antifongique et insecticide, du moins insectifuge. Ce pesticide naturel, qui perturbe le cycle de vie des insectes ravageurs des cultures, prend en charge de multiples insectes dont les chenilles de papillons, diverses larves et des insectes adultes tels que cafards, mouches, moustiques, punaises de lit, poux, puces, tiques (on remarque de bons résultats vétérinaires de l’huile végétale de neem face aux puces, tiques et autres acariens du chien et du chat), fourmis, chrysopes, etc. En général, une culture traitée à l’aide du neem se porte beaucoup mieux que celle qui fait intervenir les produits chimiques classiques. Du côté de l’être humain, on pratique la fumigation sèche de feuilles de neem : la combustion des plantes réduit considérablement le nombre de moustiques au repos à l’intérieur des habitations. Ainsi fait-on en plusieurs pays d’Afrique (Égypte, Éthiopie, Ghana, Sénégal, Tanzanie, Nigeria, etc.), et l’on s’en porte mieux. Ce ne sont pas Vladimir Arseniev et Dersou Ouzala, luttant incessamment contre la bigaille omniprésente en Extrême-Orient russe, qui diront le contraire ! A chaque fois qu’ils s’arrêtaient, eux et leurs bêtes, pour monter le bivouac, la première chose dont ils s’occupaient, c’était d’allumer un feu afin que sa fumée puisse débarrasser les hommes et les animaux de cette bigaille qui leur collait aux guêtres et ailleurs, c’est-à-dire de ces minuscules moucherons si nombreux qu’ils couvraient, d’une épaisse couche noire, la plupart des objets sur lesquels ils se posaient. Et ça vous rentre dans le nez, la bouche, les oreilles. Où sais-je encore ! La seule protection efficace, c’est la moustiquaire. Bref. Outre l’action dissuasive face aux moustiques adultes, le neem s’attaque aussi à cet insecte au stade larvaire. Par exemple, on a pu constater que la larve de Culex pipiens était particulièrement sensible aux vertus larvicides du neem dès son premier stade (de même qu’au troisième, mais moindrement). Pour celles d’Aedes aegypti, c’est le quatrième stade larvaire de ce moustique qui est plus incommodé par le neem. On observe aussi une efficacité manifeste auprès des larves d’autres moustiques (Culex quinquefasciatus, C. tarsalis, Anopheles stephensi…), ce qui est loin d’être un mal (« on » accuse le neem de devenir invasif ; aussi, faire la démonstration de ses pouvoirs répulsifs, larvicides et insecticides représente un solide argument en sa faveur), surtout lorsqu’on a connaissance d’un phénomène contre lequel butent les antibiotiques : la résistance. Celle-ci s’applique malheureusement aussi aux substances phytosanitaires. Face à elles, les insectes ont mis en œuvre des parades afin de s’en prémunir : c’est ce que j’appelle l’intelligence du vivant. C’est ce qu’explique très clairement une étude de 2017 : « La résistance aux pesticides va changer rapidement notre arsenal […] d’insecticides. Dans ce scénario, les produits naturels d’origine végétale sont considérés comme des candidats précieux pour inverser cette tendance négative. La recherche se concentre sur le neem (Azadirachta indica, Meliaceae), explorant l’utilité de ses produits comme insecticides […]. Dans cette revue, nous avons résumé les connaissances sur l’huile de neem et les sous-produits du tourteau de neem dans la lutte antiparasitaire des arthropodes, avec une référence particulière aux moustiques, vecteurs d’importance pour la santé publique. À notre connaissance, les produits à base de neem présentent actuellement des caractéristiques efficaces et respectueuses de l’environnement, notamment de faibles effets non ciblés, de multiples mécanismes d’action, un faible coût et une production facile dans les pays dotés d’installations industrielles limitées […]. Dans l’ensemble, nous proposons l’utilisation de produits à base de neem comme une alternative avantageuse pour construire des outils plus sûrs de contrôle des arthropodes. »1 C’est très justement en travaillant sur les vertus insecticides de ce pesticide naturel qu’est le neem, que l’on s’est aperçu qu’un mélange à parts égales de neem et de karanja (Pongamia glabra, une plante de la famille des Fabacées, des graines de laquelle on retire aussi une huile végétale) améliorait l’effet larvicide par rapport aux deux plantes considérées séparément face aux mêmes cibles.

La mycologie a su tirer parti des extraits de neem taillés à sa convenance. L’activité dont cet arbre a fait preuve a encouragé les travaux de recherche en bactériologie et en virologie, mais également en parasitologie. C’est ainsi qu’ont pu être vérifiées les bonnes aptitudes du neem vis-à-vis de vers tels que les filaires et les helminthes chez l’humain. Il s’est encore montré très efficace auprès du pou rouge de la poule (Orthonyssus sylviarum), une bestiole qui se déplace à toute vitesse à la surface de la peau, et que l’on n’a pas envie d’avoir chez/sur soi ^.^

Une étude toute neuve d’avril 2024 se fait l’écho des diverses cordes qu’on a tendues au robuste arc du neem2.

Un observateur peu avisé pourrait éventuellement constater que le bois du neem est utilisé comme ressource calorifère et son feuillage comme fourrage pour le bétail. Mais comprendrait-il jamais les raisons qui ont poussé les habitants à surnommer cet arbre « pharmacie de village » ? A l’heure où de grandes compagnies internationales – des brigands – ne cherchent rien d’autre qu’à s’arroger de plus en plus de droits sur le vivant, il importe de comprendre que la menace qui pèse sur les savoirs traditionnels est de deux ordres : tout d’abord, par la biopiraterie, une plante, un arbre, sont susceptibles d’être subtilisés. Dans le même temps, les connaissances indigènes, faute de témoins à qui les transmettre, peuvent s’évanouir à la disparition de leur ultime détenteur. Ainsi, il ne reste des plantes uniquement qu’une trace visuelle dans le décor, des éléments paysagers dont le pouvoir d’attraction s’est envolé. Non seulement, on peut parvenir à ignorer, en quelques générations, que l’on possède des trésors végétaux sur son sol, mais, en plus, parfaitement en méconnaître les fonctions, y compris celles d’ordre thérapeutique. Force est de constater qu’avec le neem, l’on n’est pas parvenu à cette fin dramatique. Et c’est heureux, parce que couper une population de son savoir traditionnel est grave : cette vision à court terme, qui cherche à placer cette même population dans la dépendance du spoliateur, n’est jamais souhaitable, pour cette raison-là, au moins : « La demande de remèdes à base de plantes médicinales augmente à l’échelle mondiale, tandis que les connaissances indigènes sur les plantes médicinales diminuent rapidement. La préservation des connaissances autochtones est essentielle à la découverte et au développement de médicaments novateurs. »3 Eh oui ! Quand le dernier connaisseur des secrets d’une plante disparaît, comment celle-ci peut-elle bien continuer à en faire profiter les hommes ?

Le neem, endémiquement circonscrit au sous-continent indien et à une bonne partie de l’Asie du Sud-Est (Birmanie, Laos, Cambodge, Indonésie), a depuis lors essaimé en bien d’autres parties du monde. Implanté, pour y être cultivé, dans les régions tropicales et subtropicales, on le trouve maintenant réparti largement en Afrique (subsaharienne surtout), et dans une mesure moindre au Moyen-Orient et en Australie.

Sur un tronc assez court, dont la circonférence oscille entre 1,5 et 3,5 m à l’âge adulte, une écorce dure et fissurée, de couleur brun grisâtre à brun rougeâtre, se propage. Le fût de l’arbre est surmonté d’une jolie couronne arrondie lui permettant d’accéder à une stature moyenne de 20 m (parfois le double dans des cas exceptionnels). Cet arbre à croissance vive, qui fournit une ombre abondante, est couvert de feuilles composées de dix à quatorze folioles non symétriques par rapport à l’axe central et entaillés de grosses dents. A la profusion de son feuillage, le neem ajoute le caractère semper virens. Lorsque vient la période de floraison, l’on voit apparaître des inflorescences en forme de panicules axillaires de 10 à 15 cm de long. Ces fleurs, discrètes par leur taille, sont constituées d’un calice dont les cinq lobes blancs sont arrondis et arqués en leur extrémité, enserrant mollement un tube staminal libre et protubérant. La fructification donne lieu à des fruits pas plus gros que des olives, de couleur orangée, à texture fibreuse peu pulpeuse. Quand ils sont jeunes, ils sont amers, mais gagnent gustativement en douceur avec la maturité, bien qu’ils n’offrent guère qu’une nourriture peu substantielle. Plus que la chair de ce fruit, le noyau a suscité davantage d’émulation, puisque c’est précisément de lui que l’on exprime mécaniquement l’huile végétale de neem.

Arbre forestier vivant à basse altitude, le neem offre une grande résistance face à la sécheresse. Si une telle extrémité devait survenir, elle le mènerait à abandonner sa verte parure afin de se protéger. Il est, de plus, très tolérant face à la pollution atmosphérique, à l’instar du manguier et du figuier des pagodes : ces arbres sacrés et majestueux s’y entendent à merveille pour ce qui est de supporter les miasmes malodorants et nocifs !

Le neem en phytothérapie

De la pointe d’un couteau, j’ai goûté à la poudre de feuilles de neem : l’absinthe n’a strictement rien à lui envier sur la seule question de l’amertume ^.^ C’est si désagréable, que je n’ai eu ni le temps ni l’opportunité d’éprouver l’astringence de la même poudre, tant j’ai cherché à faire fuir cette amertume en avalant une tasse de rooibos. Mais c’est qu’elle s’attache durablement à la langue et au palais, et l’on ne peut rien faire d’autre qu’attendre pour, graduellement, s’en défaire. Il doit être dit que la feuille de neem est loin d’être avare en substances amères, au premier registre desquelles nous trouvons de ces nortriterpénoïdes dits amers par les chimistes (au cas où l’on aurait un doute ^.^), dont les très connues azadirachtines (A-M ; l’azadirachtine A, isolée dès 1968, a été l’une des plus étudiées : en l’espace d’une quarantaine d’années, ce ne sont pas moins de 1 000 études qui se sont empilées à son sujet) et ces autres qui portent le nom de limonoïdes tels que la gédunine, la nimbine, la salannine, le nimbolide, le nimbiol, l’azadiradione et le 28-déoxynimbolide. Les accompagnent des alcaloïdes également dit amers (c’est le cas de la margosine, par exemple). Puis l’amertume se relâche un peu avec les flavonoïdes (quercétine, rutine, catéchine, hyperoside, nimboflavone, avicularine), disparaît même avec les tanins hydrolysables (castalgine) afin de laisser la place à l’astringence. En cherchant bien, le neem recèle encore des caroténoïdes, des phytostérols (β-sitostérol) et des triterpénoïdes tétracycliques dont l’azadiradionolide est un bon exemple.

Maintenant que nous sommes parvenus jusque-là, impossible de ne pas dire un mot de l’huile végétale que l’on retire du fruit du margousier : l’huile de neem ou huile de veepa. Si l’on en dédaigne la pulpe par trop fibreuse, l’on se concentre bien davantage sur son noyau précisément, que l’on presse mécaniquement à froid. Il s’agit d’un produit assez liquide parce que très épais, qui a l’habitude de se solidifier en dessous d’une température de 20-25° C et que, généralement, l’on ne raffine pas. Son odeur très prononcée (une verdeur terreuse mâtinée de quelques notes de noisette) s’allie à une coloration très variable, pouvant évoluer du vert jaunâtre jusqu’au brun foncé, tout en passant par des verts profonds tout à fait saisissants. Peu exposée à l’oxydation, l’huile de neem se compose principalement d’acides gras mono-insaturés (acide oléique : 41 à 55 %), d’acides gras saturés (acide stéarique : 15 à 23 % ; acide palmitique : 14 à 20 % ; acide arachidique : 1,5 %), enfin d’acides gras polyinsaturés (acide linoléique : 10 à 20 % ; acide α-linolénique < 1 %). Elle n’échappe pas aux éléments amers dont nous avons parlés tout à l’heure, en particuliers les triterpénoïdes et les limonoïdes, qu’on y trouve en petite quantité.

Pour en terminer là, j’ai été ravi de découvrir dans un article scientifique (Inde, mai 2009) une référence à une ressource dont on parle encore peu, ce qui est bien dommage : il s’agit de l’endobiote. Chaque plante vit en étroite relation avec une flore bactérienne précise, des micro-organismes qui procurent à la plante donnée une valeur ajoutée supplémentaire. Par exemple, lorsqu’on absorbe une poudre de plante par la bouche, les muqueuses buccales ne sont pas seulement mises en contact avec les principes actifs contenus dans cette plante, mais également avec ces mêmes micro-organismes dont la présence appuie une propriété thérapeutique de la plante ou communique à l’organisme les siennes propres. Mais cela reste encore très nettement sous-exploité comme l’exprime cet article4.

Propriétés thérapeutiques

  • Immunostimulant (action renforcée avec de l’ail), augmente la réponse immunitaire, anti-infectieux : antibactérien (Escherichia coli, Klebsellia pneumoniae, Helicobacter pylori, Enterococcus faecalis), antifongique (Candida sp., Trichophyton rubrum, Malassezia furfur ; le neem est encore capable d’inhiber la production des mycotoxines de Penicillium citrinum), antiviral (virus de la grippe, de la polio, virus coxsackie B in vitro), antiparasitaire (antiplasmodique)
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydant (ré-activateur des enzymes anti-oxydants), inhibiteur de la peroxydation lipidique, antiradicalaire
  • Anticancéreux5, inhibiteur de la prolifération cellulaire et de l’angiogenèse, inducteur de l’apoptose, chimio-préventif (c’est aussi le cas des fleurs de neem)
  • Digestif, vermifuge (anthelminthique)
  • Antidiabétique, hypoglycémiant, normalise la glycémie sanguine
  • Hypotenseur, dépuratif et détoxiquant sanguin
  • Tonique cutané, cicatrisant6, assainissant cutané, dépuratif cutané
  • Contraceptif naturel (spermicide in vitro), anti-androgénique, peut potentiellement réduire la libération des ovules au cours de la période d’ovulation, ce qui affecte négativement la fertilité de la femme
  • Insectifuge, larvicide (larves de Chrysomia sp., de diverses espèces de moustiques, etc.)
  • Tonique hépatique
  • Remède oculaire

Huile végétale :

  • Tonique cutanée, cicatrisante (promeut la sécrétion de pro-collagène et d’élastine, augmente la fabrication de tissus conjonctifs, stimulante de l’angiogenèse au site de la plaie), hydratante cutanée, ré-équilibrante, émolliente, adoucissante
  • Immunostimulante, anti-infectieuse (antifongique, antibactérienne), antiseptique
  • Anti-inflammatoire, antipyrétique
  • Anticancéreuse (inductrice de l’apoptose et de l’autophagie)
  • Antihistaminique
  • Insectifuge, anti-acarien, antiparasitaire
  • Emménagogue, potentiellement abortive

Usages thérapeutiques

  • Affections cutanées : acné, eczéma, psoriasis, irritation et démangeaison, ulcère, plaie, blessure, piqûre de guêpe, morsure de fourmi, peau rêche, sèche, rougie et sensible, gerçure, fissure (au pied, surtout), mycose (cutanée, unguéale), myiase (infection de la peau par des larves de mouche suite à une dermatite mal soignée)
  • Soins du cuir chevelu : mycose, pellicules, chutes de cheveux, irritation du cuir chevelu
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, saignement gingival, gencives sensibles, soins dentaires (carie, plaque dentaire, infection, tartre)
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : candidose, maux d’estomac
  • Troubles locomoteurs : douleur neuromusculaire et articulaire, arthrose, arthrite, polyarthrite rhumatoïde, douleur lombaire
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, dysfonction cardio-rénale, hyperglycémie, hémorroïde, ischémie intestinale
  • Maux de tête, acouphènes
  • Cancer : cancer du sein, du pancréas
  • Paludisme (en aide et soutien)
  • Troubles du système nerveux : « L’azadiradione pourrait être impliquée dans la restauration du dysfonctionnement synaptique dans de nombreux troubles neuropsychiatriques/neurodégénératifs. »7

Huile végétale :

  • Affections cutanées : acné, eczéma, psoriasis, excès de sébum des peaux mixtes à grasses, mycose cutanée et unguéale, coup de soleil, perte d’eau cutanée, épaississement cutané, ride, verrue, teigne
  • Soins du cuir chevelu : pellicules, mycose, cheveux crépus
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, pyorrhée
  • Arthrite
  • Maux de tête

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles de neem : comptez l’équivalent d’une cuillerée à café par tasse d’eau ou une cuillerée à soupe par litre d’eau, en infusion pendant 10 à 15 mn.
  • Poudre de feuilles de neem : une demi-cuillerée à café (on peut faire varier cette quantité de 0,5 à 3 g par prise) dans du miel, du lait chaud, de l’eau chaude mêlée à du ghee. Deux à trois fois dans la journée. A ce stade, je me demande comment l’on peut avaler une préparation réalisée avec cette poudre de feuilles-là (de même qu’avec les feuilles, comme nous l’avons vu précédemment, vu que c’est tout bonnement abominable ^.^).
  • Teinture hydro-alcoolique : dans un litre d’alcool à 60°, déposez deux belles cuillerées à café de poudre de feuilles de neem. Laissez en contact pendant trois semaines. A l’issue, passez, filtrez très soigneusement et embouteillez en contenants opaques. Utilisez à raison de 10 à 30 gouttes par prise, trois fois dans la journée.
  • Décoction concentrée de feuilles de neem pour bain : placez une à deux cuillerées à soupe de poudre de neem dans un litre d’eau. Portez à ébullition, faites décocter pendant un quart d’heure, puis versez cette préparation dans l’eau du bain.
  • Cataplasme (a meilleur goût ^.^) : on délaye (pas trop) la poudre de feuilles de neem avec de l’eau chaude, afin de constituer une pâte souple de la texture du yaourt, que l’on applique ensuite sur les parties lésées du corps. On peut en faire un masque capillaire par exemple, à moins que l’on ne préfère la friction sèche du cuir chevelu avec la même poudre.
  • Masque capillaire contre les poux : comptez une partie d’huile de neem pour dix parties d’huile vierge de coco. Additionnez d’une ou deux gouttes d’huile essentielle de lavandin abrial. Appliquez sur le cuir chevelu et laissez agir pendant une bonne heure avant shampooing et rinçage soigneux.
  • L’huile végétale de neem, accompagnée d’une autre huile du type sésame, et auxquelles l’on ajoute les huiles essentielles convenables (niaouli, citronnelle, géranium rosat) forme sur la peau un film anti-moustique assez efficace.
  • En mélangeant une partie d’huile de neem à son équivalent d’argile verte, l’on obtient une pâte applicable sur l’acné, l’eczéma et le psoriasis, entre autres.

Note : dans le commerce, on trouve une foule de spécialités estampillées « cosmétologie et hygiène » qui font appel à la poudre de feuilles de neem, ainsi qu’à l’huile de cet arbre. Parmi celles-ci, il y a des gels douche et des shampooings, des savons, des crèmes et des baumes, des lotions, des huiles capillaires et même des pâtes dentifrices.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Le neem, tant par sa feuille que par son huile, n’est pas compatible avec un certain nombre de situations que nous allons lister ci-après : la femme enceinte, la femme qui allaite, l’enfant de moins de trois ans, les personnes sensibles aux plantes de la famille des acacias, les personnes pour lesquelles certains traitements antidiabétiques et hypoglycémiants sont en cours. Dans tous les autres cas, le neem doit faire l’objet d’une utilisation mesurée : par exemple, chez l’homme, l’utilisation au trop long cours de la poudre de feuilles de neem peut engendrer un ralentissement de la spermatogenèse, cet arbre étant classé, comme nous l’avons dit plus haut, parmi les espèces anti-androgéniques. Les hommes qui possèdent un taux de spermatozoïdes médiocre et une faible motilité du sperme s’abstiendront d’en faire un quelconque usage.
  • L’huile de neem, bien que faiblement oxydable, se gardera tout de même de la lumière et de la chaleur du soleil. Il faut donc, de préférence, la conserver au réfrigérateur ou en tout autre lieu constamment frais et sombre. Stable de par sa composition biochimique, le délai de conservation d’une telle huile ne dépassera jamais deux ans à partir de la date d’ouverture. La petitesse du conditionnement (30 à 50 ml, c’est bien suffisant) et l’utilisation peu étendue de cette huile végétale (en terme de quantité utilisée) font que, la plupart du temps, le délai de deux ans est parfaitement convenable.
  • On lit généralement qu’on fait de cette huile végétale un usage exclusivement externe. C’est vrai. Toutefois, quelques praticiens n’hésitent pas, dans certaines circonstances, à en user par voie interne, à très faibles quantités et durant un bref laps de temps. Dans le cas contraire, de hautes doses induiraient des vomissements, des lésions hépatiques, ainsi qu’une acidose métabolique. De plus, elle passerait pour possible perturbatrice endocrinienne. Même par voie externe, elle n’est pas si souple que ça à manier. Pure, elle peut occasionner sur les peaux fragiles et délicates, des irritations, des démangeaisons, des rougeurs, ainsi que la survenue d’un œdème. C’est pourquoi l’on préconise généralement sa dilution à 10 % dans une autre huile végétale, ce qui, primo, en diminue le caractère un peu arrogant et, secundo, en facilite l’application. En tous les cas, il faudra veiller à ne pas trop insister à l’abord des muqueuses et des yeux.
  • Risque de confusion : Azadirachta indica, alias Melia azadirachta, est un arbre différent de Melia azedarach, bien qu’appartenant à la même famille botanique.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. Source.
  5. « Nous spéculons que l’ail et la feuille de neem altèrent significativement le développement du cancer aux sites extra-hépatiques en influençant les enzymes de bio-transformation hépatique et les antioxydants » (Source).
  6. On l’oublie bien trop souvent dans notre monde aseptisé, mais… « la cicatrisation des plaies est cruciale pour maintenir l’intégrité de la peau et prévenir les complications des menaces externes » (Source).
  7. Source.

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Fonctions et importance de la doula auprès de la femme enceinte

Le 7 février, c’est la date dédiée à Eugénie, la « bien-née », sainte patronne des sages-femmes et des femmes en couches. On ne l’invoque plus guère lors des accouchements, au contraire des Romains qui disposaient de Lucine largement et les Grecs d’Artémis pour ce faire. Aujourd’hui, alors qu’on fait de moins en moins appel aux déesses et aux saintes, quelle poignée à laquelle s’accrocher reste-t-il à la femme sur le point d’accoucher ?

Autrefois, dans certaines contrées, officiait la matrone, c’est-à-dire l’accoucheuse traditionnelle. Dans d’autres, c’était la sage-femme qui occupait cette fonction. Mis à part ça ? Eh bien, depuis quelques décennies, émerge une nouvelle profession complémentaire : la doula. Étymologiquement, la doula, qui tire son nom du grec doúlê, comprend le sens de compagne, servante et esclave, et l’identité d’une personne domestique attachée indéfectiblement à la domus, c’est-à-dire à la maison de sa maîtresse, au service d’icelle, qui telle une Brangien auprès d’Iseult, l’assure de sa pleine confiance et d’un constant appui. Malgré la référence lexicale au mot esclave, il ne faut pour autant pas voir en ce mot, doula, une marque de dépréciation et ne pas y entendre la connotation péjorative que peut avoir encore aujourd’hui le mot esclave. A l’exposé des diverses informations qui vont suivre, l’on comprendra que cette relation n’existe plus. Présentons donc la fonction de la doula pour mieux nous en assurer. Tout d’abord, comment pourrions-nous la définir au mieux ? On peut dire d’une doula qu’elle pratique une approche holistique de la naissance. Ce qui est bien vague… Quelle place, laissée vacante, la doula occupe-t-elle ? La doula intervient auprès de la femme enceinte avant, pendant et après accouchement, afin d’assurer, durant la période périnatale, un soutien complet à la parturiente se déclinant selon plusieurs volets : émotionnel, psychique, psychosocial, physique, informationnel et pratique. Mais encore, « les doulas sont des professionnels de la périnatalité communautaire formés à la santé de la grossesse, à la préparation à l’accouchement, au soutien au travail, au conseil en lactation et aux soins postnataux. »1 Sans être une sage-femme, la doula promeut une mode d’intervention doux, au contraire de l’obstétricien, qui reste attaché à l’intervention technologique, c’est-à-dire au règne de la machine et du matériel. Tout à l’inverse, la doula s’applique à tirer parti de la puissance du pouvoir de l’esprit, obtenant par là même des résultats comparables à ceux d’une sage-femme, bien que la correspondance entre ces deux professions ne soit pas tout à fait exacte. La doula s’est cependant appropriée des fonctions inoccupées par les sages-femmes en raison d’un manque de bras et de temps, et qui étaient autrefois, dans les campagnes entre autres, prises en charge par la figure féminine tiers, c’est-à-dire la grand-mère, ce que le resserrement familial – trois générations sous le même toit – rendait tout à fait possible et souhaitable.

De la doula à la femme enceinte, les interactions ne sont pas unilatérales. Restant à l’écoute des désirs et besoin de celle-ci, la doula lui transmet le nécessaire. Communiquant des informations non médicales, la doula utilise un certain nombre d’outils auprès de la femme qu’elle accompagne, tels que la relaxation, le yoga et la méditation, des exercices d’étirement et d’assouplissement, la visualisation, le massage périnéal prénatal, enfin beaucoup de techniques qui mettent en œuvre le sens oublié du toucher dans pareilles circonstances. Tout cela représente un soutien précieux en vue de la délivrance, reconnu tant par la famille et les proches de la parturiente que le personnel médical (en général), bien que certains médecins obstétriciens entretiennent, à l’égard des soins de maternité non traditionnels, une attitude pour le moins négative. Pourtant, une foule d’études disponibles à la lecture sur PubMed, Scopus, etc., disent toutes le bien-fondé de l’intervention d’une doula au cours de la maternité. Une étude récente (USA, 2022) est très claire sur ce point : « Les politiques et pratiques hospitalières devraient inclure les doulas en tant que membres précieux de l’équipe de soins pour aider à assurer des expériences positives pendant la naissance. »2 Elle se rapproche de ce qu’affirmait une étude mexicaine vingt ans plus tôt : « Les résultats de cette étude ont montré, comme dans d’autres essais mesurant l’impact de la présence d’une doula pendant le travail et la naissance, que le soutien de la doula pendant le travail est associé à des résultats positifs qui ont des implications physiques, émotionnelles et économiques. »3 Justement, parlons-en plus précisément, de ces résultats positifs. Avec l’aide et la présence d’une doula, la durée du travail est réduite, l’accouchement est plus rapide et moins difficile, en particulier parce qu’on fait davantage appel aux méthodes de soulagement de la douleur non pharmacologiques durant le travail, comme l’acupuncture et l’homéopathie. Bien que le recours à la pitocine (ocytocine de synthèse) et d’analgésiques soit moins systématique, beaucoup d’accouchements avec doula sont moins douloureux, la femme enceinte étant moins anxieuse et stressée. Résultat des courses : moins d’anesthésie par péridurale. Par voie de conséquence, les accouchements instrumentaux (utilisation du forceps) et par césarienne (y compris d’urgence) sont beaucoup moins fréquents, de même que le nombre d’interventions médicales inutiles en cours d’accouchement. Globalement, l’accompagnement périnatal d’une doula permet de multiplier par deux les naissances vaginales spontanées, de réduire le taux de naissances prématurées (et, subséquemment, le taux de nouveaux-nés en détresse fœtale ou admis dans les unités de soins intensifs néonatals). Dans certains pays, l’influence bénéfique de la doula permet même de réduire la mortalité infantile et maternelle survenant durant l’accouchement ! Même une fois que la délivrance a eu lieu, les bons effets du travail de la doula se font encore ressentir : le saignement post-partum est moins abondant, l’anxiété et la dépression de la mère moins marquées (et parfois inexistantes). Au contraire, plus nombreuses sont les mères à éprouver une satisfaction et une gratitude plus grandes, observant leur propre expérience de la naissance avec un regard plus serein. Elles sont plus enclines à l’estime d’elles-mêmes. Enfin, comme la sensibilité de la mère vis-à-vis de son enfant est plus importante, cela facilite d’autant mieux l’allaitement naturel.

