La pensée sauvage (Viola tricolor)

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Synonymes : pensée tricolore, violette tricolore, violette des champs, petite jacée, clavelée, herbe de la trinité, petite belle-mère (de l’allemand stiefmütterchen).

Contrairement à la violette de mars, la carrière thérapeutique de la pensée a débuté sur le tard. Aucune trace d’elle durant l’Antiquité, quelques rôles symboliques et ornementaux au Moyen-Âge (cf. les Grandes Heures d’Anne de Bretagne). Le premier intérêt qu’on lui prête ne remonte qu’au XVI ème siècle, époque à laquelle le mot « pensée » apparaît, bien que la plupart des auteurs de la Renaissance lui attribuèrent chacun son petit nom : jacée (Matthiole), violette flammée (Dodoens), sept couleurs (Gessner), grande jacée (Camérarius), herbe de la trinité (Fuchs), etc. Si la pensée diffère par ses noms, on s’accorde à la tenir comme un excellent remède des affections cutanées chroniques. Matthiole la donne comme utile dans la dyspnée et les troubles respiratoires, Culpeper et Camérarius dans la syphilis, mais ce sont surtout ses propriétés purifiantes et dépuratives qui l’emportent durant tout le XVIII ème siècle et une bonne partie du XIX ème. En tous les cas, la dermatologie s’enrichit des travaux effectués au sujet de la pensée, comme ceux de Jean-Philippe Boecler (Strasbourg, 1732) et de Strack (Mayence, 1779), entre autres, qui mirent en évidence l’efficacité de la pensée sur les croûtes de lait, l’eczéma, l’impétigo, le psoriasis, etc. Bien sûr, comme toujours, il n’est pas impossible que l’on s’égare comme le relate le Dictionnaire de Trévoux qui explique que « les fleurs de la pensée sont bonnes pour l’épilepsie » (on la donnait aussi comme efficace dans l’hystérie et la danse de Saint-Guy…).
Revenons-en à l’interface cutanée. En exerçant une action dépurative sur l’ensemble de l’organisme, la pensée draine au dehors toutes les « humeurs mauvaise » comme l’on disait autrefois, lesquelles ne sont que l’expression d’un dysfonctionnement interne, hépatique entre autres, ce qui a autorisé la pensée à entrer comme médication de choc dans le « traitement des dermatoses [considérées] comme manifestation de la diathèse neuro-arthritique » (1). D’ailleurs, cela a été démontré expérimentalement par Schulz dans les années 1920 : il « a vu l’absorption à faible dose mais prolongée de teinture alcoolique de pensée déterminer, chez l’homme en bonne santé, des éruptions impétigineuses sur tout le corps et des croûtes eczémateuses au visage et aux oreilles, en même temps qu’un fort accroissement de la sécrétion urinaire qui dégage une forte odeur d’urine de chat. D’où il a conduit à la valeur de la pensée contre les dermatoses, en concordance avec les emplois de l’homéopathie : éruption, incontinence nocturne d’urine, rhumatisme et polyurie » (2). Ce qui explique pourquoi la pensée n’a que très rarement été employée en externe contre les dermatoses et que, en effet, cette expérimentation répond à l’un des principes homéopathiques : une substance administrée à un sujet sain provoque chez lui une affection que cette même substance est censée combattre chez celui qui est en véritablement affecté, ce qui est, pour moi, une merveille médicale.

C’est essentiellement son biotope qui détermine le caractère annuel, bisannuel ou vivace de la pensée. Cette variabilité s’applique aussi à sa morphologie au sens global (parfois pseudo-rampante et petite, parfois au port érigé jusqu’à 40 cm de hauteur) ou particulier : qu’on la dise tricolore suggère en effet qu’elle porte du violet, du jaune et du blanc ; parfois simultanément, ce qui offre de belles teintes panachées, à d’autres on a affaire à des fleurs monochromes dont le point commun est de porter cinq pétales inégaux dont un seul (deux pour la violette) est tourné en direction du sol et achevé par un éperon. D’une taille de deux à trois centimètres, ces fleurs s’épanouissent au fur et à mesure des mois qui séparent avril de septembre. Assez commune, on la rencontre de préférence sur des sols sablonneux, dans les champs, les prairies, aux abords des terres labourées, dans les vignes, etc.

Bien des plantes offrent à notre regard des fleurs composées de cinq pétales, telles l’étoile à cinq branches bleu azur de la bourrache ou la fleur de myosotis confinant au stéréotype de la fleur digne d’une bande dessinée pour enfant, à l’exquise candeur (non, Norb, je ne pense pas forcément à toi. Quoi que… ^_^). Emblème du courage pour la première, du souvenir pour la seconde, elles sont toutes deux animées d’une symétrie axiale, ce qui n’est pas le cas de la pensée. Malgré la disproportion de ses pétales, on a vu dans leur nombre celui de l’homme, parce que ce qui lui est propre, outre le rire, c’est l’acte de penser. A l’image du Penseur de Rodin, la pensée s’incline légèrement vers le sol : on en a fait la fleur de la méditation et de la réflexion, mais aussi, chose qu’elle partage avec le myosotis, du souvenir. En témoignent ces millions de cartes postales envoyées à des amis ou à la famille arborant une fleur de pensée…

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La pensée sauvage en phytothérapie

Cette plante possède des propriétés similaires à celles de la violette odorante, quoique moins prononcées. Elle est intéressante à plus d’un titre, même à côté de la violette que l’on a placée sur un piédestal : un peu de tanin, une bonne quantité de mucilage, de la gomme, de la résine, des saponines, un alcaloïde du nom de violine, des sucres (glucose, rhamnose), des pigments (violanine, violaxanthine), des flavonoïdes (violaquercitrine), du salicylate de méthyle (qui la rapproche de la gaulthérie, de la reine-des-prés et du saule blanc), enfin de la vitamine E.

Propriétés thérapeutiques

  • Dépurative rénale et hépatique, diurétique légère, drainante cutanée
  • Expectorante, antitussive
  • Décongestionnante
  • Laxative, régulatrice du transit intestinal
  • Tonique
  • Anti-oxydante
  • Antiprurigineuse
  • Eméto-cathartique (racine ou plante entière à haute dose)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésicale : cystite, catarrhe vésical, dysurie, polyurie, oligurie, goutte, rhumatisme articulaire aigu
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, coqueluche, toux sèche, maux de gorge
  • Troubles circulatoires : artériosclérose, varice, phlébite, hémorroïdes, ulcère variqueux
  • Affections cutanées : acné, eczéma, eczéma variqueux, herpès, croûte de lait, psoriasis, impétigo, furoncle, dartre, urticaire, démangeaison, prurit, ulcère, gale, teigne, érythème fessier du nourrisson, rhagade
  • Indigestion, diarrhée
  • Leucorrhée

Modes d’emploi

  • Infusion de plante fraîche ou sèche
  • Décoction de plante fraîche ou sèche
  • Macération aqueuse de plante fraîche à chaud
  • Suc frais
  • Sirop
  • Poudre de plante sèche
  • Teinture-mère

Quelques recettes :

  • Infusion des cinq fleurs (dépurative, par voie interne) : lavande (1/3) + souci (1/6) + bourrache (1/6) + genêt (1/6) + pensée (1/6)
  • Infusion dépurative : pensée (1/3) + sauge officinale (1/3) + mélisse officinale (1/3)
  • Infusion pour application externe : pensée (1/5) + sauge officinale (2/5) + matricaire (2/5). A appliquer une fois passée sur eczéma, psoriasis, démangeaisons, etc. à l’aide d’une compresse ou d’un linge propre.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : à la belle saison (mai-septembre). Il est possible de ne ramasser que les fleurs ou bien la plante entière coupée juste au niveau du sol.
  • Séchage : la pensée, étant de nature succulente et mucilagineuse par ses feuilles, doit être promptement séchée, car si la dessiccation n’est pas assez rapide, la plante poursuit son cycle végétatif et ses fleurs produisent des capsules s’ouvrant sur une infinité de petites graines blanches. Autant dire qu’une telle récolte est perdue. Gardons également à l’esprit que les pouvoirs thérapeutiques de la pensée sauvage s’altèrent très vite après séchage.
  • Inconvénients : la racine est vomitive, la plante entière également si employée à forte dose. Dans ces cas-là surviennent nausées et vomissements. Le mode d’action de la pensée fait que ses propriétés dépuratives drainent la peau en profondeur et peuvent augmenter les affections cutanées qu’elle est censée combattre. C’est un phénomène normal qui s’estompe par la suite, après une cure assidue poursuivie pendant plusieurs semaines, laquelle aura la fâcheuse tendance à communiquer aux urines l’odeur de « pisse » de chat comme l’énonçait sans fioriture le Dr Valnet.
  • Associations : pour les affections cutanées, il est tout à fait possible d’accorder la pensée à la bardane, surnommée à raison herbe aux teigneux, alors que sélénium, vitamines C et E renforcent le côté anti-oxydant de la pensée.
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    1. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 85
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 968

© Books of Dante – 2017

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Les potentilles : quintefeuille, ansérine & tormentille

La quintefeuille (Potentilla reptans)

La quintefeuille (Potentilla reptans)

  • La quintefeuille (Potentilla reptans). Synonymes : potentille rampante, main de mars, herbe à cinq doigts.
  • L’ansérine (Potentilla anserina). Synonymes : herbe aux oies, potentille aux oies, patte d’oie, bec d’oie, herbe à cochon, tanaisie sauvage, plante des crampes.
  • La tormentille (Potentilla tormentilla ou erecta). Synonymes : potentille officinale, potentille dressée, tormentille droite, tormentille tubéreuse, tourmentille, herbe de sainte Catherine, herbe au diable, blodrot (= blood root, « racine du sang »).

L’histoire ancienne ou moderne est relativement prolixe à propos des potentilles. Mais nous ne retrouvons pas les unes et les autres dans le même temps et dans toutes les zones géographiques qui les concernent, aussi entremêlerons-nous leurs histoires.

Au V ème siècle avant J.-C., Hippocrate recommande une potentille contre les maux de gorge, la dysenterie, les douleurs dentaires, la jaunisse, la fièvre tierce, la cicatrisation des plaies et des ulcères. Un siècle plus tard, Théophraste nous offre la description de cette plante qu’on appelle pentaphullon, pentaphullos (c’est-à-dire « cinq feuilles », en réalité des folioles) ou bien pentadaktulon (« cinq doigts ») : « la racine du pentaphullon […] est rouge quand on l’arrache mais sèche, devient noire et carrée [anguleuse]. Sa feuille est comme celle de la vigne, mais petite et de même couleur. Il pousse et meurt avec la vigne. Il a seulement cinq feuilles en tout, d’où son nom. Il a des tiges minces qui se répandent à même la terre et qui ont des nœuds ». Il n’est pas impossible d’entrevoir dans cette description la quintefeuille ou potentille rampante qui « lance des émissaires filiformes et rougeâtres à la recherche de pays d’invasion » (1), et non pas la tormentille qui, d’après de ce que nous apprend Fournier, est absente de Grèce. Mais l’Antiquité ne se résume pas qu’au monde grec, même si à une époque il a largement débordé les frontières de la Grèce actuelle. C’est pourquoi l’on a pu dire que la tormentille était restée inaperçue ou inconnue des Anciens. En revanche, on recroise le chemin du pentaphyllon dans l’œuvre de Dioscoride (Materia medica, Livre IV, 42). Ce dernier recommande cette plante bue dans de l’eau miellée ou du vin coupé d’eau avec un peu de poivre contre les fièvres périodiques. Mais sa racine lui procure un heureux remède contre une foule de maux dont voici les principaux : maux de dents, abcès buccaux, diarrhée, dysenterie, troubles articulaires et névralgiques (sciatique), affections cutanées (induration, herpès, inflammation, cal, gale, blessure…), maladies pulmonaires et hépatiques (jaunisse), hémorragies… Quant à Pline, pour décrire son quinquefolium, il reprend largement ce qu’en dit Théophraste et ajoute que cette plante « se signale par les fraises qu’elle produit ». Là, il y a comme un hic ou bien Pline évoque une autre espèce de Potentilla. Galien conforte l’idée selon laquelle cette plante est utile aux maux de dents et ajoute qu’elle entrait comme ingrédient dans diverses recettes de contrepoisons (thériaque d’Andromaque, thériaque de Mithridate, etc.), c’est dire la réputation qu’on lui avait alors faite, laquelle, bien sûr, s’échappa du strict cadre médicinal, et se répandit à d’autres pratiques connexes, telles que la magie et l’astrologie. Rien d’étonnant alors que la quintefeuille (si c’est bien elle) ait été considérée comme une panacée polychreste, chose que nous allons maintenant aborder.

