La cannelle (Cinnamomum zeylanicum ou verum)

Synonymes : laurier-cinnamone, canéficier.

Imaginez un peu : la première fois qu’on a parlé de cannelle sur le sol français remonte à 716 ! De facto, cela nous plonge dans un passé complètement improbable, mais néanmoins formidable, en particulier parce que la vie dans le VIIIe siècle en ce territoire qui est devenu la France, était loin d’être facile, plutôt âpre et farouche à dire vrai. De cet événement, nous avons une preuve, comme l’expose Henri Leclerc : « la plus ancienne mention qui soit faite de son introduction dans le nord de l’Europe se trouve dans un diplôme délivré en 716 par Chilpéric II au monastère de Corbie »1, situé à 15 km à l’est d’Amiens, dans la Somme. Tout cela est tout à fait prodigieux, mais n’est rien en comparaison de la Chine où la cannelle est une plante d’usage courant depuis au moins 3000 ans. Oui, je dis bien d’usage courant – en guise de médicament – et non pas comme une précieuse curiosité que l’on conserve sous la haute protection d’un écrin serti de joailleries non moins précieuses ! Déjà, un demi millénaire plus tôt, la cannelle était réservée à l’usage des Césars, et qui en possédait et en faisait un large usage marquait par là sa puissance et éventuellement sa folie : souvenons-nous de Néron qui, à l’occasion des funérailles de Poppée, fit brûler plus de cannelle que la seule « Arabie heureuse » (on pensait qu’elle provenait de la péninsule arabique en ce temps-là2) était capable d’en produire en l’espace d’une année. Il faut dire que la proximité de la plante, ainsi que son abondance, autorisaient là-bas à faire ce qu’ici on s’interdisait : quelle expérience durable aurait-on bien pu retirer de quelques bâtons de cannelle dont la préciosité valait justement en raison de leur rareté ? En 716, à Corbie, on ignorait sans doute que sur son lieu de naissance, la cannelle était vue comme une plante fortifiante qui régénère avec constance l’énergie vitale, au point qu’elle serait capable de garantir l’immortalité (si l’on avait su ça en Europe au VIIIe siècle, c’est certain qu’on aurait assisté à des phénomènes encore plus délirants que les funérailles de la deuxième épouse de l’empereur fou). En effet, des chroniques historiques relatent le cas de paysans chinois devenus plusieurs fois centenaires. Rien d’étonnant à ce qu’on ait fait d’elle une habituelle nourriture d’immortalité, comme le prouve encore P’ongtsou qui parvint à l’âge extraordinaire de 888 ans ! Elle faisait gagner le corps en âge, certes, mais par son entremise et abstention de céréales, les taoïstes visaient la purification corporelle, subtile manière de désentraver l’organisme et de le faire « durer » autant que possible en bonne santé. Parce qu’il ne s’agit pas de vieillir vieux, il s’agit aussi de vieillir bien, loin de l’idée de l’acharnement thérapeutique dont l’Occident fait malheureusement preuve. A quoi sert d’étayer un corps à l’aide de quelques ficelles, et cela jusqu’à ce que mort s’ensuive, alors que le propriétaire de ce même corps n’aura peut-être pas été capable, sa vie durant, de faire les choix les plus judicieux en matière d’hygiène et de nutrition ? Ce qui est bien pire, c’est qu’abandonné à son triste sort, rien ni personne ne se sera inquiété de cette question cruciale, une attitude déplaisante qui mène à ces hordes de malades par ignorance de ce qui est bon pour l’humain et par la continuation de ce qui est mauvais pour lui (les glucides – sucre en tête –, les graisses hydrogénées, certains acides gras insaturés, les antibiotiques, etc. La liste est longue.).

Bien, revenons-en à nos moutons ^.^ La médecine traditionnelle chinoise apporte des indices bienvenus : l’écorce du cannelier, réduite en poudre, de nature chaude, piquante et un peu douce, facilite la circulation du sang, tonifie l’énergie des deux méridiens dépendant du principe du Métal (Poumon et Gros intestin), réchauffe celle des deux méridiens régis par le principe de la Terre (Estomac et Rate/Pancréas), possède encore d’excellents effets sur les méridiens du principe de l’Eau (Rein et Vessie). Tout cela concourt, d’un point de vue physique, sentimental, affectif et sexuel, à chasser les froideurs, la cannelle étant un tonifiant général du yang. D’ailleurs, « on prépare avec la cannelle, un vin dont une seule goutte donne au corps la couleur de l’or, c’est-à-dire qu’elle le métamorphose en pur yang ». Ce dont on peut questionner l’utilité : le pur yang existe-t-il, peut-il exister, indépendamment du yin ? Est-ce seulement souhaitable ? Qu’est donc le pur yang d’ailleurs ? La lumière solaire dont la température s’élève à plusieurs milliards de degrés ? Non, il est préférable de faire entrer le yin et le yang en parfaite conjonction, philosophie du juste milieu qui ne privilégie jamais l’un aux dépens de l’autre, comme savent parfaitement bien nous le rappeler les deux vessies de poisson qui constituent la plénitude du symbole du taijitu. Aussi, le cannelier peut-il être l’arbre de la Lune auprès duquel le lièvre broie les simples pour en élaborer des drogues d’immortalité ? Épineuse question qui sera suivie de beaucoup d’autres, puisque la botanique antique n’est jamais simple, le voyage de la cannelle d’Asie en Europe ayant été émaillé de nombreuses escales et débarquements. Corbie, 716. Cela peut faire rire, au regard de ce que nous avons dit jusque là. Que sont-ce que les hommes qui vivaient à cette époque, à proximité de ce lieu ? Des attardés ? Probablement. En revanche, savoir cette cannelle là-bas à ce moment précis, c’est aussi considérer le fait que le diamant ne brille jamais aussi bien qu’au milieu de sa gangue charbonneuse, à la manière du yin et du yang. A chaque port, à chaque étape, les langues changent et s’entremêlent, une substance donnée emprunte un nom qui n’est peut-être que la déformation de celui d’origine, qu’une oreille inattentive transcrit différemment. A l’arrivée, on comprend qu’il est facile de jouer au jeu des sept erreurs entre l’original lointain et la copie parvenue jusqu’à nous. Mais c’est la vie, chacun y insuffle un peu de lui-même. Ainsi, dans les textes antiques, on voit souvent surgir deux termes – cinnamomum et cassia – dont on a longtemps questionné l’identité : lequel des deux désigne la cannelle de Chine, la cannelle de Ceylan ? On a réussi à établir le fait que la « cassia » était la cannelle en provenance de Chine (Cinnamomum cassia, en langage moderne) tandis que le mot cinnamomum4 référait à la cannelle de Ceylan. Or, entre la kassia et le kinnamômon, la cannelle était l’une des nombreuses drogues manipulées par les pastophores dans les temples, c’est-à-dire les prêtres, pour définir exactement cette expression tardive que l’on doit à Rabelais. Les erreurs de traduction, les mauvaises interprétations, etc., qui se glissèrent là où on ne les attendait pas, purent être l’occasion de témoignages pour le moins étonnants : par exemple, il est couramment admis que la cannelle pénétra fort anciennement le royaume d’Égypte, et que vers le Ve siècle avant J.-C, elle intervenait dans les procédures d’embaumement. Mais après observation attentive, Jean-François Bonastre (1783-1856) en conclut que ce n’était pas là poudre de cannelle mais de muscade5. Aussi, est-il légitime d’avoir un doute à chaque fois qu’on nous parle de cannelle en terres égyptiennes ? Par exemple, l’aegyptium dont Cléopâtre parfumait ses pieds, contenait-il véritablement de la cannelle comme on l’affirme ? Dans le Kosmètikon, la cannelle est déclarée comme astringente légère, antiseptique, échauffante, stimulante et aphrodisiaque, ce que les cannelles chinoise et indienne sont toutes les deux. Ainsi, on y parle d’une cannelle qui pourrait tout à fait être l’autre, et inversement. A moins qu’il ne s’agisse tout bonnement des deux, comme le laisse entendre Eugène Rimmel dans un extrait de son Livre des parfums consacré à l’Égypte : « C’était surtout dans leurs processions religieuses, lors des Panégyries, que les Égyptiens déployaient un luxe inouï de parfums. Les historiens nous donnent les détails d’une solennité de ce genre qui eut lieu sous le règne d’un des Ptolémées, et dans laquelle figuraient cent vingt enfants portant dans des vases d’or de l’encens, de la myrrhe et du safran, et une quantité de dromadaires chargés les uns de trois cents livres d’encens, les autres de safran, de cannelle, de cinnamome, d’iris et d’autres précieux aromates »6.

Ce ne sont là encore que vétilles. Le plus gros reste à venir : il tient essentiellement dans les récits que rapportèrent les auteurs antiques pour tenter de s’expliquer la provenance de cette épice, la cannelle. C’est en suivant Hérodote qu’on tombe dans le traquenard. Faisons un peu de clarté avant de subir l’épreuve d’affabulation. Durant l’Antiquité, la cannelle de Ceylan se confond avec celle provenant de Chine. Mais il est vrai que l’on ne distingue pas toujours l’une de l’autre, et les récits légendaires associés à l’une le sont aussi à l’autre (ou au giroflier qui vient parfois semer le trouble dans ce qui est déjà, il faut bien l’avouer, une véritable pagaïe). C’est par exemple, ce que retrace Hérodote – venons-y – dans ses Histoires, à savoir le stratagème que l’on met en place pour récolter la cannelle dont de gros oiseaux terrifiants garnissent leurs nids. Pour espérer en chiper quelques rouleaux sans se faire massacrer, les hommes disposent à l’entour des nids de gros quartiers de viande. Voyant cela, les oiseaux prennent leur envol et s’en viennent quérir cette viande peu difficile à conquérir, puis, à tire-d’aile, regagnent leur nid. Mais sous la masse ajoutée ainsi au nid, celui-ci ne tarde pas à s’écrouler, ce qui est le but avéré des hommes qui, profitant de la soudaine débandade aviaire, n’ont plus qu’à venir ramasser quelques bâtons de cannelle épars et prendre leurs jambes à leur cou pour échapper à la vindicte furieuse des oiseaux ainsi dupés. Passons le caractère parfaitement invraisemblable du subterfuge de même que la balourdise de ces volatiles. Nous verrons dans un futur article ce que sont exactement ces oiseaux et que cette légende rapportée par Hérodote n’est que la retranscription abâtardie d’un mythe beaucoup plus ancien et mal compris, tant il s’est déformé avec le temps et les différentes étapes de transmission par lesquelles il est passé. La légende portant sur la casse n’est pas moins étrange : « Elle poussait dans des marécages difficiles d’accès et était défendue à coup de griffes par des animaux ailés, ressemblant à des chauves-souris : aussi, pour la récolter, devait-on s’envelopper corps et visage de peaux de bœuf »7. Selon Pline, toutes ces scènes terrifiques ont pour but de dissuader la convoitise : la cannelle, qu’on sait être un aromate coûteux, est ainsi bien gardée. Mais de cette tentative d’expliquer la cherté de la cannelle, je n’en crois pas un mot, même si l’on observe, heureusement, que Pline n’admet pour vrai aucune de ces fariboles (c’est déjà ça !…). Plus intéressantes sont les données apportées par Diodore de Sicile qui, au Ier siècle avant J.-C., parvint à expliquer qu’outre cette provenance bien connue – l’Arabie heureuse – la cannelle émanait d’une sphère plus lointaine encore puisqu’il parlait de Chine ! A l’en croire, ces contrées orientales regorgeaient de cannelle : en effet, dans ce pays les « arbustes de ce genre poussent en taillis et en fourrés si touffus que ce qu’ailleurs ont met avec parcimonie sur les autels des dieux sert là-bas de combustible même pour les fours, et que ce qui ailleurs est à l’état de rareté tient lieu là-bas de paillasses pour domestiques sur le haut des maisons »8. Quelles que soient les élucubrations – s’expliquer le monde passe souvent par ce qui, après coup, paraît très fantaisiste – l’irruption de la cannelle eut pour effet de révolutionner l’offrande comme l’explique le poète Ovide dans Les Fastes car « autrefois, pour rendre les dieux propices aux hommes, il suffisait de froment, d’un grain de sel pur »9. Avec la cannelle, tout change : on y voit là un encens de nature solaire, aussi procède-t-on à des fumigations de cannelle afin de « recevoir les bonnes grâces d’Apollon » et de Zeus. La cannelle, outre qu’elle soit encens, est aussi parfum (est-elle aussi condiment ? L’Antiquité ne le dit pas) : Pline remarque une abondance de préparations parfumées accueillant de la cannelle et que l’on se procure dans les boutiques des parfumeurs de l’époque. Ces deux aspects font que « les senteurs de myrrhe, de cannelle et d’encens sont tout autant témoins des largeurs royales que du plaisir des sens ou de la protection des dieux »10. On pourrait même se demander si la présence de la cannelle non loin de l’autel et dans l’armoire à parfums n’est pas censée servir la même cause. C’est apparemment lisible à travers son statut de plante consacrée à Héra, relativement au fait que cette déesse veille sur les différents aspects physiologiques de la vie féminine et que la cannelle est une drogue emménagogue intervenant également au moment de l’accouchement. Mais la relation ne me semble pas assez forte, bien trop ténue, pour quelle soit suffisamment pertinente. En revanche, si l’on jette un œil du côté d’Aphrodite… Cela ne surprendra personne si j’apprends que la cannelle est plante de Vénus, celle-là même dont la ceinture est embaumée de cannelle et de benjoin (par ceinture, il ne faut pas se méprendre avec nos accessoires modernes : celle d’Aphrodite est en fait une sorte de pagne de corps, longue bande de tissu enserrant le buste de la déesse, et constituant, en quelque sorte, une partie de ses « dessous ») et dont Homère nous dit dans l’Iliade qu’elle est « le talisman précieux du désir amoureux ». Canalisant les hautes vibrations de Vénus, la cannelle accroît le flux de la vie et de l’épanouissement : elle est clairement l’apanage de la bien-aimé devant laquelle cette autre plante de Vénus vient s’incliner : « La rose rougit devant la cannelle », écrivait Pétrone11. Pour s’en convaincre, rien de tel que de faire appel à ce glorieux chant d’amour qu’est le Cantique des cantiques. Le bien-aimé s’adressant à la Sulamite : « Mon amie, ma fiancée, tu es un jardin clos, une source secrète, une fontaine scellée. Tes fruits sont plus succulents et parfumés que ceux d’un verger où le jasmin, le safran, le cinname et la menthe auraient exhalé leurs senteurs »12. Pas besoin de convoquer davantage de superlatifs, même si l’on peut comprendre que, dans la bouche du bien-aimé, les mots sont bien incapables d’exprimer l’ineffable qui consiste en l’amour pur. Comment, au reste, celui-ci peut-il bien se dire sans disparaître aussitôt ? L’amour pur, je l’apparente à l’état de grâce. Si la cannelle permet, même ne serait-ce qu’un peu, d’approcher cet état, eh bien il n’y a pas lieu de s’en priver, bien au contraire, quand bien même l’on pourrait douter de ses vertus dans le domaine qui nous intéresse présentement. Ainsi, Roques : « On regarde la cannelle comme un excitant aphrodisiaque, et les hommes épuisés par toutes sortes de jouissances en font souvent usage pour réveiller dans leurs organes flétris les dernières étincelles du désir »13. Mais Roques doit apprendre qu’aucune drogue et pas même la cannelle ne sont capables de restaurer en l’homme l’essence qui lui a été accordée à la naissance : s’il mange son pain blanc dès les premiers temps de sa vie, alors il lui faut s’attendre à vivre un second âge plus douloureux. Bien. Ceci dit, n’hésitons pas à réaffirmer le statut clairement vénusien de la cannelle, comme il peut s’entrevoir en quelques lignes extirpées du Petit Albert lorsqu’il expose la « composition d’une savonnette pour le visage et pour les mains, qui rend agréable la personne qui s’en sert »14. Or savon + cannelle = beauté = Vénus. C’est tout simple ! En revanche, si le caractère sacré de la cannelle ne fait pas de doute15, l’on aperçoit le piège qu’elle peut constituer dès lors qu’elle atterrit dans le monde profane, devenant l’instrument de la ruse de la courtisane campée dans un extrait des Proverbes : « J’ai parfumé ma couche de myrrhe, d’aloès et de cinnamome ; viens, enivrons-nous d’amour jusqu’au matin, livrons-nous aux délices de la volupté, car mon mari n’est point à la maison, il s’en est allé bien loin en voyage »16. « Par les mignardises de ses lèvres »17, elle enchaîne celui qu’elle est allée quérir au dehors, avant de le ramener en « sa maison [qui] est le chemin du sépulcre, qui descend aux profondeurs de la mort »18. La fascination et l’attraction que suscite une telle femme – femme fatale, au sens aussi irrévocable que le fatum dont les Moires et les Parques accablent chaque être humain – est de nature démoniaque, plaçant l’homme qui en subit l’influence en position d’esclave.

