Afin de clôturer ce mois de juillet, voici une plante de soleil qui nous emmène tout droit au Mexique : la damiana (à ne pas confondre avec la dhavana indienne, Artemisia pallens). Cette plante incite très justement à la bonne humeur au point qu’elle serait, dit-on, aphrodisiaque…
Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)
Gilles
Synonymes : damiane, damania, herbe de saint Damien, houx du Mexique, balai de la vieille femme, plante de la bergère, herbe du guerrier, la bourrique, « tombe-chemise », etc.
N’est-ce point frappant qu’une plante méso-américaine porte un nom qui soit également un prénom féminin d’origine slovène ? (Pourquoi donc, en ce cas, lit-on parfois le damiana, hum ?) Quel rapport peut-il bien exister entre ce prénom européen et cette plante qui pousse en Amérique centrale ? Sachez bien que je n’en sais fichtre rien et qu’on est aussi peu certain des raisons qui ont poussé à accorder un nom pareil à cette plante. Deux hypothèses ressortent néanmoins : ce nom de damiana s’expliquerait par son surnom d’herbe de saint Damien. Si l’on se réfère à l’hagiographie de ce saint, l’on apprend que c’est le saint patron des pharmaciens. Ce qui peut parfaitement convenir à une plante médicinale comme la damiana (mais, à ce point de vue-là, il s’applique à beaucoup d’autres !). A moins que la tactique soit plus subtile qu’il n’y paraît : par ce moyen, ne s’agissait-il pas de capter cette plante païenne, de la faire transiter du supposé domaine du « profane », jusque sous la houlette du christianisme, de bien la placer sous le patronage du saint qui s’est, dit-on, penché sur son berceau au moment de cette renaissance qui lui a valu ce nouveau nom de baptême ? (Cela ne me paraît pas impossible ; par exemple, en France, une commune sur huit porte le nom d’un saint, alors bon…). La seconde des hypothèses fait, elle aussi, intervenir un homme d’église, le moine bénédictin Pietro Damiani (1006-1072), réformateur qui s’offusquait de l’immoralité dans laquelle était tombé le clergé de son temps. On peut, avec justesse, se demander ce que ces deux ecclésiastiques entretiennent comme rapport avec une plante qu’irrésistiblement l’on érige comme herbe d’Aphrodite en Amérique centrale ! Ce qui passionne la culotte est-il censé intéresser la soutane ? Il semblerait bien que oui, si l’on en croit l’œuvre de diffusion que l’on doit à un autre homme d’église, le révérend Juan Maria de Salviaterra (1648-1717) qui, au tournant du siècle, présenta la damiana comme aphrodisiaque et révéla, à travers son nom maya – mis kok –, ses propriétés anti-asthmatiques. Soit des fonctions que non seulement les Mayas lui reconnurent bien avant lui, mais avec eux les Aztèques et les Olmèques, qui en usaient également (et si ce n’était pas exactement elle, sans doute alors était-ce l’une ou l’autre des 140 et quelques autres espèces que la botanique a regroupé sous le nom Turnera), emploi thérapeutique remontant, dans cette zone géographique qui s’étend du nord du Mexique au Yucatán, à la préhistoire de ces peuples pré-colombiens très probablement. C’est une bonne part de ce savoir précieux qui se trouve compilée dans le Codex Badianus, un manuscrit latin retrouvé dans la bibliothèque du Vatican en 1929. Ce texte, premier herbier mexicain qu’on date de 1552, est l’œuvre de deux Aztèques, le médecin et auteur Martin de la Cruz et Juannes Badianus qui traduisit, du nahuatl au latin, le texte du précédent. Riche d’environ 250 plantes, il ne s’y trouve malheureusement pas la damiana…