La quintefeuille était, selon certains textes astrologiques grecs, une plante d’Hermès, de même que le bouillon-blanc. Inhabituellement, cette plante d’Hermès est si bien décrite qu’on ne doute pas un instant de son identité. Par mélothésie planétaire, l’astrologie médicale grecque a donc placé la quintefeuille en relation avec la planète Mercure. Expliquons ce choix. La planète Mercure gouverne les articulations, la bouche, la gorge, les mains, les doigts, les épaules, les oreilles, le ventre, les intestins, les artères, etc. Pour faire de l’herba quintefolium une plante d’Hermès, il faut donc que celle-ci se révèle apte à intervenir sur tout ou partie de ces zones corporelles. Si l’on se réfère à ce à quoi Dioscoride la destinait, on se dit que tout cela, médicalement, coïncide très bien. En effet, la quintefeuille libère le ventre de ses coliques, intervient en cas de maux de gorge (pharyngite…), de maux bucco-dentaires, d’affections cutanées (brûlures, engelures). D’autres encore, données par les astrologues grecs sont plus « farfelues » : lèpre, folie, épilepsie. Quintefeuille et Hermès sont aussi reliés par quelque chose qui revient souvent et qui n’est pas, à proprement parler, une spécificité de la planète Mercure mais du Soleil : les affections oculaires. Tout juste peut-on se permettre de dire qu’une potentille s’emploie pour les soins oculaires. Il ne s’agit pas de la quintefeuille, mais de l’ansérine. Si le lien concernant la bouche, la langue et la gorge s’explique bien par le fait qu’Hermès est le dieu de la parole et de l’éloquence, on comprend mieux que la quintefeuille a été recommandée aux orateurs, car « elle les rend aisés dans l’art de parler, d’un commerce agréable et aptes à réussir. Elle leur confère la facilité de parole et la spontanéité » (2). Mais la vue ? On se hasarde à indiquer qu’Hermès avait la connaissance des choses cachées, un pouvoir de pré-vision. A propos de choses cachées, la quintefeuille permettrait d’acquérir le don d’invisibilité, une caractéristique qui rappelle le détail mythologique retracé par Homère et Hésiode lors duquel Hermès, en portant le casque d’Hadès, se rend invisible. La faculté divinatoire lui est aussi alléguée. Cette plante « donneuse de rêves […] a également la propriété de rendre clairs pour les hommes mortels, à travers de doux rêves, tous les oracles divins ». De plus, d’elle on obtient présents et bienfaits de la part des puissants, on facilite toutes ses entreprises (comme la pêche, la chasse, la victoire aux jeux, l’intrépidité au combat, etc.). On en fit même une plante de vie : « C’est la racine qui, consommée, chasse chacune des maladies du corps et provoque un allongement de la vie. Porte la racine avec une pivoine [autre grande panacée antique], de l’encens et tu seras protégé de tous les charmes des hommes animés par la méchanceté » (3). Ajoutons à cela son efficacité contre les peurs, les maléfices, les démons, les chiens, etc. L’Hermeiao to daktulon (« doigt d’Hermès ») tel quel l’appelait l’auteur anonyme du Carmen de viribus herbarum, doit se récolter en Lune croissante, « quand […] le soleil, lumière des mortels, commence à répandre sur la terre son rougeoyant éclat ». Comme nous le voyons, la puissance de la potentille quintefeuille n’a d’égale que son nom, puisque potentille provient du latin potens, « puissance, force ».

Au Moyen-Âge, on voit apparaître le mot tormentilla qu’on attribuera bien entendu à la tormentille, dont le nom est construit sur le latin tormina (« colique ») et tormentum (« tourment, douleur »). Elle mérite très bien son surnom d’herbe à la colique, qu’elle chasse et non qu’elle provoque comme il m’est arrivé de le lire avec stupéfaction. Hildegarde de Bingen évoque trois potentilles : la potentille des oies (potentille ansérine ?), qu’elle appelle Gensekrut, plante tout à fait inutile pour elle. Ensuite, la Funffblat (de fünf, « cinq » et blatt, « feuille ») qui pourrait bien être la quintefeuille. Elle lui accorde quelque utilité contre les fortes fièvres, la jaunisse et les troubles de la vue. Enfin, elle évoque la tormentille en deux endroits du Physica, mais pour chacun d’eux elle désigne la plante par deux noms différents : Dornelle et Birckwurtz. Cette plante était utile pour soigner les fièvres et la colique, mais aussi pour chasser hors du corps les excès « d’humeurs superflues et empoisonnées ». Au XIV ème siècle, le Grand Albert se penche, lui, sur la quintefeuille, mais ne nous apprend rien de neuf, se contentant de piocher dans les textes antiques : « La cinquième [plante] est de Mercure et se nomme pedactilus ou pentaphilon, en français quintefeuille. La racine de cette herbe guérit les plaies et les duretés [indurations], si on la met en emplâtre. Elle enlève en peu de temps les écrouelles si on boit son suc avec de l’eau. De même que son suc guérit aussi les douleurs et les maux d’estomac et de poitrine. Que l’on en mette dans la bouche, il apaise les maux de dents, et tous les autres que l’on pourrait y avoir. Que si quelqu’un la porte sur soi, elle lui sera d’un grand secours. De plus, si on veut demander quelque chose à un roi ou à un prince, on n’a qu’à la porter sur soi, elle rend savant et fait obtenir ce que l’on en souhaite » (4). Comme on peut le constater, rien de nouveau sous le soleil.

A la Renaissance, on ne parle plus que de l’ansérine et de la tormentille, alors que la quintefeuille semble tombée dans l’oubli. Par leur astringence, Matthiole et Dodoens les conseillent en cas d’hémorragies, de dysenterie, de diarrhée, de leucorrhée, etc., et Matthiole réserve à la seule tormentille un usage bucco-dentaire (déchaussement dentaire, ramollissement des gencives, douleurs…), chose qu’Olivier de Serres appuiera quelques décennies plus tard. Pitton de Tournefort rappelle l’emploi de la tormentille dans la leucorrhée et Degner dans la dysenterie après s’être servi de cette plante pour lutter contre une épidémie de dysenterie en 1736 (5), parce que, comme nous le rappelle le Dictionnaire de Trévoux, « la racine de tormentille est astringente, propre pour les [maux] de ventre ». La tormentille est, en effet, un antidiarrhéique de premier ordre, agissant à la manière de la renouée bistorte et de la bourse-à-pasteur. En revanche, ses propriétés fébrifuges, diurétiques, antilithiasiques et antiphtisiques sont, souligne Cazin, très illusoires ou très exagérées. Il est vrai qu’en 1798, Gilibert avouera avoir soigné un phtisique avec de la poudre de racine de tormentille, affirmation dont il est permis de douter. De même, Boerhaave la considérait « comme l’égale du quinquina dans le traitement des fièvres intermittentes » (6). Si quinquina et tormentille possèdent quelques molécules en commun, la comparaison s’arrête là. L’abbé Kneipp considère autant l’ansérine que la tormentille. Il accorde aux deux le pouvoir de prendre en charge des maladies tant pulmonaires (asthme, coqueluche) que gastro-intestinales (spasmes). Il indique même l’ansérine pour juguler les états anxieux. Au début du XX ème siècle, Henri Leclerc concentre son attention sur les propriétés stimulantes et antispasmodiques de la potentille ansérine sur l’utérus. C’est ainsi qu’il la préconise en cas de dysménorrhée, de règles douloureuses, de leucorrhée et de métrorragie. Il n’oublie pas la tormentille qu’il qualifie de tonique et d’excitante, mettant à profit ses qualités astringentes énergiques pour résoudre les diarrhées chroniques. Il dira à son propos qu’elle « est, en outre, un des meilleurs agents de la phytothérapie tannique de la tuberculose » (7).

Nos trois potentilles sont toutes des plantes vivaces prenant pied grâce à une souche rhizomateuse. Mais ce qui se passe pour chacune d’entre elles au-dessus du sol diffère grandement. La quintefeuille, espèce rampante, envoie, de loin en loin, de longs stolons rougeâtres, parfois à plus d’un mètre de distance. L’ansérine stolonne aussi mais moins fréquemment. Quant à la tormentille, elle prend en hauteur ce que les deux autres s’accaparent en largeur : c’est ainsi qu’elle atteint une taille de 30 à 50 cm, alors que quintefeuille et ansérine sont plutôt tapissantes. Très feuillues, elles se distinguent cependant par leur morphologie foliaire : des feuilles composées pour toutes, mais à cinq folioles pour la quintefeuille, à trois à cinq folioles dentées pour la tormentille, enfin, en ce qui concerne l’ansérine, des feuilles comptant de très nombreuses folioles (15 à 17), lesquelles sont dentées, de forme oblongue, soyeuses et argentées, d’où son surnom d’argentine. Les fleurs, qui apparaissent chez chacune de mai en août, voire septembre parfois, sont fichées au bout d’un long pédoncule et mesurent environ deux centimètres de diamètre. Si les fleurs de la quintefeuille et de l’ansérine comptent cinq pétales jaune d’or, la tormentille n’en a que quatre, légèrement échancrés. L’ansérine se paie le luxe de fermer ses pétales quand vient le soir ou lorsque d’ombrageuses nuées la surplombent.
Nouveau point commun, ces trois potentilles sont extrêmement communes en France, mais chacune y va de ses petites préférences quant à la nature du sol qui les porte. Par exemple, la quintefeuille et la tormentille apprécient les sols gras, riches en humus et en silice. Cette dernière ne dédaigne pas les terrains acides. Elles ont, toutes les deux, une prédilection pour les sols humides, tout comme l’ansérine, ce qui explique qu’on ne les croise pas en région méditerranéenne. Elles sont plutôt de nature continentale (et océanique pour l’ansérine qui pousse sur les terres salées du littoral). Présentes en plaine comme en moyenne montagne (1000 m), voici les lieux qu’elles affectionnent le plus : bordures de chemins et de routes, prairies, prés, berges des eaux douces (ruisseaux, rivières, mares), clairières, pâturages humides. Cependant, la tormentille est sans doute la plus misanthrope des trois : elle se camoufle dans les haies, apprécie landes et bois, alors que la quintefeuille, qui peut allégrement s’épanouir en ville, se plaît sur les trottoirs, dans les jardins, en lisière de cultures où elle est parfois envahissante. L’ansérine, outre les lieux que nous avons déjà nommés, « se multiplie considérablement dans les lieux où l’on séjourne » (8). Elle est, je pense, une plante compagnon, à l’instar de l’ortie, de l’oseille et du sureau. Elle batifole sur les terres fumées par les animaux, riches en azote et en matières organiques. Si l’ansérine porte ses divers surnoms reliés à la gallinacée qu’est l’oie, ça ne sert pas que pour faire des jeux (de l’oie, de mots, etc. ^_^). Bien qu’il soit plus difficile aujourd’hui de faire la rencontre d’un troupeau d’oies domestiques, on a cherché à expliquer que l’ansérine (du latin anser, « oie ») se trouvait particulièrement sur le chemin de ces voluptueux volatiles, ou que ces derniers en avalaient goulûment le feuillage. De même, à une époque où les cochons gambadaient sans avoir la crainte qu’ils seraient parqués comme des bêtes (ou des sous-bêtes tant cela me rappelle les camps de concentration), ils aimaient, dit-on, arracher les racines de l’ansérine pour s’en repaître, laquelle plante a mérité son surnom d’herbe à cochon, ce qui n’est point vulgaire ! :p

La tormentille (Potentilla tormentilla)

La tormentille (Potentilla tormentilla)

Les potentilles en phytothérapie

Ces trois potentilles sont toutes inodores. Les racines, de saveur âcre et astringente, possèdent parfois – en particulier chez la tormentille – un petit goût légèrement aromatique. Si les feuilles de nos trois espèces sont justiciables d’un emploi phytothérapeutique, la matière médicale principale offerte par les trois se situe sous la surface du sol, en l’image d’un rhizome contenant, selon les espèces 2 à 10 % de tanin (quintefeuille, ansérine), beaucoup plus parfois (17 à 20 % pour la tormentille), de la résine, une gomme, des flavonoïdes, du tormentol, des principes amers, divers acides. La tormentille se distingue par la quinovine qu’elle contient, ainsi que par le pigment rouge colorant sa racine.