Nous nous demandions plus haut si la cannelle, en plus d’être de nature solaire, ne pouvait pas s’apparenter à la Lune par quelques-uns de ses aspects. C’est bien possible, bien que la tonalité soit amenée à changer, car il n’échappe à personne que du personnage de la Sulamite du Cantique à la courtisane des Proverbes, l’image est littéralement inversée : alors, si la cannelle a quelque rapport avec la Lune, dans le premier cadre, elle aide à produire une pensée limpide et claire, dans l’autre elle brouille l’esprit car « être frappé par la Lune produit la folie »19. Or, si nous en sommes arrivés là, c’est que nous n’empruntons pas la bonne voie surtout quand, de la cannelle, nous attendons la sagesse que la courtisane ne peut offrir à celui qu’elle met aux fers, puisque avec elle les valeurs de noblesse, d’honneur, de confiance et de prospérité sont balayées.

En 745, l’évangélisateur de la Germanie Boniface de Mayence (ville dont il est archevêque), reçut de la part d’un diacre nommé Gemmulus quatre onces de cannelle accompagnées de son plus profond respect, ce qui ne lui a pas porté chance, puisqu’il a été assassiné à plus de 70 ans par une bande de païens. Pas sûr que la cannelle y soit pour grand-chose dans cette affaire, mais cela nous permet néanmoins de nous relier au fil historique dont nous avons relâché la tension depuis plusieurs paragraphes. Nous voici donc immergés de nouveau dans l’époque médiévale, même si l’âge d’or de la cannelle n’a pas encore sonné. On dit que cela se produisit au XIIIe siècle, parce que non seulement c’est une drogue dont la préciosité ne se dément pas, mais surtout parce qu’elle se répandit plus largement que jamais en Europe. Cela me semble démarrer même un siècle plus tôt, car c’est au XIIe siècle qu’est forgé l’ancêtre du mot cannelle qui n’existait pas auparavant. Il proviendrait du latin canna qui désigne « un végétal à tige creuse ». A ce sujet, Pierre Delaveau nous offre un très intéressant éclairage étymologique, assurant qu’« en réalité, la très ancienne racine qnh avait le sens d’acquérir, fournissant kânu en akkadien et quêneh en hébreu où l’on retrouve une double idée de tige, mais aussi de possession »20. Cela signifierait-il qu’outre son statut végétal la cannelle incarne un quelconque symbole de pouvoir ? Nous en avons listés quelques-uns plus haut, cela ne devrait donc pas trop nous surprendre. En revanche, tout cela peut nous laisser sur notre faim : de quelle « possession » peut-il bien s’agir ? Difficile à dire. Ce que l’on peut avancer à coup sûr, c’est qu’après avoir occupé les fonctions d’encens et de matière parfumée, la cannelle s’est aventurée dans le domaine des arts thérapeutiques, devenant même l’un des éléments les plus fréquemment usités de l’armoire à pharmacie.

Tout d’abord, chez Mésué, l’on trouve des indications médicinales qui sonnent très médecine traditionnelle chinoise, en particulier quand il dit que la cannelle est capable de « favoriser la distribution des aliments dans le corps » (entendre le sang, la chaleur, l’énergie), mais surtout elle apparaît centrale chez deux auteurs médiévaux : Hildegarde, tout d’abord, pour qui la cynamomum participe de la bonne santé du foie, des poumons (rhume, fièvre) et des intestins (colique, dysenterie). Dans un passage du Physica, elle indique la recette d’une potion dans laquelle entre la cannelle : elle la dit « meilleure que l’or », ce qui ne peut que nous faire tilter, rappelant là ce vin de cannelle dont une seule goutte propageait à tous le corps bien plus encore que ce que nous révèle Hildegarde dans cet autre extrait : « La cannelle est très chaude et a beaucoup d’énergiques propriétés ; elle a également en elle une certaine humidité [NdA : Hildegarde ne commet pas l’erreur de lui dénier une particule yin] ; mais sa chaleur est si forte qu’elle fait disparaître l’humidité [zutre !], et celui qui en mange souvent fait disparaître en lui les humeurs mauvaises et en fait naître de bonnes »21. Du côté d’Albert le Grand, la cannelle calme la toux, déterge la poitrine, fortifie l’estomac et le foie, enfin apaise la matrice. C’est là un ensemble de recommandations qui seront reprises à bon compte dans les siècles suivants, durant lesquels on poursuivra l’emploi de la cannelle, au point où Pierre Pomet concédera cet aveu : « La cannelle est d’un si grand usage que nous avons peu de drogues fines dont on fasse un plus grand emploi, tant à cause de ses belles qualités qu’à cause de son agréable goût et odeur »22. A la lecture du seul Nicolas Lémery, on dispose d’un assez bel aperçu du profil thérapeutique de la cannelle au XVIIe siècle : « Elle excite l’urine et les humeurs, elle fortifie l’estomac, le cœur et le cerveau, elle aide à la digestion, elle excite les mois et l’accouchement des femmes, et elle chasse les vents. Son usage immodéré enflamme les humeurs, et les jette dans une grande agitation. Elle convient, en temps froids, aux vieillards, aux phlegmatiques, aux mélancoliques, et à ceux qui ont un estomac faible, et qui ne digèrent pas bien ; mais elle ne convient point aux jeunes gens d’un tempérament chaud et bilieux »23. Le rétablissement de la chaleur naturelle en luttant contre les maladies de cause froide a été bien remarqué, de même que les propriétés céphaliques, béchiques, expectorantes et corroboratives de la cannelle qui ranime le mouvement du sang et les « esprits » (ceux-là même auxquels on fait référence dans l’expression « reprendre ses esprits », qui ne sont pas les mêmes que dans cette autre expression : « perdre l’esprit »). Enfin, comme l’écrivait Pierre Pomet, de la cannelle, « on en prend aussi pour résister au mauvais air »24, plus précisément pour se préparer « contre ces dangereuses maladies qui s’engendrent ordinairement de la corruption de l’air que l’on respire. C’est pour cette raison que l’on donne ici les remèdes pour s’en garantir et empêcher que cette infection ne pénètre jusqu’au cœur »25, c’est-à-dire aussi bien par le biais de fumigations de plantes (lavande, encens, myrrhe, laurier, genévrier, cannelle, etc.) autour des maisons et dans les chambres, que de ces boîtelettes – les pomandres. L’on empilait les aromates dans ces dispositifs transportables, dont la cannelle, l’une des espèces les plus antiseptiques qui soient avec l’origan et la sarriette.

La récolte de la cannelle expliquée par les Anciens : avant même l’irruption portugaise dans le sous-continent indien (1505) et l’occupation permanente du Sri-Lanka (1536), la récolte traditionnelle de la cannelle était l’apanage de la caste des Salagama. Je n’ai trouvé aucune information (qui me soient accessibles, s’entend) concernant les manières de mener cette cueillette : à tout le moins puis-je dire qu’ils opéraient auprès de canneliers sauvages. Il est même permis d’imaginer que, n’en ayant pas instauré la culture, ils se satisfaisaient de ce que la Nature sauvage avait à leur offrir. (La culture du cannelier au Sri-Lanka fut décidée par les Hollandais à la fin du XVIIIe siècle, après qu’ils en aient évincé les Portugais au XVIIe siècle.) Ce qui accentua d’autant plus les sombres questions de monopole et d’approvisionnement des marchés mondiaux. Aussi ne pouvait-on pas se permettre d’y acheminer n’importe quoi. Cela fut à l’origine de la distinction qui s’opéra entre trois niveaux de qualité de cannelle : la fine, la moyenne et la commune qu’on différenciait toutes de cette autre cannelle en provenance de Chine, qui « est plus épaisse, d’une couleur plus foncée et d’un goût aromatique et moins piquant ; elle rend même la salive gluante quand on en a mâché : sa qualité n’approche pas de celle de la première espèce »26. Au contraire de ça, la meilleure cannelle de Ceylan qui soit, c’est celle qui se roule le plus rapidement et qui « ne doit pas être plus épaisse que du papier qui a un peu de corps »27. Jaune clair, assez douce, elle ne doit pas « cuire » en bouche quand on la goûte. Cela, c’est la cannelle fine, adjectif qui tient essentiellement à la qualité de sa saveur et de son parfum, mais également de sa configuration en fragiles rouleaux qui se brisent assez facilement quand ils sont secs. Celle-ci est l’objet de deux récoltes dans l’année : la grande (d’avril à fin août) et la petite (qui se réalise en fin d’automne). Pour ce faire, « on choisit les tiges les plus droites, qui ont deux à trois pieds de hauteur28. On fait aux deux extrémités une incision horizontale, et au milieu une incision longitudinale. L’épiderme extérieur se détache, on l’enlève ; la seconde écorce se sépare à son tour de la tige, on la déroule, on l’étend sur des linges placés sur le sol exposé aux rayons d’un beau soleil ; la dessiccation s’en opère très promptement ; l’écorce se roule sur elle-même, à mesure qu’elle se sèche »29. Ceci étant fait, on la réduit en poudre ou on la distille (bien que contenant moins d’essence, on la préfère car le produit obtenu est plus fin et plus suave). La cannelle de deuxième catégorie est tirée de tiges de plus forte section (et/ou plus âgées), ce qui forme des rouleaux de cannelle plus épais. Enfin, de dernière catégorie, l’écorce retirée des très grosses branches forme un produit rude et épais, de couleur jaune livide, de saveur âcre et mordicante, abandonnant dans la bouche une certaine viscosité quand on la mâche, brûlant le palais en y laissant un désagréable arrière-goût de punaise. Elle produit plus d’huile essentielle mais celle-ci est, olfactivement, de moins bonne qualité. Cet ordonnancement donna lieu à quelques trafics et sophistications. Par exemple, la deuxième cannelle se voyait mêlée, ni vu ni connu, à celle de première qualité, ce qu’on opérait de même avec la cannelle de Chine qui, selon Chomel, valait en son temps quatre fois moins cher que celle de Ceylan. L’avarice menait aussi à proposer sur le marché des bâtons de cannelle épuisés d’une partie de leur essence par la distillation, ce qui rappelle ce qui se faisait avec les stigmates de safran, et exigeait qu’on s’oblige à l’acheter à des commerçants de la plus complète confiance.

Celui qu’on imagine n’être qu’un arbuste, peut s’avérer emprunter un assez grand port quand il pousse à l’état sauvage et que, non cultivé, on ne vient pas rabattre sa superbe en le cantonnant au plus près du sol, ce qu’on fait pour en faciliter la récolte. On peut donc affirmer sans risque de se tromper que le cannelier est aussi haut qu’un saule (10 à 15 m). Cet arbre semper virens des forêts tropicales de basse altitude est couvert d’une écorce papyracée brun grisâtre qui dissimule la seconde écorce souple et brun rougeâtre. Ses grandes feuilles opposées, coriaces, oblongues, luisantes, tout d’abord rouge écarlate vif lorsqu’elles sont jeunes, passent au vert vif sombre avec l’âge. Elles sont marquées de deux nervures parallèles à leurs marges qui n’en atteignent pas nettement le sommet acuminé, mais se noient dans la masse foliaire au fur et à mesure de leur progression. Les limbes veinulés de blanc du cannelier étant riches en eugénol, ces feuilles répandent donc une agréable odeur lorsqu’on les froisse (on en tire une autre huile essentielle de cannelle, dite « cannelle feuilles », très proche biochimiquement de l’huile essentielle de giroflier). Placées en panicules à l’extrémité des rameaux du cannelier, se trouvent de nombreuses petites fleurs également odorantes, de couleur blanche ou jaune, et comptant un pistil et neuf étamines. Elles donnent, en mûrissant, de petits fruits à cupule semblables à des glands et pas plus gros qu’une olive, tout d’abord verts, puis mauves, pourpres, bleu foncé ou noirâtres.

Pour sa culture, le cannelier exige un sol humide mais bien drainé et une température jamais inférieure à 5° C, l’espèce n’étant pas rustique. Ces caractéristiques permettent de voir s’épanouir le cannelier ailleurs que dans le sous-continent indien, comme en Indonésie (Java), aux Philippines, en Afrique (Madagascar, Seychelles, Congo), aux Antilles (Martinique), en Amérique du Sud (Guyane française), etc.

La cannelle en phytothérapie

C’est une chance immense que d’avoir été mis nez à nez avec la cannelle de Ceylan dont la magnificence s’est illustrée très largement depuis des siècles. Quand l’on sait que les cinnamomum se comptent par centaines, ce miracle tient du même prodige que celui qui vous fait découvrir l’aiguille dans une botte de foin.

Comme l’on sait, l’objet de notre attention du jour tient en la seconde écorce des jeunes rameaux du cannelier (cultivé, autrefois sauvage) que l’on découpe en fines lanières tous les deux à quatre ans, que l’on met à sécher, puis que l’on broie ou non.

De couleur jaune-rougeâtre (elle donne l’impression de ne pas savoir entre laquelle des deux choisir), d’odeur suave et très pénétrante, le fragile rouleau de la cannelle dégage tout d’abord une saveur douce et sucrée, devenant par la suite âcre et quelque peu piquante. C’est son essence (4 %) qui est responsable de cela, ainsi qu’un peu de sucre pour la note édulcorée. Mais comme la cannelle râpe un peu la langue, on peut affirmer qu’à coup sûr elle contient des tanins, ce qui est effectivement le cas (phlobotanins). Pour appuyer sur la douceur quelque peu onctueuse, la cannelle sait compter sur son amidon, sa mannite et son mucilage.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antivirale, antifongique, antiseptique, parasiticide
  • Excitante, tonique, stimulante, fortifiante
  • Apéritive, digestive, carminative, stomachique, antiputride intestinale, anti-nauséeuse, vermifuge
  • Hypotensive, stimule la circulation périphérique, les fonctions cardiaques et circulatoires
  • Hémostatique, antihémorragique
  • Échauffante, sudorifique, fébrifuge
  • Antispasmodique
  • Stimulante des fonctions respiratoires
  • Emménagogue
  • Aphrodisiaque (légère)
  • Odontalgique
  • Astringente (légère)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : perte et manque d’appétit, paresse intestinale, atonie de l’appareil digestif, indigestion, constipation, diarrhée, dysenterie, infection intestinale (choléra, typhoïde), dyspepsie, nausée, vomissement, spasmes digestifs, colite spasmodique, flatulences, ballonnement, parasites intestinaux
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée par atonie, aménorrhée, métrorragie, règles insuffisantes, hémorragie utérine faisant suite à une fausse couche ou un accouchement laborieux, inertie utérine, douleurs post-partum
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, mauvaise circulation (stase sanguine occasionnant une sensation de froid, générale ou dans le détail : mains et doigts, pieds et orteils)
  • Troubles de la sphère pulmonaire : rhume, grippe et état grippal (avec adynamie), infection des voies respiratoires, refroidissement pulmonaire, hémoptysie, angine, fièvre maligne ou putride
  • Troubles de la sphère génitale : impuissance, frigidité, panne sexuelle, affaiblissement du désir
  • Affections cutanées : pédiculose, gale, piqûre de guêpe, morsure de serpent
  • Troubles locomoteurs : douleur arthritique, rhumatisme, coup, contusion, chute
  • Asthénie physique et psychique, asthénie post-grippale, fatigue, convalescence
  • Céphalée, migraine
  • Infection des voies urinaires
  • Rage de dents

Modes d’emploi

  • Infusion de bâtons de cannelle concassés : de 8 à 15 g pour 0,50 à 1 litre d’eau. En infusion pendant 20 mn.
  • Décoction de bâtons de cannelle dans du vin sucré ou non (c’est l’hypocras que préférait Rabelais).
  • Macération vineuse : placez une gousse de vanille et 50 g de cannelle concassée dans un litre de vin blanc pendant deux semaines.
  • Poudre de cannelle : 0,50 à 5 g par jour délayés dans une certaine quantité d’eau, de lait, de lait d’amande, etc., enfin dans un « quelconque » liquide. Ne vous aventurez pas sur le même chemin que les adeptes du cinnamomum challenge dont le principal et unique défi consiste à gober, à sec, une cuillerée bien remplie de poudre de cannelle. Peu y parviennent. En ce qui me concerne, je procède très simplement : je place ½ cuillerée à café de cannelle en poudre dans une tasse, je délaye avec de l’eau chaude aux ¾ et je complète avec du lait d’amande. Même sans sucre, c’est une boisson que je trouve fort agréable. On peut y ajouter la même quantité de poudre de gingembre.
  • Teinture : 50 g de cannelle concassée dans un litre d’alcool à 40° pendant deux semaines.
  • Sirop : effectuer une décoction de bâtons de cannelle concassés dans un litre d’eau, faites réduire de moitié. Ajouter à la quantité obtenue deux fois plus de sirop de sucre (2 kg de sucre pour un litre d’eau).

