L’artichaut (Cynara scolymus) et le cardon (Cynara dracunculus)

Capitules floraux d’artichauts en pleine floraison.

Synonymes : pour l’artichaut : bérigoule ; pour le cardon : carde, cardonette, chardonnette, chardon d’Espagne, artichaut sauvage.

Du seul point de vue de l’acheteur qui parcourt les étals du marché, cardon et artichaut n’ont rien de commun : l’un se présente sous la forme d’une botte de cardes (qui ne sont pas autre chose que les pétioles géants de feuilles non moins géantes), l’autre prend l’aspect d’une boule écailleuse de couleur verte ou violette, constituant un capitule floral dont on ne voit pas les fleurs, puisque, au moment de sa récolte, l’artichaut les dissimule encore à l’abri de ses bractées que l’on appelle abusivement des « feuilles ». Or, si l’on pouvait mettre côte à côte le feuillage de ces deux espèces, on pourrait s’assurer de leur parenté, de même que les capitules du cardon qui, bien que plus petits que ceux de l’artichaut, y ressemblent tout de même beaucoup. Il est bel et bien question de parenté de l’un à l’autre, comme l’atteste le mot cynara. Mais quel lien peut-on établir ? Cardon et artichaut sont-ils cousins ? Sont-ils frères ? Et à ce compte-là, qui sont leurs parents ? Autant de questions permettant de fournir matière à de joyeux casse-tête, chacun y allant, siècle après siècle, de sa propre hypothèse pour tenter de percer le mystère du cynara originel. C’est la délicate mission que nous nous proposons, défis que nous relevons, espérant ne pas trop dire d’âneries, puisque beaucoup d’erreurs ont été commises à ce jour sur ce point.

Le premier constat réside en ceci : cynara (ou kynara) est le nom attribué à tout un tas de plantes à épines présentant un quelconque intérêt alimentaire durant l’Antiquité. Du point où nous sommes juchés, il apparaît difficile de bien discerner, dans les textes antiques, un cynara d’un autre (par facilité ou paresse, certains ont vu derrière chaque cynara un artichaut tel qu’ils le connaissent, c’est-à-dire sous sa forme moderne).
Considérons l’erreur que voici : d’aucuns n’ont pas eu de doute quant à l’identité du scolymus de Dioscoride. Puisque l’artichaut porte le nom de Cynara scolymus, il n’y a pas à chercher plus loin. Or, ce scolyme a plus de rapport avec le Scolymus hispanicus à vrai dire. Et quand on voit à quoi ça ressemble, on se dit que, non, ça ne peut pas être un ancêtre de l’artichaut !
Deuxième erreur : l’on dit du cardon qu’il est apprécié des Grecs et des Romains, de même que l’artichaut, ce qui est bien évidemment faux. Mais c’est dans cette association que réside la solution au problème posé aujourd’hui : pour mieux comprendre l’artichaut, il faut le mettre obligatoirement en relation avec le cardon, dont la forme primitive sauvage rappelle beaucoup certains traits botaniques du cardon actuel, mais aussi de l’artichaut moderne. Ce dernier serait-il issu du cardon sauvage, sachant que cette plante est très commune sur les coteaux arides du pourtour de la mer Méditerranée, c’est-à-dire là où, bien entendu, il ne put passer inaperçu aux yeux des Grecs puis des Romains ?
Afin de renforcer davantage l’inextricable sac d’épines qu’est cette recherche généalogique, la curiosité nous apprend que le mot cynara/kynara n’est pas le seul à être utilisé pour désigner le parent (peut-être) originel. Par exemple, dans Le traité des plantes, œuvre bien connue de Théophraste, l’auteur évoque le cas du kaktos, dont il dit que ses capitules se mangent. Il y a tout lieu de croire que ce kaktos est un ancêtre du cardon, kaktos dont Athénée de Naucratis disait qu’il désignait le cynara des Grecs (ainsi que l’appelait au reste Columelle qui n’était pas Grec mais agronome), et le carduus des Romains, un terme englobant tant les cardons sauvages que cultivés, à tous le moins un légume de ce type, réputé pour être excessivement onéreux, et dont Pline, qui l’appelait aussi carduus, « s’indignait [non sans rougir] qu’on rendit par là inaccessible au peuple des plantes auxquelles les ânes refusaient de toucher » (1), ce qui, en soi, est fort étrange puisqu’on connaît la proverbiale accointance du chardon et de l’âne. Du temps de tous ces auteurs, et même jusqu’à Paladius au IV ème siècle après J.-C., on relate la culture de ces plantes qui pourraient bien être des artichauts et dont on distinguait alors plusieurs variétés de par leurs tailles et leurs couleurs. A moins qu’il ne se soit agi de variétés de cardons cultivés uniquement pour leurs capitules, non pour leurs pétioles, comme cela se fait encore de nos jours.
Puis après, plus rien. Il faut attendre plusieurs siècles avant qu’on ne reparle de ces possibles cardons, improbables artichauts.

De 828 à 1300, la Sicile, ainsi que d’autres régions du sud de l’Italie, sont placées sous l’influence des Arabes qui occupaient alors une bonne partie de l’Espagne. C’est dans cette même Espagne, au XII ème siècle, que l’agronome andalou Ibn al-Awam « indique dans son Traité d’Agriculture la culture du Kinaria auquel il faut donner beaucoup d’eau pour obtenir de gros fruits, phrase qui convient bien à notre artichaut » (2). Ce en quoi il est permis de douter, d’autant que Ibn al-Awam est l’inventeur du système d’arrosage du goutte-à-goutte : qu’est-ce que cela signifie donc, sous ce prisme, « beaucoup d’eau », qui plus est en Andalousie ? Un siècle plus tard, l’Italien Pierre de Crescens signale que la culture du cardon s’est maintenue en Italie. La thèse de Gibault, c’est que le futur artichaut aurait été transporté d’Espagne jusqu’en Sicile par les Arabes à un siècle qui reste à déterminer. L’argument en faveur de cette hypothèse, c’est que le mot artichaut s’explique par une étymologie d’origine arabe : ardi chouk, qui veut à peu près dire « épineux terrestre », repris et transformé par le terme lombard articiocco. Mais à ce moment, nous sommes encore loin de la Lombardie. Pourtant, le futur artichaut, cardon en transformation, en prend doucement le chemin : il gagne le royaume de Naples au XV ème siècle, puis de là transite par Florence où l’on signale sa présence en 1466, et à Venise sept années plus tard. Il semble franchir les Alpes en direction de la France lors d’une des onze guerres que mènent Français et Italiens entre 1494 et 1559. C’est, d’après Gibault, au travail de développement des horticulteurs italiens, menés durant la première moitié du XVI ème siècle, que Matthiole tient de pouvoir relater l’existence de diverses variétés d’artichauts qui étaient, dit-il, abondantes en Toscane de son temps. Mais cette thèse est controversée : selon Fournier, l’origine de l’artichaut est bien plus ancienne que celle que lui attribue Gibault. Il signale à l’attention de tous que son obtention pourrait être bien plus étalées dans le temps que ce que l’on imagine. En cela, il rappelle l’existence de représentations picturales égyptiennes antiques : parmi des plantes et des fruits, apparaissent de gros capitules (stylisés) assez semblables à ceux d’un artichaut, du moins à un très ancien cardon (peut-être cette plante décrite par Théophraste au IV ème siècle avant J.-C. et déjà consommée pour son « fond »). En tous les cas, cela ne peut être un artichaut, à la manière dont on se figure généralement ce légume. Son histoire, même si elle est plus récente que celle du cardon, n’en reste pas moins complexe. Aujourd’hui, la botanique a tranché : le nom scientifique latin de l’artichaut est Cynara cardunculus ssp. scolymus. Ssp ? C’est-à-dire ? Il s’agit d’une abréviation, celle de « sous-espèce ». Cela implique que le cardon et l’artichaut n’avancent pas sur deux droites parallèles, mais que l’artichaut est un bourgeon divergent de la branche cardon. Aujourd’hui il va sans dire que nos modernes artichauts et cardons proviennent de cet ancêtre cynara originaire de la région méditerranéenne. Cela est un point, au moins, plus que certain. L’artichaut n’existant nulle part à l’état sauvage et spontané (ce que peuvent certifier des générations de botanistes qui ont éclusé l’ensemble du pourtour de la mer Méditerranée sans en découvrir le moindre), il est forcé de reconnaître, en un archaïque cardon sauvage, l’initiateur de tout ce micmac. Puis l’on estime qu’il y a 2000 ans environ, une culture accentuée de cette plante mena, peut-être indépendamment du travail horticole des « sélectionneurs » et autres « obtenteurs », à l’apparition de cardons cultivés dont on distinguait des variétés épineuses et d’autres inermes. Quant à l’artichaut, il serait donc un cardon transformé. De la même manière que la culture s’est ingéniée à faire grossir les pétioles du cardon, elle a trouvé, petit à petit, le moyen d’adoucir les capitules de l’artichaut, du moins son cul. Ces plantes, aujourd’hui sur-boostées à un point que cela n’en est pas naturel, reviennent au type du cardon sauvage si la culture ne les soigne plus ou pas assez, par dégénérescence ou atavisme, qui est la réapparition d’un caractère ancestral chez un individu qui ne devrait pas le posséder, comme les épines par exemple, dont on sait bien que la culture à tendance à les supprimer, qu’elles soient rameaux atrophiés ou bien feuilles réduites à leur plus simple expression. Sans la protection de la culture, ni la tutelle du jardinier, une plante rendue à une existence sauvage devra se doter au plus vite des mécanismes de défense qui lui permettront de survivre au mieux.

On associe traditionnellement la venue de l’artichaut en France avec celle d’un autre produit d’importation : Catherine de Médicis (1519-1589). Elle aurait apporté ce légume d’Italie en guise de « dot » à l’occasion de son mariage avec le roi de France Henri II en 1533. Ce qui peut paraître curieux : je sais bien qu’à un mariage l’on a plus souvent tendance à offrir des fleurs – et l’artichaut en est bien une collection – mais il serait malséant, à notre époque, de se pointer à une telle cérémonie avec un brassée de Violets de Provence ! N’oublions pas une chose : il y a cinq siècles, l’artichaut est un légume de luxe qui coûte horriblement cher. Les temps ont bien changé, puisque selon Coluche « les artichauts c’est un vrai plat de pauvre. C’est le seul plat que quand t’as fini de manger t’en as plus dans ton assiette que quand t’as commencé ! »
A plusieurs reprises, l’on apprend la relation de l’artichaut avec la reine qui, paraît-il, en était folle. Évoquons un de ces épisodes : « La reine Catherine de Médicis, de voluptueuse mémoire, adorait les fonds d’artichauts. Le chroniqueur L’Estoile, dans son Journal, à la date du 19 juin 1575, raconte que la Reine-mère se trouvant au repas de noces de Mademoiselle d’Artigues, mangea tant de fonds d’artichauts qu’elle « cuida crever », dit-il peu respectueusement » (3). Par « cuida crever », Pierre de l’Estoile (1546-1611) entend ceci : pensa mourir (de l’ancien verbe cuider, « penser, imaginer »). En 1548, l’artichaut parvient sur la royale table du roi d’Angleterre, Henri VIII, dont les chroniques disent qu’il l’estimait beaucoup, tandis que Henri II lui préférait le cul de… Diane de Poitiers ! Il ne fallut pas davantage qu’un légume, qui nous apparaît aujourd’hui comme tout à fait banal, pour soulever l’indignation de certains. Tout d’abord, pour le motif de gloutonnerie : c’est ce que sous-entend l’érudit berrichon Étienne de Laigue, qui fait publier en 1530 un drôle d’ouvrage intitulé Singulier traicté contenant la propriété des tortues, escargotz, grenoilles et artichaultz, dans lequel il écrit ceci : « Nous, comme des brutes, dévorons des chardons, nourriture naturelle des ânes. O nous, par trop voluptueux, nous pas trop sujet à gulosité (4). O prodigues de ventre, ce serait merveille qu’il ne soit permis aux ânes de manger des artichauts » ! Trois décennies plus tard, La Bruyère-Champier, médecin au service de – tiens donc ! – Henri II, qui s’intéressait aussi à l’agronomie et à la nutrition, « sentait, comme Pline, son front s’empourprer de confusion à la pensée que les chrétiens […] faisaient [de l’artichaut] un article de gourmandise » (5), terme qui minime un peu l’ambiance de ripailles excessives décrite par le sieur Daigue, rappelant étonnamment Rabelais dans son franc-parler.

Un détail du Singulier traicté contenant la propriété des tortues, escargotz, grenoilles et artichaultz.

L’astrologie dira de l’artichaut qu’il est plante de Mars, puisqu’il appartient, par ses feuilles, à cette famille de plantes riches en principes amers, lesquels interviennent sur le tempérament bilieux des natifs du Bélier et du Scorpion, en agissant sur le foie dont il est dit qu’il est le siège de la colère que connaissent bien ces deux signes du zodiaque. Or comme le Scorpion domine les parties génitales masculines, on s’est laissé aller à penser que, peut-être, l’artichaut aurait possiblement une action aphrodisiaque : si l’on parle plus fréquemment de son cul, n’oublions pas que l’artichaut est doté d’une forte queue ! Par ailleurs, l’on apprend que la racine ou la graine d’artichaut cueillies quand le Soleil domine le signe de la Balance permet la guérison des flux de ventre et des flux de sang. La Balance étant régie par Vénus, l’on a donc, une nouvelle fois, estimé que l’artichaut était aphrodisiaque (ce qui est un peu mince, je dois bien l’avouer). Pourtant, l’on voit se dessiner, plus qu’en filigrane, Aphrodite dans la chair de l’artichaut. C’est sûr que ce n’est pas d’emblée à cette plante à laquelle on pense dès lors qu’il s’agit de la voluptueuse Dioné. Pourtant, c’est bien ainsi qu’est présenté l’artichaut dans Le Songe de Poliphile (Hypnerotomachia Poliphili), un bien curieux ouvrage à la mise en page audacieuse, attribué à Francesco Colonna et imprimé à Venise en 1499 : il y est écrit que « l’artichaut est cher à Vénus ».
Le prolifique Antoine Mizauld (1510-1578) était à la fois médecin et astrologue : la gourmandise outrepasse les seuls plaisirs de la bonne chère, et s’applique aussi à ceux de la chair. Mettre en relation les gourmands du gosier avec ceux du sexe était sans doute quelque peu osé. Mais il s’avère que les capitules de l’artichaut surent satisfaire autant les besoins des uns que des autres. Brantôme, qui s’y connaissait un peu dans les choses du sexe, n’hésita pas à attribuer une propriété échauffante à l’artichaut. C’est pourquoi, entre autres, on en répandit le copieux usage tant au XVI ème siècle qu’au XVII ème. De même que l’on en réprouvait l’attrait sans bornes de certains. En 1627, Thomas Sonnet de Courval n’écrivit-il pas que « les avaleurs d’artichauts ne parlent que d’assauts » (terme passablement guerrier), considérant sans doute ce légume comme le meilleur moyen de partir à l’attaque d’une forteresse ou d’une citadelle, pour se glisser sous ces robes compliquées que l’on effeuille patiemment à la manière de l’artichaut, tant et si bien qu’au XVII ème siècle, « effeuiller l’artichaut » prit le sens d’une métaphore : montrer ses gambettes (et plus si affinités). L’on ira même jusqu’à dire, comme Brice Bauderon en 1583, que l’artichaut permettait aux hommes peureux de s’affranchir de leurs craintes et à ceux qui étaient entravés de dénouer l’aiguillette, afin de parvenir à « s’émouvoir aux jeux des dames ».
Tout cela signifie que durant au moins deux siècles, on crut dur comme fer à la valeur érotique de l’artichaut, réputation provenant d’une erreur fâcheuse, consistant en une mauvaise interprétation d’un passage du poème d’Hésiode, Les travaux et les jours :

