La grande camomille (Tanacetum parthenium)

Synonymes : matricaire officinale, matricaire vulgaire, matricaire odorante, espargoutte, bouton d’argent, œil du soleil, mandiane, herbe vierge, malherbe, etc.

Autrefois, la grande camomille portait le nom de Chrysanthemum parthenium : si on lui a depuis conservé son adjectif, ce chrysanthemum a disparu au profit d’un tanacetum qui confine à la tanaisie, alors que ce précédent substantif la rapprochait de la vaste tribu fourre-tout des « chrysanthèmes », mot forgé grâce à deux racines grecques : chrysos, « or » et anthemos, « fleur ». Cazin, lui, évoquait une Matricaria parthenium, dont la planche XXIV du Traité raisonné nous rassure de suite quant à son identité : il s’agit bien de la grande camomille qui partage avec sa cousine la matricaire (ou, plus communément, camomille allemande) bien des caractères communs qui peuvent s’expliquer, entre autres, par ce parthenium qui était, il y a fort longtemps, le nom que l’on accordait à plusieurs plantes, et qui provient du grec parthenos signifiant « jeune fille », façon de montrer que la grande camomille est, elle aussi, une plante de la femme. Peut-être est-elle le parthenium décrit par Pline dans un passage de l’Histoire naturelle. « Les Mages préconisaient, d’après Pline, de cueillir le parthenium de la main gauche, en disant, sans se retourner, pour qui on le cueillait, puis d’en mettre une feuille sous la langue du malade et de la lui faire avaler peu après dans un cyathe d’eau » (1). Mais rien n’est dit sur l’appartenance de cette plante à la sphère gynécologique, ce qui n’est pas le cas dans l’œuvre de Dioscoride. Au troisième livre de la Materia medica, chapitre 132, on peut lire l’information suivante : les fleurs « sont valeureuses […] aux inflammations de la matrice ». Ce qui peut paraître bien léger, sans compter que le descriptif apporté par Dioscoride n’est pas en mesure, véritablement, de nous faire clairement identifier cette plante qui pourrait être n’importe quelle autre astéracée assez semblable, d’autant que les traducteurs du grec ancien au français du XVI ème siècle ont cru bon de désigner cette plante par le nom de… matricaire : « la matricaire qui est le parthenion, est nommée par certains amaracon. Elle a les feuilles semblables à la coriandre ». Ah, ah, s’il s’agit des feuilles inférieures de cette apiacée, leur forme évoque davantage les feuilles de la grande camomille, mais si Dioscoride fait référence à ses feuilles supérieures, très divisées et linéaires, elles font effectivement penser aux feuilles de la matricaire. Nous ne sommes donc pas plus avancés. Poursuivons néanmoins la lecture de la Materia medica : « Ses fleurs sont blanches autour et jaunes au milieu. C’est une plante de déplaisante odeur et amère au goût ». Oui, bon… Bien connue des médecins grecs et romains, nous dit-on, elle apparaît cependant comme remède secourable aux pulmoniques et autres lithiasiques.
Au Moyen-Âge, elle est répandue et prisée, mais sans doute encore confondue avec la matricaire, au fur et à mesure de son déploiement géographique d’est en ouest, étant effectivement originaire du Proche-Orient et du sud-est de l’Europe (des Balkans, dont Dioscoride n’est pas très loin d’être originaire).
La prégnance de ses usages anciens est attestée par différents noms : le mot anglais feverfew témoigne des propriétés fébrifuges de la grande camomille, alors que mutterkraut (« herbe des mères », en allemand) rend compte de ses propriétés emménagogues qui n’ont pas échappé au médecin anglais Nicolas Culpeper qui écrivait au XVII ème siècle que la grande camomille est « un fortifiant naturel de la matrice […] Elle nettoie celle-ci en expulsant les restes du placenta après l’accouchement [chose importante sans quoi des infections peuvent se déclarer]. Elle prodigue tout le bien qu’une femme peut attendre d’une plante ».

Selon les circonstances, cette espèce de petite « marguerite » qu’est la grande camomille est bisannuelle, pluriannuelle ou vivace. D’une souche non rampante, s’érigent des tiges dressées et ramifiées, fermes et cannelées, de 60 à 80 cm de hauteur environ. Elles se couvrent de feuilles molles, plates, aux dents peu nombreuses, de couleur vert clair. A la floraison (juin-août), l’on voit éclore des capitules composés de fleurons périphériques fertiles et femelles, et des fleurons centraux hermaphrodites de couleur jaune d’or. Contrairement aux matricaire et camomille romaine, ces capitules sont disposés en corymbes terminaux peu denses (contrairement à l’achillée millefeuille chez qui les capitules floraux très nombreux sont serrés les uns contre les autres). Cela, c’est dans le cas d’une grande camomille sauvage : en effet, une fois cultivée, ses fleurs « doublent » comme on dit, à la manière des pâquerettes pomponnettes.
La grande camomille pousse naturellement dans des lieux plus ou moins incultes, remarquables par leur rusticité : en bordure de chemins, au pied des murs, sur les décombres, aux abords des champs, etc. C’est une plante voisine des habitations du fait qu’elle a été régulièrement semée près des maisons comme plante purificatrice.

La grande camomille en phytothérapie

Une fois qu’on les a froissées, les feuilles et les fleurs de la grande camomille dégagent une puissante odeur balsamique trahissant la présence d’une essence aromatique de couleur bleue (à l’identique avec les huiles essentielles de matricaire et d’achillée millefeuille par exemple), probablement camphrée et dont voici quelques données biochimiques établies par l’analyse chromatographique :

  • Esters : 20 % dont acétate de bornyle, isovalérate de bornyle, acétate de trans-chrysanthémyle
  • Cétones : 25 % dont camphre
  • Monoterpénols : bornéol, bêta-eudesmol
  • Monoterpènes : camphène, alpha et bêta-pinène
  • Lactones sesquiterpéniques : 0,5 % dont le parthonélide (substance qui abaisse la production de sérotonine, et qui serait probablement à l’origine de l’action de la plante contre la migraine)

Tout cela confère à la grande camomille une odeur forte, résineuse, assez peu agréable, un peu comme si on mêlait de l’épinette noire à de la camomille allemande. Quant à sa saveur chaude, amère et un peu âcre, on la doit à de la résine et à un mucilage amer. Enfin, sur la question des principes actifs, ajoutons encore la présence de flavonoïdes nombreux au sein de la grande camomille.

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulante, tonique amère légère
  • Digestive, stomachique, carminative, vermifuge
  • Antalgique, analgésique, antirhumatismale
  • Antispasmodique
  • Emménagogue
  • Fébrifuge
  • Antiseptique
  • Insectifuge (abeilles), insecticide (une décoction de grande camomille vaporisée sur des plantes envahies de pucerons les en débarrasse)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : troubles digestifs par atonie, flatulences, aérophagie, parasites intestinaux (ténia)
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, aménorrhée, dysménorrhée, leucorrhée, spasmes et douleurs de l’utérus (hysteralgie)
  • Troubles locomoteurs : rhumatismes articulaires, arthrite, douleur goutteuse
  • Fièvre intermittente
  • Céphalalgie, migraine, maux de tête liés aux menstruations : sur ces points, la grande camomille possède une puissance bien plus étendue que la camomille romaine. Rien qu’en mâchant ses feuilles et en se massant les tempes avec ses fleurs fraîches, la grande camomille lutte déjà contre les crises de migraines. « Il fallut attendre que la femme d’un médecin gallois eut été guérie, grâce à la grande camomille, d’une migraine chronique qui avait duré 50 ans pour que des études sérieuses soient enfin entreprises en Grande-Bretagne. Après des tests cliniques très concluants, cette plante fut présente dans les hôpitaux britanniques à partir des années 1980 » (2).

Modes d’emploi

  • Infusion ou décoction de fleurs fraîches.
  • Infusion ou décoction de feuilles fraîches.
  • Poudre de feuilles sèches.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses.
  • Macération vineuse de capitules frais.

Note : la plante, qu’elle soit entière ou sous la seule forme de ses capitules, gagnera à ce qu’on la préfère fraîche et non sèche.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La récolte des capitules de grande camomille se déroule à l’été, en pleine floraison.
  • La consommation des feuilles fraîches peut occasionner l’apparition d’aphtes. Par ailleurs, la grande camomille est incompatible avec la grossesse, et avec les personnes auxquelles on a prescrit des traitements à visée circulatoire.
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    1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 190.
    2. Grand Larousse des plantes médicinales, p. 140.

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Le rôle du bouleau dans les rites d’initiation chamanique en Sibérie

Bien que le sapin soit le plus souvent arbre cosmique en Asie septentrionale, c’est le bouleau qui trouve grâce aux yeux des chamans sibériens pour jouer ce rôle. Si le bouleau a été choisi par le chamanisme sibérien, peut-être est-ce en raison, entre autres, de son écorce blanc argenté qui devient de plus en plus pure, plus on accède au faîte de l’arbre…