La cannelle est présente dans nombre de liqueurs dont on ne sait plus trop si elles appartiennent au salon ou à l’officine, et prête ses services à d’innombrables préparations pharmaceutiques qui, pour beaucoup, fleurent bon l’herboristerie d’antan. C’est la remarque que faisait Simon Morelot (1751-1809) il y a deux siècles : « Il y a peu de substances dont l’usage soit aussi multiplié en pharmacie. On en fait une eau distillée, un alcool distillé de cannelle, une teinture, un sirop, et elle entre dans une multitude de compositions pharmaceutiques qu’il serait trop long de rapporter »30. Eh bien, nous ferons preuve d’un peu plus de courage que le pharmacien bourguignon. Parmi celles ayant eu grande presse, citons le baume de Fioravanti dont on parle beaucoup ces derniers temps, l’élixir antiseptique de Chaussier, l’élixir végétal de la Grande Chartreuse, l’eau de mélisse des carmes déchaux, la potion de Todd, la potion cordiale, l’eau d’Arménie, le laudanum de Sydenham, le vinaigre des quatre voleurs, le diascordium de Fracastor, la confection alkermès, l’opiat de Salomon, l’orviétan, le mithridate et la thériaque (en Inde, la médecine des Védas préconise une préparation qui s’en rapproche un peu : de la poudre de serpent macérée dans une décoction d’écorce de cannelle, afin de soigner et guérir les empoisonnements, les morsures d’araignées venimeuses, les intoxications alimentaires, la « lèpre », les fièvres, etc.).

Afin d’étoffer mon propos et de ne pas en faire une bête liste de préparations, voici trois recettes triées sur le volet. La première est une teinture d’arnica composée à visée stimulante et tonique. Pour cela, il vous faudra 50 g de fleurs d’arnica, 10 g de clous de girofle, 10 g de cannelle, 10 g de gingembre et 100 g d’anis vert. Placez tout cela pendant huit jours dans un litre d’alcool. A l’issue, passez et filtrez soigneusement. En deuxième position, j’ai choisi une formule aphrodisiaque qui peut largement parader du côté des essence d’Italie et autres vins du cru : il s’agit de la liqueur dite du parfait amour donnée par Jean Valnet. Voici ce qu’il faut faire et les ingrédient à réunir : 40 g de zestes de citron, 10 g de vanille, 10 g de macis (ou de muscade, à défaut), 15 g de cannelle, 10 g de coriandre et 30 g de thym. Déposez toutes ces choses dans deux litres d’eau-de-vie et faites-les macérer quinze jours durant, puis ajoutez-y un sirop de sucre (obtenu à l’aide d’un litre d’eau et de 2 kg de sucre). Mélangez bien, puis filtrez. Enfin, en troisième position, voici une rapide recette de grog tout à fait utile en cas de refroidissement avéré ou lorsque le froid menace (bonne prophylaxie) : dans une grande tasse d’eau chaude, pressez un demi citron et diluez-y une cuillerée à soupe de miel. Ajoutez ½ cuillerée à café de poudre de cannelle. Mélangez bien, c’est prêt !

J’avais dit trois. Mais je me suis laissé tenter par la recette de l’élixir de Garus proposée par Joseph Roques : « Prenez : myrrhe, trois gros ; aloès et safran, de chaque deux gros ; giroflier, cannelle fine et muscade, de chaque un scrupule ; eau-de-vie à 22°, deux litres. Faites macérer pendant huit ou dix jours, filtrez, édulcorez avec partie égale de sirop de capillaire, et aromatisez avec de l’eau de fleurs d’oranger. Si l’on préfère cet élixir par distillation, on fait alors macérer les substances dans l’alcool, on distille au bain-marie, et on mêle le produit distillé avec partie égale en poids de sirop capillaire, ensuite on aromatise avec l’eau de fleurs d’oranger. En plongeant cet élixir dans de la glace pilée, pendant six heures, on lui ôte l’odeur d’empyreume et on le rend plus agréable. Quelques personnes y ajoutent un peu d’ambre gris. C’est encore un élixir stomachique ou cordial, qu’on prend par cuillerées. On le sert également comme les liqueurs de table, comme les ratafias, dont il se rapproche »31.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • En raison de son efficacité manifeste sur la sphère utérine qu’elle tonifie, la cannelle se contre-indique donc de fait durant la grossesse. Les affections inflammatoires (comme un ulcère d’estomac par exemple) devront convaincre leurs propriétaires de se passer de cannelle, afin de ne pas jeter plus d’huile sur le feu encore. Enfin, un excès de cannelle peut occasionner des phénomènes allergiques et des réactions cutanées (en raison de la présence des coumarines dans cette écorce, entre autres) : la cannelle est comme la muscade, elle sait rappeler efficacement à ses usagers qui en font un trop large emploi de lever le pied.
  • En cuisine : soyons synthétiques, sans quoi nous n’en sortirons pas ! Quelques remarques et idées de mariage : on peut signaler que la cannelle fait bon ménage avec des fruits comme la poire, la pomme, le coing et la châtaigne, et que l’on peut l’unir par le biais du vin ou de l’alcool aux petits fruits rouges, à l’angélique et à la rhubarbe, aux noix et aux amandes, au genévrier encore. Si l’on a tendance à ne pas l’oublier lorsqu’on fait du riz au lait, l’on peut ne pas savoir qu’en des temps anciens, la cannelle pactisait agréablement avec le cacao, comme nous l’explique Desbois de Rochefort : « Le chocolat royal contient, outre la vanille, du gingembre, de la cannelle, quelquefois du poivre et d’autres aromates très actifs et en grande quantité »32 comme l’ambre, par exemple. Dire que, originellement, le cacao était fréquemment consommé avec du piment avant l’arrivée des Européens en Amérique du Sud ! On voit que ceux-ci n’hésitèrent pas non plus à le maltraiter !
  • Voici un usage qui n’est parvenu jusqu’à nous qu’à travers quelques lignes accordées dans des livres déjà anciens : il s’agit de la cire de cannelle. Elle est extraite des fruits du cannelier et se présente sous l’aspect d’un suc huileux de couleur verdâtre à odeur et saveur de cannelle. Avec cette graisse, l’on fabriquait des chandelles dont on se servait dans les temples, ce qui les parfumaient agréablement. Sachez que la cannelle en bâton ou en poudre peut tout à fait jouer le rôle d’encens dont voici quelques recettes glanées au cour de mes recherches : – encens de protection de la famille : encens (¼), myrrhe (¼), cannelle (¼) et sang-dragon (¼) ; – encens pour accroître la concentration : verveine (3/8), santal (¼), cannelle (¼) et œillet (1/8) ; – encens pour invoquer l’aspect masculin : poivre noir (1/5), clou de girofle (1/5), laurier noble (1/5), menthe poivrée (1/5) et cannelle (1/5).
  • Faux ami : la cannelle blanche (Canella winterana), arbuste antillais.
  • Autres espèces : – La cannelle de Chine (Cinnamomum cassia) ; – La cannelle du Vietnam (Cinnamomum loureirii) ; – La cannelle indonésienne (Cinnamomum burmanii) ; – La cannelle de Sumatra (Cinnamomum culilawan) ; – La cannelle des Philippines (Cinnamomum philippinensis) ; – Le kayu manis (Cinnamomum deschampii).

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  1. Henri Leclerc, Les épices, p. 32.
  2. D’après Strabon, « l’Arabie Heureuse était divisée en cinq royaumes : le premier était habité par les guerriers qui combattaient pour tout le pays. Le deuxième renfermait les laboureurs, le troisième les artisans, enfin le quatrième et le cinquième étaient exclusivement consacrés à la production de la myrrhe, de l’encens, de la cannelle, du cinnamome, du nard, en un mot de tous ces trésors odorants qui faisaient la richesse de cette contrée, et qui, du port de Musa, s’expédiaient dans toutes les parties du monde connu » (Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 124).
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 163.
  4. L’hébreu kinnamon fut adopté par le grec – kinnamômum – puis transformé par les Latins en cinnamon.
  5. Le pharmacien français Jean-François Bonastre « a publié environ cinquante articles, principalement dans le domaine des produits naturels, et au sein de celui-ci, l’identification et l’analyse de leurs principes actifs. Il a également fait des travaux intéressants dans l’analyse du processus de momification par les anciens Égyptiens » (Jaime Wisniak, Département de génie chimique, Université Ben-Gourion du Néguev, Beer-Sheva, Israël).
  6. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 31.
  7. Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 196.
  8. Odeurs antiques, p. 20.
  9. Ovide, Les Fastes, I, 338-348.
  10. Odeurs antiques, p. 64.
  11. Pétrone, Satiricon, p. 132.
  12. Le Cantique des cantiques, traduction de Franz Toussaint, pp. 65-67.
  13. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 1, p. 294.
  14. Petit Albert, p. 392.
  15. Elle fait partie des substances odoriférantes précieuses comme il appert dans l’Exode, lorsque l’Éternel s’adresse à Moïse pour lui commander la confection d’une huile d’onction sainte dans laquelle se trouvent aussi bien de la cannelle que de la casse.
  16. Proverbes, VII, 17-19.
  17. Ibidem, VII, 21.
  18. Ibidem, VII, 27.
  19. Esther Harding, Les mystères de la femme, p. 333.
  20. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 113.
  21. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 32.
  22. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 126.
  23. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 249.
  24. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 128.
  25. Grand Albert, p. 246.
  26. Jean-Baptise Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 298.
  27. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 1, pp. 289-290.
  28. Les canneliers sont recépés tous les deux ans, de façon à ce qu’ils forment une souche de laquelle partent quatre ou cinq rameaux. L’écorce est récoltée sur ces nombreux rejets.
  29. Simon Morelot, Nouveau dictionnaires des drogues simples et composées, Tome 1, p. 277.
  30. Ibidem, p. 278.
  31. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 472-473.
  32. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 309.

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Cannelle de Ceylan à gauche, cannelle indonésienne à droite. Cette dernière est souvent vendue comme cannelle sans qu’il soit indiqué sa provenance. Elle forme des rouleaux beaucoup plus épais, à la coupure un peu « grasse ». Gustativement et olfactivement, même si elle est moins chère, elle demeure très largement insignifiante par rapport à la cannelle de Ceylan, tout juste bonne, à la rigueur, à jouer le rôle de décoration attrape-poussière en compagnie des tranches d’orange séchées, enfin, vous voyez de quoi je veux parler ^.^

L’abeille, symbole solaire et messagère céleste

Affublée comme elle l’est d’un habit de bagnard, l’on pourrait s’imaginer que la vie toute industrieuse de l’abeille se résume au seul travail. Mais chez elle, c’est un aspect qui est beaucoup moins marqué que chez la fourmi, sans doute parce qu’on s’est attaché à associer à l’abeille des symboliques beaucoup plus élevées. La première constatation, et non des moindres, c’est qu’en tout lieu et en tout temps, l’abeille a été l’objet d’un symbolisme invariant, à commencer par son accointance solaire, et cela dès les Égyptiens de l’Antiquité dont la mythologie explique que l’abeille serait née des larmes versées par Ra, le dieu Soleil, puis les Grecs qui la font devenir un des emblèmes animaux du dieu Zeus qui aurait, dit-on, été nourri par ces nymphes appelées Mélissai au miel des abeilles du mont Ida, hôtesses du chêne vert (par accrétion symbolique, on renforce cette appartenance, le chêne étant aussi dédié à Zeus). Selon Hildegarde de Bingen, « l’abeille appartient à la chaleur du Soleil, elle aime l’été ; elle a une chaleur si vive qu’elle ne peut supporter le froid »1. La nature ignée et solaire de l’abeille se déploie par le biais de différentes signatures plus ou moins visibles : elle purifie par le feu, brûle par son dard, illumine par son éclat, nourrit pas son miel jaune d’or, enfin par sa cire, elle « crée la flamme, symbole de vie »2 et productrice de lumière qui accroît d’autant plus le prestige divin de l’abeille, seul animal à être descendu du Paradis. A ce symbole s’en ajoute un autre : celui de la royauté, Apis mellifica étant bien connue comme espèce organisée dans une société au sein de laquelle le point central se trouve être la reine qui se distingue de toutes les autres abeilles par la taille exceptionnelle qu’elle adopte. Chez cette espèce cosmopolite, environ 7000 à 20000 ouvrières s’affairent autour d’une reine unique dont la principale fonction est de faire comme le Soleil : assurer la vie. Elle s’y emploie surtout au printemps où elle pond jusqu’à 1000 à 2000 œufs par jour (80000 par an), qui, bien qu’ils se distinguent selon leur futur statut (ouvrière, soldat) sont tous des clones. Afin de perpétuer le bon fonctionnement de la colonie, dès la mort de la reine, une autre est élevée et lorsqu’elle devient trop peuplée, que tout ce petit monde est serré à l’étroit et ne reçoit plus sa juste part d’espace vital, l’essaimage a lieu : une reine, accompagnée de jeunes ouvrières, quitte la colonie pour l’abandonner à la future reine prête à éclore. Inexplicablement, cela me rappelle cet épisode de la vie de Hildegarde qui quitte, avec dix-huit moniales, le monastère du Disibodenberg, pour s’établir auprès du Rhin, à Bingen, haut lieu qui verra naître l’œuvre colossale de l’abbesse. A Éleusis, à Éphèse, n’appelait-on pas « abeilles » (mélissai) les prêtresses ? A l’image du monastère bénédictin de Hildegarde, la ruche est un espace sacré dans lequel règnent l’ordre, la discipline, l’infatigabilité et l’ardeur au travail, le courage aussi. A l’instar de la moniale, l’abeille accorde une grande importance à ne pas être dérangée quand elle travaille (c’est-à-dire presque tout le temps), appréciant rien moins que la propreté, la tranquillité et le silence. Tout cela concourt au bon fonctionnement de la ruche et à sa prospérité. Une chose que le monastère bénédictin du XIIe siècle partage avec les bestiaires médiévaux, c’est que l’abeille est une star, c’est-à-dire un modèle pour l’homme de par sa vertu et sa chasteté (c’est un animal qui ne s’accouple pas), « comportement admirable qui la fait comparer à la Vierge Marie, mais qui étonne également bon nombre d’auteurs. Comment un animal si fécond, si prolifique, se reproduit-il ? »3. A cette question, l’on donne une réponse empruntée à l’Antiquité grecque, puisque ce mythe de la naissance spontanée des abeilles n’est pas loin de rappeler la légende d’Aristée, un des fils d’Apollon qui élevait des abeilles. Elles périrent un jour d’un mal inconnu (on dit encore qu’il s’agirait d’une plausible maladie apportée par les dryades…). C’est en soumettant le dieu Protée qu’il parvint à obtenir la solution lui permettant de retrouver ses abeilles : pour ce faire, il lui faut offrir un taureau en sacrifice et revenir trois (ou neuf) jours plus tard sur le lieu de l’immolation. Ainsi fit-il et assista-t-il à un prodige : une nuée d’abeilles gîtait dans la carcasse de l’animal. Il rapporta l’essaim avec lui, et plus jamais les abeilles ne furent éprouvées par quelque maladie que ce soit4. On croît rêver ! Si c’est le cas, sachez que l’apparition de ces hyménoptères dans l’un de vos rêves représente un présage favorable annonciateur de paix, d’optimisme, de bien-être et de fertilité. Ah ! Quelle félicité ! Peut-être bien qu’un tel rêve surgira au sein de vos méninges dans le décor bucolique que dépeint Virgile dans Les Géorgiques : « Dans la forêt, les derniers jours d’été, quand le Soleil commence à infléchir sa course, il fait bon s’étendre sous un tilleul et s’endormir au bruit des abeilles. C’est la musique la plus douce qui se puisse entendre, une musique qui te transportera au royaume des dieux au milieu des parfums les plus agréables de la nature »5. Mais il est vrai que l’abeille est une messagère : elle est, par exemple, associée à la foudre en Égypte ancienne, et en Inde, la corde de l’arc du dieu Kama est constituée d’abeilles mises bout à bout (elles sont donc une partie de l’instrument par lequel le cupidon indien expédie ses flèches de fleurs). Cependant, plus clairement, chez les Celtes, l’abeille messagère parcourt la voie éclairée par le Soleil afin de franchir les portes du monde invisible. Médiatrice, espèce de « go between », l’abeille distille ainsi les enseignements divins au point de figurer le verbe, l’esprit, la parole émanant de l’intelligence divine (par extension, elle est le reflet de l’éloquence et de la poésie), mais avant toute chose c’est une représentation de l’âme, zéphyr qui se déplace mais ne meurt jamais : « elle est parfois identifiée à Déméter dans la religion grecque, où elle peut figurer l’âme descendue aux enfers ; ou bien, au contraire, elle matérialise l’âme sortant du corps »6. Les âmes des morts descendent de la Lune sous forme d’abeilles. Là, on touche un aspect essentiel : non seulement l’abeille représente l’âme mais également son caractère immortel que les Celtes entrevoyaient dans l’hydromel, boisson à base de miel. Elle en assurerait même la circulation, devenant alors un symbole de survie post-mortem : ainsi apparaît-elle sur les tombeaux ou à l’intérieur comme en témoignent les trois cent et quelques abeilles d’or découvertes dans la tombe de Childéric Ier (436-481), accompagnées d’une applique en forme de tête de taureau (^.^). Sans surprise, elle devient aussi un symbole de résurrection car « la saison d’hiver – trois mois – durant laquelle elle semble disparaître, car elle ne sort pas de sa ruche, est rapprochée du temps – trois jours – durant lequel le corps du Christ est invisible, après sa mort, avant d’apparaître de nouveau ressuscité »7.

