Le raifort (Armoracia rusticana)

Synonymes : grand raifort, racine forte, rave sauvage, moutarde des moines, moutarde des capucins, moutarde des Allemands, moutardelle, cochléaire de Bretagne, cran de Bretagne, cran des Anglais, cranson, radis de cheval, mérédich.

Avant de prendre le nom binominal d’Armoracia rusticana en 1800, le raifort en a porté une kyrielle d’autres : Raphanus sativus, Raphanus magna, Cochlearia rusticana, etc. Armoracia, c’est-à-dire « armoricaine », ne signifie pas que cette herbe soit d’origine bretonne, c’est uniquement le reflet de la culture du raifort que l’on a opérée dans cette région de France. C’est pourquoi ceux qui souhaiteraient voir dans l’armoracia de Pline le raifort actuel font sans doute une erreur, d’autant qu’il en est dit peu de choses, et des plus farfelues. En effet, Pline avançait que toute personne s’enduisant de suc d’armoracia pouvait se permettre de manipuler sans crainte aucune les scorpions et les cérastes (autrement dit : vipères à cornes), et que l’antipathie entre cette plante et les scorpions leur était fatale si l’on déposait de cet armoracia sur ces animaux. Le raifort n’est pas d’origine méditerranéenne, aussi y a-t-il peu de chance qu’il ait été en vigueur chez les Hébreux, les Égyptiens, les Grecs et les Romains. Ceci dit, il y a dans les Préceptes médicaux de Serenus Sammonicus quelques mentions faites à propos d’un « raifort ». Outre le fait qu’on l’applique sur les morsures de reptiles venimeux (ce qui n’a rien d’étonnant : quelle plante n’est pas concernée par ce fabuleux pouvoir en ces temps reculés ? Toutes ou presque !), Serenus conseille ce « raifort » en cas de rhume, de refroidissement et de digestion difficile, toutes choses que le raifort est capable d’offrir. Mais cela suffit-il pour deviner cette plante derrière ces quelques attributions ?
L’expansion grecque au V ème siècle avant J.-C., puis celle d’Alexandre le Grand au siècle suivant, forment un ensemble géographique certes vaste, mais bien trop au sud par rapport à l’aire d’élection du raifort. En réalité, le territoire grec à son apogée s’arrête là où démarre celui sur lequel on peut croiser le raifort dans son cadre originel, c’est-à-dire cette zone de Russie qui sera le domaine des Cosaques. Le raifort aurait ainsi transité des pays slaves jusqu’aux territoires germaniques avant d’arriver en Europe de l’Ouest il y a environ un millier d’années. Un des éléments qui permet d’attester l’origine russe du raifort est le terme par lequel il est désigné : chren, lequel aurait donné par la suite les mots cran et cranson, deux des nombreux surnoms du raifort. Cependant, au gré de cette migration d’est en ouest, il est remarquable que le raifort se cantonne surtout à des pays du nord de l’Europe (Pologne, Allemagne, Angleterre). En France, où il est présent dans quelques régions (Bretagne, Nord, Alsace), on lui prête beaucoup moins d’engouement qu’en Europe centrale où il fut très cultivé à l’époque médiévale, du moins dans les derniers siècles du Moyen-Âge : par exemple, il n’apparaît pas dans la liste de plantes du Capitulaire de Villis établie au VIII ème siècle. En revanche, l’on trouve dans les écrits d’Hildegarde le raifort sous deux appellations différentes : Merrich et Retich. Aujourd’hui, le nom allemand du raifort est Meerettich, sorte de mot-valise composé des deux noms cités par Hildegarde. De celui qu’elle appelle Retich, elle dit qu’il purge le cerveau et qu’il diminue les mauvaises humeurs viscérales, du second qu’il est un remède des fièvres si on l’accompagne de tussilage, de tanaisie, de clous de girofle et de gingembre. Enfin, associé au galanga, la poudre de raifort apaiserait les douleurs cardiaques et pulmonaires. Par ailleurs fleurissent de nombreux recueils de recettes mettant le raifort à l’honneur. Ainsi requiert-on ses vertus pour soigner maladies rénales et pectorales, jaunisse, rétention d’urine, fièvre, eczéma, il mettrait aussi en fuite vers et poux, etc. Mais tout ceci reste fort brouillon, on peut légitimement se poser la question de savoir si le raifort est expérimenté dans toutes ces affections pour « voir ce que ça fait » ou si cela est la résultante d’un raisonnement sensé. C’est ce qui a fait dire à certains auteurs plus modernes que la carrière thérapeutique du raifort n’avait véritablement débutée qu’au XVIII ème siècle. Il faut dire qu’au siècle précédent, nombreux sont les praticiens à errer dans un dédale pétris de superstitions, de substances au soi-disant merveilleux pouvoir, etc. C’est ainsi que le Petit Albert reprend une recette assez étrange déjà présente dans le Grand Albert, dans laquelle entrent guimauve, persil et raifort, et dont le titre est ainsi libellé : « Secret merveilleux qui fait passer les hommes par le feu, sans se brûler, qui fait porter du feu, ou bien du fer chaud sans être offensé » (1). C’est bien mal connaître le raifort que, vraisemblablement, l’auteur de ces lignes n’a pas tenu en main pour en ressentir la cuisante brûlure. Il y a aussi chez Leclerc une anecdote fort curieuse : « Un soldat hongrois […] ayant reçu des Turcs la bastonnade sur la plante des pieds, éprouva dans tous les membres des douleurs atroces dont il se délivra en s’enveloppant dans un gigantesque cataplasme de raifort râpé » (2). A la guerre comme à la guerre ! Voilà qui tombe bien, le raifort est plante de Mars. Ceci dit, on peut s’interroger : lequel, parmi la bastonnade ou le caractère violemment rubéfiant et vésicant du raifort cru sur la peau, est-il le plus douloureux ? Je vous laisse imaginer l’enfer que ce soldat a dû endurer, à moins qu’il n’ait été un dur à cuire ! Quand on a affaire à des phénomènes congestifs (congestion cérébrale, pulmonaire, etc.), on peut procéder par une application au niveau de la voûte plantaire afin d’opérer une dérivation, mais dans le cas dont Leclerc nous offre le souvenir, on peut se demander ce qu’il en a été de la dérivation !?
Plus sérieusement, au début du XVIII ème siècle, Boerhaave assure que le raifort est une plante propre à nettoyer l’estomac, les poumons et les reins, et que c’est un remède souverain face à la toux et à l’enrouement opiniâtre. En toute fin du même siècle, Gilibert crédite le raifort du statut de plus puissant diurétique de la flore indigène, un titre que cette plante n’a pas usurpé.

Le raifort, plante vivace, est doté d’une profonde racine pivotante, brun clair à l’extérieur, blanchâtre à l’intérieur. Cette forte racine donne naissance à une tige creuse et anguleuse qui pourra mesurer autant que la racine, soit environ un mètre, parfois davantage. Ses feuilles radicales, cordiformes et crénelées, font elles aussi dans le gigantisme : les plus longues atteignent un bon mètre. Les feuilles supérieures, plus courtes, également crénelées, prennent une forme lancéolée. Durant les mois de mai et de juin, des panicules de petites fleurs blanches ou jaune poussin émergent en haut des hampes florales, portant chacune quatre pétales. Parfois, la floraison est inexistante, et quand cela n’est pas le cas, le raifort produit des graines stériles, ce qui est la marque qu’il ne se développe pas dans son milieu naturel. Ainsi, en France, est-on dans l’obligation de le reproduire par division de souche, chose du reste relativement aisée à réaliser et que le raifort supporte sans difficulté. Cette fructification stérile explique pourquoi le raifort n’est pas partout présent et qu’il est rare à l’état naturalisé, et qu’on aura toutes les chances de le rencontrer à proximité des lieux habités, jardins, prés, bordures de chemins et de forêts, fossés, talus, à la condition que ces lieux soient suffisamment humides et ombragés.

Le raifort en phytothérapie

Cette plante se rapproche en bien des points d’autres membres de la famille des Brassicacées à laquelle elle appartient : cresson, cochléaire, moutarde, pour ne citer que les plus évidents. L’intérêt du raifort réside dans sa racine, quelquefois dans ses feuilles. Ce qui caractérise cette racine, c’est qu’au moment de l’arrachage, étant encore entière, elle est parfaitement inodore. Mais une fois qu’on la brise ou qu’on la coupe, elle sait déployer toute sa puissance. C’est alors qu’elle répand une vive odeur, chaude, amère, piquante et brûlante, agissant tant sur les muqueuses nasales qu’oculaires. Cet effet est à mettre au compte d’une huile volatile de couleur jaune clair « extrêmement irritante dont l’odeur est assez violente pour qu’une seule goutte empeste tout un appartement et la toxicité suffisante pour que les ouvriers employés à la manier soient sujets à des quintes de toux, à des maux de tête, à du larmoiement auxquels succèdent plus tard une faiblesse douloureuse des membres et l’irritation des yeux pouvant aboutir à la cécité complète » (3). En plus de cela, nous rencontrons dans cette racine un hétéroside sulfuré du nom de sinigrine qui, sous l’action de la myrosine, se dédouble en glucose et en sulfocyanate d’allyle, ainsi qu’un autre de ces hétérosides, la gluconastortine, dont le nom rapproche encore davantage raifort et cresson. Que peut-on encore ajouter à cette liste ? Une résine amère, de l’albumine, des acides (chlorhydrique, sulfurique, carbonique, silicique), des sucres (saccharose, galactose, arabinose), et enfin des sels minéraux et oligo-éléments (fer, calcium, sodium, potassium, magnésium). Notons que les feuilles contiennent jusqu’à 195 mg de vitamine C aux 100 g, soit un taux bien supérieur à celui du citron.