On procède tout d’abord à la purification du candidat chaman. Celui-ci est brossé à l’aide d’un balai de rameaux de bouleau que le chaman « père » aura préalablement trempé dans une décoction de diverses plantes dont le thym, le genévrier et le sapin. Puis, les neuf « fils » imitent leur « père » et appliquent ce même balai dans le dos du candidat afin d’en achever la lustration.
Dans certaines tribus, le participant se retire à distance et observe un jeûne dont la durée est fixée à neuf jours, une valeur qui ne doit pas nous surprendre, car étroitement associée à l’arbre cosmique. Neuf est un chiffre qui n’est pas sans rappeler le dieu Odin suspendu à Yggdrasil, délai au bout duquel les runes lui sont révélées. Généralement, dans les pratiques chamaniques, le jeûne favorise le travail initiatique, comme celui qui est pratiqué en Amérique du Nord lors des épreuves de préparation aux fosses de vision.
Peu avant la cérémonie d’initiation proprement dite, sous les directives du « père », « l’abattage [des bouleaux] a lieu dans la forêt où sont enterrés les habitants du village. Ces arbres abritent les âmes des ancêtres qui sont ainsi conviés à la fête » (1). On fiche solidement en terre les bouleaux coupés. Le plus vigoureux d’entre eux prend place dans la propre yourte du candidat. On place ses racines dans l’âtre, sa cime dans l’ouverture centrale de la yourte par laquelle passe la fumée du foyer. Ce bouleau, Udeshi burkan, « le gardien de la porte », restera définitivement dans la yourte de l’initié. Ce bouleau central est relié à tous les autres par un premier ruban bleu et un autre rouge qui me rappellent, allez savoir pourquoi, les deux courants de sève, l’ascendante et la descendante, et dont Jacques Brosse nous dit qu’ils « symbolisent l’arc-en-ciel, voie par laquelle le chaman atteindra la résidence supraterrestre des esprits » (2), ce qui est fort pertinent puisque l’arc-en-ciel n’est pas autre chose qu’une passerelle en définitive (notons au passage que les couleurs bleu et rouge peuvent aussi évoquer la Lune et le Soleil). A cette occasion, le chaman « père », enfumant son tambour, appelle les esprits. Quant aux autres bouleaux, ils sont assez éloignés de la yourte en question. On trouve un premier trio de bouleaux solidement plantés en terre. Devant le premier, on dépose des offrandes rituelles, alors que le deuxième se voit paré d’une cloche et de la peau d’un cheval blanc qu’on aura sacrifié pour l’occasion. Au troisième incombera le rôle d’échelle, de pont, dont le candidat chaman se servira lors de son ascension initiatique. Un autre groupe de neuf bouleaux sont plantés en rang. S’y déroule le sacrifice d’un bouc dont le sang vient oindre les yeux et les oreilles de l’initié au rythme des tambours. Puis le « père » gravit un bouleau. Arrivé à son sommet, il entaille l’écorce de l’arbre à neuf reprises (parfois sept ou douze) : « ces neuf bouleaux, comme les neuf entailles, symbolisent les cieux superposés jusqu’au neuvième où siège Bai-Ulgän » (3), divinité atmosphérique de la fécondité et de la fertilité, protecteur des hommes devant lequel on se prosterne. Cette manière d’opérer rappelle assez l’initiation mithriaque où l’on comptait seulement sept échelons, le sixième représentant la Lune et le septième le Soleil, ce qui se rapproche beaucoup de ce qui se déroule chez les populations ouralo-altaïques où les tapty, c’est-à-dire les échelons rabotés dans le tronc d’un bouleau évoque chacun l’une des sphères planétaires. Après avoir entaillé le bouleau en haut duquel il est juché, le chaman « père » redescend, s’installe sur un tapis qui se trouve à proximité. Enfin, c’est au tour de l’initié de gravir le même bouleau, suivi des « fils », les uns après les autres. Cette ascension rituelle n’est pas propre qu’aux sphères chamaniques sibériennes, puisqu’on la croise également en Amérique du Nord ainsi qu’en Inde par exemple. Cette ascension, c’est ce qui va permettre de distinguer les chamans « de la grande masse des profanes et des non-initiés : ils peuvent pénétrer dans les régions ouraniennes, saturées de sacré, et devenir semblables aux dieux » (4), avec lesquels ils peuvent désormais communiquer, après s’être élevés, rituellement et cérémonieusement, à travers les diverses sphères planétaires et célestes. C’est ainsi que cette épreuve permet au chaman en devenir de passer du monde profane, en le transcendant, en le sublimant même, au monde sacré, jamais aisément, car toute initiation n’est jamais réductible à une ballade de santé, plutôt à un âpre parcours du combattant. Pour y aider, on aura sacrifié un cheval à la robe de couleur blanche, parce qu’animal funéraire et psychopompe susceptible de mener le chaman jusqu’à la demeure des dieux. Ainsi fait, le chaman invoque les esprits, ses protecteurs et ses guides et les invite à pénétrer dans son tambour, l’instrument du voyage.
Le lendemain a lieu un interminable rituel pendant lequel le chaman escalade symboliquement le bouleau, procédant palier par palier, car « toutes les visions et toutes les extases mystiques comprennent une montée au Ciel » (5). Alors que son extase ne fait que croître en même temps que son élévation, il tend vers la neuvième et dernière encoche. Parvenu au ciel ultime, le chaman, épuisé, s’effondre. Pour revenir à lui quelques instants plus tard.

Nous ne saurions achever ce petit article sans faire mention du rôle propice de l’amanite tue-mouche (Amanita muscaria) durant ce rituel d’initiation. C’est grâce à la consommation de ce champignon que le chaman initié entre dans une transe bien nécessaire, ainsi que ses compagnons « fils » et « père ». Et, sans qu’il soit besoin de parler de hasard, il s’avère que cette amanite croît en relation mycorhizale avec le… bouleau, lequel ne déprécie pas non plus la compagnie des bolets, lactaires et autres russules.


  1. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 48.
  2. Ibidem, p. 49.
  3. Ibidem.
  4. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 119.
  5. Ibidem, p. 118.

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Le chêne pédonculé (Quercus pedunculata)

Comment aurait-on pu ignorer le chêne il y a 3000 ou 5000 ans en arrière ? Tout d’abord, de par la taille qu’atteignent certains de ses sujets, c’est tout à fait impossible. Si l’on en croit le résultat de fouilles archéologiques, autrefois ils étaient beaucoup plus monumentaux parce qu’on les laissait pousser davantage et ils n’étaient pas, comme à l’heure actuelle, menacés par un effet « poisson rouge dans son bocal » des plus pernicieux (1).
Comment aborder le chêne sans lui dérouler le tapis rouge ? N’est-ce d’ailleurs pas ce que les hommes, bien avant les Celtes eux-mêmes, firent eu sein de ces forêts enchevêtrées qui donneraient des sueurs froides aux défricheurs fous qu’on rencontre, hélas encore trop souvent, au fin fond de l’Amazonie ou de l’Indonésie ? Aussi, balançons les grands mots qui collent au chêne : cosmogonique et anthropogonique. Anthropogonique, pourquoi ? Bien au-delà du culte du chêne étendu à toute l’Europe celtique bien avant l’époque pré-chrétienne, le chêne apparaît comme un ancêtre : c’est le cas en Germanie, mais aussi en Scandinavie où, selon la mythologie propre à cette région d’Europe, les premiers hommes n’étaient pas autre chose que des chênes. Il en allait de même en Italie du nord (Piémont), ainsi qu’en Arcadie : pour signifier cette gestation de l’homme au sein du chêne, les poètes déjà fort anciens, Homère et Hésiode, utilisent la formule « deviser du chêne et du rocher », c’est-à-dire parler des origines. En plus d’avoir généré le premier homme, le chêne est (pour l’ensemble de ces populations) pas moins qu’un être sacré et divin dont tout découle : plus que de seulement représenter l’homme primitif, il est vu comme celui dont proviennent les autres hommes à sa suite, tombant, en somme, de ses branches comme des glands à l’automne. Compte tenu de sa forme ovoïde et phallique, il semblerait qu’on ait attribué au gland du chêne l’idée de vigueur masculine et donc de fertilité (ce qui n’est pas tout à fait exact, certains glands empruntant la forme d’un sein…). De cet homme descendu du chêne, l’on dit aussi que, dans les temps premiers, il aurait tiré sa subsistance du gland : « On n’a pas eu tort de traiter de légende les affirmations de Lucrèce, de Virgile, d’Ovide, de Pline, disant que les glands furent la première nourriture des hommes, mais on aurait tort de croire que les glands n’ont pas réellement et longtemps tenu une large place dans l’alimentation » (2). Il n’y a pas que durant l’Antiquité romaine qu’on concevait le gland comme aliment, puisque des usages alimentaires réguliers du gland se vérifièrent en Allemagne, ainsi que dans certains coins de Pologne où, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on ne connaissait pas autre chose qu’un pain de farine de gland et de froment. De même, en Espagne comme au Maghreb, on consomme encore à l’heure actuelle les glands de certains chênes doux (Quercus ilex var. ballota). Le gland de chêne, de même que l’arbouse, constitue pour Virgile (par exemple, qui l’évoque dans les Géorgiques), le régime de l’homme primitif, c’est-à-dire, au sens non péjoratif, l’homme premier : à ce titre, le gland est un élément civilisationnel, surtout parce que l’analogie fut rapidement établie entre le gland du chêne et celui de l’homme, ce qui explique que « le gland, disaient les anciens, excite Vénus. Fécond par excellence, on reconnut en lui non pas seulement un fécondateur parmi les arbres, mais le fécondateur des hommes » (3). Remède génésique et aphrodisiaque, le gland tomba néanmoins en désuétude dès lors que Déméter expliqua aux hommes l’art et l’utilité de l’agriculture « après avoir banni l’antique et bestiale provende du gland et révélé une nourriture plus douce » (4). Seconde étape civilisationnelle : l’agriculture. Et non plus errer comme des porcs, le groin à terre pour y découvrir le fruit d’un hasard plus ou moins heureux : ne sont-ce pas des glands, entre autres, que Circé jette aux compagnons d’Ulysse qu’elle vient de transformer en porcs ?

