Plante compagnon de l’homme depuis des milliers d’années (la découverte de baies de genévrier dans des grottes présentant des traces d’activités humaines en atteste), le genévrier, qu’il soit plante médicinale ou magique, n’a eu de cesse d’exercer une fascination, tant l’ampleur de ses pouvoirs est vaste. Si j’ignore à quels usages se destinaient ces baies préhistoriques, des traces plus récentes font état de pratiques médico-magiques chez de nombreux peuples. Cela se passait à une époque où ces deux domaines étaient inextricablement mêlés, ce qu’ils sont beaucoup moins aujourd’hui, chose véritablement regrettable. Qu’ils soient habitants de l’Inde, du Tibet, de l’Égypte ou de la Grèce, des gens ont fait appel au genévrier pour cela. En Égypte, le genévrier – qui est mentionné dans le papyrus d’Ebers 1 500 ans av. J.C. – entrait dans la composition du kyphi. Pour la Grèce, nous pouvons citer l’exemple d’Hippocrate qui aurait procédé à des fumigations de genévrier lors d’une épidémie de peste à Athènes (vingt-cinq siècles plus tard, on faisait encore de même dans les hôpitaux français afin d’assainir l’atmosphère…). Nous retrouvons encore le genévrier au sein de recettes accompagnant des prières de contrainte, dans la main de Médée pour endormir le dragon gardien de la Toison d’or, etc. Aussi a-t-on dit, entre autres, que le genévrier possède une action purificatrice sur le corps, l’âme et l’esprit, sur les personnes mais également sur les espaces de vie qu’elles occupent.
Les Anciens faisaient donc brûler du bois et des rameaux de genévrier. Les Romains de l’Antiquité, pas cons, quand ils n’avaient plus ni encens ni romarin, utilisaient du genévrier. Simple et efficace principe de substitution que bon nombre d’apprentis « mages » ou « sorciers » feraient bien d’imiter, soit dit en passant. Ainsi, on chassait les mauvais esprits (comme la peste…) et les démons, sans doute sensibles à la puissante odeur balsamique de cet arbre. Mais on ne se contentait pas de le brûler. On le plantait près des habitations, on pendait des bouquets de rameaux aux portes et aux fenêtres, ainsi qu’à l’entrée des étables et des écuries. Parfois, on procédait à des lustrations ou bien on frappait carrément les murs des maisons avec de tels rameaux. Ainsi faisait-on en Allemagne, en Italie, en Estonie, en Turquie, etc.
Passons maintenant aux vertus défensives du genévrier au sein du corps humain. J’espère que vous ne serez pas surpris d’apprendre que le genévrier, lorsqu’on l’ingère, joue un rôle similaire à celui évoqué plus haut : il chasse les toxines du corps (l’urée, par exemple), c’est un dépuratif sanguin, un diurétique, un purifiant du filtre rénal, un antivermineux, etc. Autant le dire tout net : il provoque à l’intérieur du corps de l’homme les mêmes effets que les fumigations le font sur l’extérieur de l’homme et son environnement. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, semblerait-il (le « pire », c’est que – chose que bien de mes contemporains ne parviennent pas à comprendre – c’est pareil pour chaque plante !).
De Caton à Dioscoride, les Anciens sont unanimes à propos des pouvoirs diurétiques du genévrier, ce que ne tarde pas à plébisciter Pline, qui ajoute d’autres propriétés : digestif et dépuratif, le genévrier chasse les toxines et ragaillardit les zones du corps qui s’en trouvent affaiblies.
Le Moyen-Âge verra s’accroître le bagage médicinal du genévrier, puisqu’on lui accorda les qualités de tonique général et d’antirhumatismal. Déjà, Hildegarde avait perçu les propriétés pectorales et hépatiques du genévrier, elle en fit aussi un remède contre les douleurs de la goutte.
Plus tard, du XVI ème au XIX ème siècle, nombreux sont les médecins et botanistes (Matthiole, Jérôme Bock, Fuchs, Helvétius, Kneipp, etc.) à réaffirmer les propriétés diurétique, dépurative, antirhumatismale, antiarthritique et tonique du genévrier, entrant en ligne de compte dans les affections sanguines et des voies urinaires. Aussi, fréquentes ont été les préparations à base de genévrier qui permettaient de guérir ces affections : des vins diurétiques médicinaux (vin de la Charité, vin de l’Hôtel-Dieu), l’huile de Haarlem (?), destinée aux douleurs goutteuses et rhumatismales, aux coliques néphrétiques…
On peut penser que le genévrier n’est pas un arbre, tout au plus un arbuste robuste et plus ou moins rabougri. Mais c’est sa croissance très lente qui peut donner cette fausse idée. Cela ne l’autorise jamais à dépasser les 6 m de hauteur. De plus, il peut paraître encore plus petit selon le biotope qu’il occupe ; aussi a-t-il un port élevé ou rampant selon l’altitude (et la rudesse du climat qui va avec) à laquelle il pousse. Nous en avons déjà touché deux mots lorsque nous avons parlé du mélèze.
Semper virens, muni d’une myriade de très courtes aiguilles, le genévrier est dioïque, c’est-à-dire qu’il existe des pieds mâles et d’autres femelles. La floraison, qui se déroule entre avril et mai, laisse ensuite la place à ce que l’on appelle les baies de genévrier. En réalité, elles n’en sont pas ; botaniquement, il s’agit de cônes (le genévrier est un conifère, c’est-à-dire qu’il « porte des cônes » !). Couverts de pruine – une pellicule de matière cireuse – ces cônes sont verts durant la première année de fructification, ils ne deviennent noirs qu’à la seconde (c’est à ce moment qu’on les récolte).