Propriétés thérapeutiques

  • Excitant des sécrétions salivaires et gastriques, apéritif, digestif, stomachique, cholagogue
  • Diurétique puissant, sudorifique, purgatif
  • Tonique, stimulant des défenses de l’organisme
  • Antiscorbutique
  • Expectorant
  • Antiseptique, antibiotique
  • Antispasmodique
  • Vésicant, révulsif, rubéfiant (4)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, paresse intestinale, flatulence, ballonnement
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, bronchorrhée chronique, catarrhe bronchique chronique, congestion pulmonaire, asthme humide, toux, enrouement, œdème pulmonaire, engorgement des voies respiratoires, rhume
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : néphrite albumineuse, albuminurie, lithiase sans état inflammatoire
  • Hydropisie
  • Affections dentaires : rage de dents, gencives enflammées, déchaussement dentaire, raffermissement gingival, scorbut
  • Algie rhumatismale, points douloureux du rhumatisme et de la goutte, névralgie, sciatique, crampe, lumbago, maux de tête
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, leucorrhée
  • Anémie, lymphatisme, rachitisme, asthénie
  • États fébriles, grippe
  • Taches de rousseur, éphélide, engelure
  • Brûlure, coupure, piqûre d’insecte (concernent le suc des feuilles)

Modes d’emploi

  • Infusion ou décoction suivie d’une macération
  • Suc frais des racines ou des feuilles
  • Poudre de racine
  • Macération vineuse de racine
  • Sirop : la méthode classique consiste à découper finement de la racine de raifort fraîche dont on dépose les tranches dans une assiette creuse. Ainsi fait, on saupoudre de sucre ou l’on emploie du miel en lieu et place du sucre, c’est tout de même meilleur. Puis on laisse « dégorger » les tranches de raifort. La seconde méthode que l’on doit au docteur Leclerc est réalisable en suspendant au-dessus d’une assiette creuse un filet empli de rondelles de racine de raifort fraîche additionnées de sucre. Le jus qui s’en écoule a l’avantage d’être moins agressif que celui du premier procédé. On fait de même avec le radis noir.
  • Cataplasme : la pulpe de racine est râpée comme une carotte, puis appliquée sur les endroits du corps qui l’exigent. Mais soyons prudents et armons-nous d’un chronomètre. En effet, au bout d’environ 5 mn, une sensation de cuisson très marquée au niveau de la peau se fait jour. C’est pourquoi les constitutions les plus fragiles ne devront pas laisser un tel cataplasme en place plus de 2 mn. Les plus robustes, quant à elles, peuvent subir ce supplice jusqu’à 20 mn durant, sachant que le sentiment de brûlure dépasse largement ce que l’on observe passée 5 mn : l’action rubéfiante de la racine fraîche de raifort est telle que la marque qu’elle inflige au bout de 20 mn ressemble à s’y méprendre à une brûlure au premier degré. Les feuilles de raifort jouissent également de cette action rubéfiante, mais elle se propage plus lentement : il faut environ six fois plus de temps pour atteindre le même résultat.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Inconvénients : nous en avons déjà listé quelques-uns. On se gardera de l’utilisation du raifort dans les cas suivants : états inflammatoires de l’arbre respiratoire (toux sèche ou quinteuse, bronchite aiguë), ulcère stomacal, états inflammatoires intestinaux, dysfonctionnement thyroïdien. De même, la femme enceinte évitera l’usage de cette plante.
  • Récolte : le raifort est une plante vivace, mais la plupart des auteurs s’entendent pour affirmer que la racine doit être recueillie lors du mois d’octobre de la deuxième année. Trop tardivement, elle ne convient plus. Devenant ligneuse, elle devra être rejetée. Pour Cazin, les feuilles cueillies avant la floraison auraient la meilleure efficacité.
  • Séchage : il est délicat à réaliser. Mais lorsqu’il est correctement mené à son terme, la racine ne perd aucune de ses propriétés et gagne à ne plus faire piquer et larmoyer les yeux.
  • Cuisine : dans presque toute la France, vous n’aurez que peu de chance de découvrir un bocal de racine de raifort râpée en saumure ou au vinaigre. On en trouve parfois dans les endroits les plus inattendus, comme une épicerie asiatique de la banlieue lyonnaise. De la taille d’un petit pot de moutarde, j’ai mis près de deux années pour venir à bout du bocal de raifort que j’y ai acheté, moi qui consomme l’équivalent de 25 pots de moutarde par an. L’avantage, c’est que le raifort contenu dans ces bocaux fait pâlir à vue d’œil la DLUO ^_^ Personnellement, j’ai beaucoup moins de mal, gustativement parlant, avec le wasabi qui, lui aussi, est une espèce de raifort. Pourtant, ma nature martienne de feu qui me mène au gingembre, au poivre, au galanga, etc. a dit « Stop ! » face au raifort. A mon humble avis, c’est un condiment utilisable en hiver sur des plats emprunts de fadeur. C’est ainsi qu’en Europe centrale, on sert une sauce au raifort pour accompagner la viande bouillie, un peu à la manière d’un aïoli. Mais bon, si c’est aussi bon que le meilleur des aïolis, je demande à goûter ^_^ Ceci dit, des estomacs moins délicats que le mien mettent à l’honneur le raifort sur les tables, à l’image de l’apfelkren, un mélange de pommes et de raifort qui est, en Autriche, l’assaisonnement national. Râpé, séché et moulu, le raifort est un condiment fort apprécié en Alsace ainsi que dans divers pays d’Europe centrale et anglo-saxons. Il est possible de consommer les jeunes feuilles à l’état cru, certains en font des salades. Plus âgées, mieux vaudra les cuire.
  • Quand le raifort est planté à proximité des pommes de terre dans un jardin potager il augmente la résistance de celles-ci aux maladies. Le raifort est donc l’un des nombreux exemples de plantes « soins ».
    _______________
    1. Grand Albert, p. 148
    2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 178
    3. Ibidem, p. 177
    4. Le raifort est le plus puissant et efficace rubéfiant de notre flore indigène, bien plus encore que la moutarde dont les sinapismes sont bien connus. C’est une propriété « dont on peut tirer parti quand il s’agit d’opérer une dérivation salutaire dans toutes sortes de douleurs », Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 170

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Les séneçons

Inflorescences de séneçon commun

Séneçon commun (Senecio vulgaris)

Synonymes : séneçon des oiseaux, herbe à la chardonnerette, petit séneçon, toute-venue.

Séneçon jacobée (Senecio jacobaea)

Synonymes : herbe de saint Jacques, fleur de Jacob, herbe dorée.

Le premier à avoir évoqué un séneçon dans ses écrits n’est autre que l’un des élèves d’Aristote, à savoir Théophraste. Bien plus tard, Dioscoride n’accordera que quelques lignes de sa Materia medica à une plante de ce type qu’il appelle êrigerôn, un mot composé de êr, « printemps » et de gerôn, « vieillard », que le latin transformera en senex, un mot qui désigne la personne arrivée à un grand âge, lequel donnera bien sûr séneçon, non parce que le séneçon est une vieillerie antédiluvienne, non, simplement parce que ses capitules d’aigrettes ont évoqué à certains une tête chenue ou la barbe d’un patriarche. Bref, l’êrigerôn de Dioscoride est rafraîchissant, vulnéraire, sédatif des maux d’estomac trouvant leur origine dans un dysfonctionnement bilieux, enfin curatif des hémorroïdes. Son contemporain Pline l’Ancien, dithyrambique une fois de plus, en fait un remède hépatique, vésical, rénal et cardiaque, rien que ça ! Selon Pline, il était nécessaire de tracer un cercle autour de la plante avant de procéder à son arrachage, puis « on arrache l’erigeron et on touche trois fois la dent en crachant à chaque fois et si on remet la plante au même endroit de manière qu’elle reprenne, cette dent, dit-on, ne fera plus souffrir ». Voici un rituel qui aura surpris bon nombre de thérapeutes de l’époque moderne (XVIII-XX ème siècles), tant ils ignoraient que durant longtemps à la campagne, on procédait souvent au transfert du mal à la terre ou à un végétal. Par exemple, un autre de ces rituels consistait à recueillir un peu de la sanie d’un ulcère putride sur un morceau d’ouate ou de linge, et à l’enfoncer dans un trou aménagé grâce à une tarière dans le bois d’un arbre, après quoi l’on rebouchait le trou. Les arbres à clous présents un peu partout en France ne sont que les témoins modernes de ces anciennes pratiques issues de l’Antiquité.

Au Moyen-Âge, l’on trouve peu de traces au sujet du séneçon, mis à part chez Macer Floridus qui, au XI ème siècle, se réclame de l’Antiquité. Aussi ne serons-nous pas surpris de le voir citer Pline ! Il dit n’utiliser de son Senecion que ses feuilles et ses fleurs. Selon lui, c’est un cicatrisant et un remède efficace contre les gonflements anaux. Faut-il entendre là ce que nous appelons hémorroïdes ? Si tel est le cas, Macer a bien appris sa leçon. Il ajoute aussi une chose d’importance : « quelques médecins défendent d’en faire usage en boisson, parce que quelques auteurs affirment qu’elle peut suffoquer ceux qui en boivent » (1). Ceci est une donnée toxicologique cruciale que même Nicandre de Colophon n’aura pas relevée en son temps. Nous discuterons plus loin des risques encourus que soulève Macer Floridus.

Nous retrouvons beaucoup plus tardivement le séneçon entre les mains de Tabernaemontanus. Nous sommes en 1588. Il est clair qu’il a mis le doigt sur une propriété du séneçon que nous connaissons déjà : cette plante est cicatrisante sur plaie et ulcère, mais surtout, Tabernaemontanus met en avant la vertu hémostatique du séneçon. Ainsi remédie-t-on aux hémoptysies, crachements de sang et hémorragies utérines. Il est, à tout dire, si efficace sur ces affections que, durant la Première Guerre mondiale où l’on manquait à peu près de tout, le séneçon fut mis à l’honneur en remplacement de l’ergot de seigle provenant de Russie et alors introuvable, puisque le séneçon possède à peu de choses près les mêmes propriétés que le petit champignon parasite du seigle. Au XVII ème siècle, l’Allemand Schroder vantera les vertus du suc de séneçon mêlé à de la bière ou bien une décoction miellée de la plante. Il s’agit là de remèdes utiles contre les crachements de sang, les vomissements, les flueurs blanches, mais… aussi contre des maladies hépatiques comme la jaunisse. Et là, je place une seconde balise lumineuse : il existe en Europe pas loin de 50 séneçons qui ne se ressemblent pas tous. Connaissant le caractère violent des séneçons commun et jacobée sur la sphère hépatique, ceux-ci auraient plutôt tendance à provoquer la jaunisse plutôt qu’à la résoudre. D’où l’importance cruciale de l’arme indispensable à tout bon phytothérapeute : la botanique !
Poursuivons. Tournefort, en 1715, met en avant les propriétés émollientes, sédatives de la douleur et vermifuges du séneçon, avant que Boerhaave ne lui emboîte le pas, affirmant les pouvoirs guérisseurs du séneçon sur les inflammations de la gorge. Durant le XIX ème siècle, on ne sait pas trop, et quand l’on croit savoir, ça se crêpe le chignon. Nous assistons, une fois de plus, à une bataille rangée d’experts sur la manière dont le séneçon agit, ou n’agit pas aux dires de certains. Dans les années 1890, le séneçon est passé au crible. De ce tamisage, il ressortira les évidences suivantes qui rappellent, si besoin était, que le séneçon n’a pas volé ses lettres de noblesse à l’ergot de seigle : c’est un sédatif des douleurs menstruelles (qu’elles interviennent avant, pendant ou après les règles) et il provoque les menstruations en cas de dysménorrhée et d’aménorrhée fonctionnelle.