Propriétés thérapeutiques

=> Communes aux trois potentilles

  • Astringentes, stomachiques, anti-inflammatoires, hémostatiques, cicatrisantes, antidiarrhéiques, toniques

=> Spécifiques à chacune

  • Ansérine : antispasmodique et stimulante utérine
  • Tormentille : excitante, immunostimulante, antivirale, fébrifuge, antiscorbutique

Usages thérapeutiques

=> Communs aux trois potentilles

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée aiguë et chronique, dysenterie, crampes et spasmes gastro-intestinaux, ulcère saignant de l’estomac et du colon
  • Troubles de la bouche, des dents et de la gorge : maux de gorge, stomatite, aphte, pharyngite, gingivite, ulcération buccale, ramollissement gingival, déchaussement dentaire
  • Hémorragies : hémoptysie, crachement de sang, hémorroïdes, assainissement et cicatrisation des plaies
  • Affections cutanées : ulcère, ulcère atone, brûlure, contusion, engelure, ecchymose

=> Spécifiques à chacune

  • Ansérine : colique des nourrissons, gastrite, règles douloureuses, métrite, leucorrhée, rougeur cutanée, coup de soleil, tache de son (grain de beauté à l’allure plate), soins oculaires (fleurs)
  • Tormentille : gastro-entérite, infection à rotavirus chez l’enfant, colite, colite ulcérée, entérite, entérocolite aiguë et chronique, néphrite, incontinence urinaire, hématurie, fièvre intermittente, tache de rousseur, piqûre d’insecte, morsure, tumeur enflammée, points douloureux de la goutte, enflure dans les pieds et les mains, soif des diabétiques et des albuminuriques
  • Quintefeuille : digestion difficile chez les personnes âgées

Modes d’emploi

  • Décoction de racine
  • Décoction concentrée de racine
  • Macération vineuse de racine (dans un bon vin rouge ou pourquoi pas dans du porto comme le conseillait le Dr Leclerc)
  • Alcoolature
  • Poudre de racine sèche (comme poudre dentifrice par exemple)
  • Racine fraîche mâchée
  • Cataplasme de feuilles fraîches

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les parties aériennes fleuries à pleine floraison durant les mois estivaux, les racines au printemps (mars-avril) ou à l’automne (septembre-octobre).
  • Séchage : les parties aériennes s’y prêtent bien, quant aux racines, le choix nous est donné : on peut les employer fraîches immédiatement ou bien les faire sécher. Mais dans ce dernier cas, il faut veiller à ne pas se constituer une réserve astronomique car la teneur en tanin baisse rapidement après dessiccation. On estime qu’au bout d’un an et demi la poudre de racine et les diverses préparations perdent 25 % de leur tanin. C’est particulièrement vrai pour la tormentille.
  • Inconvénients : quintefeuille et ansérine procurent une action plus douce que la tormentille, dont la teneur en tanin oblige de ne pas en abuser tant que la phase d’irritation dans diarrhée et dysenterie n’est pas révolue. Une diarrhée aiguë qui s’étendrait au-delà de 48 heures devrait mener à consulter. Bien qu’étant une espèce astringente très énergique, la tormentille, contrairement à d’autres drogues à tanin, est assez anodine sur les muqueuses stomacales. Tout au plus observons-nous des vomissements en cas d’emploi à haute dose.
  • Incompatibilité : comme nous l’avons dit, les tanins réagissent mal avec le fer. Aussi, il est recommandé de n’utiliser aucun ustensile ferreux lors de l’élaboration d’une préparation. Par exemple, une décoction de racine se réalisera dans une casserole émaillée.
  • Plantes alimentaires : parmi nos trois potentilles, seule la tormentille ne se prête pas à un usage alimentaire aisé, chose qui s’explique par sa forte teneur en tanin. Cependant, près du tiers du poids de sa racine est constitué de gomme, un intérêt économique possible à condition de dépouiller le rhizome de la tormentille de ses principes astringents. En ce qui concerne l’ansérine, on a constaté que sa racine constituait déjà un légume aux temps protohistoriques, en particulier en Europe du Nord (Écosse, Angleterre, Orcades, Féroé, etc.), où existent des variétés aux racines renflées figurant des tubercules. Aliment mais aussi substitut en temps de disette, son usage alimentaire s’est perdu après l’introduction de la pomme de terre. Pour finir, les feuilles de la quintefeuille et de l’ansérine, surtout quand elles sont cueillies à l’état jeune, peuvent être cuites, accommodées et consommées comme des épinards. En dehors de l’Europe, l’ansérine était aussi conviée comme légume par les populations iakoutes et toungouses (Sibérie) et, de l’autre côté de l’Océan atlantique, des tribus amérindiennes du Canada faisaient de même. Cet aliment de base était pour eux si précieux qu’ils s’en servaient comme de monnaie d’échange contre des denrées introuvables.
  • Autres usages : tannage des peaux (nord de l’Europe), plante tinctoriale (Laponie), fabrication d’encres, etc. Ils concernent essentiellement la tormentille.
  • Autres espèces : potentille dorée (P. aurea), potentille blanche (P. alba), potentille printanière (P. verna), potentille argentée (P. argentea), potentille faux fraisier (P. fragariastrum), etc.
    _______________
    1. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 362
    2. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 364
    3. Ibidem, p. 363
    4. Grand Albert, p. 96
    5. On fera de même durant la Première Guerre mondiale, lors de la campagne des Balkans.
    6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 65
    7. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 111
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 65

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L'ansérine (Potentilla anserina)

L’ansérine (Potentilla anserina)

La piloselle épervière (Hieracium pilosella)

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Synonymes : oreille de souris, oreille de rat, veluette.

Quand, il y a longtemps déjà, nous avions abordé la chélidoine, il a été dit que – trait caractéristique de l’Antiquité – elle portait le nom d’herbe d’hirondelle, parce que, disait-on, cet oiseau guérissait ses petits de leurs affections oculaires à l’aide du suc de chélidoine. Ici, les choses se présentent de manière analogue avec la piloselle, puisqu’une légende plus tardive (elle est médiévale) prétend qu’un autre oiseau, l’épervier (ou le faucon), se nourrirait de suc de piloselle afin de perfectionner sa vue. Hierakon, dans lequel on devine le nom latin de la piloselle, Hieracium, était déjà le nom grec de plusieurs Chicoracées, mais il contient aussi Hierax, « faucon » ou « épervier ». On a donc donné à la piloselle ce nom d’Hieracium, « sans que l’on aperçoive d’explication en dehors de légendes populaires » (1). S’il est difficile d’expliquer le rôle du rapace, au moins savons-nous que la piloselle a bien quelques rapports avec la vue. Le choix du faucon n’est peut-être pas si anodin tant on sait à quel point cet oiseau possède une vue perçante. Tout ceci nous a brièvement rattaché à l’Antiquité, mais à cette lointaine époque, il n’est nullement question de piloselle, elle n’est mentionnée par aucun des anciens auteurs antiques : ça n’est qu’au XII ème siècle qu’on la rencontre pour la première fois, consignée par la main de cette grande dame que fut Hildegarde. Elle lui attribue le nom de Musore qui me fait étrangement penser à la manière dont les Anglais la nomment : Mouse Ear. Musore semble contenir le mot Maus, « souris » en allemand (de toute façon, de l’allemand à l’anglais, l’on sait qu’il existe bien des filiations). Bref. Hildegarde nous explique que la piloselle, alias oreille de souris, permet de diminuer les humeurs mauvaises accumulées dans le corps. Sans doute fait-elle référence aux effets diurétiques et dépuratifs de la piloselle, chassant chlorures, urée et autres toxines en dehors de l’organisme. Ensuite, Hildegarde mentionne que la piloselle réconforte le cœur, et je résiste à l’idée que certains se font à ce sujet : affirmer qu’elle serait cardiotonique. Enfin, elle nous transmet une recette mêlant fenouil, galanga, dictame et piloselle : « Cette préparation conserve en bonne santé celui qui l’est déjà et réconforte celui qui est affaibli ; elle facilite la digestion et donne des forces ; elle donne au visage une belle et bonne coloration » (2).
Le nom même de la piloselle émane du Moyen-Âge tardif, et provient de ce que, comme le souligne Gaspard Bauhin (1560-1624), la piloselle est copieusement poilue. Elle est décrite dans l’Hortus sanitatis de 1485 et dans l’Herbarius de 1536. Puis, les principaux auteurs du XVI ème siècle s’emparent d’elle : Tragus (jaunisse, hydropisie), Tabernaemontanus (hémorragies), Matthias de Lobel (lithiase rénale), Matthiole, bien sûr, qui la dit astringente, réfrigérante et desséchante. En 1554, il écrit que « les médecins ont appris qu’elle constitue un remède à la dysenterie et à la métrorragie. De plus, macérée dans du vin un peu âpre, elle amène les plaies, tant internes qu’externes, à se fermer : elle est d’un grand secours contre les vomissements de bile, les crachements de sang, les entérites, les hernies intestinales et toutes les fractures, surtout du crâne. Il ne manque même pas de médecins, surtout contemporains, qui la recommandent dans les affections du foie et de la rate et dans les débuts d’hydropisie. On l’ajoute utilement aux boissons dans des cas de plaies internes et aux emplâtres et baumes vulnéraires, car, non seulement elle cicatrise les blessures récentes, mais elle guérit aussi les ulcères rebelles ».
Au-delà, c’est le trou noir. Il faudra attendre le Dictionnaire de Trévoux, rédigé entre 1704 et 1771, pour retrouver la piloselle. Il y est dit que « la piloselle est vulnéraire et détersive » et que l’on « se sert de son extrait pour les ulcères ». Elle est aussi recommandée en cas de jaunisse et d’hydropisie. Mais tout ceci est fort maigre. Cela n’est qu’au XIX ème siècle que la piloselle connaîtra un regain d’intérêt, bien qu’entre temps la médecine populaire ne l’ait jamais abandonnée. Sa vertu astringente était alors conviée dans les hémorragies passives, les hémorragies utérines et nasales, les diarrhées chroniques, les ulcérations internes. Elle fit partie de la pharmacopée empirique des paysans landais qui éprouvaient la propriété diurétique de la piloselle (urémie). Oui, « les campagnards, qui n’abandonnent pas aussi facilement que les hommes de science les traditions populaires, la mettent encore en usage », constate Cazin dans les années 1850 (3), ayant plusieurs fois assisté, en tant que spectateur, à l’usage qu’en faisaient les paysans du Calaisis contre les lithiases rénales, alors que, dans le même temps, des « hommes de science » se penchaient sur la piloselle et se concentraient sur ce qui ne fait pas sa spécificité. Mais n’ayons crainte, la piloselle aura sa revanche, mais devra patienter jusqu’au XX ème siècle, tout d’abord avec le Dr Leclerc qui déclare en 1922 que la piloselle possède une action uropoïétique prononcée, tandis qu’elle permet d’abaisser le taux d’urée sanguine. Elle est par ailleurs particulièrement efficace dans les divers troubles azotémiques que sont l’insomnie, les nausées, les céphalées, la dyspnée, etc. En évacuant non seulement l’urée, les chlorures mais encore les corps azotés de l’organisme, elle est un efficace adjuvant de la grippe. Enfin, en 1946, Guérin démontre qu’une décoction de piloselle vient à bout de la fièvre de Malte (ou mélitococcie), une maladie infectieuse provoquée par une bactérie, Brucella melitensis, qui, si elle touche déjà les animaux, est transmissible à l’homme.

La piloselle est une petite plante vivace (10 à 15 cm de hauteur le plus souvent, parfois 30 à 50 cm, mais plus rarement). Ses feuilles oblongues, à longs poils blancs au-dessus et duveteuses au-dessous, s’organisent en rosette radicale, caractéristique courante chez de nombreuses plantes, par exemple la primevère. Du centre de la rosette émergent des stolons rampants et feuillus qui s’enracinent de loin en loin et se séparent de la plante mère une fois acquise leur autonomie. Tels de petits pissenlits, les pédoncules gagnent les hauteurs et coiffent leur chef d’un capitule de fleurs jaune soufre entre les mois de mai à septembre. Après floraison, apparaissent des fruits noirs et allongés, surmontés d’une aigrette rayonnante, qui se déplacent par voie aérienne de la même manière que les petits parachutes du pissenlit.
Partout en France, la piloselle reste très commune, à l’exception de la région méditerranéenne, chose d’autant plus surprenante qu’elle est rare dans les lieux où sévit la brucellose dont nous avons parlé qui, elle, est typiquement méditerranéenne. La perle n’est pas toujours à côté du dragon.
Espèce de plaine, la piloselle aime à gagner les sommets : 3000 m d’altitude, c’est sa limite, et apprécie les sols secs et pauvres : lisières de forêts, bords de chemins, prés secs, terres incultes, talus, pieds des vieux murs, dunes… Tout, à peu près, lui réussit, les terrains tant calcaires que siliceux, sans doute parce que la piloselle est une combattante, chose que sa petite taille ne laisse pas augurer. Mais attention, elle est féroce. Il a été observé que les colonies de piloselles se déployaient en cercles concentriques. A l’approche de la piloselle, le millepertuis, le lin, le blé, l’achillée millefeuille perdent du terrain et deviennent chétifs, alors que le thym, le serpolet et le radis lui résistent. Cette agressivité envers d’autres plantes s’explique par la sécrétion de substances allélopathiques par voie racinaire (4). On appelle cela la télétoxie. Mais, parallèlement à cela, on observe un second phénomène : les sécrétions racinaires toxiques de la piloselle saturent le terrain porteur et le centre de la colonie se dénude et se dégarnit : les membres originaux de la colonie périssent ! De télétoxie, on passe à l’autotoxie, du sadisme au masochisme ! Le cercle vidé de ses occupantes et sa couronne toujours verte forment ce que l’on appelle des cuvettes à piloselles, chose qui n’est pas sans évoquer les ronds de sorcières et que l’on n’a jamais consignée comme tel. Cependant, tout n’est pas perdu pour la piloselle : après lessivage du sol par d’abondantes précipitations, de nouvelles piloselles s’y installent derechef. Peut-être devrait-on faire de la piloselle un remède contre la calvitie coronale. Pourquoi pas après tout, sait-on jamais… ^_^
Une guerrière qui se fait hara-kiri, il doit bien y avoir une raison, bien que je ne vois pas laquelle, les arcanes du monde végétal étant si impénétrables… En tout cas, la piloselle porte haut les armes et, chose qui me conforte dans la nature martienne de la piloselle, ces quelques lignes que l’on doit à Olivier de Serres : « le jus de cette plante est employé à la composition d’une trempe pour épées et couteaux, si excellente que les instruments qui en sont préparés, coupent le fer comme du bois, tant il est efficace ».