« Lorsque fleurit le scolymos (sic) et que la bruyante cigale
Se tient dans l’arbre et fait entendre son chant strident
En remuant rapidement ses ailes, à l’époque de l’été laborieux,
Alors que les chèvres sont grasses, que le vin est le meilleur,
Les femmes sont très ardentes, les hommes très languissants. »

Je vous laisse apprécier la mise en rapport farfelue entre le premier et le dernier vers, comme si à une quelconque plante qui fleurit, l’on peut attribuer un immédiat pouvoir érotique !… Sur la foi de quelques vers, on en déduisit la réputation aphrodisiaque de l’artichaut (fou !) et du cardon, par la même occasion (soyons doublement fous !). C’est forcer, de beaucoup, l’imagination ! De même que dans cet extrait : « D’une manière générale, on pose ce gros bourgeon tout rond sur le rivage d’une vinaigrette ou, feuille après feuille, on le baigne dans l’impatiente et irrésistible envie d’en mordre le cul » gentiment (6). On dit mordiller, en ce cas. Voilà, c’est dit ! Fut-il inspiré, le poète, qui s’extasie devant une vinaigrette grasse dont Pierre Desproges disait que sa vulgarité était une insulte pour le légume qu’on trempe nonchalamment dedans, artichaut et asperge en tête. Mais foin de tout cela !
Heureusement, il nous reste les feuilles dont le gourmet n’a cure : celles-ci trouvent refuge auprès du thérapeute (qui devait être un sadique ou un bourreau dans une autre vie). Généralement, dans le secret de son officine, il en concocte un remède destiné à stimuler l’appétit et à favoriser la diurèse. On reconnut à la feuille d’artichaut un pouvoir sur deux affections qui, si l’on y réfléchit bien, peuvent ardemment tuer l’amour que le capitule de cette plante est censé engendrer : la sueur fétide et la gonorrhée !

Capitule floral du cardon : ses bractées sont bien plus acérées que celles de l’artichaut.

L’artichaut est présent dans l’œuvre de nombreux personnages liés à la Renaissance, qu’ils soient médecins (Ludovic Nunez, Jean Ruel, Adam Lonitzer…) ou hommes de lettres, tels que Rabelais ou encore Pierre de Ronsard (1524-1585), qui devait probablement être horrifié du spectacle de ces femmes grasses qui s’empiffraient de nourritures tout aussi grasses l’été venu, cherchant par là à ajouter de la chaleur à la chaleur, ce qui est, soit dit en passant, une parfaite imbécillité, puisque durant l’été l’organisme s’oxyde, il faut donc compenser cela avec des aliments anti-oxydants : c’est pourquoi l’on aura plutôt tendance à manger une salade de tomates au basilic plutôt qu’une tartiflette en plein mois d’août. En au moins deux endroits, Ronsard dit haïr la viande, surtout en période estivale, et dépêche son valet sur les marchés : il s’y procure de quoi assouvir le désir de fraîcheur de son maître, à savoir : des abricots, des fraises, des melons, de la salade, des asperges, des carottes et des artichôs. Nous avons vu tout à l’heure qu’Étienne de Laigue l’écrivait artichaultz en 1530. A l’heure où Ronsard rédige ses poèmes, l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 prescrit l’usage exclusif du français sur l’ensemble du territoire national, au dépens du latin et des langues régionales. Cette volonté d’unification est loin de porter ses fruits dès l’édiction du texte, bien au contraire. Ainsi, l’artichaut est-il articol, articacton, artatoche, articoctus, articactus, alcocalus, articoccalus, artichaulx, artichaux, artichaud, etc., le mot artichaut, avec son t final, ne semblant avoir été fixé qu’au XVIII ème siècle. Toutes ces « variantes orthographiques résultent des prononciations locales », explique Georges Gibault. C’est une partie de l’explication. Il demeure aussi qu’en France, au XVI ème siècle, aucun dictionnaire de référence de la langue française ne faisait autorité pour trancher tel ou tel litige langagier, les premières tentatives d’établissement d’un tel ouvrage s’apparentant – tâche harassante – assez à la volonté qu’eurent les anciens Grecs d’établir une cosmo/théogonie, entreprise non exempte de vacillements.
Dans les siècles qui suivirent, les médecins et autres apothicaires s’attachèrent à augmenter le nombre d’études au sujet des feuilles thérapeutiques de l’artichaut, tandis que les jardiniers et agronomes travaillèrent à en développer les variétés maraîchères. Ainsi, grâce au Jardinier françois de Nicolas de Bonnefons paru en 1651 pour la première fois, l’on sait qu’il existait à l’époque au moins deux variétés : le vert et le violet. Un peu plus tard, Jean-Baptiste de la Quintinie, créateur du potager royal du château de Versailles, y ajoutait un artichaut « rouge ». Enfin, près d’un siècle après Bonnefons, dans L’école du jardin potager, De Combles rallonge la liste des variétés d’artichauts en signalant l’existence du blanc et du « sucré de Gênes ».

Naturellement, cardon et artichaut sont des plantes vivaces munies d’une tige robuste et cannelée, qui portent de longues feuilles vert grisâtre à cendré, profondément subdivisées (davantage encore chez le cardon), épineuses parfois. Lorsqu’on laisse ces plantes se développer jusqu’à leur terme, il se forme à leur sommet un capitule dont les fleurs tubulaires de même longueur se parent d’une couleur allant du bleu au violet. Ces fleurs, qu’on appelle plus couramment fleurons, se présentent sous la forme d’une touffe de poils appelée aigrette, possédant un minuscule ovaire à sa base. Quand on mange un artichaut, et que l’on parvient à ce que l’on appelle le foin (ou coton, barbe, etc.), eh bien, ce foin, ce sont des fleurs en devenir.
Lors de la culture de l’artichaut, on ne lui fait pas dépasser le stade triennal. La partie comestible, c’est donc cette inflorescence récoltée avant que les fleurs ne se développent. Le diamètre d’une tête d’artichaut passe du simple au double, en fonction de la variété (8 à 15 cm). Chez le cardon, cette tête est beaucoup plus petite, 5 à 8 cm, puisque ce n’est pas sur elle que s’est échiné l’horticulteur. Cependant, elle est bien plus volumineuse que son homologue sauvage (5 cm grand maximum). Les capitules floraux du cardon sauvage s’entourent de bractées achevées par de longues épines jaunâtres, que la culture s’est efforcée de faire disparaître, car qui voudrait bien les cueillir s’ils dardent, de partout, leurs épines ? (En bons chardons civilisés qu’ils sont, ça n’arrive presque jamais.) Mais autrefois, à l’époque reculée où l’artichaut n’était pas celui qu’il est, que le cardon n’était encore qu’un sauvage hirsute, ils n’étaient pas que forteresse, ils étaient aussi bouclier, à tel point qu’un artichaut, c’est aussi le nom que porte une pièce de ferronnerie hérissée de pointes et de crochets, et dont on garnissait des clôtures, des murs, des parapets, pour empêcher les passages à des endroits précis. En cela, l’artichaut végétal, et plus encore le cardon sauvage, s’apparentent à cet autre « chardon » qu’est la centaurée chausse-trape (Centaurea calcitrapa) : botaniquement, cela va de soi, mais aussi par le rapport à cet autre objet métallique qu’on appelle une chausse-trape, tout garni de pointes acérées et dont nous avions déjà parlé dans l’article consacré à cette plante l’été dernier.
Une fois cuit, l’artichaut s’enveloppe d’un vert quasi militaire. Il a quelque rapport avec la défense, l’attaque aussi, peut-être. Belliqueux, lui ? Voir. C’est ce que l’on pourrait comprendre face à l’œuvre du peinte italien Giorgio de Chirico, La conquête du philosophe : au premier plan, l’on voit deux gros artichauts, et, sur la gauche, le fut d’un canon et deux boulets. Débutée en 1913, cette toile ne peut être en aucun cas une réaction à la Première Guerre mondiale. En revanche, les écailles solides de ces deux artichauts, presque taillées dans l’airain semblerait-il, rappellent étrangement celles de ce saurien antédiluvien qu’est le stégosaure ou, plus évident, celles du pangolin qui « ressemble à un artichaut à l’envers avec des pattes, prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser qu’en effet, le ridicule ne tue pas » (7).

Giorgio de Chirico, La conquête du philosophe, 1913-1914, Art Institute of Chicago.

L’artichaut en phytothérapie

Comme j’écris ces lignes en un lundi de Pâques, je me suis dit que je pouvais très bien mettre mes œufs dans le même panier. C’est pourquoi, nous exposerons ci-après aussi bien des données relatives à la feuille d’artichaut thérapeutique, qu’au capitule ou tête d’artichaut qui fait le délice du gourmet, mais qui n’en possède pas moins quelques vertus intéressantes pour la santé.
A la fine douceur du fond d’artichaut et de la base des bractées de l’involucre, s’oppose l’extrême amertume des feuilles de cette astéracée géante. Dans la pharmacopée, on trouve de multiples amers (nous avons vu le pissenlit la semaine dernière ; nous en aborderons quelques autres dans les semaines à venir). Mais l’on peut dire que l’artichaut est classé parmi les amers +++. La surprise de cette amertume, à la première tasse avalée, laisse généralement un souvenir bien marqué dans les mémoires (on n’imaginerait pas se faire une petite infusion de feuilles d’artichaut aussi couramment qu’on le ferait d’une verveine citronnée, par exemple. Enfin, je parle pour moi. Vous faites bien ce que vous voulez ^.^). Donc, l’artichaut n’est pas seulement amer. Il est TRÈS amer. Il doit cette caractéristique à une première substance, un polyphénol, l’acide décaféylquinique, qu’on appelle plus volontiers cynarine. L’autre responsable de l’amertume est un lactone sesquiterpénique, la cynaropicrine, substance de couleur jaune, à l’image des flavonoïdes que recèlent encore les feuilles d’artichaut (8). Riches en tanin, les feuilles d’artichaut contiennent aussi de la provitamine A, des sels minéraux et oligo-éléments (magnésium, potassium, calcium, sodium…), enfin un latex irritant par contact à l’état frais, aussi présent dans la tige de la plante.
Quant à la consommation de la tête d’artichaut, bien qu’étant un acte alimentaire, elle ne saurait faire oublier que ce légume est bien achalandé en vitamines (A, B1, B2, C) et sels minéraux (0,9 % dont du fer, du phosphore et du manganèse), que la cuisson tend à appauvrir (ils se retrouvent donc en grande partie dans l’eau de cuisson qui peut être conservée pour enrichir un potage, par exemple). Comptant peu de lipides (0,1 à 0,3 %) et de protéines (3 %), l’artichaut ne doit ses 50 à 75 calories aux 100 g qu’à ses sucres (11 à 15,5 %) composés d’une grande proportion d’inuline. A cela, ajoutons un peu de tanin et pas loin de 80 % d’eau, et nous aurons achevé de brosser le portrait général de l’artichaut.
Pour finir, pour ceux que l’amertume désobligerait, sachez que « compter sur sa dégustation pour se faire un foie tout neuf serait illusoire, puisque c’est dans la feuille, très amère, que réside le principe actif » (9).

Propriétés thérapeutiques

FEUILLE

  • Apéritive, digestive, stomachique, laxative sans irritation de la muqueuse intestinale, vermifuge
  • Tonique amère, stimulante hépatique, tonique de la cellule hépatique, hépatoprotectrice, renforce l’action antitoxique du foie, régénératrice des cellules hépatiques, cholagogue, cholérétique puissante, dépurative hépatique et biliaire (avec une telle pléthore de moyens, l’on ne craint pas d’affirmer que la feuille d’artichaut est un spécifique du foie)
  • Diurétique, stimulante rénale, uricolytique, abaisse le taux d’urée sanguine, dépurative rénale, antirhumatismale
  • Hypocholestérolémiante (protège d’un excès de cholestérol et en normalise le taux), régularise le métabolisme des sucres
  • Anti-oxydante
  • Rajeunissante tissulaire, éclaircissante du teinte
  • Fébrifuge : regardé un temps comme un fébrifuge efficace, l’artichaut s’est vu refuser finalement cette prérogative au motif qu’il l’était moins que d’autres substances végétales, et que pour en atteindre un niveau équivalent, il fallait en augmenter la dose à des quantités impropres à la consommation, ce qui se peut comprendre : « Son amertume est tellement insupportable, déplorait Cazin, qu’à cette dose les malades ne peuvent se décider à le prendre » (10)

Note : la feuille du cardon possède, peu ou prou, les mêmes propriétés que celle de l’artichaut.

TÊTE

  • Apéritive, très digestible (même crue, quand elle est jeune)
  • Tonique hépatique, cholagogue légère
  • Diurétique, éliminatrice de l’urée et de l’acide urique
  • Dépurative sanguine, éliminatrice du cholestérol
  • Stimulante, assez énergique
  • Cardiotonique légère
  • Stoppe la sécrétion lactée chez la femme enceinte

RACINE

  • Diurétique essentiellement

Usages thérapeutiques

FEUILLE

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique et ses séquelles (constipation, fermentation intestinale, maux de tête, vertiges, urticaire…), congestion et engorgement hépatiques, colique hépatique, engorgement de la vésicule biliaire, cholécystite, cholémie, lithiase biliaire, cirrhose hépatique, ictère, jaunisse, traitement précoce du diabète, diabète d’origine hépatique
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, douleur digestive, indigestion, fermentation intestinale, ballonnement, entérite, entérite muco-membraneuse, constipation, nausée, auto-intoxication alimentaire, hyperacidité gastrique
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : néphrite, azotémie, hyperazotémie, infection urinaire, oligurie, lithiase (rénale, urinaire), rhumatismes aigus et chroniques, arthritisme, goutte
  • Troubles de la sphère circulatoire : artériosclérose et ses effets associés (vertiges, bourdonnements d’oreilles, céphalée, mouches volantes, sensation de doigts morts, angoisse, douleurs rétrosternales…), hyper ou hyposécrétion de cholestérol, excès d’urée sanguine, athéromatose
  • Affections cutanées : eczéma, prurigo, dermite, dermatoses des hépatiques
  • Obésité, maladies de pléthore, hydropisie, maigreur (par dysfonctionnement hépatique)
  • Fièvre, fièvre intermittente, épisode paludéen, grippe et angine (élimination favorisée des toxines par voie urinaire)
  • Scorbut

TÊTE

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance et congestion hépatiques
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : insuffisance rénale, oligurie, rhumatismes, arthritisme, goutte
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée chronique, hyperacidité gastrique, infection et intoxication intestinales
  • Asthénie, surmenage, croissance
  • Aliment parfait pour le convalescent, le valétudinaire et le sédentaire, sans oublier le diabétique
  • Obésité, maladies de pléthore (les artichauts étaient considérés comme un aliment de régime par Brillat-Savarin, ce en quoi il n’avait pas tort)

Note : lorsque l’artichaut est encore jeune, il est possible de le manger cru, en prenant soin de le mastiquer correctement (ainsi il n’a pas d’effets désagréables sur les voies intestinales). Quant à l’artichaut cuit, « on en peut permettre l’usage à tous les éclopés du tube digestif » (11).