  • Le séneçon jacobée est une plante bisannuelle ou vivace à vie courte. Bien plus grande que le séneçon commun, elle dépasse généralement un mètre de hauteur. Elle se présente sous la forme d’une tige dressée, ramifiée et très feuillée. Les feuilles inférieures lyrées sont très découpées, alors que les feuilles supérieures non pétiolées dites « à oreillettes » embrassent la tige et sont divisées en segments dentés de longueur presque égale. Les capitules jaune d’or réunissent des inflorescences terminales peu denses de 15 à 25 mm de diamètre. Les ligules périphériques au nombre de 12 à 15 et les fleurs du centre tubulaires donnent aux inflorescences un faux air d’arnica, autre astéracée. La floraison s’étale de juin en novembre et donne lieu à deux types d’akènes : ceux du « disque » sont soyeux, ceux du pourtour glabres.
    Très commun en plaine comme en moyenne montagne sur terrains tels que prairies, bois, pentes sèches, prés humides, bordures de chemins, etc.
  • Le séneçon commun est une plante annuelle fréquente dans les jardins, les champs cultivés, les terres labourées, en bordures de chemins. On la rencontre dans la plupart des régions tempérées du globe. On peut dire que c’est une espèce cosmopolite « entraîné à la suite de l’homme par son goût pour les sols ammoniacaux » (2), d’où sa présence sur les décombres et aux abords des activités humaines.
    Sa tige dressée de 20 à 60 cm de hauteur est ramifiée vers le sommet et porte des feuilles épaisses plus ou moins découpées. En haut des tiges se déploient presque toute l’année de petits capitules de fleurs jaunes et tubuleuses qui donneront des groupes d’akènes en masses duveteuses, lesquels évoquent sans mal les fruits du pissenlit en plus petits.

Le séneçon jacobée

Les séneçons en phytothérapie

« Les séneçons fournissent un exemple typique de plantes réputées presque inertes […] qui se sont tout à coup révélées récemment si dangereusement énergiques qu’elles se voient bannies de la ‘pharmacie familiale’, écrivait Fournier dans les années 1940 (3). Nous voici prévenus ! Parmi les plantes à alcaloïdes pyrrolizidiniques, il se trouve que les séneçons sont les plus brutaux, et par conséquent toxiques, en particulier le séneçon jacobée. Aussi, comment expliquer qu’au XIX ème siècle Cazin raillait les propriétés anticonvulsivantes du séneçon avancées par Fenazzi en écrivant que « c’est de l’empirisme tout pur » (4) ? Comment, dans le même temps, concevoir que John Ray mentionne l’emploi de suc de séneçon pour les chevaux vermineux ? Peut-on imaginer que cette plante, consommée par vaches, chèvres, cochons et lapins, puisse seulement être dédaignée par les moutons ? Est-il possible que cette plante inodore, de saveur fade, tendant à l’acidité et à l’âcreté si elle est mâchée assez longtemps, puisse ne pas être la plante anodine dont les seules vertus se cantonneraient à un strict usage externe comme adoucissant, émollient et résolutif ? Seulement, du temps de Cazin, on ignorait l’existence de ces alcaloïdes au sein des séneçons, l’un d’entre eux, la sénecionine, n’ayant été isolé qu’en 1891. C’est sans aucun doute avec ébahissement qu’un toxicologue du XXI ème siècle prendrait connaissance du fait de faire pâturer le gros bétail parmi des pieds de séneçons que, bien entendu, il ne rechigne pas à brouter. Pourtant, en Europe, ces plantes sont responsables de l’intoxication de nombreux animaux : chevaux, bovins, etc. On constate chez les animaux en ayant consommé les troubles suivants : diarrhées, coliques, convulsions, cirrhose du foie, etc., les alcaloïdes présents dans la plante étant hépatotoxiques, comme ils peuvent l’être chez la consoude. Les premiers signes cliniques n’apparaissent malheureusement que plusieurs semaines ou plusieurs mois après première ingestion de la plante par l’animal. Aussi, le traitement de l’animal une fois les premiers symptômes reconnus est-il vain la plupart du temps, les cellules hépatiques étant déjà gravement endommagées. Lorsque les abeilles butinent des fleurs de séneçon, on retrouve une petite quantité d’alcaloïdes hépatotoxiques dans leur miel. De même, quand les vaches broutent du séneçon, c’est dans leur lait qu’on retrouve les mêmes alcaloïdes. Chez l’homme, l’intoxication est relativement moins fréquente bien que plusieurs décès ont été imputés au séneçon. L’usage s’en fera donc de façon parcimonieuse et certainement pas en auto-médication.

Il m’apparaissait important de mentionner tout cela dès l’entame de cette rubrique et non pas de le reléguer en fin d’article comme je le fais d’habitude.
De la sénecionine, donc. Cet alcaloïde est présent dans les deux séneçons aujourd’hui à l’étude. A l’état pur la sénecionine détermine la nécrose hépatique, augmentant la quantité de bilirubine impliquée dans des pathologies hépatiques lorsqu’elle est présente à des taux anormaux dans l’organisme. De même la sénecionine pure accroît le taux de prothrombine, une substance puissamment vasoconstrictrice dont le surdosage peut affecter le bon fonctionnement des artères. Ensuite, l’on rencontre dans nos deux plantes un autre alcaloïde du nom de sénécine, une substance résineuse appelée sénécin, d’autres substances moins problématiques comme tanin et inuline, enfin de nombreux sels minéraux et oligo-éléments (potassium, calcium, sodium, magnésium, chlore, silice). Nos deux séneçons sont loin d’être de banales plantes inertes.

Propriétés thérapeutiques

  • Emménagogue puissant, sédatif des menstruations douloureuses
  • Tonique veineux, hémostatique (5)
  • Expectorant
  • Anti-inflammatoire
  • Laxatif léger
  • Émollient, adoucissant
  • Résolutif, maturatif

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, spasmes douloureux des règles. Le séneçon « réussit surtout chez les anémiques, chez les neuro-arthritiques, chez les malades atteintes de troubles intestinaux et hépatiques dont la fonction menstruelle, irrégulière ou insuffisante, donne si souvent lieu à des troubles congestifs, à des névralgies pelviennes et lombaires » (6). Refroidissement, émotion ou mélancolie venant perturber le bon déroulement des règles sont aussi justiciables de l’emploi du séneçon.
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, douleurs intestinales, dysenterie, dysenterie sanguinolente, colique, vomissement, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, angine, crachement de sang
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine, catarrhe vésical, lithiase
  • Affections cutanées : plaie, ulcère, panaris, eczéma, croûte de lait, piqûre d’insecte (guêpe), démangeaisons, gerçure des seins
  • Engorgement laiteux
  • Autres hémorragies : hémorroïdes, saignement de nez

Modes d’emploi (concernent uniquement les parties aériennes fleuries)

  • Suc frais
  • Poudre
  • Décoction
  • Cataplasme
  • Pommade

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Hormis ce que nous avons dit plus haut, tout au plus pouvons-nous ajouter que les séneçons, même à doses faibles, peuvent irriter la muqueuse génito-urinaire.
  • Récolte : presque toute l’année pour le séneçon commun, de juillet à septembre pour le séneçon jacobée.
  • Autres espèces : on en compte environ une trentaine pour la seule France métropolitaine parmi laquelle nous rencontrons le séneçon des bois (S. silvaticus), le séneçon cinéraire (S. cineraria), le séneçon doria (S. doria), le séneçon sarrasin (S. sarracenicus), le séneçon visqueux (S. viscosus), etc.
    _______________
    1. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 148
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 891
    3. Ibidem, pp. 890-891
    4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 907
    5. La sénecionine « élève à petites doses la pression artérielle et affaiblit les contractions du cœur, tandis qu’à haute dose, elle contracte fortement les parois des vaisseaux et se montre ainsi hémostatique », Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 893
    6. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 228

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Les aigrettes plumeuses du séneçon commun

La joubarbe des toits (Sempervivum tectorum)

Synonymes : artichaut de muraille, artichaut sauvage, herbe aux cors, herbe de tonnerre.

Plante succulente, la joubarbe est indissociable des toits sur lesquels elle pousse. Elle porte même cette caractéristique dans son nom latin, tectorum provenant de tectum, « toit ». On la trouve sur les toits donc, de chaume de préférence, ainsi que sur un ensemble de substrats inhabituels tels que vieux murs et murailles, ruines et rochers, enfin pelouses rocailleuses. C’est une particularité que Théophraste mentionne dès le IV ème siècle avant J.-C. : « il est dans la nature de la joubarbe de rester toujours humide et verte. Elle pousse sur les rivages de la mer, dans la terre qui garnit le haut des murailles, et surtout sur les tuiles, lorsqu’il s’y produit une accumulation de terre sablonneuse ». Si les hippocratiques ignorent cette plante, Dioscoride en fait une description suffisamment précise pour qu’on puisse la reconnaître sans trop d’effort d’imagination et précise que « certains la plantent sur les maisons » (1). Surtout, il s’attache à comparer la rosette que forment les feuilles de la joubarbe à un « œil circulaire ».
Mais pourquoi diable planter sur le toit d’une maison une plante qui s’y installe naturellement ? Paul-Victor Fournier avance cette explication : « il semble que tout d’abord, on plantait la joubarbe sur les huttes primitives afin d’en protéger le toit contre les dégâts des grandes pluies » (2). C’est là un usage qui perdurera longtemps. Ainsi trouve-t-on la joubarbe dans la liste des plantes recommandées par le Capitulaire de Villis, et ce capitulaire préconise bien de la planter sur le toit des maisons, bien qu’on ne sache pas encore pour quelle raison. La jovis barba, telle qu’est est désignée dans ce capitulaire carolingien, possède une propriété fort répandue dans les populations germaniques d’alors, mais également du temps de l’Antiquité gréco-romaine. Poursuivons avec ce que dit Fournier : « en constatant que la foudre ne les frappait pas [les maisons], on en est venu à attribuer à la plante cette vertu protectrice » (3). Jovis barba, autrement dit « barbe de Jupiter », fait référence au dieu grec Zeus dont l’un des attributs est la foudre. Elle avait donc la réputation de protéger les habitations des colères de ce dieu, c’est pour cette raison qu’il ne faut jamais l’arracher d’un toit, d’autant plus qu’elle protège, par sa présence, des maladies infectieuses les habitants des lieux où elle élit domicile.

