La benoîte commune (Geum urbanum)

Ceci est donc le dernier article de l’année. Il ne porte pas sur une plante typique des fêtes – houx, gui, rose de Noël ou que sais-je encore. Mais comme elle nous parle de bénédiction et de transformation, je me suis dit qu’elle tombait à pic pour illustrer le seuil de l’année nouvelle qui vient. Inexplicablement, cela me fait penser à une phrase de Virginia Woolf : « Chacun recèle en lui une forêt vierge, une étendue de neige où nul oiseau n’a laissé son empreinte ». Bien des pages blanches en perspective à remplir de signes précieux peut-être, vivants toujours !

Bonne lecture, belles fêtes et à l’an prochain ;)

Gilles



Synonymes : herbe de saint Benoît, herbe bénite, racine bénite, herbe à la fièvre, herbe du bon soldat, sanicle de montagne, avence, récise, goliot, galiot, galiote, galiotte, gariot, caryophyllée, racine de giroflée.

Du temps de Pline, on rencontrait déjà une Geum. S’agissait-il de l’urbanum ? Difficile à dire, sachant qu’il existe plusieurs espèces de benoîtes. En tous les cas, Pline en indiquait quelques usages médicinaux (douleurs pectorales, troubles digestifs).

Au Moyen âge, selon les auteurs, on la rencontrait sous différents noms dans les textes : sanamunda (peut-être par rapprochement ou confusion avec l’herbe du mont Serrat, Thymelaea sanamunda), caryophylla (en relation avec l’ancien nom du clou de girofle, Eugenia caryophyllata, dont la benoîte partage le parfum), benedicta, du latin benedictus, un terme ayant bien évidemment un rapport avec la bénédiction qui, au sens littéral, signifie « bien dire ». Benedicta était un terme que, déjà, Hildegarde de Bingen utilisait pour désigner la benoîte, avant que l’accent circonflexe ne chasse le « s » de la forme benoiste. Bien plus tard, et par assimilation, elle deviendra l’herbe de saint Benoît (480-547), un saint à l’origine de l’ordre des bénédictins, invoqué contre les brûlures et pour faire échec au démon. En Allemagne, lorsqu’on récoltait de la racine de benoîte, il était d’usage de la mêler à des cierges et à du sel, tout en la bénissant à trois reprises, ce qui est une manière de souligner le transfert de forces qui opère à travers même l’acte de bénir, « sanctifier, faire saint par la parole, c’est-à-dire rapprocher du saint, qui constitue la forme la plus élevée de l’énergie cosmique »1. On comprend mieux la puissance qui habite la benoîte, d’autant plus quand on connaît d’autres épisodes tirés du légendaire de saint Benoît : il est raconté que « lorsqu’on apporta par la Loire à Fleury, les reliques de saint Benoît […], les arbres se chargèrent de feuilles et de fleurs, bien que l’on fût au cœur de l’hiver »2. Que le vert prenne sur le sec, pourrait-on dire ! (ce qui est une expression assez proche de « employer le vert et le sec », autrement dit : utiliser tous les moyens pour mener à bien une entreprise). Aussi, la benoîte est-elle benoîte ? Au sens premier, c’est-à-dire celui de bienheureux, assurément. Point du tout selon l’ancienne acception, le terme vieilli et désuet de benoît renvoyant à quelqu’un de mielleux et d’hypocrite.

Durant le Moyen âge, on l’utilisait en tant que drogue fébrifuge, comme il sera fait du quinquina quelques siècles plus tard. On en fit un remède de la dysenterie et elle passait aussi pour soulager les panaris. Tonique nerveuse, reconstituante des forces physiques, elle avait aussi, pour Hildegarde, une réputation aphrodisiaque : « La benoîte est chaude, et si quelqu’un en prend dans une boisson, elle l’enflamme de désir amoureux »3. Elle disait aussi que cette plante, tonique et stimulante, est capable de relever les forces affaiblies par sa chaleur et que son emploi doit cesser lorsque la situation revient à la normale. Ce qui explique l’ardeur fiévreuse qu’elle induit sur l’économie si jamais elle est continuée hors de propos. En tous les cas, l’apparentement avec le clou de girofle n’est probablement pas tout à fait innocent… ^.^

