Le lin (Linum usitatissimum)

Le lin, instrument utile et indispensable au tisserand et au peintre, est ce que l’on peut appeler une espèce végétale civilisatrice, car si l’on s’écarte des chemins de la phytothérapie, l’on s’aperçoit qu’il est intervenu dans bien des domaines de la vie humaine : il est tout autant la ficelle tissée en filet qui permet d’attraper le poisson que l’huile grasse qui imperméabilise des étoffes pour les rendre invincibles à l’eau. Nous aborderons bien d’autres exemples d’utilisations, ce qui nous conduira à évoquer aussi bien les lavandières de la nuit que les peintres flamands du XVe siècle. Bonne visite !

Un beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes : lin annuel, lin usuel, graine de longue vie.

Il est si peu fréquent de signaler qu’une plante a eu un passé préhistorique que, lorsque cela est clairement avéré, il n’est nullement question de se priver d’une telle information qui nous projette très loin en arrière, en une période inaccessible autrement que par les traces abandonnées par nos prédécesseurs et que les tourments du temps n’ont pas détruit sur son passage. On connaît la fragilité des restes d’origine organique – végétaux, os, poils. Le lin ne déroge pas à cette règle. Cependant, par l’entremise de travaux de fouilles, nous savons aujourd’hui que les hommes du Paléolithique supérieur connaissaient cette plante et l’exploitèrent en tant que fibre textile il y a environ 35000 ans. En Géorgie, le site de Dzudzuana a révélé en 2009 la présence de fibres de lin qui sont parmi les plus anciennes preuves de l’usage textile de cette plante, puisqu’elles ont été modifiées, coupées, tordues, filées et teintes en différents coloris (noir, gris, rose, turquoise). Cet usage textile précéda de très loin la culture organisée du lin dont on place les balbutiements il y a 7000 ans, au temps des Babyloniens en Mésopotamie, avant même de se répandre aussi bien à l’est (jusqu’à l’actuel Japon) qu’à l’ouest, comme en Égypte par exemple, où l’on découvrit des compléments à la connaissance de l’histoire du lin à travers les âges. A l’époque des anciens Égyptiens, on peignit des fresques sur lesquelles sont figurées, à côté de scènes de semailles et de moissons, la culture du lin, mais également son travail en tant que fibre textile dont l’intérêt était très marqué (beaucoup moins pour sa graine en revanche, bien qu’il existât alors un usage thérapeutique du lin) : cordages, filets de pêche (sennes), voiles pour bateaux, vêtements sont autant d’objets qui attestent du solide savoir-faire des Égyptiens de l’Antiquité en la matière, point sur lequel on peut être assuré : au XIXe siècle, on n’y croyait guère, mais l’avènement du microscope a permis de déterminer l’identité exacte de la fibre usitée découverte dans les ruines poussiéreuses de l’Égypte qui oppressaient et étouffaient visiblement Henry David Thoreau. Tous ces objets étaient bel et bien manufacturés en lin et non en coton comme on l’imagina : « Les filaments de lin, sous un grossissement de 2 ou 400 diamètres au microscope, se présentent comme des lames ou des tubes coupés de distance en distance par des lignes transversales simples ou doubles, assez semblables à des nœuds de roseau ; tandis que les filaments de coton, dépourvus de ces nœuds, sont plats, disposés en rubans tortillés sur eux-mêmes en hélices aplaties, plus ou moins allongées »1.



A cette occasion, on put même remarquer que, parfois, le lin était conjointement tissé avec de la « soie de mer », c’est-à-dire le byssus des mollusques bivalves. Pour mieux nous convaincre de la déjà longue parenté du lin avec l’Antiquité égyptienne, adressons-nous donc à la grande dame de la vallée du Nil, Isis. Ne passait-elle pas pour l’« inventrice » de l’art de filer et de tisser le lin ? On n’aurait jamais associé une telle activité à une si grande déesse si le lin, par son usage, avait été de l’ordre de l’anecdote. Contrairement à la Mésopotamie, où le lin s’efforça sans succès d’entrer en concurrence avec la laine, cette fibre textile végétale était fort connue du côté de la Galilée et de l’Égypte, où l’usage de la quenouille et du fuseau était fréquent, comme plus tard dans le monde gréco-romain. En ces temps et en ces lieux, on vit coexister l’usage profane et l’emploi religieux du lin. Le premier est suffisamment bien décrit par la Bible (cf. Proverbes XXXI, 10-24) pour qu’on y insiste2. Quant au second, il faisait entrer le lin en vigueur dans la confection des vêtements sacerdotaux liés au culte et aux mystères consacrés à Isis (dans nombre de cultures du bassin méditerranéen, le lin resta longtemps indissociable des vêtements de la prêtrise, puisque cela se vérifie en Asie mineure, à Rome, en Grèce, dans le monde chrétien, et même au delà, en Inde). On n’imagine pas un chiton autrement qu’en lin (cf. l’étymologie même de ce mot). Chez les Égyptiens, cette empreinte était si marquée qu’on appelait leurs prêtes linigeri. De là, on comprendra que le lin ait rapidement gagné les côtes de la Grèce, quand bien même les anciens Grecs eurent connaissance de son existence bien avant que Cléopâtre ait achevé d’user sa dernière robe de lin, puisqu’il y fut cultivé et tissé depuis au moins le Ve siècle avant J.-C. En plus de ces emplois agricoles et textiles, l’on sait aussi que le lin était chez les Grecs un médicament, puisque ce sont les hippocratiques chez qui l’on constata les premières traces d’un emploi médicinal du lin. On le conviait en médecine autant pour ses vertus internes qu’externes, dont on avait remarqué les propriétés adoucissantes et émollientes de la semence, au travers d’affections toujours d’actualité : troubles gastro-intestinaux (constipation, douleur abdominale, diarrhée, irritation intestinale), pectoraux (catarrhe bronchique), cutanés (ulcère, « disgraciosités ») et gynécologiques (leucorrhée, irritation de la matrice). Broyées en farine et liées à l’eau, on constituait déjà des cataplasmes à l’aide des graines de lin, impliquant bien davantage le lin au sein du champ thérapeutique, s’avérant vulnéraire et anti-inflammatoire local. Deux faits étonnants méritent d’être retenus : aux dires de Dioscoride, le lin « cuit avec du miel et du poivre induit, paraît-il, l’appétit vénérien ». Du côté d’Hippocrate, l’on observe quelque chose de bien différent : on confectionnait des sortes de moxa avec de la filasse de lin enflammée que l’on approchait assez près des points névralgiques et des douleurs goutteuses afin de les soulager.