Aeizôon, tel fut le nom qu’on donna à la « toujours verte qui pousse sur les toits », sempervivum en latin et sopravvivolo en italien traduisant bien cette caractéristique qu’a la plante de paraître toujours vivante. Selon le Carmen de herbis, la joubarbe devait être cueillie lorsque la lune croît. On lui octroyait de multiples propriétés tant médicinales que magiques. Dioscoride remarqua la capacité rafraîchissante et astringente de la joubarbe. Il la destinait donc à un ensemble d’affections caractérisées par une inflammation (zona, brûlure, maux de tête, ophtalmie (4), accès de goutte, etc.) mais aussi pour diverses pathologies pour lesquelles il est nécessaire de resserrer les tissus (diarrhée, dysenterie, ulcère, abcès). Après lui, Galien n’en dit rien de neuf ; Alexandre de Tralles, qui semble reprendre Dioscoride, ajoutera à cette liste l’hémoptysie et l’érysipèle.
Portée sur soi, on disait de la plante fraîche qu’elle était censée favoriser les rencontres amoureuses. Tout comme la marguerite, la joubarbe est un oracle sentimental. Les jeunes filles siciliennes donnaient le nom de leurs prétendants à plusieurs boutons floraux de joubarbe. Le premier venant à fleurir désignait le futur mari. Au-delà du domaine amoureux, la joubarbe agissait sur les troubles sexuels puisque manger des feuilles de joubarbe avait le pouvoir de dénouer l’aiguillette, sans doute en raison de la forme « priapique » que prend la hampe florale quand elle s’érige d’un chou de joubarbe. De par ses propriétés érotiques et nuptiales, on peut dire de la joubarbe qu’elle est une plante génésique. Bien qu’adaptée à l’impuissance de l’homme, elle ne saurait être d’aucun recours pour l’homme viril. Au contraire, « si on en faisait manger par un homme dont les organes génitaux sont en bon état, il serait pris de frénésie amoureuse, au point d’en être comme fou » (5). Curieux tout de même pour une plante dite « froide »…
Entre autres pouvoirs faramineux, la joubarbe semblait agir contre l’ivresse des maris rentrant trop tard à leur domicile comme l’explicitent assez bien deux de ses surnoms anglais : welcome home husband though never so drunk et welcome home husband though never so late ! Enveloppée dans une étoffe noire et placée à l’insu d’un insomniaque sous son oreiller, elle lui procure le sommeil. En Toscane, on faisait boire du suc de joubarbe aux nouveaux-nés afin de les garantir des convulsions (dans l’ancien temps, la joubarbe passait pour remédier à l’épilepsie et à la chorée), ainsi qu’à leur assurer une longue vie. Sempervivum en filigrane. Mais, des enfants, la joubarbe éloigne aussi les fièvres d’origine « sorcière ». Déjà, au temps de l’Antiquité, le Carmen de viribus herbarum affirmait l’utilité de la joubarbe pour « lutter contre les peurs qui nous assaillent et contre les démons ennemis, et les maléfiques sorcelleries des mortels, et les funestes poisons », un pouvoir si prégnant qu’il avait encore cours au XIX ème siècle en France comme le relate Cazin : « le peuple, dans certains contrées, lui accorde la puissance d’empêcher les maléfices des sorciers » (6).

Au Moyen-Âge, on n’insiste plus sur les vertus soi-disant ophtalmiques de la joubarbe. En revanche, on innove en lui accordant des propriétés auriculaires qui sont loin d’être une légende. « Injecté dans l’oreille, le jus de cette herbe éclaircit l’ouïe et dissipe admirablement les douleurs de cet organe », écrit Macer Floridus au XI ème siècle (7). Qu’elle soit préparée en cataplasme ou en boisson avec du vin, consommée en nature ou par son suc délayé d’eau, la joubarbe connaît un grand succès au Moyen-Âge. Elle permet alors d’apaiser la brûlure du feu sacré et celle des dartres, de cicatriser les ulcères, d’endiguer céphalées et douleurs goutteuses, de chasser les parasites intestinaux, etc., toutes choses qui seront reprises et améliorées de Pierre de Forest (XVII ème siècle) jusqu’à l’abbé Kneipp (XIX ème siècle).

Vivace charnue, elle présente une rosette de feuilles qui forment des coussinets de 5 à 10 cm de diamètre. Des feuilles larges et épaisses à terminaison épineuse, lancéolées, présentent une coloration brun rougeâtre aux extrémités. Le « cœur mère » produit une hampe florale de 10 à 60 cm de hauteur. Tige dressée et velue, couverte de petites feuilles en écaille, elle s’orne de fleurs roses de 2 à 3 cm de diamètre comptant 10 à 18 pétales organisés en étoile. Après floraison (juillet/août), le cœur qui portait la hampe meurt mais comme la plante se propage par stolons rouges et traçants qui forment chacun un nouvel « artichaut », la plante assure ainsi sa future floraison.

La joubarbe des toits en phytothérapie

De cette plante l’on emploie exclusivement les feuilles fraîches, en particulier celles que portent les « choux » qui ne sont pas encore montés en fleur. Elle ne s’utilise donc jamais à l’état sec. Peu usitée aujourd’hui, on n’a donc pas jugé bon de se pencher davantage sur la composition de cette plante. Tout au plus savons-nous qu’elle contient du mucilage, du tanin, des acides malique et formique. Concernant vitamines et sels minéraux, aucun donnée n’est disponible. Il est possible d’imaginer la présence de vitamine C et de potassium…

Propriétés thérapeutiques

  • Astringente, détersive, vulnéraire, hémostatique
  • Émolliente
  • Rafraîchissante, fébrifuge
  • Anti-inflammatoire
  • Antispasmodique
  • Diurétique
  • Antiseptique (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée sanguinolente, dysenterie, ulcère d’estomac, vers intestinaux, vomissement
  • Affections bucco-dentaires : ulcération de la bouche, aphte, muguet, maux dentaires
  • Affections auriculaires : dureté d’oreille, surdité, otite
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrorragie, aménorrhée, dysménorrhée, spasmes utérins
  • Fièvre, angine, amygdalite
  • Scorbut
  • Maux de tête
  • Hémorroïdes

Face à cet ensemble hétéroclite se dégage néanmoins une tendance : la joubarbe agit sur bon nombre d’états inflammatoires. Mais nous n’en avons pas encore terminé avec elle. Là où elle excelle, c’est sur l’interface cutanée. On peut dire qu’elle est un topique à large spectre.

  • Affections cutanées : blessure, contusion, plaie, plaie enflammée, plaie gangreneuse, brûlure (premier et deuxième degré), dartre vive et rongeante, ulcère, ulcère sordide, ulcération profonde, fissure, gerçure des seins, eczéma, prurit génital, ulcération serpigineuse, furoncle, tumeur ganglionnaire, piqûre d’insecte, cor, œil-de-perdrix, verrue, saignement de nez, taches de rousseur, etc.

Cette surreprésentation des usages de la joubarbe sur les affections cutanées s’explique sans doute parce qu’on s’est souvent interdit de faire de cette plante un emploi interne. Pourtant, les feuilles fraîches de la joubarbe sont comestibles, mais il a été remarqué qu’elle pouvait parfois provoquer des vomissements, d’où cette abstention qui me paraît bien exagérée.

Note : on relate que des personnes qui devaient subir une amputation d’un membre l’ont vu sauvé grâce à des cataplasmes de feuilles de joubarbe.

Note 2 : un extrait de joubarbe est utilisé par les homéopathes contre les plaies, l’herpès, diverses éruptions, les douleurs du cancer, les hémorroïdes et les vers.

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Décoction
  • Macération acétique
  • Cataplasme, pommade
  • Sur frais étendu d’eau ou mêlé à de l’huile
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 4, Chapitre 77
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 526
    3. Ibidem
    4. Par magie sympathique, la rosette de feuilles de la joubarbe des toits évoquait, comme nous l’avons dit, un œil circulaire. C’est donc que cette plante possède l’aptitude à soigner les troubles oculaires, ce que souligne l’un de ses surnoms italiens, occhio di Giove, « œil de Jupiter ».
    5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 39
    6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 493
    7. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 107

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Les oseilles

Les feuilles de la grande oseille, Rumex acetosa

Petite oseille (Rumex acetosella)

Synonymes : oseillette, oseille des brebis, oseille de Pâques, surelle, surette, vinette sauvage, petite vinette, sarcillette…

Grande oseille (Rumex acetosa)

Synonymes : oseille domestique, oseille des prés, rumex oseille, osille, ozaille, vinette, vinete, surelle, surette, aigrette, aigrelle, patience acide, viergot…

Aliment et médicament, l’oseille ne met pas tout le monde d’accord en ce qui concerne la primauté de ses usages. D’une part l’on dit que durant l’Antiquité l’oseille était déjà récoltée dans la nature et plantée dans les jardins, mais à titre uniquement culinaire, d’autre part que « l’oseille fut donc d’abord plus un remède qu’un aliment » (1). Horace, qui n’était pas médecin mais poète, indique que l’oseille au vin blanc avait la faculté de « lâcher » le ventre, c’est donc qu’on connaissait sa propriété laxative. Dioscoride est beaucoup plus prolixe : « les racines des oseilles broyées et appliquées à la nature des femmes restreignent leur flux et bues cuites avec du vin valent pour la jaunisse, rompent les pierres de la vessie, provoquent le flux menstruel et remédient aux piqûres de scorpions » (2). Dans ce chapitre qu’il dédie aux oseilles, Dioscoride en décrit de plusieurs sortes, cependant l’on peut « reconnaître » la petite oseille ainsi que la grande à travers les diverses attributions qu’il alloue à ces plantes : elles détergent la peau, effacent les démangeaisons, ressoudent les apostumes (qui rappellent assez l’hygroma), apaisent les douleurs dentaires ainsi que les flux stomacaux et la dysenterie. Il ne s’agit peut-être pas de nos deux oseilles mais ces indications y font beaucoup penser.