hieracium_pilosella

La piloselle épervière en phytothérapie

C’est une plante médicinale dont toutes les parties peuvent être soumises à une pratique phytothérapeutique, mais il convient de l’employer fraîche car une fois sèche, elle est presque entièrement dénuée de propriétés. La racine, comme beaucoup d’Astéracées, contient de l’inuline, les parties aériennes une grande quantité de tanin, un principe amer, des flavonoïdes, du mucilage, une coumarine (ombelliférone), divers acides (caféique, chlorogénique), enfin une forte proportion de manganèse. De même que le pissenlit, quand on coupe une tige de piloselle, un latex blanc se répand aussitôt. C’est peut-être la seule fraction de la piloselle que l’on emploie à l’état sec.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique énergique éliminatrice de l’urée et des chlorures, dépurative
  • Astringente, vulnéraire, détersive, cicatrisante
  • Anti-infectieuse : antifongique, antibactérienne (sur Brucella melitensis et Brucella abortus)
  • Apéritive, cholagogue, cholérétique
  • Anti-œdémateuse
  • Hypocholestérolémiante
  • Stimulante

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésicale et rénale : excès d’urée sanguine, oligurie, néphrite, lithiase rénale, albuminurie, goutte
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : catarrhe intestinal chronique, diarrhée, dysenterie, inappétence (mâchée, la racine augmente les sécrétions salivaires)
  • Troubles de la sphère respiratoire : maux de gorge, congestion pulmonaire, asthme, coqueluche, bronchite, difficultés respiratoires (dyspnée)
  • Œdèmes et rétention d’eau : ascite, œdème des cardiaques, œdème des membres inférieurs
  • Grippe : bien que la piloselle ne soit pas un spécifique de la grippe, elle en est le précieux auxiliaire, « elle se recommande dans tous les cas, fort nombreux, où il convient d’exonérer l’organisme de ses déchets » (5)
  • Troubles de la sphère cardio-circulatoire : artériosclérose, hypertrophie du cœur
  • Affections cutanées : plaie, plaie ancienne, blessure, ulcère, furoncle, mycose unguéale
  • Hémorragies : saignement de nez, métrorragie, plaie interne
  • Asthénie, fatigue générale
  • Fièvre de Malte (brucellose)
  • Inflammation oculaire, faiblesse de la vue

Modes d’emploi

  • Infusion de parties aériennes
  • Décoction de parties aériennes
  • Teinture-mère
  • Onguent
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : peu avant floraison, ce qui, selon les régions, concerne les mois de mai à juillet.
  • Toxicité : la piloselle en est dénuée ; de plus, elle n’est ni irritante, ni nocive pour les voies digestives, il est donc loisible d’en faire de longues cures sans crainte. Cependant, les personnes sujettes à de l’hypotension se garderont de la piloselle.
  • Association : la piloselle peut être conseillée avec d’autres plantes diurétiques telles que le thé vert, la prêle, l’orthosiphon, etc.
  • Autres espèces : l’épervière des murs (H. murorum), la piloselle orange (H. aurantiacum), la piloselle des prairies (H. caespitosum), etc.
    _______________
    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 367
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 52
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 757-758
    4. Déjà, en 1951, L. Guyot avait observé l’action inhibitrice de la décoction de racine de piloselle sur la germination d’un certain nombre de plantes domestiques.
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 369

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L’asperge officinale (Asparagus officinalis)

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L’asperge qui s’expose aujourd’hui en bottes sur les marchés, qu’elle soit verte, blanche ou violette, n’est qu’une lointaine descendante d’une asperge sauvage qui vivait sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, comme du reste ses nombreuses consœurs. Connue des Égyptiens qui l’offraient aux divinités, elle devait jouer un rôle sacré pour eux sachant qu’on en a retrouvé des figurations sur les parois de certaines pyramides (il n’est pas seulement permis de penser que cela n’était qu’à titre ornemental). D’Orient, des colons grecs emmenèrent avec eux l’asperge jusque dans le sud de l’Italie. Elle se déploie tant qu’on en fait une espèce cultivée dont Grecs et Romains se délectaient comme aliment mais aussi comme plante médicinale. Pour le monde grec, c’était aussi une plante d’Aphrodite, chose que Pline soulignera : les Romains la vénéraient tout bonnement et simplement (1). D’un point de vue médical lié à l’Antiquité, laissons la parole à Dioscoride : « L’asperge vulgairement connue a des pointes, lesquelles cuites en viandes remplissent le corps et font uriner. Bue, la décoction de la racine aide à la rétention d’urine, à l’évacuation de la bile par tout le corps, aux maladies des reins et aux sciatiques. La décoction vineuse aide aux morsures des araignées phalanges, et tenue en la partie de la bouche où il y a douleur, aide aux dents souffrantes (2). La graine bue aide à toutes ces choses […] L’asperge […] est fort ramifiée, avec force et longues feuilles, semblables au fenouil. Elle a la racine longue, ronde et spongieuse. Les pointes pilées et bues avec du vin, ôtent les douleurs des reins. Cuites dans l’eau, ou rôties, et mangées en viandes, elles remédient à l’excrétion et à la rétention d’urine, et à la dysenterie […] Les racines portées quelque part sur soi, ou leur décoction bue, font stériles tant les hommes que les femmes » (3). Dernière assertion qui semble contredire le pouvoir aphrodisiaque concédé à l’asperge. Mais qui a jamais dit qu’Aphrodite était déesse de la fertilité et de l’enfantement ?

Au Moyen-Âge, on ne fait guère mention de l’asperge. Tout au plus le Tacuinum sanitatis nous montre-t-il une miniature exposant la culture de l’asperge, dont on dit qu’elle n’apparaît en France qu’au XV ème siècle (l’asperge ne sera cultivée sous sa forme moderne qu’au XVIII ème siècle). Mais tout ceci est fort mince. Attendons la Renaissance. Johann Schroder, perspicace, déduisit que de la mauvaise odeur que l’asperge communique aux urines, elle devait exercer une action sur la sphère rénale. Tout cela n’est pas très reluisant, mais ceux qui en sont friands savent peut-être de quoi je veux parler. Plus glamour est l’opiniâtreté de Madame de Maintenon, maîtresse du roi Louis XIV, qui en commanda la culture à Jean-Baptiste de la Quintinie, nul autre que le jardinier du potager de Versailles, parce que – d’autres propriétés traversent les siècles – elle pensait là s’assurer l’accroissement de la virtuosité sexuelle du Roi Soleil. Mais ce dernier se gavait de tant d’autres drogues plus à même de réaliser cet effet (cannelle, clous de girofle, muscade, etc.), qu’on peut honnêtement se demander, à travers cette pléthorique débauche de moyens, si l’humble asperge y eut réellement un quelconque rôle à jouer, ou s’il ne s’agissait pas au contraire d’une volonté de pérenniser la puissance aphrodisiaque de l’asperge au sujet de laquelle on s’est perdu en conjecture au fil des siècles. Tout cela n’empêchera pas Madame de Maintenon de soutenir mordicus que l’asperge n’était pas autre chose qu’une « invite à l’amour ». Deux siècles plus tard, on n’en dira pas autant : interdiction fut faite aux jeunes filles des couvents de consommer des asperges, cela aurait pu leur donner des idées (les mères-supérieures étaient tout de même bien informées, dites-moi…). On l’interdit même dans les pensionnats de jeunes filles, alors que de graveleuses expressions illustraient on ne peut mieux la vertu aphrodisiaque de l’asperge comme, par exemple, « il ne faut pas tremper son asperge dans n’importe quel coquetier », sans équivoque, ou bien celle-ci : « aller aux asperges », bien plus sibylline, et qui s’explique par l’allure de membre viril de l’asperge – ce turion dont on ne connaît pas l’étymologie, ce qui est fort dommage – et qui signifie « aller chercher fortune sur le trottoir ». La grivoiserie est toujours inventive. Outre ces gaudrioles de boulevard, au XVIII ème siècle, on controverse joyeusement sur les vertus diurétiques de la racine d’asperge. Comme toujours, il y a les « pour » proclamant à la face du monde qu’elle est un excellent remède des obstructions urinaires et les « contre » arguant sur l’action néfaste de l’asperge sur les voies urinaires, l’accusant d’irriter la vessie, de développer des hématuries et d’augmenter le paroxysme de la goutte, ce en quoi je ne leur donne pas tort sur ce dernier point. Mais c’était ainsi, il ne manquait pas une occasion pour qu’untel publie un pamphlet et que tel autre y réponde dans l’année par un brûlot incendiaire. Combien de plantes, combien de préparations magistrales ont été ainsi battues comme plâtre entre le marteau et l’enclume ? Le vésicatoire, par exemple, mais on a eu raison de lui taper dessus. Bref, entre les « béni-oui-oui » et les « non-non-je-ne-hoche-pas-la-tête-pour-signaler-que-j’ai-raison », nous ne sommes pas plus avancés, l’aventure thérapeutique de l’asperge languit et, à l’image du turion blafard poussant en cave, n’illumine personne de ses lumières. On s’amuse un peu durant les années 1808-1809 : c’est l’époque du blocus européen décidé par Napoléon. Alors, quand on n’a plus rien, on s’en remet à ce qui pousse alentours. C’est ainsi qu’on a vainement tenté de fabriquer, à base de graines d’asperge, un ersatz de café. La même sottise se reproduira durant la Première Guerre mondiale. Id est : ce qui n’a pas marché ne marchera jamais. Mais tout cela est compréhensible : il faut imaginer ces temps de disette et/ou de guerre durant lesquels hommes et femmes se jetaient sur n’importe quoi pour seulement survivre. Ne voit-on pas un certain Charlie Chaplin manger ses chaussures dans l’un de ses films ? Entre le blocus européen et la « Der des Ders », quelques âmes éclairées ont eu le temps d’accorder à l’asperge un peu de leurs doctes observations. On s’interroge beaucoup sur l’origine de la propriété diurétique de l’asperge. Par exemple, Cazin conclue qu’une forte infusion des pointes d’asperge est bien moins efficace que celles des racines. Doit-on à la griffe d’asperge sa qualité d’accroître la diurèse par son asparagine, son potassium ou par le biais d’un principe volatil encore indéterminé tel que le pensait Crouzet en 1898 ? Ce à quoi Leclerc répond que l’asperge « agirait en augmentant non pas la quantité de l’urine excrétée, mais la fréquence des mictions par suite d’une action irritante sur l’épithélium rénal » (4). Il ajoute par ailleurs que ce n’est pas l’asparagine qui donne aux urines cette odeur caractéristique après absorption d’asperges, mais bien un principe volatil tel que le pressentait Crouzet avant lui. En tous les cas, on peut qualifier l’asperge de diurétique irritant comme le soulignera Botan en 1935.

L’asperge est une plante vivace par sa griffe (constituée du rhizome et des racines). C’est elle qui, au printemps, donne naissance aux jeunes pousses d’asperges, lesquelles, si on les laisse se développer, produisent des tiges vertes très ramifiées portant de pseudo-feuilles écailleuse – des cladodes (comme le fragon petit houx) – tandis que les feuilles elles-mêmes demeurent du domaine du microscopique. De petits rameaux stériles d’1 à 3 cm s’organisent groupés en faisceaux de trois à quinze. De petites fleurs en cloche, blanc verdâtre voire jaune verdâtre, se baladent seules ou en duo, et donneront après floraison (juin-août) des baies rouges en forme de boule d’un centimètre de diamètre. A l’intérieur, se dessinent trois loges contenant chacune deux graines noires et anguleuses.
A l’état sauvage, l’asperge est assez fréquente en France et pousse sur des sols sablonneux, des friches, dans les broussailles, mais jamais à plus de 500 m d’altitude. Elle est plus particulièrement présente dans la partie sud de la France, bien qu’on rencontre çà et là quelques sujets plus septentrionaux.

Le nom de l’asperge provient du grec asparagos signifiant « je déchire », allusion faite aux redoutables épines que portent de nombreuses espèces d’asperges dont certaines ont l’aspect de chevaux de frise. Gare à celui qui y plongerait la main !
Après qu’on ait longuement ergoté quant à savoir dans quelle famille botanique classer l’asperge (Liliacées, Smilacées…), on en est finalement venu à créer une famille à son image, les Asparaginées.

A gauche, le turion ; au centre, l'inflorescence ; à droite, la griffe.

A gauche, le turion ; au centre, l’inflorescence ; à droite, la griffe.