RACINE

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase rénale, gravelle, rhumatismes, goutte
  • Hydropisie

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches.
  • Décoction de feuilles sèches.
  • Décoction aqueuse et vineuse de racine (peu usitée de nos jours, et cela se comprend : si on lui ôte ses racines, pas de feuilles, ni de capitules en vue…).
  • Macération vineuse de feuilles sèches dans du vin blanc.
  • Macération alcoolique de feuilles sèches.
  • Suc frais des feuilles dans un véhicule adapté (autrefois, dans un verre de vin blanc sec pour augmenter le pouvoir diurétique du mélange).
  • Poudre de feuilles sèches dans un véhicule adapté (une cuillerée de miel par exemple).
  • Poudre de plante cryobroyée en gélules gastro-résistantes.
  • Extrait hydro-alcoolique standardisé (= extrait de plante fraîche).

Note : hormis les deux dernières préparations, les autres sont parfaitement insupportables, surtout les deux premières. A vos risques et périls si je puis dire (c’est malvenu pour un remède) : c’est très, très amer, que même la sauge officinale, à côté, c’est de la pisse d’âne, de la petite bière, du petit lait, du sucre d’orge. J’ai rarement goûté une préparation (je parle de la simple infusion) dont on garde pendant trop longtemps l’amertume en bouche, même abondamment édulcorée au miel, l’amertume surpassant largement la douceur. Les gélules de poudre ainsi que les ampoules d’extrait standardisé ont l’avantage de permettre à l’usager de se soustraire à l’obligation d’encourir le supplice de la feuille d’artichaut au contact des papilles gustatives qui, même sèche, n’est pas moins agressive (plante de Mars, rappelons-le).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Comme cela a été signalé plus haut, l’on peut faire usage de l’eau de cuisson des artichauts, à la condition que ceux-ci soient issus de l’agriculture biologique ou, s’ils ne le sont pas, soigneusement lavés à grande eau avant cuisson, en raison de nombreux produits chimiques utilisés lors de leur culture, et pour lesquels les barricades de bractées offrent moult cachettes. Cette eau de cuisson, de même que celle ayant officié lors de la cuisson des poireaux, se révèle être un bon draineur du foie et de la vésicule biliaire, mais son emploi se verra déconseillé aux arthritiques, aux goutteux, ainsi qu’aux personnes généralement sujettes aux affections urinaires. Une fois cuit, l’artichaut doit être rapidement consommé. Même entreposé au réfrigérateur, il se conserve mal. Ainsi ne consommera-t-on pas des artichauts dont la couleur a tourné au bleu verdâtre, leur ingestion pouvant potentiellement entraîner divers désordres gastro-intestinaux dont des coliques, des diarrhées et des crampes gastriques. En effet, cuit, l’artichaut devient la cible (sans défense, malgré son armure vert feldgrau) d’une pullulation de germes dont certains pathogènes (Bacillus anthracis, Serratia marcescens, etc.). D’ailleurs, même l’eau de cuisson des poireaux se couvre en quelques heures d’une pellicule louche, pour ne pas dire glauque, du plus mauvais effet. Quant à savoir si c’est davantage un bouillon de poireaux plus qu’un bouillon de culture, c’est là une autre histoire.
  • Alimentation : lorsqu’il est jeune, voire même très jeune (à un état qu’on ne propose généralement presque jamais sur les marchés), l’artichaut peut se manger cru, simplement trempé dans l’huile d’olive, avec du sel et du poivre. Plus âgé, il devient ligneux et alors cette dégustation à la croque-au-sel n’est plus permise. Il lui faut donc obligatoirement être cuit. Il est préparé non seulement à la barigoule, mais de diverses autres manières qu’il serait trop long d’énumérer ici, et qui sont les témoins de l’inventivité des diverses régions où l’on cultive l’artichaut. Parce que l’artichaut n’est pas obligé de subir le sempiternel supplice de la vinaigrette – c’est cruellement manquer d’imagination à son endroit. Il peut s’accompagner au jus de viande, à la crème, au citron, etc. On peut aussi le frire, le rôtir, le farcir, le confire au sucre à la mode d’Olivier de Serres.
  • Pour fournir gourmettes et gourmets, médicinettes et médicinets en herbe, les horticulteurs ont trouvé bon d’implanter la culture de l’artichaut dans diverses régions de France, chacune s’enorgueillissant, à sa manière bien sûr, de détenir la meilleure variété, qu’elle soit blanche ou violette. Nous pouvons donc constituer une petite liste : les artichauts de Bretagne (le Gros Camus, le Castel ; si c’est pas un nom de guerrier, ça !), les artichauts de Provence (le Violet de Provence, le Vert de Provence, le Perpétuel, le Hâtif), l’artichaut de Laon, dans l’Aisne (le Gros Vert de Laon), l’artichaut de Gironde (le Macau). Il en existe encore quelques autres : le Blanc hyèrois, le Tudela (artichaut espagnol, de Navarre précisément), le Sakis turc, le Violet épineux, le Violet de Toscane, le Violet de Venise, le Violet romanesco, le Violet catanais, le Violet de Romagne.

Artichauts dits Violet de Provence.

  • Au sujet du cardon, dont la culture était autrefois très répandue en France, il ne résiste plus que dans quelques fiefs essentiellement situés dans le quart sud-est de la France : ainsi le trouve-t-on dans le Genevois, la Provence, le Dauphiné et le Lyonnais où se situe sa capitale, Vaulx-en-Velin. Malgré tout, la culture a permis l’obtention de plusieurs variétés parmi lesquelles nous comptons le Cardon de Tours, le Puvis, le Blanc amélioré, le Blanc d’ivoire, le Plein mesure, le Plein sans épines, le Vert de Vaulx-en-Velin, l’Argenté de Plainpalais, l’Épineux genevois, le Rouge d’Alger, etc. Comme chez la blette, c’est le pétiole soigneusement épluché du cardon que l’on déguste. Aujourd’hui encore associé aux fêtes de fin d’année dans le quart sud-est de la France, le cardon n’y est le plus souvent consommé qu’à cette occasion, et encore au travers d’une recette des plus simples : le gratin de cardon à la moelle de bœuf.
  • Outre le versant culinaire, l’artichaut sut trouver quelque autre utilité dans l’économie domestique : son tanin permit le tannage des peaux. Les feuilles, hachées, bouillies, préparées au bismuth, fournissent une belle teinture durable dont la couleur oscille entre le jaune et le vigogne doré. On en teinte la laine et le lin. Quant aux fleurons tubulaires, ils ont la particularité de faire cailler le lait sans lui communiquer d’amertume. Ils sont donc employer dans la fabrication du fromage, où ils remplacent avantageusement la présure. Ainsi procède-t-on en Afrique du Nord, par exemple.
    _______________
    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 116.
    2. Georges Gibault, Histoire des légumes, p. 18.
    3. Ibidem, p. 20.
    4. Gulosité, terme désuet signifiant gloutonnerie.
    5. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 79.
    6. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 89.
    7. Pierre Desproges, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, p. 40.
    8. L’amertume de la feuille d’artichaut renvoie analogiquement à la bile et donc au foie selon la théorie des signatures. De plus, la couleur jaune de certains de ses principes actifs renforce cette relation.
    9. Gérard Debuigne & François Couplan, Petit Larousse des plantes médicinales, p. 283.
    10. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 84.
    11. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 84.

© Books of Dante – 2020

Nervure centrale d’une feuille de cardon.

Le pissenlit (Taraxacum dens-leonis)

Synonymes : dent de lion, liondent, dent de chien, laitue de chien, salade de chien, salade de taupe, coq, groin de porc, groin d’âne, œil de bœuf, tête de moine, couronne de moine, florion d’or, florin d’or, fleur des beaux garçons, belle dame, chopine, cochet, pichaulit.

Ce n’est pas exagéré de mentionner que le pissenlit est une plante extrêmement commune, impossible à méconnaître et recelant bien des trésors. Casse-tête des botanistes – on ne compte pas moins de 60 groupes d’espèces et plus de 1200 espèces au total (pour la seule Europe) –, le pissenlit est très largement répandu dans la plupart des zones tempérées de l’hémisphère nord (Europe, Amérique du Nord, Afrique du Nord, Chine, Inde, Iran…), qui est son aire d’élection originelle. Aujourd’hui, les choses ne sont plus si vraies, puisque l’on constate sa présence dans le second hémisphère. Non seulement il pousse à des latitudes très étendues (comprises entre les tropiques et la limite des pôles à peu près), mais aussi à des altitudes qui le sont tout autant : ainsi voit-on le pissenlit s’égailler de la limite des arbres (environ 2600 à 3000 m) jusqu’au niveau de la mer (ou limite des algues si l’on peut dire). Malgré cette grande adaptabilité, il se fait plus ou moins rare ou inexistant en milieu aride dénué de potassium, et rabougri en fonction du substrat qui le porte. C’est pour cela qu’il adopte une taille (1) et une conformation foliaire qui n’ont rien d’académique, puisque elles sont aussi très variables. Par exemple, sur station sèche et chaude, le pissenlit est plus petit, ses feuilles très réduites sont couchées à même le sol, alors que dans un milieu plus ombragé et humide, ses feuilles plus longues, plus larges, moins roncinés, s’érigent à 45-60 degrés par rapport au sol. Malgré tous ces dimorphismes, toutes ces velléités et aptitudes à changer quand, apparemment, bon lui semble, il n’a jamais été possible à quiconque de ne pas reconnaître le pissenlit quand il en rencontre un dans les multiples lieux et habitats dans lesquels il trouve son bonheur : au bord des chemins, sur les sentiers, le long des voies de chemin de fer (pour nous rappeler que c’est un grand voyageur), à l’abord des champs, dans les prés, pelouses, prairies et pâturages, dans les potagers (où il enquiquine le jardinier), dans les bois clairs, dans les carrières, à proximité des tourbières, dans la lézarde d’un vieux mur, entre les pavés disjoints d’un trottoir en ville, dans le creux d’un arbre, et jusqu’aux toits de chaume, quand il y en avait plus qu’aujourd’hui, faisant concurrence à la joubarbe des toits.
Alors qu’on observe beaucoup de variations chez le pissenlit sauvage, sous l’influence de la culture, il est beaucoup plus discipliné. C’est ce que signalait Georges Gibault (1856-1941) au début du siècle dernier : « Les variétés de pissenlit admises dans les jardins sont tout à fait fixées, ce qui est remarquable pour une plante soumise à la culture depuis si peu de temps » (2). Ainsi disait-il en 1912. Lorsqu’il évoque « si peu de temps », cela doit nous amener à jeter un coup d’œil en arrière. En effet, lorsqu’on voit ces pissenlits provenir des campagnes à l’entour de Paris, pour alimenter les Halles au XVIII ème siècle, il s’agit uniquement de pissenlits sauvages récoltés dans la nature. Bien que faisant l’objet d’un emploi alimentaire bien plus ancien, les premiers véritables essais de culture maraîchère du pissenlit se situent entre 1825 et 1830. C’est à partir de cette période que les marchés, comme celui de Nancy, par exemple, sont achalandés par le biais de pissenlits aussi bien sauvages que cultivés. C’est aussi à cette même époque que la consommation généralisée du pissenlit comme salade s’est établie, alors que lors des siècles précédents, il fut consommé de façon locale ici ou là (Lyon, Montpellier, etc.) depuis les premières heures de la Renaissance. C’est ce que consignait Jacques Daléchamps dans le courant du XVI ème siècle, remarquant cette plante sauvage qu’on récoltait pour la manger aussi bien crue que cuite. Cependant, durant longtemps, son amertume fit qu’on s’en servit uniquement que comme plante médicinale, à la manière dont la concevait Olivier de Serres. Pour qu’un agronome comme lui dise cela, ça signifie qu’il ne cultivait absolument pas le pissenlit dans ses propres jardins potagers, n’en signalant que la valeur médicinale contre la jaunisse (3). Si l’on a tendance à accepter pour vrai que le pissenlit est un aliment ainsi qu’un médicament depuis le XV ème siècle seulement, il apparaît très clairement qu’à partir de la Renaissance, ce sont surtout des médecins et des botanistes qui en avancent les vertus thérapeutiques, comme, par exemple, le médecin du roi François Ier, Jean Ruel (1476-1537), avertissant, peu avant sa mort, des qualités dépuratives de cette plante. Puis Tabernaemontanus qui voyait en lui un vulnéraire à nul autre pareil, Matthiole qui le destinait aux ictériques, Jérôme Bock le premier à en signaler les vertus diurétiques, suivi par Matthias de l’Obel, qui lui donna le nom de herba urinaria. Connu également de Camerarius, Bauhin, Lonitzer, etc., le pissenlit entra sans trop de difficulté dans le cercle des plantes habituellement usitées pour des problèmes hépatiques (Van Swieten, Lieutaud, Dom Nicolas Alexandre, Kortum) et biliaires (Bergius), sans oublier sa formidable fonction de puissant dépuratif sanguin (Lieutaud). Puis il vint à tomber en disgrâce, et resta longtemps éclipsé par la médecine officielle qui lui préféra d’autres toniques amers et diurétiques. En 1858, Cazin eut beau déploré l’abandon dans lequel de son temps cette plante était laissée, il faudra attendre le début du XX ème siècle pour qu’on s’attelle de nouveau à son cas.