Au VIII ème siècle, on ne connaît pas encore les oseilles sous leur nom actuel. Elles portent plutôt ceux d’acetosa, d’acidula, d’acetodula, etc., une évidente référence à leur saveur acide et aigrelette. Le mot oseille est, lui, plus tardif, il semble émerger au XI ème siècle, et provenir de l’oxalis, autre plante contenant de l’acide oxalique. Quant à rumex, comme on surnomme parfois nos deux plantes, Fournier y voit, en relation avec la forme sagittée des feuilles d’oseille, un rapport avec une arme de jet, un fer de lance, de pique ou de hallebarde.
Au XII ème siècle, Hildegarde aborde une plante nommée Amphora que les traducteurs ont donné comme étant l’oseille des prés. Hildegarde la dit profitable aux animaux mais pas à l’homme. Plus loin dans le Physica, on rencontre deux Sichterwurtz, l’une alba, l’autre nigra. Leur ont été attribués les noms d’oseille blanche et d’oseille noire. Dans d’autres traductions, on les désigne comme des patiences, des plantes botaniquement très proches des oseilles. Plus singulière, une autre traduction du Physica semble y voir l’hellébore noir et l’hellébore blanc… Grâce à cette oseille noire, « aussi violente que soit la folie, elle sera chassée et on retrouvera sens et esprit » (3). Quant à la blanche, Hildegarde indique qu’elle est de même nature que la noire, mais moins acide, également réputée contre la folie. Il est possible qu’on ait vu dans ces deux descriptions l’hellébore noir (Helleborus niger) et l’hellébore blanc ou vératre (Veratrum album), très certainement parce que ces deux plantes avaient la réputation bien établie de lutter contre la folie. Du reste, ne surnommait-on pas l’hellébore noir « plante des fous » ?
Côté cuisine, on ne s’ennuie pas non plus. Dès le XIV ème siècle, l’oseille est de toutes les sauces et figure en bonne place au sein du Mesnagier de Paris. Durant des siècles, ce sera l’une des herbes les plus usitées en cuisine. Alors, tout comme on procédait avec les groseilles à maquereau et le raisin blanc non mûr, on élabore des verjus d’oseille, sorte de vinaigres accompagnant les viandes et de très nombreux autres plats. Cette prodigalité explique l’expression « nous la faire à l’oseille », c’est-à-dire trop en faire, chercher à impressionner, qui a peut-être donné une autre expression bien connue : « avoir de l’oseille ». Le Grand Albert mentionne même que l’oseille permet d’améliorer la digestibilité des plats de viandes et durant le vendredi saint, où l’on s’en abstenait en jeûnant, la consommation d’herbes, dont l’oseille, faisait partie du rituel.
Au siècle du Roi Soleil, on use et on abuse encore de l’oseille en cuisine, mais cette plante ne se cantonne pas qu’aux délices culinaires. Au XVI ème siècle, l’Italien Gérôme Fracastor élabore un électuaire contenant entre autres des semences d’oseille : le diascordium dont le but avéré est de lutter contre le « mal français », autrement dit la vérole ou syphilis dont Fracastor avait remarqué le caractère contagieux. Un siècle plus tard, Lazare Rivière érige l’oseille au rang de topique contre les tumeurs ganglionnaires, alors que Bartholin constate l’efficacité de l’oseille face au scorbut, propriété que rappellera Jules Verne dans l’un de ses romans. Au XVIII ème siècle, on accorde aux oseilles de nouvelles propriétés : tout d’abord, en 1755, le docteur Missa découvre que les feuilles d’oseille sont le parfait antidote des substances âcres, irritantes, agressives, telles que l’arum pied-de-veau. Puis Desbois de Rochefort remarque en 1789 que l’oseille peut être employée efficacement sur des fièvres intermittentes ayant résisté au quinquina et aux autres substances amères habituelles (gentiane jaune, petite centaurée…).

L’une comme l’autre sont des plantes vivaces très communes, en plaine comme en montagne, dans toutes les régions tempérées de l’hémisphère Nord et les régions arctiques. Elles poussent sur des terrains acides et surtout pas calcaires : jardins, pelouses, prés, talus, prairies, bordures de chemins…
La grande atteint le mètre de hauteur, quant à la petite elle dépasse rarement les 30 cm. La racine pivotante de la grande oseille se distingue de la souche rampante de la petite oseille, en revanche toutes deux s’ornent très tôt au printemps de feuilles dressées, portées par des pétioles assez souvent rougeâtres et cannelés. Ces feuilles sont largement reconnaissables, leur forme en fer de lance ne laisse pas indifférent, surtout celles de la petite oseille dont les oreillettes sont particulièrement marquées.
Les hampes florales sont très allongées et portent de petites enveloppes florales vertes et brunes, mâles et femelles sur des plans séparés (l’espèce est dioïque, comme l’ortie, par exemple). Toutes deux fleurissent durant la même période, à savoir, de mai à août, parfois jusqu’en septembre pour la grande oseille. Après floraison, les oseilles forment des graines à trois côtés, noires et brillantes.
Dans les jardins, l’oseille domestique a été peu modifiée par l’homme, cela explique sans doute sa robustesse et sa résistance face aux menaces des maladies et des parasites. Un caractère indestructible fut depuis longtemps accordé à la petite oseille, à propos de laquelle on dit qu’elle serait née de la sueur du diable, raison pour laquelle les brebis jamais ne la broutent…

La petite oseille et ses feuilles en forme de pointes de flèche

Les oseilles en phytothérapie

De ces deux oseilles l’on prise plus souvent les feuilles que toutes autres parties. Racines et semences sont quelquefois conviées dans la pharmacie domestique. Les graines contiennent environ 5 % d’huile grasse, tandis que dans les racines se trouve une substance connue sous le nom de rumicine, également présente dans les feuilles, lesquelles sont particulièrement riches en vitamine C, provitamine A et fer, sans oublier d’autres sels minéraux (magnésium, phosphate, potassium). Les oseilles se rapprochent de la rhubarbe par des anthraquinones qu’elles ont en commun, ainsi que par l’acide oxalique que l’on croise en plus forte proportion dans les tissus des oseilles.

Propriétés thérapeutiques

  • Dépuratives légères, diurétiques
  • Apéritives, digestives, laxatives légères, vermifuges, soutiennent l’effet des purgatifs et minimisent leur effet inflammatoire sur les muqueuses digestives
  • Revitalisantes, reconstituantes, antiscorbutiques
  • Rafraîchissantes, fébrifuges
  • Maturatives, résolutives
  • Antidotes : les feuilles d’oseille fraîches neutralisent presque de façon instantanée les substances âcres (arum, euphorbe, bryone, daphné-garou, etc.)

Notons que les racines sont aussi diurétiques, ainsi que toniques, fortifiantes et astringentes. Les graines quant à elles partagent les vertus vermifuges des feuilles.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : perte d’appétit, constipation chronique, embarras gastrique, colique, diarrhée, dysenterie, diphtérie (adjuvant), parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux sèche, croup
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse, affections hépatobiliaires
  • Affections buccales : aphte, ulcère et petite ulcération, stomatite, autre inflammation buccale
  • Affections cutanées : plaie, plaie infectée, ulcère, ulcère gangreneux, putride et sordide, abcès, furoncle, dartre, acné, piqûre d’ortie, tumeur scrofuleuse, hygroma, purpura
  • Insuffisance urinaire, goutte
  • Hydropisie, engorgement des viscères abdominaux
  • Fièvre
  • Scorbut
  • Hémorroïdes

Note : dans la pharmacopée amérindienne figure un mélange de petite oseille, de bardane, d’orme rouge et de rhubarbe portant le nom d’essiac. Au Canada, cette préparation a été employée dès le début du XX ème siècle, « après qu’une infirmière canadienne eut observé qu’elle avait aidé la guérison d’un cancer du sein » (4). Bien plus tôt, au III ème siècle de notre ère, le médecin romain Serenus Sammonicus relatait l’emploi de l’oseille dans les douleurs aiguës des seins.

Note 2 : l’homéopathie utilise une teinture obtenue à partir des racines, préconisée en cas de maladies cutanées, de diarrhée et de toux convulsive.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches triturées
  • Suc frais des feuilles
  • Cataplasme de feuilles contuses
  • Décoction de feuilles ou de racines
  • Bouillon aux herbes (avec ortie, cerfeuil, laitue…)

Précaution d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : selon que les feuilles récoltées sont plus ou moins grandes, leur acidité diffère grandement. On estime que les grandes feuilles âgées, bien vertes, récoltées après les grandes chaleurs de l’été sont plus acides que les jeunes feuilles du début de la saison estivale. Sachant que les oseilles sont relativement rustiques, elles développent leur feuillage très tôt dans l’année. Selon les besoins, on pourra effectuer des cueillettes du mois d’avril à celui de septembre. Les racines s’arracheront au printemps (avril) ou à l’automne (octobre). Mais si l’on souhaite en faire un usage immédiat, il est possible de les déchausser toute l’année (ou presque).
  • Toxicité : l’acide oxalique contenu dans nos deux oseilles possède la particularité de s’accumuler progressivement dans l’organisme. Ainsi stocké et non évacué, il peut être à l’origine de la formation de lithiases et d’un blocage du processus d’absorption du calcium, d’où d’éventuels soucis de déminéralisation particulièrement chez le tuberculeux. Par ailleurs, voici dans quels cas il est formellement déconseillé de consommer de l’oseille (surtout si elle est fraîche) : insuffisance rénale et hépatique, goutte, rhumatisme, arthrite, dyspepsie, lithiase, ulcère stomacal, hyperacidité gastrique, asthme, colique néphrétique. Si vous n’êtes concerné en aucun cas, il reste cependant prudent de ne pas abuser de l’oseille, car à fortes doses, elle détermine des désagréments urinaires et rénaux (anurie, urémie, lésions rénales, etc.) ainsi que de la diarrhée. Néanmoins, il a été remarqué que la cuisson détruisait une bonne partie de cet acide, lequel, à l’état pur, provoque la mort en quelques minutes parfois, en une heure le plus souvent.
  • Alimentation : réputée en cuisine, l’oseille se prépare en soupe ou velouté, légume vert, salade, pâtés végétaux, purées, flancs, omelettes vertes, sauces pour poissons. Il est également possible d’obtenir une limonade en laissant macérer des feuilles d’oseille dans de l’eau et du miel. Avec le poisson, telle la truite, l’oseille est utilisée. Pour un poisson blanc comme le brochet, on dit qu’il faut le farcir aux feuilles d’oseille afin que leur acidité fasse fondre les nombreuses arêtes que ce poisson contient. Les poules aussi apprécient l’oseille. Grâce au phosphate et au fer contenus par cette plante, le jaune de leurs œufs sera plus vif. Si l’acidité des oseilles vous incommode, tournez-vous vers les patiences (Rumex patienta, Rumex obtusifolius), beaucoup plus riches en fer et bien moins acides que les oseilles. Dernier point à souligner : dans vos diverses préparations, qu’elles soient culinaires ou médicinales, évitez à l’oseille le contact de récipients en cuivre.
  • Autres espèces : l’oseille en écusson (R. scutatus), l’oseille crépue (R. crispus), l’oseille de montagne (R. alpestris).
  • Arts ménagers : le jus de cuisson des feuilles d’oseille est un excellent détachant, il permet d’effacer la rouille, la moisissure, les taches d’encre. On peut aussi nettoyer la vannerie, les objets en bambou, l’argenterie avec cette eau d’oseille.
    _______________
    1. Jean-Luc Danneyrolles, Un jardin extraordinaire, p. 68
    2. Dioscoride, Materia medica, Livre 2, Chapitre 107
    3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 79
    4. Larousse des plantes médicinales, p. 263

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L’inflorescence de la petite oseille

L’avoine (Avena sativa)