Est-ce que, pour autant, le chêne tomba dans un oubli immérité ? Que nenni, puisqu’il prodigua aux hommes bien des nourritures spirituelles. De même que le lion ou l’aigle, le chêne est devenu un emblème dont les symboliques sont multiples. Faisons tout d’abord le tour des figures divines auxquelles on a consacré le chêne à un moment ou à un autre : Zeus en Grèce, Jupiter à Rome, Ramowe en Pologne, Perkunas en Lettonie et en Lituanie, Taara en Estonie, Thor et Odin en Scandinavie, Taranis en Gaule, etc. Toutes ces divinités sont de nature masculine, peu de figures féminines subsistent (il est possible qu’un recouvrement des très archaïques divinités de la terre se soit produit…). Nous voyons néanmoins Rhéa et Héra chez les Grecs (la première est la mère de Zeus, la seconde son épouse), mais également Dioné, mère d’Aphrodite, et Pachamama chez les Incas. Notons aussi l’existence de divinités secondaires liées au chêne dans la mythologie grecque : les nymphes du chêne que sont les dryades et les hamadryades qui, contrairement aux précédentes, ne peuvent quitter l’arbre auquel elles sont assujetties et meurent donc avec lui. Si l’on balaie rapidement la biographie de ces divinités, surtout celles qui sont masculines, l’on peut être frappé par une forme d’unité qui se dégage : l’association de l’orage, du tonnerre et de la foudre au chêne et à ces divinités. Le chêne, c’est bien connu, attire la foudre. Il est l’un des arbres qui l’attire le plus à dire vrai, ce qui n’a pas dû manquer d’être remarqué par les populations qui peuplaient l’Europe il y a de cela des millénaires. Nous pouvons même dire que le chêne est la foudre : observons la silhouette d’un chêne dépouillé de ses feuilles : ne ressemble-t-il pas, alors, à une structure fulgurante ? Attractif, il est aussi répulsif comme nous l’explique Angelo de Gubernatis : « Où la foudre est tombée une fois, pense-t-on, elle ne tombera plus : son action est neutralisée par le chêne déjà frappé ; la foudre est l’arme divine : par analogie, l’on pense qu’aucune autre arme ne tombera sur un objet sur lequel l’arme divine elle-même n’a plus aucun pouvoir » (5). Par exemple, c’est un petit morceau de chêne qu’Athéna plaça dans la nef Argo pour la prémunir du naufrage : le chêne a donc valeur talismanique de protection. Il représente un abri, un nichoir et un perchoir par la même occasion. Rappelons-nous d’Yggdrasil, le frêne Axis mundi des Scandinaves, souvent présenté comme une volière, une animalerie. Évoquons aussi l’Apollon-citharède des hêtres que décrit Jean Giono dans Un roi sans divertissement, splendide créature charruée et bouleversée de boules de duvet et d’éclats de plumes. Il en va de même du chêne mythologique : il est l’hôte de bien des animaux, comme l’abeille et la cigale qui renforcent son caractère solaire, le pic noir, oiseau oraculaire, etc. Solaire et oraculaire : deux points sur lesquels nous reviendrons.
Avec la foudre peut survenir la pluie. Pausanias décrit un rituel mené par un prêtre de Jupiter : « En cas de grande sécheresse [il se rendait à la fontaine sacrée] après avoir accompli les sacrifices, tenant à la main un rameau de chêne qu’il trempait au plus profond des eaux de la fontaine sacrée. Une vapeur sortait alors de l’eau agitée, s’élevant, se transformant en nuages couvrant le ciel, se changeant enfin en une pluie abondante qui abreuvait toute la région » (6). Plus précisément, rajoutons que le chêne est un régulateur du cycle de l’eau, s’il peut provoquer la pluie, il peut aussi l’arrêter.
Arbre solaire, nous l’avons dit, le chêne est un arbre bienheureux, un arbre d’abondance : ainsi est-il perçu en Scandinavie et dans les états baltes. Il est aussi lumineux parce qu’oraculaire, autrement dit il fait la lumière sur tel ou tel questionnement. Un chêne oraculaire est demeuré très célèbre en Grèce, celui de Dodone. Situé en un lieu très éloigné des grandes cités (en Épire, au nord-ouest de la Grèce), Dodone « avait – et il a toujours – un aspect farouche et dramatique […] L’endroit était renommé pour la violence de ses orages et aussi en raison du froid qui y régnait » (7), ce qui devait, soyons-en certains, ajouter au caractère surnaturel des lieux. L’oracle était le plus souvent adressé par le biais du tonnerre et le bruissement des feuilles des chênes de Dodone, soit la « voix » de Zeus que les Péliades (ou Péléiades), prêtresses dodoniennes, avaient la délicate tâche d’interpréter. En Italie, il y avait aussi de ces chênes oraculaires, à Palestrina (ville distante d’une trentaine de kilomètres de Rome, à l’est) où les oracles « étaient rendus par des lettres sculptées sur le chêne » (8), ce qui, immanquablement, fait penser aux oghams.

Sans être forcément oraculaires, on compte de nombreux autres chênes sacrés dans toute l’Europe, remarquables à plus d’un titre. En Grèce, la cité béotienne de Platées en accueillait, de même que Phlionte (Péloponnèse) et l’île d’Égine au sud d’Athènes. On en comptait également à Carmathan (Pays de Galles), à Geismar (Allemagne), en Russie et dans bien d’autres localités. Les textes font parfois référence à des chênes qui défient notre imagination : ainsi Angelo de Gubernatis évoque-t-il le cas d’un chêne dont le tronc mesurait dix mètres de diamètre, un autre « qui pouvait abriter sous ses branches 300 cavaliers avec leurs chevaux » (9). Ce qui peut nous apparaître comme disproportionné parce que sans doute fantaisiste (10), d’autant que les chênes témoins de telles assertions ne courent pas les rues, ne serait-ce qu’en France : par exemple, le chêne pédonculé d’Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime) est un « rigolo » avec ses seulement 2,5 m de diamètre à un mètre du sol ! Sacrés, ces arbres étaient protégés contre l’abattage et l’on condamnait froidement celui qui s’y attaquait, d’autant que du bois de chêne l’on tirait les objets sacrés et votifs. Expression de la sagesse suprême et de la vérité divine, le chêne était aussi arbre de paix et de justice, comme l’atteste l’héritage provenant des Slaves, des Germains et des Celtes, qui se transpose à l’époque de Saint-Louis dont on se rappelle qu’il rendait justice sous un chêne de Vincennes. A cela s’ajoute que, par son tronc, par ses larges branches qui ressemblent à des bras, par son feuillage touffu, le chêne est emblème d’hospitalité et joue, par équivalence, le rôle de temple en plein air, mais il n’est jamais qu’aux abords des lieux sacrés que sont les nemetons, puisque ces espaces sont des zones dégagées en hauteur, donc sans arbre sur leur surface (nem : « ciel, cieux »). Et qui dit la paix appelle la guerre : parfois martien, le chêne, moins que guerrier, représente surtout les honneurs militaires : c’était des couronnes de rameaux de chêne que portaient les « imperatores » rentrant triomphants dans Rome. Le chêne allait jusqu’à être protecteur sur les champs de bataille : on croyait les feuilles de chêne capables de protéger face aux armes à feu. Et à celles tranchantes, on réservait la guérison des blessures qu’elles occasionnaient à « l’huile de Saint-Jean ».
Arbre qui indique la solidité et la puissance (nous verrons plus loin que ce sont là des données toutes relatives), la hauteur tant spirituelle que matérielle du chêne fait qu’il est en tout temps et en tout lieu (ou presque) synonyme de force : c’est de toute évidence l’impression (qui n’en est pas qu’une) qu’affiche le chêne à l’âge adulte. D’ailleurs, chêne et force (autant physique que morale) s’expriment en latin par le même mot : robur. Ne dit-on pas d’Hercule, à la massue de chêne, qu’il est robuste ? Tel remède redonnant vigueur et énergie n’est-il pas dit roboratif ? Puisque nous y sommes, stabulons un peu du côté de l’étymologie : certains peuples de Gaule nommaient cet arbre chasne, sans doute parce que d’autres Celtes l’appelaient tann qui, dit-on, se prononce chann. De chasne nous sommes parvenus à chêne, de tann à tanin (ou tannin), premier principe actif contenu dans cet arbre. D’après un passage de l’Histoire naturelle de Pline l’ancien, qui s’appuie sur l’analogie du grec drûs, le nom même des druides est en relation étymologique avec le nom du chêne, d’où la traduction « hommes de chêne » qui a souvent réussi à s’introduire jusque dans l’érudition moderne. Mais le nom du chêne est différent dans toutes les langues celtes. Le rapprochement est symboliquement valable, en ce sens que les druides, étant donné leurs qualités sacerdotales, ont droit à la fois à la sagesse et à la force. Une force aussi bien physique que psychologique, le druide étant aussi le devin. Ce que suggère l’ogham du chêne, Duir. Aux courage, combativité, protection, abri, aide, que nous avons déjà évoqués, nous pouvons ajouter, en tant que valeur oghamique, la patience, la ténacité, l’endurance, ainsi que la persévérance, mais jamais trop sans quoi on court le risque de rompre et de finir renversé par la tempête comme le chêne qui raconte ses souvenirs dans un conte d’Andersen. Ce chêne qui se lamente n’est pas sans rappeler un autre chêne, celui auquel le docteur Bach accorde quelques lignes que voici : « Un jour, il n’y a pas si longtemps, un homme était adossé à un chêne, dans un vieux parc du Surrey, et il entendit ce que l’arbre pensait. Cela peut sembler étrange aujourd’hui, mais les arbres pensent réellement, vous savez, et certaines personnes parviennent à comprendre leurs pensées. Ce vieux chêne, car c’était un très vieux chêne, se disait : ‘Comme j’envie les vaches de la prairie qui peuvent gambader à travers champs, tandis que je suis cloué là, et que les choses alentours, telles que la lumière du soleil, la brise et la pluie, sont si belles, si merveilleuses. Mais moi, je demeure à jamais enraciné en ce lieu.’ Mais au cours des années qui suivirent, l’homme découvrit que les fleurs du chêne renfermaient une puissance phénoménale, une puissance permettant de guérir de nombreuses maladies. Il ramassa donc des fleurs de chêne, qu’il transforma en médicaments, et quantité de personnes furent guéries et se sentirent de nouveau en forme. Quelques temps plus tard, par une chaude après-midi d’été, l’homme était allongé aux abords d’un champs de blé, pratiquement assoupi, lorsqu’il entendit un arbre penser, car certaines personnes peuvent entendre les arbres penser. L’arbre se parlait calmement à lui-même, et disait : ‘Être enraciné ici et envier les vaches qui peuvent vagabonder dans les prés ne m’importe plus, puisque je peux me rendre aux quatre coins du monde pour guérir les personnes malades.’ Et l’homme regarda au-dessus de lui, et comprit qu’il s’agissait d’un chêne qui pensait » (11). A ce chêne qui n’avait pas le moral, rappelons-lui « qu’il est rapide, que devant lui tremblent la terre et le ciel, et qu’il est un vaillant et courageux gardien face à l’ennemi : c’est ainsi que son nom est fort considéré dans toutes les contrées » (12). Et, en effet, il y a beaucoup de Duir dans Oak, le remède que le docteur Bach tira des fleurs de chêne : « Pour ceux qui luttent et livrent une rude bataille afin de rétablir leur santé ou leurs affaires. Ils ne cessent d’essayer une chose après l’autre, bien que leur cas puisse paraître sans espoir. Ils continueront de se battre. Ils sont mécontents d’eux-mêmes si la maladie les empêche de faire ce qu’il doivent ou d’aider les autres. Ce sont des gens courageux, qui ont à faire face à de grandes difficultés, sans perdre espoir ni renoncer à l’effort » (13).