Durant les premières décennies de la Renaissance, la benoîte fut abordée par Matthiole et Jérôme Bock qui la dirent stimulante, calmante, stomachique et vulnéraire. En 1561, Gesner, afin de la distinguer de la benoîte des ruisseaux, lui donna son actuel nom latin, Geum urbanum. Puis, peu à peu, elle fut assez négligée et se cantonna à d’uniques emplois populaires, jusqu’à ce qu’elle refasse parler d’elle en toute fin de XVIIIe siècle. Alors, une polémique concernant les vertus fébrifuges de la benoîte éclata. En effet, en 1781 le médecin danois Rudolph Buchhave (1737-1796) fit paraître un ouvrage (Observationes circa radicis Geu urbani, Sive caryophyllatae Vires in Febribus) dans lequel il livra d’abondantes observations qui parlaient en faveur des propriétés fébrifuges de la racine de benoîte, non seulement auprès des fièvres intermittentes, mais aussi de tous types de fièvres, même celles ayant résisté au quinquina. En France, Gilibert observa une semblable activité à cette plante et remarqua une similarité avec ce qu’il avait pu lui voir accomplir en Lituanie (ça n’est donc pas nécessairement la question de la provenance de la plante qui fait pencher la balance vers l’efficacité ou non). Le quinquina, fort en vogue à l’époque, vit tout un tas de praticiens venir voler à son secours ainsi que dans les plumes des impudents. Les partisans du « contre » furent tout aussi nombreux que les supporters du « pour ». La benoîte passait, du côté de ses contempteurs, comme une plante « peu énergique » et aux « avantages très faibles », c’est-à-dire rien de bien satisfaisant pour qu’on la préfère au quinquina, tandis que les disciples du « oui » l’érigèrent au rang de succédané de l’écorce du Pérou, ce qui était une carte de visite pour le moins honorifique. Pourquoi la benoîte ne fonctionnait-elle pas chez certains praticiens est peut-être une question à laquelle il faut se confronter. Cazin pointa du doigt ce qu’il crut en être la raison. Ayant tout d’abord fait usage sans succès de la benoîte, il ne se braqua pas comme le firent quelques-uns qui ne voulurent rien entendre. Pour les nouvelles expérimentations qu’il mena, il avoua « que la racine de benoîte fut employée fraîche et à dose beaucoup plus élevée que celles que j’avais infructueusement administrées dans mes premiers essais »4. Il nous livre des chiffres qui sont, ma foi, fort parlants. Sur trente patients concernés par des accès de fièvre, la médication à base de benoîte qu’il administra obtint onze guérisons dès le cinquième jour et huit supplémentaires au bout du huitième. Chez deux malades, il renforça la benoîte avec de la racine d’ache (Apium graveolens) et chez un autre avec de l’écorce de saule (Salix alba). Auprès de seulement six patients, la benoîte resta inopérante, mais leur fièvre fut endiguée par la conjonction des bons effets du saule et des feuilles de la centaurée chausse-trappe (Centaurea calcitrapa). Enfin, pour les deux derniers patients, Cazin dut avoir recours au sulfate de quinine après insuccès de tous les autres moyens végétaux. Tout comme Gilibert bien avant lui, il ne commit par l’erreur d’abandonner une drogue au profit d’une autre. On en peut donc conclure qu’il ne suffit pas de s’acharner dans une seule voie et que pour tendre au même but, il faut adapter les remèdes au cas par cas. En effet : pourquoi ne pas conserver plusieurs armes dans l’arsenal plutôt qu’une seule ? Ainsi, on peut les faire intervenir, les unes ou les autres, selon les circonstances, afin de tendre dans tous les cas à l’efficacité la meilleure. Chaque nouvelle plante ne devrait pas venir chasser telle ou telle précédemment usitée pour une affection semblable, mais compléter le panel et renforcer l’offre thérapeutique. L’ouverture mesurée est bien préférable à la mauvaise foi qu’on a vu paraître dans les écrits d’un certain nombre de médecins qui n’avaient rien pu obtenir des racines de benoîte. En réalité, « la prétendue infidélité thérapeutique » de la benoîte est à mettre sur le compte de l’origine et de la qualité du terrain sur laquelle pousse cette plante, le moment et les conditions de la récolte, la dessiccation et la conservation de la plante, ses modes d’emploi les plus appropriés, les bons soins que mettra le cueilleur, etc. Aussi, l’on peut émettre l’hypothèse que, il y a deux siècles, des médecins employèrent peut-être, malgré eux, une benoîte corrompue et, conséquemment, sans effet. Cependant, malgré tous les bons soins dont la plante utilisée est entourée, il est possible que telle ou telle propriété soit inopérante chez certains sujets. Cela ne signifie pas la nullité thérapeutique de cette plante à cette occasion, cela révèle le fait qu’elle est inadéquate pour ces personnes précisément. Il est, là aussi, question de terrain, c’est-à-dire celui propre à chaque individu, relatif donc, condition à prendre en compte si l’on ne souhaite pas se borner à une vision mécaniste de la phytothérapie.

Malgré ces ajustements, nécessaires réglages de la pratique au fil du temps, il reste qu’au XIXe siècle, la benoîte était fort peu employée, puisque très nettement concurrencée par les dérivés du quinquina, dont le fameux sulfate de quinine. La benoîte résista néanmoins, étant en grande faveur auprès de Joseph Roques par exemple, non seulement par suivisme, mais parce qu’elle avait pu lui prouver les bons services dont elle s’était rendue capable auprès de ses prédécesseurs. Il regrettait cependant qu’un fébrifuge de valeur – le quinquina ! – ait fait tomber la réputation des fébrifuges indigènes parmi lesquels le saule et la benoîte, exclusivisme non moins condamnable que l’extravagance et l’exagération qui menèrent certains praticiens zélés à se passer du quinquina, ce qui n’est définitivement pas la bonne attitude, non plus que celle consistant à rejeter la benoîte. Faisons appel à la sagesse et admettons la parole de Roques comme en étant l’expression : « A l’égard des fièvres ordinaires, surtout des fièvres vernales, nous donnons volontiers la préférence à nos fébrifuge indigènes, en qui nous reconnaissons d’ailleurs des propriétés que ne possède point le sulfate de quinine »5. A ces fièvres, on peut ajouter les fièvres rebelles, les fièvres quartes et tout accès fébrile non accompagné d’un caractère inflammatoire ou irrité au niveau des organes.

Au début du XXe siècle, le docteur Leclerc, à distance des chipotages de ses prédécesseurs employait la benoîte pour traiter des cas de douleur stomacale doublée d’aérophagie, de diarrhée, etc. En 1927, Bohn l’indiquait dans les états fébriles légers, les fièvres muqueuses et les diarrhées épidémiques, après quoi Fournier dira que la benoîte « vaut effectivement le quinquina dans les états d’épuisement comme ceux qui suivent les maladies inflammatoires »6.