Cette plante est au nord de l’Europe ce que l’orge est au sud, mais reste cependant peu présente à l’extrême nord (Russie, Scandinavie). Ses premiers usages connus remontent à plus de 4500 ans et son emploi a perduré durant l’âge de cuivre puis l’âge de bronze, dans les régions tempérées d’Europe et d’Asie. Si l’on en croit l’origine sanskrite du mot avena, il est bien possible que l’avoine ait accompagné les hommes lors des grandes migrations indo-européennes jusque dans les zones occupées aujourd’hui par les populations slaves et germaniques. Ceci explique la prééminence de l’avoine pour ces peuples, en particulier les anciens Germains dont Pline connaissait le caractère alimentaire qu’ils vouaient à cette plante. Le gruau d’avoine ainsi que le pain qu’on en faisait représentaient une base alimentaire évidente. Ces peuples « mangent du pain d’avoine, surtout quand les autres céréales sont rares. Ce pain est gras, visqueux, foncé en couleur, amer et indigeste » (1). Chez les Romains (Caton, Cicéron, Ovide, Virgile, etc.), l’avoine n’a pas bonne presse, c’est une mauvaise herbe qui, selon Pline, serait issue d’une dégénérescence de l’orge. Aussi, savoir que les Germains y apportent grand intérêt a dû les leur rendre encore plus « barbares » qu’ils ne les considéraient.
L’importance de l’avoine pour les Germains lui fit jouer un rôle mythologique non négligeable : cette mythologie est riche de démons parmi lesquels nous pouvons citer l’aprilochse, l’erntebock, le graswolf, toutes figures agraires, ainsi que le loki’s hafer, c’est-à-dire le démon de l’avoine (de hafer en allemand, « avoine »). Sachez également que le mot hafer se retrouve dans le nom du sac à provision allemand, le hafersack, d’où découle notre actuel havresac.
Si certains auteurs opposèrent l’avoine à l’ivraie comme plante divine, par ailleurs l’expression « avoine du diable » est attribuée aux plantes qui nuisent au bétail.
Du côté de Dioscoride, l’on parle un peu de l’avoine : « De l’avoine que les Grecs appellent bromos, les Latins avena, les Italiens la vena » (2). Cela semble donc signifier qu’au Ier siècle après J.-C. les Romains avaient sans doute déjà incorporé le mot avena emprunté probablement à des langues du nord des Alpes. Quant au mot bromos, il a perduré puisqu’il désigne une céréale d’origine eurasiatique dont les espèces sont nombreuses. Sachant que bromus fait référence à l’avoine, il est difficile de dire si Dioscoride décrit l’une ou l’autre de ces deux plantes d’autant que les informations qu’il en donne reste peu consistantes : cette plante est apte à restreindre le ventre et est fort utile pour remédier à la toux.

Beaucoup plus tard, puisque nous voilà au XII ème siècle, on rencontre dans les écrits d’Hildegarde une Avena (ce qui semble accréditer l’origine non pas latine mais germanique de ce mot). Que nous dit l’abbesse à propos de l’avoine ? Ceci, et c’est fort intéressant : « elle constitue une nourriture généreuse et saine pour les gens en bonne santé : elle leur donne une âme joyeuse, une intelligence nette et claire, un beau teint et une chair pleine de santé », ce qui n’empêchera pas le médecin britannique John Gerrard de tourner l’avoine en ridicule en ces termes : « les flocons d’avoine transforment une belle fille au joli teint en gâteau de suif » (!!!). « Mais, poursuit Hildegarde, pour ceux qui sont bien malades et de nature froide, elle n’est pas bonne à manger car elle recherche toujours la chaleur […] Si quelqu’un est paralysé et a, pour cette raison, l’esprit brisé et de vaines songeries » (3), l’avoine lui est secourable. En lisant cette dernière phrase, il est possible d’être frappé par la similitude qui existe avec le portrait que fait le docteur Edward Bach de l’avoine (et que nous retrouverons en toute fin d’article). Bach a-t-il lu Hildegarde ? C’est une question que je me pose depuis longtemps…

Faisant partie des graminées, l’avoine est une belle plante légère et aérienne, annuelle d’environ un mètre de hauteur à complète maturité. Formée d’une tige creuse et lisse, elle est arpentée par des feuilles larges, pointues et retombantes. A leur sommet, l’on trouve de nombreux rameaux ployés portant chacun à leur extrémité un petit épi composé de deux ou trois fleurs florissant en juillet-août. Deux petites glumes vertes puis jaunes enserrent chaque graine.
L’avoine fait partie des plantes fourragères et des céréales panifiables, mais elle a été supplantée par des céréales telles que le blé et le riz. Aussi, l’avoine est-elle en perte de vitesse même dans les zones tempérées et humides qu’elle affectionne. Pour donner un ordre d’idée, aujourd’hui on produit dans le monde 25 fois plus de maïs que d’avoine.
Avena fatua, la folle avoine, est une espèce sauvage. Elle possède à peu de chose près les mêmes propriétés que l’avoine cultivée.

L’avoine en phytothérapie

La partie comestible de cette graminée serait-elle la seule fraction honorée par la phytothérapie ? Certes non puisque toutes les parties aériennes de cette plante sont de quelque utilité hormis les feuilles. Il est possible d’utiliser les graines au complet, leur farine ou leur son. Mais la paille fait aussi l’objet d’un intérêt pour le phytothérapeute.
Dans l’ensemble, l’avoine est d’une telle richesse qu’on peut légitimement se poser la question de son relatif dénigrement (si on devait la comparer au blé ou à l’orge, par exemple). Dans les graines, nous trouvons environ 50 % d’amidon, de l’albumine (4 %), de la gomme (4 %), du sucre (8 %), un peu d’huile grasse, du gluten (10 %), un principe aromatique de saveur vanillée, divers sels minéraux dont voici les teneurs aux 100 grammes de graines : phosphore (300 mg), calcium (90 mg), potassium (500 mg). Tout cela fait de l’avoine une céréale particulièrement nutritive et reminéralisante si l’on prend en considération les autres oligo-éléments qu’elle contient : fer, zinc, manganèse, magnésium, sodium. A cela ajoutons diverses vitamines (A, B1, B2, B3, D), un alcaloïde que nous avons déjà rencontré en travaillant sur le fenugrec, c’est-à-dire la trigonelline à l’action phyto-oestrogénique, de l’acide silicique, enfin de l’avénine, qui n’est autre qu’une molécule de stockage de la plante participant à la spermatogenèse par libération de testostérone. Tout cela est donc loin de faire de l’avoine une plante complètement inerte et inutile, contrairement à ce pensaient les Romains.

Propriétés thérapeutiques

  • Reconstituante, restaurante, fortifiante des fonctions musculaires, nutritive
  • Diurétique, dépurative
  • Adoucissante, émolliente, rafraîchissante
  • Résolutive, maturative
  • Équilibrante du système nerveux, antidépressive légère, tonique nerveuse
  • Stimulante thyroïdienne
  • Hypoglycémiante, hypocholestérolémiante
  • Laxative légère

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inflammation du tube digestif, constipation, aliment pour les estomacs fragiles
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine, inflammation des reins et de la vessie, lithiase urinaire et rénale, colique néphrétique, goutte, rhumatisme goutteux
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux sèche, maux de gorge, laryngite, catarrhe bronchique, coqueluche, angine, hémoptysie, rhume persistant
  • Troubles de la sphère génitale : baisse de la libido, impuissance, stérilité, carence œstrogénique (ménopause)
  • Épuisement physique et mental, asthénie, états nerveux, stress, insomnie, dépression
  • Affections cutanées : démangeaisons, psoriasis, peaux sèches et eczémateuses, ulcère, plaie, hyperhidrose plantaire
  • Lumbago, névralgie
  • Déminéralisation, aliment de convalescence (y compris chez les enfants de plus de six mois ainsi que chez les personnes âgées)
  • Insuffisance thyroïdienne
  • Fièvre (4)

Note : outre que l’avoine favorise la formation des globules rouges, il est avéré que les « surmenés, dépressifs, convalescents, sportifs, femmes qui allaitent […] trouveront dans l’avoine une alliée sûr et compatissante » (5). Enfin, ajoutons à cette liste que l’avoine est aussi profitable aux diabétiques et aux personnes sujettes à l’hypercholestérolémie.

Modes d’emploi

  • Décoction de paille d’avoine
  • Décoction de graines
  • Infusion de son
  • Teinture-mère
  • Cataplasme de farine d’avoine
  • Gruau (qui est de digestion facile)

Note : il est même possible de torréfier puis de pulvériser les graines d’avoine. Ainsi l’on obtient une poudre semblable au café offrant une boisson soulageant tant les hémorroïdes que la constipation.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : l’herbe verte en juillet, les graines en août, la paille en septembre. Remarquons que les graines ainsi que la farine d’avoine ont l’inconvénient de rancir rapidement.
  • Le docteur Cazin conseillait de ne consommer l’avoine que l’hiver, la considérant trop excitante pour en faire un usage estival. Il n’en demeure pas moins que la décoction de paille d’avoine est déconseillée aux rhumatisants. Une trop grande consommation d’avoine peut causer des maux de tête. Enfin, l’avénine contenue dans les semences est toxiques pour les personnes sensibles et intolérantes au gluten.
  • Autrefois, l’avoine permettait de confectionner des oreillers et des matelas destinés aux nerveux, aux insomniaques ainsi qu’aux bébés agités. L’avoine joue donc le même rôle que le houblon.
  • Cosmétique : l’avoine y est très utilisée. On en tire une mousse crémeuse après traitement des acides aminés contenus dans cette plante. On la trouve sous cette forme dans savons et shampooings.
  • Élixir floral : le docteur Bach a élaboré un élixir à partir de l’espèce sauvage de l’avoine (Avena fatua), celle que l’on appelle encore folle avoine : Wild oat, inscrit dans le groupe de l’incertitude. « Pour ceux qui ambitionnent de faire quelque chose d’important dans leur vie, qui désirent avoir beaucoup d’expériences, profiter le plus possible de tout et vivre pleinement. La difficulté pour eux est de décider de la carrière à suivre, car bien que leurs ambitions soient fortes, ils n’ont pas de vocation spéciale. Ceci peut entraîner retards et insatisfaction » (6).
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 107
    2. Dioscoride, Materia medica, Livre 2, Chapitre 86
    3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 24
    4. « Il est de toute nécessité d’alimenter les malades dans les fièvres. Si l’on n’avait pas oublié à cet égard les préceptes d’Hippocrate, on n’aurait pas vu tant de malades mourir d’inanition au déclin de leur maladie », François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 107
    5. Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 60
    6. Édouard Bach, Guérir par les fleurs, p. 96

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Le droséra (Drosera rotundifolia)

Synonymes : herbe à la rosée, rosée du soleil, herbe à la goutte, risolli, rossolis, rorelle, drosire, tue-mouche, oreille du diable.