Quelques-unes des abeilles de Childéric Ier.

Penchons-nous maintenant sur l’un des instruments de cette immortalité. A travers son activité de butinage, il est question de collecte, d’assemblage et de façonnage : l’abeille participe de l’Œuvre. Contrairement à la fourmi qui n’est pas ailée, l’abeille chante et danse, se dissipe en mondanités, passant d’une fleur à l’autre, alourdie de pollen mais enivrée de nectar – c’est qu’on n’attire pas une mouche avec du vin aigre ! A ce travail extérieur marqué par la multiplicité – combien de fleurs une abeille visite-t-elle par jour ? –, fait suite, au sein de la ruche maternelle, rassurante et protectrice, une activité de la plus haute importance : la sublimation « en miel immortel du fragile parfum des fleurs »8. Cette infinité de tâches, reflet extérieur d’une collectivité appliquée, organisée et soumise à des règles strictes, se destine à un seul but : la concentration mystique, intérieure et unique de cette substance aux reflets dorés. Ainsi, l’abeille, constamment, transite-t-elle du yin au yang et inversement, pour produire, union de ces deux contraires complémentaires, une substance liquide – « le miel que l’abeille distille » – et que retiennent de solides rayons de cire hexagonaux – sceau de Salomon qui rappelle, une fois de plus, le Soleil enfermé dans l’obscurité lunaire de la ruche (afin de bien appuyer sur le caractère double de l’abeille, en Inde on l’appelle bhramara, c’est-à-dire l’« errante », qui est celui qu’on applique aussi bien au Soleil qu’à la Lune ; Vishnou Hari, à la fois Lune et Soleil, est représenté par le biais d’une abeille posée sur une feuille de lotus). « Résultat d’une transmutation de la poudre éphémère du pollen ou succulente nourriture d’immortalité, le miel symbolise la transformation initiatique, la conversion de l’âme, l’intégration achevée de la personne. Il réduit en effet une multitude d’éléments dispersés à l’unité d’un être équilibré »9.

Le symbolisme du miel est aussi large que celui de l’abeille. Aussi bien nourriture que boisson, le miel est aliment premier dont l’origine divine, à l’instar de l’ambroisie, ne fait pas de doute. Goûter au miel, c’est un peu participer aux mystères divins, mais jamais plus qu’on l’imagine car avec le lait, le miel est de ces substances – divins nectars – qui s’épandent avec faste sur toutes ces terres promises sur lesquelles il est interdit aux hommes de poser les pieds. Mais de ces territoires prohibés il est tout de même parvenu quelques échos : le miel confère l’éternité, du moins une longévité augmentée : le patriarche Mathusalem, qui mangeait beaucoup de miel, aurait atteint l’âge de 969 ans. Mais ça n’est jamais qu’un personnage biblique, et cette soi-disant réputation d’élixir de rajeunissement attribuée au miel est loin de faire l’unanimité : ce qu’il apporte de supra humain est réservé aux initiés, à la manière de ces alchimistes chinois qui façonnaient des pilules de jouvence dans lesquelles le cinabre et le miel unissaient leurs forces. De là le miel aurait le pouvoir de régénération et de conservation de la vie, en tant qu’offrande puissante et propitiatoire, fécondante et fertilisante. Cette panacée sauvegarderait la santé et permettrait de guérir toutes les maladies et d’abolir toutes les douleurs, allant même jusqu’à ressusciter les morts.

En outre, il accorde les dons – poésie, éloquence, sciences, prophétie10 –, la purification des mains et de la langue (il n’y en a pas de meilleure que celle qu’on effectue avec le miel), l’accession à la connaissance et à la sagesse mystique, excellent moyen, enfin, de rejeter le mal et d’opter pour le bien, l’abeille étant issue, non pas comme la mouche et la guêpe du sérail diabolique, mais de Dieu, ce qui fait du miel un « puissant moyen d’expulser les démons du corps humain »11. Antidote face aux créatures démoniaques, le miel est, tout au contraire, substance d’amour éternel et pour cette raison il occupe une place amplement méritée au cœur du Cantique des cantiques : « Tes lèvres, mon épouse, distillent des rayons de miel. Il y a du miel et du lait sous ta langue »12. « Dans ta bouche, du lait et du miel, dans ma maison, santé et richesse », dit, en écho, une chanson italienne. (Si l’abeille est capable de tirer vengeance d’un affront qu’on lui aurait fait, elle porte généralement bonheur aux habitants des maisons qui la traitent bien.) Mais que l’on prenne garde, car avec le miel, la crainte de s’enivrer n’est jamais loin. Il en va de même avec la cire : rappelons-nous d’Icare grisé de pouvoir qui, malgré ses ailes formées de plumes fixées à son corps par de la cire, n’est pas une abeille pour oser s’approcher, présomptueux, aussi près du Soleil ! Ne savait-il pas que les seules plumes qui élèvent l’homme sont celles qui écrivent des mots, pour reprendre une des prophéties de Léonard de Vinci ? Il aurait fallu qu’une abeille le piquât pour lui ranimer l’esprit ! (Ce qui a aussi l’effet, quand c’est régulièrement répété, de soulager les douleurs arthritiques : les apiculteurs souffrent rarement d’arthrite.) De même, on attire l’attention sur le fait de ne pas faire – comme en tout – une consommation excessive de miel : qu’on se méfie de ne pas s’y empéguer, de ne pas se laisser abuser par son extrême douceur13 et son caractère séduisant « tout sucre, tout miel » : il s’agirait là autant d’un attrape-mouche que d’un attrape-nigaud, à l’image du baiser de miel de la courtisane, être mielleux auprès duquel le candide naïf vient toujours s’empêtrer.

La ruche, censée « apaiser les inquiétudes fondamentales de l’être et donner la paix »14, est aussi le lieu d’un curieux spectacle dont on connaît l’existence depuis le temps d’Aristote au moins : la danse en 8. Si l’on sait aujourd’hui qu’elle représente un moyen de communiquer à la colonie l’emplacement d’un riche gisement de fleurs source d’ivresse, l’on a pendant longtemps ignoré la fonction de cette frétillante agitation. Que les abeilles dansent donc, car sans danse pas d’extase, sans danse pas de vie ! L’observation minutieuse des Anciens les a conduits à comparer l’abeille au derviche tourneur, en particulier de la confrérie mystique des Bektachi, dont le « miel » figure la divine réalité transcendantale qu’il recherche.

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  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 237.
  2. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 265.
  3. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen Âge, p. 289.
  4. Pour comprendre cette relation de l’abeille au taureau, quelques éléments d’explication que j’emprunte à Angelo de Gubernatis : « D’après Porphyre, la Lune (Selêné) portait aussi le nom d’abeille (melissa). On représentait Selêné, conduite par deux chevaux blancs ou par deux vaches ; la corne de ces vaches paraît correspondre à l’aiguillon de l’abeille. […] Porphyre ajoute que, comme la Lune est le point culminant de la constellation du taureau (car elle est elle-même un taureau), on croît que les abeilles naissent dans le cadavre du taureau. […] Dionysos, après avoir été mis en pièces sous la forme d’un taureau, était ressuscité, d’après les initiés des mystères dionysiaques, sous celle d’une abeille » (Angelo de Gubernatis, Mythologie zoologique, Tome 2, pp. 228-229).
  5. Virgile, Les Géorgiques, IV.
  6. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 1.
  7. Ibidem, p. 2.
  8. Ibidem, p. 1.
  9. Ibidem, p. 634.
  10. Dans la Bible – Livre des Juges (IV, 4 et V, 1), une prophétesse porte un nom inspiré de celui de l’abeille : Déborah.
  11. Theodor H. Gaster, Les plus anciens contes de l’humanité, p. 134.
  12. Cantique des cantiques, IV, 11.
  13. Je ne suis pas certain, de même qu’avec le vin, que l’homme lambda puisse être à même d’en exagérer la consommation plus que son comptant : comme on l’a vu, cela est réservé aux divinités, à la rigueur aux êtres d’exception.
  14. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 834.

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Le gingembre (Zingiber officinalis)

Synonymes : amome gingembre, gingiber, zingibel, zengibel, singabera, cringavera.

Le nom du gingembre proviendrait-il, comme certains l’ont avancé, de la ville indienne de Gingee, située à l’est de Bangalore ? L’évidence n’est peut-être qu’un bête piège. Ce qui est plus assuré – et là je m’en remets à l’autorité d’un sage – c’est que le sanskrit désigne le gingembre par le mot sringavera (ou shringavera), qui veut dire : « en forme de bois de cerf », faisant référence à l’allure même du rhizome de gingembre, architecturé à la manière du glycocalyx intestinal. En tous les cas, la culture du gingembre en Inde est si ancienne (elle avoisinerait les 3000 ans d’âge), que cette plante n’y existe plus à l’état spontané. Il n’est donc pas étonnant que le gingembre fasse partie depuis des lustres de la médecine ayurvédique pour laquelle il n’est pas moins qu’une panacée. Il parvint en Égypte et intégra l’armada déployée lors des cérémonies d’embaumement, ainsi qu’à des fin médicinales. De passage en Perse, il arriva par cette voie-là aux Grecs. Mais parce qu’il était rare et onéreux, il fut peu usité. On en sait davantage sur ce point par le biais de Pline, mais surtout grâce à Dioscoride qui en donne une description assez convaincante : « Les racines de gingembre sont petites, semblables à celles du souchet, blanchâtres, odoriférantes, de saveur semblable au poivre »1. Échauffants, le gingembre était utile à l’estomac, facilitant la digestion. Mais Dioscoride ne s’étend pas davantage, concluant que, « en somme, le gingembre correspond à toutes les facultés du poivre »2. Il raconte aussi que le meilleur moyen de conserver le rhizome du gingembre sans qu’il ne se gâte, c’est encore de le confire : c’est sous cette forme qu’il parvenait jusqu’en Italie, où on le trouvait couramment sur les marchés. Alors, on se trompait au sujet de son origine (on pensait qu’il provenait d’Arabie…), mais l’on avait réfuté la croyance qui en faisait la racine du poivrier. Ce point fut corrigé par Pline, sans doute à la lecture de Dioscoride qui distinguait nettement le gingembre du poivre : il s’agit bien de deux plantes différentes et non pas de deux parties différentes issues de la même espèce. A Rome, on l’employait surtout en cuisine, à travers des recettes d’assaisonnement particulièrement relevées telles que le garum et la muria qu’affronteraient non sans appréhension nos palais modernes.

Le gingembre se répandit dans le nord de l’Europe beaucoup plus tardivement : par exemple, on sait qu’il était présent en Grande-Bretagne peu avant la conquête normande du XIe siècle. Avant cela, il s’était déjà aventuré sur le continent depuis au moins le IXe siècle : par exemple, Macer Floridus en parle pour n’en rien dire au Xe siècle. A cette époque, si l’on ne sait pas d’où il vient, on ne sait pas non plus à quoi il ressemble. Au XIIIe siècle, on sait enfin d’où il provient, mais on n’a toujours pas la fichtre idée de savoir à quoi il peut bien ressembler, mystère qui sera levé à la fin du même siècle. Et au XVe siècle, on sait aussi comment ça se cultive, ce qui en permettra l’introduction au Nouveau Monde dès les premières installations de colons aux Antilles. Aujourd’hui encore, on dit que le gingembre de la Jamaïque est le meilleur du monde. Ce qui risque de passablement agacer le cuisinier médiéval qui en met à peu près partout : à la pincée, à la pointe du couteau, par ¼ ou ½ cuillerée, le gingembre est abondamment convié : dans les potages et brouets, les entrées à base d’œufs, la quasi totalité des recettes de poissons (d’eau douce, alors), de viandes pour beaucoup d’entre elles, y compris les volailles diverses et variées (oie, coq, canard) et le gibier. Seuls les légumes semblent échapper à cette « manie » et les desserts abordés avec circonspection. En revanche, les sauces accueillent force poudre « zinzibérine » (jance, saupiquet, cameline, quatre épices), laquelle s’invite encore dans les vinaigres pour les aromatiser et les vins surtout, ceux qui sont épicés et poivrés étant fort en usage. « On prenait dès le matin les épices, comme on prend aujourd’hui le café au lait »3 ou le cacao. Il faut dire que le gingembre était importé en grosses quantités par les commerçants vénitiens qui le débitaient aussi confit sous le nom de gingerbras, la demande répondant favorablement à l’offre, laquelle avait bien compris que le gingembre était parfaitement apte à ravir les papilles gustatives qui dégustent de ces plats dont l’énoncé du seul nom peut faire croire qu’on se trouve dans un autre pays (galimafrée, dodine de verjus, arbaleste de poissons, grave d’écrevisses, etc). « On aime à l’époque les pâtés et les tartes ; on prépare toutes sortes de viandes farcies dans lesquelles chair et mie de pain sont pilées plutôt que hachées, et des sauces à base de chapelure plutôt que de farine et d’œufs ; elles sont toujours relevées de quantité de condiments dont l’usage a stimulé de façon incroyable le commerce des épices »4.

Mais le seul gingembre culinaire ne saurait contester nos appétits et notre soif de connaissance, n’est-ce pas ? Passons donc de la cuisine à l’infirmerie où se déroulait, durant le Moyen âge, une autre forme de tambouille, pas moins intéressante, dans laquelle coexistent des faits singuliers tout à fait d’actualité ainsi que des anecdotes qui font le charme de la période qui les a vu naître.

Sachons tout d’abord que si le gingembre était aussi recherché que le poivre, il était autant usité que la cannelle, ce qui renseigne d’emblée sur sa cherté : on dit, dans certaines chroniques, qu’une livre de gingembre coûtait aussi chère qu’un mouton ! A ce tarif-là, mieux valut que le gingembre ait de solides raisons de se faire bien voir ! Voyons donc ce que Macer Floridus lui réserve : « Comme les médecins reconnaissent au gingembre des propriétés médicales analogues à celles du poivre, je m’abstiendrai d’en parler ici »5. Hop, pirouette ! Eh bien, heureusement qu’on ne compte pas sur lui pour connaître le rôle thérapeutique du gingembre au Moyen âge ! Bon. Jetons donc un œil du côté de l’école de Salerne. Peut-être sera-t-elle moins avare d’informations, qui sait ? En quatre vers pas franchement rutilants, elle explique que :

« Avant l’accès prenez de gingembre une dose

Prenez-le même après : s’il est réitéré,

Il chasse, il déracine un mal invétéré,

Et guérit le dégoût que la fièvre vous cause ».