Le pissenlit, de même que la couleur de ses capitules floraux rappelle celle de l’or. Pour les uns, c’est véritablement un or végétal, pour d’autres, c’est une sainte horreur. Tout dépend du point de vue. Avec l’ortie, il partage le statut de plante médicinale de premier ordre, mais il est négligé, voire honni comme cette dernière. Celle-ci pique, celui-là pousse de partout. Ils ne peuvent être que de « mauvaises herbes », cauchemars et casse-tête des jardiniers. Jugeons plutôt. Le pissenlit est quasiment indestructible. Coupons-le au ras du sol. Sa forte racine fait place à de nouvelles pousses. Enfouissons-le sous des gravats, de la caillasse, des décombres, etc. Peu importe le temps que ça lui prend, il transperce pour s’épanouir de nouveau. Labourons la terre qui le porte pour le sectionner, l’émincer, l’atomiser. Mauvaise idée, chaque tronçon de racine donne naissance à une nouvelle plante, ce qui multiplie le nombre de copines de la plante d’origine (il se comporte comme la renouée du Japon sur ce point). Arrachons-le : avec un peu de chance une dizaine de centimètres de racine sera extraite du sol. Mais c’est mal connaître sa forte racine pivotante : il reste toujours dans les profondeurs quelques radicelles embryonnaires qui redonnent naissance à la plante. Ajoutons à cela que le pissenlit ne craint ni les dents des ruminants, ni le piétinement, et l’on peut, sans mal aucun, lui assigner son statut de plante vivace, au sens de : bourrée de vie. Surarmé face à l’adversité, signalons de plus que le pissenlit pratique la parthénogenèse, c’est-à-dire qu’il se passe de pollinisateurs ! Les bourdons s’échinent donc en vain à passer d’un pied à l’autre : le pissenlit n’en a cure. Et là, impossible de poursuivre sans évoquer les fleurs du pissenlit portées par de longs pédoncules creux et glabres : des capitules de 3 à 5 cm de diamètre formés par deux bonnes centaines de fleurons ligulés qui déploient leur jaune d’or très tôt au printemps (mars) et peuvent repousser la floraison aux portes de l’hiver (novembre). Le secret de la vivacité du pissenlit se cache dans ses inflorescences dont le grand géographe français Élisée Reclus (1830-1905) disait : « Cette fleur qui est un soleil devient une voie lactée, un monde d’astres, après floraison. » On ne peut alors ignorer les masses d’akènes, longs fruits cylindriques surmontés d’une aigrette plumeuse qui aide à la dispersion des graines par anémochorie. Au mieux, une graine peut parcourir une dizaine de kilomètres, au moins, une centaine de mètres (ce qui est tout de même mieux que les prototypes volants de Clément Ader en son temps). Environ 40 % des espèces végétales ligneuses des pays tempérés dispersent leurs semences grâce au vent, que ce soit à l’aide d’un fruit plumeux (clématite) ou d’une ailette (sycomore). Chaque plante met en œuvre une stratégie qui lui est propre. La vitesse et la distance de dispersion des fruits sont fonction de la hauteur de la plante, du poids de la graine, de l’appareil de dissémination, de sa forme et de sa surface portante, des obstacles environnants éventuels, etc. Toutes contraintes auxquelles on n’imagine même pas devant la grâce avec laquelle la Semeuse de Larousse souffle et éparpille à tous les vents depuis 1876. Or, à l’endroit du pissenlit, ce qu’on croit être de la dispersion, voire de l’éparpillement, n’est pas autre chose que de la liberté !
Dans la catégorie des oracles végétaux connus de tous, l’on peut citer en premier lieu la marguerite. Mais il en est un autre auquel on ne pense pas toujours et qui est bien plus fréquent dans la nature : le pissenlit, véritable boule magique divinatoire. Alors qu’on déshabille la première de ses ligules blanches périphériques, on attend que le pissenlit soit à l’état de tête globuleuse pour souffler dessus, parce que c’est ainsi qu’est rendu l’oracle, consulté essentiellement par les jeunes filles qui doivent pour cela le tenir dans la main gauche. Autant de fois la jeune fille s’y reprend pour dégarnir la tête plumeuse du pissenlit, et autant d’années elle devra patienter avant de rencontrer un amoureux (pour une petite fille, on comptera par décennies et non pas par années, hein !? ^.^) ; si les petits parachutes montent, c’est bon signe, s’ils descendent, c’est le risque d’un crash amoureux. Le pissenlit répondait à bien d’autres questions : la jeune fille doit-elle abandonner le garçon dont elle s’est entichée ? Elle sera mariée, d’accord, mais sera-t-elle aimée, au moins ? Etc. C’est pour l’ensemble de ces raisons que le pissenlit porte parfois les noms de « bonne nouvelle », « bonne aventure » ou encore même « sorcier ». Par le biais de ce pronostic divinatoire, l’on pouvait aussi découvrir l’heure qu’il était (on l’appelle alors « horloge »). Il n’était pas jusqu’aux chenapans pratiquant l’école buissonnière qui apprenaient grâce à son aide de quelle direction s’en venait le garde-champêtre !
Quant aux feuilles, elles s’organisent sous forme de rosette basale. Largement et profondément découpées, échancrées, dentées, aux lobes retroussés (comme un harpon ses dents), elles ont valu au pissenlit le surnom de dent de lion, qui est un nom vernaculaire bien plus ancien que celui de taraxacum qui, lui, n’a été formé qu’en toute fin de Moyen-Âge, et faisait partie, avec quelques autres, des noms habituellement attribués au pissenlit dans les glossaires. Dent de lion se retrouve dans l’anglais dandelion, forme actuelle qui émane probablement de celle qu’on trouve dans un vieux document gallois daté du XIII ème siècle : dent-y-llew (probablement lui-même emprunté au français auparavant).
Ces feuilles en mâchoire de fauve forment, avec les racines, fuseaux pivotants charnus, brun rougeâtre extérieurement, blanches et succulentes à l’intérieur, tout l’arsenal thérapeutique du pissenlit qui balaie un si grand nombre d’affections qu’au début du XX ème siècle, on en vint à inventer le terme de taraxacothérapie, autrement dit : la thérapie par le pissenlit. Ainsi, il a fait l’objet d’une culture intensive au même siècle en raison de ses propriétés médicinales et alimentaires, puisque, sans mauvais jeu de mots, de la fleur à la racine, tout se mange dans le pissenlit. Manger les pissenlits par la racine : cela traduit peut-être le fait qu’une racine de pissenlit, au plus fort de son développement, peut s’enfoncer à près de deux mètres dans le sol, ce qui, si l’on convertit cette mesure en pieds, en donne pas loin de six, ce qui expliquerait qu’être à six pieds sous terre permet de béqueter l’extrémité des racines du pissenlit. En voilà une d’explication, qu’elle est bien nulle ^.^

Le pissenlit a été rarement mentionné dans les écrits de l’Antiquité. Fournier écrivait que « si le pissenlit existait déjà dans l’Antiquité en Grèce et en Italie, il faudrait croire qu’il y passait inaperçu, ce qui est difficile à admettre pour une espèce dont les fleurs forcent le regard » (4). Rarement ou pas du tout, d’ailleurs. L’on voit bien Théophraste mentionné l’existence d’une plante qu’il appelle aphakê, Pline une autre nommée hedypnois. Mais elles sont si peu et si mal décrites, qu’il apparaît bien fantaisiste de voir en elles un pissenlit, d’autant que les caractéristiques de ces plantes sont si banalement communes aux Astéraceés qu’il pourrait bien s’agir de tout autre chose qu’un pissenlit.
Quelques mots, cette habitude singulière de ne pas décrire la plante puisque tout le monde la connaît (du moins sous une appellation donnée, qu’elle soit x ou y), pas d’illustration non plus, rendent forcément la tâche hasardeuse. Bien que n’étant pas un ouvrage de botanique, il est plus aisé de reconnaître la dent de lion dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne… Même avant ce livre d’heures (qui date de 1503-1508), on n’est pas bien certain de l’identité du pissenlit dans les textes antérieurs. Par exemple, l’on dit qu’au Moyen-Âge, les médecins arabes du XI ème siècle vantaient ses mérites. Hildegarde de Bingen, dit-on, consacra quelques lignes à une plante qu’elle appelle dauwurtz : « Le pissenlit est chaud et sec ; il a beaucoup de vertus et il est pur dans la nature. Et si on en mange souvent, comme d’un autre aliment, il purge l’estomac et fait disparaître les troubles de la vue » (5). Si la première indication amenée par Hildegarde est toujours d’actualité, rien aujourd’hui ne permet de confirmer la seconde qui est, malgré tout, solidement restée attachée au nom même du pissenlit puisque taraxacum provient du grec taraxis qui signifie « troubles de la vue ». Mais si l’on s’écarte quelque peu des thèses entendues habituellement sur ce sujet, il appert des informations, disséminées çà et là, qui permettent d’asseoir un peu cette réputation. Par exemple, en médecine traditionnelle chinoise, un autre pissenlit, Taraxacum mongolicum, sert en cas de conjonctivite. Valnet dut fouiller à droite à gauche, puisqu’en fin de la monographie qu’il consacre au pissenlit, il indique qu’une décoction de pédoncules et de feuilles permettait d’obtenir un collyre dont l’emploi clarifiait les yeux, et amendait la cornée des taies qui peuvent l’affecter. Par ailleurs, au XVII ème siècle, un certain Schmuck déclarait que pour se protéger des vices qui frappent habituellement les yeux, il fallait porter une racine de pissenlit en manière de talisman.

Le pissenlit en phytothérapie

Non seulement le pissenlit est une espèce foisonnante du seul point de vue de son apparence physique, mais il est aussi bouillonnant de principes actifs qui ne demandent qu’à entrer en action. Et encore cela dépend d’au moins deux critères : l’époque de récolte et le mode de préparation (cela explique que l’efficacité du pissenlit est très variable d’une préparation pharmaceutique à une autre). Ne considérons que la seule racine : qu’elle soit utilisée fraîche ou sèche, déchaussée au printemps ou à l’automne, cela fait toute la différence. Par exemple, le pissenlit est plus amer par ses feuilles au printemps, qui n’est pas la saison la plus favorable pour en récolter la racine, laquelle devra patienter jusqu’à une période plus faste pour voir les principes actifs thérapeutiques être présents dans la plante en quantité suffisante. Par exemple, pour profiter pleinement des effets cholagogues du pissenlit, il est préférable d’opter pour une racine d’automne (septembre à novembre), puisque la composition biochimique à ce moment-là est plus à même de fournir les bons effets qu’on en attend. Comme toute autre plante, le cycle végétatif du pissenlit influe beaucoup sur le profil biochimique, quand bien même l’on prendrait en compte une seule et même fraction végétale : en l’occurrence, dans le pissenlit, elles sont au nombre de deux, la feuille et la racine. Chez la première, on note une plus grande amertume au printemps, alors que cette caractéristique s’applique à l’été en ce qui concerne la seconde.
Globalement, on s’entend pour dire que le pissenlit inodore est de saveur amère, amertume dont semble être responsable un (ou plusieurs) corps dont on n’a pas été, semblerait-il, bien certain de l’identité. La doit-on à cet alcaloïde du nom de taraxacine ? Ou bien à ces lactones sesquiterpéniques que sont lactucopicrine et germacranolide ? A moins qu’il ne faille mettre cela sur le compte de cet autre taraxacoside…
Maintenant, ce que l’on peut tenir pour (presque) certain, c’est que dans la racine du pissenlit se loge une foison de substances parmi lesquelles nous pouvons lister : de l’acide dioxycinnamique, de l’acide p-oxyphénylacétique, des acides gras (cérotique, mélissique, oléique, palmitique, linoléique), des triterpènes (taraxastérol), de la choline, de la résine, du mucilage, des sucres (lévulose, fructose, inositol, mannitol), de l’inuline, du tanin, etc.
Quant aux feuilles, pas moins intéressantes, on leur a découvert des protéines, des acides aminés, une grande quantité de chlorophylle, des masses de sels minéraux et d’oligo-éléments (en majorité du potassium – 40 % des cendres en sont constituées –, mais également du calcium, du sodium, du magnésium, du manganèse, du silicium, du phosphore, du fer, du soufre, du zinc…), des caroténoïdes, des flavonoïdes, une fraction d’essence aromatique, et enfin des vitamines : autant de vitamine C que dans le citron (soit 50 à 60 mg aux 100 g de feuilles fraîches), des vitamines du groupe B (B1, B2, B3, B9), de la provitamine A (40 mg aux 100 g de feuilles fraîches), de la vitamine D, etc.
Chose que nous avons oubliée : un latex présent aussi bien dans la racine, le pédoncule que la forte nervure centrale des feuilles. Il s’apparente à une sorte de caoutchouc, savant mélange de différentes substances : acides organiques, acides gras, alcools triterpéniques, hydrocarbures, résine, calcium, potassium, etc.
Dans les semences, on a découvert une huile végétale.

Propriétés thérapeutiques

  • Cholagogue par action mécanique sur la vésicule biliaire, cholérétique, décongestionnant hépatique, dépuratif hépatique, tonique hépatique, draineur hépatobiliaire
  • Diurétique « froid » (à l’inverse du persil, par exemple, diurétique « chaud »), azoturique, dépuratif rénal et des voies urinaires (facilite l’élimination des toxines infectieuses et celles liées à la pollution environnementale)
  • Apéritif, digestif, antiputride intestinal, laxatif, stomachique
  • Tonique sanguin, dépuratif sanguin, antidiabétique, abaisse la tension artérielle par épuration du sang
  • Dépuratif cutané, détersif, désincrustant, assainissant et adoucissant cutané (donne bon teint)
  • Nutritif, minéralisant
  • Antiscorbutique
  • Renforce le système immunitaire, concourt à relever l’économie générale

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, paresse hépatique, crise hépatique douloureuse, hépatite, hépatite chronique, congestion du foie, ictère, angiocholite chronique, cholélithiase, diarrhée bilieuse, cirrhose graisseuse
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie et faiblesse des voies digestives, indigestion, fragilité gastrique, ballonnement, fermentation intestinale, entérocolite, constipation, constipation opiniâtre
  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, oligurie, azotémie, lithiase urinaire, gravelle, douleur rhumatismale, goutteuse et arthritique, congestion rénale
  • Troubles circulatoires : artériosclérose, athéromatose, hypercholestérolémie, diabète, cyanose, varice, hémorroïdes, cellulite
  • Rétentions liquidiennes : rétention d’eau (par extension : pléthore, obésité), ascite, œdème, anasarque, hydropisie, engorgement de la rate
  • Affections cutanées : verrue, furoncle, cor, poireau, acné, eczéma, psoriasis, urticaire, dartre invétérée, dermatoses des hépatiques, taches de rousseur, taches de son, autres impuretés du visage, peau fatiguée et/ou abîmée
  • Anémie, asthénie physique et intellectuelle
  • Blépharite
  • Pyorrhée alvéolo-dentaire
  • Scorbut

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles, de racines (ou des deux).
  • Décoction de feuilles, de racines (ou des deux).
  • Extrait aqueux.
  • Extrait mou.
  • Suc frais des feuilles.
  • Macération vineuse de racine fraîche dans du vin blanc.
  • Teinture alcoolique de racine fraîche.
  • Cataplasme de pédoncules floraux frais.

Note : la cuisson altère significativement l’activité de la plante.