Bandelettes de momie égyptienne. IVe siècle avant J.-C. Walters Art Museum, Baltimore (États-Unis).


A la suite de l’Antiquité, le Moyen âge représente une période propice à la bonne réputation du lin, pour cela inscrit au capitulaire De Villis. Il incarne la perpétuation d’un mouvement entamé il y a environ 2000 ans et durant lequel il supplanta la laine pour des siècles (linges de maison et de corps), ainsi que le chanvre qui couvrait, au Moyen âge, des surfaces beaucoup moins considérables que celles de lin. En effet, ce dernier, filé, tissé puis teint, offre de magnifiques textiles végétaux que la rudesse du chanvre ne peut égaler. Aussi ne faut-il pas s’étonner de trouver entre les mains de Hildegarde de Bingen des linges de lin usités dans la pratique médicale de son temps. Pour l’abbesse, le linge de lin était autant le mode de transport du liquide où on l’y faisait tremper, que le véhicule de sa propre force, c’est-à-dire, en l’occurrence, de sa froideur qui s’invitait au besoin dans les inflammations qu’on souhaitait rafraîchir (l’étoffe de lin possède un effet « frais » inconnu au coton, fort appréciable durant les fortes chaleurs estivales). L’usage que Hildegarde faisait du lin rappelle un peu celui qu’on observe dans la magie : la pochette de lin dans laquelle on glisse quelque amulette est aussi bien instrument enveloppant que drogue proprement opérative, détail que l’on a généralement tendance à oublier. Outre cet usage du lin sous sa forme textile, l’abbesse n’omit pas d’en utiliser les graines, qu’après avoir fait bouillir elle plaçait sur les douleurs de côté, les points spléniques douloureux, etc. Elle était alors cantonnée à l’usage externe, à la manière de ce qu’on peut lire dans le Grand Albert qui propose une recette de cataplasme bonne contre le « charbon » dans laquelle la graine de lin entre en bonne part, en compagnie de force plantes émollientes, apaisantes et antiphlogistiques. Quant à l’école de Salerne, en lui attribuant des vertus apéritives et diurétiques, elle ajoute au tableau thérapeutique du lin de nouvelles propriétés. Le lin, en tant que graine médicinale, perdura comme cela jusqu’à la fin du Moyen âge pour, dès le XVe siècle, être progressivement remplacée par l’huile végétale tirée de la même semence, jusqu’à être supplantée dès le siècle suivant dans la plupart des anciens emplois traditionnels de la graine de lin, et même au delà, ce qui offrit un bon coup de fouet aux pratiques médicinales relatives au lin dès l’époque de Matthiole et de Jean Bauhin, par exemple. On se rendit compte des bons effets de cette huile végétale sur les affections des sphères pulmonaire et gastrique. Brièvement présentée par Lémery, on la trouve plus soigneusement étudiée par Chomel, qui n’en oublie pas néanmoins la graine entière et la farine de lin en tant que matières médicales, intervenant aussi bien dans les perturbations gastro-intestinales que les troubles vésico-rénaux. Voici, par exemple, deux modes d’emploi qui avaient cours au beau milieu du XVIIIe siècle : la recette de l’eau de lin simple, tout d’abord. Pour cela, il suffit d’enfermer 15 g de semences de lin dans un nouet de toile et de laisser infuser le tout dans une pinte d’eau bouillante pour quelques heures. Et, de la bouche de Chomel, une recette un peu plus alambiquée : « Un des meilleurs remèdes que l’on puisse appliquer sur les hémorroïdes, est un cataplasme fait avec la farine de seigle, mêlée sur le feu dans de l’huile de lin, et y ajoutant, quand on l’en retire, un jaune d’œuf »3. (A la condition expresse que la farine de seigle ne soit pas contaminée par l’ergot de seigle, chose encore fréquente au XVIIIe siècle. On pourrait imaginer l’action de ce champignon parasite sur les hémorroïdes…). Malgré tout cela, l’huile de lin médicinale perdra peu à peu le charisme dont elle se sera parée, et finira même par être interdite en France au début du XXe siècle, suspectée d’être potentiellement toxique à l’intérieur. Encore faudrait-il s’assurer qu’elle ait été bien réelle et qu’il n’y eut pas, en ce temps, confusion ou substitution frauduleuse avec de l’huile de lin industrielle, que la médecine et la pharmacie doivent obligatoirement rejeter. Si l’on a depuis mis un meilleur ordre dans les destinations très différentes d’un même produit, il n’en fut pas de même autrefois où la distance entre l’épicier et le droguier était parfois fort ténue et les tentatives de triche plus largement répandues en dehors de l’absence de tout organisme de contrôle fiable. Aussi, peut-on poser la question suivante : l’huile végétale de lin thérapeutique aurait-elle pâti d’un mésusage parce que remplacée parfois, sciemment ou non, par de l’huile de lin industrielle ? Cette question, qui en amène d’autres, met tout d’abord en évidence la porosité qui peut exister entre monde pharmaceutique et monde industriel. C’est ce dernier que nous allons maintenant explorer selon deux volets : le lin textile et le lin à huile destinée à l’industrie. Concernant cette seconde forme, il est bien évident qu’elle ne possède aucun rapport avec l’huile de lin alimentaire et thérapeutique, généralement obtenue à froid, alors que ce second produit est issu de l’extraction à chaud des graines de lin. Il n’a pas le même