Nul besoin d’aller fouiller dans l’Antiquité ou le Moyen-Âge pour retracer l’histoire de la curieuse plante qu’est le droséra. L’altitude à laquelle il peut parfois pousser, ainsi que sa prédilection pour des terrains tourbeux et marécageux, l’ont sans doute tenu à l’écart des hommes durant des siècles.
Le droséra fait partie de la petite vingtaine de plantes carnivores que l’on peut rencontrer dans la nature en France, aux côtés de trois autres espèces de Droséracées, en particulier dans les tourbières du Jura. Plante de plaine comme de montagne, on la croise jusqu’à 2000 m d’altitude. Cependant, rares sont les endroits où l’on peut faire sa connaissance, bien que chaque colonie couvre de vastes surfaces. C’est un pionnier des terrains très acides dépourvus d’azote, des lieux humides dénués de végétation, seulement fréquentés par les sphaignes et les mousses. Parfois même le droséra s’épanouit sur du bois pourri et autres supports à l’avenant. On peut alors se demander ce qu’une plante peut tirer d’un environnement aussi ingrat. Pour cela, observons son système racinaire : chétif au possible. Ce qui est la signature du peu qu’elle extrait du milieu dans lequel elle vit. Quand la terre ne nourrit que trop peu, il faut savoir se tourner vers le ciel. Ce que le droséra fait à merveille afin de pallier les carences en azote et en phosphore du sol acide de la tourbière. Avant de dévoiler sa stratégie de survie, décrivons notre petite carnivore.

C’est une petite plante vivace qui présente une rosette de feuilles basales. Arrondies et charnues, elles prennent place au bout d’un long pétiole. A mal le considérer, il semblerait que le droséra est couvert d’une myriade de gouttelettes qui scintillent au soleil comme des diamants, à l’instar d’une rosée matinale. D’ailleurs, son nom même de droséra provient du grec droseros qui signifie simplement « couvert de rosée ». Mais ces « gouttes de rosée » ne sauraient s’évaporer même sous le plus ardent des soleils, et c’est pourquoi l’on a cru dès le XV ème siècle que la plante avait vertu rafraîchissante. Mais cette « eau de feu », cette « rosée du soleil » n’en est pas. Approchons-nous. Chaque feuille porte plus d’une centaine de poils glanduleux rouges ornés à leur extrémité d’une petite perle de mucilage gluant et visqueux. Ce qui est surprenant c’est que chaque poil n’est aucunement gêné par ses voisins et ne saurait s’y engluer lui-même sans mettre en péril l’audacieux stratagème du droséra dont voici le mode opératoire : « Tout se passe très vite. Séduit par ce qu’il croit sans doute être des gouttelettes de rosée, l’insecte se pose sur la feuille et s’y retrouve collé. Le mucilage visqueux, comparable à du miel,  »bouche » les orifices de respiration de l’insecte. Lequel se débat comme un acharné. Son agitation ne fait cependant qu’exciter davantage les poils, qui se courbent alors pour emprisonner leur victime. Le contact de la proie déclenche par ailleurs la sécrétion d’enzymes digestifs (oxydases, estérases, phosphatases et protéases) et d’acides (formique, propionique, butyrique, chlorhydrique) attaquant ses parties molles. Dans ce milieu très acide (pH variant entre 2,5 et 3,5), les molécules complexes sont alors décomposées en molécules plus petites, que la plante peut assimiler. Les premiers à circuler sont les acides aminés issus de la digestion des protéines : ils parviennent en moins de douze heures jusqu’aux tiges, racines et bourgeons. Le reste suit rapidement. Et au bout de deux jours, il ne reste plus de l’insecte qu’une carapace vide. Le vent se chargera de l’emporter lorsque la feuille s’ouvrira. Pour se refermer peu après sur un autre » (1).
Qu’une plante puisse capturer des insectes, passe encore, mais qu’elle s’en repaisse, c’est une idée qui n’aura trouvée son chemin qu’au XVI ème siècle, mais largement mise en doute, participant à la diffusion d’extravagants récits de plantes mangeuses d’hommes. En ce qui concerne le droséra, ce n’est qu’en 1779 que le médecin et botaniste allemand Albrecht Wilhelm Roth (1757-1834) mettra en évidence la capacité de cette plante à capturer des insectes. Darwin s’y intéressera et dira que le mouvement de capture des feuilles ne se produit pas au contact de substances ne contenant pas d’azote. Ainsi le droséra ne se fatigue pas à prendre dans ses filets quelque chose qui lui serait parfaitement inutile. Il est peut-être doté de moyens particuliers, mais il sait en faire l’économie.
Au-dessus des feuilles se dressent quelques petites hampes florales de 10 à 20 cm de hauteur grand maximum. Ces pédoncules rouges et glabres s’ornent à l’été de petites fleurs blanches ou rosées qui, une fois fécondées, donneront lieu à des fruits en forme de capsule. Pas fou, le droséra autorise les insectes pollinisateurs à venir le butiner lors de sa floraison estivale, ces mêmes insectes dont il est friand et qu’il peut absorber au rythme de 2 000 sur trois mois, avant de retomber tout doucement en dormance pour l’hiver.
Beau et cruel, pourrait-on dire, c’est sa beauté qui assure au droséra sa survie.

Ceci dit, le droséra n’est pas qu’affaire de botanique, puisque bien des médecins se sont penchés sur son cas. Au XVI ème siècle, Rembert Dodoens affirme, au contraire de l’opinion répandue à cette époque, que le droséra est plus nuisible qu’utile aux phtisiques, ce en quoi il a raison puisque cette plante est d’une aide précieuse dans la tuberculose mais aux seules doses homéopathiques.
On en fit un spécifique de l’hydropisie, des fièvres intermittentes et un calmant de la toux et de la coqueluche. Au droséra furent également associées des propriétés diurétiques, sudorifiques, dépuratives du sang et fortifiantes du muscle cardiaque.

Doué de caractéristiques peu communes, il est évident que coururent d’étranges légendes au sujet du droséra, pour lesquelles superstition et magie n’étaient pas étrangères. Dire du droséra qu’il a été une plante d’envoûtement est assez judicieux si l’on s’en réfère à la manière dont il se nourrit de ses hôtes. En certains lieux, on cueillait le droséra durant la nuit de la Saint-Jean afin de se frotter le corps de ses feuilles. Ainsi pensait-on acquérir davantage de force et ne plus éprouver la fatigue. Ailleurs, il portait le nom de matagot qui « est toujours prononcé avec terreur […] Un seul pied de matagot placé dans une étable ou dans une maison y provoque une fièvre pernicieuse » (2). Matagot, c’est également ainsi que l’on surnomme le chat d’argent, un chat dont la couleur est habituellement noire et dont la nature démoniaque lui est offerte par le diable en échange de l’âme de quelque sorcier. Enfin, le droséra avait la réputation de faire partie de ces plantes qui « écartent », c’est-à-dire celles dont il n’est pas bon de marcher dessus sans quoi l’on ne retrouve plus son chemin, une caractéristique propre à certaines plantes dans bien des régions du monde (Amérique du Sud, Amérique du Nord, etc.).

Le droséra en phytothérapie

Le droséra à feuilles rondes est une espèce régionalement protégée en France, c’est pourquoi phytothérapie et homéopathie ont-elles jeté leur dévolu sur un autre droséra aux propriétés similaires, D. ramentacea.
Plante sans odeur, le droséra est néanmoins astringent, amer et acide. Le droséra, dont on utilise la plante entière à l’exception des racines, est particulièrement agressif de par ses composants : des acides (malique, citrique, tannique, gallique), du tanin, une résine âcre et corrosive, un enzyme du nom de drosérine favorisant, à l’instar des sucs salivaires et gastriques, la protéolyse, c’est-à-dire la fragmentation des protéines en plusieurs morceaux. A cela, ajoutons des naphtoquinones dont la drosérone et surtout la plumbagone aux actions antibactériennes, antifongiques et antiparasitaires particulièrement marquées. Pour finir, mentionnons la douceur d’un mucilage et l’innocuité de pigments jaune et rouge.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédatif et antispasmodique respiratoire, antitussif, calmant de la toux
  • Anti-infectieux (antibactérien, antifongique), antiparasitaire
  • Rubéfiant, vésicant, résolutif
  • Diurétique, sudorifique, fébrifuge
  • Équilibrant du système nerveux

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : inflammation des voies respiratoires, asthme, coqueluche, bronchite, maux de gorge, toux de diverses natures (grasse, sèche, convulsive), enrouement des orateurs, catarrhe bronchique, angine
  • Affections cutanées : plaie, morsure, piqûre, verrue, cor, taches de rousseur
  • Artériosclérose
  • Dyspepsie
  • Hydropisie
  • Fièvre intermittente
  • Troubles sympathicotoniques (insomnie, angoisse, etc.)

Nous avons vu que le droséra « calme les quintes, fait diminuer la fréquence et la durée des paroxysmes et exerce une action favorable sur les vomissements » (3). De là, on peut en déduire que l’extrait de droséra sur un organisme sain va produire de tels effets, et c’est effectivement le cas, selon le principe similia similibus curentur : le droséra « agit assez violemment sur l’organisme de l’homme sain pour provoquer une violente affection catarrhale de tout l’appareil respiratoire, allant jusqu’à des crises de toux nocturnes avec vomissements et saignements de nez, parfois même avec ulcération de la muqueuse buccale et de la langue » (4). C’est ainsi qu’une teinture homéopathique élaborée à partir de plantes fraîches est préconisée dans les cas suivants : affections catarrhales des voies respiratoires, coqueluche, douleurs rhumatismales, rhumatismes musculaires (dos, nuque, jointures), colique avec selles sanglantes et muqueuses.

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Sirop
  • Alcoolature

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles de juin à septembre.
  • Étant capable de dissoudre un morceau de viande grâce à l’action de ses puissants acides, ce que le droséra fait à une mouche, il peut l’infliger à vos muqueuses, d’où la nécessité de la dilution, en particulier en ce qui concerne l’alcoolature (dissolution au moins au 1/100). A haute dose, le processus s’inverse, le droséra devient vomitif au lieu de lutter contre les vomissements incoercibles. En cas de traitement beaucoup trop prolongé, des douleurs rhumatismales peuvent apparaître.
  • Contre-indications : aucune utilisation du droséra en cas d’hypotension artérielle.
  • Associations possibles : avec le serpolet pour renforcer l’action antispasmodique, avec la prêle des champs pour endiguer les troubles rhumatismaux.
  • Autres espèces présentes en France : D. intermedia et D. longifolia.
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    1. Source : Science & Vie
    2. Marc Leproux cité par Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 220
    3. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 248
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 359

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L’arum tacheté (Arum maculatum)

Synonymes : gouet, pied-de-veau, raisin de serpent, langue de bœuf, vachotte, vaquette, herbe au crapaud, pain de crapaud, pain de lièvre, herbe à pain, chou pané, racine amidonnière, cornet, pilon, chandelle, candélabre du diable, bonnet de grand prêtre, vit de prêtre.

Comme vous pouvez le constater, on s’en est donné à cœur joie pour affubler l’arum d’une tripotée de sobriquets. Certains s’expliquent par des caractères morphologiques, d’autres par une accointance de l’arum avec certaines formes de magie, d’autres encore en raison des qualités nutritives de sa racine.