La benoîte est une belle plante vivace rustique de taille moyenne (30 à 60 cm), bien qu’elle puisse dans certains cas atteindre pas loin d’un mètre (85 à 90 cm). La solidité qui émane d’elle trouve son origine dans le sol, en l’état d’une souche rhizomateuse, épaisse et courte, de laquelle se propage un chignon chevelu de racines brunes. Des tiges dressées, ramifiées en Y, légèrement velues et de section circulaire, sont légèrement lavées de rouge. On leur voit porter deux catégories de feuilles : les plus complexes, celles de la base, forment une rosette au ras du sol. Pennées, au nombre de folioles variables (cinq à sept, et jusqu’à onze), elles se distinguent par une foliole terminale beaucoup plus grande que les autres. Puis on monte d’un étage : les feuilles se simplifient, ne comportant plus que trois lobes dentés et inégaux. Quant aux fleurs, elles sont très proches par l’aspect de celles du fraisier, cousin de la benoîte, à la différence que la benoîte arbore cinq pétales arrondis de couleur jaune pâle à jaune d’or, soutenus par un double calice formé de cinq sépales et de cinq calicules. Solitaires, dressées au bout d’un long pédoncule fin et droit, les fleurs de la benoîte, rapidement caduques, étalent leur floraison de mai à juillet. Elles donnent naissance à des fruits ayant la forme d’une tête d’akènes poilus à aigrettes, dont les crochets de petit hérisson hispide permettent aux graines une dispersion par zoochorie.

Assez commune, la benoîte connaît une population stable en Europe ainsi qu’en Asie centrale. Bien que visible en plaine, elle arpente les régions montagneuses, de préférence entre 1300 et 2100 m d’altitude. On la découvrira avec facilité dans les prés humides et ombrageux, au bord des ruisseaux, des champs et des chemins, dans les haies, à l’abord des bois de feuillus, et auprès de tout autre lieux humide (eaux douces, sources, etc.), mais également dans des zones moins sauvages où se reflète une évidente activité humaine (habitations, décharges), car la benoîte est une grande amatrice d’azote qu’elle trouve là en abondance.


Geum urbanum. Leonard Fuchs, New Kreüterbuch (1543).


La benoîte commune en phytothérapie

Tout comme les cousines de la benoîte que sont les potentilles ansérine et tormentille, on emploie de cette plante principalement la souche rhizomateuse, longue de 3 à 7 cm et d’1 ou 2 cm d’épaisseur. Brune jaunâtre extérieurement, sa chair est rose ou lilas à l’intérieur, ou plus violacée encore parfois. Une fois bien sèche, elle vire au brun, une couleur qui concorde bien avec un taux de tanin élevé (30 %) et un parfum de clou de girofle, dont est responsable une très faible fraction d’essence aromatique (0,02 à 0,15 %) composée essentiellement d’eugénol, phénol que l’on retrouve massivement dans l’huile essentielle de clou de girofle. Sans doute cela participe-t-il de la « désagréable » odeur que d’aucuns disent avoir perçue dans cette racine, en parfaite contradiction avec le nom latin de la plante : en effet, geum proviendrait du grec geuô, « faire goûter », relativement à la bonne odeur que dégage le rhizome frais quand on le broie. Il est vrai que ce parfum peut varier en intensité et en nature selon les terrains où évolue la plante. Cette infime fraction aromatique confère à la racine de benoîte une saveur un peu aromatique. Mais dominent surtout ses aspects amer (en raison d’un principe amer, la géine) et âpre (relativement à la quantité de tanin dont on a déjà fait référence, en particulier des tanins galliques et ellagiques). Mais ne nous arrêtons pas là, puisque la benoîte recèle bien d’autres trésors dont des acides phénoliques (acides caféique et chlorogénique), des flavonoïdes (catéchine, épicatéchine) et un polyphénol dont on parle beaucoup ces derniers temps me semble-t-il, l’EGCG, c’est-à-dire l’épigallocatéchine-gallate. A cela, on peut ajouter de la cnicine, un lactone sesquiterpénique qui rapproche la benoîte d’un autre benedictus, le chardon bénit (Cnicus benedictus), des sucres (glucose, saccharose, fructose) et des éléments minéraux (soufre, magnésium, potassium…).

Remarquons que c’est dans l’écorce du rhizome de benoîte que se concentre la majeure partie des principes actifs qu’il contient.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique astringente, stimulante
  • Apéritive, digestive, stomachique, fortifiante gastrique
  • Sudorifique, fébrifuge légère
  • Hémostatique, tonique circulatoire
  • Anesthésiante
  • Antiseptique
  • Emménagogue (?)
  • Détersive, résolutive, vulnéraire, cicatrisante

Usages thérapeutiques

La benoîte est le remède des états d’atonie et de langueur caractérisés par une absence d’inflammation et/ou d’irritation. Ainsi, « une sorte de faiblesse, d’inertie et d’engourdissement, des digestions incomplètes, l’inappétence, la pâleur du visage, l’absence de tout mouvement fébrile, nous disent qu’on peut recourir avec confiance [aux toniques amers], parmi lesquels la benoîte tient un rang distingué »7.

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie des voies digestives, dyspepsie hyposthénique, dysenterie atonique, diarrhée chronique (y compris d’origine tuberculeuse), catarrhe intestinal, entérite chronique, ulcère gastrique, gastralgie, aérophagie
  • Troubles de la sphère respiratoire : gène respiratoire, catarrhe pulmonaire chronique, coqueluche, hémoptysie, affections du pharynx et du larynx, maux de gorge
  • Affections bucco-dentaires : névralgie dentaire, maux de dents, raffermir les gencives enflammées, douloureuses et/ou saignantes, aphte, halitose
  • Affections oculaires : blépharite, conjonctivite, ophtalmie
  • Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie utérine passive, leucorrhée
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : palpitations, douleur hémorroïdaire, extravasation sanguine (suite à coup, contusion)
  • Affections cutanées : plaie, plaie rebelle, plaie ulcérée, ulcère variqueux, blessure, engelure
  • Troubles locomoteurs : affections goutteuses et rhumatismales, douleur musculaire
  • Asthénie physique et nerveuse, fatigue après convalescence, épuisement après maladie inflammatoire
  • État fébrile, fièvre intermittente (dès le premier frisson), fièvre paludéenne
  • Maux de tête, céphalée
  • Tuberculose : diarrhée, sécrétions bronchiques, état général