aspect, non plus qu’un « parfum » identique, au contraire : on n’aurait pas l’idée, de par sa seule odeur, d’en faire un usage thérapeutique et encore moins alimentaire, tant il est repoussant pour des papilles olfactives averties. L’huile de lin est naturellement siccative, c’est-à-dire qu’elle permet d’assécher plus rapidement la matière à laquelle on la mêle, tout en la fixant et en lui conservant mieux ses caractéristiques. Elle le devient davantage si on la chauffe. On saisit dès lors beaucoup mieux son implication dans le domaine artistique de la peinture à l’huile (sous-entendu : de lin), une pratique qu’elle honore de ses excellents services depuis le XVe siècle, époque à laquelle le peintre flamand Jan van Eyck (1390-1441) la mit à contribution. Cuite tout d’abord, puis exposée au soleil pour décantation et clarification, elle acquiert davantage de siccativité, accordant à la peinture un supplément de brillance et aux pigments éclat et douceur, tout en augmentant globalement la facilité d’exécution du procédé. Si l’huile de lin est capable d’accroître le lustre de ces surfaces que sont les toiles des tableaux verticaux de la plupart de nos musées, il s’avère qu’elle peut aussi se situer, sans qu’on s’en doute, sous nos pas, parfaitement horizontale : c’est observable chez celui que, prosaïquement, l’on appelle lino, simple apocope du mot linoleum, un nom qui signifie « huile de lin », tout simplement ! Matériau d’invention plus tardive que la peinture à l’huile, le linoleum a été mis au point par le britannique Frederick Walton en 1874 par polymérisation de l’huile de lin. Alors que le visiteur scrute la toile brossée par le peintre, il frotte ses semelles au contact de cette matière à odeur, elle aussi, spéciale, « une odeur qui colle à la peau », à l’image de celle que la plante incrustait dans l’intimité cutanée des ouvrières des filatures du nord de la France au début du XXe siècle et qu’elles n’avaient pas la chance d’abandonner sur leur lieu de travail en le quittant, tant la persistance de l’odeur du lin peut être tenace. Mieux vaut l’admirer au travers de l’éclat d’une toile du maître flamand à l’image des époux Arnolfini ou de la Vierge du chancelier Rolin, à l’arrière-plan de laquelle se déploie une grande cité dont on s’est épuisé à déterminer l’identité. Certaines toiles peuvent si loin nous emmener qu’on peut se risquer à jeter un œil à ses pieds pour constater s’ils ont décollé ou pas. Mais, passé ce moment de distraction, il est souhaitable de percer le mystère de la toile en allant au delà des apparences, des aplats de peinture à l’huile de lin. Si l’on n’a pas la chance d’y trouver de solides et parfaits panneaux de bois de tilleul, peut-être aura-t-on celle d’y découvrir une toile toute tendue de lin, matière plus durable, moins hygrométrique et qui se détend moins avec le temps, que le coton. Double prodige : cette plante participe autant du support que de ce que l’on y applique. Dans cette perspective, l’on n’hésite pas à soutenir qu’elle est aussi bien yin que yang : le médium porté sur la toile, agissant et actif, donc yang, accompagne la toile, passive, vaste surface à emplir de nature yin (on observe le même couple yin/yang dans un métier à tisser avec les fils de chaîne immobiles et les fils de trame guidés par la navette). On observe d’ailleurs cette intrication des deux principes du Tao dans la façon dont on conçoit le lin en Inde : on considérait durant l’Antiquité indienne que le ciel était composé d’une immense toile de lin, que l’aurore tissait continuellement la naissante et lumineuse robe du soleil, les fils de cette plante textile passant pour des rayons solaires. Cette promiscuité du lin avec les choses ouraniennes – visible tout d’abord dans sa fleur d’un bleu céleste dont on a fait un symbole de pureté – est tant marquée que l’on « appelle encore aube [NdA : du latin alba, « blanc », relatif à ce moment de la journée où le ciel blanchit sous la lumière du soleil à l’Orient] la chemise de lin du prêtre et des enfants de chœur », nous signale Angelo de Gubernatis4. Il y a effectivement quelque chose de céleste, de divin, voire de magique dans le lin : on en peut confectionner des dentelles si fines – délicatesse des doigts de fées – que les robes qu’on y façonne tiennent tout entières dans une coquille de noix. C’est là une des caractéristiques yin du lin, renforcée en ceci qui va maintenant suivre. La part féminine du lin se constate en ce que, dès les semailles de cette plante, sa culture est exclusivement affaire de femme. En Scandinavie et dans les pays baltes, seules les femmes ensemençaient les champs de graines de lin. En Allemagne, dans le même temps, elles enfouissaient des œufs dans la terre (ou bien les consommaient sur place) afin de consolider les conditions propices à la bonne levée du lin. Des danses étaient parfois organisées, de même que des sauts, afin d’exhorter le lin à pousser aussi haut qu’on avait sauté. « Ne t’arrête pas de grandir avant d’avoir atteint telle taille, vu que tu n’as que ça à faire ! », était l’une des manières de s’adresser au lin finalement levé. Parfois, les femmes soulevaient leur robe, découvrant ainsi leur vulve à la vue du lin et l’encourageaient à pousser aussi haut que leur