L’asperge officinale en phytothérapie

Généralement, le gourmet ne connaît de l’asperge que le turion disponible sur les marchés, et que l’on appelle communément asperge pour davantage de praticité. Si ce turion recèle bien quelques propriétés et usages, il ne fait aucun doute que la partie végétale de l’asperge à laquelle on a toujours accordé la plus grande partie des pouvoirs thérapeutiques se trouve être la « griffe », c’est-à-dire le rhizome armé de ses racines. Il faut dire que le turion d’asperge est entré dans la matière médicale depuis bien moins de siècles que la griffe, du temps de Cazin ça ne remontait qu’à quelques années.
La racine d’asperge, comme toutes les autres parties de la plante, contient de l’asparagine, de l’arginine, des saponines, des flavonoïdes et une bonne proportion de potassium. Quant au turion, sa composition en fait un légume intéressant : gorgé d’eau à 90-95 %, il contient un peu de glucides (fructosanes : 4 %), quelques protides (2 %) et quasiment pas de lipides (0,1 %). Sa richesse en vitamines (A, B1, B2, B3, B9, C) et en sels minéraux et oligo-éléments (manganèse, fer, phosphore, iode, cuivre, fluor, brome, potassium, calcium) en font un bon reminéralisant et reconstituant. Enfin, le turion se caractérise par un taux élevé de purines (0,24 mg aux 100 g) qui ne sont pas sans poser problème selon les profils (nous en reparlerons plus bas) et, chose particulière, du méthyl-mercaptan qui est responsable de la modification de l’odeur des urines seulement quinze minutes après ingestion d’asperge.
Quelques mots sur les graines d’asperge : on y trouve environ 15 % d’une huile de couleur jaune rougeâtre et de la mannite. Aucun usage thérapeutique récent ne semble avoir été recensé à leur sujet.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique irritante et éliminatrice des chlorures, des phosphates et de l’urée, réductrice de la glycosurie
  • Drainante du foie, des reins, de l’intestin, des poumons et de la peau
  • Purifiante et fluidifiante sanguine
  • Apéritive, tonique amère, laxative
  • Hypocalorique, reminéralisante

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère rénale et vésicale : incontinence légère, faiblesse vésicale, prévention des lithiases rénales, oligurie des cardiaques, insuffisance rénale, rhumatismes
  • Troubles de la sphère hépatique : insuffisance hépatique, ictère, obstruction hépatique, diabète
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique
  • Asthénie physique et intellectuelle, anémie, convalescence, déminéralisation
  • Constipation
  • Obésité, hydropisie, œdème des membres inférieurs
  • Palpitations (?), viscosité du sang
  • Soin cutané : eczéma, éclaircissement du teint

Modes d’emploi

  • Infusion de racines
  • Décoction de racines
  • Macération vineuse de racines
  • Suc frais des turions
  • Sirop des cinq racines apéritives majeures de l’ancienne pharmacopée (avec le fragon, le persil, le fenouil et l’ache)
  • Turion cuit ou cru

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les racines de saveur amère et mucilagineuse sont arrachées au printemps. Quant au turion, qui est une jeune pousse, il est cueilli avant développement, tout comme les jeunes pousses du fragon. Notons que ces turions sont blancs ou verts selon qu’ils ont poussé à la lumière ou à l’obscurité.
  • Contre-indications : l’asperge est déconseillée dans un certain nombre de cas, tels que l’irritation et/ou l’inflammation des voies urinaires, l’état inflammatoire des reins comme la néphrite. De même, les personnes sujettes à l’artériosclérose, à la prostatite, ainsi que les nerveux (agitation, insomnie) éviteront l’asperge. Les malades atteints de la goutte la banniront : son taux de purines est préjudiciable. Si l’organisme est capable d’en excréter quotidiennement une partie, un apport extérieur par le biais de l’asperge ne saurait qu’aggraver la goutte, les purines étant impliquées dans cette pathologie. Pour finir, on a recensé quelques rares cas d’allergie cutanée. En l’absence de ces contre-indications, on ne fera pas de l’asperge une cure qui excédera une dizaine de jours.
  • Variétés : de l’asperge officinale, on a tiré de nombreux cultivars tels que l’asperge verte de Lauris, l’asperge blanche d’Alsace, l’asperge violette d’Albenga, l’asperge blanche à pointes pourprées d’Argenteuil, etc. Les unes et les autres se prêtent à de nombreuses préparations culinaires qu’il serait trop long d’énumérer ici.
  • Autres espèces : certaines comme l’asperge à feuilles aiguës (A. acutifolius) et l’asperge à petites feuilles (A. tenuifolius) sont sauvages et également comestibles. La première porte des baies noires et la seconde des rouges. On rencontre aussi dans la nature des asperges aux propriétés médicinales identiques à l’asperge officinale. C’est le cas de l’asperge sauvage (A. maritimus) et de l’asperge blanche de Corse (A. albus). Chez le fleuriste, on pourra faire la connaissance de plusieurs espèces d’asperges ornementales en provenance d’Afrique du sud : c’est entre autres le cas d’A. plumosus et d’A. setaceus.
    _______________
    1. Le mot vénérer provient de Vénus.
    2. Autrefois, dans les campagnes (Bretagne, Bourgogne, Poitou-Charentes), il était d’usage d’appliquer de la racine d’asperge sur les dents et les gencives malades. Où l’on voit que des prescriptions antiques traversent les siècles.
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre II, 128
    4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 45

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François-Joseph Cazin, médecin humaniste

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Né dans le département du Pas-de-Calais en 1788, François-Joseph Cazin se destine très tôt à la médecine, étant tout d’abord, dès 1804, aide-chirurgien en hôpital militaire, avant de devenir lui-même chirurgien, puis médecin dans la marine. Par la suite, il pratiquera pendant une vingtaine d’années la médecine à Calais, avant qu’un événement inattendu n’imprime de sa patte providentielle la destinée du jeune médecin. En 1832, une épidémie de choléra se déclare dans le nord de la France. Cette maladie, provoquée par la bactérie Vibrio cholerae, touchera bien des parties du monde au gré de vagues successives. En 1832, c’est la deuxième pandémie de choléra (1826-1841) qui s’abat sur la France. Le docteur Cazin met toute son énergie au service de l’éradication de ce fléau, mais il en est lui-même l’une des victimes. C’est cela qui le décide à renoncer à la vie urbaine. Il se rend donc à la campagne, à 50 km de Calais, dans la petite ville de Samer qui l’a vu naître. Il y séjournera jusqu’en 1846. Durant ces presque quinze années, de médecin de ville, Cazin devient médecin de campagne. Et c’est durant ces années que va s’élaborer en son esprit la structure de son œuvre majeure, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes. En 1847, il est récompensé par la Société royale de Médecine de Marseille pour un mémoire qui n’est qu’une ébauche de son traité, lequel paraîtra, dans sa première édition, en 1850. N’ayant, pour ainsi dire, connu que la ville en ce qui concerne ses pratiques médicales, le docteur Cazin est particulièrement frappé par les conditions de vie des habitants des campagnes, considérant, parce que cela lui saute aux yeux, qu’en ville tout est disponible rapidement ou presque, contrairement à cette campagne où contrastent l’opulence de quelques-uns et l’indigence du plus grand nombre. Comparant sa pratique urbaine et celle rurale conditionnée par les plantes qu’il récolte aux alentours, il s’est alors convaincu de la supériorité des espèces végétales indigènes. Dans cette démarche, il a été aidé par la sensibilité qu’il a pu éprouver par rapport à l’empirisme et à la médecine populaire des campagnes, tout en ne tombant jamais dans le piège du remède de charlatan de champ de foire. Plus que tout conscient de la pauvreté dans laquelle vivent la plupart des gens qui l’entourent, il se propose de mettre à l’honneur une médecine bon marché, possible grâce à des moyens simples et peu coûteux, afin que « s’économise l’argent du malade et le temps du médecin » (1), car l’homme de la campagne du XIX ème siècle, « le plus souvent, alors, il souffre sans secours, lutte péniblement, languit ignoré et meurt silencieux et résigné dans une chaumière où le froid, l’humidité, la malpropreté se joignent aux autres causes de destruction ». « J’ai donc renoncé, poursuit-il, dans ma pratique rurale, aux médicaments d’un prix plus ou moins élevé, et aux préparations pharmaceutiques dont le luxe ne peut être payé que par le riche ».

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Cazin est l’une de ces icônes propres au XIX ème siècle, symbole de cette dichotomie entre cité et campagne, riches et pauvres, et il se range au côté de ces derniers en homme humaniste qu’il est. Alors que, dans le même temps, pérorent médecins et pharmaciens de ville, qui ne savent que louer les « progrès » de la médecine thérapeutique chimique, exaltant les bienfaits du mercure et de l’antimoine, vouant aux gémonies la thériaque et la conserve de roses. Cazin pointe du doigt les malversations concernant les drogues provenant de pays lointains et qui, une fois parvenues dans les officines, sont de bien moins bonne qualité qu’à leur départ ; non pas que le transport en aura amoindri la valeur thérapeutique, mais surtout parce qu’elles subissent, de la part de marchands peu scrupuleux, une transformation pour laquelle l’appât du lucre n’est pas étranger. C’est aussi l’occasion pour Cazin de remettre en cause cette idée reçue, particulièrement tenace puisqu’elle existe toujours en ce début de XXI ème siècle, que ce qui est exotique est plus efficace ; et, en travaillant avec des produits locaux, à portée de mains, il démontre l’inanité de ce jugement et prouve avec aisance que l’herbe n’est pas forcément plus verte chez le voisin. Il n’en va pas que de la qualité d’une plante, il en va aussi de celle de celui qui l’emploie. Et si manque le bon sens, qu’un végétal soit exotique ou indigène, il n’est rien qui soit possible de faire, l’échec thérapeutique ne saurait être que patent. Il est assez facile de jeter l’opprobre sur les plantes locales en les regardant de haut, lorsqu’on a toujours connu ces préparations médicamenteuses, embouteillées et étiquetées, flambantes neuves, sur les étagères du pharmacien, chose que Cazin finira par rejeter, insistant sur les étapes préalables et incontournables d’une bonne pratique phytothérapeutique : maîtriser la botanique médicale (!!!), récolter des plantes sauvages de préférence au moment opportun, les faire sécher correctement si cela s’avère nécessaire ou bien en faire un usage immédiat. Oui ! Qui imaginerait faire une soupe avec une botte de poireaux ayant jauni au réfrigérateur ou à la cave ? Soyons sérieux.

C’est cette fraîcheur et cette instantanéité que le docteur Cazin a placées en exergue durant toutes ses années passées comme médecin de campagne avec, sous la main, foison de remèdes végétaux que l’on retrouve dans son monumental ouvrage, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes. Cette somme, rééditée et augmentée en 1858, présente en 1200 pages environ 500 plantes, accompagnée de 40 planches botaniques dessinées par le fils de François-Joseph, Henri Cazin (1836-1891), également médecin et artiste peintre.


  1. Toutes les citations placées entre guillemets sont extraites de la préface du Traité pratique et raisonné.

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Le bleuet des champs (Centaurea cyanus)

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Synonymes : bluet, blanéole, blavéole, blavette, barbeau, aubifoin, casse-lunettes, herbe au centaure, herbe de saint Zacharie.

Le bleuet, fleur des poètes dit-on… La mythologie nous raconte que Cyanos, l’enfant poète, chantait si bien les louanges de la Nature, qu’il fut métamorphosé en bleuet par la déesse Flore afin que l’on se souvienne de lui chaque année. En Russie, on retrouve un motif assez semblable. Un vieux conte nous explique qu’un homme fut séduit par une nymphe dans les épis d’un champ de blé. Afin de ne plus séduire, de ne plus être séduit, la nymphe changea cet homme en bleuet.
Chez les Celtes, le bleuet passait pour une plante protectrice, assurant la sécurité des habitations, des réserves de nourriture et des animaux pour une année entière, un usage qui s’est perpétué car bien plus tard, les bergères tressaient des couronnes de bleuet qui, une fois portées, assuraient la tranquillité de leurs troupeaux.
Le bleuet fut pour longtemps le seul apanage des poètes et des faiseurs de légendes, et ne fut convié au sein des officines que très tardivement, du temps d’Hildegarde affirment certains, mais je n’ai trouvé aucune trace d’un emploi de cette fleur bleue dans les écrits de l’abbesse. Si le bleuet apparaît clairement dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne, c’est à seul titre ornemental. Il faudra véritablement attendre le XVI ème siècle pour qu’on penche le premier regard médicinal sur le bleuet. Matthiole, sensible à la théorie des signatures, associa la couleur bleue de ses fleurs à une vision cristalline telle qu’elle peut l’être lors d’un ciel sans nuée : « Le bleuet qui représente avec son cœur sombre un œil bleu avec une pupille noire, est excellent pour la vue » (1).
Cazin écrivait qu’autrefois « on employait le bleuet contre une foule de maladies plus ou moins graves » (2), mais devant la faiblesse des données écrites à ce sujet, l’on peut en déduire que le bleuet était surtout un simple de la médecine populaire des empiriques, comme semble le suggérer l’auteur qui signe Botan : « Quelques rebouteux avisés s’en servent dans l’inflammation des reins et dans le rhumatisme et la goutte » (3). On rencontre aussi quelque incursion du bleuet chez les apothicaires qui proposaient, au XVII ème siècle, une eau de bleuet, dite « eau de casse-lunettes », sédative et fortifiante des yeux. On l’obtenait « en faisant macérer des fleurs pilées dans de la rosée ou de la neige fondue, que l’on distillait ensuite à la douce chaleur du bain-marie » (4).