Tout ceci nous ferait presque oublier de mentionner que le chêne ne fut pas pour autant occulté d’un point de vue médicinal et que ses qualités furent remarquées très tôt, puisqu’il émaille l’art médical en de nombreux endroits. Hippocrate, Théophraste, Dioscoride et Galien, pour ne citer que les plus célèbres, accordèrent au chêne leur attention. L’intérêt, avec le chêne, c’est que d’une espèce à l’autre, les propriétés thérapeutiques demeurent proches, ce que ne manque pas de distinguer Dioscoride qui dissocie néanmoins le chêne de la yeuse : « Toute sorte de chêne a une vertu astringente », affirme-t-il (14). Ce qui fait qu’il y a de grandes chances pour que le discours tenu par les Anciens à l’endroit du chêne concorde avec ce que nous savons du chêne pédonculé aujourd’hui. Ainsi peut-on accorder confiance à Pline lorsqu’il avance la valeur hémostatique du chêne comme remède des hémorragies passives (hémoptysie et crachement de sang, flux utérins anormaux), de la dysenterie et de la diarrhée, de la leucorrhée et de diverses affections cutanées (ulcérations, dermatoses, etc.), prouesses rendues possibles par l’utilisation de la seconde écorce « qui est entre la grosse écorce et le bois, et même cette petite pellicule qui est entre l’écorce et la chair du gland », précise Dioscoride (15). Quant à ce dernier, il est « une richesse pour le peuple, explique le Romain Pline. Les céréales manquent-elles, la farine que fournit le gland, séché et moulu, se pétrit pour donner du pain ». Mais il n’est pas qu’aliment, il est aussi médicament comme l’observe Dioscoride dans ce nouvel extrait de la Materia medica : « Les glands […] provoquent l’urine et mangés en viande causent des douleurs de tête [migraines d’origine nerveuse ?] et engendrent des ventosités. Ils ont une vertu (étant mangés) contre les morsures des bêtes venimeuses. Leur décoction et celle de leur chair, bue avec du lait de vache vaut contre le poison. Broyés crus et emplâtrés, ils apaisent les inflammations. Pilés avec de l’axonge salée, ils sont profitables aux ulcères malins » (16). Terminons-en là avec les petites boules qui naissent au revers des feuilles de chêne et que l’on appelle des galles : Théophraste en connaissait l’origine et en décrit de nombreuses sortes qu’il recommandait non seulement pour la médecine, mais aussi pour la tannerie, la fabrication d’encre et de teinture.

Arbre dont la noblesse n’est plus à prouver, le chêne est un hôte des forêts tempérées de l’hémisphère nord. Contrairement à son cousin le chêne rouvre, le chêne pédonculé préfère les plaines et les vallées fluviales, mais partage avec lui son appétence pour des sols acides et ensoleillés. Mais il est bien moins sociable et préfère vivre isolé à l’écart plutôt qu’en grand groupe en pleine forêt. Arbre à la croissance très lente, son espérance de vie est généralement comprise entre 600 et 1000 ans, pour une taille qui peut parfois atteindre les 50 m de hauteur. Une fois parvenues à l’âge adulte, les branches du chêne s’épanouissent en éventail. Noueuses et très vigoureuses, elles surmontent un tronc dont l’écorce brun grisâtre se crevasse au fur et à mesure de profonds sillons. Les jeunes feuilles du chêne pédonculé, tout d’abord vert tendre et glabres, passent à un vert foncé plus soutenu avec l’âge. Lobées d’une manière très particulière, elles rendent le chêne aisément reconnaissable. En mai, c’est l’époque de la floraison : sur le même arbre, on voit de longs chatons pendants (les fleurs mâles) et des fleurs femelles plus discrètes, sous forme de cupules. Elles donneront naissance à des glands brillants dotés d’un long pédoncule, groupés par deux à cinq le long des rameaux. C’est en observant la présence ou non d’un pédoncule sur le gland que l’on peut savoir si l’on a affaire à un chêne pédonculé ou bien à un chêne rouvre. C’est bien simple :

  • chêne pédonculé : fruits pédonculés, feuilles sessiles,
  • chêne rouvre : fruits sessiles, feuilles pétiolées.

Autre caractéristique que le chêne pédonculé ne partage pas avec le rouvre : son impérieux besoin d’eau. Si le second peut s’en passer pendant quelques semaines, cela est impossible pour le premier. C’est cela qui a été fatal au chêne pédonculé durant la sécheresse estivale de 1976, en particulier dans la forêt de Tronçais (17) en Auvergne, où l’on compte encore environ 5 % de chênes pédonculés, ceux ayant péris durant cette sécheresse ayant été remplacés par du… rouvre. La présence du pédonculé dans ce massif forestier découle du fait que l’homme, afin d’accroître la production de bois, a planté du chêne pédonculé dès le XIX ème siècle. En effet, il grandit plus rapidement que le rouvre, mais c’était sans compter sur sa fragilité en cas de pénurie d’eau.
La petite bête ne mange jamais la grosse dit-on. C’est un dicton qui ne se vérifie aucunement au sujet du chêne quoi qu’on en pense : que sa haute stature ne soit pas l’ombre qui obscurcisse le jugement et la saine observation, ni le lieu où aller abriter son ignorance. Je dis cela sans arrière-pensée. Juste que certains qui se réclament du chêne ne viendront pas se plaindre quand il leur tombera sur le râble. Je crois en la Némésis de l’Histoire.
Tout fort qu’il soit, Quercus le robuste peut se trouver inhibé dans son développement initial par la laîche fausse brize (Carex brizoides), plante appartenant à la flore obsidionale (18), et la molinie bleue (Molinia caerulea) : « Ces herbes basses constituent de denses tapis qui inhibent les semis de chêne, lesquels ne peuvent plus s’y installer et y germer. Cette inhibition est due à des excrétions allélopathiques de ces deux espèces à l’encontre des chênes » (19). A cette relation toxique à distance et invisible, l’on peut opposer une manifestation anormale et bien visible que porte le chêne sur plusieurs de ses parties : la galle. Qui dit gale dit parasite : ce qui est bien le cas, sauf qu’au contraire de la gale qui touche l’homme (provoquée par un parasite qui creuse des galeries dans l’épiderme humain, Sarcoptes scabiei var. hominis), ici, les galles du chêne proviennent de la piqûre d’insectes volants, les cynips :

  • galle située sous les feuilles en forme de petites boules : Cynips quercus folii,
  • galle à l’aisselle des feuilles en forme d’artichaut : Andricus fecundatrix,
  • galle ronde placée sur les bourgeons : Andricus kollari,
  • galle parasitant les glands et les cupules : Andricus quercuscalicis,
  • Etc.

Le chêne en phytothérapie

Le chêne est marqué par la présence dans toutes ses parties d’une substance qui apparaît si prépondérante que son nom s’est transposé, forgeant d’autres mots (tanner, tannage, tannerie). Cette substance, il s’agit bien sûr du tanin, qui ne se réserve pas qu’au seul chêne, tant s’en faut, mais il y trouve néanmoins son origine, le chêne ayant été, nous l’avons clairement souligné plus haut, à la naissance de bien des choses. Initialement, cette substance se rattache tant au chêne qu’on a forgé un mot, tan, qui désigne exclusivement l’écorce de chêne pulvérisée. Comme dit ci-dessus, du tanin, dans le chêne, il y en a partout : dans les feuilles, l’écorce épaisse du tronc, l’écorce fine des jeunes rameaux, les glands et leurs cupules, les galles, qui sont, à peu près toutes les parties végétales du chêne que l’on emploie en phytothérapie.
Les feuilles, contenant du tanin, se distinguent cependant de toutes ces autres parties végétales en ce qu’on y trouve aussi des glucosides. L’écorce, au goût âcre et très astringent, à la saveur nauséabonde, contient davantage de tanin que les feuilles : 10 à 20 %. Précisons que ce taux varie selon s’il s’agit d’écorce jeune ou plus âgée, comme celle du tronc par exemple. On y trouve aussi de nombreux autres principes actifs : des acides (gallique, ellagique, catéchique, quercitanique, malique), des sels minéraux (calcium, potassium, magnésium), des matières pectiques et résineuses, du mucilage, un sucre incristallisable (la quercite), enfin un principe amer, la quercine. Dans le gland, on retrouve quelques-unes de ces matières : du tanin, bien entendu, mais dans des proportions plus faibles (7 à 9 %) et un principe amer (5 %) qui, à eux deux, ne parviennent pas totalement à retrancher le gland des substances qui peuvent devenir alimentaires à la condition de les appareiller correctement : riche en amidon (38 à 44 %), le gland recèle aussi de la fécule, ainsi qu’une huile grasse (4 %), des matières gommeuses (6 %) et résineuses (5 %), des sucres (7 %), des protéines (7 %), enfin des sels minéraux (magnésium, phosphore, potassium, calcium), et probablement des vitamines. Les noix de galle sont, quant à elles, la partie (non naturelle) du chêne qui contient le plus de tanin, puisque la moitié jusqu’aux deux tiers de ces petites boules en sont composés ! On y croise aussi des substances déjà rencontrées jusqu’ici : amidon (15 %), acide gallique (2 %), acide ellagique (4 %), mucilage (3 %), eau (17 %), etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique astringent puissant
  • Tonique du tube digestif, antidiarrhéique, antiputride intestinal, vermifuge
  • Vasoconstricteur, hémostatique, antihémorroïdaire
  • Diurétique
  • Fébrifuge
  • Antiseptique léger

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée aiguë, diarrhée opiniâtre, dysenterie, douleurs et inflammations gastro-intestinales en général, atonie gastrique, paresse digestive, gastralgie, gastralgie rebelle, ulcère stomacal, entérite chronique, dyspepsie, aérophagie, flatulences, selles sanglantes, méléna, infection et fissure anales, hémorragie rectale, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : angine, angine chronique, amygdalite, pharyngite, maux de gorge, catarrhe pulmonaire, coqueluche, crachement de sang, hémoptysie, tuberculose (20)
  • Troubles de la sphère génitale : leucorrhée, gonorrhée, blennorrhée, métrorragie chronique, hémorragie utérine, infection vaginale, métrite, hydrocèle
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, relâchement gingival, saignement gingival (stomacace), stomatite, inflammation buccale
  • Affections cutanées : plaie, plaie saignante, ulcère (de jambe, scrofuleux, putride, gangreneux, fongueux), gangrène, pourriture d’hôpital, abcès, escarre, engelure, gerçure, dartre, dermatose, impétigo, intertrigo, eczéma, teigne, transpiration excessive et/ou fétide (aux pieds surtout), brûlure, coupure, ecchymose
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : albuminurie, incontinence d’urine chez l’enfant
  • Troubles locomoteurs : séquelle d’entorse ou de luxation (gonflement articulaire), hydarthrose, consolidation des fractures (un remède populaire consistait à mêler à de la poudre d’écorce de chêne la même quantité de poudre de coquilles d’huître)
  • Fatigue, faiblesse générale, anémie, rachitisme, défaut de croissance chez l’enfant, lymphatisme, scorbut
  • Fièvre intermittente
  • Toute autre hémorragie passive (hémorroïdes, saignement de nez, etc.)
  • Remède antidotaire : une décoction concentrée dans l’eau ou le lait fut utilisée comme contrepoison à diverses substances végétales (opium, ciguë, jusquiame, datura), minérales (sels de plomb, de cuivre, d’antimoine), animales (cantharides)