sexe. Si jamais les femmes seules n’y suffisaient pas, on invoquait sainte Geneviève, intrépide patronne des fileuses, au moment de jeter la dernière poignée de semences de lin en terre. Par sa capacité végétative, facile, rapide et abondante, le lin est une plante de la vie auquel on voit tant de vigueur qu’on n’hésite pas à le faire intervenir pour assurer aux enfants une bonne croissance : « En Allemagne, lorsqu’un enfant grandit mal, ou qu’il ne marche point, la veille de la Saint-Jean, on le place tout nu sur le gazon, et on sème du lin sur ce gazon et sur l’enfant même ; dès que le lin commencera à pousser, l’enfant aussi doit commencer à pousser et à marcher »5. Ceci est un exemple typique de magie sympathique : l’enfant doit « imiter » le lin en érigeant sa tête vers le soleil, à l’image de la fleur de lin perchée sur une colonne ferme mais bien souple. Cette habitude qu’on a eu de faire du lin un intercesseur s’illustre également via les pièces de linge qu’on en tirait (le mot linge découlant du nom même du lin) et que l’on associait souvent à l’eau d’une source ou d’une fontaine sacrée, ainsi qu’à quelques saints bons à l’office (la triade eau/linge/saint était fort répandue dans les campagnes françaises et ce jusqu’à une époque récente – fin XIXe/début XXe siècle environ). Donnons quelques exemples de cette utilisation bienheureuse du linge de lin. Le geste qui revient fréquemment, c’est celui de tremper un morceau de lin dans l’eau, de l’y immerger plus ou moins longtemps et d’en frictionner la partie malade (la tête, les dents, les membres, etc.). Parfois, il fallait entièrement envelopper le malade avec une étoffe préalablement trempée dans l’eau, après qu’elle ait séché bien entendu. Laver les vêtements du malade dans l’eau miraculeuse était aussi un acte régulièrement réalisé. Tremper le linge de corps des femmes dans des sources dédiées à tel ou tel saint était censé leur faire acquérir les forces conjointes de l’eau et du saint, en particulier en cas de défaut de la fécondité des femmes, pour faire venir le lait à celles qui en manquaient, pour faciliter l’accouchement, etc. Toutes ces activités unissant l’eau au linge nous amènent à aborder le personnage de la lessiveuse. Laver son linge sale en public n’avait pas, autrefois, pris la connotation négative que cette expression abrite aujourd’hui. Les femmes se réunissaient autour du lavoir, discutaient de choses et d’autres : ce lieu était donc l’un de ceux dans lesquels on laissait libre cours à l’expression de la parole (aux bagarres et aux invectives aussi ^.^). On y propageait les potins, on y faisait circuler les rumeurs, on y racontait aussi des histoires, de celles où le linge se change en linceul, jeune vie mise à rouir comme des tiges de lin dans l’eau. De là à évoquer les lavandières de la nuit… Ces âmes en peine étaient condamnées à laver sans relâche un linge qui ne parvenait jamais à la parfaite blancheur (contrairement à celui des fées, toujours impeccablement immaculé), façon de marquer que la pénitence de ces damnées ne pourrait jamais en absoudre le péché, toujours plus ou moins relatif à la mort douteuse d’un enfant. C’est pourquoi on signalait le fait que les lavandières tordent du linge qui n’en est pas : quand on y regarde de plus près, on se rend bien compte qu’il s’agit du cadavre d’un enfant qu’elles essorent jusqu’à lui briser les os. Ainsi, une étoffe de lin insuffisamment blanche, tenant plus du linceul qu’autre chose, est donc la figuration d’une âme pas assez bien purifiée par la confession, les lavandières étant toutes des pécheresses au regard de la foi chrétienne : elles errent, battent bruyamment du linge en chantant des mélopées lugubres en plein milieu de la nuit. Gare au voyage imprudent qui en ferait la rencontre nocturne !… Tout cela explique qu’au cœur de ces légendes de laveuses de la nuit, spectres bien particuliers, l’on ait placé une autre pièce de lin que le linge : le linceul. Bien que linge et linceul tirent tous les deux leur origine du lineus latin, l’un est vêtement de vie là où l’autre enveloppe la mort, à la manière de ces étoffes qui emmaillotaient les cadavres en Égypte (et cela dans une visée moins glauque que la lavandière qui torsade un linceul) : en effet, les bandelettes de lin des momies égyptiennes garnissaient les défunts d’un « habit de lumière ». Le lin, hormis à travers l’objet même du linceul, n’est jamais aussi symboliquement attaché à la mort qu’à travers cet exemple. L’on voit bien, en Inde, un usage conjoint de la graine de lin et de la feuille de basilic sacré, que l’on baigne au sein de la même eau afin d’en laver la tête des mourants. L’on connaît tant la valeur apotropaïque du tulasi pour ne pas remarquer que les Indiens en accordaient une identique à la graine de lin afin qu’elle offre également protection à ceux prêts à quitter ce monde pour l’autre. On observe, bien qu’en s’écartant de considérations purement funestes, l’emploi du lin comme protecteur contre les sortilèges. Par exemple, au Pays basque, placer des graines de lin dans ses chaussures ou ses poches est censé agir dans ce sens. Au Danemark, pour barrer la route aux mauvais esprits, on répandait des graines de lin sur le pas de la porte d’entrée des maisons.



