L’huile essentielle d’encens : une autre manière d’utiliser l’oliban

Oliban_fleurs

Synonymes : oliban, encens mâle (1), encens indien.

A bien considérer les diverses étymologies et façons de désigner l’encens, on peut apprendre beaucoup à son sujet. Le mot encens lui-même provient du latin incensum, participe passé du verbe incendere qui signifie brûler, enflammer (2). On note la présence de cette racine en anglais à travers le mot  frankincense (frank : libre et pur). On décèle cette pureté dans l’arabe al-lubân (« être blanc ») et l’hébreu lebonah (« blanc comme du lait »). Les Grecs s’inspirèrent de la désignation arabe en nommant l’encens par le terme de libanos (ils croyaient, à tort, que l’oliban provenait du Liban). Chez les Romains, l’encens répond au curieux nom de thus, à rapprocher du grec thuô (un terme que nous avons déjà abordé quand nous parlions du thym) qui veut dire : « offrir un sacrifice en brûlant des offrandes », ce qui constitue une définition à l’acception très large. Peut-être est-ce là la raison qui vaut à toute substance végétale brûlée par fumigation d’être appelée par le terme générique d’encens, alors que, au sens strict, l’encens n’est autre chose que la gomme oléorésine provenant de petits arbres, les boswellias.

Connu depuis des milliers d’années, l’usage de l’encens remonte aux plus anciennes religions orientales, en particulier en Inde, où l’Ayurvéda emploiera ses qualités. Mais, en ces temps reculés, ce sont moins ses propriétés médicinales qui intéressent l’homme. En effet, il a plus à voir avec « l’église » qu’avec « l’hôpital ». Ovide, dans sa quatrième métamorphose, explique comment et pourquoi l’encens est né. C’est la relation du Soleil (Apollon) avec Leucothoé qui a valu à cette dernière d’être ensevelie vivante par son propre père. « D’un corps promis à la décomposition (3), le dieu avait fait un aromate destiné à relier la Terre et le Ciel » (4). L’encens, pur et sain, est l’émanation du Soleil divin à travers la figure d’Apollon, alors que Leucothoé sacrifiée est celle qui, « malgré tout, montera au ciel. »
Si « l’usage d’employer l’encens dans les sacrifices semble être très ancien » (5), lors de l’antiquité gréco-romaine, l’on ne sait pas exactement d’où provient l’arbre thurifère. Pline en parle longuement, même s’il n’a jamais vu un seul de ces arbres. « Ce sont, dit-il, les seuls Arabes qui voient l’arbre de l’encens, et encore ne le voient-ils pas tous ; on dit que c’est le privilège de trois mille de ces familles seulement, qui le possèdent par droit héréditaire ; que pour cela, ces individus sont sacrés ; que lorsqu’ils taillent ces arbres ou font la récolte ils ne se souillent ni par le commerce avec les femmes, ni en assistant à des funérailles, et que ces observances religieuses augmentent la quantité de marchandises. » (6).
Pendant longtemps, durant l’Antiquité, l’encens aura plus de valeur que l’or (aujourd’hui encore, la production mondiale d’or est supérieure à celle d’encens, laquelle est évaluée à 2000 tonnes par an). C’est peut-être cette contrainte financière qui explique que, à l’époque romaine, on ne donne plus « l’encens aux dieux que par miettes (7) », nous dit Pline, qui ajoute : « Du reste, les dieux n’étaient pas moins propices quand on les suppliait avec de la farine salée ; bien au contraire, c’est l’évidence, ils étaient plus bienveillants » (8). On est loin de l’abondance et de la prodigalité parfois indécente de Néron et d’Alexandre le Grand. Le premier fit brûler pour les funérailles de son épouse Poppée autant d’encens que l’Arabie pouvait en produire pendant une année, tandis que le second « s’étant emparé de l’Arabie, envoya à Léonidas un navire chargé d’encens et l’exhorta à implorer les dieux sans parcimonie » (9). Mais, comme dit Ovide dans sa huitième métamorphose, si « la piété est chère aux dieux, les honneurs qu’elle leur rend, elle les reçoit à son tour. » Quand on sait que Néron s’est suicidé et qu’Alexandre le Grand a probablement été empoisonné, cela en dit long sur la piété de ces deux hommes.
Non, l’encens, ça n’est définitivement pas une question de gloire et de puissance. Au contraire, il « conduit spontanément vers la pacification intérieure, la sérénité, la contemplation » (10). En effet, l’encens, comme d’autres matières parfumées, est considéré comme une substance à même de capter la clémence des divinités et de les apaiser. C’est sans doute cela qui a valu à l’encens d’être cité plus d’une centaine de fois dans la Bible (on y trouve même une recette de « parfum sacré » contenant de l’encens, ainsi que les raisons et la manière de s’en servir). A l’heure actuelle, l’encens fait encore partie de la panoplie liturgique catholique et orthodoxe. On retrouve même l’ancien nom de l’encens – thur – dans le mot thuriféraire qui désigne celui qui porte l’encens et l’encensoir dans la liturgie romaine. Par appropriation, il est donc normal que l’encens ait été lié à une symbolique divine par le christianisme, qui s’exprime à travers les offrandes faites à l’enfant Jésus. Si l’or représente le Roi et la myrrhe l’Homme (et son caractère mortel : n’oublions pas la symbolique mortuaire associée à la myrrhe), l’encens, pour finir, représente Dieu.