Si l’efficacité des doulas au sein des structures de santé dévolues à la prise en charge des femmes sur le point d’accoucher ne fait plus aucun doute, certaines d’entre elles, souhaitant aller plus loin encore, n’hésitent pas à remettre en cause, non pas un système, du moins des pratiques jugées dépassées. Caroline Pérez est l’une de ces doulas qui recherchent davantage encore le bien-être de la mère et de l’enfant. C’est grâce à la lecture de l’interview qu’elle a accordée au magazine Nexus (n° 149, novembre-décembre 2023) que j’ai pris connaissance de l’existence des doulas. Ayant trouvé très intéressants les propos qu’elle y partage, je me suis décidé à écrire ce petit article, que je vais compléter ci-après en m’inspirant des apports de Caroline Pérez.

Rénover l’accouchement, restaurer la manière dont l’enfant vient au monde est, pour elle, primordial. Elle pointe un certain nombre de faits sur lesquels des améliorations, voire des révolutions, pourraient être apportées, mais qui, pourtant, sont laissées en l’état. Elle place ainsi en opposition deux façons d’appréhender le moment de la naissance, au travers, tout d’abord, des conditions requises qui ne sont pas toujours réunies du côté de la maternité, de la clinique et de l’hôpital. Rien ne va sur la manière dont on accouche dans ces structures : la salle d’accouchement est trop froide, trop violemment éclairée aux néons, beaucoup trop bruyante. Pour cela, Caroline Pérez privilégie l’accouchement à domicile, permettant à la femme enceinte de bénéficier d’un effet « cocooning », parce qu’un lieu connu et apprécié de la parturiente, qui plus est où il fait bon et calme, concourt à la sécrétion naturelle d’hormones indispensables à la bonne marche de l’accouchement, telles que la mélatonine et l’ocytocine (qui a pour conséquence la survenue des contractions, l’ouverture du col, etc.), hormone sur laquelle Caroline Pérez insiste considérablement4. Or, cela n’est pas accessible, ou si peu, sans la sécurité, la tranquillité, la confiance et l’intimité, qui participent à la déconnexion du cerveau, de même que le fait de se taire (trop parler, c’est (faire) quitter l’état de conscience modifiée requis pour mieux accoucher). Autant dire qu’à l’hôpital, la crainte, l’anxiété et l’incertitude brisent complètement la capacité de la femme enceinte à mettre en branle la sécrétion de ces hormones incontournables (que l’on compense donc par injection de pitocine souvent trop dosée et aux effets douloureux insupportables). Bien consciente qu’un certain nombre d’écueils handicapent gravement la femme qui accouche en institution hospitalière, Caroline Pérez se dit favorable à un accouchement par les voies basses autant qu’il est possible, et non comme cela se pratique habituellement, la femme étant allonger sur le dos. L’accouchement physiologique est, selon elle, un bon moyen de mettre à distance l’outrance de l’assistance et des interventions médicalisées appliquées sur le corps de la femme au travail, dans des lieux parfois saturés par l’agacement des infirmières et par l’arrogance des médecins, ce qui place d’autant plus la femme à distance d’elle-même, contrairement à la douce intervention de la doula, dont la proximité émotionnelle et psychique, ainsi que le sens tactile, permettent de soustraire la femme enceinte à la domination biomédicale qui confine à l’anonymisation du corps de la femme. « Le fait qu’il y ait de moins en moins de sages-femmes, qu’on aille de plus en plus à l’hôpital, que la médecine soit de plus en plus aux mains des hommes nous a éloignés petit à petit de nombreuses pratiques autour du soin de la femme. »5 C’est pour cela que Caroline Pérez milite en faveur de la réappropriation de savoirs oubliés et non transmis, ce qui est évidemment dommageable pour les futures mères, sachant qu’ils sont spécifiquement relatifs à cette période spéciale de la vie d’une femme enceinte sur le point d’avoir un enfant. C’est aussi de la réappropriation de son corps par la femme elle-même dont il est question, ainsi que le recouvrement de l’autonomie, de l’intuition, de l’instinct, du ressenti et de l’écoute de soi, toutes choses qui doivent assurément faire plaisir à Deirdre English et Barbara Ehrenreich entre autres.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. « En étant privées de ces hormones naturelles, nous sommes aussi privées de tout ce qui découle d’attachement, de bonheur, mais aussi de relaxation et de détente. […] La péridurale nous coupe complètement de nos instincts. En accouchant sous ocytocine de synthèse, sans passer par la sécrétion naturelle d’ocytocine, on perd au bout de quelques générations notre capacité à sécréter de l’ocytocine. […] Le fait qu’on ne sécrète plus cette hormone est qu’elle n’est plus transmise à notre enfant pendant cette période, ça veut dire que les humains n’arrivent plus sous l’hormone de l’amour à la naissance, ce n’est quand même pas rien » (Source : Nexus 149, p. 39).
  5. Ibidem, p. 34.

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Le myrobolanier (Terminalia chebula)

Aujourd’hui, nous stationnons du côté du sous-continent indien, région natale de cet arbre étonnant qu’est le myrobolanier. En Europe, on le connaît comme remède ayurvédique, surtout sous la forme d’une spécialité nommée triphala, réunion des poudres de trois fruits différents, dont les myrobolans que nous voyons ci-dessous, ainsi que ceux d’amla et de bibhitaki. Beaucoup d’études scientifiques se sont attardées dessus et en ont conclu que le myrobolanier participe puissamment à cette composition, principalement donnée comme rasayana, c’est-à-dire rajeunissante du corps et de l’esprit.

Beau week-end à tous :)

Gilles

Synonymes : myrobolan chébulique, myrobolan noir, badamier, arbre à encre, haritaki, harad.

Synonymes latins : Terminalia parviflora, Terminalia tomentela.

Grand fruit d’or du bouddhisme mahayana, le myrobolan est l’incarnation de la valeur fondamentale du bouddhisme, c’est-à-dire la compassion. Après la retraite dite des sept semaines, le Bouddha se nourrit d’un myrobolan qui reconstitua ses forces. Sa graine, aussitôt semée, produisit dans l’immédiat un haritaki, dont on peut se demander s’il est l’arbre primordial duquel découlent tant de prodiges. Que le Bouddha y ait posé la main l’élève nécessairement au-dessus de toutes les autres créatures terrestres et mortelles. D’ailleurs, c’est dans la main de Bouddha – plus exactement le Bouddha de la médecine et de la guérison – que le myrobolan est figuré, bien que peu visible et généralement indistinct (cela suggère un myrobolan plus que cela ne le dessine avec fidélité). Souvent, il se niche dans la paume de sa main droite (« assis à l’indienne, la main gauche reposant ouverte dans le giron, tenant le fruit de la main droite tournée vers l’extérieur ») ou bien plus délicatement entre le pouce et l’index. Parfois, des myrobolans, au nombre de trois, sont serrés dans un petit bol en lapis-lazuli.

Le sous-continent indien est unanime : le myrobolanier chébule, dont on dit que son fruit est tonique, laxatif, stomachique et altératif entre autres, est un arbre médicinal réputé par les médecines ayurvédique, unani et siddha, ainsi que pour la médecine tibétaine toute proche (le « roi de la médecine et des médicaments », qui ne pousse pas au Tibet, doit donc y être importé, bien qu’il se trouve présent dans la plupart des formulations), et, plus éloignées, la médecine traditionnelle chinoise (selon laquelle il prendrait en charge les deux méridiens qui relèvent du principe du Métal, à savoir le Poumon et le Gros intestin) et la pharmacopée japonaise qui lui a fait adopter le nom de karikoku.

En Inde, selon la langue tamoul, le myrobolan est dit kayakalpa, c’est-à-dire qu’il s’avère être capable à la fois de rajeunir le corps et d’équilibrer les trois doshas, ce que la médecine ayurvédique lui reconnaît effectivement. Elle précise même avec quel ingrédient apaiser spécifiquement chacun des trois doshas (vata : ghee ; pitta : sucre ; kapha : sel). De plus, le myrobolan porte aussi une action salutaire sur les dāthus, en particulier le Shukra dāthu, qu’il nourrit et rajeunit. L’on peut même profiter de l’action tonique et rajeunissante (rasayana) du myrobolan, en modifiant la manière de l’accompagner au fil des saisons (saison des pluies : sel ; automne : sucre ; première partie de l’hiver : gingembre ; seconde partie de l’hiver : poivre long ; printemps : miel ; mois estivaux chauds : mélasse). La valeur médicinale du myrobolan a pris une si grande importance, qu’on a distingué, afin de gagner en clarté thérapeutique, sept « variétés » de myrobolans (vitaja, rohini, putana, amrita, abhaya, jivanti et chetaki, de laquelle dernière il existe deux versions, une blanche et une noire). C’est ainsi qu’ils sont dépeints dans les textes hindous, mais il ne s’agit jamais que de la description du même fruit à divers stades de fructification (plus rapidement et brièvement, l’on distingue le petit myrobolan au fruit non mature, le myrobolan jaune qui vient tout juste de développer sa semence et enfin le grand myrobolan parfaitement mature). Cette profusion, dans laquelle on peut avoir la sensation de se perdre, est renforcée encore par les divers surnoms que l’on a accordés au myrobolan à travers les âges. Ils restituent tous, peu ou prou, l’étendue de la haute estime dans laquelle on l’a placé. A commencer par l’un de ses surnoms parmi les plus communs, haritaki. La racine hara, qui compte parmi les multiples manières d’appeler le dieu Shiva, s’inscrit dans le nom haritaki, « qui incarne Hara ». Haritaki nous avertit aussi que cet arbre pousse en la demeure du dieu Shiva, c’est-à-dire non loin des sommets enneigés de l’Himalaya. Un peu plus haut, nous avons vu passer le nom abhaya : ce terme se réfère à l’intrépidité et à la bravoure du myrobolan face à la maladie. Il est encore amrita, c’est-à-dire immortel, au côté du guduchi (il serait né de ce que Shiva, buvant, laissa tomber à terre une goutte d’amrita (d’ambroisie), d’où ce surnom accordé à la plante). D’ailleurs, divya, autre nom, insiste sur sa nature céleste. « L’infaillible », « l’herbe vivifiante », « le fruit divin », « le père de la médecine » ou encore « le favori des médecins » sont encore des manières de désigner ce même myrobolan, qui brille par bien d’autres noms sanskrits tels que pranada (le « donneur de vie »), vayastha (« qui augmente la durée de vie et maintient la jeunesse ») ou bien rasayana pala (« restaurateur biologique »). L’on n’a pas hésité à annoncer que le myrobolan avait partie liée avec le prana qu’il favorise en somme : « Le prana stimule le corps et maintient l’esprit souple et adaptable. Il donne de la créativité, de l’enthousiasme et de la force. C’est tout cela et plus encore. Sans prana, il n’y a pas de vie. Ce lien avec l’augmentation du prana pourrait être derrière la croyance profondément enracinée en Inde et au Tibet que le haritaki augmente l’énergie, l’intelligence et la sensibilité. Ces capacités pourraient également soutenir le lien entre haritaki et santé émotionnelle, et son utilisation traditionnelle pour soulager le chagrin et la tristesse. Et peut-être est-ce même à l’origine des affirmations selon lesquelles haritaki donne de la force et atténue les effets du vieillissement. »1 Une telle drogue de puissance, il n’a pas été question de la maintenir cloîtrée et de ne s’adresser qu’à elle, sans lui donner l’opportunité d’allier ses forces avec d’autres plantes triées sur le volet par les médecins ayurvédiques. C’est donc sans trop de surprise que l’on constate la présence du myrobolan au sein de cette merveilleuse panacée ayurvédique universelle qu’est le triphala (ou, dans sa version plus longue, kashthadhatriphala). Triphala, pour « trois fruits », requiert donc les poudres de myrobolan et des fruits d’amalaki (ou amla, Phyllantus emblica) et de bibhitaki (Terminalia bellirica). Il s’agit d’une spécialité qui ne date pas d’hier, puisqu’on en découvrit la trace dans le manuscrit Bower (VIe siècle apr. J.-C.) et bien avant dans les classiques Charaka Samhita (pour lequel il est un rasayana et un purificateur) et Sushruta Samhita (qui explique que triphala équilibre les doshas pitas et kapha, qu’il est favorable à l’excrétion et qu’il améliore les fonctions digestives). Triphala posséderait même une action spécifique nommée prabhava comme équilibrant des trois doshas, de vata surtout qui se trouve être, selon la médecine ayurvédique moderne, à l’origine de 80 % des maladies. La science contemporaine s’est, elle aussi, penchée sur cette spécialité ayurvédique. Des recherches nombreuses ont permis de lui attribuer des propriétés précieuses qu’en termes modernes l’on libelle comme suit : anti-oxydant, anticancéreux, chimioprotecteur et antibactérien. De plus, « cette formule est extrêmement efficace pour traiter les personnes souffrant de constipation et de selles molles, abaisser les niveaux de cholestérol et de triglycérides et favoriser la perte de poids. Triphala a également une activité anti-inflammatoire importante et peut être utilisé pour prévenir la dégénérescence maculaire liée à l’âge ainsi que pour soulager les symptômes d’allergie. Lorsqu’il est combiné avec une partie égale de shilajit, il est utilisé pour traiter les personnes atteintes de diabète. »2 Mais encore : « Le triphala présente un certain nombre d’avantages pour la santé, dont l’activité anti-oxydante, la réduction du taux de cholestérol, la normalisation de la pression artérielle, l’inhibition du VIH, la réduction des tumeurs chez les animaux et la protection et l’amélioration de la fonction hépatique. »3 Il existe bien d’autres formulations ayurvédiques auxquelles participe le myrobolan comme, par exemple, tramana, dans lequel guduchi, haritaki et gingembre unissent leurs forces afin d’endiguer bon nombre de désordres gastro-intestinaux. Ou bien cette formule destinée à contrecarrer l’asthme, composée de haritaki et de chitraka (Plumbago zeylanica), très ancienne spécialité qui a été décrite dès le IXe siècle apr. J.-C. Plus ancien encore : Acharya Sushruta recommandait la formule amalakyadi gana contre la fièvre (elle est constituée d’haritaki, d’amalaki, de chitraka et de pippala, c’est-à-dire de poivre long).

« La valeur médicinale et la réputation du fruit du badamier, le myrobolan, étaient telles que son nom est passé à l’usage universel pour donner l’adjectif courant ‘mirobolant’ », nous dit un certain dictionnaire en ligne4. Universel, je ne crois pas. C’est qu’il ne faudrait rien exagérer. Cela ne me semble concerner que le monde occidental. S’il apparaît avéré que le mot myrobolan est la contraction de myron balanos (« gland parfumé »), associer ce fruit à cet adjectif n’était pas autre chose qu’une manière de se moquer, quelque chose de mirobolant étant trop beau pour être vrai, extraordinaire et merveilleux en somme. C’était là une manière ironique de montrer à quel point il était dédaigné. S’il est parvenu à s’immiscer comme adjectif au sein de la langue française, c’est surtout pour y désigner ce que, exactement, on lui refusait et lui reprochait, c’est-à-dire de ne pas tenir ses « promesses ». Afin de s’en assurer, il suffit de seulement prendre connaissance de la littérature médicale française des XVII-XIXe siècles, ce que nous allons faire sans tarder.

A l’époque de Nicolas Lémery, l’on ne connaissait en France que les fruits venus tout droit séchés des Indes. Plusieurs autres espèces (citrini, emblici, bellerici et indici) accompagnaient souvent Terminalia chebula (quebuli, chepuli, cepuli…), qui forme des fruits pas plus gros qu’une datte, oblongues, pointus du côté du pédoncule, relevés par cinq côtés longitudinales. « Il faut choisir les myrobolans chébules gros, nous explique Lémery, bien nourris, durs, de couleur jaunâtre sombre, d’un goût astringent tirant sur l’amer. »5 On employait principalement les myrobolans comme purgatif, tonique gastro-intestinal et astringent, à la façon de la rhubarbe, ce qui convenait aux diarrhées, dysenteries et autres dévoiements de ventre. On les utilisait pour cela en poudre, à la dose d’un gros (4 g) ou concassés en infusion ou en décoction légère, à raison de deux gros (8 g) jusqu’à une demi-once (16 g) dans un litre de liquide. Outre cela, les myrobolans participaient à de nombreuses préparations pharmaceutiques. A la lecture de la suite de mon propos, on aura bien du mal à l’admettre ! La réputation thérapeutique des myrobolans se débondera rapidement par la suite, dès la fin du XVIIIe siècle, en la personne de Desbois de Rochefort par exemple, pour qui la vertu purgative n’est plus qu’un lointain souvenir : « Comme ils ne purgent pas du tout, on les a en général abandonnés. »6 Même constat alarmant du côté de Simon Morelot : à partir de 1800 à peu près, le myrobolan n’est plus référencé dans les ouvrages de matière médicale, d’autant que le séné, à lui tout seul, eut raison d’eux tous, les chébules et les autres. En 1910, dans la quinzième édition de L’Officine de François Dorvault (à cette époque, ce monumental ouvrage était à mi-chemin de sa longue carrière, la première édition remontant à 1844, la dernière à 1995), le pharmacien parisien n’accordait pas plus de vingt lignes au myrobolan, toujours et encore inusité (hormis dans le domaine annexe de la teinturerie compte tenu de la forte proportion de tanin qu’il contient).

Aujourd’hui, alors que de l’eau a coulé sous les ponts, l’on recroise la route du myrobolan, qui nous en dit plus long à son propos, en nous adressant à la source même, davantage qu’à tous ces médecins d’Europe occidentale des siècles passés qui ne comprirent visiblement pas ce qu’était ce grand arbre ayurvédique. Après ça, aller se moquer et ironiser est un peu facile !

Assez grand arbre de 40 à 90 pieds de haut (10 à 30 m), le myrobolanier peuple les forêts composées surtout de feuillus sur sols ombragés et sableux, exposés à une faible pluviosité, telles qu’on en trouve dans un certain nombre de pays d’Asie du Sud et du Sud-Est (sous-continent indien, Myanmar, Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Taïwan, Chine). Son tronc droit est revêtu d’une épaisse écorce craquelée de couleur brun grisâtre qui s’écaille parfois par plaques. Il est surmonté d’une large couronne circulaire composée de branches latérales nombreuses, tourmentées, irrégulièrement disposées. Ses feuilles, assez grandes (elles mesurent 12 à 15 cm de long sur 5 à 6 cm de large), sont oblongues, charnues et coriaces, attachées aux rameaux par des pétioles d’assez médiocre longueur. Vertes et brillantes lorsqu’elles accèdent à l’âge mûr, elles sont, en revanche, recouvertes de poils doux brun rougeâtre quand elles sont jeunes (ce qui est aussi le cas des rameaux juvéniles et des bourgeons). Ses petites fleurs vert jaunâtre à dix étamines, groupées en denses épillets, propagent une forte odeur peu agréable. Le fruit – le myrobolan, donc – est une drupe lisse et mate, tout d’abord verte puis pourpre, piquetée de petits points en surface, attachée en petits groupes à un pédoncule pendant. Le fruit est cueilli avant la formation du noyau, si bien qu’il paraît n’en posséder aucun.

Habitué aux altitudes élevées (1 500 à 2 000 m), le myrobolanier résiste tant au froid qu’à la sécheresse. Il est également tolérant au feu et capable de se rétablir après un incendie.

Le myrobolanier en phytothérapie

Peu usitées, les semences accompagnent parfois l’écorce au sein de la matière médicale. Mais ce n’est pas là ce qui intéressent divers systèmes médicaux asiatiques depuis des millénaires, bien plutôt le fruit du myrobolanier, c’est-à-dire le myrobolan. Si on l’utilise à l’état parfaitement mûr, c’est au fruit immature que va la préférence de la plupart des praticiens (Ayurvéda, unani et siddha). Cette « olive du Tibet » ou Xiqingguo, comme l’on dit en Chine, est sans odeur marquée, mais en revanche très astringente et amère. Le fruit qui coule spontanément au fond de l’eau est considéré comme le meilleur d’un point de vue thérapeutique.

Premier constat : l’astringence emporte tout sur son passage. Dire que le myrobolan est très astringent n’a pas besoin d’hyperbole. Et pour cause : de 18 à 52 % de la masse d’un myrobolan est constitué de tanins, dont on connaît les vertus desséchantes et constrictives. On y trouve essentiellement des tanins hydrolysables de type pyrogallol tels que : acide gallique, acide chébulique, acide chébulégique, acide chébulinique (se dédouble par hydrolyse à l’eau chaude en acide tannique et acide gallique (= acide gallo-tannique) dont les métabolites sont nombreux), acide néochébulinique, acide ellagique, α-punicalagine et β-punicalagine, chébulanine, corilagine, casuarinine, terchébuline, acide chébulagique, acide chébulaginique, terflavine A, etc. Les accompagnent, de belles proportions de polyphénols : flavonoïdes (kaempférol, quercétine, catéchine, lutéoline, glycosides de flavonols) et acides phénoliques (acide chlorogénique, acide shikimique, acide quinique, acide protocatéchique, gallate de méthyle). Notons la présence d’acides hydroxycinnamiques (acide coumarique) et de chébuline (coumarine conjuguée à de l’acide gallique). Les protéines sont représentées essentiellement par des acides aminés, les glucides par des saccharides (glucose et fructose) et les lipides par divers acides comme l’acide palmitique et des phytostérols (daucostérol, β-sitostérol).

Fort d’une considérable quantité de vitamine C, le myrobolan recèle aussi un peu de vitamines E et K, ainsi qu’un chouïa d’essence aromatique, noyée dans cette considérable masse de tanins.

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène, anti-oxydant7, antiradicalaire (DPPH, H2O2)8, anti-inflammatoire puissant (IL-1, IL-1β, IL-6, IL-8, TNF-α), analgésique, inhibe la peroxydation lipidique, inhibiteur de la 2-cyclo-oxygénase et de la 5-lipo-oxygénase (deux enzymes impliquée dans l’inflammation), chélateur des métaux, améliore l’apprentissage et la mémoire, augmente l’endurance physique (en stimulant les niveaux de glycogène musculaire et en réduisant la sécrétion d’acide lactique et d’ammoniac), neuroprotecteur, antistress, anti-épileptique, anticonvulsivant, antispasmodique
  • Immunostimulant, immunomodulateur, anti-infectieux : antibactérien (contre les bactéries uropathogènes multirésistantes, accroît l’activité antibiotique face aux souches multirésistantes), antifongique, antiviral (HSV-1, HSV-2, CMV), anthelminthique
  • Anticancéreux, inducteur de l’apoptose, anti-néoplasique, antiprolifératif, chimio-préventif, chimioprotecteur, radioprotecteur, antitumoral
  • Apéritif, digestif, réducteur de l’acidité gastrique, laxatif doux, antidiarrhéique, anti-dysentérique, augmente la vitesse de la vidange gastrique, réduit la durée du transit intestinal, améliore la motilité intestinale, action favorable sur le microbiote9, détoxifiant intestinal, protecteur gastro-intestinal, cicatrisant intestinal (par réduction du stress oxydatif, de la réponse inflammatoire et de la mort cellulaire), stomachique, carminatif
  • Tonique hépatique, hépatoprotecteur, détoxifiant hépatique
  • Antidiabétique, hypoglycémiant, antihyperglycémique, améliore le contrôle glycémique
  • Accélère l’angiogenèse dans les plaies du diabétique, hypolipidémique (triglycérides), cardioprotecteur, prévient l’athérogenèse
  • Cicatrisant (concentre de façon plus importante le collagène sur le site de la plaie), protecteur cutané, régulateur des excrétions de sébum10
  • Inhibiteur de l’acétylcholinestérase et de la butyrycholinestérase
  • Antipyrétique léger
  • Néphroprotecteur
  • Anticariogène
  • Rétinoprotecteur
  • Expectorant
  • Soutien de la libido et de la fertilité

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : affections neurodégénératives (maladie d’Alzheimer), troubles de la mémoire, stress, anxiété, dépression, épilepsie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : ulcère gastrique (causé par l’alcool, l’aspirine, la ligature pylorique), gastrite, diarrhée, dysenterie, constipation, syndrome du côlon irritable, ballonnement, gaz intestinaux, vers intestinaux, infection à Helicobacter pylori par adhésion à la muqueuse intestinale11, lésion intestinale, anorexie
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, mucus pulmonaire excessif, dyspnée, infection virale (grippe A, covid-19, rhume)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection des voies urinaires, rétention d’urine, dysurie
  • Affections cancéreuses : cancer de l’estomac, adénocarcinome du côlon, carcinome pulmonaire, adénocarcinome de la glande mammaire, cancer de la prostate, ostéosarcome, mélanome malin, leucémie myéloïde chronique, glioblastome
  • Affections cutanées : érythème, rougeur, acné, plaie, rides et autres dommages cutanés causés par les UVB (photo-lésions cutanées) et la pollution environnementale, vieillissement cutané cellulaire, soins cosmétique de la peau, des ongles et des cheveux
  • Troubles locomoteurs : arthrose, défaut de mobilité articulaire
  • Affections bucco-dentaires : carie dentaire, inflammation (gingivite, parodontite)
  • Maladies métaboliques : obésité (perte de poids), diabète du type II (et ses complications : plaies et ulcères12, anomalies cérébrales13), hyperlipidémie (excès de triglycérides)
  • Anémie
  • Fièvre intermittente, soif excessive

Modes d’emploi

  • La poudre (churna) de myrobolan se prend de préférence le soir : comptez 2 g mêlés à du miel, du ghee ou de l’eau chaude. S’il s’agit de la poudre de triphala, on peut s’autoriser trois prises quotidiennes d’un gramme chacune, en les mélangeant aux mêmes substrats. Ces deux poudres sont également disponibles en capsules, parfois sous forme d’extrait standardisé à 20 % de tanins.
  • Pâte de myrobolan (legiyam) : il s’agit de mélanger de la poudre de myrobolan à du ghee et à de l’eau de rose afin d’obtenir une pâte applicable localement sur la peau et les cheveux.
  • Huile de myrobolan (thylam) : pour l’obtenir, il suffit de faire macérer une certaine quantité de poudre de myrobolan dans une huile végétale, le plus souvent de sésame.
  • Onguent : dans quatre portions de saindoux, ajoutez soigneusement une portion de poudre de myrobolan. A malaxer jusqu’à homogénéité.
  • Extrait hydro-alcoolique : peu courant par chez nous, il s’utilise de la même manière que nos communs EPF, soit par prise de 20 à 30 gouttes, trois fois dans la journée.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La récolte, acrobatique, du myrobolan se déroule dans l’arbre, puisque les fruits sont cueillis avant maturité et chute au sol. Il faut donc grimper dans l’arbre afin d’attraper à la main ces fruits sinon inaccessibles. Puis, bien que verts, les mettre à sécher au soleil.
  • N’ayant pas été affublé d’étiquettes contrevenant à son bon emploi (le myrobolan n’est pas cytotoxique, ni génotoxique et mutagène), il y a tout de même un certain nombre de cas dans lesquels en éviter la consommation : grossesse, fatigue appuyée, don du sang récent, déshydratation, médicaments anti-glycémiques (inhibiteurs de l’α-glucosidase) et antidiabétiques (insuline).
  • Si l’on récolte le fruit à maturité, il reste encore trop amer et acide pour en faire un banal et inoffensif fruit de bouche. Ainsi, en Asie du Sud et du Sud-Est, il endure diverses « améliorations » afin d’en rendre la consommation plus tolérable : on lui fait subir une fermentation, par exemple, aussi bien dans le vinaigre que dans la saumure. On le confit au sucre ou on le cuit comme n’importe quel légume.
  • Le bois de myrobolan est utilisé en menuiserie pour fabriquer meubles et embarcations. Des feuilles et des fruits, l’on retire un mordant utile à la teinturerie, alors que ces mêmes fruits, apprêtés spécifiquement, ainsi que l’écorce de l’arbre, produisent une couleur noire permettant de teindre le cuir et le tissu (c’est d’une sorte de myrobolanier que l’on produisit originellement l’encre de Chine).