Mouchoir en lin. XIXe siècle. Suisse ou Allemagne.


Le lin dit usuel (L. usitatissimum) est une plante annuelle que l’on ne connaît plus qu’à l’état cultivé. Il est donc inexistant à l’état sauvage, ce qui est souvent l’apanage des plantes dont la culture remonte à fort loin dans le temps. On s’est égaré en conjectures concernant son berceau originel. S’agit-il de l’Asie mineure, de la vallée du Nil ou de tout autre lieu compris entre l’Europe occidentale et l’Asie centrale ? Nul ne semble le savoir vraiment. On a pensé, un temps, en faire un « descendant » de L. angustifolium, plante vivace courante en France, mais c’est aussi ridicule que de prétendre que le lin provient de tel endroit parce qu’on a retrouvé des dépôts de graines sur un site archéologique ou bien de tel autre qui se trouve être un important centre de confection textile. A considérer un pays comme la France, ce lin (hormis ses habituelles zones de culture : Nord/Pas-de-Calais, Normandie, Picardie, Île-de-France) peut prendre racine à proximité des champs et des jardins où on le cultive, jamais plus loin, tant ces millénaires de domestication ne lui permettent plus de s’ensauvager à des lieues de distance.

Le lin annuel est une gracieuse plante qui peut atteindre un bon mètre de hauteur par le biais de tiges fines et ramifiées quelquefois seulement dans les parties hautes, portant des feuilles lancéolées, linéaires et très étroites (jusqu’à 30 mm de long sur 4 de large), dont le vert grisâtre glauque le dispute au bleu azur/gris lin des corolles dans la catégorie pastel. Ces fleurs, solitaires à l’extrémité des pédoncules, comptent cinq divisions qui s’épanouissent en juin et en juillet (la floraison du lin n’est guère plus tardive, ce qui est fort heureux vu ce qui attend les cultivars à fibres textiles). Chaque fleur donne naissance à une capsule verte puis brune, plus ou moins ovoïde, achevée par une petite pointe en son sommet. Elle comporte cinq valves contenant chacune deux graines de couleur puce (une sorte de marron), assez petites (4 à 6 mm de longueur, moitié moins de largeur), plates et ovoïdes.

Le lin apprécie les sols frais, bien drainés, d’Europe et d’Asie, suffisamment exposés au soleil. Très gourmand, il nécessite des terres fumées, ce qui est d’autant plus important que le lin épuise considérablement les sols, même une fois engraissés, d’où l’obligation d’espacer les sessions de culture de 8 à 10 ans.

Si le Canada, la Chine et les États-Unis fournissaient en 2010 un peu plus de la moitié de la production mondiale de graines de lin (52,20 %), c’est à la France que revient l’honneur de produire les trois quarts du lin textile mondial, sans commune mesure avec ce qui se faisait il y a encore deux siècles : le lin, alors non concurrencé par le coton, était cultivé partout en Europe sur de grandes surfaces. Mais l’on ne saurait produire largement une plante à laquelle on trouve moins de débouchés qu’autrefois, quand bien même la part de textiles d’origine végétale croît avec les années ces dernières décennies.

La culture du lin a mené à la sélection de cultivars textiles et de cultivars à graines oléagineuses.



Le lin en phytothérapie

Si nous avons vu que l’industrie s’est emparée autant de la fibre textile que de la graine de lin comme oléagineux, la pratique médicale s’est surtout essentiellement concentrée sur cette dernière (nulle part l’on ne trouve d’informations ayant trait au reste de la plante : l’on n’a jamais imaginé – que je sache – faire des fleurs ou des feuilles de lin une infusion).

Par expression mécanique à froid de la semence de lin, l’on retire environ un tiers de son poids en huile surtout constituée d’acides gras polyinsaturés dont l’acide linolénique (oméga 3 : 53 %) et l’acide linoléique (oméga 6 : 15,70 %). A cela, il faut ajouter environ 1/5 d’acides gras mono-insaturés (acide oléique : 19 %) et enfin 10 % d’acides saturés (palmitique et stéarique). On y trouve encore d’autres acides (trans-vaccénique, arachidique, érucique, béhénique…) à l’état de trace uniquement.

Naturellement siccative – c’est-à-dire qu’elle s’épaissit avec le temps comme l’huile de noix –, l’huile de lin est fragile et peut facilement rancir. Compte tenu du fait qu’elle est difficile à obtenir sans extracteur, il est préférable de se la procurer en toute petite quantité. C’est pourquoi on la trouve en contenant opaque de 25 cl, jamais davantage. Il est préférable de la conserver au réfrigérateur après ouverture et de la consommer rapidement.

La graine de lin n’est pas seulement pourvoyeuse d’huile : on peut en tirer une farine que l’on fabrique de la manière suivante : après avoir mondé le lin, on le fait sécher si besoin à l’étuve à une température de 40° C. Puis on le pile dans un mortier métallique ou bien grâce à un moulin à café manuel. Douce au toucher, la farine de lin conserve la forme qu’on lui donne quand on la presse dans la main. S’émulsionnant dans l’eau, on lui reconnaît une bonne qualité en ce qu’elle ne bleuit pas sous l’action de l’eau iodée. Tout comme l’huile de lin, cette farine est extrêmement fragile : elle « s’altère facilement tant par le rancissement de son huile qui lui communique une saveur âcre (réaction acide) et une odeur désagréable, que par l’action de l’humidité atmosphérique qui développe des moisissures, produit l’altération du mucilage, l’échauffement et même la putréfaction ammoniacale »6. Dans certaines circonstances, elle peut même faire l’objet d’une combustion spontanée !

Que trouve-t-on encore dans ces semences inodores de saveur fade ? De la gomme, de la cire et de la résine, mais aussi une grosse fraction de protéines (25 %, dont de l’aleurone en quantité importante) et de fibres (14 %). Du tanin également, de la pectine, des lignanes (essentiellement dans le tégument des graines), des stérols, des traces d’hétérosides cyanogénétiques. N’oublions pas les vitamines (F, qui accompagne l’huile) et les sels minéraux (fer, silice, calcium, potassium, etc.), et nous aurons fait un tour d’horizon de la question des composants biochimiques constitutifs de la graine de lin. Enfin, pas tout à fait : il nous reste à expliquer ce qui a fait mériter son nom au lin : l’étymologie ferait provenir le mot lin de deux verbes latins, linire d’une part, linere d’autre part. Le premier veut dire « adoucir », le second « enduire, oindre », deux verbes tout à fait adaptés au lin, en particulier grâce à une substance adoucissante et émolliente qu’il contient, le mucilage (6 à 15 %). Assez courant dans le monde végétal (violette, mauve, guimauve, coquelicot, bouillon blanc, plantain psyllium, bourrache, graines de chia, tussilage, etc.), le mucilage présente l’intérêt une fois mis au contact de l’eau, de gonfler deux à trois fois de volume, formant une matière à la limite du visqueux et du gluant, semblable à un gel plus ou moins épais. Nous en reparlerons.