Mouais. Pas folichon et guère plus détaillé qui plus est. Reste maintenant à vérifier ce que Hildegarde a à nous dire au sujet du Ingeber (apparemment, le copiste a zappé le z). Pour Hildegarde, le gingembre est tout à fait chaud, ce qui est un parfait premier bon point. Mais elle attire notre attention : il se réserve uniquement au malade. En effet, « un homme en bonne santé et gras n’a pas intérêt à en manger, car il rend stupide, ignorant, tiède et lascif »6. Genre pacha, quoi ! Sa tonicité ne saurait se réserver qu’au faible ! Tant il est vrai que le bien-portant n’est pas incommodé par les troubles de la digestion (maux d’estomac, constipation, aigreur d’estomac, colique, lourdeur après repas), les éruptions cutanées, non plus que les irritations oculaires. (L’eau distillée de gingembre est réputée comme puissant ophtalmique.) A toutes ces choses, Hildegarde réserve le gingembre, de même que face aux fièvres, à la goutte et aux parasites. Au registre des étrangetés, on confine le gingembre au rôle d’anti-hystérique (quoi que cela puisse vouloir dire…) et de préservatif contre la peste (face à une épidémie de peste survenue à Padoue, il aurait suffit de régulièrement mâcher du gingembre pour se soustraire au souffle délétère de la maladie). Enfin, information autrement plus intéressante : sans doute la première relation de la nature luxurieuse du gingembre par Platearius au XIIIe siècle : il « prescrit, ‘pour faire gésir7 une femme’, un électuaire qui associe le panais au gingembre, au poivre, à la muscade et au galanga ». Ce qui n’est pas mal pensé car, poursuit-il, le panais et le gingembre sont des racines qui « émeuvent luxure »8. Cela apparaît comme une mention isolée, puisqu’il ne sera plus fait référence à cette propriété que l’on pourrait qualifier d’aphrodisiaque dans les siècles suivants (à l’exception de notre époque contemporaine). Il reste cependant peu usité en médecine et s’il est encore d’usage courant en cuisine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il se fera détrôner par le poivre que, souvent, colporteurs et merciers de village mêlent, sans malice, au gingembre, alors que dans le monde germanique et anglo-saxon, l’affection qu’on lui porte ne se dément pas. Mais s’il semble ne se borner qu’à un seul rôle culinaire ou presque, certains n’hésitent pas à le bannir de leur table en raison de son âcreté, aux dires de Jean-Baptiste Chomel. Malgré cette désaffection, nous pouvons rendre grâce aux propriétés du gingembre telles qu’on les établit au XVIIIe siècle : le gingembre est un stimulant et un tonique très énergique (au point de pouvoir en être irritant), actif sur la sphère gastro-intestinale (il est apéritif, stomachique et carminatif) et bénéfique au système locomoteur (en tant qu’anti-arthritique et anti-rhumatismal). Sudorifique et calorigène, il permet de réchauffer le corps des vieillards. Enfin, à l’instar du citron, on le croit efficace pour lutter contre le scorbut.

Afin de contrecarrer les dérives à même d’entacher la bonne réputation du gingembre, convoquons auprès de nous le sieur Pierre Pomet qui, en tant que marchand d’épices parisien (entre autres), dut faire prévaloir toute sa sagacité pour déjouer les pièges tendus par les faussaires. C’est pourquoi, dans son livre, il insiste sur les principaux critères qui permettent de distinguer une drogue de belle qualité d’une autre mauvaise. Ainsi dit-il du gingembre : « On doit choisir le gingembre nouveau, sec, bien nourri, difficile à rompre, d’un gris rougeâtre au-dessus, résineux au dedans, d’un goût chaud et piquant ; et rejeter ces gingembres d’Angleterre qui sont molasses, filandreux, blancs par dessus et au dedans […], si filandreux qu’il est presque impossible de les réduire en poudre »9. Pomet expliquait encore qu’on donnait alors au gingembre le nom latin d’Arundi humilis clavata radice acri, c’est-à-dire de « petit roseau à massue dont la racine est âcre ». Derrière cette apparent amphigouri, on a au moins l’occasion de percevoir que l’idée qui faisait du gingembre la racine du poivrier – par communauté de saveur, j’imagine – avait été abandonnée depuis longtemps comme l’on sait.

Endémique à une large zone géographique comprise entre l’Inde et la Chine, tout en faisant un crochet par l’archipel indonésien, le gingembre est un hôte des sols riches et humides partiellement ombragés des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est. Vivace de 50 à 120 cm, son rhizome traçant, proche de la surface de la terre, est une tige souterraine tubéreuse et articulée, charnue et noueuse, succulente, de couleur jaune pâle à citron, plus ou moins fibreuse selon l’âge. De ce lacis souterrain émergent des tiges foliaires simples, dressées et cylindriques, vêtues de feuilles lancéolées et engainantes (à la façon de celles de la canne de Provence) d’une part ; d’autre part, des hampes florales plus robustes achevées au sommet par cette « massue » dont parlait Pomet, conglomérat de bractées membraneuses imbriquées les unes dans les autres, tout d’abord verdâtres, puis teintes d’un rouge plus ou moins éclatant. C’est sur cette masse que sont réunies des fleurs irrégulières blanches, jaunes (ou jaune verdâtre), à lèvres rouges, composées d’un double calice (l’extérieur est trifide, l’intérieur compte quatre divisions). A chaque pistil succède une capsule ovale à trois loges remplies de semences noires de saveur amère et aromatique.

Le gingembre est cultivé dans bien des pays du monde maintenant : en Asie (Chine, Inde, Philippines), en Amérique du Nord (Antilles, Hawaï), en Afrique et en Océanie. En France, des essais furent tentés, infructueux on s’en doute bien.

Le gingembre en phytothérapie

Bien qu’elle demeure de l’usage anecdotique, l’huile essentielle de gingembre me semble plus documentée que le rhizome duquel on la tire alors qu’on utilise plus facilement et librement ce dernier. C’est pourquoi nous mettrons l’accent sur l’aspect phytothérapeutique du gingembre, aux dépens de ses fonctions aromathérapeutiques qui ont, de toute façon, déjà été traitées ailleurs. Sachons simplement qu’en aromathérapie, on distille aussi bien les rhizomes secs et pulvérisés après qu’ils aient perdu 90 % de leur masse que les rhizomes frais (comme on le fait chez Astérale). Cela permet d’obtenir un produit assez différent, plus éclairé, délesté d’un poids et moins terreux/agglutiné/recroquevillé sur lui-même, si vous voyez ce que je veux dire… Eh bien, l’on observe le même phénomène entre un rhizome frais et sa poudre sèche. A l’état frais, la saveur âcre et piquante du gingembre s’accompagne de quelque chose situé à mi-chemin entre le poivré et le citronné (ce qui est inexact : on ne fait que se raccrocher aux branches à l’aide d’un verbiage plus ou moins efficace – surtout inefficace quand on a affaire aux odeurs). On ne se trompera pas en affirmant à quel point ce parfum, cette saveur, sont chauds ! C’est une chaleur presque identique, quoique augmentée, que l’on retrouve dans la poudre de gingembre séchée (à condition qu’elle ne date pas de l’an 40, auquel cas il y a de fortes chances pour que, éventée, elle ne sente plus grand-chose et ne se destine plus, de fait, à quelque exploit). Cette chaleur accrue n’est pas un leurre : dans la racine sèche, il s’y forme des composés phénoliques que l’on appelle shogaols, qui sont plus âcres et plus irritants encore que les composants contenus dans la racine fraîche et qui lui confèrent sa tonalité piquante : les gingérols et les paradols, d’autres composés phénoliques.

Ceci étant établi, passons en revue les divers autres composants biochimiques qui constituent le gingembre : beaucoup d’amidon (50 %), des lipides (3 à 8 %), des sucres, une essence aromatique (1 à 3 %), des acides (cinnamique, gingersulfonique, pipécolique), des flavonoïdes et des vitamines (A, B3).

Propriétés thérapeutiques

On les considère semblables à celles du poivre et du piment.

  • Anti-infectieux : antibactérien (Bacillus subtilus, Bacillus anthracis, Escherichia coli, Salmonella tiphi, Proteus mirabilis, Staphylococcus aureus), antifongique, antiviral (rhinovirus, chikungunya, grippe, herpès, hépatite virale), antiparasitaire (bilharziose), antiseptique
  • Excitant général de l’appareil digestif, apéritif, carminatif, stomachique, aide à la digestion des graisses, sialagogue, cholagogue, augmente le péristaltisme intestinal, anti-émétique
  • Stimulant, tonique, immunostimulant
  • Anti-inflammatoire puissant, antalgique
  • Stimulant de la micro-circulation au niveau des capillaires, hypertenseur, cardiotonique, anti-thrombotique, hypocholestérolémiant
  • Anti-oxydant, protecteur de l’ADN
  • Fébrifuge, sudorifique
  • Pectoral, antitussif, sternutatoire
  • Hépatoprotecteur, antidiabétique
  • Antirhumatismal
  • Excitant de l’appareil génital, échauffant, augmente la production d’hormones mâles et la quantité de sperme
  • Diurétique
  • Ophtalmique
  • Anti-migraineux
  • Antiscorbutique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, infections gastro-intestinales par intoxication alimentaire, dysenterie bacillaire, diarrhée, digestion pénible, colique, nausée (du matin, post-opératoire, de la grossesse, de la chimiothérapie), mal des transports (par mer, air, automobile), flatulences
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, toux, aphonie, gorge enflammée, rhume, états grippaux et fiévreux, refroidissement (Comme nous le verrons dans le paragraphe dédié au gingembre abordé selon le point de vue de la médecine traditionnelle chinoise, le gingembre offre une véritable protection contre le froid, surtout quand celui-ci s’est faufilé à l’intérieur de l’organisme et qu’il se traduit par des mains froides, un pouls faible et une pâleur du visage et des lèvres.)
  • Troubles de la sphère génitale masculine : asthénie, panne sexuelle, impuissance
  • Troubles de la sphère génitale féminine : dysménorrhée, prévention et traitement du cancer de l’ovaire
  • Troubles locomoteurs : douleur rhumatismale chronique, douleur musculaire, lumbago, névralgie
  • Troubles bucco-dentaires : maux de dents, infection de la muqueuse buccale
  • Troubles du système nerveux : sénescence, perte de mémoire, asthénie psychique
  • Circulation capillaire déficiente
  • Engelure, petite blessure
  • Cataracte

Le gingembre en médecine traditionnelle chinoise

Confucius (551-479) louait les vertus tonifiantes et stimulantes du gingembre, plante médicinale de saveur piquante et dont la nature est considérée comme légèrement tiède à chaude selon la manière dont on le prépare. Le gingembre du premier type est celui que nous trouvons chez le marchand de fruits et de légumes, entre les bananes plantains et les fruits de la passion. Alors que celui du second se prépare comme suit : il faut empaqueter soigneusement un rhizome de gingembre de six épaisseurs de papier absorbant, après quoi on humecte intégralement le tout et on le place au four jusqu’à ce que la chaleur, desséchant le papier, le fasse jaunir. Ainsi obtient-on ce gingembre de seconde catégorie qui voit de fait son caractère igné augmenter. La seule différence entre les deux se jouent essentiellement là, car, par ailleurs, nous les voyons agir tous deux sur les mêmes méridiens : tout d’abord ceux liés au principe de la Terre (Estomac, Rate) qu’ils réchauffent, celui du Poumon dont ils tonifient l’énergie, enfin celui du Rein dont ils stimulent l’énergie. En clair, tout cela concourt en tout premier chef à éliminer le froid excessif et l’humidité qui règnent sur les voies digestives et pulmonaires, la tête et les articulations, en facilitant la circulation sanguine et celle de l’énergie Yang dans le corps qui, dans la plupart des cas, vient à manquer, ce qui peut être corrigé en évinçant les aliments crus et froids et en privilégiant entre autres le gingembre que l’on peut absorber aussi bien cru que cuit, frais que sec. Si on le râpe, on en peut faire une infusion ou une décoction, on peut le confire, le faire sécher et le réduire en poudre, en élaborer une teinture alcoolique, toutes préparations assez similaires à ce qu’on a pu faire en Occident, à l’exception de celle-ci : on fait chauffer un rhizome à four doux, on l’enveloppe d’un linge puis on l’applique localement, aussi bien pour calmer les affections gastriques que les troubles locomoteurs. Comme à chaque perturbation énergétique d’un méridien – stagnation ou vide de l’énergie qui habituellement le baigne et l’irrigue – correspondent un certain nombre de bouleversements organiques, nous pouvons déduire de ce que nous savons que le gingembre est un remède intervenant avec beaucoup d’efficacité sur la sphère gastro-intestinale (gastrite, douleur stomacale et abdominale, nausée et vomissement, hématémèse, diarrhée même très liquide, ballonnement, intoxication alimentaire), respiratoire (toux glaireuse et chronique, grippe et rhume accompagnés d’un état fébrile), cutanée (sécheresse de la peau des mains) et locomotrice (lombalgie, rhumatismes : en Chine, une consommation régulière de gingembre est concomitante à un faible taux de rhumatisants dans la population).

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Plante de l’énergie vitale aussi bien physique que psychique, les qualités du gingembre sont reconnues depuis 3000 ans. Il fluidifie cette énergie et évite l’installation de nœuds énergétiques en divers endroits du corps.

Il stimule et tonifie, dissout les blocages et la (f)rigidité. Équilibrant du système nerveux, il apaise et détend, il est particulièrement propice à la méditation.

Le gingembre réchauffe l’énergie du ventre et des intestins, par ailleurs, il est particulièrement connu pour ses effets aphrodisiaques. Bien qu’étant considéré comme une plante masculine, il n’est pas impossible de l’utiliser pour réaliser un parfum rituel destiné aux femmes.

Dans quel cadre l’utiliser : manque d’entrain, de vigueur et de rigueur, lorsqu’on sent à l’intérieur de soi une sensation d’inconfort, quand les actes du quotidien deviennent difficiles à réaliser, quand on a du mal à digérer certaines épreuves de la vie, en cas de perturbations liées à la sexualité, pour accompagner un rituel de fertilité ou de fécondité, pour accompagner un rituel amoureux, pour dissiper les zones d’ombre en soi-même (qui se transposent au corps en certains points douloureux), pour favoriser la souplesse spirituelle.