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  1. Source.
  2. David Winston, Adaptogens. Herbs for strenght, stamina and stress reliefs, p. 380-381.
  3. Source.
  4. Wiktionnaire.
  5. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 597.
  6. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 381.
  7. « L’extrait d’éthanol du fruit de Terminalia chebula a montré une activité inhibitrice importante sur le stress oxydatif et le raccourcissement dépendant de l’âge de la longueur de l’ADN télomérique » (Source).
  8. « L’accumulation d’espèces réactives de l’oxygène entraîne des dommages oxydatifs à l’ADN, l’oxydation des protéines, la peroxydation des lipides et l’inactivation des enzymes antioxydantes dans la cellule, ce qui entraîne de nombreuses maladies chroniques comme le cancer, l’inflammation, le diabète sucré, les maladies cardiovasculaires, et l’athérosclérose » (Source). Quand on parle de radicaux libres, il ne s’agit pas que de l’accumulation de rides en surface !
  9. « Les polyphénols contenus dans triphala modulent le microbiote intestinal humain et favorisent ainsi la croissance de bifidobactéries bénéfiques et de lactobacilles tout en inhibant la croissance de microbes intestinaux indésirables » (Source).
  10. «  Une étude clinique a révélé des améliorations statistiquement significatives des scores des dermatologues et des auto-évaluations des sujets pour la texture de la peau, l’hydratation, le tonus, la fermeté et l’éclat par rapport à son placebo » (Source).
  11. « Le traitement avec Terminalia chebula peut soit éradiquer Helicobacter pylori, soit augmenter le statut sécrétoire de la glande de Brunner, soit inhiber son attachement en augmentant l’hydrophobicité de surface ou en régulant la sécrétion de mucine, et inhiber la pompe à protons ou l’activité inhibitrice solide contre la sécrétion d’IL-8, suggérant une protection gastro-intestinale contre H. pylori » (Source).
  12. « Les ulcères diabétiques sont couramment observés dans les membres inférieurs, en particulier les pieds. L’hyperglycémie à long terme chez les patients diabétiques peut causer des dommages micro-vasculaires périphériques, ce qui affecte la reconstruction du flux sanguin local lorsque la peau est rompue. Il en résulte un retard ou même une absence de cicatrisation des plaies cutanées » (Source).
  13. Le myrobolan permet de protéger le cerveau et les neurones chez le diabétique, ce qui est encourageant, puisqu’au cours de cette affection, l’on observe une dégénérescence sévère des neurones dans le striatum, le cortex cérébral et l’hippocampe.

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La réglisse (Glycyrrhiza glabra)

Bien avant de devenir bonbon, la réglisse fut médicament. Côtoyant autant l’échoppe de l’épicier que l’officine du pharmacien, ce dernier ne fit plus appel à elle qu’en raison de son pouvoir édulcorant, ce qui n’était pas exactement faire honneur à cette plante, qu’en d’autres lieux et depuis des millénaires, l’on révère pour d’évidentes propriétés médicinales que l’on n’a pas abandonnées en chemin. Comme le bonbon n’exclut pas le médicament, l’on peut tout à fait suçoter un carensac tout en potassant des articles récents sur la recherche moderne. C’est ce que je me suis amusé à faire pour rédiger ce tout nouvel article !

Bon week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : bois doux, bois sucré, racine sucrée, racine douce, racine bonne, herbe aux tanneurs, licorice, régalisse, réglisse glabre, réglisse vulgaire, réglisse des boutiques, glycaraton.

Synonymes latins : Glycyrrhiza brachycarpa, Glycyrrhiza glandulifera.

Ce qui, je crois, m’a toujours le plus marqué au sujet de l’histoire médicale de la réglisse, c’est la volonté de n’avoir constamment fait de cette plante médicinale qu’un simple édulcorant. J’ai sous les yeux la quinzième édition de L’Officine de François Dorvault (1910), un énorme pavé de pas loin de 2000 pages. Il est ahurissant d’y constater à quel point le mot réglisse y revient souvent (presque 200 occurrences). Elle entre dans une foule de recettes pour lesquelles elle est pourtant loin d’être un composant majoritaire. Peut-on en conclure, comme le fait Reclu dans son Manuel de l’herboriste (1889) que cette plante « sert surtout à édulcorer les tisanes » ?1 Qu’on demande de masquer le goût désagréable de substances pharmaceutiques peu amènes telles que l’ipéca et la quinine, l’on est certain d’y mêler de la réglisse. Même constat en ce qui concerne l’huile de foie de morue : afin de soustraire la délicatesse des palais juvéniles à la répugnance de cette huile, Cazin proposait la prise concomitante d’extrait de réglisse afin de mieux faire passer la pilule ^.^ S’il s’agit d’une aide à l’administration, alors !… Mais n’a-t-on point l’impression d’avoir affaire à un colifichet ? Le remède ne soigne-t-il point indépendamment ou non de la présence de réglisse ? Peut-on en déduire que la réglisse est dénuée d’effets thérapeutiques qui, si elle les possédait, la feraient préférer pour elle-même ? Quand on prend connaissance d’extraits de textes choisis ici et là au fil de la littérature médicale des siècles passés, on lui voit néanmoins jouer le rôle de gardienne et de nautonière, de celle qui guide et corrige une trajectoire. Ainsi, dans le Grand Albert, il existe une recette d’une tisane purgative contenant séné et réglisse, où cette dernière vient modifier le caractère énergique du séné sur les voies digestives. Ce sont là choses reprises exactement par Jean-Baptiste Chomel au milieu du XVIIIe siècle : « L’usage de cette racine est si commun, qu’on ne fait point de tisane où la réglisse n’entre, soit pour corriger, par sa douceur, la saveur désagréable des autres ingrédients, soit pour lui communiquer la vertu particulière qu’elle a d’adoucir l’âcreté des humeurs qui excitent la toux »2 et celle en provenance d’autres ingrédients drastiques et virulents que les Anciens appréciaient appliquer à l’économie. Ainsi donc, la réglisse retranche ou additionne, réduit l’agressivité au niveau de l’acceptable, caresse comme il se doit telle ou telle substance dans le sens du poil, afin d’en tempérer le caractère bouillonnant, ce qui est toujours mieux que de n’être qu’une bête plante sucrante, c’est-à-dire exactement là où la fit choir Loiseleur-Deslonchamps : « Elle est d’un usage presque général dans la plupart des tisanes, non pas précisément à cause de ses propriétés, mais parce que sa saveur sucrée la rend propre à édulcorer toutes les infusions et décoctions dans lesquelles on ne veut pas se servir de miel ou de sucre. »3 Ah là là, mais c’est une manie, décidément !… A quand une réglisse libre et indépendante, non inféodée à cette vieille prescription qui donne l’impression que celle plante ne participe pas vraiment au relèvement des forces du malade, qu’elle est davantage friandise que remède ? Leclerc, il y a un siècle, allait changer le fusil d’épaule. Tout d’abord en classant la réglisse dans le chapitre des béchiques de son Précis de phytothérapie (ce qui fut remarqué auparavant par Cazin, Roques, Desbois de Rochefort et d’autres encore. Ne dramatisons pas). Et surtout en affirmant que « de récents travaux ont, d’ailleurs, prouvé qu’elle est susceptible de jouer un rôle moins effacé »4 que de seulement servir de sucrette facilitatrice aux prises médicamenteuses redoutables (au su et au vu des études pléthoriques portant sur la réglisse qui s’accumulent depuis ces deux dernières décennies, je ne crois pas que ce soit juste pour y répéter la même vieille antienne qu’on a maintenant un peu de peine et de gêne à lire dans de vieux traités apparemment satisfaits d’eux-mêmes). En effet : comment se contenter d’une seule considération d’ordre gustatif (question en négatif : comment a-t-on pu négliger à ce point une plante majeure qui peut s’inscrire sans difficulté dans le dossier des plantes adaptogènes ? Mais peut-on seulement atteindre une cible que l’on ne vise pas ?) Encore que la satisfaction gustative du malade ne soit pas à mettre sur la deuxième marche du podium. Apprécier que le remède ait bon goût, n’est-ce point l’assurance de guérir plus vite, mais aussi le risque de s’y habituer et de lambiner sur le chemin de la guérison ? On n’en sort donc jamais ! Avoir méjugé des vertus personnelles et inaliénables de la réglisse a-t-il retardé certaines découvertes à son propos comme celle qui eut lieu, de façon tout à fait inopinée il est vrai, en 1946 ? A cette occasion furent révélés les pouvoirs de la réglisse sur les ulcérations de la muqueuse gastrique : elle en soulage les douleurs, aide au processus curatif, réduit le nombre de rechutes, empêche souvent la nécessité du recours à la chirurgie, accomplissant son travail de guérison complète en l’espace de six à huit semaines. Il s’avère, de plus, que la réglisse est plus efficace dans ce rôle que la spécialité allopathique la plus prescrite dans le monde pour ce type de problématique de santé, c’est-à-dire la cimétidine. Le plus étonnant, c’est que la réglisse prend aussi en charge des ulcères gastriques causés par des substances que l’on connaît bien telles que l’aspirine et les AINS (responsables de 20 % des cas d’ulcères gastriques) qui ont la fâcheuse tendance de réduire les sécrétions de prostaglandines protectrices au niveau de l’estomac. Alors, ne fait-elle point merveille ? Quand on pense en dehors de la boîte, tout peut arriver. Parlant de boîte… Devant l’émergence de plus en plus marquée du cancer dans le monde, d’anciens systèmes médicaux ont confronté ce qu’ils possèdent dans leur armoire à pharmacie à cette problématique. C’est le cas de l’Ayurvéda qui met au profit de la médecine moderne un certain nombre de plantes médicinales, dont la réglisse, alias yashtimadhu, en particulier ses vertus apoptotique, antiproliférative, antimétastasique, anti-invasive et anti-oxydante. Reconsidérer une plante à l’aune des objectifs modernes est une nécessité. Il ne faut surtout pas se laisser bercer (berner ?) par l’idée illusoire que tout a déjà été dit à son propos (comment cela se pourrait-il ?). Ainsi, en Inde, l’on a fait remonter à la surface le statut de medhya rasayana de la réglisse, c’est-à-dire son aptitude à rajeunir l’esprit et à le maintenir alerte. Autrement dit, cela signifie que la réglisse promeut la santé mentale et la mémoire, réduit le stress parce qu’elle est anti-oxydante et, donc, à terme, améliore sensiblement la durée et à la qualité de l’existence. En Inde toujours, la prise quotidienne de medhya rasayana (réglisse, gotu kola, guduchi, sankhpushpi, etc.), couplée à la pratique quotidienne du yoga, a pour conséquence d’enrayer le déficit psychique et de prévenir le vieillissement cérébral prématuré. Face au covid-19, la Chine a fait de même : la médecine traditionnelle chinoise est retournée voir dans les armoires à tiroirs si l’un d’entre eux ne contenait pas un remède pouvant contrevenir à la propagation de cette infection virale hautement contagieuse. Le hic, c’est que, afin de répondre à la demande massive, la cueillette anarchique de réglisse s’est emballée en Chine. Aujourd’hui, alors qu’aucune filière de culture solide et pérenne n’est envisagée, la réglisse est en danger de surexploitation et placée et péril depuis 2020 par Traffic.org. De plus, « l’augmentation de la demande mondiale en contexte de pandémie, et l’appauvrissement de la population précarisée par la crise économique qui en découle se combinent pour compromettre, à court ou moyen terme, la survie de nombreuses plantes dont la réglisse. »5 Ce qui est bien regrettable. Tout ne tourne pas rond au pays de Confucius (je vous rassure : il n’y a pas que là-bas. Suffit de se regarder dans un miroir…). Il est vrai que la Chine, au travers du spectre de la médecine traditionnelle chinoise, favorise une commercialisation agressive des plantes médicinales de sa pharmacopée, et cela au mépris des plantes elles-mêmes. Aussi, la médecine traditionnelle chinoise ne considère-t-elle sans doute plus la réglisse à la manière dont les anciens guides de cette médecine séculaire l’appréciaient.

On remarque souvent que le passage du sacré au profane s’accompagne d’une chute. On peut constater cela avec le docteur Israel Brekham. L’effondrement du bloc soviétique en 1991 forma comme un appel d’air pour bien des scientifiques de feue l’URSS. Comme beaucoup d’autres, Brekham se rendit aux États-Unis, où il conçut, peu avant sa mort survenue en 1994, une spécialité toujours vendue à l’heure actuelle, Prime 1. Cette formule, qui contient de l’éleuthérocoque, de la rhodiole, du schisandra, du leuzéa et, donc, de la réglisse, fut utiliser par plus de 150 athlètes étasuniens en prévision des jeux olympiques d’Atlanta de 1996. Du point de vue de l’Ayurvéda, la médecine, qu’elle soit ex soviétique ou étasunienne, demeure toujours une médecine occidentale. Il est pour cela déplorable que la création de Brekham ait été abaissée au niveau de l’appétit de victoire (et de revanche sans doute aussi : quel meilleur triomphe qu’un ex soviétique qui fournisse les athlètes US ?) d’un pays qui ne partage pas la sagesse d’un homme qui souhaitait que chacun puisse trouver le bonheur, la joie et la paix à travers les adaptogènes.

On ne peut invoquer les grains noirs sans faire appel aux perles blanches (dont un certain nombre s’est déjà glissé çà et là dans mon propos…). Revenons à la Chine. Les plus anciens bencao, dont le Shennong Bencao Jing, mentionnent la réglisse ou gan cao. Grillée et préparée au miel, elle est considérée comme une stimulante digestive et une antalgique des voies digestives. La médecine traditionnelle chinoise nous explique qu’en plus d’être harmonisante de l’énergie des méridiens du Poumon et de l’Estomac, elle tonifie le Qi au sein du méridien de la Rate/Pancréas. Tout cela nous plonge dans une ancestralité fort reculée, mais les premières traces qui nous sont parvenues de l’utilisation de la réglisse proviennent des tombeaux des pharaons (dans celui du célèbre Touthakamon, on a découvert bien des trésors, dont de la réglisse). Et l’on sait aussi que les anciens Égyptiens l’utilisaient pour endiguer les catarrhes des voies respiratoires. Au IVe siècle av. J.-C., le Grec Théophraste la mentionne et nous dit que les Scythes en faisaient usage six siècles plus tôt dans le désert, mêlée à du fromage de lait de jument afin d’apaiser leur soif, s’assurant ainsi de pouvoir demeurer dix jours sans manger ni boire, un exploit dont vraisemblablement Alexandre le Grand s’inspira, puisque les soldats de son armée usèrent du même stratagème pour tromper leur soif. Théophraste la recommandait afin de résoudre divers problèmes respiratoires dont la toux et l’étanchement de la soif, pour soigner des blessures en association avec du miel, prescriptions qui s’avèrent toutes exactes comme l’on s’en rendra compte dans la rubrique « usages thérapeutiques ». La réglisse n’échappe bien sûr pas à Dioscoride : « Du regallisse que les Grecs appellent Glycyrrhiza6, les Latins Dulcis radix, les Italiens Regolitia. […] Ce suc [NdA : celui de la réglisse] est efficace sur les âpretés de la trachée-artère, mais il est nécessaire de le faire tenir sous la langue pour l’y faire fondre. Il est bon aux inflammations de l’estomac, à la poitrine et au foie […] Défait en liqueur, il étanche la soif. Appliqué il guérit les plaies, mangé il aide à l’estomac. La décoction de la racine fraîche a puissance sur toutes ces choses. »7 Au même siècle, Pline l’Ancien préconisait lui aussi le glycyrrhizion en cas de problème de toux.

A cette époque, la réglisse est cultivée en Espagne, en Italie ainsi qu’au sud de la France, mais, contrairement à d’autres plantes que les Romains n’hésitèrent pas à emmener avec eux lors de la conquête de la Gaule, et même après, il semblerait que la réglisse n’ait pas fait partie du voyage. Par exemple, elle est absente du Capitulaire de Villis au VIIIe siècle. En revanche, l’on sait bien qu’elle est toujours cultivée en Sicile et en Calabre au XIIIe siècle ainsi que dans d’autres régions du sud de l’Europe au XIIe siècle. Au XVe siècle, cette culture gagne l’Allemagne. Or comment expliquer que la réglisse soit présente dans le Physica de Hildegarde de Bingen en plus de vingt endroits, Physica écrit, je le rappelle, au XIIe siècle ? Hildegarde faisait-elle importer son Liquiricium ? Faisons le tour de l’une des œuvres majeures de l’abbesse où la réglisse est présente au sein de nombreuses recettes : on croise une boisson cordiale, des recettes composées à buts variés (purgative, antitussive et stomacale). Une autre « qui redonne la santé aux intestins fragiles. »8 On en compte encore à visée hépatique et pectorale, etc. Quand Hildegarde se concentre plus spécifiquement sur les vertus de la réglisse, on constate qu’elle l’avait bien cernée : « La réglisse est de chaleur modérée ; elle éclaircit la voix, de quelque manière qu’on la prenne, elle donne un esprit suave, clarifie les yeux, facilite la digestion en adoucissant l’estomac. Elle est surtout utile au frénétique, car s’il en mange souvent, elle éteint la fureur qui est dans son cerveau […] Elle […] assainit la poitrine, donne de la lucidité, écrase et fait disparaître l’humeur noire, car elle n’affaiblit pas les muscles et ne fait pas disparaître l’intelligence de l’esprit. »9 Ce en quoi l’école de Salerne ne lui donnera pas tort, concevant en quelques vers la réputation de la réglisse : « Abreuve tes poumons de poudre de réglisse ; dans leur cavité molle, elle pénètre et glisse. Elle étanche la soif et son suc rafraîchissant chasse de l’estomac toute matière impure.» Quelque part ailleurs dans le Physica, Hildegarde mentionne une recette à base de violettes, de galanga et de réglisse contre la mélancolie. Considérant la réglisse comme un grand remède pulmonaire, Hildegarde, tout comme la médecine traditionnelle chinoise, a remarqué qu’affections pulmonaires et tristesse vont de paire, l’une des principales faiblesses du méridien du Poumon résidant justement dans la mélancolie.

La réglisse fait partie de l’ancienne famille botanique des Papilionacées, ainsi appelée en raison du fait que les espèces qui se groupent sous cette bannière possèdent des fleurs dont la forme évoque un papillon. Aujourd’hui, les choses ont changé, on parle de Fabacées, de faba, la fève. Ainsi des espèces, annuelle comme la fève ou vivace comme le tamarinier, font partie des Fabacées dont la caractéristique commune est de former des gousses contenant plusieurs graines. De l’humble trèfle jusqu’au gigantesque robinier, la réglisse se situe dans l’intervalle, sous-arbrisseau qu’elle est. En effet, cette vivace robuste peut, dans le meilleur des cas, atteindre une hauteur de deux mètres. Ses tiges dressées, creuses et très rameuses s’érigent à partir d’un rhizome souterrain brun-rougeâtre à l’extérieur, jaune à l’intérieur. Toutes ces tiges portent profusion de feuilles glabres, mais visqueuses et glanduleuses, composées de 9 à 17 folioles (feuilles imparipennées), et dont l’allure renforce la ressemblance avec le robinier. A l’aisselle des feuilles, surviennent en juillet et août, des épillets de fleurs formant des grappes pyramidales dont la couleur varie du blanc au bleu-violet (on lui voit également porter du lilas, du violet pâle, du pourpre, du bleu blanchâtre et une espèce de couleur bleuâtre mêlée à du blanc jaunâtre). Elles forment ensuite des fruits en forme de gousses ovales de quelques centimètres de longueur, contenant guère plus que trois à quatre graines brunes presque réniformes.

La profusion de la réglisse ne s’arrête pas qu’à sa seule partie visible car sa souche épaisse donne naissance à des racines, structure souterraine traçante, ligneuse et rampante, qui seront d’autant plus longues que les terres qu’elles traversent sont meubles, légères et profondes, ni trop humides, ni trop sèches. Bien sûr, toutes ces racines qui irradient à partir du pied, donnent ensuite naissance à de nombreux rejets qui formeront de nouvelles plantes, et ainsi de suite.

Le fief probable de la réglisse se situe à l’Europe austro-occidentale, autrement dit les Balkans.

Subspontanée dans le Midi de la France et la Bourgogne (ce qui fait suite à d’anciennes cultures aujourd’hui abandonnées), la réglisse se rencontre plus au nord en raison de sa rusticité grâce à laquelle elle ne craint pas d’affronter le froid. Elle peuple alors les fossés, les bordures de chemins et tous les autres lieux herbeux plutôt fertiles. Là aussi, elle a été cultivée anciennement dans le Poitou et le centre de la France. Jusque dans les années 1940, elle prospérait du côté de Bayonne, de Paris, ainsi qu’en Touraine (Indre-et-Loire). En 1947, Fournier regrettait que la production française soit insuffisante pour qu’il faille importer de la réglisse d’Espagne, d’Italie (de Calabre précisément : à Rossano, on peut visiter le musée de la réglisse), voire de Russie, ce qui montre l’importance qu’on accordait à ce simple hors du commun. Au XXIe siècle, rien n’a vraiment évolué, puisque la réflexion autour d’une filière française de la culture biologique de la réglisse n’a débuté qu’en 2019. Il n’y a pas de mal à bien faire, bien qu’on ait toujours cette sensation qu’il faille que le pire survienne pour se mettre à s’affranchir des monopoles étrangers. Faut-il attendre d’avoir soif pour creuser un puits ?

La réglisse en phytothérapie

L’importance de la seule racine de réglisse en phytothérapie est telle qu’on peut avoir quelque difficulté à imaginer la plante qui la produit. On est généralement étonné de savoir que cette plante partage un certain nombre de points communs avec le haricot et le robinier pseudo-acacia par exemple. Elle réussit aussi à occulter toutes les autres fractions végétales de la plante, chose d’autant plus aisée que l’on n’en fait aucun usage (autrefois, l’on ne se posait pas cette question, tandis qu’aujourd’hui, l’on sait au moins que les feuilles de réglisse abritent des tanins, des flavonoïdes, des saponines et des glycosides. Mais en fait-on des infusions ? Mystère !).

Que contient donc cette fameuse racine à l’odeur quasiment nulle, à la saveur terreuse, douce et quelque peu âcre ? Tout d’abord, une importante fraction de glucides (amidon, polysaccharides), un peu moins de lipides (huile résineuse, phytostérols) et de protéines (acides aminés dont de l’asparagine). Mais la réglisse est principalement connue pour sa glycyrrhizine ou acide glycyrrhizinique (5 à 6 %), saponine triterpénique sous forme de poudre jaune amorphe à la saveur douce et amère, et ses divers métabolites (acides 18α-glycyrrhiténique et 18β-glycyrrhiténique). Parvenus jusque-là, nous n’en avons pas pour autant terminé avec la composition de la racine de réglisse. On y trouve plusieurs isoflavones dont la liquiritine antispasmodique, l’isoliquiritine anti-oxydante et la formononétine à action phyto-œstrogénique, mais bien d’autres encore telles que la génistéine, la licoricidine, la glabridine et les hispaglabridines A et B. Au registre des polyphénols, notons l’existence de chalconoïdes (licochalcone, isoliquiritigénine), de flavonoïdes (glycosides de quercitrine, de lutéoline et d’apigénine, acacétine, hespérétine) et de flavonols (catéchine), d’acide rosmarinique, de tanins… Nous lui voyons encore divers acides organiques (malique), hydroxycinnamiques (chicorique, p-coumarique), terpènes pentacycliques (acide asiatique), enfin un stéroïde proche de la cortisone et de l’ACTH (hormone adrénocorticotrope).

Terminons-en là avec quelques traces d’essence aromatique, des caroténoïdes (β-carotène) et divers oligo-éléments (calcium, magnésium…).

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-inflammatoire puissante (à équivalence avec l’hydrocortisone et d’autres hormones corticostéroïdes) par inhibition des cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-1β, IL-6, TNF-α), anti-oxydante, antiradicalaire (radicaux cationiques à longue durée de vie, radicaux oxygénés à courte durée de vie)10
  • Neuroprotectrice (inhibition du stress mitochondrial et prévention de l’apoptose)11, inhibitrice des sécrétases, nootrope, antidépressive, anxiolytique, antistress, anti-amnésique, procure la clarté mentale
  • Stimulante œstrogénique et équilibrante des niveaux de progestérone et d’œstrogène, renforce les fonctions reproductives féminines, emménagogue, soulage les symptômes de la ménopause, inhibitrice de la prolactine
  • Module les niveaux d’adrénaline, de noradrénaline et de cortisol, mimétique hormonale (cortisol, aldostérone, catécholamine), permet de retrouver force et vitalité
  • Antispasmodique et antalgique du tube digestif, digestive, laxative douce, anti-ulcéreuse gastrique, sédative et cicatrisante de la muqueuse gastrique, gastroprotectrice, calmante du péristaltisme intestinal
  • Expectorante, pectorale, antispasmodique des bronches, antitussive, fluidifiante des sécrétions pharyngées, dépurative des bronches, apaisante des muqueuses respiratoires, anti-asthmatique, réduit la réponse immunitaire chez l’allergique
  • Hypertensive, équilibrante de la glycémie sanguine, normalise le taux d’insuline sanguin, stimule la circulation du sang en direction du système nerveux central
  • Tonique hépatique, hépatoprotectrice12, dépurative hépatique, cholagogue, antidiabétique, régule l’activité des stéroïdes hépatiques
  • Inhibitrice de la LO-5 et de la COX-213
  • Diurétique légère, dépurative, sudorifique
  • Stimulante des surrénales, immunostimulante, immunomodulatrice, immunopotentialisante, amphorétique, régule la réponse immunitaire (hyper/hypo-immunité) dans la plupart des maladies auto-immunes (lupus, sclérodermie, polyarthrite rhumatoïde)
  • Adoucissante, édulcorante (l’acide glycyrrhizinique possède un pouvoir sucrant cinquante fois supérieur à celui du glucose), rafraîchissante
  • Anti-infectieuse : fongistatique (Candida albicans), antibactérienne (Streptococcus mutans, S. sanguis, Porphyromonas gingivalis, Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa, Bacillus subtilis, Mycobacterium tuberculosis, Actinomyces viscosus, Enterococcus faecalis), antivirale (herpès, hépatite, EBV)
  • Anticancéreuse, inhibe la prolifération des métastases (en supprimant l’angiogenèse), ainsi que certaines tumeurs, augmente la sécrétion des cytokines antitumorales (IL-2, IL-6, IL-7) et réduit celle des cytokines pro-tumorales (TNF-α), chimio-préventive, seconde la chimiothérapie et la radiothérapie
  • Ostéoprotectrice, favorable à la santé osseuse
  • Alexipharmaque14

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux (sèche, grasse, nerveuse), maux de gorge, enrouement, angine, trachéite, laryngite, rhume, coup de froid, rhinite allergique, asthme, bronchite, catarrhe bronchique, coqueluche, respiration sifflante
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, constipation spasmodique, spasmes intestinaux douloureux, manque d’appétit, lourdeur intestinale, irritation gastrique, gastrite, ulcère gastrique (accompagné d’infection bactérienne à Helicobacter pylori adhérente à la muqueuse15), ulcère gastro-duodénal16, acidité gastrique, aérophagie, ballonnement, dyspepsie, entérite, colique, hémorragie gastro-intestinale et endommagement de la muqueuse gastro-intestinale provoqués par absorption d’aspirine et autres AINS, syndrome du côlon irritable, maladie de Crohn, colite ulcéreuse, iléite, syndrome de l’intestin perméable
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : hépatite, cirrhose du foie, diabète
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypotension, hypoglycémie, douleur hémorroïdaire, fissure anale
  • Affections buccales : aphte, stomatite, glossite
  • Affections oculaires : conjonctivite, blépharite, inflammation des paupières
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, arthrite, perte de densité minérale osseuse, ostéoporose, tendinopathie d’Achille, maladie de Parkinson
  • Maladie d’Addison (insuffisance surrénalienne chronique)
  • Affections cutanées : plaie, cor, eczéma, psoriasis (l’acide glycyrrhizique est plus efficace que l’hydrocortisone sur ces deux dernières affections), dermite de contact, dermatite allergique, mycose cutanée, alopécie
  • États grippaux et fébriles (le « sucre » de réglisse n’étant pas fermentescible, puisqu’il n’est pas un sucre à proprement parler, il est fort utile aux fébricitants), soif des hydropiques, récupération de l’organisme après infection virale
  • Affections cancéreuses : cancer gastro-intestinal, cancer hormonodépendant (cancer du sein), mucite buccale aiguë du patient cancéreux sous radiothérapie, insuffisance immunitaire du cancéreux17
  • Troubles du système nerveux : stress (extrême, chronique, au long cours), faiblesse surrénalienne, asthénie, fatigue extrême, épuisement, burn out, syndrome d’immunodéficience chronique, dépression, troubles de la mémoire18
  • Troubles de la sphère gynécologique : syndrome prémenstruel, ménopause, hyperprolactinémie