Propriétés thérapeutiques

  • Adoucissant, émollient, hydratant, calmant des douleurs et de l’irritation des muqueuses
  • Maturatif, résolutif, vulnéraire, détersif, stimulant de la régénération cellulaire cutanée
  • Apéritif, nutritif, nourrissant
  • Régulateur des battements du cœur, maintient le bon fonctionnement du système cardiovasculaire
  • Régulateur œstrogénique, protecteur face aux cancers hormono-dépendants (y compris prostatiques)
  • Renforce l’immunité et prévient le syndrome d’immunosuppression chronique
  • Réduirait l’insulino-résistance (?)
  • Anti-oxydant
  • Diurétique froid et tempérant
  • Laxatif, purgatif léger, vermifuge
  • Anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, cystite chronique, ischurie, dysurie, blennorragie, strangurie, catarrhe vésical, néphrite, colique néphrétique, pyélite, difficulté de miction, spasmes vésico-rénaux plus ou moins douloureux
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée à caractère inflammatoire (flux chauds), diarrhée douloureuse, éréthisme du côlon, dysenterie, constipation, autres stases stercorales, paresse intestinale, autres troubles du transit et du péristaltisme intestinal, gastrite, entérite, péritonite, colite, ulcère gastrique et duodénal, colique spasmodique, parasites intestinaux (ascarides vermiculaires)
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux chronique et aiguë, bronchite (légère, chronique), tuberculose (adjuvant), ardeur et sécheresse des voies aériennes, pharyngite, enrouement, catarrhe bronchique léger, pneumonie, emphysème, hémoptysie, pleurésie
  • Troubles locomoteurs : goutte, rhumatisme, douleur névralgique
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : possible action préventive sur les maladies cardiovasculaires, abaissement du toux de cholestérol sanguin, réduction de la pression artérielle, hémorragie active, hémorroïde et congestion hémorroïdaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : syndromes prémenstruels, ménopause (bouffées de chaleur), cancers hormono-dépendants (possible action bénéfique sur les cancers du sein et de l’endomètre), douleurs menstruelles
  • Affections cutanées : plaie (enflammée, douloureuse, purulente), ulcère, furoncle, dartre, panaris, eczéma, dermatose douloureuse et/ou prurigineuse, abcès, tumeur, adénite, blessure, contusion, enflure, engelure, brûlure, gerçure, crevasse, peau sèche, rugueuse, chagrinée, ridée
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, stomatite, maux de dents

Note : vous l’avez peut-être remarqué, mais un bon nombre de mots dans la liste précédente s’achèvent par le suffixe -ite, qui signale généralement qu’on a affaire à une inflammation. Face à cela, l’usage du lin est indiqué en raison de l’abondance de son mucilage, lequel porte son action aussi bien par voie externe qu’interne. Bien qu’il abaisse la sensibilité aux saveurs et à la température, il minimise aussi la douleur. Non seulement il permet de laver les plaies mais aussi de favoriser l’augmentation du bol alimentaire. Dans ce dernier cas, le transit et le péristaltisme retrouvent leur cours normal, alors que la portion huileuse contenue dans la graine de lin lubrifie les parois intestinales. De plus, le gel mucilagineux issu des graines de lin aseptise le canal digestif et le purifie en drainant un ensemble de déchets hors du corps, dont la toxicité peut provoquer différents troubles qui sont autant de signes d’une auto-intoxication (perte d’appétit, somnolence post-prandiale, insomnie, fièvre intermittente, etc.). Le lin est censé exonérer l’intestin de déchets qui ne manqueraient pas d’y occasionner, par stabulation forcée, ces divers troubles. Cependant, il importe de jeter un regard critique sur cette habitude consistant à absorber les graines de lin per os sous cette forme. En effet, que dire de tout ce mucilage ? Eh bien, il s’agit d’une substance glucidique donnant, par hydrolyse, du glucose, du galactose, de l’arabinose, du xylose, etc., c’est-à-dire des sucres qui vont, en plus de ceux apportés par l’alimentation quotidienne (!), venir faire le bonheur d’un certain nombre de micro-organismes intestinaux qui s’en repaissent, le candida pour n’en citer qu’un seul. De plus, les graines de lin, à l’instar de celles de beaucoup de céréales et de légumineuses, sont porteuses de mycotoxines qui se développent conjointement à la plante, au cours de son cycle végétatif. Consommer beaucoup de graines de lin, c’est donc absorber un supplément non négligeable de ces mycotoxines. Que pensons-nous donc qu’il va se produire une fois qu’elles seront parvenues dans l’intestin ? Celui-ci sera, certes, mécaniquement débouché s’il est sujet à la constipation, mais quid de la présence d’agents pathogènes et de ces excès de glucides dont va se repaître une flore non moins pathogène qui, à son tour, relarguera ses propres toxines dans l’organisme ? Sans que je lui vois fournir la moindre explication sur ce point, le docteur Leclerc déconseillait l’usage interne des graines de lin en cas de constipation. J’ignore la raison à cela, mais celle que je fournis ici mérite qu’on s’y arrête. C’est pourquoi le lin me semble contre-indiqué au travers d’une dysbiose intestinale comme la candidose par exemple.

