Synonymes : petite joubarbe, poivre des murailles, orpin brûlant, sedon brûlant, vermiculaire brûlante, pain d’oiseau, mousse jaune, gazon d’or…
Dans des textes fort éloignés de nous – il s’agit des traités de la collection hippocratique – l’on trouve déjà plusieurs références faites au sujet de l’orpin qu’à l’époque on appelle epipetron et dont on utilise les feuilles cuites pour former des cataplasmes que l’on applique sur « les tumeurs et l’inflammation dans les parties voisines ». Plus tard, Dioscoride mentionne une « petite joubarbe » dont la description évoque grandement un orpin, mais sans doute pas Sedum acre, si l’on en croit ce passage : « Sa tige sort du milieu, haute de douze doigts, au sommet de laquelle elle faite une émouchette, avec de petites fleurs pâles » (1). Or les « petites fleurs pâles » perchées sur une trop haute tige disqualifient d’emblée l’orpin âcre. Il s’agit très probablement de l’un des 400 autres sedum que compte l’hémisphère nord.
On accorde généralement deux origines étymologiques au mot sedum, qui est l’ancien nom latin de la joubarbe, d’où le fait que l’orpin soit souvent qualifié de petite joubarbe, sans pour autant en être une. Sedum proviendrait donc du verbe latin sedare, qui veut dire apaiser, en relation avec une propriété médicinale qui s’accorde mal, il faut le dire, avec l’adjectif « acre » qui fait référence à la saveur excessivement caustique des feuilles de cette plante. En effet, et cela depuis l’Antiquité, l’on a employé l’orpin concurremment à la joubarbe des toits, car non seulement l’orpin était capable d’apaiser les douleurs mais aussi, d’aucuns pensent, les colères divines, raison pour laquelle cette plante, tout comme la joubarbe, pousse allègrement sur les toits des habitations afin d’en protéger les habitants et le contenu.
Toutes crassulacées qu’elles sont, qui plus est croissant sur le faite des maisons, la ressemblance s’arrête néanmoins là. Si l’on présente assez souvent la joubarbe des toits comme une plante vénusienne, c’est loin d’être le cas de l’orpin. De la première, l’on peut confectionner, à l’aide des feuilles charnues, une salade propre à animer une soirée érotique. Mais cela n’est pas tellement le cas de l’orpin âcre, bien plutôt celui d’un autre orpin, l’orpin reprise (Sedum telephium) dont les feuilles comestibles à la saveur délicate s’approchent davantage de la joubarbe des toits. C’est d’ailleurs ce même orpin reprise qu’en Bretagne l’on passe dans la flamme du feu de la Saint-Jean, puis qu’on applique sur les yeux, cela dans le but de se préserver des affections oculaires. L’on n’imagine pas faire de même avec l’orpin âcre qui serait, du coup, le responsable même de ces affections, son suc caustique endommageant les muqueuses oculaires. D’où l’importance de ne pas prendre une plante pour une autre, en la seule vertu de son nom au détriment de l’adjectif qui l’accompagne.