Modes d’emploi

  • Infusion à froid : comptez 5 g de racine de réglisse en infusion dans un décilitre d’eau pendant 20 mn. Elle s’utilise en compresse cutanée locale, mais surtout pour baigner les affections oculaires grâce à une œillère. L’infusion classique dans l’eau chaude qui se destinerait à un usage interne n’est pas conseillée en raison de son amertume et de son âcreté (à moins de minimiser les doses et la durée d’infusion ; à moins que vous n’aimiez cela, ce qui est également possible ^.^). Mieux vaut lui préférer le mode d’emploi suivant :
  • Macération à froid : dans un litre d’eau, déposez 15 à 30 g de racine de réglisse dépouillée de son écorce brune (réglisse ratissée) et martelée, et laissez en contact le temps nécessaire, c’est-à-dire cinq à six bonnes heures (jusqu’à vingt-quatre heures. François Dorvault, dans L’Officine, demande une macération de cinq heures à raison de 10 g de réglisse par litre d’eau). L’avantage de cette macération, c’est que l’eau froide n’emporte pas le principe oléorésineux âcre et amer révélé par l’eau chaude.
  • Décoction : comptez 40 g (et jusqu’à 60 g) de racine de réglisse en décoction dans un litre d’eau pendant un quart d’heure. A l’issue, couvrez et laisser infuser pendant encore 10 mn avant filtrage. Valnet propose 2 à 5 mn de décoction suivie d’une demie-journée de macération. Globalement, ce moyen d’opéré forme une boisson au goût amer et désagréable. Dans le cas d’un usage externe, prévoyez 20 g de racine de réglisse en décoction dans un décilitre d’eau jusqu’à réduction d’un quart. On peut utiliser cette lotion en bain de bouche, en application locale sur les petites plaies et les ecchymoses, etc.
  • Extrait de plante fraîche : peu fréquent, il est parfois proposé par certaines enseignes. A raison de 10 à 30 gouttes dans un verre d’eau, trois fois par jour, à absorber entre les repas.
  • Poudre de racine de réglisse : elle peut s’absorber soigneusement mêlée à du lait chaud ou du ghee. Dosage quotidien : 3 g.
  • Bâton à mâcher (qu’on trouvait autrefois au bureau de tabac). Mesure généralement une douzaine de centimètres. On a le temps de voir venir le bout ^.^
  • Gommes à mâcher dosées à 250-300 mg : trois à six par jour.
  • Capsules dosées à 400-500 mg : jusqu’à six prises par jour. C’est sous cette forme qu’on trouve le plus souvent la réglisse sans glycyrrhizine.
  • Sirop antitussif : 100 g de valériane, 100 g de réglisse, 50 g d’anis vert et 200 g de raisins secs. Procédez par décoction longue à feu doux. Sirop de réglisse : plongez 250 g de racine de réglisse bien broyée dans un litre d’eau et laissez macérer pendant une journée entière. Filtrez et ajoutez à l’eau aromatique ainsi obtenue 1 kg de sucre et faites cuire à petit feu jusqu’à réduction et consistance sirupeuse.
  • Tisane reconstituante : il s’agit de la tisane dite « toute bonne » qu’on servait autrefois dans les hôpitaux. Pour rappel : orge, chiendent et réglisse, un tiers de chaque. « La tisane d’orge ou de chiendent, avec un peu de réglisse pour la sucrer, est une des boissons les plus simples et les plus utiles, dans les phlegmasies internes, dans les affections aiguës de l’appareil urinaire. Elle rafraîchit les tissus organiques, calme la soif et la chaleur fébrile. Une demie-once de réglisse et autant d’orge ou de chiendent suffisent pour une pinte de tisane. […] La réglisse est le remède du pauvre, de l’ouvrier, de l’homme laborieux. L’orge, le chiendent, la réglisse, et un peu de repos, voilà ses meilleurs médicaments quand il est échauffé, fatigué, irrité », disait Roques à son propos19. Valnet renchérissait après lui : la toute-bonne est « une recette à conserver précieusement pour s’en servir à tout propos. Non remboursé par la Sécurité Sociale, mais que d’avantages ! »20

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il est nécessaire d’attendre au moins l’automne de la troisième année (ou le printemps de l’année suivante) pour procéder à l’arrachage des racines de réglisse qui représente un travail fastidieux au point que « comme chef-d’œuvre de maîtrise, nous explique Fournier, la corporation des jardiniers de Bamberg demandait au candidat de déterrer entièrement une racine de réglisse. »21 Cela devait sans doute faire la preuve de sa hardiesse et de son intelligence, entre autres. Puis les racines sont mondées, lavées, séchées au soleil ou bien au grenier, puis mises en bottes. Alors qu’on utilise plus volontiers la réglisse à l’état sec, autrefois, les herboristes la conservaient fraîchement arrachée dans du sable fin.
  • Parmi les effets indésirables imputables à la réglisse, le plus commenté est sans doute celui-ci : une trop grande consommation de réglisse peut entraîner une hypertension artérielle, ainsi que des troubles du rythme cardiaque (arythmie), une rétention du sodium et une chute du taux de potassium sanguin (hypokaliémie) à travers ce que l’on appelle pseudo-hyperaldostéronisme. Les hypertendus doivent donc se l’interdire, ainsi que les personnes sujettes aux pathologies rénales (insuffisance rénale sévère). D’autres effets indésirables peuvent survenir à long terme : œdème, rétention d’eau, maux de tête, vertige et étourdissement, désordres musculaires (hypertonie), etc. Même si l’on n’est pas hypertendu, il est conseillé de ne pas faire d’abus de cette plante, qui s’administrera toujours en petites quantités sur de courtes périodes (trois à six semaines). Une fois son travail achevé, on arrête les prises. On ne peut en faire un usage à long terme, même de confort, ou sous forme de confiseries et de bâtons à mâcher (un par jour au maximum). Parallèlement à une prise thérapeutique de réglisse, il faut veiller à compenser la perte en potassium par une alimentation enrichie en ce macro-élément. Dans plusieurs autres cas, il n’est pas recommandé de faire consommation de réglisse : grossesse, allaitement, anémie.
  • Par ailleurs, la réglisse accentue l’effet de certains médicaments comme les digitaliques (digitaline), certains diurétiques (thiazide), laxatifs, antihypertenseurs, corticoïdes, contraceptifs oraux, anticoagulants, antiplaquettaires, IPP (oméprazole) et toutes autres drogues contribuant à des pertes notoires en potassium. Mais tout cela demande néanmoins à être nuancé, comme nous l’apprenait une étude de 201122. Une trop grande consommation d’alcool n’est pas non plus compatible avec la prise régulière de réglisse.
  • On signale régulièrement que la racine de réglisse est souvent contaminée par une mycotoxine, l’ochratoxine A, qui pullule singulièrement sur les plantes céréalières et les légumineuses du type fabacées. Si les mycotoxines envahissent plutôt les semences de ces plantes, l’ochratoxine A semble également apprécier les parties souterraines de la réglisse. Bien que potentiellement cancérigène et néphrotoxique, l’ochratoxine A n’est pas la moindre des mycotoxines dont, bizarrement, l’on parle assez peu en France.
  • Il est tout à fait possible d’accompagner les effets pectoraux de la réglisse et de les augmenter grâce à d’autres plantes au profil similaire telles que la guimauve, la mauve, le bouillon-blanc ou encore la violette. Même chose si l’on recherche une stimulation des sécrétions biliaires : on assortira la réglisse d’armoise vulgaire, de fumeterre, de romarin ou encore de menthe poivrée.
  • Alimentation : la réglisse, par son suc, entre dans l’élaboration de l’arôme de certaines boissons dont, bien sûr, la fameuse Antésite à diluer dans de l’eau (initialement, spécialité d’apothicairerie concoctée à Voiron par Noël Perrot-Berton en 1898), des apéritifs anisés (pastis de Marseille), des bières brunes comme la Guinness, auxquelles la réglisse confère davantage de couleur et de douceur, etc. N’omettons pas de mentionner la boisson qui fit fureur à Paris dès la fin du XVIIe siècle et ce jusqu’à la Révolution, un breuvage nommé « coco » car elle était servie dans une demie-noix de coco. Vendue dans les cafés, dans les jardins publics et sur les boulevards, cette boisson consistait en de la poudre de racine de réglisse additionnée d’anis, de citron, de fenouil, de coriandre, de cannelle, etc. Un liard le verre ! Autant dire que c’était une boisson bon marché. Enfin, n’oublions pas le rôle majeur de la réglisse dans le domaine de la confiserie, que l’on trouvait sous la forme de pâtes de réglisse blanche, brune et noire, et que l’on se procurait tantôt chez le pharmacien, tantôt chez l’épicier, sans qu’on sache vraiment à quel univers précis ces créatures appartenaient. Il y a des créations qui empruntent à des domaines alternatifs : la confiserie festive et récréative du type Haribo dut dérouler des trésors d’ingéniosité pour faire avaler aux bambins une bimbeloterie (rouleaux, carensac, etc.) où l’extrait de réglisse – s’il existe encore – baigne dans le sucre !
  • C’est pour tout ou partie de ces raisons que la réglisse fut maintes fois falsifiée au cours des siècles, d’autant plus quand on la présentait sous forme de poudre ou de spécialités toutes faites dans lesquelles le quidam serait bien incapable de déceler la fraude, s’il y en avait une. Ainsi, au XIXe siècle, l’on préférait, pour la pratique médicale, le suc de réglisse émanant de la pharmacie plutôt que de l’épicerie.
  • Autres usages : du suc de réglisse l’on peut faire une teinture brune ; les fibres ont permis la fabrication de papier, de brosses et d’autres objets usuels ; l’arôme de la réglisse fut énormément utilisé dans l’industrie tabatière afin de sucrer le tabac à mâcher. La connexion entre la réglisse et le tabac n’est pas innocente et me rappelle une anecdote familiale : « Qui n’a mâché le ‘bois de réglisse’ jaune, fibreux et sucré dont les petits fagots, à l’étal poussiéreux de l’épicier, éveillaient notre humble convoitise d’enfants ? », questionne Pierre Lieutaghi23. Ce même bâton venait aussi parfois compenser une addiction plus morbide : la cigarette (par la forme commune des deux objets, le fait qu’on les mette à la bouche, etc.). Ce qui était d’autant plus ironique que le bâton de réglisse était parfois vendu chez le buraliste. Du moins, c’est chez lui que mon grand-père paternel se rendait autrefois pour s’acheter des gauloises caporal, à moins bon goût mais à coût autrement plus élevé, d’autant que ce boulanger à la retraite, souffrait déjà d’une insuffisance respiratoire à force d’avoir travaillé sa vie durant parmi les poussières de farine de blé. Le médecin lui fit donc abandonner, tant bien que mal, le goût qu’il entretenait pour le tabac, et se prit dès lors à suçoter et à rogner, journellement, ses bâtons de réglisse qui incarnent pour moi un marqueur temporel et émotionnel fort. Ils me rapprochent par l’affection et la pensée de mon grand-père quand il m’arrive de voir de ces bâtons dans certains magasins, qui ne comptent néanmoins plus ni l’épicier ni le bureau de tabac.
  • Autres espèces : la réglisse de l’Oural (Glycyrrhiza uralensis), la réglisse épineuse (G. echinata), la réglisse américaine (G. lepidota), la réglisse chinoise (G. inflata).

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  1. M. Reclu, Manuel de l’herboriste, p. 78.
  2. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 75-76.
  3. Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslonchamps, Manuel des plantes usuelles indigènes, Tome 1, p. 57.
  4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 244.
  5. Aline Mercan, Manuel de phytothérapie éco-responsable, p. 113.
  6. Glycyrrhiza ou parfois glukurrhiza se décompose selon deux mots grecs : glykys, « sucré » et rhidza, « racine ». Ce glykys n’a pas limité sa descendance à la seule racine sucrée puisqu’on le retrouve dans de nombreux mots de la langue française tels que, pour prendre les exemples les plus connus, glucose et glycémie.
  7. Dioscoride, Materia medica, III, 5.
  8. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 41.
  9. Ibidem, p. 32-41.
  10. « Ces échantillons d’extrait de Glycyrrhiza glabra ont le potentiel de devenir une alternative naturelle aux thérapies existantes pour l’élimination des infections bactériennes ou la prévention du vieillissement prématuré causé par les radicaux libres et le stress oxydatif dans le corps humain » (Source).
  11. « Le système ayurvédique indien classe yashtimadhu comme un Medhya Rasayana qui peut améliorer la fonction cérébrale et la mémoire, et possède des fonctions neuroprotectrices, qui peuvent être utilisées contre les maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson » (Source).
  12. « Elle augmente les niveaux de glutathion hépatique et aide à réparer les hépatocytes endommagés  » (David Winston, Adaptogens. Herbs for strenght, stamina and stress relief, p. 134).
  13. « Dans cette étude, nous démontrons pour la première fois que l’extrait de Glycyrrhiza glabra supprime efficacement la formation d’eicosanoïdes et de leucotriènes dans les systèmes sans cellules, ce qui implique que cet extrait agit directement comme un double inhibiteur des activités 5-LO et COX-2 » (Source).
  14. Contre les poisons et produits toxiques : « Il est également utilisé en Chine pour soulager les symptômes d’empoisonnement causés par les pesticides, les herbicides, l’arsenic, le plomb et les médicaments pharmaceutiques » (David Winston, Adaptogens. Herbs for strenght, stamina and stress relief, p. 288).
  15. En cas d’ulcère gastrique, il est judicieux d’éviter la réglisse sous forme capsulaire, puisqu’en ce cas précis, elle doit être avant tout placée au contact de la salive. Les prises auront lieu en dehors des repas, au moins à 20 mn avant chacun d’entre eux.
  16. « Les éléments actifs du suc de réglisse permettent la constitution rapide de cellules nouvelles, et la tension superficielle élevée du suc couvre d’un film protecteur la lésion de la muqueuse irritée. Celle-ci se cicatrise donc plus rapidement » (Petit Larousse des plantes médicinales, p. 297).
  17. « La réglisse est un amphotère immunitaire qui s’est avéré avoir des effets cytotoxiques sur les cellules tumorales et, en raison de sa teneur en isoflavones, peut ralentir la progression des cancers œstrogénosensibles et inhiber les métastases » (David Winston, Adaptogens. Herbs for strenght, stamina and stress relief, p. 123).
  18. « Les antioxydants protègent les cellules sensibles du cerveau du stress oxydatif, ce qui réduit les dommages au cerveau et améliore la fonction neuronale, améliorant ainsi la mémoire » (Source).
  19. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 149.
  20. Jean Valnet, La phytothérapie, p. 444.
  21. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 810.
  22. «  Les résultats démontrent que Glycyrrhiza glabra et son principal composé bio-actif, la glycyrrhizine, lorsqu’il était co-administré avec des médicaments conventionnels, ne montrait qu’un faible potentiel d’interaction avec les enzymes de métabolisation des médicaments » (Source).
  23. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 375.

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La mousse de chêne (Evernia prunastri)

Il y a une quinzaine d’années, la mousse de chêne n’avait rien à me dire. Aujourd’hui, elle a trouvé à qui parler ^.^ A l’origine, j’avais barbouillé un truc d’une page et demi à peine, bien insuffisant pour publier ça sur le blog. Il y eut tant d’autres articles à (re)travailler entretemps, que la mousse de chêne se retrouvait régulièrement mise à la trappe. Enfin, j’ai dépoussiéré ce fossile, l’extirpant d’un très ancien dossier où il n’était plus que seul à figurer. Je suis donc bien heureux de donner l’opportunité à la mousse de chêne de rejoindre le grand groupe des plantes – bien qu’elle n’en soit pas une elle-même – déjà publiées sur le blog. De l’ombre à la lumière, pourrait-on dire. D’ailleurs, un lichen est bien incapable de survivre à l’ombre seule, il a besoin de lumière, c’est un organisme éminemment solaire.

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : lichen de cerf.

Synonymes latins : Physcia prunastri.

L’étrange mot lichen – qu’on pourrait croire tout droit venu de la patrie du cétraire d’Islande – est tiré du latin, mais avant lui, du grec leikhêin qui signifie « lécher », verbe qui s’explique très certainement par le caractère rampant de la plupart des lichens, des organismes qui donnent l’impression d’effleurer le support sur lequel ils élisent domicile, encore que cela ne soit là qu’un critère parmi tant d’autres. En effet, comme l’on compte plus de 20 000 espèces connues de lichens colonisant tous les milieux ou presque de l’hémisphère nord (toundra, taïga, zones montagneuses et humides, etc.), il est possible de s’attendre à quelques fantaisies de la part de tel ou tel. Que l’on dresse la liste d’un certain nombre de caractéristiques, et l’on s’en rendra compte :

  • Physionomies  : arbuscules, croûtes, lames foliacées, etc. ;
  • Coloris : jaune, vert, orange, gris, brun, etc. (la variété des coloris dépend des taux d’humidité et de luminosité auxquels les lichens sont exposés) ;
  • Supports : rochers, troncs et branches d’arbre, feuilles, toit des maisons, murs, etc.

Ceci est pourtant insuffisant pour déterminer avec davantage d’exactitude ce qu’est un lichen. Posons donc la question : qu’est-ce qu’un lichen ? Eh bien… On n’est pas prêt de rédiger un traité de lichénologie avec des informations aussi minces. Obligeons-nous donc à tirer à la ligne.

Les lichens sont des organismes qui tirent profit de ce que l’on appelle une symbiose, un terme introduit par le mycologue prussien Heinrich Anton du Bary en 1878, traduisant un phénomène vieux de 65 millions d’années au moins. En clair, il signifie : « vie en commun ». Ce qui ne saute pas aux yeux, tant un spécimen de lichen donné passe pour un organisme unique. Pourtant, à y regarder de beaucoup plus près, l’on s’aperçoit qu’un lichen est la résultante de l’association d’un mycobionte et d’un photobionte, c’est-à-dire généralement d’un fungi (ascomycètes le plus souvent, parfois basidiomycètes) et d’un partenaire photo-autotrophique, l’algae (chlorophycées, cyanophycées). Aussi surprenant que cela puisse être, de ce 1 + 1 résulte… 1 !1. Bien qu’ajouter donne l’impression de retrancher, ici, le tout est bien supérieur à la somme des parties. Effectivement, « la synthèse des deux êtres en un seul confère à ce dernier des propriétés nouvelles que ne présentent ni l’un ni l’autre des deux éléments constitutifs »2. Par exemple, la synthèse de molécules antibiotiques pour certains types de lichens, chose dont les deux protagonistes, le champignon et l’algue pris séparément, sont bien incapables. Par le terme d’association de partenaires, peut-on entendre que les deux acteurs tirent chacun bénéfice de cette juxtaposition lichénique ? Pour aller vite, oui. Bien qu’on puisse avoir l’impression que le champignon « cultive » en quelque sorte l’algue, pas à son seul bénéfice certes, mais surtout, semblerait-il, à sa seule initiative. Tout cela est loin de satisfaire une curiosité bien légitime, n’est-ce pas ? ^.^ Que l’on considère n’importe quel lichen, ce qui frappe prioritairement le regard, c’est sa résistance et sa robustesse, ce qui importe considérablement, compte tenu des milieux, parfois très inhospitaliers, qu’il vient à peupler. On a estimé sa résistance au froid : certains lichens sont capables d’endurer une véritable torture : le zéro absolu, soit – 273° C. D’autres peuvent résister à une température constante de 100° C durant plusieurs heures. Enfin, ce sont des pionniers des hauteurs et des rochers : là où plus rien ne pousse, subsiste le lichen (on a constaté la présence de Leconora polytropa à 7 400 m d’altitude). Parfois, les lichens souffrent tant des conditions d’existence qu’ils subissent apparemment sans broncher, que leur croissance est directement inféodée à l’hostilité du substrat et du climat dans lequel ils tentent d’évoluer. Généralement, les lichens poussent très lentement, de l’ordre de quelques millimètres par an, d’où leur taille réduite. Cependant, ils compensent cela avec une longévité étendue, parfois exceptionnelle (dans les Alpes, on a découvert des lichens vieux de 1 000 ans !). Alors, imaginez un peu ceux dont la croissance n’excède pas le dixième de millimètre par an dans le pire des cas ! Si le lichen est affublé d’une croissance qui désespérerait bien des puissances économiques en berne, c’est qu’il ne bénéficie pas toujours de la conjugaison des meilleurs facteurs pour cela, en premier lieu de la photosynthèse, phénomène qui n’est possible que lorsque le lichen est humide. Ainsi, un lichen qui se développe sur un rocher exposé en plein cagnard, devra patienter jusqu’au petit matin, en cet instant crucial où se conjuguent l’humidité de la rosée et un ensoleillement tout neuf, à même de mettre en branle le système de la photosynthèse pendant quelques heures. Puis, dès qu’il est déshydraté, la photosynthèse s’arrête et notre lichen cesse toute activité. Et ainsi de suite, assurant sa croissance en passant par des hauts et des bas. Lorsque les conditions deviennent drastiquement éprouvantes, le lichen adopte un mode de fonctionnement propre au graines : le ralentissement des fonctions vitales. Il s’agit d’une situation de survie extrême qui autorise l’adaptation aux stress imposés par de rudes conditions de vie. Un lichen possède ce que l’on appelle la capacité de reviviscence, il revient littéralement à la vie et se régénère à la première trace d’humidité (jusqu’à la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère). Mais comme il est dépendant de ce que les Anciens nommaient « esprits aériens », quand ceux-ci portent en leur sein le poison, le lichen souffre et trépasse. C’est le cas de la mousse de chêne, qui est une espèce très sensible à la pollution atmosphérique. C’est pourquoi il s’est nettement raréfié alors que des sources bibliographiques le donnaient comme très fréquent dans le courant des années 1970 en Europe occidentale. C’est bien cela, le talon d’Achille de nombre de lichens dont la mousse de chêne. A elle seule, la mauvaise qualité de l’air explique le recul des lichens depuis les sites urbains, industriels et même agricoles depuis les années 1930-1980. Les pollutions diverses et variées – poussières industrielles, particules fines, hydrocarbures aromatiques polycycliques, ozone, dioxyde de soufre, métaux lourds (cadmium3, mercure, plomb) – peuvent affecter l’appareil photosynthétique du lichen, provoquer des symptômes de stress et causer des dommages aux membranes cellulaires par augmentation de la conductivité électrique.

Après ce long développement, que reste-t-il à la mousse de chêne en particulier ? Pas grand-chose, tant ce lichen a été beaucoup moins remarqué que son compère le lichen d’Islande. Paraît-il qu’il occupa une fonction alimentaire en Turquie et en Égypte, si peu généralisée, très certainement anecdotique, que cette information est habituellement partagée sans plus de cérémonie. Quand on aura fini par dire que : réduit sous forme de poudre l’on en faisait une sorte de levain pour faire lever la pâte à pain au Moyen-Orient ; qu’il fut substitué au houblon parfois dans l’industrie brassicole ; que les mésanges à longue queue se servent de lui comme de matériau de construction de leur nid, eh bien, l’on sera parvenu à ne rien dire du tout. Les frissons les plus intéressants proviennent non pas de cet inutile fatras, mais de la relation étroite de la mousse de chêne avec le monde de la parfumerie. Parvenant de Chypre et de Grèce, la mousse de chêne était prisée en Égypte antique il y a 4 000 ans. On en découvrit, garnissant des paniers, dans certaines tombes royales. Ce même lichen fut aussi impliqué comme ingrédient d’embaumement (il faut dire que son parfum écarte les mites ^.^). S’il n’est proprement usité par la parfumerie que depuis le XVIe siècle, rien ne nous empêche de considérer les divers produits aromatiques qu’on en tire pour mieux cerner son identité olfactive. Aujourd’hui, il arrive que l’on distille la mousse de chêne en vue de l’obtention d’une huile essentielle, mais c’est excessivement peu courant. On préfère, et de loin, l’extraction à l’éther de pétrole qui forme une substance assez liquide de couleur vert brun, ainsi que celle au benzène, permettant la production d’une masse semi-liquide à visqueuse, vert foncé le plus souvent. Il n’est pas difficile de discerner, dans ces deux absolus, comme une odeur de bois humide, terreux et moussu. A ces notes boisées, l’on trouve comme compagnon un aspect lourd et quelque peu oriental, une sorte de parfum de tabac, mitigé par celui d’une algue en bord de mer. Ce qui passe pour surprenant au tout premier abord. Mais le lichen est passé maître dans l’union de pôles vraisemblablement inconciliables : les fungus terrestres et les algues aquatiques. Pas étonnant que l’on discerne ces deux tonalités dans un absolu de mousse de chêne. Pourtant, on l’associe bien souvent davantage à la terre qu’à l’élément aqueux. Or, si la terre domine dans la mousse de chêne, cet élément fait forcément référence à la matérialité des deniers, un aspect que l’on retrouve dans l’ancrage racinaire lourd et profond qu’offre le parfum de la mousse de chêne. Loin de clouer sur place qui l’approche, ce parfum propre à la terre implique certes un enracinement, mais également une appartenance et un attachement, la sécurité du « bien chez soi », ce qu’un mélange d’encens à brûler sur charbon ardent, constitué de mousse de chêne, de résines (telles que la myrrhe et l’opopanax) et d’épices coriaces (cannelle, clou de girofle) permet de susciter en l’esprit de l’aspirant. Mais la mousse de chêne ne véhicule pas que cette unique signature symbolique. En voici d’autres :

  • Chance et prospérité ;
  • Persistance et pérennité ;
  • Protection, isolement et introspection (la terre se réfère à l’obscurité et à la profondeur) ;
  • Gestation ;
  • Incarnation (en comprendre la raison, le sens) ;
  • Relaxation, méditation, rituel à effectuer dans le plus profond des calmes ;
  • Clairvoyance, clarté mentale.

Ce qui n’est pas si mal, déjà.

