La moutarde noire (Brassica nigra)

champ de moutarde

Bien avant que les plus anciens auteurs antiques ne mentionnent dans leurs écrits la moutarde, cette plante faisait déjà partie du quotidien des hommes. Originaire des régions méditerranéennes orientales, la moutarde se propagea vers l’ouest aux temps préhistoriques. Dès le IV ème siècle avant J.-C. Théophraste indique que la moutarde fait l’objet d’une culture en Grèce. Bien sûr, à l’époque, on ne parle pas encore de moutarde, un mot qui n’est apparu en français qu’au début du XIII ème siècle. Bien plutôt, on donne à cette plante les noms de sinapi, sinapy, sinêpy, etc. De là dérive le mot français sénevé qui désignera pendant longtemps la moutarde. Ainsi, l’on trouve chez Dioscoride un sinêpi, que le médecin grec donne comme antidote. Pline, contrairement à Dioscoride, distingue trois espèces de moutarde qu’il dit salubres pour l’être humain. Cependant, durant l’Antiquité, classique, on se borne à n’utiliser de la moutarde que ses feuilles, que l’on mêlait aux plats en guise de légume vert. C’est Galien qui, le premier, au deuxième siècle de notre ère, mettra au point le cataplasme de farine de moutarde (pour soigner léthargie, paralysie, pleurésie, douleurs occasionnées par le froid…), procédé qui sera repris bien plus tard par Paul d’Egine.
Au tournant du deuxième millénaire, Macer Floridus s’étend longuement sur la moutarde. Chaude et sèche, sa force est dans sa graine, nous dit-il. En effet, selon ce médecin médiéval, la moutarde « aiguillonne les sens, relâche le ventre, fortifie l’estomac, brise la pierre ». Il lui accorde aussi des propriétés diurétiques, expectorantes, mucolytiques, sternutatoires et emménagogues, et prescrit la précieuse graine dans des affections aussi diverses que les maladies respiratoires (rhume, asthme, toux, phtisie), l’obstruction de la rate et du foie, les maux de dents…
Notons que Macer Floridus classe la moutarde parmi les contrepoisons de certains champignons et que, de plus, elle serait fort utile en cas de morsures de serpent, ce qui n’est pas sans rappeler la vertu alexipharmaque de la moutarde rapportée par Dioscoride.
De cette même graine, Macer précise qu’on en extrait déjà l’huile, bonne pour l’engourdissement des nerfs et les douleurs rhumatismales, et que l’on pouvait en faire bénéficier les épileptiques et les hystériques en procédant par fumigation.
Fidèle aux paroles des Anciens, Macer n’omet pas de faire état de l’importance du cataplasme de farine de moutarde (autrement dit, le sinapisme) : « Je vous conseille de ne pas mépriser ce remède, car j’en ai souvent éprouvé l’efficacité. Je ne prétends pas, toutefois, qu’il soit un spécifique universel ; on ne doit, au contraire, y recourir que rarement, et seulement dans les maladies graves et invétérées » (1). A l’exaltation de Macer Floridus font écho les vers de l’école de Salerne :
« La moutarde, grain fort petit,
Fort sec, fort chaud, excite l’appétit,
Mais quiconque en prend trop, en est puni sur l’heure ;
Il en fait la grimace, il pleure.
A cela près la sauce, où l’on met de ce grain,
Purge la tête et chasse le venin. »

Une paire de siècles plus tard, l’engouement d’Hildegarde de Bingen pour la moutarde sera loin d’atteindre un tel niveau : « la plante elle-même n’est pas bonne à manger car sa force est faible et instable ; elle détruirait de l’intérieur celui qui en mangerait ; mais sa graine fournit un aliment. Pour quelqu’un qui est malade, et dont l’estomac est faible et froid, elle ne vaut rien, car elle l’accable et ne le purge pas. Mais un estomac solide parvient à la dominer » (2). Sans doute la considère-t-elle comme trop agressive pour qu’elle se risque à l’indiquer indifféremment. En revanche, la nature chaude et sèche de la moutarde, déjà soulignée par Macer Floridus et l’école de Salerne, n’échappe pas à la sagacité de l’abbesse. Aujourd’hui, l’on sait que le point de congélation de l’huile végétale de moutarde est estimé à – 17° C (contre – 10° C pour l’huile d’olive). C’est bien là un signe évident comme quoi la moutarde est une plante très chaude et siccative.
Parallèlement à ces usages médicinaux, la moutarde de table est déjà fort répandue au XII ème siècle. Au siècle suivant, la moutarde de Dijon connaît un succès célèbre qui ne s’est jamais démenti, et le mot moutarde apparaît en français pour la première fois, après que son appellation latin, mustum ardens, ne se transforme. Le mustum ardens, c’est-à-dire le moût ardent, était alors un condiment de graines de moutarde écrasées et mélangées à du moût de vin. Le Mésnagier de Paris, soit le plus grand traité culinaire français du Moyen-Âge (XIV ème siècle), explique comment l’on prépare la moutarde à cette époque :

Première méthode : Il faut faire tremper durant toute une nuit des graines de moutarde dans du vinaigre ou du verjus et les broyer ensuite en les délayant peu à peu avec du vinaigre, puis ajouter des épices ayant servi à la préparation d’hypocras, de gelées ou d’autres sauces et de laisser la moutarde se faire.