Modes d’emploi

  • Consommation régulière de graines de lin dans l’alimentation (à bien mâcher ou à consommer fraîchement broyées, sans quoi elles ressortent comme elles sont entrées, c’est-à-dire entières). Sachez qu’elles s’oxydent très rapidement, l’on ne peut donc en moudre une certaine quantité à l’avance. Cette consommation ordinaire en nature avoisine deux cuillerées à café par jour, soit environ 10 g. Celles et ceux qui apprécient ça peuvent les mélanger à un demi verre de kéfir de lait.
  • Infusion de graines : 6 à 20 g dans un litre d’eau pendant quelques minutes seulement (passé ce délai, le mélange devient gluant et peu amène).
  • Macération à froid de graines : 20 g par litre d’eau pendant au moins cinq heures (au plus, toute la nuit).
  • Décoction de graines : 15 à 50 g dans un litre d’eau ou de lait.
  • Boisson émolliente : dans un litre d’eau bouillante, placez 12,50 g de semences de lin et la même quantité de miel. Laissez refroidir et prendre en deux prises.
  • Bain émollient : versez un quart de kilogramme de graines de lin dans cinq litre d’eau et portez le tout à ébullition. Après quelques bouillons, coupez le feu, passez en exprimant bien, puis versez dans l’eau du bain.
  • Huile de lin : à la cuillère, selon les besoins. Par exemple, une cuillerée à soupe d’huile de lin mêlée à autant de jus de citron est un excellent vermifuge lorsque la prise est souvent répétée.
  • Cataplasme de farine de lin : placez 15 à 25 g de cette farine dans ½ litre d’eau. Faites bouillir afin d’épaissir le mélange qui, pour autant, devra conserver une texture assez liquide pour s’appliquer correctement en couche d’au moins un centimètre sur les zones à traiter autour desquelles il faudra opérer un débord. Il s’agit là du cataplasme simple que l’on applique chaud sur la peau (il peut en être isolé par un morceau de tulle ou de flanelle) et le conserver jusqu’à ce qu’il froidisse sans que son efficacité n’en soit altérée. On peut aussi pallier le problème de l’adhérence excessive en déposant quelques gouttes d’huile sur la zone devant accueillir le cataplasme. Au delà de cette préparation, la pratique médicale d’autrefois recourait souvent au cataplasme sinapisé où à 4/5 de farine de lin venait se mêler 1/5 de farine de moutarde. Si pratique, la farine de lin se livra à la réalisation de nombreux autres cataplasmes pour lesquels elle ne jouait pas que le rôle de « vulgaire » excipient : cataplasmes anodins, narcotiques, maturatifs, etc. En mélangeant la farine de lin à de la poudre de quinquina, on obtenait un cataplasme antiseptique. On liait cette farine avec une infusion de safran et une décoction de pavot et de camphre, pour obtenir une pâte molle assurant le rôle de cataplasme antispasmodique, etc.
  • L’huile, en application cutanée locale, entrait aussi dans une foultitude de recettes de liniments, cérats, emplâtres, baumes, pansements et sparadraps.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Quelle que soit la préparation à laquelle on destine la graine de lin, il sera important de ne pas utiliser l’eau chaude du robinet pour ce faire, mais de l’eau bouillie à l’aide d’une bouilloire, de préférence non calcaire. En effet, les éléments minéraux tels que le calcium et le magnésium s’opposent à l’hydratation du mucilage. Les eaux dures devront être bannies et une eau très faiblement minéralisée préférée. Une fois cet écueil franchi, il faudra veiller à l’extrême fraîcheur de la graine de lin et de sa farine qu’on utilisera aussi sec, car la vieille farine de lin, outre qu’elle rancit, est également capable de provoquer des dermatoses de contact, ce qui est contraire au bon sens, sachant que le cataplasme de farine de lin est justement censé les apaiser ! On observait autrefois ce type d’accident chez les ouvriers qui manipulaient quotidiennement le lin. Prenant l’aspect d’une dermite érythémateuse, pustuleuse et vésiculeuse qui affecte tout d’abord les mains et parfois les pieds, on l’appelle eczéma des fileurs et des varouleurs de lin. Cazin remarquait même que l’eau de rouissage du lin était vénéneuse autant pour les hommes que pour les animaux. Quant à la poussière provoquée par le travail de la filasse de lin dans les filatures, elle était à l’origine de désordres respiratoires (asthme, hémoptysie).
  • L’huile de lin contient peut-être moins d’oméga 6 que d’oméga 3, il faut tout de même y songer : les oméga 6 étant inflammatoires, ils ne font pas bon ménage avec le maintien ou la restauration de la santé. Idéalement, il faudrait écarter de l’alimentation toutes les huiles végétales en contenant des quantités significatives (tournesol, onagre, pépin de raisin, carthame, noix, soja).
  • Si nous avons affirmé plus haut que la médecine et la pharmacie avaient largement tiré parti de la graine de lin, l’industrie ne s’est pas non plus privée de ses bons services, jetant essentiellement son dévolu sur son huile obtenue à chaud. Brune et d’odeur désagréable, elle intéressait bon nombre de secteurs industriels. On en fabriqua une sorte de glu, une fois bouillie à vase clos et continuellement remuée. A cette glu, on ajoutait du noir de fumée, ce qui permettait l’obtention d’encre d’imprimerie. Par adjonction d’essence de térébenthine, on fabriquait de l’encre de cave, à même de pouvoir se maintenir sur le verre des bouteilles. En faisant bouillir de l’huile de lin avec de l’eau additionnée d’acide nitrique, on produisait une sorte de « caoutchouc », tandis que sa cuisson avec de la litharge (un oxyde de plomb) augmentait la siccativité du mélange destiné à jouer le rôle de vernis comme le vernis gras, le noir de Brunswick, le vernis hollandais, le vernis pour plancher, le vernis siccatif brillant…, qui n’existent plus en raison de la présence de plomb dans leur composition (merci bien l’exposition chronique au plomb avec de tels produits !). Afin de bénéficier des vertus imperméabilisantes et collantes de l’huile de lin, on en élabora aussi des luts (lut gras, lut à la colle, lut de Mohr), c’est-à-dire une sorte d’enduit occupant la fonction de joint obturateur (par exemple, pour sceller hermétiquement un bouchon sur une bouteille). En plus de tout cela, l’huile de lin fut exploitée pour imperméabiliser des tissus (toile cirée, par exemple), fabriquer des bougies et des savons, servir d’huile d’éclairage, comme lubrifiant de pièces mécaniques, etc.
  • La récolte du lin se réalise quand les tiges prennent une teinte blonde. A ce moment, on les arrache, on les réunit en petits faisceaux liés par le sommet, puis on les abandonne au séchage en plein soleil. Puis vient l’étape du rouissage : il s’agit tout simplement de faire tremper les tiges de lin dans l’eau pendant une dizaine de jours, en veillant à ce qu’elles soient complètement immergées, puis de sécher le résultat de cette macération au four (ou en plein soleil). Ensuite, le lin est battu à l’aide d’un maillet et soumis au teillage grâce à une broie qui remplace l’ancienne étape du sérançage, c’est-à-dire le peignage du lin. Cette opération permet la séparation de la filasse des fibres textiles d’avec l’étoupe, partie la plus grossière du lin. Cette fibre textile tirée du lin fut surtout destinée au tissage de toiles (vêtements, linges de maison, bandages pharmaceutiques, moleskine…) et à la fabrication de cordes et cordelettes, jusqu’à ce que l’usure n’oblige à la convertir en pâte à papier pour une seconde carrière. Voici deux exemples historiques de l’utilisation du lin pour fabriquer des textiles. Premièrement, l’on peut signaler que la tapisserie de Bayeux datant du XIIe siècle et mesurant 68,30 m de longueur (pour ½ de largeur) est constituée d’un mélange de lin et de laine. Second exemple : un peu plus tard (XVIe siècle), on retrouve cette même union de la laine et du lin en Italie. Teinte en bleu indigo, on l’appelait toile de Gènes, avant de devenir « toile de jean ». Le moderne jean, quoi qu’on en pense, n’est donc absolument pas états-unien !
  • Autres espèces : aux fleurs jaunes : le lin campanulé (L. campanulatum), le lin de France (L. gallicum), le lin raide (L. strictum). Aux fleurs blanches : le lin purgatif (L. catharticum), le lin ligneux (L. suffruticosum), le lin à feuilles étroites (L. tenuifolium). Aux fleurs bleues : le lin bisannuel (L. bienne), le lin de Narbonne (L. narbonense).