Originaire du Proche-Orient, le bleuet s’est répandu en Europe car il a accompagné les céréales sur les chemins que l’homme leur a fait emprunter. Associé au coquelicot des champs de blé, le bleuet est une espèce végétale annuelle à germination hivernale qui répond encore aux doux noms de « mauvaise herbe » et d’adventice. Mais il est bien plus que cela, c’est aussi une messicole, un terme construit sur le latin messio, « moisson ». Après un usage massif et continu d’herbicides par l’agriculture intensive moderne, le bleuet a bien failli disparaître. Malgré cela, il reste relativement fréquent (je dis bien : relativement) dans les zones tempérées de l’hémisphère nord où il affectionne les terres incultes, les prés rocailleux, les cultures de céréales, bien sûr, de préférence sur sol acide et jusqu’à une altitude maximale de 1700 m. La survie du bleuet lui a été possible de par l’énorme quantité de graines qu’un seul pied est capable de produire : environ 300000 ! Il s’agit de petits akènes surmontés de petites arêtes, issus d’une floraison qui s’étend généralement entre le mois de mai et celui de septembre. Tubuleuse au début, la fleur de bleuet est alors violacée, rarement blanchâtre ou rosâtre. Puis, lors de l’éclosion, elle prend sa caractéristique couleur bleue et forme un capitule dont le diamètre varie de 15 à 25 mm. Léger et aérien, le bleuet est une plante assez ramifiée, aux longues feuilles très étroites, de couleur gris vert, duveteuses et dont l’odeur est désagréable quand elles sont froissées.

Les graines du bleuet des champs. Ne dirait-on pas de petits blaireaux à barbe ? :)

Les graines du bleuet des champs. Ne dirait-on pas de petits blaireaux à barbe ? :)

Le bleuet des champs en phytothérapie

On a toujours accordé la primauté aux fleurs du bleuet, ses feuilles et ses graines ayant été, au cours de son histoire thérapeutique, relégué au rang d’usages anecdotiques. La cyanine, c’est-à-dire le pigment qui donne sa belle couleur aux pétales du bleuet, peut-elle à elle seule justifier le fait qu’on ait occulté bien d’autres substances contenues, pour certaines d’entre elles, dans d’autres parties de cette plante ? Ne considérer du bleuet uniquement ses pétales d’un bleu azur explique-t-il qu’un personnage comme Cazin a dit de lui qu’il était presque inerte ? Il accorde à cette plante moins de dix lignes, c’est tout dire ! Pourtant, le bleuet n’est pas réductible qu’à un seul pigment végétal, puisqu’il recèle dans ses tissus du tanin, un principe amer du nom de centaurine (ou cnicine), du mucilage, des flavonoïdes, des composés acétyléniques, des anthocyanosides, mais ce sont surtout de grandes proportions de sels minéraux et d’oligo-éléments qui sautent aux yeux : 50 % de potassium, 9 % d’acide phosphorique, 6 % de magnésium et une quantité non négligeable de manganèse. « Il est vraisemblable qu’elle n’est pas si ‘inerte’ qu’on l’a prétendue », souffle Fournier dans les années 1940 (5). Et j’accorde à rejoindre l’avis du chanoine, en prenant uniquement compte du potassium et du manganèse que nous venons de citer. Le potassium, cardiotonique, est également un tonique musculaire dont l’implication dans le péristaltisme intestinal ne fait plus aucun doute. Il intervient aussi dans la régulation des glandes surrénales. Quant au magnésium, dont l’administration « renforce l’action des autres médications » (6), non seulement il favorise les fonctions hépatiques et rénales, mais il contribue également à la fixation des minéraux, du fer, des vitamines, etc. dans l’organisme. Toutes ces propriétés sont très loin d’être anodines, n’est-ce pas ? Ceci explique sans doute pourquoi, à l’exposé de ces quelques faits, le bleuet n’est pas que l’anti-inflammatoire oculaire qu’on le croit être toujours, bien qu’il me soit arrivé, à la lecture de certains ouvrages récents, de constater qu’on lui reniait même cette propriété ophtalmique qui a fait sa gloire !

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-ophtalmique, anti-inflammatoire, décongestionnant oculaire
  • Diurétique léger, dépuratif
  • Digestif, laxatif léger (graines), cholagogue léger, renforce l’activité hépatique
  • Adoucissant cutané, astringent léger (resserre les pores des peaux grasses), tonique du cuir chevelu, rafraîchissant (épidermes sensibles), résolutif
  • Tonique, renforce la résistance aux infections
  • Fébrifuge
  • Antirhumatismal
  • Pectoral léger

Usages thérapeutiques

  • Troubles oculaires : conjonctivite, blépharite, inflammation et gonflement des paupières, orgelet, yeux fatigués, poches, cernes
  • Troubles bucco-dentaires : aphte, gingivite
  • Troubles cutanés : couperose, écorchure, ulcération, pellicules
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, arthrose
  • Troubles de la sphère hépatique : ictère, atonie hépatique
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, affections bronchiques
  • Digestion difficile
  • Ascite, hydropisie
  • Fièvre
  • Atonie rénale
  • Sénilité

Si l’on considère les précieux pouvoirs que procurent potassium et manganèse, on verra que n’apparaissent pas dans cette liste bon nombre d’affections qui en sont justiciables. Ce qui est fort dommage, j’en conviens. Mais la rigueur, sinon la prudence, est de mise. En tous les cas, il est permis d’affirmer que le bleuet a quitté le champ médical aussi promptement que celui de céréales…

Modes d’emploi

Certains auteurs conseillent de ne se livrer, avec le bleuet, qu’à un strict usage externe. Pensez donc, cette plante qui, d’aucuns disent, frôle l’inertie la plus totale, ne saurait faire de mal à une mouche si jamais elle était employée en interne, non ? Or, elle n’est pas si inactive que ça et il est tout à fait possible d’en faire un usage par voie orale.

  • Infusion et décoction (pétales ou plante entière) : pour absorption, lavage, bain de bouche, bain d’œil.
  • Macération : dans la bière, (si, si : on utilise l’excipient qu’on a sous la main ; ainsi faisait-on dans le nord de la France où, à une époque, l’activité vinicole était inconnue), dans le vin. J’ajoute qu’il est même possible de procéder à une macération dans l’huile (grasse ou sèche selon les besoins) et dans le vinaigre.
  • Alcoolature : en faisant macérer des pétales de bleuet dans de l’alcool, ne vous attendez pas à voir surgir la grande bleue de la bouteille : le pigment colorant – cette fameuse cyanine – est insoluble dans l’alcool. Cela ne ressemblera donc jamais à du curaçao, ah, ah ! En revanche, la cyanine est parfaitement soluble dans l’eau et s’altère très rapidement une fois que les pétales secs sont mal conditionnés. Je crois que le bleuet est photophobe.
  • Bon, sachons qu’il est aussi possible de faire macérer le bleuet dans l’eau. Voici une recette d’eau de beauté que j’ai découverte dans La pharmacie du bon dieu de Fabrice Bardeau
    – Fleurs de bleuet : 10 g
    – Pétales de rose : 10 g
    – Pétales de coquelicot : 5 g
    – Fleurs de bouton d’or : 5 g
    – Chélidoine : 5 g
    Monsieur Bardeau préconisait de faire macérer tout cela pendant quarante-huit heures à douce chaleur dans un litre d’eau de pluie (ça se trouve, mais dans quel état ?…) ou de rosée (amusez-vous bien !). Alors, comment faire ? La plupart des eaux d’adduction en France, quoi qu’on en dise, sont loin d’être propres (c’est le cas de le dire !) à la consommation courante, alors pour la confection d’un remède !… Et puis quoi ? L’eau avec laquelle je me lave les mains devrait-elle être de moins bonne qualité que celle que je destine à mes tisanes ? Mais avec toutes ces pollutions, celle de l’air, celle de l’eau, celle de la terre (merci beaucoup les herbicides débiles qui ont bouté hors des champs l’aimable bleuet et avec lui le coquelicot, lesquels forment avec le champ de blé doré au soleil, l’emblème de la France !) Je m’égare, et pas qu’un peu. Quoi que… Il est inadmissible de ne plus pouvoir compter sur l’intégrité des matières premières qu’une pratique classique de la phytothérapie suggère. « Mon eau d’adduction est nulle ! ». Je sais, la mienne aussi. Et chère, et alcaline, et calcaire, et dure, et elle pue le chlore et d’autres choses encore. Et l’eau en bouteille ? Ah oui, cela permet d’amener à nous une eau de bien meilleure qualité, au pH idéal, à la minéralisation la plus minime qui soit (faut bien choisir). Mais, il y a ce plastique, ce PET entre autres, dont les solvants migrent dans l’eau elle-même. Ah non, notre bonne eau n’est plus tellement bonne après un tel traitement. Je m’égare ? Je ne crois pas. Il était bien plus facile de « faire » de la phytothérapie au temps d’Hildegarde qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a toujours un truc qui cloche, et qui peut donner une impression d’approximation. C’est violence. Et cette violence, imaginez-vous un peu qu’elle a été le quotidien de notre humble bleuet dont il faudrait se demander pourquoi il aime tant folâtrer au beau milieu des champs de blé ou autres céréales avant de l’en chasser. Maintenant, je dois bien avouer que la recette donnée par Bardeau, il n’est pas forcément aisé de la réaliser, tant le bleuet accuse le coup de la raréfaction. Je crois que ça fait bien plus de 20 ans que je n’ai pas croisé la route d’un de ses représentants.
  • Ensuite, nous avons la non moins célèbre eau florale de bleuet, vendue sous bouteille en verre, d’un bleu aussi profond que celui qui contenait l’éther autrefois. Quoique je tique sur cette dénomination d’eau florale en général, comme si toutes ces eaux étaient florales. Non, c’est un terme impropre, appelons un chat un chat et parlons d’hydrolat. Mais qui dit hydrolat suppose huile essentielle, n’est-ce pas ? Nous connaissons divers hydrolats : tilleul, cassis, rose de Damas, fleur d’oranger, lavande fine, etc. Toutes ces plantes produisent, lors de la distillation en alambic, un hydrolat et une huile essentielle. Mais qu’en est-il du bleuet ? Cette humble fleurette contient-elle dans ses tissus une infime fraction aromatique qui échapperait au vulgaire ? Rare, très chère, destinée à d’autres sphères que la phyto-aromathérapie, l’huile essentielle de bleuet… Stop ! Existe-t-elle seulement ? A cette question, je n’ai aucune réponse quand bien même je puis affirmer que lorsqu’on ouvre un flacon d’hydrolat de bleuet, ça « sent » quelque chose. Il y a donc forcément des molécules aromatiques à l’intérieur. Huile essentielle ? Là, j’avoue que je botte en touche et ajoute cela à ma déjà longue liste de frustrations. Pourtant, certains disent que le bleuet contient bien une petite proportion d’essence aromatique…

Autres informations

  • Plante tinctoriale : le pigment bleu des fleurs de bleuet est utilisé pour colorer encres, peintures, cosmétiques et médicaments. Et pourquoi pas le ciel quand il est trop pâlot ?
  • Récolte : en ce qui concerne les pétales, au fur et à mesure de vos besoins, à condition d’avoir un gisement à proximité. Selon les régions, cela va de mai (bien précoce tout de même) à août. Les mois estivaux sont préférables. Vous pouvez cueillir la plante entière en la coupant juste au-dessus du sol, puis séparer les capitules des tiges, après quoi vous ferez sécher chaque partie de part et d’autre. A moins d’utiliser l’une ou l’autre (ou inversement) à l’état frais.
  • Autres espèces : il existe un bleuet montagnard, C. montana, particulièrement robuste, ce qui est tout à fait normal, compte tenu des altitudes auxquelles il pousse. Par ailleurs, il existe moult cultivars du bleuet des champs : fleurs simples, doubles, triples, diversement nuancées de bleu ; d’autres sont roses, blanches, etc. Ces variétés horticoles n’ont aucune commune mesure avec les propriétés thérapeutiques du bleuet que, après l’avoir banni des champs, l’on a invité au jardin. L’homme, espèce très souvent imprévisible et étrange, fait grandir le beau et minimise le bon. Allez comprendre…
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    1. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 81
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 188
    3. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, pp. 38-39
    4. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon dieu, p. 60
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 228
    6. Jean Valnet, Se soigner avec les légumes, les fruits et les céréales, p. 133

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Centaurea cyanus

La fumeterre officinale (Fumaria officinalis)

Fumaria officinalis

Fumaria officinalis

Synonymes : fleur de terre, fiel de terre, fumée de terre, lait de terre, herbe à la jaunisse, pisse-sang, herbe à la veuve, pied de geline, pied de céline, chausse rouge.

La fumeterre est une plante qui a toujours provoqué en moi le même effet que celui que j’éprouve auprès de la verveine officinale. Pourtant, elles ne sont pas des cousines, ni proches ni éloignées. Mais il y a dans leur allure ce « je ne sais quoi » qui fait qu’on les remarque à peine ; des tiges grêles chez la verveine, des feuilles vert glauque pour la fumeterre participent sans doute de cette impression fugace qui les enveloppe, comme si elles étaient toutes deux incorporelles. Et il semblerait que je ne suis pas le seul à avoir observé cette caractéristique, l’Antiquité y ayant déjà clairement fait allusion. Mais plongeons plutôt au cœur de cette Antiquité gréco-romaine où la réputation de la fumeterre était telle qu’on en faisait grand usage. Écoutons tout d’abord ce qu’en dit Dioscoride (1) : « La fumeterre est une herbe branchue et très tendre, semblable à la coriandre, mais les feuilles sont plus blanches, de couleur de cendre, partout en grande quantité. La fleur est purpurine. Le suc est âcre, et clarifie la vue, mais il fait larmoyer, ce qui a été l’occasion de la nommer Kapnos en Grec ». Une plante aux feuilles cendrées appelée Kapnos, c’est-à-dire « fumée », voilà qui est pour le moins curieux. Ajoutons à cela que sa saveur évoque la suie, l’odeur de fumée. De même, son aspect vaporeux et évanescent n’est pas sans évoquer une silhouette floue tout comme de la fumée jaillissant d’entre les entrailles de la Terre… ce qui fut à l’origine de la croyance des Anciens qui imaginaient que cette plante ne naissait pas d’une graine. Ce qui explique qu’au XII ème siècle environ, on ait désigné en latin médiéval cette plante sous le nom de fumus terrae, qui donnera par la suite l’actuel « fumeterre ».