Modes d’emploi

  • Feuilles : infusion, décoction, cure de printemps de jeunes feuilles crues.
  • Écorce : macération vineuse (vin rouge), poudre, décoction (voie interne), décoction concentrée (voie externe, bain), teinture-mère.
  • Glands : infusion de glands torréfiés, poudre de glands, macération vineuse (vin blanc).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : l’écorce des jeunes rameaux (deux à quatre ans) au printemps, un peu avant la floraison, les jeunes feuilles au mois de juin, les glands à l’automne, alors qu’ils viennent tout juste de tomber à terre.
  • Le tanin officinal est plus agressif que celui qui est naturellement présent dans l’écorce du chêne. Malgré tout, ce dernier reste tout de même énergique et il est bon de l’accompagner d’autres éléments qui permettent d’en corriger les effets tant à l’intérieur (afin d’éviter une action par trop astringente) qu’à l’extérieur (par exemple, en bain : à trop grande fréquence, les tanins assèchent la peau). Par voie interne, on n’excédera pas deux à trois (voire quatre) semaines de cure grand maximum, sans quoi divers désordres sont possibles : fatigue stomacale, constipation, spasmes, anxiété épigastrique, cardialgie.
  • Éviter l’emploi du chêne en cas d’hypertension, d’insuffisance cardiaque et de constipation opiniâtre.
  • Association :
    – pour bénéficier d’une action fébrifuge : grande gentiane jaune, matricaire, petite centaurée, absinthe, etc.
    – pour bénéficier d’une action astringente : noyer, busserole, ronce, rose de Provins, potentille tormentille, quintefeuille, airelle, renouée bistorte, cynorrhodon, etc.
  • Alimentation : les glands, outre leur usage auprès des animaux de basse-cour et des porcs auxquels ils confèrent un excellent lard, trouvèrent en Turquie et au Maghreb le rôle de succédané de café. Pour cela, il faut récolter des glands fraîchement tombés de l’arbre, les faire sécher, puis en ôter l’enveloppe (les mettre en terre permet d’en soustraire bonne part d’amertume). On les passe au torréfacteur ou bien à la poêle à châtaignes, directement sur la flamme : le gland passe du beige au brun et perd encore de son amertume. Pour finir, il faut les moudre au moulin à café en vue d’obtenir une poudre dont la couleur n’est pas sans rappeler celle du café. Compter une à deux cuillerées à café de cette poudre pour la valeur d’une tasse d’eau chaude, en infusion durant cinq à dix minutes : c’est une excellente boisson pour l’estomac qui a le mérite de ne pas être excitante.
  • Le bois de chêne, dur, robuste et résistant aux insectes et autres moisissures, possède de nombreux avantages comme bois de construction : charpenterie, menuiserie, ébénisterie, chantier naval, charronnage, parqueterie, fabrication de portes (le mot celte désignant le chêne, duir, s’apparente fortement au mot anglais door). Par ailleurs, qui ne connaît pas le fut de chêne dans lequel faire « venir » un vin, « cet alcool pas comme les autres », comme dit je ne sais plus quel encravaté ministériel et qui, parfois, confine à l’ambroisie olympienne ? Le chêne, mieux que l’if, permet de fabriquer des tonneaux dont la solidité leur assure de durer dans le temps : en effet, comment concevoir de faire vieillir un vin au cœur d’un réceptacle trop fragile ? Cela ne se peut.
  • Autres espèces : elles se comptent par centaines, allant de l’arbrisseau au géant, de l’arbre à feuilles caduques à celui qui les conserve par tous les temps. Indiquons quelques espèces que l’on peut croiser en France : le chêne kermès (Q. coccifera), l’yeuse (Q. ilex), le chêne pubescent (Q. pubescens), le chêne-liège (Q. suber), le chêne velu (Q. cerris), etc.
    _______________
    1. Par cette expression, comprendre que dans la nature, plus le territoire d’une espèce se voit réduit, plus les sujets qui le peuplent diminuent leurs dimensions : par exemple, les cerfs irlandais sont moins massifs que leurs homologues polonais. Dans le cas du chêne, son utilisation comme bois de construction fait qu’il a nettement reculé en nombre et en taille depuis l’époque antique où il formait souvent de grands ensembles beaucoup plus impressionnants qu’aujourd’hui. La démographie humaine y est aussi pour beaucoup : il y a 2000 ans, la population française comptait dix fois moins d’individus qu’aujourd’hui.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 256.
    3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 68.
    4. Apulée, L’âne d’or, p. 340.
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 68.
    6. Henri Corneille Agrippa, La magie naturelle, p. 44.
    7. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 83.
    8. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 65.
    9. Ibidem, p. 64.
    10. Fantaisiste ou propagandiste… Ainsi a-t-on vu certains arbres dits funestes en Normandie : « Nous pensons aussi que c’est de cette même époque (druidique) que datait le gros chêne situé près le Val à l’Homme, au pied duquel s’étendait une grande mare, antique et mystérieux bassin où, sans doute, les Druides, d’après les traditions qui en restent encore, venaient se laver avant et après l’accomplissement de leurs sanglants sacrifices. Le Val à l’Homme, où l’on affirme souvent avoir vu errer un fantôme sans tête et tout couvert de sang, est à peu de distance d’un petit champ, signalé comme funeste et maudit dans les traditions du pays, et généralement connu sous le nom de Camp de la Mort […] C’est là, sans doute, au centre de ces noirs vallons, de ces gorges étroites, de ces rondes collines, de ces épais et religieux ombrages que les Vates, sorciers ou devins, sous la direction des Druides, et aux accords de la lyre des bardes, immolaient à leurs infernales divinités des victimes humaines. » (Auguste Guilmeth, Histoire de la ville et du canton d’Elbeuf, 1840). De même, la manière dont les auteurs latins décrivent les forêts de Gaule et de Germanie, appuyant sur leurs dimensions surhumaines et leur caractère horrifique, n’a pas qu’un seul rôle dissuasif : en procédant ainsi, on cherche aussi à convaincre que, de telles forêts, il faut les détruire puisque abri des hordes barbares et des divinités qu’elles idolâtrent. C’est pourquoi beaucoup de bosquets ou de simples arbres isolés furent abattus, ce qui, pour les Romains de l’Antiquité par exemple, était la moindre des choses : en effet, il eut été plus difficile de boucher les sources et de détruire les pierres sacrées.
    11. Edward Bach, L’histoire de l’arbre Oak, Être soi-même, pp. 75-76.
    12. Librement adapté du Kat Godeu.
    13. Edward Bach, La guérison par les fleurs, p. 107.
    14. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 120.
    15. Ibidem.
    16. Ibidem.
    17. La forêt de Tronçais est l’une des plus fameuses futaies de chênes (chênaie) d’Europe. Malgré ses 10600 hectares, c’est une relique d’une forêt plus ancienne et plus vaste qui s’étendait de la vallée de l’Allier à celle du Cher à l’époque gallo-romaine.
    18. La flore obsidionale (ou polémoflore) désigne « la flore typique des anciens lieux de guerre ou marquant les couloirs de passages d’armées » (Wikipedia).
    19. Jean-Marie Pelt, La loi de la jungle, p. 51.
    20. Parmi les affections de la sphère pulmonaire, ajoutons effectivement la tuberculose. L’observation empirique permit de remarquer que les ouvriers tanneurs étaient bien moins sujets à la tuberculose. Une expérimentation des plus sérieuses fit que, par la suite, on administra l’écorce de chêne, le tan donc, comme complément aux traitements antiphtisiques. Parmi ceux-ci, notifions l’existence de la « liquor coriacio-quercinus insipissatus » ou, plus prosaïquement, l’extrait de jusée, liquide jaune et clair provenant du tannage des peaux de veau par le tan. Donnée comme expectorante et antisudorifique, la jusée intervenait aussi en cas de rachitisme : un truc introuvable chez le premier pharmacien venu !

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L’huile essentielle de nard de l’Himalaya (Nardostachys jatamansi)