Suggestion de recette dépurative : feuilles de bouleau, sommités fleuries de romarin, sommités fleuries de fumeterre, racines de pissenlit, un quart de chaque. Faire infuser pendant 15 mn une cuillère à soupe de ce mélange pour la valeur d’un bol d’eau.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il a beau être fréquent, le pissenlit ne saurait être récolté n’importe où. Il importe donc de prendre garde aux lieux passants, ceux qui sont probablement souillés par diverses pollutions, avant de jeter son dévolu sur de belles touffes de pissenlit. Avant usage des feuilles – que ce soit d’un point de vue alimentaire ou médicinal –, il peut être utile, outre de les bien laver et rincer, de les faire tremper au préalable dans une eau additionnée d’un filet de vinaigre. C’est parfois plus sûr. Les feuilles destinées à un emploi thérapeutique peuvent se prélever dès le mois de mai, jusqu’au milieu de l’automne. Celles qui ne concernent que la cuisine (même si elles ont quand même valeur thérapeutique), se ramassent plus tôt, dès mars. Les fleurs, dès leur apparition, sont cueillies pour un usage immédiat à l’état frais Si besoin était de les faire sécher, il faut veiller à ne pas les cueillir pleinement épanouies, puisqu’elles fructifient en cours de dessiccation. Quant aux racines, c’est avec une bonne pioche ou bêche qu’on s’en ira, après avoir retroussé ses manches, les extirper du sol dès l’automne venu. On dit qu’il est préférable de se concentrer sur les pieds âgés de deux ans, ce qui signifie donc d’avoir effectué un repérage préalable.
  • Séchage : celui des feuilles est possible, mais pas recommandé, puisqu’il leur fait perdre une grande partie de leurs principes et de leur pouvoir. Comme bien des « salades » sauvages, on gagne beaucoup à leur conserver l’état de fraîcheur et à les consommer, si possible, presque immédiatement après la récolte. La racine du pissenlit peut elle aussi faire l’objet d’un séchage. Après grattage, brossage et lavage, on les rince, on les sèche au torchon. Puis on les tronçonne en fragment de 1 cm de long, que l’on dispose sur une tôle ou bien que l’on suspend après en avoir fait un collier à l’aide d’une ficelle de cuisine.
  • Alimentation : l’on n’imagine pas à quel point le pissenlit peut nous conduire sur les chemins de l’inventivité en cuisine. Voici donc un petit panégyrique qui démontre que le pissenlit, cet or du pré, cet or de la Terre, vaut largement le détour et qu’il peut briller comme n’importe quelle autre plante sauvage, sinon davantage encore, puisque cette plante est sans doute la seule sauvageonne que le citadin ne renâclera pas à aller chercher, sinon manger. Commençons donc très simplement : le pissenlit est parfait pour s’enherber, pour se mettre au vert. Non seulement c’est une agréable salade sauvage printanière, mais il participe, sans pour autant que celui qui le consomme ainsi s’en doute, à la dépuration de son organisme. Et comme la Nature est admirablement bien faite, il apparaît en fraîches rosettes dans les campagnes (et ailleurs) au moment précis où l’être humain a besoin de drainer via ses émonctoires une bonne partie des toxines accumulées durant l’hiver. Il est d’autant plus utile dans cette entreprise que cette consommation, si elle s’apparente à une cure, est quotidiennement continuée pendant deux à trois semaines. C’est seul ou accompagné qu’on peut y goûter, frais, en salade. Voici quelques exemples de plantes sauvages et domestiques à sélectionner afin de constituer avec le pissenlit de formidables mescluns : la mâche, le pourpier, le cresson de fontaine, la cochléaire, le mouron des oiseaux, l’ortie, le persil, le gaillet gratteron, le cerfeuil, la mauve sylvestre, la parelle, l’oseille, la bourrache, la lampsane, la chicorée, l’alliaire, la bardane, la fumeterre, la pâquerette, le plantain lancéolé, la violette… A tout cela, on peut ajouter diverses graines oléagineuses (tournesol, sésame, lin, courge, noisette, amande, noix…) ou non (amarante, chia), un assaisonnement (huile de noix, de noisette, jus de citron, verjus…), du sel, du poivre, du cumin, du carvi, de la livèche, de l’ail des ours, etc.
    Voici maintenant, sans exhaustivité, quelques recettes marquantes à base de pissenlit : la salade ardennaise (avec des pommes de terre, des lardons et du vinaigre), la salade de groin d’âne lyonnaise (avec des œufs durs, des noix, des croûtons aillés), la salade lyonnaise au pissenlit (avec lardons, œuf poché), l’omelette au pissenlit, les racines de pissenlit à la crème, le pissenlit au saumon fumé. Il peut aussi se cuire et former d’agréables purées. Les boutons floraux se préparent en omelette, en salade, en gratin, en soupe, ainsi qu’au vinaigre. Du côté des recettes sucrées, le pissenlit est célèbre par cette spécialité qu’on appelle « miel des prés » ou, mieux, crameillotte, dont voici une recette qui m’a récemment été communiquée : au matin, partir à la cueillette de 500 capitules de pissenlit bien épanouis, en supprimer le calice, puis les faire infuser pendant 10 mn dans 1,5 l d’eau chaude, en ajoutant à l’infusion un citron découpé en quartiers (une orange peut aussi faire l’affaire), ou bien des fleurs fraîches de romarin si l’on en a sous la main. A l’issue, on filtre, et l’on mesure la quantité de liquide obtenu : pour un litre, on ajoute 650 à 700 g de sucre de canne, puis l’on fait cuire pendant ½ heure. Quelques dizaines de secondes avant cette échéance, on ajoute la quantité suffisante de gélifiant – ici de l’agar-agar – à raison de 4 g pour un litre de liquide sucré, et l’on laisse cuire durant les deux dernières minutes. On coupe le feu, on met en pot, on bouche, on laisse refroidir. Il existe aussi un « vin » élaboré à base des mêmes fleurs, et la possibilité de torréfier les racines sèches pour les utiliser ainsi à la manière de la chicorée, à laquelle on peut les ajouter ou les substituer.
  • Nous avons dit, il y a longtemps maintenant, que l’abeille ou le bourdon pouvaient bien s’échiner à butiner la fleur du pissenlit, puisque celle-ci n’a pas besoin de ces insectes pour assurer sa fécondation. En revanche, ils retirent de cette fleur très mellifère une grande quantité de nectar et ils sont guidés vers elle du fait de sa couleur. Par exemple, le pissenlit ne saurait porter des capitules rouges, les bourdons et les abeilles n’étant pas sensibles à cette couleur, et ne distingueraient pas cette plante si tel était le cas. Dès lors, on peut se demander quel est le sens caché de cette manne qu’offre abondamment le pissenlit à ces hyménoptères. Quant au feuillage du pissenlit, il est attractif à l’état frais pour bien des animaux : c’est une nourriture saine pour les lapins, les chèvres, les moutons et les vaches. En revanche, après fenaison, le pissenlit perd beaucoup de sa valeur nutritive.
  • Attention : l’usage thérapeutique du pissenlit est contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque (cf. son taux trop élevé de potassium).
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    1. Cette taille est située entre 20 et 40 cm généralement ; on observe des écarts à cette moyenne : 5 cm pour les spécimens les plus humbles contre 100 à 120 cm pour les monstres.
    2. Georges Gibault, Histoire des légumes, p. 145.
    3. La théorie des signatures fut sensible à la couleur des capitules floraux du pissenlit, y voyant là un bon indice thérapeutique. Ceci dit, attention, tous les végétaux qui possèdent des fleurs jaunes ne sont pas des remèdes hépatiques.
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 766.
    5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 44.

© Books of Dante – 2020

La violette odorante (Viola odorata)

Synonymes : violette des bois, violette des haies, violette de mars, fleur de mars, fleur de carême, viole de carême, violier commun, jacée de printemps.