Autrefois très largement récolté (Maghreb, ex. Yougoslavie, France) pour l’industrie de la parfumerie, la mousse de chêne marque le pas depuis une quinzaine d’années, en raison d’un phénomène qui avait déjà été remarqué auprès des bûcherons, fréquemment placés au contact de la mousse de chêne : ce lichen est capable de produire des allergies de contact (de nombreux autres métiers anciens ont présenté le même type d’inconvénient : des artisans ou des ouvriers étaient directement et constamment mis en contact avec une matière, parfumée ou non, durablement problématique. On se rappellera des « éplucheurs » de zestes de citron et d’orange de l’arrière-pays grassois, par exemple). Comme nous l’avons dit, l’histoire conjointe de la mousse de chêne avec la parfumerie ne date pas d’hier. Au XVIIIe siècle, on élaborait des teintures alcooliques de mousse de chêne destinées à cette industrie, et jusqu’à il n’y a pas si longtemps, la mousse de chêne sous forme d’absolu entrait dans un nombre considérable de formulations parfumées, en particulier pour sa note de fond (racine boisée et fumée, terreuse et tourbeuse, etc.), mais aussi parce que ce lichen possède le pouvoir singulier d’adsorber et de retenir les odeurs, trait particulier faisant de lui un stabilisateur et un fixateur inestimable. Mais, comme signalé, depuis une quinzaine d’années, le torchon brûle entre la mousse de chêne et l’industrie de la parfumerie. Pourquoi donc ? En raison du pouvoir hautement allergisant de certaines molécules contenues dans l’absolu de mousse de chêne, au premier rang desquelles l’atranol et le chloro-atranol. Depuis 2008, l’IFRA (International Fragrance Association) limite le niveau de ces deux molécules dans l’absolu de mousse de chêne à respectivement 75 et 25 ppm (une paille, donc). La commission européenne y est aussi allée de son interdiction : selon le règlement 2017/1410, atranol et chloro-atranol sont interdits dans les produits cosmétiques dans l’ensemble du territoire de l’union européenne car potentiellement allergisants. Or, un tel absolu, qui se voit privé de ce qui le caractérise en propre, est-il encore un absolu de mousse de chêne digne de ce nom ? Il est bien évident que le résultat olfactif émanant de la comparaison entre un absolu sans allergènes (66 ppm d’atranol et de chloro-atranol) et un absolu « nature » (27 000 ppm) sera forcément très différent à l’arrivée. Or, afin de pouvoir vendre une production d’absolu de mousse de chêne, il faut nécessairement passer sous les radars de l’IFRA. Cependant, une petite résistance se fait néanmoins jour du côté de Hermitage Oils, notamment par le biais d’Adam Michael qui ne désire « pas être en faveur des mousses de chêne conformes à l’IFRA ni de l’idée que l’histoire aromatique soit réécrite pour ce qui est sans doute l’un des aromatiques naturels les plus importants de l’histoire du parfum »4. Car « sachez que les deux propositions ne se comparent pas et si vous voulez éduquer votre nez et vos sens, alors la vraie mousse de chêne est toujours la voie à suivre »5. Bien qu’on ait réduit de manière drastique les substances incriminées de l’absolu de mousse de chêne, il s’avère que cette dernière, amputée au moins d’un bras, conserve, même pour une petite part encore, un pouvoir allergisant auquel certaines personnes sont sensibles. Si l’on devait retirer de la vente libre toutes les huiles essentielles contenant du linalol et du limonène par exemple, eh bien il ne resterait plus grand-monde sur le banc, le moindre cas d’allergie, même la plus minime, deviendrait le prétexte à une interdiction sans autre forme de procès. Mais, qu’on lui conserve sa forme initiale ou bien qu’on la sophistique, une substance comme un absolu ou une huile essentielle n’est jamais qu’une création de l’homme, qui la retire de l’endroit où la nature l’a placée, c’est-à-dire ni dans un flacon en verre et encore moins sur la peau humaine. Avec tant de précautions initiées par la nature, comment s’étonner que le contact franc et direct d’une huile essentielle ou d’un absolu ne se fasse pas sans dommage ? Rappelons-nous des mots de Botan : « Médicalement, l’essence est toujours violente et demande à être dosée dans son emploi ; beaucoup d’essences sont dangereuses pour la santé, même quand elles proviennent de plantes inoffensives à l’état naturel. C’est pour cette raison que les remèdes les meilleurs ne sont pas les essences, car, en réalité, ce principe séparé de ses éléments concomitants est loin de posséder les propriétés que l’on peut attribuer au végétal complet. La meilleure preuve, c’est que l’homme, qui a séparé ainsi ce principe volatil et pénétrant d’une plante quelconque, s’empresse souvent, dans la pratique pharmaceutique, à l’associer, soit à d’autres essences, soit à d’autres corps pour reformer ainsi un nouveau composé quelquefois souvent plus complexe et moins harmonieux »6. On pourrait transposer ce discours au monde de la parfumerie et l’on obtiendrait les mêmes conclusions, bien entendu. On extrait, on concentre, on mélange et l’on s’étonne, finalement, que ça gratte. A qui la faute ? Il en va de la parfumerie comme de la gastronomie : certaines choses sentent très bon, d’autres sont admirables au palais, bien qu’elles soient toutes mauvaises pour la santé. En ce cas, pourquoi ne pas s’en passer plutôt que de conformer un produit vraisemblablement inapproprié à l’homme, en le convertissant/moulinant/bidouillant de toutes les manières ? Ne serait-il pas plutôt judicieux de s’interroger au sujet de cette réaction de la peau face à telle molécule ? Sachant que « la dermatite de contact allergique est une réaction d’hypersensibilité retardée de type IV qui survient lorsqu’un allergène entre en contact direct avec la peau et entraîne une éruption eczémateuse prurigineuse »7, il m’apparaît que oui, et à plus d’un titre : est-il vain de s’interroger sur la survenue d’une manifestation allergique ? D’où vient-elle ? Que représente-t-elle ? Pourquoi moi et pas la voisine ? Ce sont des questions loin d’être anodines, non ? Savoir qu’une allergie représente la partie visible d’un dérèglement du système immunitaire devrait nous inquiéter davantage que de savoir si cela sent plus ou moins bon en retranchant telle ou telle fraction, pour adapter un produit à son marché (c’est qu’il ne faudrait pas, non plus, perdre de la clientèle…).

La mousse de chêne compte parmi les espèces de lichens tant abondantes de tous l’hémisphère nord, qu’il semble peu probable que vous n’aillez jamais rencontré ce lichen à large répartition, presque cosmopolite, qui gîte partout en Europe, en Afrique du Nord, en Asie et en Amérique septentrionale. De la plaine à la montagne, il peuple parcs, jardins et forêts claires, de feuillus préférablement. Pas nécessairement confiné au seul chêne, contrairement à ce qu’indique son nom usuel, ce lichen est commun sur bien des arbres : dans l’ensemble, on le trouve surtout sur les arbres fruitiers à noyaux comme le prunier (cf. l’adjectif latin prunastri), mais également sur le sycomore, l’érable, le saule et l’aulne. Voici pour la partie vive. On remarque aussi le lichen sur des supports qui n’ont plus rien de vivant, tels des vieux arbres et troncs abattus, des bois décrépits exposés aux intempéries, des barrières et charpentes, plus rarement des roches. (Je me suis demandé si l’arbre sur lequel pousse la mousse de chêne était susceptible d’offrir une tonalité différente à ce lichen, à la façon du gui qui pousse tantôt sur les pommiers, tantôt sur les peupliers, et dont on dit que ses vertus varieraient en fonction de l’identité de l’arbre en question. Ce serait surprenant au reste, puisque les lichens sont des épiphytes, non des hémiparasites comme le gui.)

La mousse de chêne est un lichen arbusculaire au polymorphisme des thalles bien marqué. Ceux-ci, mous et membraneux, plus ou moins ridaillés (décidément, je persiste à utiliser ce mot, bien qu’il n’existe pas ^.^), se projettent en hauteur, d’où l’adjectif fruticuleux (= en forme d’arbrisseau) que l’on associe parfois à ce type de lichen. Les thalles de la mousse de chêne sont généralement grisâtres sur leur face supérieure, vert jaunâtre ou vert-de-gris style antique statue de bronze abandonnée aux éléments. En revanche, le revers est blanc lacté, et c’est grâce à ce détail qu’on le distingue d’un lichen très semblable chez qui le revers des thalles est noirâtre (Pseudevernia furfuracea).

Les lichens se multiplient soit par des fragments de leur thalle (contenant à la fois les hyphes du champignon et les cellules de l’algue), soit par agglomération du mycélium du champignon enserrant des algues unicellulaires, les gonidies, qui se forment dans des coupes spéciales à la surface du thalle. En ce qui concerne la mousse de chêne, des scutelles marginales abritent les isidies, des cellules reproductrices, qui assurent la reproduction en mode asexué.

La mousse de chêne en thérapie

Avec la mousse de chêne, on est loin de pouvoir se vanter de faire des usages aussi étendus qu’avec le lichen d’Islande qui, en terme de lichen thérapeutique, a toujours occupé une telle place, que bien peu de licence a été accordée à la mousse de chêne. Comme l’huile essentielle de mousse de chêne est anecdotique et que son absolu se réserve strictement à la parfumerie (ou quasiment), on peut dès lors se demander ce qui reste au phytothérapeute amateur quand il est placé face à face avec la mousse de chêne. On observe ici un grand écart entre la misérable représentation de ce lichen en tant que substance médicale domestique et les récents travaux de laboratoires de recherche qui se sont intéressés à tout autre chose qu’à la mousse de chêne entrevue à travers le spectre de la parfumerie. C’est grâce à ces études que je suis aujourd’hui en mesure de vous en dire davantage à propos de la composition biochimique de la mousse de chêne.

Contenant des glucides (glucanes, galactomannane, polysaccharides) et des protéines (arginases I, II, III et IV), la mousse de chêne est équipée d’un certain nombre de composés phénoliques (acides phénoliques et flavonoïdes) et autres constituants anti-oxydants (chlorophylle, caroténoïdes). Elle se caractérise surtout par des acides evernique et usnique, et, selon les spécimens parfois, par d’autres acides tels que les acides salazinique, physodique et lécanorique, ainsi que d’autres substances aux noms plus compliqués (acide tétrahydroxy-tricosanoïque et acide dihydrovinapraésorédisoïque). Respirez bien profondément avant de poursuivre ! ^.^ Bien sûr, nous y retrouvons, non pas l’atranol et le chloro-atranol, mais l’atranine et la chloro-atranine, dont ils sont les produits de dégradation, obtenus par transestérification et décarboxylation de ces deux depsides lichéniques.

Note : dans les deux paragraphes qui vont suivre, ont été compilées des informations émanant, surtout en ce qui concerne les propriétés, des résultats de la recherche scientifique moderne in vitro et in silico. Elles sont très disproportionnées par rapport aux informations figurant parmi les usages thérapeutiques, parce qu’il s’agit là du recueil laborieux de données éparses qui disent, par leur faible envergure, le peu de cas que l’on a fait de la mousse de chêne d’un point de vue thérapeutique à travers les âges. Pour augmenter ces données, il faudrait, bien évidemment, rendre plus courante l’utilisation de la mousse de chêne médicinale, ce qui n’a pas l’air d’être pour demain.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne sur germes Gram + surtout (Staphylococcus aureus, Stenotrophomonas maltophilia) bien qu’Evernia prunastri soit aussi active, quoique moindrement, sur les germes Gram – ; antifongique (Candida sp.), activité anti-biofilm gastrique et intestinale, antiseptique
  • Anti-oxydante8, anti-inflammatoire, chélatrice des ions métalliques (Fe2+ et Cu2+), inhibitrice de la COX-1 et de la COX-2, neuroprotectrice
  • Sédative, calmante, équilibrante et apaisante du psychisme
  • Anticancéreuse cytotoxique, antimutagène, antigénotoxique (contre aflatoxine, acridine et guanidine)
  • Expectorante, mucolytique
  • Stomachique
  • Anti-hypertensive, vasorelaxante, hypoglycémique, antihyperglycémique, antilipidémique (réductrice des triglycérides sanguins)
  • Cicatrisante, tonique cutanée
  • Inhibitrice de l’acétylcholinestérase

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire et ORL : maladies pectorales, toux, sinusite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : maux intestinaux
  • Affections cutanées : plaie, coupure ouverte, ecchymose
  • Troubles locomoteurs : spasmes musculaires, enflement articulaire
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété
  • Maux de tête, hypertension
  • Diabète
  • Cancer

Modes d’emploi

Note : ils sont directement conditionnés par ce que nous avons dit plus haut : les spécialités de laboratoire (extraits éthanoliques, méthanoliques, etc.) sont expressément fabriquées pour servir la recherche et non pour garnir les étagères des pharmacies et des herboristerie. Aussi, que peut-on envisager ?

  • Tout d’abord, le seul usage que l’on puisse concevoir avec l’absolu de mousse de chêne en thérapie, c’est l’application locale en dilution maximum à 0,1 %. Du moins est-ce la communication habituelle sur ce point. Mais, cet absolu, il est encore possible de l’utiliser par le biais de l’olfaction et de la dispersion atmosphérique (attention néanmoins aux muqueuses nasales et oculaires via ce dernier mode d’emploi). En revanche, on se gardera de faire de ce produit, même convenablement dilué, une utilisation per os. Je ne suis pas certain qu’il soit bien pertinent de se procurer un de ces absolus, généralement dilués à 25-50 % dans de l’éthanol, en payant 15 à 25 € le flacon de 10 ml, tout ça pour en extirper de temps à autre une goutte qu’on mêlera à mille fois son poids de je ne sais quoi, cela afin d’appliquer localement une lotion sur quelque furoncle ou bouton d’acné. N’y a t-il pas plus simple, moins cher et moins risqué ?
  • Comme la littérature spécialisée est avare sur ce point, j’ai donc réfléchi à deux ou trois choses. Tout d’abord, une infusion. Dimanche 17 mars 2024, je me suis rendu en un lieu où je sais pouvoir cueillir de la mousse de chêne, le long d’un itinéraire en forêt qui se prête bien à cet exercice. C’était idéal, le temps était au sec (on conseille de cueillir préférablement la mousse de chêne en hiver). Rien de tel pour réaliser une petite cueillette digne de ce nom. Une fois revenu à la maison, j’ai fait chauffer suffisamment d’eau pour remplir une tasse standard de 20 cl de contenance. J’ai déposé trois ou quatre lichens de taille assez moyenne dans ma tasse, puis j’ai versé mon eau par-dessus. J’ai laissé filer l’infusion pendant dix minutes à couvert. A l’issue de ce laps de temps, j’ai passé cette infusion de couleur jaune clair, sans odeur particulière, hormis un vague soupçon de champignon assez fade et peu prononcé. Mais le goût, grands dieux ! Est-ce possible qu’une petite chose aussi fragile que cette mousse de chêne soit capable de réchauffer ainsi le palais ? J’ai eu l’impression d’avaler une infusion de thym ou d’origan, soit quelque chose de costaud, mais sans le parfum aromatique que diffusent ces deux lamiacées à leur infusion. Cette absorption ne s’est pas faite sans difficulté, puisque cette infusion de mousse de chêne – que je ne pense pas avoir trop chargée – s’est mise à me gratter l’arrière-gorge à un moment donné. C’est donc bien la preuve (?) de l’activité de ces phénols dont le pouvoir potentiellement irritant et caustique est condamné par l’IFRA. Mais que je vous rassure : une demie-cuillerée de miel estompe complètement la sensation une fois bien mélangée à l’infusion, qui se laisse alors boire sans peine. La sensation de chaleur dans la bouche, sur la langue, dans la gorge persiste longtemps. On sent même l’œsophage être doucement réchauffé. Cette seule expérience n’est en rien concluante. Facile de se faire une infusion et de l’avaler trois fois par jour. Mais la question cruciale demeure : pour quoi faire ? Ah !, c’est là la grande interrogation puisqu’elle ne se rattache à rien de connu décrit par la pratique. Sans trop se tromper, on pourrait imaginer la prendre suite à un refroidissement ou un épisode infectieux, lorsque les forces sont affaiblies, au cours d’une convalescence. Bienvenue dans l’univers de l’empirisme où, par définition, on tâtonne un peu beaucoup ! En tous les cas, j’ai bien apprécié cette première expérimentation, que je réitérerai bientôt en diminuant un peu les doses. J’y ai décelé quelque chose de fermement roboratif et tranquillisant dans le même temps. Ensuite, puisqu’en laboratoire l’on s’amuse à concocter des extraits éthanoliques, pourquoi ne pas concevoir une teinture hydro-alcoolique maison de mousse de chêne ? Pour cinq volumes d’alcool à 50°, l’on compterait un volume de mousse de chêne, en macération pour trois bonnes semaines, comme cela se déroule habituellement, bien douillettement installée près d’un point chaud, par exemple. A l’issue, on passerait, filtrerait et embouteillerait dans des contenants idoines. Qu’est-ce que vous pensez de ça ? Pourtant, la même question nous reste sur les bras : pour en faire quoi ? A l’heure qu’il est, j’ai entrepris cette expérimentation : entassée dans un bocal en verre hermétique, de la mousse de chêne barbote dans de l’alcool à 50°, et cela jusqu’au 14 avril prochain. Je verrai bien ce que cela donnera une fois la macération alcoolique achevée. Je viendrai éditer cet article en conséquence. Enfin, une utilisation plus sommaire consisterait à bien faire sécher la mousse de chêne, avant de la déposer sur un charbon ardent, afin de voir ce que cette fumigation sèche donnerait (expérience à ce jour réalisée ; à réitérer avant de réfléchir plus profondément à ses applications pratiques).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Outre les peaux sensibles et facilement irritables qui n’approcheront pas la mousse de chêne par le biais d’une application topique, il est également conseillé de tenir les femmes enceintes et allaitantes éloignées de ce lichen, de même que les enfants trop jeunes, les personnes affectées de pathologies rénales, enfin celles sujettes à l’épilepsie.
  • Fonction tinctoriale : la mousse de chêne contient un colorant pourpre à rouge brun (voir violet) idéal pour la laine. Il est nécessaire de le révéler avec de l’ammoniac. Plusieurs tribus amérindiennes (Blackfoot, Montana, Thompson, Klamaths, etc.) usèrent d’un cousin de la mousse de chêne, en l’occurrence Evernia vulpina, dont ils tiraient une teinture jaune qui leur servait à teindre les textiles, le bois ainsi que la peau.
  • Savonnerie : contient une oléorésine utilisée pour la fabrication des savons.
  • Parfumerie (note de fond : familles des chyprés, des fougères et des boisés, lotions après-rasage, eaux de toilette, parfums masculins…).
  • Alimentation : l’on peut émietter ou pulvériser la mousse de chêne bien sèche, puis la saupoudrer sur les plats. Elle peut aussi se préparer ainsi : on lave la mousse de chêne à l’eau claire, on la dépose dans un récipient de taille adaptée, on la recouvre d’eau bouillante et on la laisse gonfler comme les champignons chinois tout secs qui reprennent vie après le bain. Par la suite, on fait cuire la mousse de chêne à la vapeur, on l’assaisonne avec du jus de citron, de l’huile d’olive, du sel et du poivre. En petite quantité (parce que son goût est prononcé), la mousse de chêne accompagne bien les champignons, en particulier lorsque ceux-ci sont un peu fades. Il existe probablement d’autres manières d’apparier la mousse de chêne, mais comme je ne suis qu’au tout début de mes expériences avec elle, je n’en dirai donc pas davantage.

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  1. Et parfois même davantage : 1 champignon + 1 algue + 1 cyanobactérie = 3 ; 1 champignon + 1 algue + 2 cyanobactéries = 4.
  2. Jean-Marie Pelt, La solidarité, p. 25.
  3. Mousse de chêne vs métaux lourds : ce lichen est capable d’adsorber le cadmium. Il est donc intéressant pour purifier une zone des métaux lourds qu’elle contient. Il l’est d’autant plus qu’il possède aussi une faible capacité à libérer le métal, tant il sait si bien le séquestrer. Sur ce point, la mousse de chêne se comporte beaucoup mieux que bien des biochars. En revanche, on oubliera ce lichen « intoxiqué » dans la pratique phytothérapeutique, bien entendu. Ceci dit, vu la vitesse de croissance de ce lichen et les innombrables sites pollués aux métaux lourds, je ne suis pas certain que cette solution soit tout à fait pertinente…
  4. Source.
  5. Ibidem.
  6. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles, p. 211-212.
  7. Source.
  8. « Des expériences antérieures ont révélé que l’acide usnique améliore l’efficacité du système antioxydant en améliorant les fonctions de la superoxyde dismutase et de la glutathion synthase dans les cellules de l’hippocampe » (Source).

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Le guduchi (Tinospora cordifolia)

Voici un tout nouvel article qui nous mène tout droit en Asie du Sud. Le guduchi, que l’on appelle aussi amrita, a été pensé comme possible ingrédient du mythique Soma. Ce qui en dit long sur l’estime qu’on lui accordée. On évoque cette chose-là et bien d’autres encore.

Bon long week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : amrita, gulancha, giloy, giloya, giloe, gurjo, graine de lune à feuilles en cœur (heart-leaved moonseed),

Synonymes latins : Tinospora sinensis, Tinospora malabarica.

Il a beau s’armer de grec et de latin, le botaniste, s’il n’est pas sensible à la beauté des belles lettres, ne sera jamais un poète et composera des noms aussi peu inspirés que celui qu’il a réservé au guduchi : Tinospora. Ah ! Eh bien, sachez que son étymologie n’a rien de mirobolant. Ce mot se découpe en deux racines. La première, tino, provient du grec teino, qui désigne l’aptitude d’un objet étirable comme un arc. Et spora, « graine », tout bêtement. Je vous laisse vous amuser à fabriquer une chimère improbable à l’aide de ces deux bouts de grec, parce que, pour ma part, j’ai beaucoup mieux à vous révéler, qu’à vous partager ce qui n’est que le reflet du manque d’originalité et d’imagination des botanistes.

Focalisons tout d’abord notre attention sur le principal surnom accordé au guduchi : amrita. Ce n’est pas seulement un nom vernaculaire comme un autre, il véhicule aussi une sorte de statut. Dans toute la médecine ayurvédique, il n’existe que trois plantes auxquelles l’on a attribué cette étiquette : l’ail, le haritaki ou myrobolan (Terminalia chebula) et le guduchi. A lui seul, ce substantif souligne et englobe la plupart des appellations alternatives réservées au guduchi, telles que divya aushaudhi (« plante divine »), devanirmita (« créée par Dieu »), vara (« excellente, précieuse »), etc. Par amrita, il faut entendre « nectar de vie », qui s’applique tout autant à l’ambroisie divine qu’au Soma mythique (trois termes qui sont tous synonymes), car ils confinent à l’idée d’immortalité, chose dont on peut se rendre compte à travers le nom assigné à une préparation mêlant l’amrita au beurre clarifié, l’amrita-prâsa, la « nourriture des immortels » qui augmente la force des hommes. Dans un manuscrit daté du VIe siècle apr. J.-C. (le manuscrit Bower), l’on croise des références à ce sujet. Or, comme le guduchi est également amrita, certains chercheurs ont émis l’hypothèse que cette plante, sans être le Soma des Anciens, aurait participé de son élaboration : le légendaire Soma, vénéré par les hymnes védiques, pourrait-il avoir quelque rapport avec le guduchi ? Écoutons la thèse de ces chercheurs et prenons connaissance d’un extrait de leur étude datée de 2014 : « Nous proposons que le Soma était la combinaison d’un alcaloïde de type protoberbérine et de suc de Tinospora cordifolia aux propriétés inhibitrices de la monoamine oxydase, unie à un extrait riche en tryptamine issu de Desmodium gangeticum ou un mélange de Tinospora cordifolia avec un extrait de Sida spp. [NdA : plantes de la famille des Malvacées] riche en éphédrine et phényléthylamine. Tinospora cordifolia combiné avec Desmodium gangeticum pourrait fournir une expérience psychédélique avec des effets visuels, tandis qu’une combinaison de Tinospora cordifolia avec Sida spp. pourrait conduire à des expériences plus euphoriques similaires aux effets causés par les amphétamines »1. Il demeure toujours difficile de déduire quelle plante pourrait occuper la fonction du Soma après coup, de même que deviner l’identité du moly, cette plante légendaire que confie Hermès à Ulysse afin qu’il ne tombe pas sous le charme de Circé. Peut-être, très justement, parce que ce sont des figures végétales légendaires et merveilleuses qui ne trouvent pas leur équivalent sur terre. Aussi, est-il judicieux de vouloir faire entrer en correspondance la flore actuelle des herbiers, palpable et bien réelle, avec celle d’hier qui émaille le Rig-Véda ou encore l’Avesta ? Parce qu’elles appartiennent au domaine céleste et magique, n’est-ce point absurde d’en rechercher l’identité exacte auprès de la gente végétale terrestre ? Ce qui rend la tâche plus malaisée encore, c’est que le Soma est tout à la fois un dieu, une plante (qui pourrait aussi bien être une herbe, un arbre, une liane qu’un champignon. Beaucoup d’hypothèses, peu de certitude…) et l’équivalent terrestre de la liqueur d’immortalité ! Il est plus intéressant de comparer la réputation ayurvédique du guduchi avec l’ensemble des traits de caractère que les hymnes du neuvième mandala du Rig-Véda accordent au Soma : il communique la béatitude, apporte la félicité, la sagesse et la joie ravissante, communique à l’esprit la clarté des cieux, etc. N’est-ce point là ce que l’on est en droit d’attendre d’un rasayana tel que le guduchi ? Devenu sur terre le quasi équivalent de l’amrita dans les sphères célestes, le guduchi a donc hérité d’une partie de sa puissance. A-mrta se traduisant comme « non mort », on peut être surpris de ce que le guduchi porte encore les noms apparentés de chinna, chinnaruha, chinnodbhava, dont un auteur du XVIe siècle, Bhava Mishra nous explique la raison dans son ouvrage Bhava Prakasha : ces noms transmettent l’idée d’une capacité, celle qu’a la plante de perpétuer sa croissance même une fois sectionnée, comme si de rien n’était, une prouesse faisant expressément référence à sa tendance aérienne qui semble ne l’attacher ni au pouvoir de la terre, ni à celui de l’eau, imitant la manière du yogi ou du rishi qui se nourrit uniquement du prâna de l’air.

Par le terme rasayana2, on entend les meilleurs moyens d’accéder à un état d’être qu’autorise le guduchi en déracinant les facteurs morbides, comme si cette plante contrôlait la progression du mal afin de mieux le détruire, tout en agissant sur les doshas3 et les dāthus4. En améliorant la nutrition du corps et les moyens que celui-ci à de se défendre, le guduchi favorise donc le retour à la santé. Non seulement, ce rasayana soulage et guérit les maladies, mais il apporte son aide à l’organisme sain, afin d’en bien entretenir les différents organes, rendant ainsi favorable l’amélioration de l’espérance de vie (jara nasha), ce que tout bon rasayana est censé faire5. Cette étiquette de rasayana est d’autant plus méritoire que la plante qui la porte renforce la mémoire et l’intelligence (medhya rasayana), perpétue la jeunesse du corps (qui doit se lire dans le ton de la voix, le teint de la peau, mais aussi à travers les prouesses sexuelles), maintient optimale la force physique et l’aptitude des organes des cinq sens (en améliorant le bala, c’est-à-dire la force et la capacité du corps ou d’une partie du corps à faire face à divers facteurs de stress physique), etc., ce qu’un examen attentif du guduchi permet de lui attribuer sans peine.

Un système de santé ancestral tel que l’Ayurvéda offre un large regard sur les plantes médicinales en général et sur le guduchi en particulier. Aujourd’hui encore bien de ses antiques prescriptions sont toujours d’actualité. Il suffit, néanmoins, de translater l’abord poétique de l’Ayurvéda en termes modernes. Dans la liste d’affections que l’Ayurvéda attribue au guduchi, il faut cependant demeurer dubitatif et prudent face aux affirmations qui veulent que cette plante soit apte à soigner la syphilis et les morsures de serpent. Populaire au point d’avoir dépassé les frontières de la seule médecine ayurvédique, le guduchi est consommé pour ses feuilles, tiges et racines, en des emplois parfois fort surprenants. Par exemple, Acharya Sushruta employait les racines du guduchi comme fil, afin de suturer les blessures, car elles aiderait, selon lui, à la cicatrisation des plaies. Bien plus tôt, dans la Charaka samhitā (300 à 200 av. J.-C.), Maharishi Charak écrivait qu’« amrita a le potentiel de traiter le déséquilibre du dosha Vata. Il augmente l’appétit et élimine les obstructions des doshas Pitta et Kapha. » Le même ouvrage fait aussi mention de nombreuses préparations faisant appel au guduchi. L’Ayurvéda en a conservé un grand nombre : tramara (guduchi, gingembre et haritaki) remédie aux désordres intestinaux tels qu’indigestion, constipation et flatulences ; guduchi satwa règle les troubles hépatiques ; prameharara possède une réputation antidiabétique ; quant à rasayana ghana (guduchi, aamalaski (Emblica officinalis) et gokshura (Lus terrestris)), il a pour fonction d’être anxiolytique et antidépresseur ; enfin, krimighna est anthelminthique et kushtghna remède topique. Mais les vertus du guduchi ne s’arrêtent pas là. Maharishi Vāgbhata, auteur de l’Astānghrdaya samhitā aux alentours du VIIe siècle apr. J.-C., affirme que cette plante est efficace contre la fièvre rebelle, la sensation de soif intense (hyperdipsie), l’excès de chaleur, les démangeaisons cutanées, les troubles oculaires, la lèpre et les effets du poison (ce qui est pour le moins vague…). Cette plante s’avère encore capable de démontrer de bien nombreux autres effets thérapeutiques : dépurative du sang, fébrifuge, apéritive, remède hépatique, vésical et gastro-intestinal, elle donne l’impression d’intervenir partout et pour tout : c’est qu’on ne peut lui retirer sa glorieuse étiquette étoilée d’amrita !