Les grands noms de l’Antiquité gréco-romaine remarquèrent les vertus toniques et dépuratives de la fumeterre. Galien la recommande dans les obstructions du foie et les affections hépatiques en général et Dioscoride indique que « l’herbe bue purge en abondance la colère par l’urine » (2), c’est-à-dire la bile provenant du foie, organe réputé être le siège de la colère (le tempérament bilieux se caractérise par une certaine violence). Si ces actions sont toujours d’actualité dans la pharmacopée moderne, un usage bien différent semble être complètement tombé dans l’oubli : « Ointe avec de la gomme, elle empêche de faire renaître les poils qui seront tirés des paupières » (3), ajoute encore Dioscoride. Une épilation des cils, n’est-ce pas étrange ?

La fumeterre n’est guère mentionnée dans les manuscrits du Moyen-Âge, et ce sont essentiellement les médecins arabes (Sérapion, Avicenne, Mésué) qui continuent à l’utiliser. Selon eux, cette herbe possède de nombreuses vertus, agissant tant sur le foie, la vésicule biliaire que le sang. Elle aurait, disent-ils, la propriété de guérir les maladies oculaires et, appliquée sur les dartres, les ferait disparaître. On en fit même une « eau de beauté », apte à « rendre au corps un teint florissant » (4).
A la Renaissance, Matthiole, inspiré par Mésué, dira de la fumeterre qu’elle est le plus doux des purgatifs. Elle fortifie et tonifie les viscères, désobstruant le foie, étant cholagogue et dépurative du sang, elle agit sur un certain nombre de maladies cutanées imputables à un dysfonctionnement de la sphère hépatique. Quelques décennies plus tard, Olivier de Serres écrit que la fumeterre « désopile le foie, nettoie les humeurs adustes [id est : sanguines] et est bonne contre la gravelle ».
Au XVII ème siècle, deux sommités médicales, Johann Schroder et Lazare Rivière, se penchent sur l’humble fumeterre. Tout deux confirment son action sur la rate, le foie et la vésicule biliaire, ajoutant à cela le rôle majeur qu’elle tient comme dépuratif du sang. Et, de siècle en siècle, la fumeterre poursuit son petit bonhomme de chemin médical. Le médecin français Louis-René Desbois de Rochefort (1750-1786) écrit dans un ouvrage posthume, Cours élémentaire de matière médicale (1789), que la fumeterre est un excellent spécifique des maladies hépatiques, le meilleur des herpétiques et le plus approprié pour lutter contre l’épaississement de la bile. La bile, que le foie produit à raison de 0,8 à 1,2 l par jour, et bien que composée d’eau à 97 %, est susceptible de perturber le bon fonctionnement digestif si son écoulement est entravé. Au XIX ème siècle, c’est au tour de Cazin d’ériger la fumeterre comme le meilleur moyen curatif contre la lèpre, ainsi qu’une forme norvégienne de cette maladie, le radesyge. Ce en quoi j’ai un doute, n’ayant pas connaissance que la fumeterre pourrait venir à bout de Mycobacterium leprae… De façon plus prosaïque et accessible, Cazin recommandait l’emploi de la fumeterre avec d’autres plantes dépuratives (pissenlit, cresson…) au printemps, à travers l’élaboration de jus d’herbes, à l’origine de l’expression « se mettre au vert ». Il ajoute que chez les enfants, la fumeterre est efficace sur les croûtes de lait, les affections vermineuses et l’atonie des voies digestives. On optera, pour ce faire, pour le sirop, tant l’infusion est imbuvable, même pour un adulte !… Voila maintenant que nous retrouvons mon cher Dr Leclerc. Il donnait le suc ou l’infusion comme dépuratif, et ajoutait à cette indication, l’artériosclérose, la diminution du taux de cholestérol dans le sang, la fluidification sanguine, ainsi que tous les problèmes de peau relevant d’une perturbation hépatique (dartre,
acné, eczéma). Un peu plus tard, le Dr Valnet qualifiera la fumeterre comme l’une des meilleures plantes médicinales. Preuve qu’on ne l’a guère entendu : elle ne figure pas dans la liste des plantes médicinales en vente libre en France (décret n° 2008-841 du 22 août 2008). Quant à se rendre chez un pharmacien pour s’y procurer de la fumeterre, vous pouvez toujours tenter le coup, histoire de voir la tête qu’il fera face à votre question… ;-)

La fumeterre, très fréquente dans l’hémisphère nord (zones tempérées d’Europe, d’Asie et d’Afrique), est considérée comme faisant partie des dix plantes les plus courantes sur le territoire français. Adaptée à la plaine comme à la moyenne montagne (1700 m d’altitude maximum), elle s’autorise à planter ses racines dans des endroits incultes (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas plein de connaissances ^_^) tels que dépotoirs, ruines, pieds des vieux murs, ou dans des lieux non-incultes, c’est-à-dire cultes : jardins, champs (en lisière la plupart du temps), abords des vignes…
La fumeterre est une plante annuelle dont les tiges sont dressées ou étalées, aussi passe-t-elle de 60 à 30 cm de hauteur selon les cas. Son dense feuillage bleu vert glauque et cendré se compose de délicates feuilles alternes finement divisées.
Entre mai et octobre, des grappes de fleurs tubulées (en forme de pied de chaussette disait joliment Fournier) apparaissent. Bisexuées, elles possèdent deux sépales pétaloïdes trois fois plus courts que les pétales, lesquels sont roses, teintés de violet, le supérieur très élargi et prolongé à la base. Le fruit, globuleux et souvent orné d’une dépression au sommet, se présente sous la forme d’une capsule ovoïde ne contenant qu’une seule graine.

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La fumeterre officinale en phytothérapie

C’est une fois que la fumeterre se pare de ses grappes de fleurs pourpres qu’elle est à même de nous offrir le meilleur d’elle-même. Des principes amers justifient l’amertume très prononcée de la fumeterre. Elle contient aussi des flavonoïdes, du mucilage, du potassium, divers acides aliphatiques, mais se remarque surtout par un point qu’elle possède en commun avec des plantes de la famille des Papavéracées : des alcaloïdes nombreux dont la fumaricine, la fumarofine et, sans doute la plus connue, la fumarine (ou protopine). En outre, une autre substance, l’acide fumarique, rapproche la fumeterre des lichens, des bolets et de la mousse d’Islande. Ces deux dernières substances sont présentes dans toutes les parties de la plante.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique
  • Stimulante hépatique, régulatrice hépatique, dépurative hépatique, cholagogue, cholérétique
  • Régulatrice vésiculaire, dépurative urinaire, diurétique
  • Apéritive, vermifuge légère
  • Antiscorbutique
  • Fébrifuge, sudorifique légère
  • Fluidifiante sanguine
  • Antipléthorique
  • Calmante, sédative, hypnogène, hyposthénisante
  • Antiphlogistique

Comment une plante pourrait-elle bien être à la fois tonique et calmante ? C’est ce que Fournier et Leclerc vont nous aider à comprendre. Le premier explique ce fait « par l’action primitive sur les organes digestifs, puis, par sympathie, sur le foie, la rate, les ganglions mésentériques, la peau et l’utérus » (5). Poursuivons avec Leclerc : « Ce qui peut surprendre, c’est qu’elle ait été vantée simultanément comme tonique et comme antiphlogistique [nda : anti-inflammatoire]. Cependant rien de plus exact que ce dualisme qui fait de la fumeterre une arme à deux tranchants » (6). En réalité, ce sont des prises répétées dans la durée qui déterminent l’un ou l’autre tranchant de la fumeterre. Une observation rigoureuse a permis de remarquer que durant les huit à dix premiers jours d’une cure de fumeterre, on constate des actions toniques et dépuratives, en particulier grâce à l’action de la fumarine : « cette dernière substance agit comme stimulant et, sous son influence, l’appétit augmente, le pouls s’accélère, la formule sanguine s’enrichit [nda : augmentation du nombre des hématies]. Mais, attention ! Les effets sont réversibles et deviennent contraires si l’on poursuit la cure au-delà d’une dizaine de jours. On fera donc attention de ne pas poursuivre au-delà de ce délai, si l’on ne veut pas perdre le bénéfice de la cure » (7), sauf si, bien sûr, les propriétés qui se déclenchent passé ce seuil s’accordent à un intérêt particulier. Vers le dixième jour environ, la fumeterre devient calmante, sédative, hypnogène, hyposthénisante et antipléthorique. On remarque une réduction du nombre de globules rouges, ainsi qu’un abaissement de la viscosité et de la coagulabilité sanguines. De fait, la fumeterre, si elle n’est alors plus utile comme tonique et dépurative, devient-elle au moins avantageuse pour les hypertendus, les pléthoriques, les artérioscléreux. Dans le premier cas, procéder par cure de huit à dix jours, suivie d’une interruption de même durée, puis rependre la cure pendant huit à dix autres jours. Dans le second cas, on préconise une cure de trois semaines d’affilée sans interruption.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : ictère, congestion et insuffisance hépatiques, lithiase biliaire, spasmes biliaires douloureux
  • Troubles de la sphère digestive : transit intestinal difficile, constipation, atonie des organes digestifs, parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère cardiaque et circulatoire : hypertension, artériosclérose, hyperviscosité sanguine, hyperglobulie, éléphantiasis
  • Troubles gynécologiques : nausée de la femme enceinte, aménorrhée, dysménorrhée
  • Affections cutanées : acné, eczéma, psoriasis, furoncle, dartre, impétigo, démangeaisons, gale
  • Obésité, pléthore
  • Scorbut
  • Fièvre
  • Dysurie
  • Fatigue, asthénie

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Décoction
  • Macération vineuse
  • Teinture-mère
  • Sirop
  • Suc frais des feuilles
  • Cataplasme de feuilles fraîches écrasées

Contre-indications, précautions d’emploi, autres informations

  • Récolte et séchage : on cueille la fumeterre à pleine floraison, soit plus ou moins aux environs du mois de juin. Le séchage, délicat, doit s’effectuer rapidement en un lieu agréablement ventilé. Notons que si la saveur de la fumeterre est très amère à l’état frais, elle l’est encore davantage une fois sèche.
  • Toxicité : de par sa légère toxicité, il est conseillé de ne pas absorber plus de trois tasses d’infusion par jour (son amertume saura vous dissuader d’en avaler davantage ^_^). Au-delà, des risques de maux d’estomac, de diarrhée et de difficultés respiratoires sont possibles. Celles et ceux qui recherchent les effets toniques et dépuratifs de la fumeterre prendront soin de respecter la règle édictée plus haut, en particulier les personnes dont la masse corporelle est faible : la fumeterre fait maigrir.
  • Incompatibilité : la fumeterre réagit très mal avec les sels de fer. Aussi, en cas d’infusion et de décoction, il est recommandé de ne pas utiliser d’ustensiles en fer. De même, le vin rouge ne fait pas bon ménage avec la fumeterre, en raison des tanins qu’il contient. En cas de macération vineuse, préférez lui le vin blanc.
  • Plante tinctoriale : la fumeterre permet de teindre les étoffes de laine en jaune.
  • Autres espèces : très nombreuses, citons cependant F. media, F. spicata, F. capreolata, F. bulbosa.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, IV, 95
    2. Ibidem
    3. Ibidem
    4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 141
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 425
    6. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 141
    7. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon dieu, p. 124

© Books of Dante – 2017

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Le serpolet (Thymus serpyllum)

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Synonymes : thym sauvage, thym bâtard, thym rouge, thym serpolet, serpoule, poleur, pouilleux, poujeu, poulliot, pouliet, poliet, piolet, pilolet, fringueulette, bouquet, sent-il bon…

J’ignore quel avis vous portez sur la question que je me pose, mais à considérer le surnom de « thym bâtard » attribué au serpolet, j’ai comme la nette sensation qu’on n’a pas voulu hausser le serpolet au niveau du rang magistral occupé par le thym depuis des siècles. Or, il est tout à fait exact que le « déni » dont est victime cette attachante petite plante gazonnante s’exprime à travers au moins deux évidences : on trouve beaucoup plus fréquemment du thym dans les pots à condiments des cuisines que du serpolet ; et, d’aventure, si vous souhaitez acquérir du serpolet à l’état de feuilles sèches en sachet kraft, vous constaterez que les commerces spécialisés, qu’ils soient en dur ou en ligne, proposent presque toujours du thym mais jamais de serpolet, ou si rarement. Et c’est encore plus manifeste au sujet de son huile essentielle. Cette invisibilité relative ne doit pas chercher à nous faire comprendre que le serpolet a été répudié de la matière médicale, mais, parfois, une autre plante prend toute la place et n’en laisse que peu à ses cousines, à l’image du thym avec le serpolet. Aussi, attachons-nous à réhabiliter le serpolet !