Le genévrier se développe dans des zones tempérées, mais sèches et arides, de l’hémisphère nord. On le trouve dans les broussailles, les landes et les friches.
Le genévrier en aromathérapie
Huile essentielle : description et composition
Compte tenu du fait des multiples Juniperus existants, il est bon de faire le tri avant d’évoquer en détail l’un d’entre-eux, le communis à baies (il existe aussi le J. communis CT rameaux à baies, ainsi que le J. communis var. montana CT rameaux à baies). On dénombre bien d’autres Juniperus : oxycedrus, virginiana, mexicana, phoenica, sabina, sabina var. arborea…
On concentrera notre attention sur l’huile essentielle de genévrier commun obtenue à partir des baies. Les autres produisent également des huiles essentielles, mais les parties végétales qu’on emploie sont différentes, cela a donc une incidence sur la composition biochimique de chacune.
N° 1 : Juniperus communis CT baies : monoterpènes (80 %), sesquiterpènes (15 %)
N° 2 : Juniperus communis CT rameaux à baies : monoterpènes (60 %), sesquiterpènes (30 %)
N° 3 : Juniperus communis var. montana CT rameaux à baies : monoterpènes (50 %), esters (30 %)
Ici nous ne parlerons donc que de l’huile n° 1. Sachons que sa composition peut varier selon s’il s’agit d’un genévrier de plaine ou de moyenne montagne. L’altitude a donc là aussi un rôle majeur (comme on le voit avec la variété montana qui porte bien son nom).
Avant de procéder à la distillation, on écrase grossièrement les baies puis on les place dans un alambic afin qu’elles soient hydrodistillées. Le rendement est très variable : il va de la chicheté (0,5 %) à la prodigalité (3,4 %).
Huile essentielle amère à la saveur chaude, l’huile essentielle de genévrier à baies est d’odeur fraîche et résineuse, légèrement poivrée. Elle est de couleur jaune limpide le plus souvent, parfois accompagnée de reflets verdâtres. Très utilisée en parfumerie, elle entre dans la composition de fragrances aux notes boisées.
Propriétés thérapeutiques
- Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antiseptique des voies urinaires, pulmonaires et digestives, antiseptique atmosphérique
- Apéritive, digestive, antifermentaire et antiputride intestinale, antidégénérante stomacale et duodénale
- Stimulante hépatopancréatique, antidégénérante hépatique, protectrice des cellules hépatiques
- Anti-inflammatoire, antalgique
- Diurétique, dépurative
- Décongestionnante veineuse, vasoconstrictrice
- Expectorante
- Spasmolytique
- Antilithiasique
- Harmonisante du système neurovégétatif, tonique cérébrale, stimulante des surrénales
- Emménagogue
- Répulsive insectifuge
Usages thérapeutiques
- Troubles articulaires, musculaires, tendineux et nerveux : rhumatismes, arthrite, polyarthrite, arthrose, raideur articulaire, courbature, torticolis, lumbago, douleurs et crampes musculaires, tendinite, sciatique et autres névrites
- Troubles circulatoires : cellulite, rétention d’eau, œdème des membres inférieurs, œdème généralisé, hydropisie, varice, hémorroïdes
- Troubles gastro-intestinaux : fermentation intestinale, entérocolite fermentaire, colite inflammatoire, colite spasmodique, syndrome du côlon irritable, ballonnement, acidité gastrique, manque d’appétit
- Troubles de la sphère respiratoire : encombrement bronchique, bronchite, rhume, rhinite, toux
- Troubles génito-urinaires : cystite, blennorragie, lithiase rénale, lithiase urinaire, menstruations douloureuses, leucorrhée
- Troubles cutanés : acné, eczéma suintant, candidoses, plaies, plaies atones, ulcères, traitement des peaux grasses
- Lassitude, fatigue, anémie, épuisement général
- Désinfection des locaux
- Puces, tiques, mites
Modes d’emploi
- Diffusion atmosphérique
- Inhalation, olfaction
- Voie orale
- Voie cutanée
Contre-indications
- Si l’on utilise cette huile essentielle pure sur la peau, la plus ou moins grande proportion d’alpha-pinène qu’elle contient peut être à l’origine d’irritations cutanées. Cette dermocausticité disparaît en dilution dans une huile végétale.
- Huile essentielle potentiellement néphrotoxique en cas de surdosage, en particulier sur une longue période. Elle est contre-indiquée en cas d’inflammation rénale (néphrite par exemple) et d’insuffisance rénale.
- Huile essentielle réservée à l’adulte, proscrite durant grossesse et allaitement.
- L’emploi de cette huile essentielle par voie interne a pour effet de donner aux urines une odeur de violette (ce qui, avouons-le, n’est pas mal ; mieux que celle suivant la consommation d’asperges, autre puissant diurétique).
Usages alternatifs
- Les baies de genévrier aromatisent gin, chartreuse, pâtés, gibiers, sauces, etc. Elles rendent les plats plus digestes. Si l’on trouve des baies de genévrier dans une choucroute à Strasbourg, cela n’est pas le fruit du hasard. Le genévrier joue alors le rôle de digestif, à l’instar de l’origan sur une pizza.
© Books of Dante – 2015