Modes d’emploi

  • Infusion de rhizome frais : 30 à 50 g par litre d’eau bouillante à infuser pendant 10 mn.
  • Infusion vineuse de rhizome sec et légèrement concassé : 4 g dans 15 cl de vin blanc (à laisser infuser jusqu’à ce que le rhizome rougisse l’infusé).
  • Décoction de rhizome sec (30 à 60 g par litre d’eau) ou frais (60 à 100 g par litre d’eau) pendant 10 mn. Pour lotion, compresse, etc. On peut aussi décocter dans le vin rouge.
  • Macération vineuse de rhizome : vin de benoîte simple : comptez une partie de rhizome de benoîte sur douze de vin pendant une semaine. Vin de benoîte composé : rhizome de benoîte (30 à 50 g), feuilles de sauge officinale (10 g), feuilles de rue (10 g), feuilles de menthe poivrée (10 g), en macération dans un litre de vin rouge pendant au moins vingt-quatre heures (et jusqu’à huit jours au plus).
  • Teinture alcoolique : placez en contact une partie de rhizome de benoîte avec huit parties d’alcool à 36° pendant une semaine.
  • Liqueur : élaborez une décoction à 3 % dans un litre d’eau. Faites réduire de moitié, puis ajoutez 100 g d’alcool à 80° et 200 g de sirop simple.
  • Poudre de rhizome : 1 à 4 g par jour comme tonique, 10 à 30 g par jour comme fébrifuge. A mêler à quantité suffisante de miel pour l’absorber à la cuillère. On peut aussi incorporer cette poudre à une recette de dentifrice.
  • Cataplasme de feuilles fraîches écrasées.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les parties aériennes – si besoin est – se ramassent durant l’été, du mois de mai à celui de juillet. Concernant les racines, ne se dégage aucune unanimité quant au meilleur moment de procéder. On a au moins un indice sur le type de localités à privilégier : les terrains montueux assez secs et bien exposés. Nous disposons de plusieurs informations diverses quant à la période de cueillette des rhizomes : au printemps (mars-avril) et à l’automne (septembre-octobre) ; uniquement dès la fin de l’été ; en juin et en juillet ; du mois de mars au mois d’août si l’on en veut faire un usage immédiat à l’état frais. En vue d’une dessiccation, on peut les récolter à l’automne. Quoi qu’il en soit de la cueillette, le séchage se déroule à l’ombre, ce qui n’est pas habituel pour une partie souterraine. Le rhizome doit encore sentir l’eugénol une fois sec. Cependant, rien n’étant éternel, ce parfum disparaît peu à peu. Après environ un an, il devient inexistant. Mieux vaut alors envisager une nouvelle récolte, tant il est vrai que des produits de faible qualité peuvent entraver l’espérance de ceux qui leur accordent confiance. On aura donc tout soin de mesurer d’une année sur l’autre les quantités récoltées afin de ne pas favoriser le gaspillage.
  • Outre ses usages médicinaux, le rhizome de benoîte constitue un substitut et/ou un additif au houblon. Il aromatise la bière, mais également les vins et les liqueurs en compagnie d’autres substances végétales (par exemple, une macération de rhizome de benoîte et d’écorces d’orange dans du vin blanc).
  • Cuisine : la racine (et non le rhizome, qui manque de finesse pour cette fonction) de benoîte est un condiment intéressant. On l’utilisera avec profit dans la confection de sauces accompagnant volailles, poissons et céréales. On pourra en aromatiser légumes, potages, salades, en parfumer sirops, sorbets et boissons. Les jeunes feuilles sont quant à elles comestibles crues en salade par exemple.
  • Si l’astringence du rhizome ne se prête pas à un usage culinaire, sa forte teneur en tanin l’a fait utiliser en tannerie.
  • Teinture : selon que l’on utilise la plante entière ou la racine seule, on obtient des couleurs différentes quand on colore la laine avec la benoîte : noisette dans le premier cas, mordorée dans le second.
  • Autres espèces : la benoîte des ruisseaux (Geum rivale) et la benoîte des montagnes (Geum montanum). Elles possèdent les mêmes propriétés que la benoîte officinale. En Amérique du Nord, il existe une benoîte du Canada (Geum canadensis) dont les noms anglais de blood root et de chocolate root renseignent sur la profonde couleur brune rougeâtre de son rhizome.

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  1. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 115.
  2. Paul Sébillot, Le folk-lore de France, Tome 3, pp. 437-438.
  3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 88.
  4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 178.
  5. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 29.
  6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 158.
  7. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 31.

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La pomandre (ou pomme de senteur)


Ce flacon taillé dans du cristal de roche et serti d’argent émaillé date probablement de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle (empire moghol, Inde). Il s’ouvre par un couvercle dont on voit la charnière, révélant un aspersoir perforé et finement ouvragé. Cleveland Museum of Art, Ohio, USA.


En anglais, on l’appelle pomander, mais ce n’est jamais qu’une adaptation du pomandier français, lui-même contraction d’une expression plus étendue, pomme d’ambre. L’on dit encore pomandre, avec un ou deux m, mais cela n’enlève rien à l’affaire, la pommandre peut bien rester un mystère via une appellation qui dit si peu ce qu’elle est.

Pourquoi pomme ? Parce qu’elle en prit parfois la forme, contrairement à l’objet ci-présent à gauche, qui adopte davantage l’allure d’une poire. Pourquoi ambre ? Parce que dans cette pomme, creuse de l’intérieur, l’on glissait de l’ambre gris ou toute autre matière parfumée (du musc, de la civette ou bien encore des aromates divers sous forme poudreuse, liquide ou pâteuse).