Seconde méthode : Broyer les graines de moutarde dans un mortier, délayer avec du vinaigre, filtrer à l’étamine. Mettre la préparation dans un pot près du feu afin d’accélérer le processus.

Au tout début de la Renaissance, à l’évidence, l’on ne fait plus de confusion entre les diverses espèces de moutarde et la roquette, autre représentante de la famille des Brassicacées, à la structure morphologique assez proche. Un médecin comme Matthiole distinguera bien la moutarde blanche de la noire qu’il juge plus active, bien que les graines de la moutarde noire soient plus petites que celles de la blanche, ce qui n’est pas sans rappeler la parabole du sénevé (Evangiles selon Saint Matthieu, XIII, 31-32) : « il est dit que c’est la plus petite de toutes les graines et que pourtant elle donne un arbre où les oiseaux viennent percher » (3), ce qui semble inconcevable si l’on a connaissance de la taille que peut atteindre un pied de moutarde noire à complète maturité. Or, si la moutarde noire ne dépasse guère les 120 cm de hauteur en Occident, « en Palestine, nous explique Fournier, il n’est pas rare de lui voir la taille de trois bons mètres » (4), ce qui en fait alors un petit « arbuste ».

La moutarde est une plante annuelle classée dans la famille botanique des choux. Les tiges droites, ramifiées et poilues, portent des feuilles vert terne pétiolées en forme de lyre et disposées en croix et des feuilles supérieures plus étroites et dentelées. Fleurs comestibles de un centimètre de diamètre aux quatre pétales jaunes dont la floraison intervient entre mai et juillet lesquelles donneront naissance à des « gousses » ou « cosses » dressées dont la longueur oscille entre deux et trois centimètres : les siliques. Elles contiennent des graines noires quasiment inodores. La moutarde noire est absente de la partie est de la France. Elle préfère les sols fertiles et bien drainés, au soleil, mais également les décombres, les terrains vagues, les bordures de route, les fossés…

Moutarde blanche à gauche, moutarde noire à droite. On constate que les blanches sont généralement deux à trois plus grosses que les noires.

Moutarde blanche à gauche, moutarde noire à droite. On constate que les blanches sont généralement deux à trois plus grosses que les noires.

La moutarde noire en thérapie

L’on ne peut pas dire que cette plante fournisse encore aujourd’hui grande aide au domaine de la phytothérapie, mais, malgré tout, elle mérite que l’on s’arrête près d’elle et qu’on la considère quelque peu, histoire de rendre compte des services qu’elle aura rendus dans un passé plus ou moins lointain.

Ce qui intéresse le thérapeute chez cette plante, c’est sa graine, laquelle est constituée à hauteur de 30 % d’une huile végétale (de couleur jaune brunâtre, douce au goût, très légèrement parfumée et non âcre, on la réserve pour des usages non alimentaires) et de 20 à 25 % de mucilage. De plus, cette graine contient de l’acide sinapique, de la sinapine, de la sinigrine ainsi que de la myrosine. Ces deux dernières substances, lorsqu’on les mêle à l’eau, donnent naissance à l’isothiocyanate d’allyle, plus communément appelé huile ou essence de moutarde (elle ne préexiste donc pas dans la graine et révèle, par adjonction d’eau, le piquant de la moutarde). Cette essence est généralement obtenue par hydrodistillation de la farine de moutarde après qu’on ait ôté à celle-ci sa fraction huileuse. L’essence de moutarde, incolore et volatile, s’altérant à l’air et à la lumière, peut donc tout à fait être qualifiée d’huile essentielle de moutarde noire. D’odeur et de saveur piquantes, elle est très irritante pour les yeux et les muqueuses (davantage encore que celles d’ail et d’oignon), dermocaustique (même diluée, elle provoque cloques et brûlures) et relativement toxique pour l’organisme. Elle ne se prête donc pas à un emploi aromathérapeutique conventionnel.

Propriétés thérapeutiques

  • Révulsive, rubéfiante
  • Dérivative
  • Stomachique, laxative, vomitive
  • Diurétique
  • Stimulante, tonique
  • Antiscorbutique

Usages thérapeutiques

  • Maladies des voies respiratoires : congestion des bronches, bronchite, rhume des foins, rhinopharyngite, angine, refroidissement
  • Symptômes congestifs : congestion cérébrale, etc.
  • Douleurs chroniques : névralgie (dont sciatique), affection rhumatismale, douleur musculaire, point de côté
  • Syncope

Modes d’emploi

  • C’est avant tout l’usage externe qui sera privilégié. Le plus connu est sans doute le cataplasme constitué de farine de lin (80 %), de farine de graines de moutarde (20 %) et d’eau tiède en quantité suffisante pour obtenir une pâte assez onctueuse. Selon les cas, on l’appliquera en divers endroits du corps en fonction de l’affection à traiter (plante des pieds en cas de congestion cérébrale, région précordiale en cas de syncope, poitrine ou dos en cas d’affections pulmonaire, etc.). Ici, comment oublier la célèbre création du pharmacien Paul Jean Rigollot ? Inventé en 1866, le fameux « sinapisme Rigollot » sera très rapidement adopté par les hôpitaux tant civils que militaires dès 1867.
  • Ensuite vient le bain sinapisé, méthode par laquelle on plonge dans l’eau tiède d’un bain un sachet contenant de la farine de moutarde (on peut adapter cette méthode au bain de pieds ou de mains).
  • La friction de farine de moutarde avec un peu d’alcool est également réalisable.
  • Pour finir, la forme d’emploi la plus sobre reste sans doute la teinture homéopathique.