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  1. François Dorvault, L’officine, p. 1534.
  2. « Qui trouve une femme de valeur ? Son prix est plus grand que celui des perles. Elle cherche de la laine, du lin, et fait ce que désirent ses paumes. Elle lance ses mains sur la quenouille, et ses paumes saisissent le fuseau. Elle se fait des couvertures ; son vêtement est de lin et de pourpre. Elle fait du drap et le vend, elle donne une ceinture au marchand » (La Bible d’André Chouraqui, pp. 1276-1277).
  3. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 536.
  4. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 198.
  5. Ibidem, p. 199.
  6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 575.

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La crème Budwig

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Catherine Kousmine (1904-1992), médecin d’origine russe, a fait la remarque suivante : l’ensemble des denrées alimentaires ont vu leur prix augmenter pendant la Seconde Guerre Mondiale. Sauf l’huile. C’est en tentant de découvrir pourquoi, qu’un employé d’huilerie, qui est l’un de ses patients, lui offre un début de piste : les techniques d’extractions ont été modifiées. Les industriels ont été autorisés, afin d’accroître les rendements, d’effectuer un pressage à chaud des oléagineux communément utilisés alors.

Au cours de ses recherches, le Dr Kousmine met en évidence la dangerosité de cette nouvelle pratique propre à l’industrie de l’huilerie : l’étanchéité des membranes cellulaires est altérée du fait de la carence en acides gras essentiels dans l’organisme.

Quand une cellule se divise, sa membrane s’accroît mais elle doit contenir suffisamment d’acides gras à sa surface pour y parvenir. Si le processus de remplacement des anciennes cellules par de nouvelles s’arrête, c’est donc le début de la dégénérescence (au niveau de la peau, du foie, du pancréas, et des glandes stomacales et intestinales) et de la formation des tumeurs. Il faut donc augmenter la résistance des membranes des cellules en utilisant des lipides polyinsaturés nécessaires à l’organisme.

 

Elle met en place un régime à base d’huile de lin et de fromage blanc afin de permettre aux cellules cancéreuses de respirer, car, selon Otto Warburg, prix Nobel de médecine en 1931, la principale cause de la croissance des cellules cancéreuses est le manque relatif d’oxygénation. Elle appellera cette crème « budwig », en hommage à Johanna Budwig, pharmacienne allemande, qui a énormément travaillé sur les huiles et les margarines.

 

Quelques effets de la carence en acides gras essentiels sur l’organisme :

 

* Sur le cœur : un manque d’huiles polyinsaturées dans l’organisme entrave l’oxygénation du sang et force le cœur à pomper davantage pour irriguer la même quantité de tissus.

 

* Sur le cerveau : dysfonctionnement du cerveau et du système nerveux.

 

* Sur le foie, le pancréas, les amygdales : ils ne peuvent pas correctement produire leurs sécrétions tant qu’il y a carence de lipides insaturés dans l’organisme.

 

Recette de la crème Budwig :

 

– 8 cuillerées à café de fromage blanc maigre

– 4 cuillerées à café d’huile végétale de première pression à froid riche en acides gras polyinsaturés

 

Émulsionner l’ensemble puis ajouter :

 

– le jus d’un citron

– 2 bananes écrasées ou 4 cuillerées à café de miel

– 4 cuillerées à café de céréales complètes crues fraîchement moulues (riz complet, épeautre, orge, avoine, sauf blé et seigle trop riches en gluten et jamais plus d’une à chaque fois)

– 4 cuillerées à café de graines oléagineuses complètes fraîchement moulues (graines de tournesol, sésame, lin ou une douzaine d’amandes ou de noisettes)

– fruits frais de saison en morceaux.

 

Voici une liste des principales huiles les plus riches en acides gras polyinsaturés :

 

– onagre : 79 %

– carthame : 78 %

– chanvre : 75 %

– noix : 72 %

– tournesol, pépins de raisin : 65 %

– germe de blé : 63 %

– bourrache, soja : 62 %

– maïs : 53 %

– pépins de courge : 52 %

– sésame : 41 %

 

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