On peut comparer la pomandre à cet objet que l’on vend dans les échoppes spécialisées en aromathérapie : le pendentif diffuseur d’huile essentielle. Le principe est résolument le même : emporter partout avec soi une odeur et la tenir aussi proche que possible du nez, pas tant par coquetterie, mais parce qu’aux siècles de sa plus active utilisation, l’on était convaincu que les bonnes odeurs prodiguées par la pomandre possédaient un pouvoir prophylactique censé assurer la sûreté de son porteur. Vu le luxe de l’objet photographié à gauche, l’on saisit les vertus que l’on accordait à l’ensemble du dispositif. Mais le pomandier disait aussi tout le prestige de son propriétaire : du XIIe au XVIIIe siècle, bien des rois et des personnages illustres possédaient de tels objets précieux qui rivalisaient d’ingéniosité d’élégance et de richesse (métaux rares : or, argent, vermeil ; pierres précieuses : topaze, rubis, grenat, émeraude, diamant, perle…). La pomandre fonctionnait-elle mieux pour autant ? Pas sûr, car bien appariée ou pas, on exigeait d’elle qu’elle propage de sains et salvateurs effluves, protection qui peut aujourd’hui faire sourire quand l’on sait qu’on opposait cet objet presque magique – viatique olfactif devenant quasi talisman – à des maladies comme la peste ou tout autre miasme météorique pestilentiel sans distinction. Elle était donc la représentation matérielle d’une croyance : parce qu’on pensait que bien des maladies se propageaient et se contractaient par les airs, il était de bon ton d’écarter de soi le mauvais en le contrariant pas les plus suaves parfums du temps.

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La primevère officinale (Primula veris ou officinalis)

« Pour que leur union soit acceptée par leurs parents respectifs, un jeune homme et une jeune fille doivent jeter chacun, fleur par fleur et en alternant, sept primevères dans le courant d’une rivière »1. Facile ? Encore faut-il procéder à la belle saison, quand paraissent fleuries les primevères, mais aussi le Soleil qui, s’élevant, passe pour un gage de succès, renvoyant la fleur à sa nature solaire.

Une bonne lecture et un beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes : primevère jaune, printanière, fleur de printemps, primerole (ou primerolle en Normandie ; les Anglais la nomment primrose), coucou, clef de saint Pierre, herbe de saint Pierre, herbe de saint Paul, blairette, brairelle, brairette, brayette, coqueluchon, oreille d’ours, oseille d’ours, herbe à la paralysie, etc.

La primevère n’est-elle pas avec la violette un emblème printanier ? C’est indubitable, d’autant que c’est inscrit dans son nom même, que ce soit en français ou en latin. En effet, primevère et Primula veris signifient la même chose. Il s’agit des « premiers temps », c’est-à-dire ceux des premières floraisons de l’année calendaire. La primevère est donc la « toute première fleur vernale », autrement dit du printemps. Vernal est peu usité en tant que tel, on l’associe surtout au mot « point », au travers de l’expression « point vernal », degré zéro du du signe zodiacal du Bélier. Primevère (forme avérée depuis le XIIe siècle), primevoire et d’autres termes apparentés, faisaient tout d’abord référence à la saison avant de devenir le nom de la plante à la fin du XVIe siècle, alors que le printemps, ex primevère lui, est devenu printemps !

Comme il est inutile de fouiller l’œuvre des Anciens de l’Antiquité gréco-romaine (et pour cause, la primevère en est absente ; en ce qui concerne notre primevère, nulle mention ne veut pas forcément dire désintérêt, mais méconnaissance de l’existence de cette plante dans les territoires considérés), passons directement au Moyen âge où on évoquait plusieurs primevères sous des vocables fort différents. Mais d’un point de vue médicinal, on en parlait encore très peu. Le Physica d’Hildegarde recèle cependant une monographie concernant une Hymelsloszel (himmel = « ciel » en allemand), que les traducteurs ont désigné comme une « primevère ». Voici un extrait qui se détache de par son caractère médico-magique. Hildegarde considère cette primevère comme une plante chaude car de nature solaire, « c’est pourquoi elle apaise la mélancolie dans le cœur de l’homme. En effet, la mélancolie, lorsqu’elle apparaît chez l’homme, le rend triste et turbulent dans sa conduite, et le pousse à proférer des paroles contre Dieu. Quand ils s’en aperçoivent, les esprits aériens accourent auprès du malade et, par leurs conseils, le conduisent à la folie. Il faut alors que l’homme porte de cette herbe sur sa chair et sur son corps, jusqu’à ce qu’elle le réchauffe. Alors les esprits qui le tourmentent, redoutant la vertu que cette herbe reçoit du soleil, cesseront de le tourmenter »2. Hormis cela, Hildegarde conseillait aussi la primevère en cas de perte du bon sens et de… paralysie. C’est peut-être là l’origine du sobriquet d’herbe à la paralysie accordé à la plante encore aujourd’hui (bien que rarement car cette prétendue propriété a été révoquée en doute).