Au XVIII ème siècle, on prétend avoir guéri des milliers de scorbutiques avec l’orpin âcre, ce qui ne paraît pas totalement ridicule, sachant son affinité avec les côtes maritimes où, c’est bien connu, on trouve quantité de remèdes végétaux antiscorbutiques (l’herbe à la cuillère – Cochlearia officinalis – pour citer le premier exemple qui me passe par la tête). La proximité de ces plantes avec la mer semble être profitable à ceux qui vont s’y éloigner pour un long temps. En ce cas, l’orpin âcre doit nécessairement contenir de la vitamine C. Et pourquoi pas, après tout ? Pourquoi donc l’or peint ne ferait-il pas aussi bien que le jaune citron ? La couleur aurait-elle une importance. Je veux mon n’veu ! Il n’est qu’à considérer un autre orpin, la rhodiole ou orpin rose : il possède la réputation, non usurpée, de repeindre la vie en cette couleur, alors, bon…
On observe beaucoup de ressemblances entre orpin et joubarbe. En premier, le caractère le plus évident : la verdeur pérenne de ces deux vivaces tapissantes poussant par touffes, dont la hauteur n’excède toutefois pas 10 cm pour l’orpin âcre. Bien que de petite taille, l’orpin âcre n’en porte pas moins des tiges dressées aux feuilles écailleuses très brèves, 3 à 6 mm de long tout au plus. De couleur vert jaunâtre, parfois teintées de rouge, elles partagent ces caractéristiques avec les feuilles terminales qui, elles, sont ovales. Les unes et les autres sont cependant lisses, épaisses, charnues et dénuées de pétioles (sessiles, donc). La floraison de l’orpin, plurimensuelle, offre au regard des groupes d’épis floraux peu denses, constitués de fleurs en étoile aux pétales jaune vif d’un centimètre de diamètre.
L’orpin, fréquent, se rencontre aussi bien en plaine qu’en moyenne montagne (jusqu’à 2500 m d’altitude), cela en Europe, en Afrique du Nord, ainsi qu’en Asie occidentale.
Comme la joubarbe, l’orpin se propage par stolons qui forment des racines fibreuses capables de survivre à l’hiver, et c’est pour cela qu’il nécessite les mêmes types de sols et substrats que la barbe de Jupiter. Pour cette raison, on peut le croiser sur les mêmes terres d’élection que la joubarbe : rocailles, falaises, anfractuosités de rochers, vieux murs ensoleillés, autres sols sableux et calcaires. Mais le must reste cependant d’observer cette plante dans un habitat particulier : à le voir courir et couvrir les tuiles d’un toit, l’on comprend mieux la seconde étymologie qui cherche à expliquer son nom : non pas sedare, mais sedere cette fois-ci, du latin « s’asseoir », qu’on expliquerait par l’habitude qu’a cette plante à s’asseoir sur les pierres ou, carrément, sur les maisons même !
L’orpin âcre en phytothérapie
Dans son Traité pratique et raisonné, Cazin accorde un espace deux fois plus vaste à l’orpin âcre qu’à la joubarbe des toits (Sempervivum tectorum). C’est qu’il y a probablement une raison qui s’explique mal par le puits d’abandon dans lequel on a jeté cette plante. En conclusion de sa monographie, Cazin demande à ce que l’orpin âcre appelle « l’attention des praticiens et surtout provoque de nouveaux essais dans son application contre l’épilepsie, le cancer et la teigne » (2). Qu’en a t-il été dans les décennies, les siècles qui succédèrent à cette exhortation ? Pas grand-chose à dire vrai. L’on se contenta d’abandonner l’orpin âcre, le réservant à une stricte utilisation médicale émanant elle-même de la médecine populaire. Toutes les observations faites aux XVIII ème et XIX ème siècles furent réduites à néant. Ceci peut-il, une fois de plus, expliquer que l’on en sache aussi peu au sujet de l’orpin âcre ? Et que les principales données d’envergure récentes remontent aux années 1940 ? C’est encore à Fournier qu’il faut s’en remettre, parce que, postérieurement, il n’y a rien. Mais rien, absolument rien, hormis quelques bricoles chez Valnet.