Modes d’emploi

  • Infusion : compter 4 à 10 g de gingembre frais râpé dans 0,50 litre d’eau chaude.
  • Teinture : compter 60 g de gingembre coupé en tranches fine en macération alcoolique dans un litre d’alcool à douce chaleur pendant huit jours. A l’issue, filtrer et ajouter 125 g de sucre (ou de miel). Variante : même quantité de gingembre dans un litre de vin rouge durant trois semaines. A l’issue, même opération. Autre : vin stomachique de Desbois de Rochefort : racine d’aunée (8 g), racine de raifort (8 g), racine de gingembre (4 g), romarin (¼ de poignée), absinthe (¼ de poignée), menthe verte (2 pincées). A faire macérer pendant 15 jours dans une pinte de vin rouge. Afin de renforcer le caractère roboratif de la mixture et faire mériter au gingembre son statut de plante de Mars10, on peut plonger dans cette macération 150 g de limaille de fer – si vous avez ça dans vos placards, sait-on jamais ! Ah, ah ! Sinon, vous pouvez amplement vous en dispenser ^.^
  • Poudre de gingembre : à réaliser soi-même (c’est long) ou à se procurer dans le commerce toute prête. Une préparation très simple pour lutter contre le froid intérieur consiste en ceci : ½ cuillerée à café de poudre de gingembre et ½ cuillerée à café de poudre de curcuma pour la valeur d’une tasse (style mug). Délayer avec un peu d’eau chaude comme on le ferait du cacao puis remplir la tasse aux ¾. Compléter avec du lait d’amande, par exemple. On peut composer une potion du même acabit avec de la poudre de gingembre et de la poudre de feuilles de basilic tulasi (même quantités que précédemment).
  • Formule aphrodisiaque du père Blaize : poudres de gingembre, de ginseng, de sarriette, de romarin et de cannelle, pour chacune 20 g. Bien mélanger. A incorporer (à raison d’une cuillerée à café du mélange par dose unitaire) à un yaourt ou une compote, par exemple.
  • Liniment de Valnet (inspiré par H. Leclerc) : à 500 ml d’alcoolat de romarin, mêler 180 g de teinture-mère de gingembre, 6 g d’huile essentielle d’origan, 6 g d’huile essentielle de genévrier, 3 g d’huile essentielle de cyprès et 12 g d’huile essentielle de térébenthine. En frictions régulières sur les zones douloureuses (rhumatismes, arthrite, lumbago, etc.) pendant deux à trois semaines.
  • Gingembre frais à mâcher. On peut le préférer confit, mais en cette circonstance, chaque morceau dure généralement moins longtemps en bouche : c’est qu’on glisse de la préparation pharmaceutique à la confiserie, au point de s’inventer des maladies imaginaires dans le seul but de satisfaire sa gourmandise ^.^
  • On pourrait encore continuer longtemps tant la pharmacopée des siècles passés a fait un large usage du gingembre. Pour achever ici mon petit inventaire – parce qu’il faut bien en finir (pour mieux recommencer ^.^) – voici une recette empruntée à Joseph Roques que je cite dans le texte. Il appelle cela des « pastilles excitantes ». Peut-être s’agit-il de la même chose que ce que l’on désignait par le nom très suggestif de « diablotins » ou pastilles aphrodisiaques de Naples. Voici : « Prenez : gingembre, deux gros ; safran oriental, un gros ; girofle et musc, de chaque demi-gros ; mastic, trois gros ; ambre gris, douze grains. Mêlez avec demi-livre de sucre, et faites des pastilles d’un gros chacune. On en prend deux, trois et quatre par jour »11. Si vous voulez vous amuser en réalisant cette recette – bon courage pour dégotter musc et ambre ! – rappelez-vous qu’un gros, c’est 3,824 g, un grain, un soixante-douzième de gros, soit 0,053 g et qu’une livre équivaut à 489,503 g. Roques à l’air de douter de l’efficience et des vertus exaltantes du gingembre. Pourtant, il y figure en aussi bonne place qu’une bande de satyres débauchés à l’assaut de nymphes accortes ! Voici ce qu’il ajoute : « Ces pastilles ne valent pas mieux que quelques autres compositions dont on a prôné les miracles. Si par hasard quelque malheureux lecteur se trouvait insensible, et s’il lui prenait fantaisie d’en faire usage, qu’il sache bien que tous les stimulants n’ont qu’un effet secondaire sur certains organes ; qu’ils agissent d’abord sur les tissus digestifs, qu’ils les irritent et peuvent même les enflammer. C’est dans un bon régime, dans un choix d’aliments substantiels, dans un exercice convenable, et dans une vie réglée, qu’il trouvera le véritable remède, si son accident est guérissable »12. Pas toujours drôle, le père Roques… Il ne partageait assurément pas certaines pratiques qui, s’il en avait eu connaissance, n’auraient pas manqué d’être rangées au registre des sauvageries : par exemple, il devait ignorer qu’en quelques contrées d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Guinée), les femmes enfilent des rhizomes de gingembre sur une ficelle, ce qui constitue là une véritable ceinture d’Aphrodite dont le but avéré est d’éveiller les sens trop assoupis de leurs maris. Le gingembre n’est-il pas, de toute façon, un boute-en-train (quelle image !), à la manière dont l’entend le maquignon (et non le noceur) ? N’utilise-t-on pas, aux dires de Leclerc, de la poudre de gingembre « comme topique rectal pour forcer les chevaux à relever la queue » ? Alors, si ça marche pour le premier canasson venu, pourquoi pas avec l’homme, hum ? Le gingembre n’est-il pas aphrodisiaque ? Que doit-on déduire de ce qu’écrit Roques ici même : « On peut le conseiller sans risque à ceux qui ont la fibre molle, le tissu cellulaire lâche, la sensibilité obtuse, l’estomac paresseux »13. La fibre molle ! Faut-il faire un dessin ? ^.^ Il passerait même pour beaucoup plus que cela : « On croit qu’il ranime tous les sens, qu’il dispose à l’amour, qu’il rend plus aimable, et donne de l’esprit […]. Mais l’esprit ne manque point en France […]. Qu’on nous donne seulement quelque plante qui ramène chez nous le bon sens »14. Ah, de cela, on manque toujours. Regardez donc dans quel état se trouve l’Occident ! Je n’imagine pas que le seul gingembre puisse résoudre l’épidémie de bêtise qui en fait vaciller les bases depuis plusieurs décennies. Tout au contraire, il aurait pour effet d’échauffer encore plus les esprits, déjà que !… Et puis, Roques avertissait : « Que les hommes irritables, bilieux, vifs, pétulants, enclins à la colère, se gardent d’en faire usage ! »15. Bon, changeons de sujet, je sens qu’on diverge grandement !…

Note : après qu’on ait pu vérifier que le Moyen âge s’en était donné à cœur joie question gingembre, nous pouvons avoir l’occasion de constater, à la lecture de la petite liste sélective qui suit, que les médecins, chimistes et autres apothicaires, furent, eux aussi, particulièrement prolixes et imaginatifs à travers l’élaboration de recettes dont beaucoup ne trouvèrent pas un très long écho dans les labyrinthiques corridors de l’histoire médicale. Sans entrer dans les détails de leur composition et des affections auxquelles elles pouvaient répondre, donnons-en simplement les noms dont l’énoncé peut nous faire plonger dans un monde inconnu depuis longtemps englouti : électuaire de satyrio, électuaire caryocostin, électuaire de citro, électuaire diacarthami, confection Hamech, diaphénic, bénédicte laxative, sirop de stoechas, trochisque d’agaric, pilules fétides. En guise de conclusion, affectons à cette liste de recettes qui contiennent toutes du gingembre, quatre autres fort célèbres et que l’histoire n’a pas jetées aux oubliettes : la thériaque, le mithridate, le diascordium de Fracastor et le baume de Fioravanti.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Le gingembre, qui se repique en avril et en mai, s’arrache après floraison, soit d’octobre à janvier, c’est-à-dire cinq à dix mois après plantation. On le gratte, on le lave, on l’expose au séchage en plein soleil pendant deux à trois jours. Parfois, on ébouillante les rhizomes, on les pèle puis on les fait sécher. D’autres méthodes permettent de conserver l’intégralité des vertus du gingembre frais (ou presque) : en les préparant au vinaigre (à la façon du gingembre confit qui accompagne les sashimi) ou à la saumure.
  • Usages condimentaires : fort en vogue chez les Hollandais, les Anglais, etc., soit auprès de toutes ces puissances économiques qui occupèrent plus ou moins longuement les zones géographiques d’origine du gingembre. La colonisation raconte l’histoire du gingembre : convoité par les Pays-bas et la Grande-Bretagne (compagnies orientales des Indes néerlandaises et britanniques), il se déplaça en Amérique à la faveur de la venue des colons sur ces territoires, s’installa à la Jamaïque, avant de rebrousser un peu chemin, en direction de l’Afrique de l’Ouest (Cameroun, Sierra Leone, etc.). Il participe donc aux cuisines d’exportation (Grande-Bretagne, États-Unis, Australie), chose particulièrement visible dans un grand nombre de boissons : c’était le cas en d’autres temps, ça l’est encore en ces nouvelles occasions de briller. Ainsi participe-t-il aux ginger wine, ginger champagne, ginger brandy, jamaïca ginger, ginger ale et, très connu, ginger beer dont Joseph Roques nous renseigne sur le mode de fabrication : « Prenez, sucre de première qualité, trois livres ; citrons bien frais , douze ; crème de tartre très pure, trois onces ; teinture de gingembre, deux onces ; eau filtrée, seize pintes. Enlevez l’écorce des citrons, de manière qu’il ne reste plus que les cellules dans lesquelles est renfermé le suc ; puis coupez-les par tranches très minces. Cassez le sucre par morceaux, et réduisez-le en pâte grossière, avec les tranches de citron et la crème de tartre pulvérisée finement ; versez enfin par-dessus l’eau filtrée chaude, et ajoutez le zeste de deux citrons pour aromatiser. Laissez macérer le tout pendant vingt-quatre heures, en agitant de temps en temps. Passez ensuite à travers un linge ou un tamis de crin à mailles serrées ; ajoutez la teinture de gingembre, et mettez la liqueur dans des bouteilles, ou mieux, dans des cruchons de grès, qui doivent être hermétiquement bouchés, solidement ficelés et descendus à la cave où vous les placerez droits et non couchés. Au bout de huit à dix jours la fermentation aura lieu, le ginger beer sera fait et parfait »16. Outre ces recettes liquides, le gingembre s’invite dans nombre de douceurs : puddings et entremets, marmelades et compotes, pâtisseries (à l’image des gingerbread, en forme de bonhomme souriants, ou autres pains d’épices). Cela ne saurait fait oublier la cuisine asiatique qui se sert du gingembre depuis bien plus longtemps que ça, bien entendu : de l’Inde au Japon, en passant par l’Indonésie et la Thaïlande, on ne compte plus les très nombreuses recettes dans lesquelles le gingembre participe plus ou moins activement (courts-bouillons, marinades, recettes à base de riz, de poisson, desserts, poudres d’épices : colombo, curry, quatre épices).
  • Le gingembre est contre-indiqué toutes les fois où l’on est confronté à un état inflammatoire (ulcère stomacal, inflammation intestinale), à une hypertension ou une tension trop marquée, etc.
  • Autres espèces : – le gingembre japonais ou myōga (Zingiber mioga) : on en consomme les boutons floraux et les jeunes pousses ; – le gingembre ruche (Zingiber spectabile), plante médicinale du Sud-Est asiatique ; – le gingembre coquille (Zingiber zerumbet) aux usages culinaires et thérapeutiques assez similaires à ceux du gingembre officinal ; – le gingembre bleu : c’est ainsi qu’on appelle le gingembre officinal que l’on cultive à Madagascar. A l’instar du camphrier qui n’y produit pas de camphre et qu’on a baptisé ravintsara pour l’occasion, le gingembre bleu est ainsi nommé en raison de l’aspect bleuté que prend son rhizome quand on le coupe. Il y a opportunité de confusion avec une autre plante chinoise, le Jiaogulan ou herbe de l’immortalité (Gynostemma pentaphyllum) qu’inexplicablement l’on appelle aussi gingembre bleu, de même que cette plante brésilienne qui n’a pourtant aucun rapport avec lui, le blue ginger (Dichorisandra thyrsiflora).

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  1. Dioscoride, Materia medica, II, 152.
  2. Ibidem.
  3. Émile Gilbert, La pharmacie à travers les siècles, p. 97.
  4. Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, p. 94.
  5. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 167.
  6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 29.
  7. Gésir : accoucher. Donc, cela implique de la faire tomber enceinte sans doute à l’aide de la mixture proposée.
  8. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 115.
  9. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 61.
  10. Le gingembre, à l’état sec, apparaît parfois dans des recettes d’encens à brûler, par exemple en mélange avec l’opoponax, le sang-dragon et la gomme arabique, formant un quadrige martien à même d’invoquer/convoquer les ascendances puissantes liées à la planète rouge.
  11. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 471.
  12. Ibidem.
  13. Ibidem, Tome 4, p. 67.
  14. Ibidem.
  15. Ibidem.
  16. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 263-264.

© Books of Dante – 2022

Le citron (Citrus limon)

Lorsque vous considérez d’un œil habitué les banales piles de citrons qui ne manquent chez aucun marchand de fruits et légumes, vous pouvez très légitimement tiquer si jamais on vous glisse – en guise d’origine, étiquette à l’appui – le sous-continent indien, tant l’on est habitué à lire plutôt des mots comme « Espagne » ou « Sicile », indéfectiblement associés au citron comme des atomes crochus. Pourtant, bien avant avoir fait étape dans ces sites de villégiature, le citron ne remontait pas plus haut que l’Himalaya, à ses pieds ou peu s’en faut pour être exact. En tous les cas, dans les contreforts du Cachemire existe un citronnier sauvage dont on nomme le fruit limung, présent également dans la chaîne des Satpura au centre de l’Inde et tout le long de la côte occidentale, c’est-à-dire dans les Ghats bordant le plateau du Deccan et faisant face aux Ghats orientaux. Avant même de filer en direction de l’est, le citron s’est auparavant rendu auprès des Chinois plus proches : il serait parvenu chez eux il y a environ 4000 ans, s’installant non loin de cette ville du sud actuel de la Chine qu’est Guangzhou (Canton). Côté ouest, la littérature explique que le citron aurait fait premièrement escale en Mésopotamie avant de pousser plus loin en direction des territoires détenus par les Mèdes, c’est-à-dire ce que l’on appela aussi la Perse. On marque au Xe siècle la diffusion du citron à l’ensemble du bassin méditerranéen par le biais des marchands arabes qui en propagèrent le commerce puis la culture. Or, comment se fait-il, contrairement aux Espagnols qui utilisent le mot limon et les Anglais lemon, qu’en France l’on se soit concentré sur la racine citrus beaucoup plus ancienne que cette introduction arabe du citron au Xe siècle ? « Le genre botanique qui rassemble toutes ces espèces est Citrus, du grec kitron, déjà employé au IIe siècle avant J.-C. par Pamphilos d’Alexandrie. Le citronnier était-il cultivé au Moyen-Orient et les auteurs gréco-romains avaient-ils entendu parler d’arbres prestigieux d’Extrême-Orient par les marchands arabes et persans ?»1. Excellente question ! Pline a beau évoquer le cas d’un citrus medica, Théophraste celui d’une pomme de Médie, il y a tout lieu de voir ici non pas le citronnier mais le fruit du cédratier. C’est pourquoi lorsqu’on considère la plupart des grands auteurs des mondes grec et latin ayant vécu plus ou moins autour de la naissance du Christ, il ne peut être question, dans leurs écrits, de citron mais de cédrat, à l’instar de Virgile qui fait référence à ce fruit dans Les Géorgiques : « La Médie produit cette pomme salutaire dont les sucs amers et la saveur persistante composent une vertu sans pareille pour chasser des membres de la victime le noir poison que de cruelles marâtres ont versé dans une coupe, en y mêlant des herbes et des paroles maléficieuses »2. Certains, naïfs, ont cru y voir un citron. Mais l’on sait bien que la pomme de Médie, c’est le cédrat, non pas le citron. De là chanta-t-on les vertus salvatrices et antivénéneuses du citron et loué utilement sa capacité à remédier à l’action nocive des poisons (les noirs poisons versés dans une coupe dont parle Virgile sont peut-être une métaphore : des paroles fielleuses ne sont-elles pas poison ? Le pavillon de l’oreille ne forme-t-il pas une coupe ?). A ce titre, on l’intégra même dans la thériaque, célèbre contrepoison ! Pour plaider en faveur de cette miraculeuse propriété, faisons encore appel à quelque passage du Grand Albert : « Démocrite raconte dans le troisième Livre d’Athénée une chose fort remarquable de la vertu du citron, qu’il dit avoir apprise d’un de ses amis alors gouverneur de l’Égypte. Ce gouverneur avait condamné aux aspics suivant les lois du pays deux criminels ; ce supplice était ordinaire et commun parmi les Égyptiens, surtout lorsqu’ils voulaient faire mourir quelqu’un sans douleur. Comme on menait ces pauvres criminels au supplice, une fruitière étant sur le passage, émue de compassion leur donna un citron qu’ils mangèrent. Ayant été exposés aux aspics et même piqués, le venin ne leur fit aucun mal et ils n’en moururent point, ce qui étonna et surprit le juge ; mais comme on lui dit qu’on leur avait donné un citron, il les fit ramener le lendemain et avant de les exposer, il en fit manger à un et point à l’autre ; celui qui en mangea ne reçut aucun mal, au contraire l’autre mourut sur-le-champ »3. En tous les cas, ce statut d’antipoison propre au citron semble découler de sa nature yang de par la nature chaude qu’évoque Marsilio Ficino au XVe siècle, expliquant qu’elle convient aux tempéraments froids (yin), alors qu’en ce qui concerne la rose, la violette et le camphre surtout, c’est tout le contraire. Parce que yang et chaud, le citron a été désigné comme fruit solaire et jupitérien, propre aux constellations du Lion et du Bélier, tous deux signes de Feu.

Présent en Syrie et en Palestine du temps des croisades, son irruption en Sicile est presque quasi immédiate, se situant autour de l’an 1200, s’aventurant à Palerme puis à Florence au milieu du même siècle (belle cité toscane où je me rappelle l’avoir croisé dans le parc où siège cette monumentale fontaine dont j’ai depuis oublié le nom). Puis le citron opéra une reptation en mode farniente jusque dans le sud de la France, obliqua en direction de la péninsule ibérique et saupoudra ses zestes sur tous ces confettis éparpillées çà et là au large de l’Afrique (Canaries, Açores).