Encore de nos jours, le nard semble aussi mystérieux que celui qui fut souvent nommé ainsi durant bonne partie de l’Antiquité. En réalité, le latin nardus est un terme générique regroupant différentes plantes odorantes et réputées en parfumerie, comme le souligne le suffixe –ar qui signifie « odeur ». Et, parmi ces nards, certains n’en sont pas : subsistent encore dans les glossaires botaniques des plantes à qui l’on a attribué, pour une raison ou pour une autre, le mot « nard », sans que ces plantes aient, pour certaines d’entre elles, un quelconque rapport avec le nard de l’Himalaya qui, rappelons-le, appartient à la famille des Valérianacées. C’est ainsi que nous croisons le faux nard (= ail victorial, Allium victorialis), le nard sauvage (= asaret, Asarum europaeum), le nard de Lobel (= arnica, Arnica montana), le nard d’Italie (= lavande vraie, Lavandula vera), qui ont, cependant, tous en commun de posséder une forte odeur. En revanche, il se trouve que le nard de montagne (= grande valériane, Valeriana phu), le nard champêtre (= valériane dioïque, Valeriana dioica) et le nard celtique (= Valeriana celtica) appartiennent bel et bien à la famille de la valériane officinale. Bien évidemment, de l’une à l’autre de ces plantes, les localisations géographiques changent : s’il est clair que le nard de l’Himalaya pousse à hautes altitudes (3500 à 5500 m) sur les contreforts montagneux de l’Inde, du Népal et du Tibet, il peut être plus complexe de localiser l’aire de répartition exacte du nard celtique : aux pays « celtes » ? En quelque sorte, puisqu’il trouve son origine, également en altitude, dans les Alpes : cette petite valériane sauvage est devenu rarissime du fait de son parfum recherché, responsable non seulement de son succès, mais aussi de sa disparition progressive : « Dioscoride [Materia medica, Livre I, chapitre 7] décrit sa récolte, sa préparation et ses usages médicaux. On l’exportait en masse vers l’Orient, toujours avide de parfums. Au XVI ème siècle, on en expédiait des sacs vers la Syrie et l’Égypte […]. Tout cela n’est plus qu’un souvenir » (1) ma foi fort persistant, à l’image du parfum prononcé du nard, car aujourd’hui encore, on appelle, comme du temps de Dioscoride, cette petite valériane du nom de nard celtique. Le même Dioscoride, dans le chapitre qui précède (chapitre 6), évoque un autre nardus : la lecture de ce passage, quelque peu confondante, mélange plusieurs « nards », dont l’un proviendrait du sous-continent indien, l’autre de Syrie, etc. Pline l’ancien décrit ainsi l’un de ces nards dans son Histoire naturelle : « Le nard est un arbrisseau à racine pesante et grosse, mais courte et noire, fragile malgré sa contexture huileuse, d’odeur fétide comme celle du souchet, de saveur âpre, à petites feuilles serrées. Le nard se reconnaît à sa légèreté, à sa couleur rousse, à sa saveur agréable, mais très astringente. » Ceci est une description assez satisfaisante de Nardostachys jatamansi, même s’il est permis de douter que Pline se soit rendu aux confins de l’Inde et du Tibet, à une altitude moyenne de 4000 m, afin de nous en rapporter le descriptif précis, d’autant qu’il énonce qu’il en existerait une douzaine d’espèces dont on nous dit simplement qu’elles sont d’origine « exotique ». Ce mot ne doit bien évidemment pas être considéré comme synonyme de tropical, mais au sens de non-indigène, c’est-à-dire extérieur au monde connu, l’empire romain d’alors, ce qui peut représenter bien des territoires. Ainsi, quel est ce « nard assyrien » auquel Horace fait référence dans ses Odes ? Ou bien ce « nard odorant » originaire de cette région semi-désertique qu’est le Makran qu’évoque Arrien dans L’Anabase ? Bref, l’identification du nard, comme nous le constatons, demeure malaisée, d’autant plus que lors de l’Antiquité gréco-romaine l’on va jusqu’à imaginer que la racine du nard n’est pas d’origine végétale mais animale, eu égard au fait qu’elle ressemble à « la queue d’un animal à cause de sa forme allongée et de ses petites radicelles bouclées » (2), mais également de son odeur, que d’aucuns, durant l’Antiquité, comparèrent à celle du bouc, odeur prégnante s’il en est. Chez mes grands-parents, il y avait un troupeau de chèvres d’environ quarante têtes. Et un bouc, régulièrement renouvelé. A celui-là, ma grand-mère réservait un cagibi pour lui tout seul. Quand mes grands-parents cessèrent leurs activités, les chèvres et le bouc disparurent. Seule demeura l’odeur de ce dernier qui, incrustée dans les murs, persista durant de nombreuses années.
« L’haleine embaumé du parfum régnera sur ta chevelure », lit-on dans l’Anthologie palatine. « Les effluves d’une chevelure imprégnée de nard… », conte le poète Martial (Épigrammes) : la résistance, cette trace qui perdure dans le temps, c’est ce qui est tout à fait conforme au caractère de cette matière qu’en parfumerie on classe parmi les notes de fond, c’est-à-dire ce qui reste d’un parfum après que les notes de tête et de cœur se soient évanouies.

Quittons la bergerie. Précisons, avant de poursuivre, que Théophraste, puis Ovide à sa suite, situèrent l’origine du nard à la partie nord de l’Inde, ce qui est parfaitement exact. Le Grec et le Romain tombent donc d’accord : est-ce, pour autant, un nard asiatique dont se servaient les anciens Romains pour bénir leurs sépultures ? De même, le flacon de nard, qu’avec la couronne de fleurs, l’on offre à ses hôtes, provient-il de l’Inde ou bien s’agit-il là de nard celtique (que, par abus de langage, l’on appelle aussi nard gaulois) ? Difficile à préciser. Il reste néanmoins que ces deux nards, issus des cimes montagneuses et neigeuses, d’émanation divine car il est entendu que les hautes montagnes sont des dieux les demeures, possèdent chacun un parfum si caractéristique, si précieux aussi, que cette substance est chantée jusque dans Le Cantique des cantiques : « Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne son parfum […] Tu es les plus rares essences : le nard et le safran, avec les plus fins arômes » (selon les traductions de ce passage, il n’est pas question de nard mais d’aspic en lieu et place). Quand on sait à quel point des substances comme le nard et le safran sont rares, on comprend leur propension à être falsifiées. Aussi, ne s’étonnera-t-on point, une fois de plus, de la difficulté qui consiste à exactement identifier ce « nard », sans compter que l’essence de nard était si précieuse et onéreuse que son nom « a fini par désigner le parfum de luxe par excellence », et ce qu’il contienne ou pas du nard. Est-ce donc le nard de l’Himalaya qu’utilisa Marie de Béthanie afin d’en oindre les pieds du Christ ? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de l’évangile selon saint Jean (12 : 3). En revanche, ce que l’on nous y explique, c’est que ce nard était considéré comme pistikè, autrement dit authentique. Considérons qu’il s’agit là du nard de l’Himalaya. Selon des conditions climatiques plus ou moins propices, la taille de cette plante varie de quelques centimètres de hauteur à quelques dizaines. Ses tiges, passablement velues, portent à leur base des feuilles entières, lancéolées, aux nervures presque parallèles et s’ornent de cymes florales dont la couleur rappelle assez celle du chakra de la couronne (violacée), tandis que, logée sous la terre, la plus grosse partie du nard de l’Himalaya, autrement dit ses rhizomes, évoque par sa teinte celle du chakra de la racine. C’est là une signature physique. Elle ne serait pas aussi intéressante si elle ne faisait pas écho à une autre signature : en effet, pour peu qu’on se penche sur les couleurs de l’aura de l’huile essentielle de nard de l’Himalaya, on peut être étonnamment surpris de constater qu’elles sont au nombre de deux : le rouge… et le violet ! Elle permet donc une connexion aux racines de la Terre, mais aussi à celles du Ciel. Par exemple, lorsque Marie de Béthanie utilise l’essence de nard pour en oindre les pieds du Christ, elle les essuie avec ses propres cheveux : « Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, que Jésus avait ressuscité d’entre les morts. On lui fit là un repas. Marthe servait. Lazare était l’un des convives. Alors Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux, et la maison s’emplit de la senteur du parfum » (3). C’est bien là, je pense, l’union du Terrestre (les pieds, les forces chthoniennes, la couleur rouge, le chakra de la racine…) et du céleste (les cheveux, les forces cosmiques, la couleur violette, le chakra de la couronne…) qu’il faut prendre en compte.
Les chrétiens ont fait du nard un symbole d’humilité. Son parfum, à la fois dense et léger, évoque non sans peine l’odeur d’humus et de tourbe en décomposition, issus de la détérioration de ce que peut compter la litière d’une forêt de feuilles, de branches mortes et brindilles, d’autres débris, aussi bien végétaux qu’animaux. Il représente la terre noire, riche, organique, un peu grasse, quelque peu amère, mais sans froideur, avec juste ce qu’il faut d’épicé et de boisé. Ce qui ne veut pas dire qu’il symbolise les profondeurs souterraines, non : si on l’a dit humble, c’est parce que le nard se situe près de la terre, humilis en latin, qui véhicule un sens assez proche du mot humus. Dire que le nard est fait d’humilité permet de renforcer celle du Christ. Oublions le caractère précieux du nard, considérons seulement son caractère royal et sacré au sens noble, et l’on comprendra mieux cette symbolique. La lecture d’un nouvel extrait de l’évangile selon saint Jean peut y aider : « Judas l’Iscariote, l’un des disciples, celui qui allait le livrer, dit : ‘Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu 300 deniers (4) qu’on aurait donnés à des pauvres ?’ Mais il dit cela non pas par souci des pauvres, mais parce qu’il était voleur et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait. Jésus dit alors : ‘Laisse-la, c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours’».
Le nard faisait partie des huiles royales employées par les Hébreux afin de consacrer les rois et les prêtres. Il était censé favoriser l’émergence du sentiment de l’Un, la prise de conscience de l’existence d’un Grand Tout, ainsi que l’appréhension du caractère fractal de l’existence : découvrir et comprendre la présence du divin dans le Monde (macrocosme), ainsi que dans notre monde intérieur et personnel (microcosme). Comme souligné par Jutta Lenze, « il représente la ligne de démarcation entre mondes matériel et immatériel, entre la mort et la décomposition afin de pouvoir générer de nouvelles potentialités » (5). Cette complexité, à l’image du parfum de l’huile essentielle de nard de l’Himalaya (qui n’est pas de ceux qu’on place entre des narines non averties) s’exprime par la capacité qui est sienne de fixer et de renforcer les autres odeurs, bien qu’on ne puisse par la considérer comme huile d’ancrage à la terre seulement du fait qu’une grande quantité de ses molécules possèdent des vibrations très élevées, puisque, comme nous l’avons dit, l’une des couleurs de l’aura de cette huile essentielle, qui appelle le chakra de la couronne, se trouve être le violet, couleur qui vibre plus rapidement que le rouge.