La proximité du Mexique avec les États-Unis explique que la damiana pénétra assez facilement la médecine étasunienne. On vit le XIXe siècle faire de cette plante les premiers usages aphrodisiaques sur le sol des USA. Mais le médecin John Fyfe mettait ainsi en garde au début du siècle dernier : « La damiana a été introduite à l’origine comme un aphrodisiaque, et à ce jour, elle est une composante de nombreuses pilules et préparations de ce genre. L’échec suit fréquemment leur administration. Pourquoi ? En partie parce que la damiana est le remède indiqué dans seulement un petit pour cent d’entre eux – les cas atoniques, les cas d’impuissance fonctionnelle »1. Quel grand écart avec les mots de Guy Fuinel, plus tardifs d’une centaine d’années : « Le message de la damiana c’est l’ouverture, à l’autre, aux autres. Elle suscite les échanges, elle les enrichit. C’est l’expansion des sentiments dans des rencontres fertiles. La damiana ouvre les cœurs, exalte les corps, elle ne supporte pas l’impuissance et la frigidité. Elle veut des gens pleins de vie »2. Alors, qu’en penser ? Eh bien, si cette plante n’était pas aphrodisiaque, elle ne serait pas patronnée par Erzulie Freda, divinité de la beauté, de la passion et de l’amour du culte vaudou. De même qu’avec une autre déesse, méso-américaine celle-là et sans doute beaucoup plus ancienne, censée incarner la fertilité, Mama Allpa. C’est elle qui est figurée de façon fort suggestive dans la forme de la bouteille qui contenait une belle liqueur ambrée à la damiana, à la fraîche odeur de pomme et de miel, la liqueur Guaycura (apparemment, elle n’existe plus depuis belle lurette, seules quelques bouteilles se vendent encore çà et là à des prix prohibitifs…).
La damiana, au port arbustif, est un petit arbrisseau vivace originellement natif du Mexique et de la zone californienne contiguë. Répandue à l’Amérique du Sud (Colombie, Bolivie, Brésil), aux Antilles, aux îles de l’océan Indien, elle a ensuite pénétré le continent africain (il semble qu’elle devienne envahissante au Sénégal).
Ses tiges ligneuses portent une profusion de petites feuilles ovoïdes, douces au toucher parce que revêtues d’un fin duvet. Des dents crantées assez plates découpent le pourtour vert pâle des feuilles de la damiana. A floraison, on voit paraître de petites fleurs jaunes composées de cinq pétales qui produisent des fruits au goût de figue. L’ensemble de la plante dégage une forte odeur aromatique, très épicée et envoûtante.
La damiana en phytothérapie
La damiana fait partie de la petite dizaine d’espèces de Turnera (avec T. subulata, T. ulmifolia, T. sidoide, etc.) à bénéficier de l’intérêt du scientifique et du phytothérapeute.
Les sommités fleuries de cette plante possèdent une odeur aromatique épicée et une saveur légèrement amère qui rappelle de loin le café, peut-être plus agréable encore. Dans cette plante, on trouve des éléments très communs comme des protéines et des glucides, de la résine et de la gomme, des tanins et des saponines. Mais entrons davantage dans le détail, la chimie ayant permis, ces dernières décennies, la découverte de nombreuses molécules plus ou moins impliquées dans l’activité phytopharmacologique de la damiana.