Après Hildegarde, ce fut le grand plongeon dans l’inconnu pour la primevère. Mais les principaux auteurs du XVIe siècle rattrapèrent le temps perdu et se bousculèrent au portillon : Brunfels, Fuchs, Gesner, Tabernaemontanus… N’oublions pas non plus Matthiole qui recommandait la primevère contre les faiblesses cardiaques, la goutte, les lithiases tant rénales qu’urinaires. En décoction avec de la sauge et de la marjolaine, il l’indiquait dans la paralysie et le tremblement des membres. Un siècle plus tard, Johann Schröder conseillait la primevère dans les affections cérébrales, l’apoplexie, l’arthrite, la migraine et, une fois encore, la paralysie. Puis, on la rencontre sous les plumes de Boerhaave et de Linné qui, tous deux, la donnèrent comme sédative, analgésique et somnifère. Au XVIIIe siècle, Jean-Baptiste Chomel, ne tarissait pas d’éloge au sujet de la primevère : « Elle réussit bien dans le rhumatisme et dans les maladies des jointures. On a remarqué qu’elle avait quelque chose de somnifère, en ce qu’elle calme les vapeurs, et dissipe la migraine et les vertiges des filles mal réglées »3. De plus, Chomel reconnaissait à la primevère le pouvoir de guérir la paralysie légère de la langue ainsi que le bégaiement. Au même siècle, Ray et Lieutaud lui attribuèrent une propriété antispasmodique dans les douleurs céphaliques. Puis, le XIXe siècle fit l’impasse sur la primevère. Pire, Cazin, lui donna presque le coup de grâce : « Cette plante n’est pas tout à fait inerte ; mais elle est du nombre de celles dont on peut se passer sans inconvénient, malgré les éloges qui lui ont été prodigués »4. Le coup est rude, mais, à la charge de ce grand médecin, signalons qu’il accordait aux seules fleurs les principales vertus de la plante, ce qui est loin d’être le cas. Mais de ces scories, dignes d’ovni, il en existe d’autres. Par exemple, je ne résiste pas à l’envie d’en partager une avec vous, et qui fera, j’en suis certain, bondir du simple ami des plantes jusqu’à l’aromathérapeute le plus confirmé. Voici un de ces « objets » : Le laurier est « un stimulant aromatique dont les emplois médicinaux sont pour ainsi dire nuls et qui sert presque exclusivement à parfumer nos ragoûts » ! (5). Voyez, même des esprits éclairés peuvent dire des âneries. La perfection n’étant pas de ce monde, passons donc outre. L’impasse aura été de courte durée. Dès le début du XXe siècle, tout comme quatre siècles plus tôt, on se rua de nouveau sur la primevère. On lui reconnût une valeur diurétique et expectorante, en particulier sur le catarrhe bronchique à son début et la pneumonie à sa fin. Une sorte d’alpha et oméga thérapeutique en somme. Concernant l’alpha, le docteur Leclerc disait qu’il « peut être spécialement utile au début des grippes, en dégageant les voies respiratoires, en stimulant la diurèse et en exonérant l’intestin »6. En exonérant l’intestin… Ah, nul doute, que cet homme savait bien parler.

Nous avons dit plus haut que la primevère était restée ignorée des Anciens. Enfin, pas tous : le peu que l’on sait de cette époque reculée, c’est qu’une primevère était connue des druides. Mais ceux-ci n’ayant laissé aucune trace écrite, tout ce que l’on sait d’un point de vue médical, c’est que cette plante fut remarquée comme vermifuge et analgésique des douleurs goutteuses et articulaires. Elle était aussi l’un des ingrédients qu’utilisait le barde dans son chaudron initiatique. D’ailleurs, les druides modernes perpétuent un rite consistant à oindre un nouveau barde d’une huile dans laquelle ont macéré des fleurs de primevère et des feuilles de cette autre plante sacrée qu’est la verveine officinale.

Dans de vieux poèmes – Le combat des arbres, Le chant de Taliesin –, on rencontre des références à la primevère, l’une des sept plantes sacrées des druides. Un autre poème explique que c’est à base de plantes que Blodeuwedd la femme-fleur fut enchantée par Gwydion : par « les neufs pouvoirs de neuf fleurs, neufs dons en moi combinés », elle fut créée. (Ces plantes sont les suivantes : châtaignier, chêne, épine – noire ou blanche ? on ne sait –, genêt, reine-des-prés, ortie, fève, nigelle et primevère.)


Cicely Mary Barker, The Primrose.