Durant l’Antiquité, le Grec Dioscoride et le Romain Pline mentionnent tous deux qu’un arum était consommé, cru ou cuit, assaisonné de moutarde, d’huile, de vinaigre, de garon, etc. A contrario, peu d’informations médicinales sont fournies. Écoutons cependant Dioscoride : « L’aron que ceux de Syrie appellent lupha produit des feuilles semblables à celles de la serpentaire, mais plus longues et moins tachetées. Il produit une tige tirant sur le pourpre, longue de douze doigts, de la figure d’un pilon, duquel naît la graine de couleur safran. Il forme une racine blanche, comme celle de la serpentaire, laquelle parce qu’elle est moins forte, elle se mange cuite en viandes. L’on confit les feuilles dans du sel pour l’usage des viandes, et on les mange pareillement sèches et cuites. La racine, la graine et les feuilles ont les mêmes vertus que la serpentaire. Pareillement, la racine de l’aron emplâtrée avec de la fiente de bœuf aide aux podagres [nda : douleur goutteuse au niveau des pieds] » (1). Compte tenu de ce que nous dirons plus loin concernant la toxicité de l’arum à l’état frais, pas sûr qu’il s’agisse là de l’arum tacheté, ni même de l’arum d’Italie qui aligne sa toxicité sur celle de l’arum tacheté.

Chez Hildegarde, on trouve une plante dont le nom est assez proche de l’aron de Dioscoride : Herba Aaron. Là, les traducteurs ont pris la décision d’y voir notre arum, mais ce qu’en dit Hildegarde ne nous autorise pas bien à asseoir cette hypothèse, puisque l’abbesse dit cette plante bonne contre les ulcères de l’estomac, alors que ce serait plutôt elle qui les provoquerait par absorption. Hildegarde donne aussi de cette plante une indication que l’on peut qualifier de psycho-émotionnelle : « Si quelqu’un est agité par des humeurs noires, qu’il a l’esprit sombre et est toujours triste, qu’il boive souvent de ce vin cuit avec de la racine d’arum, et cela diminuera en lui la mélancolie et la fièvre » (2).

Tout ceci est fort maigre, mais nous allons nous rattraper avec la partie botanique car à ce niveau là, l’arum est une drôle de bestiole !
Plante vivace vivant en colonie, l’arum tacheté cache sous la terre une racine tubéreuse assez épaisse de laquelle partent quelques radicelles. Aux premiers jours du printemps, l’on voit apparaître les premières feuilles, longues de 25 à 30 cm au maximum, d’une luisante couleur vert foncé. Par leur forme sagittée, elles ne dépareraient pas le rayon de plantes « exotiques » de n’importe quel magasin spécialisé. Parfois tachetées de blanc ou de brun, ce sont elles qui distinguent notre arum de ses cousins. Ces feuilles sont si longuement pétiolées qu’elles permettent à la plante d’atteindre une hauteur totale de 60 cm. Mais, bien souvent c’est beaucoup moins que ça. Les derniers spécimens que j’ai rencontrés, relativement rabougris, ne dépassaient pas une quinzaine de centimètres de hauteur.
Peu de temps après, a lieu la floraison. Elle se remarque par la naissance d’une structure végétale tout d’abord en forme de navette, laquelle va peu à peu se déployer en forme de cornet : il s’agit de la spathe de l’arum, le plus souvent blanchâtre ou vert glauque, plus rarement rougeâtre, piquetée de violet à l’intérieur. Cette spathe abrite le spadice, qui n’est autre que l’appareil floral organisé en plusieurs étages. De bas en haut, nous trouvons des fleurs femelles fertiles, puis des stériles, enfin au troisième rang des fleurs mâles fertiles, puis des stériles. Quatre type de fleurs en tout, étagées en rangs réguliers jusqu’à la plus haute partie du spadice, espèce de massue, de pilon, dont la turgescence violet noirâtre a donné lieu au surnom de vit de prêtre que l’arum tacheté porte parfois ! C’est pourquoi l’on a dit de cet arum qu’il possédait une connotation sexuelle très forte, d’autant plus que, lors de la floraison, les fleurs dégagent et maintiennent au sein du cornet une chaleur qui peut atteindre 40° C (chez l’arum d’Italie). Cette débauche de moyens a un sens, et non pas de faire passer l’arum pour un « m’as-tu-vu », loin de là. En effet, l’arum est auto-stérile, c’est-à-dire qu’il a beau porter fleurs mâles et femelles sur le même pied, il est incapable de se féconder lui-même. C’est pour cela qu’il doit s’en remettre à un fantastique stratagème : à l’instar d’un diffuseur d’huile essentielle, la chaleur produite par l’arum va dissiper dans l’atmosphère environnante un parfum propice à capter l’attention de mouches et moucherons. Si l’arum ne les attire pas avec du vinaigre, son odeur est propre à repousser n’importe qui d’autre. De par la présence d’ammoniaque entre autres, l’odeur de l’arum en rut est tout à fait proche de celle du cadavre en décomposition, de quoi refroidir ceux qui lui prêtent des vertus aphrodisiaques. Dès lors qu’une mouche vient à se poser sur la plante, celle-ci la retient captive dans son cornet le temps que la fécondation se produise grâce au pollen transporté par l’insecte (c’est ce que nous voyons sur la photo ci-dessus). L’arum, bon hôte, nourrit la mouche en échange de ce service grâce aux sucs nutritifs qui se trouvent au fond du cornet, où, parfois, il lui arrive de se noyer.
Plus tard, à l’automne, la tige qui portait le cornet s’orne d’une grappe de baies rouge orangé serrées les unes contre les autres. Leur prime douceur fait place à une désagréable âcreté, mais pas quand on est une grive, par exemple, un oiseau qui s’en repaît sans risque et qui disperse au loin les graines de l’arum sur de nouveaux territoires à conquérir.
Plante très commune, l’arum tacheté est néanmoins moins fréquent à l’ouest de la France, rare ou inexistant dans la région méditerranéenne, où il est remplacé par l’arum d’Italie. Partout ailleurs, on peut le croiser de la plaine à la moyenne montagne (1500 m), de préférence sur sols calcaires, frais et humides tels que sous-bois de feuillus, haies, talus, bordures de chemins, etc.

L’arum tacheté en phytothérapie

On sera peut-être surpris de rencontrer l’arum tacheté dans une rubrique phytothérapeutique. Il est vrai que cette plante a été écartée de la plupart des manuels récents. Mais son attitude à être une plante ornementale n’exclue pas ses propriétés thérapeutiques qui sont, avouons-le, assez délicates à mettre en œuvre. Et c’est bien cette mise au ban qui explique qu’on connaisse si peu l’arum tacheté du simple point de vue des constituants qui le composent. L’on en sait quand même un peu à ce sujet. La racine tubéreuse de l’arum tacheté, brunâtre à l’extérieur, blanche et laiteuse à l’intérieur, contient de l’eau, de la gomme, de l’albumine, des saponines, une importante quantité de fécule, ainsi qu’un alcaloïde toxique pour le système nerveux central, l’aroïne. Les feuilles, tout aussi âcres que la racine, sont aussi pourvues du même alcaloïde. Quant aux baies, elles doivent leur belle couleur rouge orangé au lycopène, un pigment que l’on retrouve en masse dans la tomate.

Propriétés thérapeutiques

  • Expectorant
  • Purgatif
  • Diurétique, sudorifique
  • Rubéfiant, vésicant
  • Détersif puissant, maturatif, résolutif
  • Hémolytique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique, bronchorrhée, asthme humide, coqueluche, toux, toux ancienne, laryngite, enrouement persistant
  • Affections cutanées : abcès froid, ulcère atone, ulcère scorbutique, contusion, ecchymose
  • Hydropisie, engorgement œdémateux
  • Rhumatisme chronique, gonflement articulaire

Modes d’emploi (usages externes)

  • Décoction concentrée de racine fraîche
  • Cataplasme de feuilles et/ou de racine fraîche
  • Poudre de racine

Note : même en application cutanée, feuilles et racines ne sont pas exemptes d’inconvénients. C’est pourquoi l’on mêlait arum et oseille, laquelle permet de corriger le caractère vésicant et rubéfiant de l’arum.

  • Teinture-mère homéopathique (élaborée à base de racine sèche d’un autre arum, l’arum américain à trois feuilles, Arum triphyllum)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles de mai à juillet, la racine au printemps ou à l’automne. L’emploi de la racine à l’état frais est favorable, vieillie elle devient à peu près inopérante.
  • Toxicité : tout d’abord insipide, le goût des feuilles de l’arum ne tarde pas à faire la connaissance du palais et de la langue. Brûlant et aigrelet, tels sont les deux adjectifs qui sont les plus évocateurs. A lui seul, le goût des feuilles de cette plante est un véritable repoussoir qui n’invite pas à une dégustation plus étendue, le réflexe étant plutôt de recracher illico presto le bout de feuille mâchouillée. Mais, même rejeté, l’âcreté de l’arum tacheté est bien loin de se dissiper aussi rapidement qu’on le souhaiterait. Il a été remarqué que le thym et la menthe endiguaient assez bien cette fâcheuse et douloureuse sensation. « Des douleurs vives et lancinantes se font sentir dans tout l’intérieur de la bouche, auxquelles succèdent immédiatement de violentes douleurs d’estomac, des vomissements, des coliques, des convulsions, des crampes, des évacuations alvines, le refroidissement des membres, la petitesse du pouls, la rétractation des muscles, etc. Ces symptômes s’accompagnent du gonflement excessif de la langue, d’une inflammation intense de la bouche et du pharynx qui s’oppose à la déglutition » (3). Dans le meilleur des cas, la langue doit être tranchée, mais dans le pire, comme cela est parfois arrivé, au coma fait place le décès.
  • Alimentation : après ce qui vient d’être relaté, on pourra lever un sourcil soupçonneux. Comme l’on sait, la perle est assez souvent placée à proximité du dragon. Aussi, comment en profiter sans se faire griller sur place ? Pour rendre comestible la racine de l’arum tacheté, il faut tout d’abord l’éplucher, la râper et lui faire subir des ébullitions répétées, car « la matière nutritive se trouve mêlée au poison, dont il est facile de la séparer » (4). Ainsi obtient-on, aux dires de Cazin, un amidon de qualité supérieure à celui de bien des céréales et dont on a autrefois fait du pain.
  • Autres espèces : si les Aracées tropicales sont légion, en France elles sont peu présentes, à peine y rencontre-t-on une petite dizaine d’espèces dont l’arum d’Italie (A. italicum) et le gouet à capuchon (A. arisarum).
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    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 2, Chapitre CLIX
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 43
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, Cazin, p. 86
    4. Ibidem, p. 85

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