D’aucuns soutiennent qu’on ne trouve pas de caféine dans la damiana, mais que penser des études qui affirment le contraire ? On est, en revanche, beaucoup plus certain de la présence de nombreux flavonoïdes dont l’hépatdamianol, la syringétine, l’acacétine, la naringénine, la pinocembrine, l’échinacine, la lutéoline et ses dérivés, enfin l’apigénine et ses nombreux glycosides. La damiana est également bien fournie en arbutine, un β-glucoside d’hydroquinone. S’il est communément admis que la damiana contient ce glucoside cyanogénétique du nom de tétraphylline B, l’on peut raisonnablement s’interroger sur l’existence ou non dans la damiana des principales molécules de la sauge divinatoire, à savoir la salvinorine A et la salvinorine B, information qui m’est passée sous les yeux sans que je ne sache à quel saint me vouer. En revanche, l’on peut être assuré du fait que de la fraction aromatique de la damiana – qui existe, elle, bel et bien – l’on retire, par la distillation de la plante, une huile essentielle horriblement chère dont on a étudié les puissants effets antiviraux et antibactériens sur germes Gram + et –3. Pour en terminer avec le portrait biochimique de la damiana, additionnons encore quelques données concernant vitamines et sels minéraux : dans la première catégorie, l’on trouve de la provitamine A, des vitamines B1, B3 et C, et dans la seconde, les éléments suivants : calcium, potassium, sodium, magnésium, sélénium, aluminium, chrome, fer, zinc, silice, cobalt, phosphore…
Propriétés thérapeutiques
- Tonique du système nerveux, dépressive du système nerveux central, euphorisante et relaxante légère, adaptogène4, antidépressive (sans affecter l’activité locomotrice), aiguise la mémoire, l’éveil et l’attention, augmente la résistance et la concentration durant une épreuve stressante, anxiolytique
- Apéritive, digestive, antidiarrhéique, antidysentérique, anti-ulcéreuse gastrique, laxative, tonique intestinale
- Diurétique, assure un confort urinaire normal, antiseptique des voies urinaires
- Anti-oxydante, réductrice du stress oxydatif mitochondrial, anti-inflammatoire
- Emménagogue, stimulante ovarienne, stimulante du cycle des règles, progestative (la damiana contient des substances dites phyto-progestatives), restauratrice de la fertilité masculine et féminine, stimulante du système hormonal (action sur la testostérone, œstrogénique5, progesteron like), stimulante des glandes sexuelles (augmente la taille des testicules et des glandes mammaires), aphrodisiaque, stimule la libido, augmente le désir sexuel
- Hépatoprotectrice, hypoglycémiante, réduit l’importance des pics glycémiques
- Expectorante, antitussive, antiseptique modérée des voies respiratoires
- Antirhumatismale, relaxante musculaire
- Antispasmodique
- Analgésique
- Cytotoxique, antifibrotique
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : infection gastro-intestinale, diarrhée, ulcère peptique, faiblesse et atonie du tractus gastro-intestinal, constipation, dyspepsie d’origine nerveuse
- Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, urétrite, atonie du système urinaire, irritation des muqueuses urinaires, catarrhe urinaire, albuminurie, hypertrophie de la prostate, prostatorrhée, incontinence d’urine chez les personnes âgées
- Troubles de la sphère respiratoire : toux, hypersécrétion bronchique, asthme
- Troubles locomoteurs : débilité nerveuse et musculaire, rhumatisme
- Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses et/ou irrégulières, crampe menstruelle, sentiment d’anxiété et de tristesse associé au cycle menstruel, dysménorrhée, bouffées de chaleur de la ménopause
- Troubles de la sphère génitale féminine : dysfonction sexuelle chez la femme ménopausée, chute de la libido, fatigue sexuelle, anaphrodisie
- Troubles de la sphère génitale masculine : douleur testiculaire, déficience de l’érectilité et du volume de la verge en cours d’érection, chute de la libido, fatigue sexuelle, anaphrodisie, déficience de la stéroïdogenèse et de la spermatogenèse testiculaires6
- Troubles du système nerveux et cérébral : déprime, dépression (légère, saisonnière), léthargie, faiblesse psychique, atonie du système nerveux, fatigue mentale, neurasthénie, nervosité, névrose anxieuse, anxiété, stress, peur, perte de mémoire liée à la ménopause, déficit cognitif imputable à une carence en œstrogènes (durant la ménopause et la vieillesse)
- Maladies dégénératives : maladie de Parkinson, diabète7
- Maux de tête
- Cure d’amaigrissement, perte de poids
Modes d’emploi
- Infusion : comptez une cuillerée à café de feuilles sèches de damiana pour une tasse d’eau en infusion durant 10 mn.
- Décoction : assez rarement utilisée, elle préconise de faire bouillir la damiana (sans doute fraîche, ce qui place ce modus operandi hors de notre portée) durant une heure de temps, puis de laisser reposer le tout hors du feu pendant une bonne journée.