Au Moyen-Âge, on trouve, chez de nombreux auteurs, des informations sur les usages médicinaux de l’encens. Tout d’abord, avec Macer Floridus (De Viribus Herbarum), on apprend que l’encens, soixante-seizième plante abordée dans ce texte du XI ème siècle, porte le nom de thus. Peut-être est-ce là un hommage rendu par cet auteur à l’Antiquité classique. Pour lui, l’encens est un tonique cutané (cicatrisation des plaies, brûlures et ulcères), un expectorant et une substance qu’il donne comme antihémorragique. D’un point de vue qui apparaît davantage « psychique », Macer Floridus indique que l’encens éclaircit la vue et fortifie la mémoire.
Au siècle suivant, Hildegarde de Bingen, qui appelle l’encens thur, reprend quelques peu les indications de Macer Floridus (« il clarifie les yeux »). Elle l’utilise sur plaies et démangeaisons, et, en religieuse qu’elle est, la qualité réconfortante de l’encens ne lui a pas échappé.
Dans le Grand Albert, on trouve quelques indications relatives à l’encens : destiné aux maux oculaires, on attribue surtout à l’encens la capacité de lutter contre la corruption de l’air que l’on respire (maladies infectieuses, épidémies…). Quant au Petit Albert, il propose la recette d’une « eau céleste » contenant de l’encens et une foule d’autres ingrédients, au sein d’un mélange qui rappelle les antiques panacées aux propriétés quasiment miraculeuses. Au passage, on ne sera pas surpris d’apprendre que cette eau céleste aurait le don d’éclaircir… la vue !
Des thériaques médiévales aux compositions plus tardives, on trouve l’encens dans bien des compositions magistrales : l’élixir de Garus, le baume du commandeur, etc.
Au XIX ème siècle, avec l’avènement de la chimie de synthèse, le rôle de l’encens dans la pharmacopée décroit peu à peu. Il faudra attendre l’arrivée de l’encens dans le domaine de l’aromathérapie pour le voir s’offrir une nouvelle jeunesse.

Tout comme la myrrhe, l’encens est une sécrétion naturelle de petits arbres qui poussent dans les mêmes zones géographiques que l’arbre à myrrhe : la péninsule arabique et le nord-est de l’Afrique. Selon les régions, on trouve différents boswellias dont voici les principaux : B. rivae (Éthiopie, Érythrée), B. carterii (Somalie, Yémen), B. papyrifera (Kenya). On trouve aussi un boswellia en Inde : B. serrata. Qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Inde ou du Proche-Orient, les boswellias, qui supportent aisément des températures excessives, poussent sur des terrains secs, arides et rocailleux. On en trouve même parmi les rochers. Le tronc forme alors une plaque basale dont la fonction est double : gagner en adhérence et retenir l’humidité.

Boswellia_carterii

L’encens en aromathérapie

Huile essentielle : description

La gomme oléorésine de l’encens est un liquide blanchâtre et visqueux qui s’écoule le long du tronc incisé, sous forme de larmes. On distille cette gomme comme on le fait de la myrrhe, de la férule, de l’opoponax… L’huile essentielle qui en est tirée est un liquide fluide, incolore à jaune très pâle. Son parfum balsamique, boisé, résineux, présente une caractéristique note citronnée, sans être excessive. Du point de vue du rendement, l’encens sait être généraux (3 à 8 %).