Avec la primevère, on jouxte le ciel, ne trouvez-vous pas ? Si l’on veut bien tout d’abord considérer son surnom de clef/herbe de saint Pierre, l’on peut le mettre en écho avec un vieux conte qui narre les aventures d’« un jeune homme trop hardi et possédé par les esprits [qui] tenta d’ouvrir la porte du Ciel avec une clé en or. Mais l’acte échoua : le jeune homme tomba sur la Terre, et à son réveil il tenait à la place de la clé une fleur tout aussi dorée »7, dont l’analogie avec le soleil, déjà soulignée par Hildegarde, n’est plus à démontrer. Nous allons pouvoir constater que cette interrelation persiste bien dans les deux faits que je vais maintenant exposer à votre connaissance : en Lorraine, ainsi qu’en Champagne, les enfants pratiquaient le jeu du Grand Soulé : pour cela, ils fabriquaient des pelotes de fleurs de coucou qu’ils se lançaient les uns aux autres. Peut-on voir là le reliquat d’un rite solaire plus ancien ? Pas sûr. Quoi que… Bien loin du nord-est de la France, il se déroulait des choses assez similaires jusque dans les années 1850, non loin du fief de George Sand : les paysannes des environs de La Châtre (Indre) se rendaient dans les prés à l’abord de l’équinoxe de printemps (au point vernal, donc, à partir duquel la durée du jour – et celle de l’ensoleillement – excède celle de la nuit), afin d’y cueillir des primevères dont elles composaient des pelotes toutes rondes qu’elles projetaient dans les airs au cri de « Grand Soulé ! Petit Soulé ! », entretenant, ce me semble, une relation de sympathie entre ce petit luminaire floral et celui qui ne fait que monter de plus en plus haut dans le ciel. Paul Sébillot appelait cette pratique le « jeu de la soule » (= du soleil). Ces manifestations d’enthousiasme n’ont-elles pas d’autre but que de soutenir et d’encourager le soleil dans le cours de son ascension ? Quelle merveilleuse manière de lui prêter main forte ! On a donc eu raison de faire de la primevère une fleur d’espérance au caractère enjoué. D’ailleurs, « transportons-nous par la pensée dans les vallons où nous aimions à cueillir cette fleur printanière, et rêvons un instant [NdA : ou plus longtemps ; tous les jours même !] à notre enfance, âge si heureux, mais trop rapidement écoulé, que remplissaient les jeux folâtres et les innocents désirs ! »8. La primevère est l’emblème de ce temps coïncidant avec les premières amours, durant lequel filles et garçons couraient la campagne, cueillant diverses fleurs pour s’en confectionner des couronnes et des chapelets dont ils se paraient les uns les autres. Il y eut des jeux à la candeur beaucoup plus naïve, comme celui-ci : en Lorraine, les petites filles avaient pour habitude de déshabiller de ses pétales une fleur de primevère. Elle s’apparentait alors à une petite poupée à laquelle il était donné le nom de marionnette. Puis les enfants la déposaient à la surface de l’eau d’un clair ruisseau en entonnant la formulette consacrée : « Vas ! Vas ! Ma petite marionnette ! Vas ! Vas ! Trois p’tits tours et puis t’en vas ! » Hissons-nous à l’âge de la puberté et même après : la primevère y est associée à une foule de pratiques et rituels dont je vais ici faire la synthèse (on pourrait réduire cela à « la primevère, fleur d’amour et présage de bonheur », mais je gage que ce serait bien insuffisant), et pour mériter son titre de « fleur porte-bonheur du mois de février », encore faut-il le démontrer. En Bretagne, lorsqu’une jeune fille rencontre une primevère dont la fleur porte sept pétales, elle est assurée de trouver un époux avant un an. Par ailleurs, la jeune fille qui découvre sa première primevère de l’année durant la semaine de Pâques sera mariée dans l’année et aura autant d’enfants que la plante porte de fleurs (Oh! Oh!). Pour ceux qui ont déjà une amoureuse lointaine et non formellement déclarée, la primevère est l’instrument du préliminaire. Ainsi chante-t-on : « Quand pointe la pâquerette, quand fleurit la primevère, c’est l’heure de conter fleurette à sa bergère ». Mais parfois cela ne suffit pas. Il faut donc en appeler au pronostic floral de la primevère au travers d’une pratique oraculaire à laquelle on a donné le curieux nom de « faire danser les demoiselles ». Pour cela, il faut, dit-on, faire tenir debout sur un verre rempli d’eau la corolle d’une primevère. Afin qu’elle se maintienne dans cette position et se mette à tourner (comme un soleil ?), il faut l’exhorter à l’aide de la formule que voici : « Fleur de Pâques, dis-moi si elle m’aime ; si elle m’aime, tourne la tête en bas ». Parfois, c’est l’inverse : si elle se renverse, l’échec est en vue. On peut procéder avec plusieurs fleurs : on dispose sur le verre d’eau autant de fleurs que de jeunes filles se sont réunies autour de l’augure : on attribue à chacune un prénom : les fleurs qui se tiennent encore debout après la formulette incantatoire sont la preuve d’un succès assuré à leur propriétaire, en particulier dans le domaine amoureux. Celles qui viennent à faire la culbute signifient que la jeune fille n’aura pas ce qu’elle désire ; si la fleur coule, elle serait même susceptible de tomber enceinte, ce qui risque fort d’être bien ennuyeux, puisque cela reviendrait à tirer le diable par la queue (sans mauvais jeu de mots ^.^). Rappelons que la primevère, parce que fleur d’harmonie, a une aversion pour tout ce qui trouble la paix, en particulier à cet âge qu’est l’enfance, un peu moins à celui, plus houleux, de l’adolescence. Une grossesse ne saurait être commandée par la primevère qui se contente généralement de faire l’entame, ce qu’elle réussit, ma foi, très bien en tant que première née du printemps, « première verte » pourrait-on même dire, ce qui en fait indubitablement une fleur de Vénus : elle s’associe à la déesse tant par la saison que par la couleur verte. Fleur des premiers émois, la primevère se doit donc d’être fleur de beauté, ce qui sied aussi parfaitement à Aphrodite. Et si la primevère incline à la beauté et à l’amour, il n’y a donc pas de mal à ce que même des femmes qui ne sont plus des adolescentes y fassent appel, n’est-ce pas ? Enfin, moi-même, je n’en vois aucun. Ce n’est pas ce que pensait William Turner, herboriste anglais du XVIe siècle : « Certaines femmes mélangent cette plante à du vin blanc, puis se lavent le visage avec la préparation obtenue, préférant ainsi se faire plus belles aux yeux du monde qu’à ceux de Dieu, qu’elles n’ont pas peur d’offenser ». A cette goujaterie misogyne éminemment patriarcale, il va falloir mettre bon ordre. Avant même de plaire au dieu vindicatif des chrétiens, n’oublions pas que la primevère, enjuponnée de jaune, est une fleur de fée au Pays de Galles ainsi qu’en Irlande. Ce qui nous fait rentrer de nouveau de plain-pied dans le paganisme que nous évoquions tout à l’heure en mentionnant druides et femme-fleur. Bien sûr que la primevère est fée ! En ce cas, l’enfant qui est une abeille, ne se rapproche-t-il pas insensiblement du monde féerique ? Si tous les adultes finissent par devenir des William Turner, on comprend mieux qu’il n’y ait plus que l’enfant – durant un bref instant – qui est capable de rapporter de leur monde les messages des fées. Si vous voyez un enfant butiner et téter les fleurs de primevère au printemps, vous savez maintenant pourquoi. Fort heureusement, toutes les grandes personnes ne sont pas comme ce William Turner. Il en est d’autres, plus proches d’un contemporain de cet herboriste grincheux : par exemple, le poète d’origine irlandaise John Donne, auquel on doit un sublime poème sobrement intitulé La Primevère et pour lequel un autre poète, plus tardif, fit la confession suivante dans un ouvrage bien connu, La Déesse blanche : Donne « savait que la primevère était consacrée à la Muse et que le ‘nombre mystérieux’ de ses pétales s’appliquait aux femmes. Pouvait-il adorer un caprice de la nature qui eût été moins ou plus qu’une vraie femme ? […] Elle doit être adorée dans son ancien personnage quintuple, c’est-à-dire lorsqu’on compte les pétales […] de la primevère : Naissance, Initiation, Consommation, Repos et Mort »9. La primevère, fleur de la Grande Déesse, jaune qui plus est, ce qui est l’« indice de l’intelligence la plus haute et la plus désintéressée ; c’est la raison pure dirigée vers des fins spirituelles »10. Point de lumière, joyau de clarté, étincelle de joie, la primevère inspire « une foi solide comme un roc et lumineuse comme au commencement », pour reprendre Paracelse. Oui, avec la primevère, on jouxte bel et bien le Ciel et ses Mystères.