C’est l’une des premières fleurs à se disputer le printemps avec la primevère, dont les corolles jaune pâle forment une saisissante harmonie colorée avec le violet soutenu des fleurs zygomorphes de la violette.
On ne peut pas dire qu’elle manque d’atouts ni d’atours, bien que dans le langage symbolique des fleurs, la violette incarne l’amour timide et dissimulé, la modestie, l’innocence, l’humilité et le secret. Encore que cette vision réductrice, on ne la doive guère qu’aux poètes et aux dénicheurs de symboles. Or, il en est une autre, dont voici quelques éléments permettant de mesurer la manière qu’elle a d’envahir ou non l’espace en fonction des circonstances. La violette se développe à l’aide de ses nombreuses racines rampantes qui produisent des stolons à la manière des fraisiers, et qu’elles projettent des pieds mères comme des porte-étendards. La violette peut donc rapidement coloniser un territoire donné. Pour favoriser sa propagation, elle peut également faire appel aux fourmis, étant, tout comme la grande consoude, une espèce myrmécophile. Elle produit des fruits capsulaires à trois valves, contenant quantité de petites graines rondes qui sont enrobées d’un élaïosome dont sont très friandes les fourmis. Quand celles-ci transportent les graines de violette, elles se délectent de l’huile contenue dans cet élaïosome chemin faisant, et finissent par abandonner les graines une fois leur pique-nique achevé, et ce jusqu’à plus d’un mètre du pied de violette d’origine, lequel se frotte bien évidemment les mains d’une telle aubaine, puisque ces graines, transbahutées à dos de fourmis, germeront plus loin, étendant bien davantage le territoire occupé. La violette, malgré ses airs timides, est une colonisatrice rusée qui n’a pas froid aux yeux : elle n’a donc rien de la modestie et de l’humilité qu’on lui prête souvent, quand on considère cette pratique d’extension territoriale. De plus, si les laboureurs en vinrent à la surnommer « gâte-blé », cela ne doit rien au hasard. L’on sait depuis qu’une graine de violette inhibe les capacités germinatives d’un grain de blé se trouvant à proximité. Vous avez dit modeste ? En revanche, en fonction de circonstances particulières, il est possible que la violette se cantonne à des zones plus réduites. C’est le cas de certains spécimens qui vivent très à l’ombre et qui modifient leur mode de pollinisation habituellement effectué par les insectes : ces dernières se fécondent par leur propre pollen. Snobs, en plus !
Mais cela, ce ne sont que des observations relativement modernes, nos prédécesseurs n’en eurent guère cure, puisque, bien avant, la violette a été surchargée de symboles qu’on peut s’étonner de lui voir porter aussi facilement qu’une fourmi trimballe une de ses graines.
Commençons par les Romains, par exemple, qui consacrèrent cette humble fleurette à la déesse Vénus, sans doute parce qu’on la voit être coiffée d’une couronne de violettes avant de pénétrer dans le lit de Vulcain qui, d’après ce que l’on en sait, ne sent pas la rose. Froide et sèche, parfois surnommée matronalis, la violette, sans risque d’erreur, est bien féminine, parce que, en tant que plante de Vénus, elle embellit la peau : « Les violettes peuvent être aussi un adjuvant de la coquetterie. On effeuille dans un récipient les violettes un peu défraîchies qui ne peuvent plus parer le salon et on les arrose de lait bouillant […] C’est un merveilleux détersif pour les mains qui deviennent blanches et douces » (1), et cela plaît forcément à Vénus. Et puisqu’on parle laitage, venons-en à Io, une des maîtresses nombreuses de Zeus qu’il se voit forcer de métamorphoser en vache, alors qu’il est sur le point de se faire prendre la main au collet par sa légitime, Héra. La violette, que Dioscoride appelle ion dans la Materia medica, tirerait son nom du fait que pour enjoliver le nouveau quotidien de la blanche génisse, Zeus fit naître des parterres de violettes sous les sabots d’Io, afin qu’elle puisse se repaître d’une herbe douce et parfumée. On peut alors dire que la violette est le symbole d’une histoire d’amour qui a mal tourné. Ne désespérons pas, puisque la cordiale violette est un remède propre à ranimer le fonctionnement du cœur. Heureusement, les « rencontres » mythologiques ne se soldent pas toutes par une transformation, merci bien (surtout que la plupart d’entre elles, propres à la mythologie grecque, sont irréversibles, sauf quelques-unes). Par exemple, lorsque celle qu’on n’appelle pas encore Perséphone, parce qu’elle est toujours la jeune Koré, nous est montrée dans cette prairie où elle cueille narcisses et violettes, elle y est surprise par Hadès qui, sans manières délicates, l’emporte de force avec lui aux Enfers, où les bonnes odeurs ne sont pas exactement maîtresses, tant s’en faut. Tous ces épisodes qui, de près ou de loin, mettent en scène la petite violette, sont tout de même pétris d’une violence certaine : est-ce cela – rapt, viol et adultère – qu’est censée représenter cette fleur de Vénus qu’est la violette ? Pas vraiment, si l’on prend en compte ce qu’en disait Étienne de Senancourt (1770-1846), qui dresse d’elle un portrait certes lapidaire mais néanmoins emprunt d’une certaine justesse quant au profil psycho-émotionnel qui émane d’elle. Voici ce qu’il écrit, devançant quelque peu le docteur Edward Bach (2) en la matière : « Charmes et rapidité des désirs, avec un peu d’inquiétude, et quelque pressentiment du vide des choses. Besoin vague d’aimer ; secret besoin d’être aimé. Délicatesse dans les attachements ». Oui, dans le langage poétique, la violette est associée à l’amant discret, mystérieux et furtif, timide et pudique : « J’aimai, je suppliais, je réussis, je suis aimé. Qui ? Où ? Comment ? Seule, la Déesse le sait » (3). Cela explique aussi que le rimailleur dépeigne des scènes desquelles on imaginerait voir surgir, pour un peu, la jeune Koré : « Le lys, la rose et la violette, confidents secrets, accueillent les soupirs impatients des premiers émois » (4), gagnés à la faveur de la nuit, puisque l’on sait bien que l’amant rejoint nuitamment celle qu’il aime (tandis que dort le mari), et que c’est très exactement en soirée et en pleine nuit que la violette disperse ses effluves parfumés. Mais cela, c’est ce qu’on pense et écrit au XVIII ème siècle en France, tout proche du suivant durant lequel la violette devient l’évident marqueur d’un refus : celui de la bestialité. Ce qui est fort intéressant, puisque en 1779, paraissait un livre, Théorie de l’art des jardins, dans le tome premier duquel, page 185, on peut lire ceci : «  Un bocage décoré d’un feuillage nouveau et de riants lointains charme encore plus quand nous y entendons en même temps le chant du rossignol, le murmure d’une cascade et que nous y respirons l’odeur douce de la violette ». A mon avis, mais c’est (pas) pour cafter, l’auteur – Christian Cay Lorenz Hirschfeld (1742-1792) – est un peu allé sucer aux sources antiques, puisque dans Le Satiricon de Pétrone nous lisons ceci : « Le platane mobile répandait son ombre estivale, ainsi que Daphné, couronnée de baies, et le cyprès mouvant, et, autour d’eux, les pins tondus à la cime frissonnante. Là se jouait un ruisseau aux ondes errantes, écumant, et qui faisait, en murmurant, rouler les cailloux sous les flots. Lieu bien fait pour l’amour : témoin le rossignol de la forêt et Procné amie des villes, qui, un peu partout, autour de l’herbe et des tendres violettes, animaient de leurs chants ce domaine qui était le leur » (5). Ce que ce long passage ne peut nous apprendre, c’est que lorsque l’auteur parle « d’eux », il désigne l’un des personnages masculins du roman, Polyaenos, et pas moins que la déesse Circé qui, insatiable, recherche une satisfaction sexuelle auprès de cet amant, au prime abord défectueux, et dont on pourrait craindre que les « tendres violettes » préfigurent la faillite. C’est bien ce que l’on a vu avec cette étrange histoire qui lie Cybèle à Attis émasculé : du sang qui s’écoule de sa verge atrophiée, naissent des violettes, fleurs du mois de mars, toutes drapées de pruderie, bien timides, et non choisies au hasard, pour signaler l’irréalisation sexuelle d’Attis (qui me fait beaucoup penser à Adonis quand même). Ainsi, plus qu’à l’humilité, cette plante confinerait à la chasteté ? Ne dit-on pas que « la teinte de cette fleur, proche de la pourpre impériale, renvoie au Christ comme Roi des Rois et, en tant que couleur du deuil, à sa mort sur la croix » ? (6). C’est tout ? Non, il y a encore ça : on dit que la violette pousse, avec rose et lis (tiens, encore cette triade florale !) dans le jardin d’Éden avant la chute fatale (ou bien qu’elle serait née, sans qu’on nous explique bien pourquoi, des larmes que versa Adam après avoir été chassé du Paradis). Il existe, en Piémont, dans la province de Novare, une superstition lacrymale : « On prétend que, si l’on offre à quelqu’un des violettes dans un jour de fête, il versera beaucoup de larmes » (7). Vous avez entendu ? Pas de violettes à un mariage, sinon gare ! Il importe peu ! Si l’on n’a pas assez de larmes, autant aller noyer sa peine dans le rouge rubis du vin issu de la pampre, n’est-ce pas ? Par exemple, au III ème siècle avant J.-C., le poète grec « Théocrite nous montrer un berger vidant une coupe de vin, couché près du feu, et portant au front une couronne d’aneth, de roses et de violettes » (8), tandis que, un peu plus tôt, Platon dépose sur la tête d’un Alcibiade fin saoul une couronne tressée de lierre et de violettes. L’année dernière, en abordant de nouveau le lierre grimpant, nous avions dit qu’il était utilisé dans ce sens comme dissipateur des vapeurs de l’ivresse. Il apparaît que la violette possède la même réputation depuis le temps d’Hippocrate au moins, laquelle sera reprise durant le Moyen-Âge par l’école de Salerne (9) et Macer Floridus (10). Même après, l’antique antienne se perpétue autant en Afrique du Nord (au Maroc et en Tunisie, on en applique des compresses sur le front), qu’en Europe, comme au travers des écrits de l’Anglais Nicholas Culpeper (1616-1654), et plus tard encore, puisque l’on retrouve ce trait caractéristique dans le Précis de phytothérapie du docteur Leclerc. Comme l’on a découvert de l’acide salicylique, précurseur de l’aspirine, dans la violette, on comprend mieux pourquoi l’on opta pour ses fleurs dans les cas de migraines et de « mal aux cheveux » liés à un excès de boisson ! Mais… ne nous égarons pas. Car l’on a beau dire la violette infrigidérante (ce qui est d’autant plus drôle qu’en ancien français, ce mot veut dire « sexuellement froid »), l’on comprendra mieux cette propriété si on lui substitue le synonyme de rafraîchissante. C’est du moins ce qu’en dit Dioscoride qui décrit brièvement une violette « odorante » usitée par lui face à certaines inflammations oculaires et autres ardeurs d’estomac, à quoi Pline ajoute qu’elle a de bons effets sur les abcès et différents types de douleurs (de la tête, de la rate, de la goutte). Au Moyen-Âge, qui est un peu l’âge d’or de la violette tant elle est mise à toutes les sauces, elle trouve même sa place dans le Mesnagier de Paris, c’est tout dire ! Mais elle fait davantage les faveurs des traités médicaux que culinaires, puisque ce sont essentiellement les vertus thérapeutiques de ses différentes parties qui sont vantées. Ainsi, la viola (ou violæ) est-elle résolutive et émolliente par ses feuilles, purgative par son rhizome et ses semences, pectorale par ses fleurs, enfin emménagogue par ses seules semences. Pour cela, l’infusion dans l’eau, mais plus généralement dans le vin, est promue, de même que diverses recettes d’onguents (douleurs de la goutte, douleurs des reins, lourdeur de tête, ulcérations, chancre), ainsi qu’un macérât huileux « qui a une infinité de vertus » déclame Macer Floridus sans en citer des masses. Alors que pour Hildegarde cette macération huileuse ne permet que d’éclaircir la vue (11), Macer Floridus prétend qu’elle est fort utile en cas de douleurs auriculaires, de pellicules (?) et d’ascarides. Hildegarde ajoute qu’en mêlant du suc de violette à ceux de rose et de fenouil (ce qui n’est pas sans rappeler un peu Théocrite, si l’on souffre d’apparenter aneth et fenouil), on calme la douleur et l’inflammation des yeux. Contrairement à Macer Floridus, elle ne se contente pas de recopier de vieux bouquins hors d’âge. Cela n’est sans doute pas pour rien qu’au XII ème siècle, les deux seuls traités médicaux de tout l’Occident sont de son seul fait ! Outre qu’elle lie les vertus de la violette à celle de la fourmi (tiens donc !) au sein d’une improbable recette, elle indique aussi la violette comme le meilleur garant de la mélancolie qui viendrait écraser l’homme. Pour cela, il faut « faire cuire des violettes dans du vin pur, filtrer avec un linge, ajouter du galanga et autant de réglisse qu’on voudra. Faire ainsi une potion que l’on boira et qui apaisera la mélancolie, [et] rendra le sujet joyeux » (12).
A la Renaissance, Thibault Lespleigney (1496-1550), apothicaire en la ville de Tours, indique dans son « Dispensaire » que la violette forme avec la buglosse et la bourrache, le trio des trois fleurs cordiales, tandis que Johann Schröder la dit béchique et résolutive. En leur siècle respectif, c’est-à-dire les XVI ème et XVII ème, l’on voit apparaître une préparation qui deviendra très en vogue, à savoir le sirop violat, pectoral, adoucissant des muqueuses et légèrement laxatif. Au XVIII ème siècle, le Dictionnaire de Trévoux trace un portrait général satisfaisant au sujet de la violette, disant que ses feuilles « sont émollientes et laxatives, ses fleurs sont aussi un peu laxatives et pectorales ; sa semence est purgative, propre pour la colique néphrétique et pour la rétention d’urine ». Le Dictionnaire de Trévoux fut rédigé de 1704 à 1771, soit durant presque toute l’existence de Louis XV (1710-1774). En son temps, à la cour, on comptait un parfum par jour, afin d’éviter les répétitions et sans doute les entêtements. Ainsi furent plébiscitées des plantes à parfum comme le thym, la lavande, la rose, le romarin, ainsi que cette violette que les élégantes n’hésitaient pas à porter à leur corsage, parmi d’autres fleurs des champs, tandis que d’autres encore emportaient de petits sachets emplis de poudre de violette. Ces dames ignoraient sans doute qu’à l’aide de la violette, on se livrait aussi à une tout autre cuisine : cette plante, de nature froide, était appliquée sur les « points chauds » comme ces tumeurs qu’on appelle phlegmons, ainsi que les hémorroïdes, les inflammations des voies urinaires et toutes ces affections en -ite dont amygdalite, laryngite et autre bronchite pour laquelle Laënnec (1781-1826) préconisait une eau-de-vie allongée d’une bouillante infusion de fleurs de violette. Mais Laënnec n’est pas encore né que Joseph Lieutaud (1703-1780) vient à mourir, non sans avoir rédigé pour la postérité ses observations concernant la violette : « les fleurs de cette plante passent pour rafraîchissantes, laxatives et anodines quand elles sont employées à l’intérieur. Aussi s’en sert-on avec succès, dans la toux, l’âpreté de la gorge ; elles apaisent la soif, diminuent la chaleur qui accompagne la fièvre ; on les reconnaît même pour cordiales ». Anodines ? Vous avez bien lu, vous aussi ? En quoi un remède peu efficace et insignifiant pourrait-il bien être doté de la puissance nécessaire qui assurerait la guérison de ce qu’avance Lieutaud ? C’est que dans le vocabulaire médical, le mot anodin à un tout autre sens : il provient du grec anốdynos signifiant : « qui calme la douleur ». C’est donc un synonyme désuet d’antalgique.
Bien qu’entrevue par certains médecins médiévaux (les Arabes surtout : cf. Mésué), on ne tire pas profit des propriétés éméto-cathartiques de la violette avant le milieu du XVIII ème siècle (Linné, Boerhaave), et encore à concurrence avec la racine d’ipécacuanha (Carapichea ipecacuanha). Comme quoi, ce qui parfume permet aussi de vomir et d’aller à la garde-robe, pour rester poli… ^.^

Très commune, la violette odorante, bien qu’elle ne dépasse jamais la barre des 1000 m d’altitude, se trouve aussi bien en plaine qu’en basse montagne. C’est là que vont ses préférences, surtout qu’elle apprécie les sols riches, ce que l’on constate par l’affection qu’elle porte aux abords des habitations et des bois, toutes zones à même de lui fournir ce dont elle a besoin, et qu’elle serait bien incapable de se procurer à des altitudes trop élevées. Non, en effet, c’est plutôt du côté de la civilisation qu’elle dirige ses regards, se plaisant dans les haies et les taillis, en bordure de chemin, et dans tous ces lieux découverts que sont prés, pelouses et prairies, où des dizaines, voire des centaines d’individus tapissent ces gazons naturels.
Vivace rustique d’une quinzaine de centimètres de hauteur tout au plus, la violette odorante ne possède pas de tige (botaniquement parlant), mais uniquement de longs pétioles et pédoncules réunis en rosette. Les premiers s’achèvent par des limbes cordiformes ou réniformes, légèrement velus et crénelés, les seconds par des fleurs de 10 à 15 mm, le plus souvent violet foncé (bien que de cette teinte jusqu’au bleu pâle, toutes les nuances lui soient possibles). Apparaissant au printemps entre mars et mai, les pièces florales (cinq pétales, cinq sépales) sont blanchâtres à leur base, et parfois intégralement blanches (variété albinos). Dans ce cas, si la violette perd en couleur, elle conserve toutefois son délicat parfum.

La violette odorante en phytothérapie

Un jugement prompt et par trop naïf pourrait indiquer que de la violette seule sa fleur fait l’objet d’une attention de la part du phytothérapeute : c’est bien inexact. Si l’abeille se prend au jeu de l’envoûtant parfum de la fleur de violette, qui s’exprime particulièrement le soir et durant la nuit, par des vagues de douceur parfumée, il est vrai que les feuilles de cette plante sont parfaitement inodores. Il en va de même de leur saveur : les fleurs de la violette possèdent un petit goût doux et sucré, dans lequel certains ont décelé une saveur proche de celle des noix vertes non épluchée, alors que les feuilles mucilagineuses restent fades, et la racine fortement nauséeuse, à l’image de cette plante sud-américaine, avec laquelle on a parfois substituer la violette : l’ipécacuanha. C’est d’ailleurs par le biais d’une substance appelée violine que la violette, surtout par ses racines et ses graines, se rapproche de l’émétine contenue dans la plante tropicale qu’est l’ipéca. Cet alcaloïde se rencontre aussi dans les feuilles et les fleurs, mais dans des proportions moindres et tient compagnie à cet autre alcaloïde hypotenseur qu’est l’odoratine.
On y trouve encore une substance constituée de salicylate de méthyle et qui rapproche la violette de cette autre plante qu’est la gaulthérie, ainsi que des saponines, de la violaquercitrine, du mucilage (feuilles essentiellement), une huile végétale de couleur vert olivâtre foncée logée essentiellement dans les racines ; dans les fleurs, du sucre, de la cire, une résine, de l’acide malique, un pigment fugace, des éléments minéraux (fer, calcium), d’infinis traces d’une essence aromatique de couleur verte contenant probablement de l’irone, une cétone qui est responsable du parfum de la racine d’iris, autre plante à parfum partageant quelques points olfactifs avec la violette.

Propriétés thérapeutiques

  • Émolliente, adoucissante, calmante de la peau et des muqueuses
  • Détersive, résolutive
  • Diurétique, diaphorétique légère
  • Expectorante, antitussive, pectorale
  • Laxative douce, émétique et purgative à hautes doses
  • « Cordiale »

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, bronchite aiguë, catarrhe bronchique chronique, pneumonie, trachéite, laryngite, asthme humide, stases bronchiques, dyspnée, toux, toux des tuberculeux, coqueluche, angine, extinction de voix, rhume, grippe
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : irritation et inflammation des voies digestives, dysenterie, ulcère gastrique et duodénal, indigestion, intoxication alimentaire, nécessité d’une purgation douce chez l’enfant et la personne délicate (attention aux dosages excessifs, ils peuvent causer nausée et diarrhée)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : irritation et inflammation des reins et de la vessie, douleurs rhumatismales et goutteuses
  • Affections oculaires : ophtalmie
  • Affections bucco-dentaire : aphte
  • Affections cutanées : irritation et inflammation cutanée en général, acné, bouton, éruption durant la fièvre (rougeole, scarlatine), plaie, ulcère, blessure, escarres, crevasse, gerçure des seins
  • Migraine
  • Insomnie
  • Protection contre les tiques (?)