Contre-indications et autres usages

Parmi les quelques modes d’emploi que nous venons de passer en revue, il est d’utilité de préciser pour certains d’entre eux quelques précautions à respecter.

  • Le cataplasme devra être élaboré avec une eau dont la température n’excède pas 40 à 45° C. Au-delà, une inefficacité de ce procédé est observée. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, il est déconseillé d’utiliser du vinaigre (5) au risque de voir la préparation dont on recherche l’effet rubéfiant devenir inopérante. Enfin, selon le type de peau, on prendra garde d’en mesurer la durée d’application : à peine quelques minutes pour les peaux fragiles et sensibles, ainsi que chez l’enfant ; 30 à 45 mn au grand maximum pour les constitutions robustes. Au-delà de ces délais, dans l’un ou l’autre cas, on peut observer l’apparition d’ampoules séreuses accompagnées de très vives douleurs, parfois d’ulcères et de gangrène. Si la moutarde nous semble d’usage délicat, il est toujours possible d’opter pour d’autres plantes rubéfiantes telles que le raifort, le radis noir, la passerage, l’érysimum…
  • Le bain sinapisé ne devra pas durer plus de dix à douze minutes.
  • Bien que plébiscité par quelques-uns, je ne conseille pas l’emploi de l’essence de moutarde beaucoup trop toxique.
  • A propos de la graine de moutarde noire, parce que des doses ingérées par voie interne provoquent de la gastro-entérite, de violentes inflammations des muqueuses gastro-intestinales, de la diarrhée, des convulsions, un collapsus, parfois la mort, on a dit qu’il était alors préférable d’employer les graines de moutarde blanche jugées plus « douces », mais cela doit également être déconseillé, car ces graines donnent « naissance, en séjournant dans le tube digestif à des produits irritants (allysénevol) ou toxiques (hydrogène sulfuré) capables de provoquer de graves accidents » (6). Autrefois employée comme laxatif en raison des mucilages qu’elle contient, la graine de moutarde blanche est susceptible de provoquer des occlusions intestinales, ce qui est tout le contraire du but initialement recherché.
  • En règle générale, l’on ne peut dire que la moutarde est un topique universel. Rapportant les propos du docteur Cazin, Fournier insiste sur ce point : « On se gardera bien d’administrer la moutarde aux sujets secs, nerveux, irritables, disposés aux congestions sanguines, à une irritation locale ou générale ». Au contraire, poursuit l’auteur un peu plus loin, « elle ne peut être utile qu’aux personnes lymphatiques, décolorées, affaiblies par la misère ou de longues maladies » (7).
  • Peut-être que les signatures de Cazin indiquées ci-dessus auront inspiré le docteur Bach pour confectionner l’une de ses célèbres fleurs de Bach, Mustard. Classé dans le groupe de l’indifférence, cet élixir se destine aux personnes tristes, mélancoliques, déprimées, désespérées, envahies d’idées noires venues de nulle part, lasses, résignées, insatisfaites… Dans ces divers cas, l’élixir Mustard joue le rôle de « baume naturel » comme disait sagement Rabelais.
  • Excellent vomitif par voie interne, la moutarde noire peut être employée dans ce but en cas d’empoisonnement.
  • Dans la maison, la farine de graines de moutarde noire peut trouver un emploi ménager tout à fait approprié. En effet, c’est un excellent déodorant capable de venir à bout d’odeurs particulièrement coriaces et imprégnées parmi lesquelles le musc, l’ase fétide, le camphre, la menthe, la lavande, la térébenthine…
  • Pour terminer cette section, quelques mots supplémentaires à propos de la moutarde blanche, « pierre à aiguiser l’appétit », « clé d’or de l’appétit » comme on surnomme parfois cette plante. Elle est avant tout apéritive et stimulante des sécrétions pancréatiques. Peu rubéfiante contrairement à la moutarde noire, elle est diurétique et antiseptique intestinale. Enfin, si le cœur vous en dit, vous pouvez toujours vous livrer à la fabrication d’une moutarde maison grâce aux graines de cette moutarde ! :)

  1. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 127
  2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 61
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 652
  4. Ibid.
  5. Le seul emploi que l’on puisse faire du vinaigre avec la moutarde, c’est pour la confection de moutarde alimentaire (industrielle ou maison), à base de graines de moutarde blanche surtout.
  6. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 267
  7. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 653

© Books of Dante – 2015

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