- Poudre : 2 g par jour. A mélanger à un jus de fruit, à une tasse de café (j’ai testé, c’est bien agréable), mêlée à une quantité à peu près égale d’huile vierge de coco (sans doute le mode d’administration que je préfère ; se déguste à la petite cuillère).
- Extrait fluide glycériné.
- Souvent fumée (Mexique, États-Unis), la damiana peut tout à faite servir comme encens à déposer sur un charbon ardent.
- Macération alcoolique : dans un litre de rhum à 50°, placez 15 à 25 g de feuilles sèches de damiana et laissez macérer pendant au moins deux semaines dans une place chaude. Il est envisageable d’y ajouter d’autres substances aromatiques qui concourent au but fixé, c’est-à-dire l’élaboration d’une liqueur aphrodisiaque. Parmi celles-ci, citons la muscade et son macis, le clou de girofle, les graines de paradis, la vanille, la cannelle, le galanga, le poivre noir, le gingembre, etc.
Note : bien que peu courante en Europe, la damiana s’est tout de même implantée au sein de certaines spécialités surtout concernées par la libido, apparaissant sous forme de comprimés, gélules, granules homéopathiques ou encore huile flaconnée.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : les sommités de la damiana sont cueillies durant l’été, lors de la floraison. Il a été remarqué que la damiana fleurie récoltée en septembre contenait davantage d’apigénine qu’à tout autre période de l’année. Longtemps menacée par une cueillette exclusivement sauvage, la culture de cette plante reste hautement recommandée et souhaitable. Fort heureusement, on trouve aujourd’hui plus facilement de la poudre de damiana ainsi que ses feuilles sèches au sein de certains commerces spécialisés, en qualité bio qui plus est.
- Effets secondaires : la damiana peut causer une forme d’insomnie, surtout si elle a été prise en trop forte quantité et à un moment trop proche de celui de l’heure de coucher programmée. De même, des doses trop appuyées peuvent provoquer des effets laxatifs marqués, des maux de tête, etc. Il faut aussi retenir que la damiana s’oppose à l’absorption normale du fer en raison de la présence dans ses tissus de cristaux d’oxalate de calcium. Enfin, des lésions hépatiques et, en général, une toxicité hépatique ont été observées en cas d’usages disproportionnés et au trop long cours.
- En quels cas ne pas utiliser la damiana ? Il en existe quelques-uns. Les voici : en cas d’hypertrophie de la prostate, d’affections touchant les voies hépatiques. Ensuite, un traitement contre le diabète contre-indique l’utilisation de la damiana. Enfin, la grossesse est un état incompatible avec des prises régulières de damiana.
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- John Fyfe, Specific diagnosis & specific medication, p. 750.
- Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 66.
- L’huile essentielle de damiana contient surtout des sesquiterpènes (50 %), une faible fraction de monoterpènes (6 à 7 %) et une portion notable d’oxydes (1.8 cinéole : 15 %).
- « Les adaptogènes sont utilisés pour minimiser les réactions du corps au stress, pour obtenir un état sain, ou pour améliorer ou réduire certains troubles qui résultent du vieillissement, tels que les déficits de mémoire et d’attention, la fatigue et l’impuissance sexuelle. » (Source).
- La damiana est dite anti-aromatase : elle est réputée inhiber l’aromatase, c’est-à-dire le mécanisme enzymatique qui bloque la production d’œstrogènes.
- « Le traitement par Turnera diffusa rétablit le nombre, la motilité et la viabilité des spermatozoïdes près de la normale et réduit les anomalies morphologiques des spermatozoïdes et la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes chez les rats diabétiques. » (Source).
- « Les flavonoïdes interagissent avec de multiples cibles dans le système nerveux central, ce qui entraîne une neuroprotection généralisée par des processus complémentaires et des interactions synergiques. Par conséquent, les thérapies à base de flavonoïdes peuvent produire des résultats positifs dans la prévention et la prise en charge précoce des maladies neurodégénératives. » (Source).
© Books of Dante – 2023