Le serpolet n’est pas un sous-fifre du thym. Durant l’Antiquité, on savait très bien différencier ces deux plantes. Ainsi faisait-on du temps de Dioscoride et, bien plus tôt encore, de Théophraste. Même Pline est d’accord, c’est pour dire ! Bien sûr, selon les localités, il n’est pas certain qu’il s’agisse exactement de Thymus serpyllum. Fournier indique qu’il est très rare en Grèce alors que d’autres serpolets n’y manquent pas. Dioscoride et Théophraste distinguaient des formes sauvages et d’autres cultivées localement, et même des espèces importées : « la transplantation de végétaux sauvages dans les jardins et les essais d’acclimatation d’espèces exotiques étaient déjà pratiqués à l’époque. Selon Théophraste, on allait chercher un serpolet sauvage (herpullos) de l’Hymette [nda : massif montagneux au sud-est d’Athènes] pour le planter à Athènes » (1). Herpullos (ou herpillos) est un mot grec provenant du verbe herpeïn, qui veut dire « ramper » ; il donnera le latin serpyllum (qui, je le précise, n’a aucun rapport avec la serpillière qui est, elle aussi, une autre chose qui rampe ^^). Quant à thymus, du grec thymos, c’est la manière dont on appelait diverses petites Lamiacées (thyms, sarriettes…) durant l’Antiquité. Selon Fournier, ce mot proviendrait de l’égyptien Tham, « nom d’espèces voisines employées dans les embaumements » (2), ce qui reflète, bien évidemment, un rôle sacré que l’on entrevoit aussi dans le fait que thymos renvoie à la fumée, à l’esprit, sachant que ces plantes étaient brûlées par fumigation sèche…
Dioscoride fait du serpolet un fidèle portrait, ce qui est fort heureux puisque ses écrits prévaudront jusqu’au début de la Renaissance : il le dit emménagogue, diurétique, antispasmodique et efficace comme remède contre les animaux venimeux, une chose bien intéressante si l’on en croit Macer Floridus qui, au XI ème siècle, écrit que « les moissonneurs ont soin d’en mêler à leurs aliments, afin de pouvoir s’endormir sans crainte des insectes nuisibles » (3). D’ailleurs, ce dernier précise que le serpolet – Serpillum – porte son nom du verbe serpare, qui veut dire… ramper. Or quelle autre espèce est également rampante et partage la même étymologie (non, non, pas la serpillière ^
^ ) ? Nulle autre que le serpent !, « du latin serpens, participe passé du verbe serpere (« ramper, se traîner par terre ») (4). Cette analogie entre serpent et serpolet peut-elle expliquer que le second est réputé lutter contre le venin du premier ? Mais souvenons-nous que Thymos s’applique à plusieurs plantes différentes. S’agit-il alors d’une sarriette antitoxique, d’un dictame antivenimeux ? Difficile à assurer avec certitude. Quoi qu’il en soit, le Serpillum de Macer Floridus, chaud et sec, diurétique et emménagogue, intervient en cas de colique et d’hémoptysie, de douleurs de la rate et du foie, enfin lorsque de violentes douleurs céphaliques se font sentir, une attribution qui ne quittera plus le serpolet. De son côté, Hildegarde recommande le Quenula (serpolet se dit Quendel en allemand aujourd’hui) sur les démangeaisons cutanées, y compris celles occasionnées par la gale. Elle en fait aussi un remède de l’asthénie psychique et intellectuelle.

Au XVII ème siècle, on s’évertue à compléter le portrait thérapeutique du serpolet. Le Danois Simon Paulli l’érige au rang de dépuratif contre l’érysipèle, une inflammation cutanée liée à une infection par streptocoque, ce qui permet de souligner les pouvoirs anti-infectieux du serpolet. C’est, d’ailleurs, ce que réaffirmera Cazin deux siècles après Paulli : le serpolet « convient dans tous les cas où il y a relâchement, débilité, nécessité de solliciter l’action de la peau » (5). L’Anglais Nicholas Culpeper conseille l’emploi du serpolet en cas de toux, de vomissements et d’hémorragies internes. Il propose aussi un vinaigre médicinal qui n’est autre qu’une macération acétique de serpolet, qui plus est bête comme chou dans sa réalisation : dans un pot en verre muni d’un couvercle, on entrepose des sommités fleuries et fraîches, on couvre de vinaigre, on ferme et on expose au soleil pendant quarante jours. Culpeper le réservait aux maux de tête, ce qui est tout à fait valable, sachant l’action rafraîchissante et décongestionnante du vinaigre, alliée à l’essence de serpolet qui est l’un des spécifiques des maux de tête et autres migraines. Un siècle plus tard, le Suédois Linné n’en dit pas moins. Il ira même jusqu’à préciser que le serpolet aurait la capacité de dissiper l’ivresse et les maux de tête subséquents.

Le serpolet est, parmi les Lamiacées, l’un des plus petits représentants. Mais ce qu’il n’offre pas dans la hauteur, il le concède dans la largeur, poussant en colonies tapissantes s’étendant parfois sur des m², d’autant que le serpolet, par télétoxie, conquiert du terrain en éradiquant les autres plantes susceptibles de lui faire de l’ombre, ce qui ne serait pas difficile, ce bout d’chou faisait office de rase-moquette. D’ailleurs, il est rare qu’on puisse planter quoi que ce soit sur un terrain ayant auparavant porté du serpolet. Il est comme Attila, là où il passe, l’herbe ne repousse pas, ça en dit long sur son caractère guerrier. Mais il fait mieux encore : possédant des racines traçantes, il est aussi doté de tiges gazonnantes, couchées, radicantes et donc enracinées de loin en loin, comme des stolons. A lui les grands espaces, ce qui est d’autant plus aisé que l’espèce est vivace.
Comme de nombreuses autres Lamiacées, le serpolet possède des tiges à section quadrangulaire, portant une multitude de petites feuilles ovales, coriaces, parsemées de glandes à essence aromatique. Chaque tige se voit ornée d’une tête globuleuse de petites fleurs violacées, roses ou violet pâle dont les étamines dépassent la corolle. Tout ceci ne rend pas exactement compte de ce que sont les serpolets dans la nature, présentant des caractères beaucoup plus vastes. Ainsi, n’étant pas botaniste, je laisse parler quelqu’un qui l’était : « cette plante, commune partout, se présente à y regarder de plus près, sous les formes les plus diverses, à tiges arrondies ou quadrangulaires, avec ou sans stolons, diversement velues, à feuilles étroites, ovales, oblongues ou arrondies, glabres ou plus ou moins velues, à fleurs roses, mauves ou violacées, en têtes ovoïdes ou cylindracées » (6). Oui, bon, navré des redondances, mais il le fallait, afin de montrer le caractère polymorphe du serpolet. Contrairement au thym qui préfère les stations assez méridionales, le serpolet est présent beaucoup plus haut en latitude (et en altitude aussi : il peut grimper jusqu’à 2000 m). J’en ai rencontré dans le département du Rhône, dans celui de l’Ain, etc. Cependant, il nécessite des sols légers et drainés. Les pattes dans l’eau, tout comme le thym, ça n’est pas pour lui. De même, les terrains de pousse se doivent d’être calcaires et surtout pas acides. C’est ainsi qu’on rencontre le serpolet en des lieux plutôt arides, des prés secs, des pâturages (à tendance « pelouse rase »), des friches, des clairières, des talus, en bordure de chemin, sur les plateaux rocailleux, parfois même dans les éboulis.
La floraison du serpolet, printanière et estivale, fait la joie des abeilles.

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Le serpolet en phyto-aromathérapie

Du serpolet, on utilise la plante entière à l’exclusion des racines. Cette plante contient du tanin (5 %), un principe amer, des flavonoïdes, des acides (malique, caféique), des matières grasses, de la résine, des sels minéraux et oligo-éléments (potassium, calcium, manganèse) et enfin, après hydrodistillation, une huile essentielle au faible rendement (0,15 à 0,6 %), incolore à jaune pâle, aux parfums variés, herbacés, épicés, proches du thym ou, au contraire, de la mélisse. Mais déjà, avant même distillation, « la plante dégage une odeur variable et plus ou moins agréable, allant du parfum très frais de citron ou d’eau de Cologne, à la fois suave et puissant, à l’odeur de beurre rance, pas très engageante, en passant par celle de l’origan ou du champignon » (7) ; cela tient au fait d’une diversité biochimique complexe et changeante. Ainsi, des disparités moléculaires formeront différentes fragrances. Voici un exemple de chémotype :

  • Phénols (dont thymol et carvacrol) : 30 %
  • Monoterpènes (dont paracymène, alpha-pinène et gamma-terpinène) : 40 %
  • Monoterpénols (dont linalol, géraniol, bornéol, alpha-terpinéol et terpinène-1-ol-4) : 20 %
  • Esters (dont acétate de géranyle) : 3 %

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique général, stimulant, excitant, neurotonique, musculotrope, positivant
  • Anti-infectieux (antibactérien, antifongique, antiviral), antiparasitaire
  • Relève les fonctions digestives (atoniques, nerveux), apéritif, digestif, antiseptique intestinal, stomachique, carminatif
  • Antiseptique urinaire, diurétique léger
  • Fluidifiant des sécrétions bronchiques, expectorant
  • Antispasmodique, anti-inflammatoire, antalgique
  • Emménagogue
  • Astringent

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, gastralgie, flatulences, indigestion, crampe d’estomac, ballonnement, entérocolite, parasites intestinaux (ascarides, oxyures), météorisme, colique
  • Troubles de la sphère pulmonaire et ORL : coqueluche, toux grasse, toux spasmodique, catarrhe pulmonaire chronique, asthme humide, bronchite, laryngite, rhume, hémoptysie, rhinite, sinusite
  • Troubles gynécologiques : aménorrhée par atonie, anémie des jeunes filles pubères, pertes blanches, hémorragie utérine, douleur utérine, règles douloureuses, inflammation du mamelon
  • Affections cutanées : irritation et inflammation cutanée, plaie infectée, mycose, panaris, ulcère, gale, contusion, ecchymose
  • Troubles locomoteurs : douleur rhumatismale, arthrose, goutte, douleur sciatique et névralgique, arthrite, foulure, gonflement articulaire (dans lequel « se trouve hâtée la dissolution et la résorption des dépôts morbides grâce à l’action de l’essence sur la circulation », 8)
  • Faiblesse et fatigue générales, apathie, asthénie physique et nerveuse, épuisement nerveux
  • Maux de tête, migraine
  • Cystite
  • Hémorragie nasale
  • Gingivite
  • Grippe

Chez le bébé et l’enfant, le serpolet en phytothérapie peut s’avérer d’un précieux secours : parasitose intestinale, constipation, spasmes œsophagiens et intestinaux, agitation nerveuse, insomnie, contractions de la prédentition, inflammation oculaire.

Modes d’emploi

  • Infusion et infusion concentrée de sommités fleuries (la première est dite « thé des bergères »)
  • Décoction de sommités fleuries
  • Macération (vinaigre, huile, alcool)
  • Teinture-mère
  • Poudre de sommités fleuries sèches
  • Huile essentielle (en interne, en massage)

Contre-indications, précautions d’emploi, autres informations

  • Dermocausticité : elle concerne uniquement l’huile essentielle, et encore seulement celle dont une importante proportion de phénols conseille la prudence. Employée pure, une telle huile provoque rougeurs et sensation de brûlure sur la peau et les muqueuses. Il faut donc impérativement la diluer dans une huile végétale avant application cutanée.
  • Récolte : elle aura lieu dans des stations sèches et ensoleillées. En effet, ce type d’exposition renforce le parfum du serpolet. On peut cueillir le serpolet en début de floraison, quand les corolles sont encore sous forme de boutons floraux.
  • Usage condimentaire : le serpolet est très proche du thym, comme ce dernier, on en fait un usage condimentaire. On utilise ses feuilles pour assaisonner des plats de salades ou de crudités, mais aussi dans des plats de viandes et gibiers. Il se marie bien avec un fromage blanc additionné d’un filet d’huile d’olive. Enfin, il conclue à merveille un repas trop copieux sous forme d’infusion. Il est parfois utilisé en liquoristerie.
  • Usage vétérinaire : « répandu en litière dans les poulaillers, il délivrerait les volailles de leurs parasites » (9).
  • Autres espèces : le thym serpolet couché (T. praecox), le thym sylvestre (T. sylvestris). Il existe aussi des variétés de Thymus serpyllum : var. citriodorus, aux feuilles sentant le citron (présence de citrals et de citronnellal), var. aureus, aux feuilles qui pâlissent si faiblit l’ensoleillement, etc.
    ________________
    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 57.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 929.
    3. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 133.
    4. Wiktionnaire.
    5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 908.
    6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 929.
    7. Petit Larousse des plantes médicinales, p. 196.
    8. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 930.
    9. Ibidem, p. 931.

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