Du fait de cet atterrissage ibérique, l’on peut mieux comprendre le rôle du citron au sein du folklore religieux catalan pour lequel le citron est ni plus ni moins qu’une création diabolique, à l’inverse de l’orange miraculeuse et divine visible au sein du couvent de l’église Sainte-Sabine de Rome que saint Dominique, natif d’Espagne, aurait placée là au début du XIIIe siècle. Vaine contrefaçon d’une orange, ni doux ni sucré comme elle, mais tout au contraire âpre et amer, le citron est encore affublé d’un coloris par lequel on désignait autrefois la traîtrise, l’infamie et le mensonge. Mais le citron s’est depuis surpassé, laissant derrière lui ce douloureux écueil qui n’est jamais que du seul ressort de l’être humain. Ayant lutté face à ce désaveu, le citron trouva sa juste place en médecine, tout d’abord du temps d’Avicenne, c’est-à-dire il y a près de 1000 ans, qui le préconisait à travers les affections gastro-intestinales (faciliter la digestion, faire cesser les vomissements) et hépatiques (ictère). Bien plus tard, on lui accorda une fonction diurétique et à même de combattre les émanations pestilentielles, comme en témoigne cette recette de « baume excellent pour se garantir de la peste » lisible dans le Petit Albert, ou bien cette habitude, en période épidémique, qu’on avait de piquer de clous de girofle un citron afin d’écarter de soi les miasmes vaporeux. Mais ce qui me paraît être un fil conducteur qu’une aiguille invisible dirige à travers tous ces siècles, c’est la réputation cordiale du citron, c’est-à-dire qu’il porte au cœur son action puissante pour en calmer non seulement les palpitations mais aussi ses émois, à l’image de ce que l’on peut lire dans l’un des volumes de Roques : « il faut remuer, agiter le malade, le frotter d’eau de Cologne ou autre eau spiritueuse ; ces moyens simples suffisent quelquefois pour rétablir les mouvements du cœur »4 et entraver ses peines qui font parfois tomber dans les vapes les personnes les plus émotives. Parce qu’on lui trouve assez la forme d’un cœur, on a attribué au citron de bonnes dispositions à l’égard de cet organe, tant au niveau de ses mouvements physiques que des transports de l’âme dont on pense qu’il est l’objet, d’où l’eau de Cologne – savamment citronnée – jouant là l’utile rôle de remède de secours de l’époque.

Ainsi donc le citron est un cordial. Est-ce à dire que, bénéfique au cœur, il peut aussi favoriser l’expression du sentiment amoureux ? Peut-être bien, à condition de ne pas trop le presser. Et tout cela dépend des points de vue, bien entendu. Par exemple, pour Hildegarde, le Bontziderbaum (Citrus medica), bien que plus chaud que froid, est image de chasteté (et malgré sa chaleur, il apaise les fièvres d’après l’abbesse…). Le citron, de même que la pomme, la rose ou la violette, dès lors qu’ils sont brûlés comme encens, convoquent l’aspect féminin, ses forces douces et guérisseuses, associées à une certaine idée de la famille et de la nativité. C’est pourquoi le citronnier, du moins sa fleur, passe pour idéal dans la confection d’un « bouquet du bonheur, avec de l’amour et de l’amitié partagée, des qualités humaines reconnues »5. A ce titre-là, et parce qu’il participe aux cérémonies nuptiales, le citron est favorable à la vie. Par exemple, il lui rend le visage plus éclatant : c’était la fonction de l’eau de Venise. Existait encore une eau d’ange qui permettait ce que l’on surnommait galamment un pucelage au citron. Propice aux forces de vie comme nous l’avons dit, le citron possédait aussi le fabuleux pouvoir de la recréer comme si de rien n’était : en effet, on considérait le citron comme si astringent qu’on l’estimait capable de réparer le pucelage perdu par les femmes avant mariage. Mais tout cela ne nous confirme pas, comme l’imaginait Amatus Lusitanus, si le citron gâte le sperme. S’étant fait sienne cette idée, Casanova usait d’un système spermicide à base de citron, afin qu’il satisfît entièrement sa libido et éventuellement celle de ses compagnes de sauterie. Si jamais « l’on est incapable de satisfaire une femme passionnée, il faut utiliser des techniques » : selon Vâtsyâyama, « un bâton de bois de citronnier poli » peut parfaitement faire l’affaire. Bien qu’on ne nous en donne pas le mode d’emploi, on peut parfaitement l’imaginer, il n’y a là nul besoin de se casser, creuser, presser le citron, n’est-ce pas ? ^.^

Ardent et fringant défenseur de la vie, le citron préserve-t-il pour autant de la mort ? Ce n’est pas exactement ce que semble vouloir signifier son acidité, qui pointe par le biais d’une racine : ak. N’est-il, au reste, pas plutôt un ok, qui conduisit à la formation du grec oxys, « aigre, aigu, pointu » ? Il est l’un et l’autre, cet ak, qui a donné acer, puis agrume. Pas sûr, de ce point de vue, qu’il prive l’homme de la mort, tout au plus lui accorde-t-il plus de suavité en cet instant. C’est du moins ce qui me semble transparaître dans un extrait que je pioche dans La Mythologie des plantes de Gubernatis : « Dans la relation de ses voyages, Pietro della Valle, le pèlerin de Rome au XVIIe siècle, nous apprend que la veuve indienne, à Ikheri, sur le point de se rendre au bûcher, se promenait à cheval par la ville, tenant d’une main un miroir, de l’autre un citron ; et, en regardant le miroir, elle poussait des lamentations : le citron était, peut-être, le symbole de la vie devenue amère après le décès de son époux »6. A moins que, comme l’explique David Fontana, il ne s’agisse de montrer à quel point le citron est symbole de « fidélité à travers les vicissitudes de l’amour »7.

Favorable à la méditation, le citronnier sauvage est en Inde le messager des dieux, dévadûti. Il est un avatar de ces pays où « le soleil y brillait bien plus lumineux que chez nous, le ciel y était deux fois plus haut et dans les haies et dans les talus les vignes étaient couvertes de raisins blancs et noirs les plus délicieux. Dans les bois poussaient le citron et l’orange, le myrte et la menthe y embaumaient »…8

Les racines ramifiées du citronnier représentent le pendant souterrain de l’arcature densément rameuse du citronnier dans ses hauteurs les plus éthérées et solaires. Bien qu’intérieurement blanches et lignifiées en un bois dur, elles sont recouvertes extérieurement d’une écorce jaunâtre qui n’est pas sans rappeler celle qui viendra couvrir les fruits aux temps les plus opportuns de leur maturité. Le tronc droit à l’écorce vert pâle du citronnier n’excède jamais la hauteur médiocre d’une dizaine de mètres, beaucoup moins sous nos climats peu propices à son plein épanouissement. Adepte du feuillage semper virens, le citronnier dispose, alternées, ses feuilles ovales/lancéolées, coriaces, entières, vert luisant profond, brièvement pétiolées et non stipulées (comme peuvent l’être celles de l’oranger). Ses fleurs très parfumées, blanches et légèrement violacées en leur cœur, achèvent les rameaux en bouquets terminaux. Son fruit est botaniquement une baie celluleuse, partagée en plusieurs cloisons membraneuses, agglutination de 9 à 18 loges pulpeuses en forme de croissant de lune, renfermant chacune plusieurs graines. Plus ou moins oblongue, de taille variable selon la variété, le citron est recouvert d’une écorce épaisse, ridée et raboteuse.

Le citronnier porte une préférence pour les sols riches, humides mais bien drainés (il décline généralement sur les sols argileux compacts), suffisamment aéré, largement exposés au soleil, bien qu’il craigne la chaleur autant que le froid (5° C). Dans les conditions où il n’a pas à craindre des écarts significatifs, il peut fleurir et fructifier plusieurs fois l’an, ce qui explique la simultanéité, sur le même pied, de fleurs, de fruits naissants et d’autres plus avancés mais toujours verts (on en tirera, avec les feuilles, l’huile essentielle de petit grain citron), des fruits mûrs, autrement dit l’alpha et l’oméga, ce qui explique peut-être à quel point le citron est un bon à tout faire disponible tout au long de l’année, en particulier dans les zones géographiques favorables à son bon développement comme peuvent l’être les régions aux climats tropicaux et méditerranéens du globe. Cela explique que des pays comme l’Italie (Sicile), l’Espagne, le Portugal, l’Inde, les États-Unis, le Mexique, le Brésil et l’Argentine soient de gros producteurs de citron. Quant à la France, où le citronnier est plus au service du décorum que de la récolte, on le place en pleine terre sur le littoral méditerranéen, alors que partout ailleurs, mieux vaut le serrer en caisse qu’on mettra à l’abri de l’hiver une fois ses blanches mâchoires déployées.

Le citron en phytothérapie

« Le temps sera bientôt révolu où le citron était considéré comme coupable de tous les méfaits, peut-on lire non sans surprise dans un ouvrage de Raymond Dextreit datant seulement des années 1950. Les préjugés, poursuit-il, étaient cependant tenaces et largement répandus : ‘Le citron décalcifie, le citron rend tuberculeux, le citron mange le sang, le citron dégrade l’estomac’ »9. Quiconque soutiendrait de telles thèses aujourd’hui passerait pour fou (et de bien mauvaise foi), tant le citron rend de si innombrables services, que j’ai bien de la peine à les rassembler tous (ne rêves pas mon grand !) Et vous verrez, à la lecture de cette seconde partie, que le citron est, sur le plan des plantes médicinales, un véritable empereur. Passons le donc en revue et dans le détail. Pour cela, nous parlerons essentiellement du fruit (à l’exclusion de son essence déjà traitée ici) et un peu des feuilles, usitées à l’instar de celles de l’oranger amer. Dans le fruit, nous distinguons donc le zeste, les pépins mais surtout le jus (ou suc) qui tient véritablement le haut du pavé dans le chapitre qui nous occupe.

L’écorce du citron, chaude, aromatique, très amère, piquante, abrite une première zone externe jaunâtre, le flavedo, et une autre, interne et blanche, l’albedo, toutes les deux également amères. Cette carapace dissimule la grande partie aqueuse du citron, constitué à 97,50 % d’eau ! Cette eau, qui forme la quasi totalité du jus de citron, s’accompagne d’acide citrique10 (2 à 9 %), d’acide malique (0,80 à 1,20 %), de sucres (glucose, fructose, saccharose : 2,50 à 6 %), de gomme, de mucilage et de pectine. De tout cela on peut profiter grâce au seul jus de citron, sans obligation de devoir absorber – expérience cruelle ô combien difficile – l’intégralité d’un citron. A travers son suc, la seule chose dont on ne profite bien évidemment pas, c’est de l’essence de citron (1 à 2,50 %) qui se loge dans le zeste, à travers de larges poches schizogènes qui trahissent leur présence si jamais on en vient à pincer ce zeste et qu’une fraction d’essence atterrit au coin de l’œil ^.^ Sont aussi absents du suc l’ensemble des citroflavones (hespéridine, naringoside, quercétine, etc.) qui élisent domicile dans le même zeste. En revanche, le jus contient encore un principe amer qu’on appelle limonine et quelques traces d’acide sulfurique, et enfin une collection de sels minéraux et d’oligo-éléments tels que calcium, potassium, phosphore, manganèse, cuivre, fer et silice. Enfin, cerise sur le gâteau, des vitamines nombreuses dont de la provitamine A, des vitamines du groupe B (B1, B2, B3, B9) et de la vitamine C, célèbre et incontournable, que le citron contient à hauteur de 40 à 50 mg aux 100 g, ce qui n’a rien là de bien exceptionnel si l’on compare ce taux à ce qu’on peut trouver dans le chou, le navet ou encore le poivron vert, tous beaucoup plus riches en cet acide ascorbique qui, comme l’indique son nom, est acide (pH : 6,5 à 6,6), mais jamais plus que le suc lui-même (pH : 2,1 à 2,5 en général). Complété par un rH2 avoisinant 14,5, cela fait de ces deux données d’excellentes mesures bioélectroniques, chose que les Anciens, sans en connaître l’existence, surent apprécier à sa juste valeur. On a longtemps suspecté un corps de nature acide responsable de l’activité antiscorbutique du citron (ce qui explique le nom donné à cet acide : ascorbique) et jugé de son efficacité face à cette affection, et cela bien avant la découverte de ces corps qu’on nomme « vitamines ». On en usait, sans le savoir, de façon empirique mais néanmoins très efficace. Il n’y a là rien de bien miraculeux, car la vitamine C est présente dans de très nombreuses plantes alimentaires, qu’il importe de consommer de façon régulière puisque la mise en réserve de grandes quantités de vitamine C par l’organisme est impossible. On comprend dès lors les difficultés posées par bien des voyages au long cours qui emportaient très peu de frais et effectuaient le plus gros du trajet en puisant dans des réserves alimentaires constitués d’aliments en conserve, ce qui n’est pas l’idéal, la cuisson réduisant de moitié cette vitamine sensible à la chaleur, fatalement dégradée. De plus, plus les légumes transportés à bord avançaient en âge, et plus ils voyaient cette précieuse substance se volatiliser (de toute façon, je n’imagine pas qu’on attende la saint-glinglin pour manger un chou par exemple, cela serait courir le risque de le voir pourrir ou d’être dévoré par les rats du bord). Et il n’est pas question de s’en remettre uniquement à des légumes secs – ce qu’hélas l’on fit car facilement transportables et stockables sur plusieurs mois : en effet, fèves, lentilles et pois chiches ne recèlent pas une once de vitamine C (mais ces graines en produisent dès lors qu’elle germent, ce qu’on ne s’amuse jamais à tenter sur un navire marchand où l’eau potable est rationnée…Ironie !). Enfin, il ne suffit pas de contenter l’organisme avec de la vitamine C afin de mettre à distance le spectre effrayant du scorbut : on a pu constater, durant la bataille de Stalingrad (1942-1943) que des soldats supplémentés en vitamine C tombaient comme des mouches sous les coups du scorbut, tout simplement parce que cette vitamine fonctionne uniquement lorsqu’elle est combinée avec sa corollaire, l’ex vitamine P, devenue par la suite la vitamine C2. D’où la prééminence à accorder au citron frais : vitamine C dans son jus, vitamine C2 dans son zeste. La Nature n’est-elle pas parfaite ? Allait-elle sadiquement imaginer la vitamine C à tel endroit sur Terre et la C2 à 10000 km de là ? Sérieusement ? Ainsi, sans parvenir à un état scorbutique avancé digne de se voir figurer sur Le radeau de la Méduse du peintre Théodore Géricault, a-t-on pu voir se déclarer des états larvés occasionnés par une pré-carence en vitamine C, surtout possible quand la C2 est absente. Nous aurons à parler tout à l’heure plus en détails du scorbut, chose pas forcément bien intéressante, tant cette maladie par carence est sortie du champ de nos préoccupations. Mais un peu d’histoire médicale ne nuit pas, bien au contraire. C’est une bonne façon de repérer les sottises répétées à l’envi parce que copiées/collées sans discernement. En attendant, bienheureux furent ceux qui, autrefois, purent bénéficier du concours salvateur de la vitamine C du citron (ou de l’orange, peu importe !), tant elle est capitale : elle participe à la destruction des toxines, favorise l’assimilation du fer et la fixation du calcium, stimule le système immunitaire face aux virus et aux bactéries, participe, en tant qu’agent catalyseur, à la synthèse du collagène qui assure une bonne tonicité de la peau, des cartilages et des articulations.