Plante vivace arbustive et lianescente, le guduchi est un hôte des forêts de feuillus de basse altitude (300 m), portées sur sol acide et pas trop humide telles qu’on les rencontre dans les zones tropicales et subtropicales d’une bonne partie de l’Asie du Sud et du Sud-Est (Pakistan, Inde, Sri Lanka, Bangladesh, Myanmar, Thaïlande, Vietnam, Philippines, Malaisie et Indonésie), et même de l’Australie et de l’Afrique (Afrique du Sud). Dans ces forêts sèches qui forment son fief, il aime à s’amouracher parfois du manguier et surtout du neem (ou margousier, Azadiracta indica), et l’on dit qu’il n’est jamais aussi puissant que dans ces conditions (le guduchi qui évolue sur le neem serait plus immunomodulateur que s’il vient à pousser sur toute autre espèce d’arbre !). C’est par ses racines étonnantes que le guduchi prend contact avec les autres espèces : aériennes, ne dépendant que modérément du sol et de l’eau, ces racines filamenteuses atteignent parfois la terre ferme à force de croître vers le bas ! Elles émergent directement des points nodulaires qui se situent sur les rameaux feuillés. Ceux-ci, armés de vrilles comme la vigne, se configurent différemment selon qu’ils sont principaux ou secondaires. Les premiers, de couleur gris mat, peuvent s’arrondir jusqu’à atteindre 5 cm de section, ce qui accentue la robustesse de cette plante. L’écorce spiralée de ces rameaux est recouverte de lenticelles liégeuses qui deviennent de plus en plus protubérantes que les rameaux grossissent et forcissent au fil du temps, les apparentant quelque peu à une masse d’arme. Quant aux secondaires, verts et souples, ils portent de jolies feuilles cordiformes comme celles du liseron et du volubilis. Bien nervurées, ces grandes feuilles (20 cm de long sur 15 cm de large au maximum), glabres et brillantes d’un beau vert franc, sont longuement pétiolées. A l’aisselle de ces feuilles, en mai et en juin, surgissent des racèmes peu denses de petites fleurs, dont les pièces florales jaune verdâtre et d’aspect un peu succulent, comptent six sépales (dont trois intérieurs et trois extérieurs plus modestes) et six pétales si petits qu’ils sont dissimulés par les sépales. La fructification produit des drupes en forme de gourde aux mois de septembre et octobre. Tout d’abord vertes, puis jaunes, elles deviennent rouge brillant une fois totalement mûres. Elles ne contiennent qu’une seule graine en forme de de coquille de noix.

Le guduchi en phytothérapie

Placé en si haute estime par la médecine ayurvédique depuis des millénaires, je vous laisse imaginer la quantité et la variété de préparations ayant pour base ou simple ingrédient tout ou partie du guduchi. Lorsqu’on entre davantage dans les détails, l’on apprend que tout de cette plante – des fruits mûrs aux racines – est utilisé par ce système de santé ancestral. Mais, en ce qui nous concerne, nous n’irons pas jusque-là et nous contenterons de ce que le marché des plantes médicinales met à notre disposition sur le territoire national, c’est-à-dire principalement la poudre des rameaux du guduchi. Sans odeur quand ils sont secs, ces mêmes rameaux propagent, à l’état frais, une odeur nauséabonde dont une sève visqueuse de couleur jaune est responsable. Par chance, on ne les utilise pas en cet état, seulement après dessiccation, ce qui ne leur ôte pas l’amertume dont ils sont imprégnés. A l’état frais, on y trouve 30 à 35 % d’eau, 55 % de glucides (dont fibres et polysaccharides : arabinogalactose), 4 à 11 % de protéines, 8 % de sels minéraux (zinc, calcium, cuivre, phosphore, fer, manganèse, potassium, chrome, etc.), 3 % de lipides et une petite portion d’essence aromatique (1 %). Tentons d’être plus précis et entrons dans le détail : nous observons tout d’abord des alcaloïdes dont un certain nombre de nature isoquinoléique (la célèbre berbérine est du nombre, mais pas seulement elle, puisque sont également présentes la palmatine, la jatrorrhizine et la magnoflorine) et d’autres alcaloïdes non-isoquinoléiques tels que la chasmanthine, la tembétarine et l’isocolumbine, que l’on retire principalement des tiges du guduchi, mais aussi de ses racines. Afin d’assurer son amertume, le guduchi peut aussi compter sur un certain nombre de lactones diterpénoïdes et de glycosides diterpéniques et sesquiterpéniques. Plus communs sont les saponines et les polyphénols (acides phénoliques, flavonoïdes et tanins).

La plante étant dioïque, elle n’est pourtant pas récoltée de manière indifférenciée sachant que la plante femelle est jugée de bien meilleure qualité pour la médecine. En respectant les saisons auxquelles récolter la plante, les teneurs de tel ou tel élément biochimique varieront nettement au cours du temps. Par exemple, l’on s’est aperçu que le maximum de polyphénols totaux et de sucres se formaient en été, que durant l’hiver, c’était le cas de l’amidon et des tanins. Si l’on souhaite cueillir une plante abondamment chargée en berbérine, l’on a tout intérêt à la prélever durant l’époque de la mousson. Enfin, le potentiel anti-oxydant du guduchi est plus marqué à la fin de l’été et durant l’hiver, mais il concerne alors davantage les feuilles que les tiges de cette plante.

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène (augmente la mémoire et la facilité des apprentissages), dépuratif cérébral des cellules neuronales, neuroprotecteur, anxiolytique, antidépresseur, relaxant et calmant du système nerveux, psychotrope
  • Anti-inflammatoire (réduit la sécrétion d’IL-6 et de TNF-α), anti-oxydant, antiradicalaire (ABTS, DPPH, ions ferreux, oxyde nitrique, superoxydes, radicaux hydroxyles), inhibe le stress oxydatif et le stress nitrosatif, inhibe la peroxydation lipidique au niveau de la peau et du foie
  • Immunostimulant, amphotère (immunomodulateur), augmente la sécrétion des lymphocytes B et T, modulateur de la sécrétion d’adrénaline, de noradrénaline et de cortisol
  • Hépatoprotecteur (grâce à l’augmentation de la sécrétion de superoxyde dismutase, de catalase et de glutathion peroxydase), dépuratif des toxines du foie, régénérateur du tissu hépatique, cholagogue, cholérétique, antidiabétique
  • Assure le bon fonctionnement du système urinaire, dépuratif rénal, protecteur rénal (contre la toxicité des aflatoxines entre autres), diurétique non irritant (vu l’aspect de la tige, on peine à le croire ^.^), facilite l’excrétion de l’acide urique, antilithiasique
  • Protecteur cardiaque, cardiotonique, thrombolytique, dépuratif des toxines du sang, hypolipidémique, antihyperlipidémique, antihyperglycémique, augmente le nombre de plaquettes sanguines
  • Stomachique, protecteur gastrique, favorable à la motilité intestinale, anti-émétique, digestif, carminatif
  • Ostéoprotecteur, anti-ostéoporotique, favorise le confort articulaire, dépuratif des toxines articulaires
  • Anticancéreux, antiprolifératif, cytotoxique, anti-néoplasique, retarde la croissance tumorale et augmente la durée du temps de survie du patient cancéreux, chimio-préventif (réduit les effets secondaires de la chimiothérapie), radioprotecteur
  • Antipyrétique, fébrifuge
  • Préventif de la grippe et du rhume, adjuvant utile dans la tuberculose (toux, dyspnée, hémoptysie, etc.), antispasmodique bronchique, expectorant, anti-allergique respiratoire, antihistaminique
  • Cicatrisant, tonique cutané, adoucissant cutané, procure bon teint et bel éclat de peau
  • Anti-infectieux : antifongique, antiviral (covid-19 : aide à inhiber l’orage cytokinique), antibactérien (Escherichia coli, Salmonella enteritidis), antipaludéen
  • Analgésique
  • Améliore la qualité de la vision

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : stress, stress causé par l’hypoxie et d’autres facteurs environnementaux, ataxie, perte de mémoire, maladie d’Alzheimer, dépression, maladie de Parkinson, cancers neuronaux (neuroblastome, glioblastome)
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, dyspepsie, ulcère gastrique, inappétence, indigestion, colite, hyperacidité gastrique, douleur abdominale, vomissement, flatulences, vers intestinaux (helminthes)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : écoulement urétral, miction difficile et/ou brûlante, goutte, rhumatisme
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : hépatotoxicité, jaunisse, hépatites B et C (en soutien), fibrose hépatique, diabète du type II et ses complications6
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, asthme chronique, rhume des foins, rhinite allergique, éternuement incoercible, obstruction nasale, rhume et grippe (à leur début), bronchite
  • Affections cutanées : acné, irruption cutanée, eczéma, psoriasis, érysipèle, ulcère, ulcère du pied (d’origine diabétique)
  • Troubles locomoteurs : arthrite, arthrite goutteuse, polyarthrite rhumatoïde, ostéoporose, myélopathie, spondylose cervicale, fracture
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, ménorragie, métrorragie, SOPK
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hyperlipidémie induite par consommation excessive d’alcool, faiblesse cardiaque, hémorroïde
  • Hypertrophie de la rate (splénomégalie)
  • Maladies infectieuses : dengues, paludisme (avec fièvre frissonnante et fatigue), infections virales (à Epstein-Barr), infections aux souches multirésistantes, covid-197
  • Cancer, leucémie8, 9
  • Obésité
  • Maladies auto-immunes et inflammatoires associées au TH17 (le guduchi nettoie en profondeur le foie et la moelle épinière des toxines qui s’y accumulent)
  • Anémie, fatigue chronique, faiblesse générale, convalescence

Modes d’emploi

Les médecines ayurvédique, unani et siddha ont prévu bien des manières de préparer le guduchi. Nous présenterons ci-dessous celles qui nous paraissent le plus à même d’être réalisées par le lecteur occidental, compte tenu de la rareté toute relative de cette plante parmi les étals des marchands de spécialités phytothérapeutiques au détail.

  • La poudre de la tige : elle se présente librement ou enfermée dans des gélules, capsules, etc. On préconise un minimum de 3 g par jour. Deux fois dans la journée, on absorbe, mêlée à du lait tiède ou à de l’eau, la moitié de cette dose quotidienne. L’Ayurvéda grimpe à 6 g par jour, la médecine unani à 10.
  • Infusion à froid de rameaux séchés et fragmentés : dans un litre d’eau froide, placez 10 g de guduchi et laissez infuser à couvert pendant 30 mn.
  • Décoction de poudre de guduchi : dans 20 cl d’eau, déposez une belle cuillerée à café de poudre et lancez le feu pour une décoction d’une durée d’un quart d’heure, suivie d’une infusion à couvert d’une demie-heure. C’est suffisant pour satisfaire aux besoins journaliers qui sont de l’ordre de 50 à 100 ml.
  • Teinture hydro-alcoolique : dans cent volumes d’alcool, placez vingt volumes de poudre de guduchi et laissez en contact pendant au moins une semaine. A l’issue, passez, filtrez soigneusement la préparation et abritez-la dans une bouteille en verre opaque prévue à cet effet. Prévoyez 30 à 40 gouttes par prise trois fois par jour.
  • Il existe aussi des extraits standardisés au 10:1 par exemple. Plus puissants que la poudre, ils ont aussi l’avantage d’être plus facilement ingérables de par leur présentation sous une forme qui soustrait le palais à l’amertume du guduchi.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les tiges dont l’âge est compris entre un an et demi et deux ans sont sectionnées durant la saison chaude puis mises à sécher au soleil, avant d’être éventuellement pulvérisées.
  • Effets indésirables : bien qu’une innocuité ait été établie jusqu’à 2 000 mg par kilogramme de poids corporel, l’utilisation du guduchi n’est pas exempte de troubles parmi lesquels on a surtout remarqué des maux de tête, des douleurs nasales, des symptômes gastro-intestinaux (nausée, vomissement), des désordres cutanés (démangeaison, érythème). Hormis cela, on peut dire que le guduchi ne présente pas de toxicité. De plus, il n’est pas clastogène et n’affecte pas l’ADN de dommages parfois irréversibles. On a pu l’accuser d’être hépatotoxique, ce qui semble peu en conformité avec les propriétés qui sont les siennes sur la sphère hépatique. C’est surtout la substitution de Tinospora cordifolia avec Tinospora crispa qui est responsable de ces effets, la consommation de cette dernière plante provoquant des conséquences fâcheuses sur la sphère hépatique qui se normalisent néanmoins deux mois après la cessation des prises. En revanche, sur un autre point, « des études in vitro suggèrent que Tinospora cordifolia peut contenir des composés qui agissent par l’intermédiaire du récepteur des androgènes et provoquent une augmentation de la prolifération des cellules cancéreuses de la prostate »10.
  • Incompatibilités : le guduchi ne convient pas à la femme enceinte et à celle qui allaite, aux enfants et aux adolescents, ainsi qu’aux personnes ayant un traitement antidiabétique en cours. Le guduchi peut encore interagir avec des médicaments immunosuppresseurs. Vis-à-vis de certaines maladies auto-immunes (sclérose en plaques, lupus), le guduchi pourrait rendre le système immunitaire résolument plus actif, au lieu de se comporter comme un simple immunomodulant. Enfin, si jamais un acte chirurgical est programmé, il est préférable de stopper toute prise de guduchi éventuelle deux semaines auparavant.
  • Chez les personnes atones des intestins, le guduchi peut entraîner de la constipation. En cas d’utilisation au long cours (par exemple : soutien de l’immunité en cas de cancer), il est utile et profitable de l’associer à une plante qui redonne du ton aux intestins.
  • L’espèce la plus courante avec laquelle T. cordifolia est susceptible d’être substitué ou frelaté est T. crispa. L’extrait de guduchi peut être falsifié avec de la fécule/farine de pomme de terre, de patate douce, de banane et/ou d’arrow-root.

_______________

  1. Source.
  2. C’est-à-dire « rajeunissant » ; on utilise aussi les termes vayastha et jivantika. Ce dernier nom signifie « capable de restaurer la vie dans un corps mort ». Il fait référence à cet épisode du Râmâyana durant lequel Rama défie Ravana. Ce dernier extermine totalement l’armée composée de singes qui s’était jointe à Rama pour engager la lutte contre Ravana. Indra, divinité de la pluie et du tonnerre, déversa sur les cadavres des singes une bienfaisante pluie d’amrita qui les ressuscita tous. « Des quelques gouttes du nectar tombées des corps des singes sur le sol, germa Guduchi. » (Source : Amrita for life : Tinospora cordifolia, National medicinal plants board, Ministry of Ayush, Government of India). Amrita est le terme que l’on convoque dès lors qu’on cherche à faire comprendre l’idée même de reviviscence. En hindi, le guduchi porte le nom de giloya, terme de la mythologie hindoue qui décrit l’élixir de rajeunissement par lequel les êtres célestes se sont préservés de la vieillesse. Note intéressante, aux Philippines, un cousin du guduchi, Tinospora crispa, est surnommé makabuhay, ce qui veut dire « vous pouvez vivre ». Là-bas non plus, le statut de rasayana n’a pas l’air d’être inconnu, même si on doit désigner les plantes qui le sont d’une autre manière.
  3. On dit du guduchi qu’il apaise et équilibre Vata, Pitta et Kapha, bien qu’il soit plus utile aux deux premiers, et surtout à Pitta, puisqu’il augmenterait à force Vata si on devait user du guduchi à trop long terme.
  4. Ainsi appelle-t-on les sept tissus corporels que le guduchi aurait la capacité de rajeunir, en particulier ceux que l’on considère comme étant les plus profonds, régissant le cerveau, les tissus nerveux et la moelle épinière, ainsi que le tissu reproducteur, domaine sur lequel le dāthu nommé Shukra étend ses prérogatives exclusives.
  5. « Elle offre une protection contre de nombreuses maladies » : c’est ce que décrit la racine sanskrite gud rakshane, qui a donné guduchi par transformation (Source : Amrita for life : Tinospora cordifolia, National medicinal plants board, Ministry of Ayush, Government of India).
  6. « Il a été signalé pour agir comme un agent antidiabétique en éliminant le stress oxydatif qui favorise la sécrétion d’insuline en inhibant la néoglucogenèse et la glycogénolyse » (Source). De plus, le guduchi normalise les niveaux de glucose et d’insuline sanguins.
  7. Une étude de 2022 communique ceci : «  Les médicaments ayurvédiques et les formulations aux propriétés antivirales, anti-oxydantes, anti-inflammatoires et immunomodulatrices pourraient être utilisés avec des médicaments allopathiques standards pour aider à la détection précoce du virus, le rétablissement rapide des patients atteints de covid-19, un congé plus rapide des hôpitaux et la prévention d’une détérioration supplémentaire » (Source).
  8. « Tinospora cordifolia a un effet différentiel sur les cellules normales et malignes, il peut donc avoir un potentiel thérapeutique dans le cancer » (Source).
  9. « Guduchi peut être utilisé pour soutenir le système immunitaire et prévenir les dommages au foie ou à la moelle osseuse chez les patients atteints de cancer qui suivent une chimiothérapie » (David Winston, Adaptogens. Herbs for strength, stamina and stress relief, p. 123).
  10. Source.

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La maca (Lepidium meyenii)

Qu’il s’agisse d’une sorte de navet, je veux bien. Mais la maca est très spéciale : déjà, elle ne vit que dans un seul pays au monde (le Pérou) ; ensuite, il lui faut nécessairement des altitudes olympiennes pour s’épanouir (4 000 m par là) ; enfin, malgré ces drastiques et fantasques conditions d’existence, elle est de ces plantes qui apprennent aux hommes à mieux vivre, ce qui, nécessairement, force le respect.

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : ginseng des Andes, ginseng sud-américain, trésor national du Pérou, viagra péruvien, fontaine de jouvence inca.

Synonymes latins : Lepidium peruvianum.

Probablement connue et consommée localement depuis la Préhistoire, la maca est cultivée dans les Andes depuis une date que des fouilles archéologiques réalisées au Pérou ont permis d’estimer : les tout débuts de la culture de la maca dans les Andes remonteraient à environ 1 600 ans av. J.-C., c’est-à-dire bien avant la fin de l’Amérique précolombienne et l’avènement de l’empire inca, celui-ci empruntant à une civilisation plus ancienne la maca, ce qui lui permit, tout comme aux Péruviens du XXIe siècle, de renforcer l’aura de son identité culturelle. C’est vrai qu’il aurait été dommage de passer à côté, tant la maca s’avère être un aliment très nutritif, sur le compte duquel l’on a imaginé la construction du Machu Picchu, dont l’érection aurait été possible grâce à des ouvriers dopés à la maca, ce qui cadre assez peu avec la réputation qu’eut la maca de demeurer pendant longtemps un aliment strictement réservé aux seules classes supérieures de la société inca. C’est que la maca n’était pas qu’un « vulgaire » légume vénéré uniquement parce qu’il faisait bon ventre, non. Son action sur le niveau global d’énergie avait été remarquée, si bien que les soldats incas consommaient ce remontant avant toute opération martiale. Du côté de la libido, les Incas s’étaient aussi aperçu que la maca permettait, aussi bien aux hommes qu’aux femmes, de combattre dans un autre type d’arène, celle dédiée aux jeux de Vénus. Aphrodisiaque, doublée d’une fonction anti-fatigue, il n’en fallut sans doute pas davantage pour que ce futur adaptogène devînt une plante sacrée symbolisant l’opulence et la fertilité, connectant l’homme au divin par l’emplacement naturel qui est le sien, c’est-à-dire la Cordillère des Andes (l’on sait bien que les divinités règnent sur le monde depuis les cieux et les hauts sommets impénétrables). C’est à ce titre que la maca participait comme offrande cérémonielle lors des rites sacrés, ainsi que de « monnaie » d’échange.

Si la première description de la maca est due à Pedro Cieza de Léon (1500-1554) qui fait mention de l’usage de cette racine par les autochtones dans ses Chroniques du Pérou (1553), ce n’est qu’au siècle suivant que les colons espagnols donnèrent davantage de précisions quant aux propriétés de la dite racine. C’est grâce à l’ouvrage du père Bernabé Cobo (1580-1657), intitulé Histoire du Nouveau Monde (1653) que l’on a droit à une description de la maca. Ce jésuite espagnol, arrivé en Amérique du Sud en 1599, y demeura jusqu’à sa mort. Enseignant et écrivain, il entreprit la rédaction de son Histoire et lui accorda 43 tomes dont les 14 premiers sont essentiellement consacrés à l’histoire naturelle. C’est donc dans ceux-ci que Cobo remarqua les dures conditions d’existence de cette plante ainsi que l’altitude inhabituelle à laquelle elle se plaît (sans la maca, je ne pense pas que les habitants des Andes auraient pu s’adapter aussi facilement au climat de haute altitude et y prospérer tant bien que mal dans des conditions extrêmes qui regroupent le froid, l’hypoxie, les UV, les périls du terrain et les vents violents). De même que Cobo, Hipólito Ruiz relata les propriétés stimulantes et fertilisantes de la maca dans un ouvrage paru à la fin du XVIIIe siècle (Relación del viaje hecho a los reynos del Perú y Chile : por los botánicos, y dibuxantes enviados para aquella expedición, 1777-1778). L’un et l’autre demeurèrent fort critiques vis-à-vis des croyances et de la religion pratiquée par les Incas, les apparentant à des pratiques diaboliques. Étrangement, ils ne spolièrent pas les populations locales de la propriété de la maca.

Aujourd’hui, l’on est bien loin du temps où la maca relevait de la chasse-gardée des seules hautes autorités de la société inca. En effet, la maca est devenue un aliment populaire, noire pour les garçons, jaune pour les filles, coloris dont on se contente, la maca rouge, beaucoup plus difficile à dénicher parce que plus rare, est donc, de fait, bien plus onéreuse. On peut ne pas avoir un radis en poche mais disposer de maca dans sa besace ^.^ Dans certains magasins de Lima, capitale du Pérou, l’on peut se procurer des sachets de poudre de maca sur lesquels figure l’inscription suivante : « Alimento para la vida ». Pour s’assurer de l’exactitude de cette renommée, des comparaisons ont été effectuées entre consommateurs de maca et non consommateurs. A l’issue de ces observations, il a été conclu que l’état de santé général des premiers était supérieur à celui des seconds. Cette différence se mesurait par de meilleures fonctions hépatique et rénale, une glycémie normale, une pression artérielle systolique basse, un IMC dans les normes, enfin une meilleure gestion globale de ce que l’on nomme « mal des montagnes ». Sur le site internet Authentic Food Quest, Rosemary et Claire, qui se définissent comme nomades numériques et exploratrices culinaires, ont fait le compte rendu d’une expérience relative à la maca sur une période de trente jours. Elles purent, à cette occasion, remarquer une rapide augmentation de la sensation d’énergie disponible (plus promptement d’un point de vue physique : deux à trois jours. Psychiquement, une évolution eut lieu mais prit davantage de temps : cinq à sept jours environ). Elles signalèrent aussi que la période menstruelle s’était beaucoup mieux déroulée qu’à l’ordinaire, sans sautes d’humeur, ni crampes et anxiété. Le dernier point concerne la peau et les phanères : nos deux cobayes dirent avoir eu la peau gagner en éclat, devenir plus lisse, moins marquée de boutons et enflammée de rougeurs. Quant aux ongles et aux cheveux, ils leur parurent pousser à une vitesse plus accrue, et gagner aussi bien en force qu’en santé. J’ai bien conscience qu’il s’agit là d’un compte rendu moins scientifique que le précédent, qu’il peut donc présenter des biais, l’expérimentateur étant également observateur, ce qui peut amoindrir la prise de distance par rapport à l’objectif visé (être à la fois juge et partie n’est pas très compatible avec la rigueur scientifique). Mais si rien de ce que nous avons pu dire jusqu’à présent au sujet de la maca n’avait été vérifié et validé par la science, il y aurait eu peu de chance qu’elle suscite la convoitise en dehors du seul territoire péruvien. Sans qu’elle n’échappe au seul pays d’origine, la maca a tout d’abord commencé par faire parler d’elle à l’étranger par le biais d’études scientifiques et d’une consommation qui se sont accrues depuis ces vingt dernières années environ. Face à cette demande croissante, le Pérou est quand même demeuré premier pays consommateur (en plus d’être premier pays producteur). Environ 10 000 cultivateurs péruviens s’adonnent à la culture de la maca sur près de 8 000 hectares, ce qui représente annuellement 50 000 tonnes, dont seulement 2 600 (soit 5 % de la production annuelle totale) sont exportées pour terminer leur existence sous forme de poudre, capsules, pilules, extraits ou liqueurs, premièrement en direction du monde occidental (Japon, Europe et États-Unis). Étonnant, c’est-ce pas ? ^.^ Pourtant, ce n’est d’aucune de ces zones géopolitiques qu’est advenu le danger (ce qui aurait pu être, l’Occident s’y entendant à merveille sur la question de la biopiraterie). Le consommateur qui fouillerait la question serait sans doute surpris d’apprendre qu’il peut se procurer maintenant de la maca made in China. S’est-y qu’il existerait un autre filon de cette plante ? Oui, bien qu’il n’ait rien d’originel, la maca chinoise n’étant pas autre chose que le fruit d’une implantation et d’une culture de la plante sur le territoire chinois. La Chine avait déjà commencé par faire de la maca un usage en phytothérapie dès la fin des années 1990, puis a initié la culture expérimentale de cette plante avec succès il y a une vingtaine d’années (2002). C’est que la Chine possède des zones qui s’y prêtent bien (Yunnan, Xinjiang, Jilin, Tibet). Il existe, dans le monde, d’autres points où l’altitude égale ou dépasse les 4 000 m (c’est-à-dire l’altitude idéale pour la maca) : la chaîne de l’Alaska aux États-Unis, la vallée du grand rift en Afrique, le Caucase en Russie, les Monts Maoke en Nouvelle-Guinée. Mais, que je sache, d’aucune de ces zones n’est parvenue une alternative à la maca péruvienne. L’altitude seule est-elle déterminante pour mener à bien une culture convenable de maca ? Certes non. Par chance pour le Pérou, une maca qui serait élevée à une altitude aussi basse qu’au niveau de la mer ou des pâquerettes qui peuplent le Bassin parisien, ne pourrait présenter des propriétés comparables à celles de la maca des Andes péruviennes. Sauf que la Chine… et son gigantesque marché intérieur a fait exploser la demande en maca (par exemple : + 1 000 % entre 2013 et 2014). Aussi, afin d’assurer plus largement les approvisionnements et ne pas courir le risque d’une rupture de stock, la Chine s’est amusée à jouer au Pérou un bien vilain tour : il y a une dizaine d’années, on pouvait croiser une kyrielle d’acheteurs chinois dans les villes situées tout autour du plateau de Junín au Pérou, principal site de production, afin d’y acquérir tant de la maca fraîche que des semences de la plante. Puis, en 2016, les Chinois plièrent bagage et disparurent de la région, en même temps que les prix de la maca s’effondraient. Les Péruviens accusèrent les Chinois de leur avoir subtilisé des semences afin de faire pousser la plante chez eux, brisant par là un monopole et leur dépendance à son égard. C’est aller à l’encontre du protocole de Nagoya signé en 2014 par 92 pays dont la Chine… Il donne la possibilité aux gouvernements des états signataires de contester les dépôts de brevets irréguliers issus d’un acte de biopiraterie. Au Pérou, la propriété intellectuelle de la maca a été reconnue (la maca fait partie des sept identifiants les plus puissants de la nation péruvienne et chaque année depuis 2003 se tient le festival international de la maca sur le plateau de Bombon, au Pérou). S’étant considéré spolié de ce qui incarne, en partie, son identité profonde, le Pérou ne s’est pas laissé faire : c’est pourquoi les autorités péruviennes veillent à la manière dont on use de la maca de par le monde, ainsi qu’à toutes les tentatives de fraudes (!), afin que la population péruvienne ne soit pas lésée dans ses droits à royalties. C’est ainsi que, par simple éthique, honnêteté intellectuelle et bon sens moral, on peut se sentir porté à préférer la maca péruvienne : celle-ci provient d’un biotope originel et, de plus, ne craint pas de présenter, au contraire de la maca chinoise, des caractéristiques rédhibitoires. En effet, toujours dans le but de satisfaire l’appétit gargantuesque de sa demande intérieure, la Chine s’est ingéniée à appliquer à la culture de cette plante médicinale les mêmes standards qu’à n’importe quelle autre plante. De fait, on est passé « des méthodes de culture traditionnelle aux pratiques de production de masse avec utilisation d’engrais et de pesticides ; […] cela peut potentiellement affecter la phytochimie et la composition de la plante et donc la qualité, la sécurité et l’efficacité des produits élaborés à base de maca »1.