Composition biochimique

  • Monoterpènes : 85 % (dont alpha-thujène : 40 % ; alpha-pinène : 20 % ; limonène : 10 %)
  • Sesquiterpènes : 10 %
  • Monoterpénols : 2 %

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antiseptique des voies respiratoires
  • Immunostimulante
  • Expectorante, anticatarrhale, balsamique
  • Anti-inflammatoire, antalgique, antidégénérative
  • Cicatrisante, régénératrice cutanée, desclérosante
  • Harmonisante du SNC, relaxante, apaisante, antidépressive
  • Anticancéreuse (à l’étude)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite catarrhale et asthmatiforme, asthme et asthme allergique, rhume, rhinite, sinusite, laryngite, toux grasse
  • Troubles cutanés : cicatrice, plaie, plaie profonde, plaie atone, engelure, crevasse, escarres, gerçure, brûlure, coup de soleil, piqûre d’insecte, ulcère, ulcère variqueux, vergetures, rides, peaux sèches, fatiguées, asphyxiées
  • Troubles gastro-intestinaux : maladie de Crohn, ulcère gastrique et duodénal
  • Troubles locomoteurs : polyarthrite rhumatoïde, arthrite, arthrose, douleurs musculaires
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, stress, tension nerveuse, fatigue nerveuse, apathie, dépression, impulsivité, irritabilité, agitation, émotivité, obsession

En médecine ayurvédique, l’encens, considéré comme cicatrisant et anti-inflammatoire, est employé contre les maladies cutanées, les rhumatismes et les inflammations du tube digestif.

D’un point de vue psycho-émotionnel

Il est dit, dans la littérature, que B. rivae et B. papyrifera agissent davantage que B. carterii sur la sphère psychique. Cependant, indiquons pour ce dernier – le plus courant – de quoi il retourne.
Lorsqu’on brûle de l’encens de manière traditionnelle, on remarque qu’il induit une respiration lente, profonde et régulière. Si l’on connaît l’action harmonisante de l’encens sur le SNC, l’on peut ignorer que la combustion de l’encens libère du transhydrocannabinol, molécule proche du THC présent dans la résine de cannabis. Ce qui peut expliquer, en partie, les vertus apaisantes et relaxantes de l’encens.
Tout comme l’encens en grains, l’huile essentielle d’encens est préconisée pour la relaxation, l’introspection et la méditation au sens large. Elle agit sur bien des points parmi lesquels : clarté et lucidité, acceptation (de la peur, de la mort, de la peur de la mort), deuil (huile essentielle parfaite en soins palliatifs de fin de vie), se libérer de l’agitation mentale, de la déception, de la perplexité et de l’instabilité, retrouver sérénité et espérance.
Elle permet aussi de dissoudre la rigidité mentale pouvant se transposer sur le corps par des zones douloureuses, et donc de gagner davantage en souplesse d’esprit par rapport aux choses et aux gens.
Les personnes angoissées ponctuellement (examen, entretien…) ou régulièrement (craintes liées à l’avenir, etc.) auront toutes les raisons de faire appel à cette huile essentielle.
Si elle autorise à se débarrasser des cauchemars, l’huile essentielle d’encens semble favoriser les rêves et développer l’intuition ; en effet, c’est l’une des principales huiles essentielles attachées au chakra de la couronne. Et c’est à travers ce chakra que l’huile essentielle d’encens favorise une meilleure communication des idées d’ordre spirituel.
Enfin, l’on peut utiliser cette huile essentielle lors d’un aménagement. Elle purifie bien les locaux et l’on peut l’associer à la sauge officinale, au géranium odorant, au fenouil, etc.