Propriétés thérapeutiques

  • Le pépin : vermifuge, fébrifuge
  • Le zeste : tonique, excitant, sudorifique, carminatif, rubéfiant
  • La feuille : antispasmodique, calmante du système nerveux, stomachique, sudorifique, légèrement tonique, vermifuge
  • Le jus :
    • Tonique, énergétique, augmente la résistance aux infections, antibactérien
    • Hypotenseur, fluidifiant sanguin, tonique veineux, tonicardiaque, renforce la paroi interne des vaisseaux et la circulation sanguine, anti-scléreux, dépuratif sanguin, hémostatique
    • Tonique hépatique et pancréatique, favorise les sécrétions hépatopancréatiques, stimulant de la détoxication du foie
    • Diurétique, éliminateur des urates, dissolvant des cristaux et des toxines au niveau vésico-rénal, antigoutteux, anthirhumatismal
    • Carminatif, anti-acide gastrique11, favorise les sécrétions gastriques, anti-émétique, vermifuge
    • Astringent, détersif, antiseptique cutané, cytophylactique, antiprurigineux, cicatrisant
    • Calmant de la soif et de la sécheresse buccale, rafraîchissant, tempérant
    • Antiscorbutique
    • Anti-anémique, minéralisant
    • Anti-oxydant
    • Fébrifuge
    • Tonique du système nerveux

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : palpitations, hyperviscosité sanguine, hypertension, artériosclérose, varice, phlébite, artères durcies et oblitérées, veines distendues, fragilité capillaire
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie stomacale, indigestion, embarras gastrique, gastrite, aigreur d’estomac, hyperacidité gastrique, ulcère d’estomac, diarrhée, lientérie, dysenterie, typhoïde, intoxication alimentaire, dyspepsie, aérophagie, météorisme, gastrorragie, entérorragie, oxyures
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire et pancréatique : lithiase biliaire, insuffisance hépatopancréatique, congestion hépatique, ictère, engorgement hépatique, irritation du foie
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : bronchite, maux de gorge, laryngite, pharyngite, angine, états fébriles et grippaux, asthme, otite, sinusite, rhume, tuberculose
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : néphrite, hématurie, ischurie, collection liquidienne (hydropisie, hydropisie résultant d’un mal de Bright, ascite, pléthore), lithiase urinaire, blennorragie, gonorrhée
  • Affections bucco-dentaires : saignement gingival, gingivite, aphte, glossite, stomatite, irritation buccale, muguet
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme chronique, rhumatisme articulaire aigu et subaigu, goutte, arthrite, lumbago
  • Affections cutanées : plaie (infectée, putride), ulcère (sanieux, putride, gangreneux, vermineux), pourriture d’hôpital, dartre, dartre furfuracée, furoncle, herpès, verrue, acné, mycose (pied d’athlète), engelure, piqûre (puce, moustique), coup de soleil, lupus, purpura, lentigo, éphélide, résorption des hématomes, parasites cutanés (gale, teigne, poux), entretien des mains (ongles cassants, verrue), des pieds (pieds sensibles et fétides), de la peau du visage (peau grasse et/ou ridée) et des cheveux (souplesse et brillance, éclaircissement des cheveux blonds)
  • Scorbut, ulcère scorbutique
  • Déminéralisation, anémie, croissance, convalescence, asthénie, senescence
  • Affections oculaires : blépharite, conjonctivite du nouveau-né
  • Migraine, céphalée
  • Fièvre, fièvre intermittente

Comme promis plus haut, faisons maintenant un focus sur le scorbut, un terme que l’on doit à une langue qu’on pratique dans un pays bordé par les flots de la mer du Nord, à savoir le danois. En effet, au Danemark, le mot scorbeck signifie « ulcère de la bouche », ce qui est une description exacte mais bien incomplète, le scorbut ne se restreignant pas qu’à la seule image tragique des dents qui se déchaussent de gencives sanguinolentes. A ces signes de seconde catégorie, on peut déjà les faire précéder de ceux qui se manifestent prioritairement, dont un affaiblissement physique et moral qui s’installe progressivement, s’accompagnant de douleurs musculo-articulaires. Le corps, somnolent et apathique, se refroidit, la peau, qui se dessèche, devient terreuse ; le visage pâlit, les yeux s’excavent. Ce n’est donc que dans un second temps que les gencives gonflent et se ramollissent, finissant par s’ulcérer et saigner. L’intérieur de la bouche se couvre de taches bleuâtres et de bulles emplies d’un mélange de sang et de sérosité. L’haleine devient fétide, les dents se détachent. A ces manifestations bucco-dentaires, l’on peut ajouter celles qui concernent l’ensemble du corps, sa partie inférieure surtout : en effet, des plaques diversement colorées (rougeâtres, noirâtres, verdâtres) apparaissent en plusieurs endroits. Outre les hémorragies qui se déroulent au niveau gingival, on en observe d’autres dans les narines, les intestins et à l’endroit des diverses plaies cutanées. A de la constipation succèdent des diarrhées sanglantes. La prostration s’installe. Sans soin d’aucune nature, survient le décès.

On a imaginé des « prédispositions » au scorbut comme, par exemple, le surmenage, un état moral défaillant ou encore un affaiblissement relatif à une maladie antérieure, sorte de séquelle favorisante. Mais, surtout, l’on a remarqué que cette affection survenait dans des conditions particulières d’enfermement volontaire ou non, obligeant, trop longuement, la consommation d’un certain type d’aliments au détriment d’autres, déterminant par là que le scorbut est une maladie par carence qui se déploie préférablement dans les prisons et à bord des navires où la base alimentaire était essentiellement formée de céréales et de légumineuses sèches (lentilles, pois, etc.), aux dépens de tout ce qui peut faire état de sa fraîcheur, c’est-à-dire les fruits et les légumes, mais aussi les viandes et le poisson. On ignora pendant longtemps la nature exacte de la substance qui empêchait au scorbut de se déclarer, mais l’on comprit rapidement dès le XVIe siècle que les fruits et légumes frais prévenaient l’apparition funeste du scorbut, comme, par exemple, le citron et le chou. Nous autres le savons aujourd’hui que c’est l’absence de la vitamine C qui favorise le scorbut, ce que l’on obtient en ne consommant que des céréales/légumineuses au contraire de la viande séchée qui contient bel et bien de la vitamine C, plus profitable encore que celle des agrumes : en effet, préférer ceux-ci, c’est priver l’organisme d’une part de sa vitamine C qu’il utilise pour prendre en charge le fructose contenu dans ce même agrume (au contraire de la viande qui, elle, ne contient pas de glucides). Ainsi, Roques, quand il écrit que « ces substances alimentaires [en parlant des fruits et légumes frais] corrigent, modifient les mauvais effets des viandes salées dont on est obligé de faire une certaine provisions pour les voyages de long cours »12, ne peut que rendre confus le propos que nous souhaitons le plus clair possible. En réalité, malgré tout ce que l’on a pu croire à ce sujet, mieux vaut emporter sur les navires de la viande séchée que des sacs de céréales qui ne contiennent pas de vitamine C !

Quid maintenant de la supplémentation en vitamine C ? Si l’on peut craindre à bon droit (réaliser un scorbut expérimental est un jeu d’enfant) une carence sévère ou nette en vitamine C, force est de constater que le scorbut a disparu des radars depuis belle lurette. Mais existe-t-il cependant d’autres facteurs de carence à la vitamine C ? Non. Hormis chez les fumeurs et les alcooliques chez qui la dégradation de cette vitamine est problématique. Alors, est-ce bien utile de se supplémenter en vitamine C ? Très certainement pas comme on peut le voir être préconisé par certains, ce qui est parfaitement ridicule sachant que cette vitamine est si abondante dans la plupart des végétaux frais qu’il apparaît insensé aujourd’hui de se supplémenter à coups de doses matraques par crainte d’une pénurie de vitamine C. S’il faut craindre une vraie avitaminose, mieux vaut aller voir du côté de la B12 et de la D. L’on y trouvera de réelles raisons de s’inquiéter.

On estime que la dose quotidienne de vitamine C se situe entre 30 et 60 mg. Certains cas particuliers en exigent davantage (adolescence, grossesse, allaitement, préparation à une opération chirurgicale, etc.). Voici une liste de fruits et légumes dans lesquels on trouve de la vitamine C (plus ou moins abondamment) :

  • fruits : banane, orange, citron, raisin, rhubarbe, pomme, prune, cerise, mûre, framboise, melon, ananas, groseille, mandarine, pamplemousse, fraise, cassis, églantier, châtaigne ;
  • légumes : chou (vert, rouge), navet, cresson, cochléaire et autres crucifères, pomme de terre, betterave, carotte, oignon, tomate, fenouil, poivron vert, laitue, mâche, pissenlit, épinard, persil, estragon, pois, haricot vert.

Voilà de quoi combler des besoins en acide ascorbique sans avoir à endurer ces gros cachets effervescents pas ou peu efficaces.

Pour finir, afin de rendre ces deux listes les plus opératives qui soit, prenons part à l’élaboration de celle qui regroupe quelques-uns des aliments les plus représentatifs de cette seconde vitamine, celle qu’autrefois on appelait P ou C2. Peu importe en définitive, le plus important à retenir, c’est son action synergique avec la vitamine C, et savoir que derrière ces deux initiales se dissimulent des flavonoïdes que l’on connaît mieux sous les noms de quercétine, rutine, catéchine, etc. Voici les principales sources d’approvisionnement en quercétine parmi les fruits et les légumes : poivron, oignon rouge, orange, citron, pamplemousse, pomme, cassis, cerise, myrtille, chocolat noir, thé (vert, noir), livèche, câpre, sarrasin, châtaigne, etc.

Modes d’emploi

  • Jus de citron : en interne, mélangé à un demi verre d’eau tiède, miellée ou non.
  • Limonade crue : mélanger le jus d’un citron entier à 500 g d’eau sucrée ou miellée. Possibilité de substituer l’eau au petit lait ou au vin.
  • Limonade cuite : faire infuser un citron coupé en tranches dans 500 g d’eau bouillie. Y ajouter la même quantité de sucre que dans le point précédent. Cette limonade est davantage tonique si au citron on lui conserve le zeste. Et plus amère aussi. A vous de voir.
  • Eau citronnée : placer quelques tranches de citron en macération à froid dans un ou deux litres d’eau. Cela forme une eau de ménage de consommation courante fort utile durant les fortes chaleurs estivales.
  • Potion de Rivière : absorption d’un verre de jus de citron suivie tout de suite après par un second verre empli d’une solution alcaline (eau bicarbonatée). Répéter autant de fois que nécessaire pour faire passer les vomissements ou les envies de vomir.
  • Sirop de citron.
  • Suc pur, coupé d’eau ou par un hydrolat aromatique en application cutanée locale pour le pansement des plaies, etc.
  • Cure de citrons : progressive puis dégressive. On débute par un demi citron par jour. On augmente d’un demi à un citron tous les deux à trois jours. Quand on parvient à la limite de ce que peut tolérer l’organisme, on procède inversement. En règle générale, cela étale la cure sur un laps de temps d’environ trois semaines. Si jamais l’on est un stakhanoviste du jus de citron, l’on peut forcer le trait dès l’abord : on démarre par deux citrons par jour, et chaque jour qui passe, on en ajoute deux supplémentaires jusqu’à atteindre trente citrons par jour ! Ce qui, en un peu plus de trois semaines, représente la formidable somme de 450 citrons, ce qui me paraît très exagéré ! Autant dire qu’il faudra les commander par caisses entières !
  • Infusion de feuilles de citronnier : 10 g par litre d’eau à couvert durant dix minutes.
  • Alcoolat de zeste de citron.
  • Vin d’écorce de citron. (Du zeste, l’on peut encore tirer infusion, sirop et teinture. Si on le fait sécher, il est possible de le pulvériser et de l’administrer dans cet état.)
  • Décoction du fruit comme vermifuge. On peut, par préférence, broyer l’écorce, la pulpe et les pépins, puis les placer en macération à froid dans de l’eau miellée pendant deux heures avant absorption.

Quelques recettes domestiques spéciales

  • Recette contre les céphalées : écraser une tranche de citron dans une tasse de café très noir.
  • Recette contre le rhume : dans 50 ml d’eau, ajouter le jus d’un demi citron, une gousse d’ail finement écrasée et une pincée de cannelle en poudre.
  • Pour se reminéraliser en calcium : placer des coquilles d’œuf préalablement lavées et brisées en petits morceaux dans une solution composée d’eau et de jus de citron. Ce dernier, dissolvant du calcaire, va permettre l’obtention d’un produit crayeux dont l’absorption laisse une drôle d’impression sur les muqueuses buccales et l’émail dentaire.

Quelques recettes passées à la postérité

  • L’eau de mélisse des carmes déchaux : nous en avons déjà parlé dans l’article consacré à cette plante médicinale. S’y référer ici au besoin.
  • L’eau de la reine de Hongrie : son existence est relatée au sein de l’article dédié au romarin : cf. ici.
  • La liqueur du parfait amour : riche composition dans laquelle le citron n’est pas seul à parader, puisqu’on y trouve une fraction florale (rose, vanille) et épicée (anis vert, cannelle, clou de girofle).
  • Le vin diurétique de la Charité : tonique et amer, il contient du quinquina rouge, de la mélisse, de l’absinthe, de la racine d’angélique, etc. en plus du citron.
  • L’eau de Venise : eau de toilette dans laquelle le lait de vache et les pleurs de la vigne délayent les vertus aseptisantes, astringentes et adoucissantes des agrumes (citron, orange).

Afin d’achever cette longue liste, mentionnons encore quelques autres manières d’employer le jus de citron : on l’instille dans les narines tel quel ou avec l’aide d’un Rhino Horn (sinusite, hémorragie nasale), dans les oreilles (otite) et dans les yeux (blépharite, conjonctivite). On en tamponne l’intérieur de la bouche (aphte, stomatite, glossite), on l’applique localement sur le front (migraine), sur les engelures, les blessures et les plaies infectées, sur la peau du visage, des mains, des pieds. On humecte, on lotionne, on fait baigner, etc. Bref, les modes d’emploi sont aussi multiples que le champ d’application du citron est vaste (concernant la seule essence de citron, on peut être abasourdi par l’étendue de ses pouvoirs, alors le jus de citron !…).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : elle est surtout le fait d’un contact journalier avec le citron, en particulier sa peau : autrefois, les ouvriers, décortiquant les citrons à la main, y étaient beaucoup plus exposés. Ils étaient, en effet, sujets à des éruptions cutanées (rougeurs, gonflement, vésicules et pustules). De plus, les émanations d’essence de citron continuellement subies provoquent maux de tête, vertige et névralgie. Per os, une dose trop élevée de zeste cause des irritations gastro-intestinales, de la nausée, des vomissements, de l’hématurie. Quant au suc de citron, son excès peut conduire à une purgation abondante, à des vomissements et autres désordres gastriques et intestinaux, et même des convulsions. Enfin, une précaution bien utile qui nous est communiquée par Cazin : « Comme les acides excitent ordinairement la toux, on doit s’en abstenir dans les inflammations des organes respiratoires »13 et, dans tous les cas, adapter les doses selon l’âge et la circonstance.
  • « Un bon citron est un fruit ferme à la peau bien jaune et sans taches. Les citrons jaunes à peau fine sont les plus juteux ». Ce n’est jamais malheureux que de savoir faire un bon choix tant, parfois, certains citrons possèdent, entre le zeste et la pulpe, une épaisse couche d’albedo spongieuse parfaitement inutile. Et il est vrai que ces citrons-là paraissent souvent grumeleux et boursouflés. Enfin, avant de couper un citron en deux, sachez qu’un citron ouvert s’oxyde et perd facilement une grande partie de ses vitamines. Donc, on ouvre, on presse, on boit !
  • En cuisine : je serai succinct tant j’ai déjà beaucoup parlé dans cette seconde partie. Disons simplement qu’on use du zeste et du jus, aussi bien cru que cuit, confit, râpé ou pressé. On le destine autant aux mets salés que sucrés, à travers marinades, sauces et boissons.
  • Stabulons encore un brin dans la cuisine, section placard à balais ! On peut faire officier l’acide citrique en maintes occasions, pour lesquelles le jus de citron ou le seul zeste peuvent remplir bien des rôles non dénués d’intérêt pour ce qui concerne le seul domaine des arts ménagers. Sans vouloir rivaliser avec le « guide des 1001 astuces à réaliser avec du citron », citons quelques informations intéressantes :
    • le jus de citron nettoie parfaitement les objets en laiton, en cuivre, en argent, ôte les taches de rouille, ravive les surfaces de marbre ;
    • se frictionner les doigts et les ongles de jus de citron permet d’en enlever les taches abandonnées là par certains légumes après épluchage ;
    • le zeste de citron fait fuir les mites des placards ; un citron moisi écarte les fourmis importunes ;
    • quelques filets de jus de citron désinfectent une eau de table suspecte, tandis qu’à doses plus prononcées, le jus de citron corrige bien des empoisonnements aux substances alcalines : soude, potasse, eau de Javel, chlorure de calcium, eau sédative de Raspail (contenant de l’ammoniaque). De plus, le citron dissipe la stupeur, l’engourdissement et la somnolence induits par les plantes narcotiques, l’opium, les solanacées et divers champignons toxiques.

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  1. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 154.
  2. Virgile, Les Géorgiques, p. 119.
  3. Grand Albert, pp. 240-241.
  4. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 153.
  5. Didier Roguet, Symboles et sentiments. Secrets de plantes, p. 102.
  6. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 96.
  7. David Fontana, Le nouveau langage secret des symboles, p. 40.
  8. Hans Christian Andersen, Poucette, p. 112.
  9. Raymond Dextreit, L’argile qui guérit, p. 102.
  10. Acide organique inodore, se présentant sous la forme de petits cristaux blancs qui crissent entre eux, l’acide citrique a été isolé par le chimiste suédois Carl Scheele en 1784. Très largement présent dans le monde végétal, il existe dans le citron, qui lui a donné son nom, mais aussi dans l’orange, la tomate, les groseilles, etc. En tant qu’additif alimentaire, il porte le code E330.
  11. « L’introduction d’un acide très faible prépare le corps à sa défense et favorise le développement d’alcalis naturels qui viendront, une fois pour toutes, remettre les choses en place » (P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 65).
  12. Joseph Roques, Nouveau Traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 259-260.
  13. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 301.

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