La maca est une étonnante représentante de la famille des Brassicacées, en particulier parce qu’elle vit à haute altitude, aux alentours de 3 500 à 4 000 m. Imagine-t-on un radis pousser juste au-dessous de la limite des neiges (pas si) éternelles du Mont-Blanc, par exemple ? Eh bien, dans les Andes péruviennes, si ! Il y a, dans la province de Junín (districts de Junín, Ondores et Carhuamayo), une zone où la maca est naturellement présente et cultivée. Cette petite plante annuelle possède une partie aérienne qui s’étale sur le sol afin de ne pas accorder trop de prise aux vents violents qui règnent à une si haute altitude. Quant à la partie souterraine de la plante, c’est-à-dire le renflement racinaire, plus proprement désigné par le terme hypocotyle, il mesure généralement 10 à 14 cm de longueur au total, sur une section de 3 à 5 cm : un petit navet ou un gros radis, c’est selon. La maca est équipée pour endurer le stress provoqué par le froid, le vent, les UVB, toutes choses qu’elle supporte assez bien, à l’inverse d’une chaleur excessive qui lui est préjudiciable. Se dessine à n’en pas douter, dans ces quelques lignes, au moins une signature thérapeutique de la plante. Mais nous verrons cela tout à l’heure.

La maca en phytothérapie

De conformation assez similaire à celle de ses cousins radis et navet, la maca se distingue par l’usage quasi exclusif de ce que l’on appelle communément « racine ». Mais on sait à quel point la botanique est d’une extrême rigueur dès lors qu’il s’agit d’appeler les choses par leur nom. On préférera donc le mot hypocotyle pour désigner la fraction souterraine renflée et charnue de la plante, c’est-à-dire celle-là même exactement située entre le collet et les racines (les vraies). Si l’on s’attache à en déterminer la composition nutritionnelle, on peut donner les chiffres suivants. Pour 100 g de poudre de maca sèche, nous avons :

  • 60 à 85 % de glucides dont 8,5 à 25 % de fibres, 36 % de sucres (oligosaccharides et polysaccharides composés de glucose, rhamnose, arabinose et galactose) ;
  • 10 à 18 % de protéines dont des acides aminés (sept des huit essentiels entre autres) ;
  • 0,7 à 5 % de lipides (acides gras, stérols) ;
  • 0,08 % de sels minéraux (cuivre, fer, calcium, potassium, manganèse, magnésium, bore, sodium, soufre, cobalt, chrome, lithium, nickel, zinc) ;
  • Des vitamines : B1, B2, B3, C, E.

Mais est-ce bien tout ? Certes non ! Affinons donc le regard posé sur la maca. Que recèle-t-elle d’autre qui soit digne d’être consigné ? Eh bien, de ces éléments typiques de la famille des Brassicacées, c’est-à-dire des glucosinolates (glucotropaéoline, désulfoglucotropaéoline, sinalbine, glucolipigramine, glucolimnanthine), métabolisés par l’action de la thioglucoridase en isothiocyanates de benzyle. A côté de cette classe moléculaire, l’on trouve beaucoup d’alcaloïdes : des macamides (amides d’acides gras polyinsaturés à longue chaîne dont le macamide B, une molécule anticancéreuse), des carbolines, des carbazoles, des alcaloïdes de type imidazole (lépidilines), enfin des macapyrolidones. Avec cela, on trouve aussi des lignanes (meyeniines A-C), des polyphénols (flavonoïdes et acides phénoliques), d’autres amides d’acides gras tels que les alkamides, des macaènes (acides gras insaturés), des composés organosulfurés appartenant au groupe des thiocarbamides (macathiouréas A-D), enfin des dérivés de thiohydantoïne.

Dans le cadre naturel qu’elle occupe, la maca présente de très nombreux phénotypes. On en compterait dix-sept dont le noir, le rouge, le jaune, le violet, le gris, le blanc crème, le rose, etc. Cela explique pourquoi l’on parle de « maca noire », de « maca rouge », etc. Sans que cela constitue pour autant des sous-variétés, « la couleur, la taille de l’hypocotyle, le lieu de croissance, la culture et les méthodes de traitement post-récolte peuvent avoir un effet significatif sur le contenu nutritionnel, le profil phytochimique et l’application clinique »2. C’est pourquoi nous allons tout de même communiquer quelques informations allant dans ce sens. L’analyse biochimique montre que des trois macas noire, jaune et rouge, seule la première contient une forte proportion de glucosinolates (1,55 %), alors que dans la maca jaune ce sont les macaènes qui dominent et dans la rouge les macamides. Nécessairement, cela s’en ressent en terme de propriétés et usages thérapeutiques. Sans trop rentrer dans les détails (au risque de faire déborder ici les paragraphes suivants), on peut établir plusieurs traits distinctifs comme suit :

  • maca noire : aphrodisiaque (masculine et féminine), régulatrice du système endocrinien (pancréas, thyroïde), anti-oxydante, remède locomoteur (fracture, ostéomalacie, rachitisme), améliore l’humeur, réduit l’anxiété et la fatigue, permet d’accroître la mémoire, la concentration et l’apprentissage ;
  • maca rouge : tonique de la santé génitale et vésicale (hyperplasie de la prostate), anti-oxydante, anti-inflammatoire, immunostimulante, remède locomoteur (ostéoporose) ;
  • maca jaune : équilibrante hormonale (ménopause entre autres), procure une bonne humeur, tonique sexuelle modérée, accroît la densité osseuse.

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène, anti-oxydante puissante (augmente l’activité du glutathion peroxydase et de la superoxyde dismutase dans le cerveau, le foie et les muscles), antiradicalaire (ABTS, DPPH), lutte contre le stress oxydatif, anti-inflammatoire (augmente la sécrétion d’IL-10 anti-inflammatoire et réduit celle d’IL-1β, IL-2, IL-6, IL-12, IL-17a, TNF-α) neuromodulatrice, améliore les fonctions cognitives (concentration, clarté mentale, mémoire, apprentissage), neuroprotectrice (protection des neurones de la mort cellulaire et des dommages ischémiques3, 4
  • Anti-infectieuse (antivirale, antibactérienne), régulatrice de la réponse immunitaire (immunomodulante)
  • Stimulante hormonale gonadique (testostérone, œstrogène), augmente le nombre et la qualité des spermatozoïdes, améliore la spermatogenèse, favorable à la fertilité masculine et féminine, aphrodisiaque5
  • Améliore la coordination motrice, améliore l’activité musculaire, réduit les dommages causés aux muscles et au cœur durant l’effort (au cours d’un exercice aigu, la maca abaisse l’accumulation d’acide lactique sanguin, d’azote urique sanguin, d’ammoniac sanguin, de lactacte déshydrogénase et amoindrit de beaucoup le stress métabolique), protectrice osseuse, myoprotectrice, anti-fatigue musculaire et osseuse, accroît l’endurance du sportif
  • Anticancéreuse (stimulante de l’apoptose et inhibitrice de la prolifération), antitumorale, antigliomique
  • Anti-thrombotique, activité pro-angiogénique, hypoglycémique, hypocholestérolémiante, réductrice de la bilirubine, de la créatinine et des triglycérides sanguins, accroît les globules rouges et blancs, l’hémoglobine, les lymphocytes et les numérations plaquettaires, anti-hypertensive
  • Favorise l’absorption des nutriments au niveau de l’intestin grêle, promeut l’efficacité pro-cinétique du système gastro-intestinal
  • Renforce les fonctions de la rate
  • Hépatoprotectrice
  • Cicatrisante, protectrice cutanée, photoprotectrice, éclaircit le teint, stoppe la chute des cheveux
  • Inhibitrice de l’acétylcholinestérase et de la butyrycholinestérase

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, troubles de la mémoire, encéphalite, trouble du spectre autistique6
  • Troubles de la sphère génitale masculine : dysfonction sexuelle (dysfonction testiculaire et érectile), azoospermie, asthénospermie, oligozoospermie, amélioration de la fécondité masculine, impuissance, stérilité, manque de libido, infertilité, hypogonadisme tardif, hyperplasie bénigne de la prostate
  • Troubles de la sphère génitale féminine : stérilité, manque de libido (frigidité, frilosité), infertilité, amélioration de la fécondité féminine, syndrome prémenstruel, ménopause (dépression, hypertension, sudation, bouffées de chaleur, chute capillaire d’origine hormonale) ostéoporose post-ménopausique, symptômes physiques et psychologiques de la péri-ménopause
  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires et névralgiques (sciatique), ostéoporose (prévention, amélioration), vieillissement osseux prématuré, rhumatisme, sarcopénie, atrophie et lésion musculaires
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : colite ulcéreuse, indigestion
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : hépatite aiguë, dommage hépatique causé par l’alcool, diabète (et anomalies métaboliques liées au diabète du type II)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : réduction des lésions ischémiques (AVC), lésion cérébrale hypoxique d’origine ischémique et amélioration des troubles neurocomportementaux suite à un tel type de lésion
  • Cancer et perte d’immunité chez le cancéreux
  • Manque de vitalité, asthénie, anémie, léthargie, fatigue persistante (y compris après exercice et infection grippale)

Modes d’emploi

  • Poudre de maca : disponible simple ou mélangée avec d’autres substances végétales (cacao, lucana, ashwagandha, éleuthérocoque, etc.) dont l’identité varie selon le but à atteindre (vitalité, accroissement de la libido, accompagnement du sportif, etc.). On trouve ces poudres en vrac ou sous forme de gélules pré-dosées. Sous ce dernier conditionnement, cela ne pose guère de difficulté d’utilisation. Dans l’autre cas, on place la poudre de maca dans un récipient, puis l’on verse l’eau (ou le liquide autre : jus de fruit, lait végétal, etc.) par-dessus (en faisant l’inverse, l’homogénéité du mélange s’atteint plus difficilement).
  • Extrait standardisé liquide (ampoules) ou solide (gélules, comprimés).
  • Décoction d’hypocotyles de maca : comme il arrive de trouver la maca sous cette forme dans quelques rares boutiques en France, il est possible d’imaginer le mode d’emploi consistant en une décoction (qui reviendrait vite cher). Mieux vaut s’adresser à la poudre de maca afin de tirer le meilleur parti de cette plante et éviter le gaspillage.
  • Aux États-Unis, la firme Nutramedix propose un extrait hydro-alcoolique de maca. A un ou plusieurs moments de la journée, on ajoute dix gouttes dans un demi-verre d’eau à température ambiante.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Après récolte, les paysans andins ne consomment jamais fraîche la maca, car elle serait jugée préjudiciable pour la santé en cet état. Dans tous les cas, il faut tout d’abord la faire sécher – elle devient alors dure comme la pierre – puis lui imposer l’ébullition avant toute consommation alimentaire effective dans diverses préparations, bouillie, soupe ou ragoût par exemple. Ce complément aux repas quotidiens joue aussi le rôle d’édulcorant et d’exhausteur de goût. Sa poudre est encore ajoutée au thé et au café, de façon quasi quotidienne, de préférence le matin.
  • Cette consommation régulière et journalière de la maca dans les Andes a permis de s’assurer du statut non mutagène de cette plante ainsi que l’existence d’effets secondaires et indésirables faibles7. Parmi eux, on a observé des réactions allergiques et quelques désordres gastro-intestinaux. Aussi, faut-il éviter la maca si l’on est déjà sujet aux gaz intestinaux (flatulences) et au ballonnement ? Si tel est cas, ce ne sont pas quelques grammes de glucides supplémentaires qui changeront grand-chose à l’affaire. En revanche, plutôt que de se priver de la maca et de ses bienfaits évidents, peut-être serait-il plus judicieux de songer à soulager son organisme des excès d’hydrates de carbone qu’on lui impose à hautes doses quotidiennement. N’est-ce pas ? ^.^
  • La maca est contre-indiquée en cas de problème thyroïdien.
  • Interaction médicamenteuse : la prise concomitante de maca et d’un antidépresseur du nom de miansérine a pu provoquer le syndrome des jambes sans repos.
  • La maca n’échappe pas à l’adultération, en particulier si elle est conditionnée à l’état de poudre (c’est tellement facile !), de provenance de Chine qui plus est. Parfois, elle est polluée aux métaux lourd comme le plomb. Ainsi, mieux vaut-il s’informer méticuleusement quant à la filière par laquelle on s’approvisionne.
  • Associations : aider la femme à tomber enceinte : maca, gattilier, vitamine B9 ; améliorer l’activité de l’appareil génital masculin : maca et Fagara tessmannii ; amender la dysfonction érectile : maca et ciboulette chinoise (Allium tuberosum).

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  1. Source.
  2. Source.
  3. « Les espèces réactives de l’oxygène augmentent le calcium intracellulaire et améliorent l’ouverture des pores de transition de perméabilité mitochondriale, ce qui entraîne une diminution du potentiel membranaire mitochondrial, la perturbation des mitochondries et la mort des neurones dans les troubles neurodégénératifs » (Source).
  4. « La diminution de la fonction mitochondriale et le déclin de la signalisation de l’autophagie peuvent participer au processus de déclin cognitif lié à l’âge » (Source).
  5. « La maca a amélioré la production et la motilité des spermatozoïdes par des mécanismes non liés à l’hormone lutéinisante sérique, à l’hormone folliculo-stimulante, à la prolactine, à la testostérone et à l’estradiol » (Source).
  6. « Ces résultats révèlent pour la première fois que la maca est bénéfique pour la mémoire sociale et qu’elle rétablit les déficiences de reconnaissance sociale en augmentant les voies neuronales ocytociques, qui jouent un rôle essentiel dans divers comportements sociaux » (Source).
  7. « La présente étude a démontré que l’extrait de maca à des doses allant jusqu’à 5 g/kg (équivalent à l’ingestion de 770 g d’hypocotyles chez un homme de 70 kg) était sans danger » (Source).

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La shatavari (Asparagus racemosus)

La shatavari, que l’on peut rendre plus accessible en lui accordant le nom d’asperge indienne, est l’une des nombreuses herbes précieuses de la médecine ayurvédique. Elle est particulièrement remarquable en ce qu’elle est une plante presque entièrement dévolue aux femmes, puisqu’elle est impliquée dans la fertilité féminine, la lactation, la ménopause, etc.

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : asperge indienne, asperge à grappes, asperge à racèmes, plante aux cents racines, ginseng des femmes.

Affirmer que la shatavari est une préoccupation essentielle pour le sous-continent indien depuis des millénaires apparaît comme une évidence qui coule de source, principalement parce que l’on trouve trace de cette plante dans les très ancestraux Rig-Véda (1 500-900 av. J.-C.) et Atharva-Véda (1 200-1 000 av. J.-C.), soit parmi les plus anciens textes sacrés de l’hindouisme, rédigés en sanskrit. C’est donc, par la suite, assez naturellement qu’on la recroise bien des siècles plus tard dans les compendiums classiques de la médecine ayurvédique que sont la Charaka Samhita et la Sushruta Samhita, contemporaines l’une de l’autre, puis, bien plus tardivement, dans le Sharangdhara Samhita, rédigé au XIIIe siècle par Acharya Sharangdhara, simplificateur de la médecine ayurvédique en ce qu’il tira d’anciens volumes complexes de quoi établir des traités plus brefs et faciles à lire, ce qui popularisa davantage la médecine ayurvédique auprès du plus grand nombre. De cette lointaine époque de l’Antiquité ayurvédique, émane la réputation de la shatavari qui permettrait, dit-on, de « guérir une bonne centaine de maladies ». Si l’on consulte ses relations aux doshas, on constate que la shatavari équilibre Pitta, calme et régénère Pitta et Vata. Si l’on observe un peu plus attentivement la littérature ayurvédique, l’on se rend compte que la shatavari est présente dans de nombreuses formulations ayurvédiques et conviée pour une foule d’affections. Dire tout d’abord qu’elle a été rangée au nombre des rasayanas devrait nous donner quelques premiers indices. Il s’agit d’un « groupe de médicaments végétaux qui améliorent les mécanismes de défense de l’organisme, favorisent la santé physique et mentale, ainsi que la force et la longévité. Les objectifs des rasayanas comprennent vayasthapana (retarder le vieillissement), ayukaram (améliorer la durée de vie), medhabalakaram (promouvoir l’intellect, la mémoire et la force physique) et rogapaharanasamartha (augmenter la résistance de l’organisme face aux maladies) »1. Dans ce sens spécifique, certaines formulations ont été élaborées comme, par exemple, brahma rasayana, qui permet une meilleure gestion de l’anxiété, de la fatigue et de la faiblesse, mais également de se prémunir des infections, ou encore saraswatharishta, impliquée dans les troubles psychiques et neuronaux. L’on voit poindre, en filigrane, le futur statut d’adaptogène que la science moderne appliquera beaucoup plus tard à la shatavari. Bien souvent, une plante donnée ne se contente pas d’agir, comme l’on s’en doute, dans le seul pré carré dans lequel on l’a semée. C’est parce que l’on ne s’est pas contenté d’observer ce seul statut de rasayana, que l’on sait que la shatavari est aussi diurétique, stomachique (dyspepsie, diarrhée, dysenterie), remède hépatique, antitumoral et ostéoarticulaire. Expliquons maintenant pourquoi la Charaka Samhita considère la shatavari comme aphrodisiaque. Non seulement rasayana, la shatavari se paie le luxe d’être aussi un vajikaran, autrement dit une plante largement usitée dans la santé sexuelle et reproductrice des femmes, mais aussi dans celle des hommes, bien que dans une mesure moindre. (L’on peut dire qu’elle est aux femmes ce que l’ashwagandha est aux hommes.) Elle restaure la fertilité masculine en augmentant la quantité de spermatozoïdes ainsi que leur motilité. Il existe, par exemple, une combinaison ayurvédique nommée phalaghrita qui unit plusieurs ingrédients dont le lait, le ghee et le suc de shatavari entre autres. Elle est destinée aussi bien pour lutter contre l’infertilité féminine, que pour stimuler la spermatogenèse. Régénératrice de la fertilité féminine, la shatavari s’attaque donc aux troubles du système reproducteur de la femme, amoindrit le syndrome prémenstruel, assagit les effets pénibles de la ménopause, endigue bon nombre de maladies typiquement féminines, enfin stimule la lactation, chose confirmée par l’Ayurvéda qui considère cette plante comme un excellent galactogène. Comme souvent à notre époque moderne, l’on ne peut plus considérer une donnée plurimillénaire sans au moins sourciller ou émettre de profonds doutes quant à la véracité des informations divulguées par les anciens traités médicaux, qu’ils soient ayurvédiques ou autres. L’on s’impose donc de les passer soigneusement à la moulinette scientifique (sait-on jamais, que les Anciens ne racontent que des sottises !). A la lecture des études scientifiques récentes des vingt dernières années, j’ai pu faire le constat suivant : les chercheurs sont moins empressés de reconnaître à la plante son statut de rasayana que son implication vraisemblablement manifeste auprès des femmes, qui lui a valu le surnom de reine des herbes et grande amie de la femme. Oui, expliquons maintenant, grâce aux données scientifiques disponibles, en quoi la shatavari est une bénédiction pour la femme a (presque) toutes les étapes de son existence. A commencer tout d’abord par son nom : shatavari. Que signifie-t-il ? Eh bien, selon la plupart des articles compulsés pour établir cette monographie, j’ai eu droit à cette traduction : « celle qui a des centaines de maris ». J’allais m’en contenter lorsque j’ai découvert dans un article paru en 2016 dans le journal édité par ayurpub.com une traduction qui change nettement de perspective : « Le nom shatavari signifie ‘une femme qui possède cent enfants’, en référence à l’effet de rajeunissement que la shatavari applique aux organes reproducteurs féminins »2. On m’objectera bien que pour avoir cent enfants cent maris sont plus pratiques qu’un seul !… ^.^ A moins qu’il ne bénéficie, lui aussi, du secours de la shatavari et de quelques autres plantes adaptogènes consacrées à cette situation. Bref. En attendant, « la femme qui possède cent maris » nous impose de donner une explication un peu bancale telle que voici : ce rasayana féminin serait si puissant qu’il permettrait à la femme de déployer de telles capacités fertilisantes qu’une centaine d’hommes parviendraient tout juste à satisfaire cette puissance génésique. Bien, ceci étant dit, passons-en aux faits. Des molécules exerçant une activité phyto-œstrogénique ont été découvertes dans la shatavari : « Les phyto-œstrogènes sont des composés végétaux structurellement et fonctionnellement similaires aux œstrogènes ovariens et placentaires […]. Les phyto-œstrogènes affectent la régulation des cycles ovariens et œstrogéniques chez les mammifères femelles. Ils favorisent la croissance, la différenciation et les fonctions physiologiques du tractus génital féminin, de l’hypophyse, du sein et de plusieurs autres organes et tissus chez les deux sexes »3. Restauratrice de la fertilité, la shatavari peut-elle véritablement aider les femmes à tomber enceinte ? Oui ! Tout d’abord parce qu’agissant sur le système hormonal, qu’elle équilibre, elle favorise l’ovulation. Comme la shatavari est aussi un rasayana, qu’elle lutte contre le stress oxydatif (de par ses qualités anti-oxydante et antiradicalaire), elle autorise la femme à se réapproprier une posture propice à la grossesse. Dans nos sociétés modernes, folles, stressées et polluées, le stress oxydatif a vite fait de venir perturber ce château de cartes qu’est la balance hormonale. On sait parfaitement aujourd’hui que « l’augmentation du stress oxydatif peut affecter la physiologie des ovaires, la qualité des ovocytes et provoquer des troubles de la santé reproductive féminine »4. Non seulement la shatavari peut rétablir des fonctions reproductives déréglées en abaissant le niveau de stress oxydatif (action secondée par un apport d’anti-oxydants et une alimentation idoine, entre autres), mais elle peut aussi soulager cette affection dramatique qu’est le syndrome ovarien polykystique (SOPK), qui est bien plus qu’une simple perturbation de la balance hormonale, puisqu’elle confine, entre autres, à l’anovulation5. De même qu’elle agit sur les glandes sexuelles féminines, la shatavari porte aussi son action sur les glandes mammaires, dont elle augmente la lactation. Mais « la shatavari augmente-t-elle la taille des seins ? […] Si elle est prise comme recommandée, la shatavari est une excellent moyen d’augmenter naturellement la taille des seins d’une femme. Elle est considérée comme l’un des meilleurs moyens ayurvédiques pour la prise de volume du sein »6. Enfin, après avoir fait le bonheur de la femme enceinte et de celle qui allaite, la shatavari est « également utile pour les femmes présentant des symptômes de ménopause tels que la sécheresse vaginale, le manque de libido et la peau sèche »7. N’est-ce point édifiant ? Si la shatavari l’est pour le cœur, multipliant l’amour, la passion et la dévotion, il n’y a pas de raison pour qu’elle n’accroisse pas en le cœur et le corps de la femme le berceau de la vie qu’elle porte en elle. Peut-être que cela entretient un rapport avec le fait que la shatavari renforcerait la connexion entre le corps, l’âme et l’esprit, que ce que l’esprit désire le corps l’accueille sous la forme d’un « nouveau-à-naître ». En tous les cas, elle n’a pas attendu qu’on lui assigne une renommée de plante de la femme pour prodiguer ses bons offices : on dit de cette plante qu’elle favorise la tolérance et la compassion. Comment pourrait-il en être autrement pour une femme enceinte ou celle qui désire l’être ? En Inde orientale, elle faisait davantage encore, puisque cette plante à vocation religieuse protégeait ses adorateurs des mauvais esprits. Que celles qui souhaitent s’en remettre à la shatavari sachent qu’elles seront ainsi préservées des mauvaises langues qui ne manqueraient pas de sortir de leur boîte pour darder leur venin…

La shatavari est une plante vivace dont la base ligneuse dissimule un chevelu racinaire fibreux et un faisceau composé d’une centaine de racines fusiformes, en tout point semblable à une botte de carottes serrées au collet par une ficelle. Ces racines tubéreuses s’enfoncent dans le sol à au moins 30 cm de profondeur et vont parfois bien au-delà (100 cm). Cet arrimage terrestre permet à la plante d’ériger des rameux aériens qui font de cette asparagacée une grimpante de deux à quatre mètres de hauteur : bien que délicats et cassants, ses rameaux couverts de forts aiguillons assurent à la plante son ascension en utilisant les arbustes environnants comme support de sa croissance verticale. Une profusion de petites feuilles en « aiguilles de sapin » vert brillant donnent à cette plante une allure très touffue qui n’invite pas à y plonger la main, car qui sait si elle ne rencontrerait pas sur son chemin l’un de ces éperons acérés ? Mieux vaut alors la toucher seulement avec les yeux, comme aux mois de février et mars, par exemple, période de l’année à laquelle la shatavari se couvre de racèmes de petites fleurs blanches à six pétales et six étamines, très parfumées, lesquelles produisent à maturité des baies globuleuses rouges.

La shatavari est une habituée des climats tropicaux, subtropicaux et quasi arides. Cela explique que l’on puisse aussi bien la dénicher en plein soleil autant qu’au sein des zones ombragées de la jungle tropicale humide. Souvent circonscrit à l’Inde seule de par son histoire ayurvédique, le territoire de la shatavari déborde pourtant très largement les contours de ce pays : elle s’étale, à l’ouest, depuis l’Afrique tropicale, trace un arc de cercle qui passe par le sous-continent indien, poursuit sa course en traversant l’Asie du Sud-Est et achève sa progression à la Malaisie et à l’Indonésie.

Il aurait été bien surprenant qu’une plante utilisée depuis des milliers d’années par une succession de générations affiche aujourd’hui une santé écologique reluisante. Mais il n’y a pas de miracle : si l’on prélève plus que la plante est capable de régénérer, elle finira par disparaître. Une récente étude (2023) fait savoir que la shatavari est actuellement menacée dans son milieu naturel. Il n’y a pas que sa récolte « sauvage » qui soit responsable de cette destruction, celle de son habitat par la déforestation y est aussi pour beaucoup. « Comme les plantes largement utilisées succombent facilement aux menaces de la surexploitation, elles ont besoin de protocoles et de lignes directrices spéciales pour leur conservation génétique »8. Heureusement pour elle (et pour nous…), la shatavari est cultivée en divers endroits du sous-continent indien (Sri Lanka, plateaux himalayens, etc.).