En médecine traditionnelle chinoise

Dans leur Phyto-énergétique, Michel Odoul et Elske Miles associent l’huile essentielle d’encens à deux méridiens, et pas des moindres : le méridien du maître-coeur et le vaisseau gouverneur. A propos du premier, cela se justifie grâce à un ensemble de raisons. Un dysfonctionnement énergétique dans ce méridien peut se traduire ainsi : nervosité, sensibilité, hyperémotivité, instabilité, irritabilité, confusion mentale, agitation, passivité, manque d’enthousiasme. A la lecture de ce que nous avons écrit précédemment, cette huile essentielle est on ne peut plus adaptée.
Le vaisseau gouverneur, qui concerne la tenue du corps, est d’essence yang, masculine et solaire : cela définit parfaitement l’encens. Ayant un rapport au spirituel de par sa nature solaire et céleste, il gère donc la clarté de l’esprit (rappelez-vous combien ont été nombreux les auteurs à mentionner cela !), ainsi que le cerveau et ses idées. D’un point de vue physique, une déstabilisation énergétique de ce méridien provoque un manque d’énergie, un effondrement des défenses immunitaires et donc des états dépressifs.
Allons plus loin et attachons-nous à un troisième méridien. Pour cela, je reprends une vieille note de bas de page qui dit à peu de choses près ceci : premièrement, l’encens intervient sur la sphère respiratoire (système pulmonaire et interface cutanée). De plus, cette même huile essentielle gère un certain nombre de troubles du système nerveux. Si l’on se penche sur la médecine traditionnelle chinoise, on se rend compte que ces trois domaines concernent le méridien du poumon ! Si l’on compare les usages thérapeutiques et psycho-émotionnels de l’huile essentielle d’encens avec les trois listes qui vont suivre (lesquelles indiquent comment se manifeste un dysfonctionnement de ce méridien), force est de constater que cela cadre tout de même pas mal :

  • Toux, bronchite, asthme, rhume
  • Dermatoses, démangeaisons et irritations cutanées
  • Manque de volonté et de souffle, renoncement, apathie, tristesse, chagrin

Modes d’emploi

  • Voie orale diluée
  • Voie cutanée diluée
  • Olfaction, inhalation
  • Diffusion atmosphérique

Contre-indications

  • Cette huile essentielle, bien qu’elle soit dénuée de tout caractère toxique notoire, devra être déconseillée pendant les trois premiers mois de grossesse (principe de précaution).
  • Par ailleurs, en cas d’usage externe, des irritations cutanées sont possibles selon le type de peau. Il faudra veiller à diluer cette huile essentielle dans une huile végétale adaptée.

Usages alternatifs

  • Matière fort prisée par l’industrie de la parfumerie, l’huile essentielle d’encens entre très souvent dans la composition de parfums ambrés, poudrés, « orientaux » quoi qu’il en soit. Les résinoïdes qui sont extraits de cette huile essentielle jouent le rôle de fixateur en parfumerie.
  • Si l’on ne dispose pas d’huile essentielle d’encens, il est toujours possible d’employer l’encens sous forme de grains, les fameuses « larmes ». Quand on les trempe dans l’eau, elles gonflent, se ramollissent et prennent une texture mucilagineuse. L’encens, sous cette forme, peut être appliqué sur une brûlure, une plaie, une écorchure. Elle permet de « lessiver » les plaies, tout en calmant l’inflammation et en maintenant l’asepsie au niveau de la peau. On peut aussi sucer et/ou mastiquer un grain d’encens : il purifie la sphère buccale (et l’haleine par la même occasion), nettoie la langue, etc. Au goût, ça n’est pas désagréable, juste à peine amer.

  1. Il existe un encens dit « femelle » (ou encens d’Arabie) ; mais il provient d’un genévrier, non d’un boswellia.
  2. Selon la théorie des signatures, on peut dire que l’encens n’a pas usurpé son nom vu qu’il possède des qualités anti-inflammatoires de premier ordre.
  3. En Égypte, on introduisait de l’encens dans les cavités abdominales des cadavres lors des cérémonies d’embaumement afin de prévenir la putréfaction. A l’instar de la myrrhe, l’encens était très prisé des Égyptiens. Ils utilisaient ces deux substances pour fabriquer le kyphi, parfum sous forme solide contenant de multiples ingrédients. Ils brûlaient aussi, en guise d’offrande, le bois d’encens. Imhotep, médecin égyptien, fut sans doute le premier à mettre en évidence les qualités cicatrisantes de l’encens.
  4. Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 216
  5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 128
  6. Ibid. p.126
  7. Lorsqu’ils ne disposaient pas d’encens, les Romains employaient du romarin, d’où le nom d’encensier qu’on lui attribue parfois.
  8. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, pp. 92-93
  9. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 126
  10. Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 215

© Books of Dante – 2015

Encens_encensoir