Le nard de l’Himalaya en aromathérapie

Au Moyen-Âge, Odon de Meung, plus connu sous le nom d’emprunt de Macer Floridus, rédige une monographie qu’on trouve dans le De viribus herbarum, contenant des références non pas à une seule plante mais à deux : d’une part le nard dit indien, d’autre part le nard celtique dont Macer dit simplement que ses propriétés sont identiques mais moins puissantes. Comme de coutume, il reprend les écrits des anciens de l’Antiquité desquels émergent les données qui suivent : ce nard indien serait un remède des affections hépatiques, vésico-rénales et gastro-intestinales. De plus, l’on dit ce nard emménagogue, intervenant pour faciliter les règles, désobstruer la matrice, réguler les ménorragies. Cardiaque, il calme les palpitations. Une vertu aphrodisiaque lui était conférée par Macer Floridus. Nous aurons bientôt l’opportunité de confronter ces données à celles que l’aromathérapie nous livre à propos de l’huile essentielle de nard de l’Himalaya que nous allons, tout d’abord, décortiquer un petit peu biochimiquement. Extraite des rhizomes par une distillation à la vapeur d’eau qui dure environ six heures, cette huile essentielle liquide reste assez fluide bien que dense (0,95). Sa couleur varie du jaune clair ambré au jaune brun. Directement respirée au flacon, cette huile essentielle développe des arômes très particuliers où se mêlent de la douceur, des épices, du miel, de l’herbe fraîchement coupée, que sais-je encore ? Passée sur la peau, ce sont des odeurs tourbeuses, des relents de vieux cuirs et de patchouli qui prennent le relais et viennent égarer nos narines. Et, de même que le patchouli, l’odeur du nard peut rebuter les narines qui n’y sont pas préparées : « Tu plaisantes !, s’exclame Lamia face au roi Démétrios, je pense que cette odeur est la plus mauvaise de toutes ! », dit-elle au sujet du nard que le roi lui présente (6).
Voici maintenant ce que nous apprend l’analyse biochimique de cette huile essentielle :

  • Sesquiterpènes : 65 % (dont bêta-guyenène, alpha et bêta-patchoulène, calarène…)
  • Sesquiterpénols : 5 à 15 % (dont patchoulol)
  • Monoterpènes : 2 à 4 %
  • Aldéhydes sesquiterpéniques : 2 %
  • Oxydes : 1 %
  • Cétones : 1 %

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique
  • Régulatrice du système cardiovasculaire, veinotonique, décongestionnante veineuse et lymphatique, phlébotonique, hypotensive, hypertensive, sédative cardiaque
  • Régulatrice du système neurovégétatif
  • Antalgique, anti-inflammatoire
  • Stimulante ovarienne
  • Apaisante, nourrissante et régénérante cutanée, cicatrisante, stimulante des bulbes capillaires
  • Sédative respiratoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : arythmie cardiaque, tachycardie, hypotension, hypertension, varice, hémorroïde
  • Troubles de l’interface cutanée : psoriasis, eczéma, plaie, ulcère variqueux, irritation et démangeaison cutanée, dermatite allergique, dermite, dermite de stress, prurit, hallux valgus, zona
  • Névrite, sciatique, migraine
  • Anosmie
  • Insuffisance ovarienne
  • Stress, anxiété, angoisse, tension nerveuse, hyperkinésie, apathie, fatigue émotionnelle, surmenage, choc émotionnel, peur, phobie

D’un point de vue psycho-émotionnel et énergétique

Globalement, les huiles essentielles à haute teneur en sesquiterpènes (cèdre de l’Atlas, myrrhe, gingembre, patchouli, vétiver, ylang-ylang…) sont extraites de plantes employées depuis des temps fort anciens à des fins spirituelles dont elles favorisent le développement.
Contrairement à ce que souligne Jutta Lenze, je ne pense pas que le nard représente une ligne de partage, de démarcation pour reprendre son terme. Bien plus, je conçois l’huile essentielle de nard comme une union, puisque comme nous l’explique son appellation en indien, jatamansi (ou akashamansi) signifie « esprit incarné », mot qu’il faut comprendre comme : dans la chair (into the flesh si l’on est anglais). Il unit le subtil (le violet…) et l’épais (le rouge…) dans le même temps. Pour faire bonne mesure, le nard ne se satisfait pas que des extrêmes, puisqu’un troisième chakra le concerne aussi directement : Anahata (ou chakra du cœur), idéalement placé entre le chakra supérieur qu’est celui de la couronne et l’inférieur de la racine. Mais il ne s’agit pas là que de points isolés : des lignes invisibles les relient. A ce titre, Michel Odoul et Elske Miles attribuent à l’huile essentielle de nard de l’Himalaya une action particulièrement marquée sur le méridien du Cœur. Après vérification, la comparaison entre les propriétés thérapeutiques de cette huile essentielle et ce que regroupe ce méridien en tant qu’usages établis par la médecine traditionnelle chinoise, l’on peut affirmer sans crainte que ce choix, de la part de ces deux auteurs, est heureux : tout déséquilibre de ce méridien s’accompagne, par exemple, d’une perturbation du psychisme et des émotions : un méridien du cœur en bon état, c’est synonyme de joie de vivre et de générosité dans les affects. Au contraire, s’il fonctionne moins bien, peuvent se profiler violence et émotions incontrôlées (excitation, agitation, instabilité émotionnelle, hyperémotivité…). De plus, comme son nom l’indique, ce méridien affecte la sphère cardiovasculaire, terrain sur lequel le nard de l’Himalaya fait merveille (cf. supra). Par ailleurs, un massage de la nuque et des épaules (au niveau du chakra de la gorge, donc) à l’aide de cette huile essentielle est salutaire, car, comme le souligne Jutta Lenze, « cette partie du corps est souvent très contractée, témoignant de notre fonctionnement occidental très volontaire et en force » (7). Par le biais de ce canal, le nard permet à l’énergie d’emprunter un chemin en direction du plexus solaire, puis, plus bas, de « toucher terre » au niveau du chakra de la racine (rappelons-nous – humilis – l’humilité). Cette huile essentielle peut donc être considérée comme une passerelle entre le terrestre et le spirituel. De plus, elle aide à prendre conscience des mondes indicibles. Elle dissout les blocages, apaise, détend, équilibre le système nerveux, voilà pourquoi elle est fréquemment utilisée pour la méditation. Elle permet de s’amender et de partir à la recherche du calme, du relâchement, du réconfort, de la paix, de la foi aussi (quelle qu’elle soit). L’huile essentielle de nard de l’Himalaya est particulièrement destinée aux personnes dispersées, hyperactives, perfectionnistes, à celles qui dramatisent excessivement. On peut également l’employer chez les personnes submergées par des émotions violentes et destructrices (jalousie, souci, tourment, doute, chagrin, trac, peur…), qui se sentent isolées (abandon, solitude, accompagnement de fin de vie) ou bien encore à celles qui ne s’apprécient pas, leur conférant chaleur, confort, force et courage en elle-même.
Devant le parfum de cette huile essentielle, malaise, répugnance, voire rejet peuvent survenir, sans doute parce qu’elle invite à traverser une noire humidité souterraine, effrayante mais néanmoins nécessaire : certaines graines ne peuvent germer sans humus. Face à cette épreuve, il est vrai que des peurs s’expriment tant physiquement que psychiquement. Il n’est pas de grand homme qui n’ait jamais obtenu sa grandeur sans faire preuve d’humilité : c’est bien ce que ce monde occidental perverti ne parvient pas à comprendre (dans ses implications les plus délétères surtout) : oui, il ne parvient pas à comprendre que pour grandir il faut aussi se tenir le plus bas possible. Ce qui explique ce qu’en dit Michel Faucon : « c’est une huile de passage vis-à-vis de tous les deuils que l’on devra faire dans l’existence pour […] continuer sa route » (8).

Modes d’emploi

  • Voie interne.
  • Voie cutanée (huile essentielle diluée en massage ou pure en friction).
  • Inhalation sèche.
  • Diffusion atmosphérique.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

Comme nous l’avons vu, les 2/3 des molécules aromatiques contenues dans l’huile essentielles de nard de l’Himalaya sont des sesquiterpènes qui ne présentent aucune toxicité aux doses physiologiques normales. Cette huile essentielle peut donc s’appliquer pure sur la peau sans risque de dommage puisqu’elle ne l’irrite pas. Cependant, comme toute chose, il est bon de ne faire de cette huile essentielle qu’un usage sur courte durée. La femme enceinte se passera de ses services durant les trois premiers mois de grossesse, ainsi que la femme qui allaite.


  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 950.
  2. Susanne Fischer-Rizzi, Le guide de l’encens, p. 209.
  3. Évangile selon saint Jean.
  4. Cela représente le salaire annuel moyen d’un ouvrier de l’époque, c’est donc une véritable fortune.
  5. Jutta Lenze, Huiles royales, huiles sacrées, p. 69.
  6. Athénée, Les Deipnosophistes.
  7. Jutta Lenze, Huiles royales, huiles sacrées, p. 73.
  8. Michel Faucon, Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 609.

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Le lédon du Groenland (Rhododendron groenlandicum)

Synonymes : thé du Labrador, thé velouté.

L’inconvénient des huiles essentielles lointaines, c’est que la littérature qui leur est habituellement réservée peut parfois apparaître comme ténue : à deux ou trois caractéristiques succèdent quelques anecdotes, dont le sens ne peut se comprendre que par rapport au contexte duquel elles sont tirées. Avec le lédon du Groenland, je ne vais pas m’aventurer dans un marécage bourbeux au risque de m’y noyer rapidement. Par chance, en Europe, l’on connaît un autre lédon, le lédon des marais (Ledum palustre) qui, contrairement à ce que son nom indique, opte plus favorablement pour les landes tourbeuses issues de l’assèchement des tourbières. Il ne faut donc pas l’imaginer les pattes dans l’eau, à l’image de ce majestueux animal qu’est l’orignal et dont l’aire de répartition recouvre peu ou prou celle du lédon des marais.
Toutes les flores de France vous le diront, le lédon des marais est inconnu sur le territoire national. Si un jour cette plante a été française, c’est durant l’occupation de la Belgique pendant ces quelques vingt années à cheval sur le XVIII ème et le XIX ème siècle (1790-1814 environ). Française, l’on peut penser que cette plante l’est si l’on en croit Cazin qui la localise dans les Vosges, ce qui a été contredit. Absent de France, le lédon se trouve cependant en Belgique et en Allemagne : quelle est donc cette plante qui n’ose pas traverser la frontière ? Pourtant, certaines informations laissent penser que ce lédon aurait, d’une manière ou d’une autre, foulé le sol français. Bien que non naturalisé, il aurait été cultivé. C’est du moins ce que prétend Cazin dans la deuxième édition du Traité pratique qui date de 1858. Il sait néanmoins que ce lédon est, de fait, peu usité en France. Son absence presque complète – lui-même dit ne pas l’utiliser – qui le rend, par force, inconnu, ne lui prête aucune notoriété : « cette plante active, dont l’emploi thérapeutique n’est pas suffisamment déterminé, est très peu employée », conclue-t-il (1). Cependant, dans la très courte monographie qu’il consacre au lédon des marais et que j’ai été très heureux de découvrir, Cazin précise que cette plante est utilisée par les Allemands dans l’industrie brassicole afin de rendre la bière plus enivrante et narcotique. Cela pourrait se cantonner à la seule Allemagne s’il n’y avait pas, dans un herbier datant du début du XIX ème siècle, la présence étonnante du lédon des marais. Cet herbier, à l’initiative d’un médecin français, le docteur Brayer, affiche clairement une planche botanique représentant le lédon des marais dont l’échantillon aurait été cueilli dans le département de l’Aisne, près de la petite ville de Guise, à mi-chemin entre Saint-Quentin et Fourmies. Pourtant, aujourd’hui, cette station n’est pas reconnue pour accueillir une population de lédons des marais à l’état sauvage. S’il y a eu implantation de cette plante dans cette zone, c’est probablement parce que ce lédon fut peut-être cultivé à destination d’une industrie propre à cette région non viticole : celle de la bière. Dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de l’Aisne, en effet, avant même la généralisation des houblonnières, on faisait intervenir d’autres plantes que Humulus lupulus, plantes dont la réputation antiseptique permettait une meilleure conservation de la bière après sa fabrication, ainsi qu’une stabilité accrue, « de même que l’aromatisation d’un liquide initialement assez fade ». Ces plantes – elles sont au nombre de trois – forment un mélange aromatique qu’on appelle le gruit. On y trouvait le myrte des marais (Myrica gale), l’achillée millefeuille (Achillea millefolium) et, donc, le lédon des marais. Or, près de Guise, c’est-à-dire cette commune où l’herbier de Brayer localise le lieu de la récolte de son échantillon de lédon des marais, on a observé une activité brassicole certaine durant le XIX ème siècle. Peut-on, dès lors, imaginer une culture locale du Ledum palustre pour alimenter l’industrie brassicole environnante ? Rien n’est sûr, mais l’on peut en terminer là en affirmant que la bière de gruit « stimule l’esprit, crée l’euphorie et augmente la libido ». Autant de raisons qu’on avait de se réjouir dans ce grand nord de la France.