La shatavari en phytothérapie

Le surnom de « plante à cent racines » parfois associé à la shatavari nous indique de quoi est constitué la matière médicale offerte par cette plante : les longues racines tubérisées dont nous avons parlées dans la section botanique précédente. Cette racine est à la fois douce et très amère, ce qui pose quelques problèmes de palatabilité ^.^ Cette douceur est assurée par une certaine proportion de glucides complexes tels que les polysaccharides et les fructo-oligosaccharides, ainsi qu’une bonne part de mucilage. Quelques acides gras et acides aminés (tyrosine, arginine, asparagine) s’ajoutent à cette fraction glucidique. S’il s’agissait d’exposer le portrait biochimique d’une asperge comestible que nous connaissons mieux sous nos latitudes, c’est-à-dire Asparagus officinalis, nous aurions immanquablement évoqué vitamines et sels minéraux. Mais, pour l’heure, il y a mieux à faire (même si nous ne négligerons pas ces deux types d’éléments un peu plus loin). Non, avant même que de parvenir à cette extrémité, il nous faut faire mention de ce qui caractérise en propre la shatavari : des saponosides stéroïdiennes (shatarosides, shatavarines – dont la « célèbre » shatavarine IV –, asparosides, immunosides, filiasparosides, furo-asparosides, asparacémosones, asparanine, protodioscine…) et des sarsasapogénines. Après cela, il reste tout de même peu de place pour les polyphénols (flavonoïdes et isoflavones : quercétine, rutine, myricétine, kaempférol, naringénine, liquiritigénine ; acides phénoliques : acide p-couramique, acide caféique ; tanins : acide gallique). Viennent ensuite des phytostérols (β-sitostérol, stigmastérol), des carotènes (β-carotène, zéaxanthine, violaxanthine) et enfin des vitamines (provitamine A, vitamines B1, B2, B9, C, E) et oligo-éléments (fer, zinc, cuivre, manganèse, cobalt, sodium, potassium, calcium, lithium, magnésium, phosphore, sélénium). Remarquons, pour finir sur la question de la composition biochimique de la racine de shatavari, un triterpène pentacyclique que nous avons déjà croisé par ailleurs, l’acide ursolique, ainsi qu’un alcaloïde du nom d’asparagamine.

Bien que propriétés et usages thérapeutiques nous mènerons à aborder exclusivement ce qui se rapporte aux racines, profitons tout de même pour signaler que la recherche scientifique s’est attardée à décortiquer les autres fractions végétales de cette asperge indienne. Dans les fleurs et les fruits mûrs, on a découvert des sarsasapogénines et des flavonoïdes bien connus (rutine, quercétine, hyperoside). Dans les seuls fruits, on a encore décelé la présence de saponines stéroïdiennes (racémosides A, B et C), des sapogénines twospirostonaliques et furostanoliques. Les feuilles, moins étudiées, ont pourtant fait mention d’un pouvoir antifongique non négligeable sur différents champignons, ainsi que des effets anticancéreux et antiprolifératifs. A creuser, donc. Ce qui serait souhaitable, d’autant plus qu’à cette plante menacée l’on ne conserve que les racines et l’on dédaigne toutes les parties vertes aériennes qui sont donc gâchées après la récolte.

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène (augmentation de l’énergie, de la force, de l’endurance et des performances physiques, amélioration de la mémoire, meilleure rétention des informations, apprentissage favorisé), nootrope, ergogénique, neuroprotecteur (restauration des neurotransmetteurs perturbés, inhibition des dommages neuronaux oxydatifs, anti-amyloïdogène), favorise la neurogenèse et la neuroplasticité, anxiolytique, antistress, antidépresseur (abaisse les niveaux de cortisol et de noradrénaline, augmente ceux de dopamine et de sérotonine)
  • Immunomodulatrice, adjuvante de l’immunité9, potentialise les cellules NK10, anti-infectieuse (antibactérienne sur Escherichia coli, Shigella dysenteriae, S. sonnei, S. flexneri, Vibrio cholerae, Salmonella typhi, S. typhimurium, Pseudomonas putida, Bacillus subtilis, Staphylococcus aureus ; antifongique sur Candida sp. ; antivirale), lutte contre les co-infections en raison de l’immunosuppression liée au cancer, au VIH, etc.
  • Anticancéreuse, cytotoxique, inductrice de l’apoptose, accompagne les traitements de chimiothérapie conventionnels
  • Anti-oxydante, antiradicalaire (superoxydes, hydroxyles, DPPH), chélatrice des ions métalliques, inhibitrice de la peroxydation lipidique, anti-inflammatoire (IL-1β, TNF-α)
  • Hépatoprotectrice, abaisse les taux de glucose, de créatinine, d’azote urique et de triglycérides dans le sang
  • Stomachique, carminative, gastro-protectrice, tonique gastrique (sécrétion de mucus, protection des cellules gastriques), apaisante de la muqueuse gastrique, accélère la vidange gastrique, antiseptique digestive, réduit la motilité gastro-intestinale ainsi que la fréquence des selles, amoindrit la déshydratation intestinale
  • Diurétique, protectrice face à la formation de lithiase urinaire
  • Aphrodisiaque (?), améliore la libido et la santé sexuelle, trophorestauratrice de l’appareil reproducteur féminin, utérotonique, action œstrogénique sur les glandes mammaires (galactogène), action œstrogénique sur l’appareil génital féminin, augmente la sécrétion d’estradiol et de progestérone, régulatrice du cycle menstruel, promeut la fertilité féminine et masculine, favorise la spermatogenèse, retarde l’éjaculation
  • Soutient la bonne santé cardiovasculaire, dépurative sanguine
  • Tonique pulmonaire, antitussive
  • Antispasmodique
  • Inhibitrice de la tyrosinase, de l’acétylcholinestérase et de la butyrycholinestérase
  • Tonique du système tégumentaire

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, dépression unipolaire11, troubles neurodégénératifs (maladies d’Alzheimer et de Parkinson), épilepsie (amélioration des symptômes), syndromes de sevrage alcoolique (convulsions, hallucination, tremblements), amnésie et troubles de la mémoire, insomnie (retrouver un sommeil sain et réparateur)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : polyurie, micro-albuminurie, atténuation de l’hypertrophie rénale, cystite, urétrite, goutte, rhumatisme
  • Troubles locomoteurs : ostéoporose et sarcopénie post-ménopausiques (par déficience en estradiol), raideur cervicale, douleur articulaire, spasmes musculaires12
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie fonctionnelle, ulcère gastrique, colite ulcéreuse et autres inflammations gastriques, hyper-acidité gastrique, brûlure d’estomac, irritation gastrique causée par l’aspirine et l’alcool, inappétence, indigestion, colique, diarrhée, dysenterie, spasmes intestinaux, relâchement intestinal (par manque de tonus), hématémèse
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux d’irritation, muqueuse, d’expectoration difficile, inflammation pulmonaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : syndrome prémenstruel, saignement utérin dysfonctionnel, ménorragie, dysménorrhée, endométriose, SOPK, atonie de l’appareil reproducteur féminin, infertilité, menace de fausse-couche et d’avortement, symptômes de la ménopause (déprime, insomnie, prise pondérale, irritabilité, douleur osseuse et articulaire, sudation, bouffées de chaleur)
  • Troubles de la sphère génitale masculine : impuissance, infertilité, gonorrhée
  • Cancer (sein, ovaire), chimiothérapie (patients immunodéprimés), myélosuppression
  • Anémie, faiblesse générale, convalescence
  • Affections cutanées : furoncle, plaie, ulcère, herpès, pellicules
  • Diabète de type II
  • Profitable en cas de VIH, maladies auto-immunes, infections à Epstein-Barr, leishmaniose
  • Maux de tête
  • Fièvre

Modes d’emploi

  • Poudre de racines : certains préconisent jusqu’à 20 g quotidiens (?). Elle se présente sous forme libre en vrac ou bien en gélules et capsules. On peut l’administrer seule ou accompagnée (d’autres plantes adaptogènes ou pas), selon les besoins, par prise d’une demie-cuillerée à café mélangée à du lait chaud ou à du ghee, mode d’emploi couramment usité par la médecine ayurvédique. On peut en améliorer le goût par adjonction de miel.
  • Décoction de poudre de racine : comptez deux cuillerées à café de poudre de shatavari dans un demi-litre d’eau. Faites mijoter à feu doux pendant un quart d’heure, puis infuser hors du feu et à couvert pendant trois quarts d’heure.
  • Extrait sec standardisé à haute teneur en saponines stéroïdiennes (30 %).
  • Teinture hydro-alcoolique : 20 gouttes par prise à trois moments distincts de la journée.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : chaque année, en mai-juin, on déchausse du sol les racines qui ont passé au moins trois années en terre. On les brosse vigoureusement, puis on les débite en rondelles avant de les exposer en plein soleil. On les utilise tel quel ou bien une fois qu’on les a moulues finement, c’est-à-dire sous la forme qu’on leur connaît principalement en Europe.
  • La consommation régulière de shatavari n’expose pas à des effets secondaires notoires. Cette plante peut néanmoins provoquer des réactions allergiques pulmonaires ou cutanées dans quelques rares cas. L’utilisation de cette plante doit être évitée chez les personnes ayant des problèmes rénaux et/ou cardiaques, ainsi que celles souffrant d’obésité. On a pu dire plus haut que la shatavari était fort utile à tous les âges de la vie des femmes. C’est une formule qui exagère quelque peu les prétentions gynophiliques de cette plante. Effectivement, l’on met généralement en garde les femmes enceintes contre l’emploi de la shatavari. Si un usage doit être envisagé dans ce cas, il se doit d’être très prudent, car exposer longuement le fœtus à cette plante peut être dommageable pour lui. A l’inverse de cette précaution, j’ai pris connaissance dans un article récent (2023) du fait que la haute teneur de la shatavari en acide folique en encourageait l’utilisation auprès de la femme enceinte, parce que la vitamine B9 est un élément essentiel à la bonne croissance du fœtus. Dans le doute, on peut s’adresser à d’autres aliments tels que les légumes à feuilles vertes, bon nombre de fruits, le jaune d’œuf ou encore les crevettes qui sauront subvenir aux besoins en vitamine B9 de la femme enceinte.
  • Adultération : si l’on peut échanger sans risque et sans perte d’effets Asparagus racemosus avec A. cochinchinensis, en revanche l’on confond volontairement la shatavari avec A. sarmentosus et d’autres plantes proches telles que A. filicinus, A. curillus, A. sprengeri, etc., mais que l’on vend sous l’étiquette « shatavari ». La méfiance est donc de rigueur vis-à-vis des canaux d’approvisionnement.
  • La racine est prisée comme aliment dans différents endroits du monde. « Les jeunes pousses tendres de shatavari peuvent être bouillies ou cuites à la vapeur comme légume, ou elles peuvent être consommées crues dans les salades. Une confiture préparée à partir des pousses blanchies est dite très agréable, et le tubercule peut être confit comme une viande sucrée. Shatavari est généralement bouilli avec du lait, du ghee et du gingembre, de la cannelle ou de la cardamome pour augmenter ses propriétés toniques. Les graines torréfiées ont été utilisées comme substitut du café »13.
  • Associations : elles sont nombreuses. Dans une visée strictement adaptogène, la shatavari se trouve bien accordée avec le ginseng (Panax ginseng). Concernant l’anémie et la déficience (carences, manque d’énergie) chez la femme (règles, ménopause, etc.), une association avec le codonopsis (Codonopsis pilulosa) et l’ashwagandha (Withania somnifera) est profitable.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. Source.
  5. « Une maladie endocrino-métabolique relativement fréquente appelée syndrome ovarien polykystique (SOPK) est caractérisée par des ovaires polykystiques, une anovulation persistante et un hyperandrogénisme, qui provoquent des symptômes tels que des règles irrégulières, l’infertilité et l’hirsutisme. Le SOPK est lié à l’obésité, à la résistance à l’insuline et à l’augmentation des quantités d’androgènes ou d’hormones mâles. Le mode de vie sédentaire, les fluctuations alimentaires, l’inactivité et le stress sont d’autres variables contributives » (Source).
  6. Source.
  7. David Winston, Adaptogens. Herbes for strength, stamina and stress relief, p. 139.
  8. Source.
  9. « L’étude indique l’effet potentiel de l’Asparagus racemosus comme adjuvant pour la stimulation de la réponse immunitaire cellulaire en plus de générer une réponse adaptative soutenue sans aucun effet indésirable » (Source).
  10. «  Les résultats indiquent que les fructo-oligosaccharides d’Asparagus racemosus potentialisent l’activité des cellules NK » (Source).
  11. « Le trouble dépressif majeur est une maladie neuropsychiatrique et neurodégénérative multimodale caractérisée par une anhédonie, une mélancolie continue, un rythme circadien dysfonctionnel et de nombreuses autres infirmités comportementales » (Source).
  12. « Nos analyses indiquent que la shatavari peut soutenir les réponses d’adaptation musculaire à l’exercice. Ces données fournissent des indications utiles pour l’étude future de l’utilité de la shatavari dans la conservation et l’amélioration de la fonction musculo-squelettique à un âge plus avancé » (Source).
  13. David Winston, Adaptogens. Herbes for strength, stamina and stress relief, p. 400.

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L’eucalyptus citronné (Corymbia citriodora)

La composition biochimique de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné est si distincte de celles issues des grands cousins de cet arbre (eucalyptus globuleux et eucalyptus radié), qu’on ne peut assurément pas la mettre dans le même panier. D’ailleurs, pour marquer cette différence, l’eucalyptus citronné a changé de genre, passant d’Eucalyptus à Corymbia, qui regroupe des arbres quasiment tous endémiques à l’Australie.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Si les eucalyptus sont des arbres typiques de l’Australie et de la Tasmanie, l’eucalyptus citronné est originaire du Queensland, zone située au nord-est de l’Australie. Il a été, comme tant d’autres espèces végétales, « découvert » par les colons au XVIIIe siècle. En 1768-1771, eut lieu le premier voyage de James Cook dans l’océan Pacifique. Le naturaliste Joseph Banks, qui faisait partie de l’équipage, préleva des échantillons. Un botaniste français, Charles Louis L’Héritier de Brutelle, avec lequel Banks correspondait, décida de le nommer eucalyptus en 1789, c’est-à-dire le « bien caché ». Cela ne saurait pourtant pas faire oublier les usages aborigènes ancestraux de cet arbre et de ses cousins.

Moins grand par la taille que l’eucalyptus globuleux, l’eucalyptus citronné peut tout de même atteindre vingt bons mètres de hauteur. Sans doute que sa silhouette élancée le fait paraître plus grand qu’il ne l’est en réalité. Son fût bien droit est dominé par une couronne aérienne constituée de branches à l’écorce blanche mouchetée de rose. Le tronc principal est l’objet de desquamations importantes (cf. niaouli, platane, etc.) : de longs rubans typiques se détachent en lambeaux papyracés. L’eucalyptus citronné pèle comme un serpent à la peau psoriasique.

Les rameaux rougeâtres de l’eucalyptus citronné portent au moins trois stades différents de feuillage :

  • Tout d’abord les feuilles juvéniles couvertes de trichomes résineux : elles sont fines et opposées.
  • Puis les feuilles intermédiaires : devenant alternes, elles s’allongent et s’épaississent, mais restent moins élancées que celles qui leur succèdent.
  • Les feuilles adultes : nues et glabres, elles sont encore plus effilées que les précédentes (15 cm de long sur 2 cm de large). De couleur vert franc, elles sont attachées aux rameaux à l’aide de pétioles orangés du plus bel effet.

Les fleurs sans pétales de l’eucalyptus citronné sont en revanche bourrées d’étamines de couleur blanc crémeux. Elles génèrent par la suite de petits bouquets de fruits, capsules ligneuses qui forment comme des urnes brunes.

En cas d’incendie ou de tempête, l’arbre se régénère facilement à partir du sol grâce à ses lignotubers : il s’agit de réserves nutritives enterrées qui assurent la régénération de nouvelles pousses basales (et donc de futurs arbres) si jamais l’arbre d’origine venait à subir quelque avarie grave.

Aujourd’hui, cet arbre est naturalisé et cultivé en bien des endroits du monde : Asie (Chine, Inde, Vietnam), Amérique du Sud (Brésil, Chili), Afrique (Madagascar, Tunisie, Algérie), etc.

L’eucalyptus citronné en aromathérapie

Comme nous l’indique aisément son nom latin, cet eucalyptus se singularise par l’odeur citronnée qu’il propage : elle devient particulièrement marquée lorsqu’une de ses feuilles vient à être froissée. On la perçoit même en caressant seulement le limbe d’une feuille du bout du doigt (j’ai récemment rencontré un petit spécimen de cet arbre chez un pépiniériste, alors j’ai fait l’essai de la caresse). Sans trop grand risque d’erreur, dire de cette huile essentielle qu’elle sent le citron nous rapproche plus de la réalité que cela nous en éloigne. Mais, alors, il s’agirait d’un drôle de citron !… Acidulé, certes, mais, pour peu qu’on insiste, l’odeur tourne au liquoreux et au sirupeux, limite écœurante avec ses notes « rosées » à l’arrière-plan. C’est cela qui fait que le parfum de cette huile essentielle n’est pas aussi « frais » qu’on le voudrait, comme si il était plombé par une touche terreuse que l’on ne trouve pas dans l’essence de citron. Comme si le citron, auquel on s’est référé pour la nommer, se trouvait enfermé dans une gangue terreuse qui en emprisonnerait les effluves. Effectivement, il est impossible de découvrir dans cette huile essentielle la légèreté qui transparaît dans l’essence de citron. Sans doute parce que la composition biochimique de cette huile essentielle (aldéhydes terpéniques dominants) la rattache à l’élément Terre, tandis que le citron est, quant à lui, d’essence aérienne. Simon Lemesle, le patron d’Astérale, a parfaitement conscience de cette lourdeur olfactive, qu’il explique en ce sens : « On lui reproche souvent son odeur, ce qui est généralement dû à la faible qualité des productions disponibles sur le marché. » Généralement, on récolte l’eucalyptus citronné par temps clair, et l’on s’abstient de le faire les jours pluvieux et nuageux. Avant toute distillation, on écarte les trop gros rameaux, ne conservant que ceux dont le diamètre est inférieur à celui d’un crayon à papier, dans un rapport feuilles/rameaux de 7:3. Puis, sans plus tarder on distille ces rameaux porteurs de feuilles adultes (elles concentrent une plus forte teneur en essence). Procéder immédiatement, évite une trop forte évapotranspiration de l’essence, de même que la dégradation de sa qualité par un préfanage préalable trop long et contre-productif. Tout au contraire, Simon Lemesle a décidé de distiller uniquement les seules feuilles sans rameaux et en leur imposant un temps de distillation plus long. Selon les méthodes, on obtient 150 à 250 litres d’huile essentielle à l’hectare, soit un rendement qui varie de 0,5 à 4 % (parfois jusqu’à 7 % !). Incolore à jaune pâle (avec, parfois, des reflets verdâtres), l’huile essentielle d’eucalyptus citronné possède une densité assez basse, de l’ordre de 0,86 à 0,88. Quand on en observe d’un peu plus près la composition biochimique générale, on constate que certaines molécules ont emprunté leur nom au citron :

  • Aldéhydes terpéniques : 65 à 85 % dont citronnellal (70 %) ;
  • Monoterpénols : 15 à 20 % dont citronnellol (7 %), isopulégol (6 %), néo-isopulégol (3 %) ;
  • Esters : 5 % ;
  • Monoterpènes : 3 % ;
  • Sesquiterpènes : 2 %.

Concernant la molécule majoritaire, sa proportion varie principalement selon le terroir : 85 % en Chine, 80 % au Brésil contre « seulement » 65 % à Madagascar. On la rencontre aussi en masse dans l’huile essentielle de citronnelle de Java (30 %). Quant au citronnellol, on en trouve également dans l’huile essentielle de géranium bourbon (33 %). En revanche, du côté de l’eucalyptol, alias 1.8-cinéole, on n’en trouve pas trace.

J’ai estimé le prix moyen de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné biologique à 7 € les 10 ml. Mais cela étant très variable, il peut lui arriver d’osciller de 4 à 14 €. On voit trop d’huiles essentielles d’eucalyptus citronné sur le marché à moins de 5 € les 10 ml. Ce ne sont pas celles qui sont de meilleure qualité, même d’origine biologique. Payer le double de cette somme pour une qualité supérieure ne me semble pas exagéré.

Propriétés thérapeutiques

L’eucalyptus citronné, contrairement au globuleux et au radié, est un eucalyptus sans eucalyptol, autrement dit 1.8-cinéole de nos jours. 1 % à la rigueur qui se balade par-ci par-là. Et encore. Il ne faudra pas s’attendre à en faire une huile essentielle à visée respiratoire comme c’est le cas des deux autres eucalyptus cités ci-dessus et du ravintsara, entre autres. Du moins sur les voies respiratoires inférieures sur lesquelles elle est quasiment inopérante, au contraire des voies respiratoires supérieures où elle tire davantage son épingle du jeu. Cependant, il faut s’en faire l’aveu : le domaine de prédilection de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné, ce sont les muscles, les tendons, les os, etc., et particulièrement les douleurs qui les affligent. C’est donc une huile locomotrice.

  • Anti-infectieuse : antivirale légère, antibactérienne (Staphylococcus aureus, Bacillus subtilis, Escherichia coli, Rhizopus solani), antifongique (Aspergillus niger, A. terreus, A. nidulans, A. flavus, A. fumigatus, Malassezia furfur, champignon responsable de mycoses dont pityriasis versicolor), antiseptique atmosphérique ; antiparasitaire, anthelminthique, acaricide, insectifuge, larvicide (Aedes aegypti)
  • Anti-inflammatoire puissante, antalgique, analgésique, anti-rhumatismale
  • Antispasmodique légère
  • Expectorante, décongestionnante du nez et des sinus
  • Régulatrice pancréatique
  • Sédative, calmante, aide à la concentration, rafraîchit l’esprit (clarté mentale), relaxante, anxiolytique, hypotensive, régulatrice du système nerveux central, négativante
  • Cicatrisante puissante, décongestionnante cutanée, apaisante cutanée
  • Antiradicalaire (superoxydes, radicaux peroxyles, ABTS), inhibe l’oxydation de l’acide linoléique

Usages thérapeutiques

  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires (arthrite cervicodorsale, arthrose, polyarthrite rhumatoïde), rhumatismales, musculaires (tension, élongation, déchirure, contracture, courbature liée à l’effort ou par infection : covid-19, grippe, etc.), tendineuses (tendinite aiguë et chronique, inflammation du tendon d’Achille), névralgiques (sciatique), torticolis, dorsalgie, fibromyalgie, entorse, lumbago, épicondylite latérale du coude, algodystrophie de la cheville, inflammation des fascias plantaires ; pour les sportifs et les marcheurs au long cours : application sur les jambes et les fascias plantaires avant et/ou après effort
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, coronarite, péricardite, jambes lourdes, phlébite
  • Troubles de la sphère respiratoire : sinusite chronique, toux, rhume, congestion nasale, bronchite
  • Affections cutanées : démangeaison, mycose (pied d’athlète), zona, prurit, piqûres d’insecte, acné
  • Troubles de la sphère gynécologique : vaginite, leucorrhée
  • Troubles du système nerveux : trouble du sommeil, stress, anxiété, agitation, énervement
  • Moustiques, poux des volailles, tiques, acariens des maisons, ascarides
  • Diabète
  • Cystite

Propriétés énergétiques et psycho-émotionnelles

Ne contenant pas d’oxydes (1.8-cinéole en l’occurrence), l’eucalyptus citronné est donc largement moins asséchant que ses cousins myrtacés que sont E. globulus et E. radiata, autres ravintsara (Cinnamomum camphora) et saro (Cinnamosma fragrans), pour n’en citer que quelques-uns, chez qui la grosse proportion d’eucalyptol absorbe les excédents d’eau pulmonaire. Comme nous l’avons vu, la composition biochimique de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné ne lui permet pas de les égaler à ce propos. Mais il est en revanche excellent sur d’autres points vis-à-vis desquels les quatre autres sus-nommés peinent à offrir une quelconque satisfaction.

J’ai lu quelque part (sur le site d’Herbes & Traditions), que l’huile essentielle d’eucalyptus citronné permet de « calmer les tempéraments sanguins ». Cela peut paraître banal comme ça, mais je vais expliquer ici pourquoi je suis d’accord avec ce constat. Sanguin, cela correspond à l’une des quatre humeurs telles que définies comme suit depuis le temps d’Hippocrate :

  • Quatre éléments : Terre, Eau, Feu, Air
  • Quatre natures : froid, sec, humide, chaud

Les quatre humeurs s’obtiennent en unissant deux natures entre elles :

  • Froid et sec : atrabilaire
  • Froid et humide : lymphatique
  • Chaud et sec : colérique
  • Chaud et humide : sanguin

Une évidence : l’huile essentielle d’eucalyptus citronné, attachée à l’élément Terre, considérée comme froide et sèche, compense et réduit les excès du tempérament diamétralement opposé à l’humeur atrabilaire, c’est-à-dire les sanguins, parmi lesquels nous trouvons les trois signes astrologiques pilotés par l’Air que sont les Gémeaux, la Balance et le Verseau. Dans le cas où une personne, appartenant à l’un de ces trois signes, devient exagérément volatile et bouillonnante, il est bien probable que l’eucalyptus citronné viendra mitiger ses ardeurs. Ces excès dans le tempérament peuvent s’exprimer à travers une animosité soudaine qui dénote un manque de contrôle de soi, un sursaut émotionnel incoercible, ou bien sont visibles par le biais de décisions prises à la va-vite et de façon souvent irréfléchie.

Ainsi peut-on affirmer que cette huile essentielle est favorable à la réflexion détendue, à l’instauration d’un sentiment qui permette de relativiser en toute quiétude, comme si elle repoussait des frontières illusoires placées trop près de nous, des restrictions opprimantes qui nous garrotteraient dans nos actions, ce qui, in fine, deviendrait source d’agacerie et d’agitation, deux effets indésirables beaucoup plus prompts à se manifester chez le sanguin pour lequel, généralement, le sang, comme le veut l’expression, ne fait qu’un tour. Mais celui-ci doit apprendre à se dominer : la Balance doit demeurée équilibrée, de même que les Gémeaux qui ne sont pas un signe double pour rien. Quant à l’échanson céleste… qu’adviendrait-il s’il ne parvenait pas à réguler le débit de son amphore le plus justement possible ? On observerait le même genre de désastres tels que relatés dans certains épisodes célèbres de la mythologie grecque : des divinités revanchardes détruisant tout sur leur passage (signe d’un excès manifeste d’Uranus dont les Verseaux sont tributaires : quand dans un signe quel qu’il soit une planète s’exprime en trop mauvaise part, on voit surgir des perturbations graves).

Modes d’emploi

  • La diffusion est souvent donnée comme la voie royale par laquelle utiliser l’huile essentielle d’eucalyptus citronné. C’est vrai, mais à condition de ne pas en abuser, de même que son olfaction directement au flacon (elle reste assez longtemps « dans le nez »).
  • Par voie externe, l’application pure en geste d’urgence est possible. Mais, généralement, prévaut la dilution de l’huile essentielle dans une huile végétale (5 %), car elle présente l’inconvénient de tous les aldéhydes terpéniques sur ce point, c’est-à-dire une dermocausticité, certes limitée par rapport aux phénols par exemple, mais qui peut causer des échauffements et de vives sensations d’irritation.
  • La voie orale est celle qui demeure la moins recommandée. Quand je vois des posologies journalières de deux gouttes trois fois par jour… je me demande ce qui passe par la tête des gens. L’huile essentielle d’eucalyptus citronné, c’est comme celle de lavande fine, elle gagne à s’employer par voie externe (je pense aussi qu’il faut cesser de décrédibiliser les remèdes externes par rapport à ceux que l’on absorbe per os, comme si ces derniers pouvaient s’enorgueillir de cela pour une raison qu’il reste à déterminer. De cette opposition dedans-dehors, il y en aurait nécessairement un plus « noble » et plus sérieux que l’autre ?).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Bien qu’il n’en existe aucune connue, certains aromathérapeutes demandent d’être prudent durant les trois premiers mois de la grossesse.
  • L’essence d’eucalyptus citronnée, découverte dès 1882, s’orienta premièrement en direction de la parfumerie. Elle fut si demandée par cette industrie que durant les années 1970 elle comptait encore au nombre des huiles essentielles très prisées, à condition qu’elle présentât des taux de citronnellal et de citronnellol acceptables. Avant même de s’arrêter à la case médecine, l’huile essentielle d’eucalyptus citronné fut accaparée par la cosmétique et la savonnerie.
  • Le bois qu’offre l’eucalyptus citronné est de grande utilité pour la construction, tant des bateaux, des habitations, que des ouvrages d’art (ponts). Il servit aussi pour façonner des étais de mine et des traverses de voies de chemin de fer. De plus, il offre une excellente pâte de fabrication du papier.

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