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles, infusion de fleurs ; tisane sudorifique (violette, coquelicot, bourrache, pensée) ; tisane pectorale simple (violette, mauve, bouillon-blanc).
  • Décoction de feuilles.
  • Décoction de racine sèche et concassée.
  • Poudre de racine.
  • Suc de feuilles fraîches.
  • Cataplasme de fleurs broyées, de feuilles fraîches ou légèrement cuites à l’eau.
  • Sirop violat : de même qu’il existe un sirop rosât. Il s’obtient selon le même principe et permet l’obtention d’une belle substance sirupeuse de couleur turquoise, et non pas violette comme on le lui voit le plus souvent porter : dans le commerce, le sirop de violette de confort arbore généralement un beau coloris violet en raison des colorants qu’on y ajoute ; la plupart du temps, les arômes de violette y sont artificiels. Aussi importe-t-il de bien consulter les étiquettes avant d’acheter un produit qui nous ferait nous régaler d’une simple eau sucrée.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : l’on a beau lui avoir associé le mois de mars, dans certaines zones méridionales, la cueillette de la violette débute dès janvier. Mais dans tous les cas, ce sont bien les fleurs qu’on ramasse en premier, le matin, par beau temps, au printemps (mars-avril), en pleine nature, attendu que la violette médicinale est sauvage, et ne saurait être issue de la culture. Les feuilles se prélèvent un peu plus tardivement, dès avril, jusqu’en juin grand maximum. Quant aux racines, on les déchausse à l’automne, (septembre-octobre) ou, à la rigueur, en hiver s’il est assez doux pour ce faire.
  • Séchage : les racines, après avoir été brossées et lavées, sont mondées quelques peu, ébarbées de leurs radicelles, réunies en bottelettes puis mises au séchoir sans attention particulière, de même que les feuilles pour lesquelles la dessiccation se déroule sans difficulté aucune. C’est sans doute la séchage des fleurs qui s’avère être le plus délicat, et doit être rapide afin qu’elles conservent, une fois bien sèches, une couleur bleue bien uniforme. Selon la quantité récoltée, il y a intérêt à ne pas entasser sa récolte au fond d’un seau, mais la disposer dans des paniers à fond suffisamment plat pour que les fleurs n’y forment pas, même temporairement, d’épaisses couches. Puis on les transporte au séchoir (qu’il soit dans un hangar ou au grenier), à l’étuve ou en plein soleil (si le temps le permet) ; dans ce dernier cas, on les recouvrira d’un papier afin de les soustraire aux rayons directs du soleil. D’une manière ou d’une autre, on les installe en couche mince (sans leur pédoncule), sur du papier ou bien une toile, puis on n’y touche plus. Enfin, vient le temps du stockage après environ une petite semaine de séchage. « Afin qu’elles conservent leur couleur, il faut […] les enfermer pendant qu’elles sont encore chaudes et friables, dans des flacons que l’on a laissé à l’étuve pour être certain qu’ils soient bien secs ; on les bouche […] et on les place à l’abri de la lumière et de l’humidité » (13).
  • Alimentation : savoir tout simplement déjà que les fleurs et les feuilles de violette sont comestibles, est un bon début. Les premières, on les croque fraîches, les secondes peuvent venir apporter un peu de corps à une soupe en l’épaississant. Les fleurs se prêtent aussi à l’élaboration de sirops maison, de miels et vinaigres violats, liqueurs de ménage et autres gelées de fleurs (à la manière de celles qu’on confectionne à l’aide des pétales de rose), sans oublier sa place essentielle dans la fabrication du bonbon à la violette : immanquablement, c’est à la ville rose qu’on pense dès lors. En effet, depuis le milieu du XIX ème siècle, Toulouse a vu cette industrie se développer, tandis que dans le sud-est de la France, quelques familles résistent encore en récoltant la violette en grand. Tout d’abord cultivée aux alentours de Grasse et dans quelques autres localités des Alpes-Maritimes dès 1755 environ, cette floriculture s’est ensuite déplacée plus à l’ouest, dans le département du Var. Il n’en reste pas moins que la petite commune de Tourettes-sur-Loup, située à 5 km de Vence, fait figure de capitale française de la violette, non pas celle du confiseur, mais du parfumeur. La fleur de violette est une fleur fragile, que le parfumeur dit « muette », du fait de son incapacité à offrir par la distillation à la vapeur d’eau, par l’enfleurage (14), ou encore par l’extraction au CO2 une fraction aromatique dont elle particulièrement prodigue au naturel. Il est donc impossible de dénicher dans le commerce une huile essentielle de fleurs de violette (et c’est bien dommage). Si vous en trouvez, attention, c’est de l’escroquerie. En revanche, existe bel et bien un absolu obtenu à partir des feuilles : de couleur vert foncé, de texture visqueuse à pâteuse, cet absolu, contrairement à certaines mousses au parfum de violette, possède, lui, un parfum de mousse humide, mâtiné de sous-bois et champignon, très frais et herbacé. Il se destine avant tout à la parfumerie, ainsi qu’à la cosmétique et à l’élaboration des produits de beauté, mais bien peu à l’aromathérapie dite traditionnelle (c’est-à-dire à la manière dont on l’enseigne et on l’applique en Europe occidentale). Cet absolu pourrait néanmoins faire l’objet d’une pratique à visée olfactothérapeutique, mais il faut bien se garder d’une chose : il n’a strictement rien à voir avec le parfum si caractéristique de la violette, dont l’excessive « suavéolence » peut muer le plaisir en maux de tête ou bien encore en syncope. Aussi, sachons bien lire les étiquettes avant de se ruer tête baissée sur ce produit qui n’est pas donné, et pour lequel on entretiendrait forcément une désillusion évidente.
  • Confusions : elles sont possibles, mais ne portent pas énormément à conséquence :
    – Confusion à cause du parfum : par exemple, bien que la violette admirable (Viola mirabilis) soit parfumée, elle porte des fleurs de couleur lilas pâle qui la distinguent de la violette odorante.
    – Au contraire, la violette hérissée (Viola hirta), dont la couleur rappelle beaucoup celle de la violette odorante, est sans odeur, mais partage des propriétés thérapeutiques avec elle, de même qu’avec la violette des champs (Viola canina).
    _______________
    1. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 35.
    2. Bien que le docteur Edward Bach n’ait pas choisi de ranger la violette odorante au nombre de ses 38 fleurs, il existe néanmoins un élixir à base de fleurs de violette des bois (Viola sylvestris). Il est destiné aux tempéraments timides et effacés qui aiment la solitude. Il s’adresse aussi à des personnes ayant peur de s’exposer et qui éprouvent des difficultés à s’ouvrir aux autres. Il les aidera à communiquer et à s’extraire d’une trop grande discrétion sans que pour autant elles renient leur sensibilité.
    3. André-Ferdinand Hérold, La guirlande d’Aphrodite, p. 30.
    4. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, p. 285.
    5. Pétrone, Le Satiricon, pp. 199-200. Quelques précisions : « Daphné, couronnée de baies » : il s’agit du laurier noble ; « Procné amie des villes » : l’hirondelle.
    6. David Fontana, Le nouveau langage secret des symboles, p. 45.
    7. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 369.
    8. Henri Leclerc, Les épices, p. 106.
    9. « Pour dissiper l’ivresse et chasser la migraine, la violette est souveraine. D’une tête pesante elle ôte le fardeau ».
    10. « Elles donnent une boisson qui dissipe l’ivresse. L’odeur seule de la violette suffit pour dissiper la pesanteur de tête. On obtient le même effet en se couronnant le front de cette fleur ».
    11. Est-ce que cela a le moindre rapport avec ce que relate Paul Sédir et, avant lui, Henri Corneille Agrippa : « L’on dit que les fumigations de graines de lin, de graines de plantain, avec des racines de violettes et d’ache permettent de voir dans l’avenir et donnent le don de prophétie » (Henri Corneille Agrippa, La magie naturelle, p. 127). C’est troublant, d’autant qu’Hildegarde conseille d’user de l’huile violat en préparation de la nuit, domaine des songes révélateurs…
    12. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 66.
    13. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 1008.
    14. Autrefois, l’enfleurage de la violette était parfois pratiqué, mais son très faible rendement et son coût de revient très élevé, n’autorisaient qu’en de rares occasions l’utilisation de cette substance précieuse.

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La guimauve officinale (Althæa officinalis)

Synonymes : guimauve sauvage, althæa, mauve blanche, bourdon de saint Jacques.

A une lettre près, on doit aux Grecs l’actuel nom scientifique de la guimauve : Althaia pour eux, Althæa pour nous aujourd’hui. Les Latins s’écartèrent vraisemblablement de cette forme et lui attribuèrent divers noms parmi lesquels pastinaca, moloche agria, pleistolochia, plistolochia… Que, bien plus tard, Macer Floridus prétende que cette plante porte un tel nom en raison de sa haute taille (Althæa proviendrait du mot altum, « élevé »), ne doit pas nous faire oublier que le mot grec althaïnô signifie « guérir ». Toujours d’après Macer Floridus, la guimauve porte aussi le nom d’eviscus, en relation avec le caractère gluant de sa racine mucilagineuse, que l’on pense pouvoir croiser dans d’autres noms accordés à la plante parmi lesquels ybischa, puis, aujourd’hui en allemand, eibisch (L’hibiscus, autre malvacée, tire bien entendu son origine de cette ancienne terminologie). Mais ne nous attardons pas trop sur ces questions étymologiques, c’est le meilleur moyen de se flanquer de violents coups de migraine.

S’il paraît raisonnable d’attribuer aux Hippocratiques la première mention faite de la guimauve qu’ils citent comme un vulnéraire précieux, il est plus difficile de reconnaître la guimauve à travers ce qu’en dit Théophraste. Le botaniste grec recommande une eau mucilagineuse de guimauve (un vin sucré en réalité) pour faire passer la toux, mais signale que sa fleur est jaune. Or comme la guimauve porte des fleurs de couleur rose pâle, il est bien possible qu’il ait eu affaire à une plante à laquelle on a attribué son nom, l’abutilon de Théophraste (Abutilon theophrasti).
Bien plus tard, on la rencontre dans la Materia medica de Dioscoride, et là, le doute n’est pas permis, il s’agit bien d’elle, si l’on en veut croire la description botanique qui en est faite : « La guimauve […] est une espèce de mauve sauvage, dont les feuilles sont rondes, comme celles du cyclamen, et recouverte d’une peluche blanchâtre. Sa fleur ressemble à celle des roses [nda : sauvages, c’est-à-dire à cinq pétales, les roses du fleuriste n’existant pas encore bien entendu]. Sa tige est longue de deux coudées, elle produit sa racine visqueuse et souple, blanche en dedans » (1). En plus de cela, son portrait médicinal apparaît clairement : cette plante est émolliente, béchique, cicatrisante, maturative des abcès et résolutive des ulcères, Dioscoride la prescrit particulièrement dans des cas d’irritation et d’inflammation des muqueuses pulmonaires et intestinales, ainsi que dans des affections vésicales (difficulté de miction, lithiases), gynécologiques (inflammations de la matrice et des seins) et cutanées (plaies fraîches, enflure, brûlure, morsure et piqûre).
Quant à Galien, un siècle plus tard, il insistera surtout sur les propriétés résolutives et vulnéraires de cette plante : « La guimauve a la vertu de résoudre, de lâcher, de calmer les phlegmons et de les supprimer et finalement de faire mûrir les tumeurs et aposthumes [nda : tumeurs externes qui suppurent] difficiles à conduire à maturité ».
Pline, outre le fait qu’il répétera mot pour mot les paroles de Dioscoride, en en ajoutant d’autres pour faire de la guimauve une panacée, indique que son arrachage doit se dérouler avant le lever du soleil et en utilisant des instruments faits d’or. La plante, une fois récoltée, ne devait plus toucher le sol et être enveloppée dans une étoffe de laine selon le naturaliste. Ainsi apprêtée, elle était apte à remplir une mission des plus hautes : guérir des écrouelles ou s’en protéger (2).

Au Moyen-Âge, on croise la guimauve au sein des domaines impériaux, tel que nous le rapporte, au tout début du IX ème siècle, le Capitulaire de Villis (elle adopte alors les noms de vismalva, de mismalva ou encore de bismalva, comme on le lui voit porter dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne). Elle est alors très fréquente dans les jardins monastiques où on peut lui voir prendre l’allure d’une religieuse en prières, en particulier ceux de l’ordre des Bénédictins, desquels elle se serait échappée pour agrémenter ceux des paysans aux IX ème et X ème siècles. De même, de nombreux autres inventaires comme celui du domaine de Treola (Treil-sur-Seine, Yvelines) donne de précieuses informations sur la présence de la guimauve en Île-de-France à une époque similaire. Cette présence, non loin d’être anecdotique, va laisser bien des traces dans les écrits des auteurs médiévaux.
Du côté du moine Odo Magdunensis, que j’appelle plus volontiers Macer Floridus, il est très facile de reconnaître dans son De viribus herbarum la guimauve (Althæa) : il nous dit que cette plante possède des propriétés émollientes, adoucissantes, cicatrisantes et maturatives. Selon lui, elle excelle dans le mûrissement des abcès, dans la résorption des ulcères qu’elle mondifie (c’est-à-dire qu’elle déterge), dans la cicatrisation des blessures et des plaies profondes. Elle intervient aussi sur brûlures et contusions. Dans le texte de Macer, on trouve aussi la guimauve indiquée pour l’hémoptysie, la dysenterie, les morsures d’animaux venimeux et les maladies urinaires. Sans doute exagère-t-il quelque peu lorsqu’il lui concède le pouvoir d’être un contrepoison.
L’école de Salerne, qui n’est pas en reste, nous délivre quelques-uns de ses vers à propos de la guimauve : « Elle amollit le ventre avec son suc vanté, et ce don lui valut le nom qu’elle a porté, ce suc, de l’intestin, expulse la matière, excite l’utérus et son flux ordinaire. » (Il est bien possible qu’on ait reconnu à Salerne, de même que dans l’œuvre de Macer, une aptitude de cette racine à traiter les affections de la matrice et à expulser le placenta après l’accouchement).
Si Albert le Grand dit la guimauve lénitive (= adoucissante), mollificative (= émolliente), maturative et résolutive, Hildegarde, même si elle ne l’emploie guère qu’en cas de fièvre, de maux de tête et de migraine, semble avoir perçu, dans la guimauve, sa capacité à évacuer les excès de chaleur (en médecine traditionnelle chinoise, cette plante permet de disperser l’énergie dans les méridiens du Gros Intestin et du Poumon) et partout où il y a inflammation. A ce titre, son emploi face à cette maladie qu’on appelle vulgairement le charbon est-il plus que simplement anecdotique (3). D’ailleurs, la guimauve semble avoir aussi joué un rôle dans ce sens à travers ce que l’on appelle les ordalies, que quiconque s’est intéressé de près ou de loin aux procès de sorcellerie, est censé connaître. La plus célèbre des ordalies est sans doute celle qui consistait à jeter à l’eau une personne suspectée de sorcellerie. Si elle coulait, elle était déclarée innocente. Si elle flottait, c’était nécessairement une sorcière. Dans les deux cas, les personnes mourraient à cause d’un procédé unilatéral commode pour mener à bien une justice expéditive. En ce qui concerne une autre ordalie du nom de ferrum candens, l’accusé devait saisir à main nue un fer incandescent que le bourreau lui tendait. Or, il semble que certains stratagèmes aient été mis en œuvre, non pas pour se soustraire à la question, mais pour s’affranchir du verdict. En effet, il est raconté que s’enduire les mains de suc de guimauve aurait permis de saisir ce fer sans se brûler et donc d’être (probablement) innocenté. Il existe, au reste, une recette permettant de produire ce prodige dans le Grand Albert : « Secret merveilleux qui fait passer les hommes par le feu sans se brûler, qui fait porter du feu, ou bien du fer chaud sans être offensé. Qu’on prenne du jus de guimauve et du blanc d’œuf, de la graine de persil et de la chaux, qu’on réduise le tout en poudre, ensuite qu’on le mêle avec ce blanc d’œuf et du suc de raifort, qu’on se frotte avec cette composition le corps ou la main, qu’on le fasse sécher, et qu’on s’en frotte de nouveau, ensuite on pourra passer et marcher, et porter du feu sans en être offensé. » Toutefois, ajoute Jean-Baptiste Porta, « ne soyez pas trop sûr de pouvoir sans crainte manier ce fer » (4). Cependant, pour échapper à l’issue de cette ordalie, mieux valait être prévoyant sachant le caractère partial de la « justice » inquisitoriale…

Les siècles suivants reprendront plus ou moins les indications passées propres à la guimauve : émolliente, adoucissante, « humectante », pectorale, apéritive. Ce sont là les principales propriétés de la guimauve mises à profit dans les troubles du système gastro-intestinal (diarrhées, entérite), ceux du système respiratoire (toux, catarrhe bronchique, bronchite) et vésico-rénal (colique néphrétique, ardeur d’urine).