Sous-arbrisseau appartenant à la même famille que les bruyères (Éricacées), le lédon du Groenland est une plante endémique de la partie septentrionale du Canada et de l’Alaska, parce que ces régions pourvoient aux besoins de cette plante, à travers des sols qui lui conviennent : proximité de tourbières, muskeg (fondrière de mousse), toundra, sur rocailles et rochers humides, et sols siliceux (surtout pas calcaires), et cela des zones planes de basse altitude à d’autres plus montueuses.
Pas très élevé (30-40 cm), le lédon du Groenland est composé de branches dressées, velues à écailleuses, de couleur brun roux lorsqu’elles sont jeunes. Elles portent des feuilles persistantes, alternes, linéaires (comme celles du romarin), ou bien en forme de fer-de-lance. De nature coriace, ces feuilles possèdent des bords enroulés, sorte de protection face au froid peut-être : vert grisâtre au-dessus, leur surface inférieure s’apparente à un treillis roussâtre d’aspect feutré comme un chapeau. D’odeur forte, couvertes de résine parfumée comme les feuilles du ciste ladanifère, ces feuilles de saveur chaude, piquante et amère, présentent la particularité, avec les branches qui les portent, d’être quasiment imputrescibles. Entre les mois de mai et de juillet, le lédon du Groenland s’orne de fleurs blanches et odorantes disposées en ombelles terminales qui forment par la suite des fruits capsulaires pendants.

Le lédon en phyto-aromathérapie

Si l’on ne s’intéresse pas à des sujets ayant trait à l’aromathérapie, il y a très peu de chance de connaître le lédon du Groenland en France, et même parmi les aficionados des huiles essentielles, il est bien possible de trouver un certain nombre de personnes qui n’en ont jamais entendu parler, parce que cette huile essentielle est rare et, par voie de conséquence, très chère : après un relevé de tarifs effectué auprès d’une dizaine de sites francophones, on se situe, en moyenne autour de 29 € les 5 ml. La localisation géographique n’aide pas non plus : gageons qu’un(e) Québecois(e) saura davantage de quoi il retourne quand on évoque ce lédon, qui en appelle un autre : le lédon des marais, dont la répartition circumpolaire ou boréo-continentale ne concerne pas l’Amérique du Nord, mais l’Asie et l’Europe, ce qui le rend plus proche de nous, bien qu’il n’appartient pas, comme nous l’avons vu, à la flore de France. Nous pouvons donc établir quelques informations d’un point de vue aromathérapeutique en ce qui concerne le lédon du Groenland, et phytothérapeutique au sujet de ce second lédon. Malgré cette proximité, nous verrons que les informations qui se réfèrent au lédon des marais sont beaucoup plus minces que celles qui émanent de l’étude des propriétés de l’huile essentielle de lédon du Groenland. Cette dernière est obtenue par distillation des rameaux fleuris. Produit incolore voire jaune pâle, l’huile essentielle de lédon du Groenland possède une odeur fraîche d’herbe coupée mêlée à une touche douce appuyée qui peut rebuter certains. De cela, une composition biochimique est responsable :

  • Monoterpènes : 50 à 65 % (dont limonène, sabinène, alpha et bêta-pinène)
  • Sesquiterpènes : 25 % (dont alpha et bêta-sélinène)
  • Monoterpénols : 3 à 7 %
  • Sesquiterpénols : 4 à 5 % (dont lédol et palustrol)
  • Cétones : 3 %

Au sujet du lédon des marais, outre sa richesse en vitamine C, l’on sait aussi qu’il contient de la résine et du tanin, ainsi qu’une essence aromatique dont la distillation pourrait nous dire dans quelle mesure cette plante se rapproche du lédon canadien. En tout état de cause, cela n’est en aucun cas une plante inactive si l’on en croit la réputation qui veut qu’elle soit « toxique ». Cependant, le peu qui transparaît dans la littérature spécialisée laisse entendre que, d’un point de vue thérapeutique, ces deux plantes se valent.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique digestive, stomachique, carminative
  • Draineuse hépatique, régénératrice du foie et de la vésicule biliaire, cicatrisante hépatocytaire
  • Décongestionnante puissante, anti-inflammatoire, antispasmodique
  • Antalgique, analgésique
  • Dépurative rénale
  • Inhibitrice de la glande thyroïde
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antivirale
  • Sédative puissante du système nerveux central, narcotique, hypnotique, calmante, relaxante, anti-dépressive

Note : à cela, ajoutons que les feuilles et sommités fleuries du lédon des marais sont toniques (amères), astringentes, vulnéraires, cicatrisantes, sudorifiques et répulsives des insectes (mites, blattes, teignes).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : intoxication hépatique, hépatite virale et séquelles d’hépatite, petite insuffisance hépatique, congestion hépatique, cirrhose
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : gastro-entérite, entérite virale, dysenterie, intoxication alimentaire, spasmes intestinaux
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : congestion et adénome prostatique, prostatite, prostatite infectieuse, néphrite, intoxication néphrétique
  • Troubles locomoteurs : douleurs au niveau des membres inférieurs (cheville, pied, tendon d’Achille), inflammation des fascias plantaires, arthrose, spasmes musculaires
  • Affections cutanées : allergie et hypersensibilité cutanée, acné, dartre, teigne
  • Troubles du système nerveux : insomnie, insomnie sévère, nervosité, stress, stress extrême, angoisse, panique, colère, spasmes du plexus solaire, déprime, dépression
  • Inflammation des ganglions lymphatiques, adénite
  • Dérèglement thyroïdien
  • Coqueluche, catarrhe pulmonaire
  • Maux de tête

D’un point de vue psycho-émotionnel et énergétique

L’huile essentielle de lédon du Groenland est d’un bon recours lorsqu’on observe une perturbation du chakra du plexus solaire qui peut induire des dysfonctionnements d’ordre hépatique, digestif et articulaire entre autres. Ce qui ne laisse pas d’étonner quand on observe une partie des usages thérapeutiques du lédon du Groenland comme vus précédemment. Rien de surprenant, en réalité, sachant que Manipura porte une action sur le foie et la vésicule biliaire, donc sur les deux méridiens qui sont associés à ces deux organes, relevant l’un et l’autre de l’élément Bois défini par la médecine traditionnelle chinoise, quand bien même cette huile semble agir de manière plus marquée sur le foie, d’un point de vue physique comme psychique.
L’huile essentielle de lédon du Groenland, par sa puissante propriété spasmolytique, intervient avec bonheur au niveau du plexus, surtout quand ce dernier est secoué de spasmes, ce qui peut avoir pour corollaire une insomnie, une insomnie récalcitrante ou bien un stress particulièrement appuyé. De plus, le plexus solaire gère le foie, lequel est le siège de la colère et de la peur : cela peut mener à user de cette huile essentielle en cas d’agressivité, d’angoisse, voire de panique. Enfin, on peut l’employer chez les personnes trop rigides, ainsi que celles chez lesquelles l’ego est exacerbé à travers un complexe de supériorité, une ambition qui confine à un arrivisme des plus douteux : quels que soient les moyens (illégaux, illégitimes, immoraux), seule compte la fin pour ces personnes jupitériennes.

Siège du pouvoir, le chakra du plexus solaire est un centre énergétique qui a pour vocation le contrôle des pulsions et des émotions. On peut dire de lui que c’est un chakra éminemment social, en relation avec ce qui nous entourent à travers des couples émotionnels tels que sympathie/antipathie, attraction/répulsion, etc.

En ce qui concerne spécifiquement le chakra du plexus solaire, petit rappel :

  • Harmonie : coopération avec le plus grand nombre, amour fraternel, altruisme, ouverture d’esprit, confiance en sa propre capacité de pouvoir, courage, force intérieure, dynamisme, vigueur, résistance à la fatigue, activité, responsabilité, sagesse, logique.
  • Disharmonie : peur, timidité, anxiété sociale, lâcheté, soumission, auto-dépréciation. Ou au contraire : domination, possessivité, arrogance (y compris intellectuelle), orgueil, égoïsme, mégalomanie, complexe de supériorité, colère, rancune, dépression, difficulté à assimiler les expériences quelles qu’elles soient, incapacité à prendre du recul face à ces mêmes expériences, rigidité mentale, froideur relationnelle, manque d’empathie, entêtement, esprit trop « cartésien ».

Modes d’emploi

  • Voie orale.
  • Voie cutanée (huile essentielle pure en friction, diluée en massage).
  • Inhalation sèche.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • L’huile essentielle de lédon de Groenland ne convient pas aux enfants de moins de six ans. De même, on observera une certains prudence auprès des femmes enceintes ou qui allaitent.
  • La dermocausticité est toujours possible (en raison des nombreux monoterpènes contenus dans cette huile). Si une potentielle allergie à l’un ou l’autre des composants est connue, mieux vaut la diluer avant usage cutané (20 % maximum).
  • Ne pas utiliser cette huile essentielle en cas de prise d’anticoagulants.
  • En Amérique du Nord, on utilisait les feuilles du lédon comme succédané du thé, d’où son nom vernaculaire de thé du Labrador, alors qu’en Russie, le lédon des marais, distillé avec l’écorce de bouleau, mêlait ses effluves fauves et sauvages à l’empyreume parfum de cette blanche écorce, apprêtant les fameux cuirs de Russie à l’odeur caractéristique.
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 530.

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