Inodore, l’orpin âcre n’a laissé, semble-t-il, presque aucune trace depuis tout ce temps. L’on disait, il y a longtemps, qu’il était possible de sécher l’orpin, de le mettre au placard en quelque sorte ; de cela ressortait que sa conservation en était assurée tout en perdant son caractère caustique. Et là, ça ne fait plus rire, parce que voici une plante active à laquelle on intime le silence. Peut-être que la lecture d’un avis aussi peu nuancé est à l’origine de cette désapprobation : « cette plante contient un suc très âcre, presque caustique, qui [… ] est un vomi-purgatif violent, dangereux, et qui, […] a été employé comme topique […] sans résultats encourageants » (3). Ce qui est parfaitement faux. Tout d’abord, qu’est-ce qui explique l’âcreté de ce suc ? Les raphides, dit-on, lesquels sont des cristaux très courts, présents pourtant dans plus d’une famille botanique. Mais ils n’expliquent en rien le caractère brûlant de l’orpin âcre, qui semble se situer dans une essence aromatique dont je ne sais que peu de chose, dite âcre et brûlante, occasionnant sur les muqueuses buccales une vive inflammation qui persiste longtemps. Non seulement âcre mais opiniâtre. Ce ne sont donc pas les acides (malique et vinique) qui, malgré leur nom, sont responsables de cette causticité, ni d’ailleurs des substances telles que le mucilage, la gomme, la cire, le tanin et les sucres que contient cette petite plante qu’est l’orpin âcre, encore moins ce flavonoïde qu’on appelle rutine, qui, elle, est anti-inflammatoire. L’on parle, pour expliquer ce phénomène ardent propre à l’orpin brûlant, d’un alcaloïde mais il apparaît plus comme une arlésienne qu’autre chose…
Propriétés thérapeutiques
- Apéritif
- Diurétique
- Anti-inflammatoire léger
- Antiscorbutique
- Fébrifuge
- Anti-épileptique
- Détersif, résolutif, cicatrisant
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase rénale, colique néphrétique
- Affections cutanées : plaie, plaie atone, plaie gangreneuse, ulcère, ulcère fistuleux, cancéreux, de mauvaise nature, scorbutique, ulcération buccale, tumeur, chancre cancéreux, verrue, cor, durillon, teigne, brûlure, contusion, blessure
- Engorgement lymphatique, adénite
- Fièvre intermittente
- Épilepsie, chorée
- Hydarthrose
Modes d’emploi
- Décoction de la plante entière fraîche.
- Suc de la plante fraîche.
- Poudre de la plante sèche.
- Macération acétique de la plante entière fraîche.
- Cataplasme de feuilles fraîches.
- Pommade.
- Teinture-mère homéopathique : outre le fait d’être vomitive et purgative, cette plante « agit sur l’anus et les organes intérieurs qu’elle enflamme » (4). C’est sur cette indication que l’homéopathie conseille une teinture-mère d’orpin âcre en cas d’hémorroïdes et de fissure anale.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : l’orpin âcre est une plante que l’on « trouve verte toute l’année ; mais elle n’a acquis toute son énergie qu’en septembre ou octobre », précise Cazin (5). Il est possible de lui faire subir une dessiccation, mais les orpins « sont d’une telle vitalité et si résistants à la sécheresse, que même mis à sécher dans du papier, ils continuent à développer leurs rameaux et à mûrir leurs graines » (6). Pour ce faire, il est nécessaire de faire sécher l’orpin au four.
- Toxicité : elle s’exprime particulièrement par le biais de vomissements, de diarrhées, d’inflammations aiguës du tube digestif. C’est pourquoi l’emploi de l’orpin âcre par voie interne est délicat, d’autant plus quand préexiste un état inflammatoire ou irritatif des voies digestives ou urinaires.
- Plante succulente, l’orpin âcre porte bien son nom. De saveur brûlante et poivrée, ses feuilles séchées et émiettées ont parfois servi de condiment dans certaines régions françaises, mais il est bon d’en faire un usage modéré.
- Autres espèces : orpin reprise (S. telephium), orpin rose (S. rhodiola), orpin blanc (S. album), orpin à feuilles épaisses (S. dasyphyllum), orpin à pétales dressés (S. ocholeucum), orpin des rochers (S. rupestre), orpin de Nice (S. sediforme), orpin d’Angleterre (S. anglicum), etc.
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1. Dioscoride, Materia medica, Livre IV, chapitre 87.
2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 499.
3. M. Reclu, Manuel de l’herboriste, p. 76.
4. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 113.
5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonnée des plantes médicinales indigènes, p. 495.
6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 704.
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