Sa taille, qui la situe entre la rose trémière et la mauve sylvestre, en fait déjà une belle plante dont certains affirment qu’elle peut dépasser deux mètres : il est plus raisonnable de ne lui attribuer, généralement, que 120 à 150 cm. A cette partie visible, s’additionne la fraction souterraine, non des moindres, puisque la racine de la guimauve, plante vivace rappelons-le, peut facilement atteindre un bon mètre de longueur. Brun jaunâtre extérieurement, blancs et visqueux à l’intérieur, ces solides pivots maintiennent de fortes tiges pubescentes. Ce qui frappe, ce sont les feuilles vaguement ovales, voire cordiformes, de la guimauve, recouvertes d’une peluche veloutée qui en recouvre les deux faces, concourant à leur donner un aspect soyeux et une couleur gris vert blanchâtre. Faiblement lobées par trois ou cinq, elles peuvent être aussi festonnées par de grosses dents rondes et molles. A l’été, d’assez larges fleurs (25 à 40 mm) surgissent à l’aisselle des feuilles supérieures par fascicules de trois en règle générale. Elles adoptent le mode de construction habituel chez les Malvacées, à savoir : un double calice formé d’un calice à cinq sépales qui couvre un calicule à cinq languettes, au centre duquel s’enchâssent les cinq pétales rose pâle, abritant une colonne d’étamines fusionnées et soudées aux pistils. Les fruits circulaires sont formés d’un anneau de capselles qui se détachent les unes des autres à maturité.
Autant les mauves sont fréquentes un peu partout en France, autant la guimauve officinale est rare à l’état sauvage dans la nature. Elle se cantonne surtout sur les côtes littorales du Midi, de l’océan Atlantique (par exemple, dans les marais d’Yves, en Charente-Maritime), et d’une partie de la Manche, puisque sa présence est conditionnée par la salinité du sol. Cela explique qu’on la croise aux abords des eaux saumâtres et des terrains humides plus ou moins marécageux fouettés par les embruns. A l’intérieur des terres, sa présence relève de l’anecdote, mais reste néanmoins indicative de sols riches en ammoniac et en salpêtre (nitrate de potassium), comme les prés et mares salées de Lorraine, ce qui en autorise l’apparition spontanée. Quand tel n’est pas le cas, les guimauves qu’on rencontre çà et là (Jura, Limagne) témoignent d’anciens sites de culture.

La guimauve officinale en phytothérapie

Autre grande plante émolliente, la guimauve surpasse la mauve sur le seul point du mucilage qu’elle est à même de fournir au praticien. Alors que chez la mauve c’est principalement dans les feuilles qu’on trouve cette substance de nature glucidique (il contient plusieurs corps – xylose, galactose, glucose, arabinose… – qui en font un mucilage pectosique proche de celui de la mauve sylvestre), elle se localise essentiellement dans les racines chez la guimauve. Bien que ses feuilles et ses fleurs en contiennent beaucoup moins, on perçoit, non pas par l’odeur (c’est une plante qui n’en possède pratiquement pas), mais par la saveur, une texture mucilagineuse même en mâchant les fleurs. Bref, la pratique thérapeutique est allée chercher ce mucilage là où il y en a le plus, c’est-à-dire dans les racines fuselées de cette plante (35 %). Ceci dit, signalons que ce taux est variable selon les périodes de l’année : par exemple, à pleine floraison, la racine de guimauve est pauvre en mucilage et en amidon, mais riche en sucre. Puis, la défloraison s’accompagne graduellement d’une augmentation des taux de mucilage et d’hydrates de carbone présents dans la racine, et ce jusqu’au printemps suivant (c’est pourquoi les « bonnes » racines de guimauve thérapeutiques sont celles qui sont arrachées durant l’automne et l’hiver).
Nous avons donné le chiffre de 35 % en ce qui concerne le mucilage contenu dans la racine au plus fort de son maximum. A ce moment-là, la racine contient à peu près la même proportion d’hydrates de carbone (amidon, etc.), ce qui occupe les 2/3 de la masse de chaque racine, auxquels il faut ajouter du tanin, des acides aminés (dont 0,8 à 2 % d’asparagine), une huile fixe contenant divers acides (palmitique, oléique, butyrique…), de l’albumine, de la gomme, ainsi qu’une énorme proportion d’éléments minéraux (jusqu’à 7 %) : calcium, potassium, sodium, soufre, fer, etc. La guimauve est un véritable aspirateur de particules.
Dans les fleurs, de même que dans les feuilles, ont été découvertes quelques traces d’essence aromatique, quelques acides (malique, citrique), et un peu de sucre.

Propriétés thérapeutiques

  • Émolliente, adoucissante, rafraîchissante (en interne, comme en externe), décongestionnante cutanée (de ce fait, par son caractère calmant et apaisant de la peau et des muqueuses, la guimauve joue le rôle d’anti-inflammatoire indirect)
  • Vulnéraire, résolutive, maturative
  • Pectorale, béchique, expectorante
  • Laxative douce et légère, abaisse le taux d’acidité gastrique lorsque celui-ci est trop élevé

Usages thérapeutiques

Si l’on veut dire simplement les choses, l’utilisation de la guimauve est requise dès qu’il y a inflammation et/ou irritation, en interne comme en externe. Mais entrons davantage dans le détail :

  • Troubles de la sphère pulmonaire et ORL : bronchite, catarrhe bronchique, toux, toux sèche, toux grasse, toux rebelle, laryngite, pharyngite, trachéite, enrouement, aphonie, coqueluche, rhume, angine, asthme, grippe, abcès pharyngé, parer à la sécheresse de la gorge durant les épisodes fiévreux
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : pyrosis, gastrite, gastralgie, ulcère gastrique, entérite, colite, iléite, diverticulite, diarrhée, dysenterie, colique, constipation, excès de sécrétions biliaires
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, polyurie, anurie, dysurie, catarrhe vésical
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, stomatite, glossite, aphte, douleurs et abcès dentaires et gingivaux, irritation locale consécutive à l’installation d’une prothèse dentaire
  • Affections oculaires : conjonctivite
  • Affections cutanées : peaux fines, fragiles, sensibles, sèches, couperosées, dartreuses, plaie sèche, enflammée, douloureuse, furoncle, panaris, érysipèle, ulcère, ulcère variqueux, abcès, phlegmon (abcès chaud), surfaces endolories et/ou enflées suite à coup, contusion, morsure et piqûre, échauffement des pieds durant la marche, ampoule
  • Asthénie, convalescence
  • Leucorrhée
  • « Empoisonnements produits par des substances âcres et corrosives » (5)

Modes d’emploi

  • Infusion de fleurs, de feuilles.
  • Décoction de feuilles.
  • Décoction de racine fraîche (ou récemment séchée) ; même chose, mais concentrée pour gargarisme, bain de bouche, lavage, injection vaginale, compresse, bain de siège.
  • Macération de racine fraîche : on jette une suffisante quantité d’eau bouillante sur des tronçons de racine. On patiente jusqu’à ce que cette infusion atteigne une température assez douce, comprise entre 20 et 30° C avant toute ingestion. On peut procéder de même avec les feuilles et les fleurs, ou mieux, démarrer à froid (c’est plus long, mais les fleurs et les feuilles sont surtout plus fragiles que les racines tronçonnées, n’allons donc pas les traumatiser avec un broc d’eau bouillonnante).
  • Poudre de racine sèche bue avec un verre d’eau. Sous forme pulvérisée, la racine de guimauve est utilisée comme délayant, afin d’étendre « diverses substances qui auraient une action trop énergique si on les employait à l’état de pureté » (6).
  • Sirop de racine (à base de décoction concentrée édulcorée).
  • Cataplasme de pulpe de racine fraîche, de feuilles et de fleurs grossièrement broyées et amalgamées sous forme d’emplâtre.
  • Bâton ou hochet pour les enfants, comme cela se faisait couramment autrefois : il s’agit ni plus ni moins qu’un tronçon de racine sèche qu’on donne aux jeunes enfants afin qu’ils s’y fassent les crocs (ou qu’ils rongent leur frein, ah ah ^.^). Favorisant la percée dentaire, cela permet de supprimer une grande partie de la douleur et d’adoucir l’inflammation provoquée par la poussée des dents. Ces objets sont de nouveau disponibles dans les boutiques de produits biologiques depuis plusieurs années.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les fleurs au fur et à mesure de leur floraison, qui s’étend généralement aux mois de juillet et d’août ; les feuilles encore jeunes avant l’éclosion des fleurs soit au mois de juin, ou bien une fois que la floraison est bien passée, c’est-à-dire en septembre. A trois mois de distance, il est bien possible que la composition biochimique de ces feuilles évolue quelque peu, de même que nous l’avons souligné pour les racines qu’on récoltera, elles, à l’automne : profondes, il ne faut pas y aller avec une pelle à gâteau, mais officier à l’aide d’une bonne bêche pour les déchausser dès la première année, voire la seconde (plus on tarde, et plus la guimauve – même cultivée – a tendance à fournir des racines appauvries en mucilage, et ligneuses comme des haricots verts oubliés sur le pied).
  • Séchage : il est délicat, tant pour les fleurs que les feuilles, et à plus forte raison pour les racines. Pour les premières et les secondes, il importe de ne pas les cueillir couvertes de rosée, ni de les entasser en couche épaisse, et encore moins de les entreposer dans un local trop froid et humide, mais, au contraire, chaud, sec, bien aéré. On retournera les fleurs et les feuilles souvent en cours de dessiccation, afin qu’elles conservent leur couleur d’origine (si mal séchées, elles finissent par noircir ou moisir). Quant aux racines, c’est une autre paire de manches. Il faut tout d’abord les brosser à sec, puis les éplucher ou bien les gratter superficiellement (on appelle cela ratisser une racine). Puis on les découpe en tronçons que l’on place sur une plaque à la bouche d’un four encore chaud, au-dessus d’une armoire, ou bien enfilés comme des perles sur une ficelle que l’on suspend à l’air libre et sec. Ensuite, vient le temps du stockage, non moins complexe : il se déroulera obligatoirement dans un local bien sec, puisque, tout comme la mauve, fleurs, feuilles et racines de guimauve possèdent la fâcheuse tendance de capter l’humidité ambiante. On veillera donc à enfermer hermétiquement la racine de guimauve qui, une fois sèche, peut être attaquée par les charançons qui corrompent alors l’ensemble de la récolte.
  • Les graines de guimauve, ainsi que ses fleurs, sont comestibles à l’état cru, en salade par exemple. Les jeunes feuilles peuvent se manger cuites comme légume vert, les racines être cuites à la vapeur, puis frites.
  • La pâte de guimauve : de « friandise médicinale », elle est passée au stade du pâle artefact. Elle ne contient plus que le seul souvenir de cette plante qui, autrefois, lui prêtait ses arômes : à l’heure actuelle, elles est constituée de gomme arabique, de blanc d’œuf et d’arômes qui n’ont plus rien de naturels. Qu’elle se délivre sous forme de bonbons, de pastilles, ou bien à l’état naturel, la guimauve est contre-indiquée chez le diabétique en raison de son trop important taux de sucre.
  • L’industrie textile a su tirer partie de la guimauve qui, par ses racines et ses tiges, fournit les fibres nécessaires pour l’élaboration, après rouissage comme le lin, d’étoffes, de toiles solides, de filasse, d’étoupe, voire de papier. Mais à cet exercice, la guimauve faux-chanvre (Althæa cannabina) se montre bien meilleure élève que la guimauve officinale dont les fibres trop courtes ont été moins souvent utilisées. La guimauve de Narbonne (Althæa narbonensis) y réussit également mieux, elle aussi.
  • Autres espèces : la guimauve hérissée (Althæa hirsuta) et la rose trémière ou passe-rose (Althæa rosea ou Alcea rosea), plante annuelle provenant du Proche-Orient et introduite en Europe occidentale au cours du XVI ème siècle. On lui accorde, en général, des propriétés et des usages assez semblables à ceux de la guimauve officinale.
  • Associations thérapeutiques :
    – contre la constipation : guimauve, bourdaine, anis, réglisse ;
    – contre les ulcères stomacaux : guimauve, tormentille, benoîte ;
    – contre les affections de la poitrine : guimauve, molène, marrube, coquelicot.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre III, chapitre 139.
    2. C’est ainsi qu’on appelle les scrofules propres aux ganglions du cou, et dont la nosologie est peu claire. Aussi, dans un texte ancien, à plus forte raison médiéval (et même antérieur), l’apparition du mot « écrouelles » doit-elle être prise avec de grosses pincettes.
    3. Quelques notes sur cette affection communément appelée « charbon ». C’est là un mot qui regroupe deux maladies différentes. La première, sans doute la moins grave, on la connaît aussi sous le nom d’anthrax (du grec anthrax, « charbon »). Les signes généraux en sont un état inflammatoire marqué par une intense fièvre (39 à 41° C). Localement, l’anthrax prend l’aspect d’une tumeur cutanée et sous-cutanée. En propre, c’est une « réunion de furoncles » comme je l’ai pu lire. Plus précisément : « Tuméfaction circonscrite, dure, rouge, très chaude et douloureuse, qui fait saillie rapidement au-dessus de la peau et présente d’ordinaire le volume d’un œuf. La peau s’ulcère en écumoire, laissant échapper par ses multiples ouvertures du pus sanguinolent et des bourbillons, masses grisâtres constituées par la mortification du tissu cellulaire » (Larousse médical illustré, p. 69). Au-delà, existe cet autre « charbon », maladie infectieuse provoquée par Bacillus anthracis, autrement plus grave, qu’on appelle aussi pustule maligne, laquelle pustule n’est elle-même que la partie émergée de l’iceberg, parce que même si elle prend régulièrement l’aspect d’une escarre noirâtre, qu’à raison on appelle vulgairement charbon, elle s’accompagne alentours d’un œdème inflammatoire. Cette maladie très contagieuse, elle aussi marquée par de grosses fièvres (39 à 40° C), s’accompagne généralement d’une forte sudation, d’une petitesse du pouls, de difficultés respiratoires menant, sans intervention, à une asphyxie fatale.
    4. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 112.
    5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 468.
    6. Ibidem.

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