« Vis donc, Primevère, et frissonne

De ton vrai chiffre, qui est cinq ;

Et vous, femmes, dont est symbole cette fleur,

En cinq, mystérieux, trouvez votre content ;

Le chiffre extrême est dix ; si chacune en possède

La moitié, alors de nous, hommes,

Elle peut prendre la moitié ;

Mais s’il ne leur suffit, tout chiffre étant impair

Ou bien pair, et leur prime union étant cinq,

De prendre tout de nous les femmes ont pouvoir. »

John Donne (1572-1631)

(Le poème intégral.)

La primevère – notre commun coucou (derrière le mot « primevère », il ressort des représentations qui penchent plus du côté de la primevère acaule que du coucou proprement dit, c’est-à-dire une primevère à laquelle on aurait fait subir l’épreuve de la grande élongation en lui tirant sur le cou-cou) – est une plante vivace assez commune en Europe ainsi qu’en Asie occidentale. En France, cantonnée à la portion est du territoire, elle est relativement exclue de la zone méditerranéenne, certainement trop sèche pour elle, sachant qu’elle évolue en plaine comme en moyenne montagne (jusqu’à 2200 m), à la condition que le sol soit calcaire et frais (prairie, pâturage, talus, haie, sous-bois, clairière forestière), c’est-à-dire des lieux pas exactement désertiques. Parmi les herbettes printanières, une tige souterraine, horizontale, courte et trapue, de couleur rouge brunâtre et garnie de nombreuses racines fibreuses blanchâtres, pousse dès le mois de mars, au ras du sol, une rosette de feuilles qui se déploie en formant une masse circulaire bien garnie. Pincées au niveau du pétiole, ces feuilles s’élargissent régulièrement plus on dirige le regard vers l’extrémité du limbe qui s’achève rondement. Plus ou moins ridées/gaufrées, et feutrées en-dessous, les feuilles ovales vert bleuâtre de la primevère comportent un contour irrégulièrement denté. Au cœur de la rosette, quand vient la floraison, émergent cinq à quinze pédoncules floraux, hampes qui se dressent comme des bergers landais au-dessus du moutonnement des feuilles, à une hauteur de parfois 30 cm. Au bout de chacune, se déploie, petit oriflamme, un bouquet de six à huit fleurs penchées toutes dirigées du même côté. Ces fleurs, constituées d’une corolle mono-pétale à cinq lobes, sont peintes d’un jaune d’or franc soutenu par une marque orangée rougeâtre à la gorge (un signe de pharyngite ? ^.^). La primevère offre un bon nectar aux insectes butineurs qui la recherchent d’autant qu’en ce premier temps de la végétation renouvelée, les fleurs se font rares pour nos amies les abeilles.


Illustration tirée de l’Herbier de la France de Pierre Bulliard (1780-1798).


La primevère en phytothérapie

La confusion possible entre cette espèce et sa cousine, la primevère élevée (P. elatior), s’est accompagnée d’une sorte de « controverse ». Bien plus rare, la primevère officinale serait, dit-on, en voie de disparition et, par ailleurs, ici ou là protégée. Ce n’est pas du tout le même son de cloche qui émane du site de l’IUCN qui mentionne uniquement une « préoccupation mineure » pour l’espèce, quand bien même cet organisme précise que sa population recule sur le territoire européen. La question s’est donc posée de savoir comment continuer à utiliser une plante dans le cadre thérapeutique sans avoir d’impact majeur sur sa démographie. Eh bien, on s’est adressé à sa cousine, l’autre primevère, dite élevée, à laquelle elle ressemble beaucoup hormis un trait distinctif qui tient aux fleurs : parfumées chez P. veris, elles sont sans odeur chez l’autre espèce. Peut-être bien que ce fait a été à l’origine des objurgations qu’on fit peser sur la primevère dans la littérature médicale : cette primevère inodore ne serait-elle pas parfaitement inactive ? Mais parce que plus fréquente, ne pourrait-on pas la préférer à l’autre dans la pratique phytothérapeutique ? C’est sûr que si l’une des deux est dépourvue d’action et qu’on l’emploie en lieu et place de l’autre, rien ne va plus !

La confusion n’est toujours pas dissipée. Tout d’abord, il n’est pas vrai de dire que l’une est rare et l’autre non : toutes les deux sont sur le déclin (bien que cela n’ait rien d’alarmant, sauf à considérer une récolte sauvage trop soutenue. Aujourd’hui, la primevère officinale est cultivée pour le marché des herbes médicinales). Secundo, cette idée d’efficacité thérapeutique est battue en brèche : plusieurs auteurs, parmi lesquels Fournier et Lieutaghi, considèrent les deux espèces à équivalence. Bref. Venons-en maintenant aux faits.

La phytothérapie s’est essentiellement concentrée sur les extrémités de la primevère : d’une part le rhizome (dont il est souvent dit qu’il jouit d’une plus grande efficacité thérapeutique) qui, à l’état de fraîcheur, répand une odeur un peu anisée, ou semblable à celle du clou de girofle, devient parfaitement inodore une fois sec. On lui trouve une saveur astringente et un peu amère. Quant aux fleurs, doucement parfumées, elles possèdent une saveur douce et suave. Les feuilles, rarement usitées, sont tout à la fois presque insipides et sans odeur.

Le rhizome de la primevère contient peu de tanin, mais une proportion marquée de saponosides triterpéniques (8 à 12 %), des hétérosides phénoliques, deux substances glucosidiques connues sous les noms de primevérine et de primulavérine, enfin des sucres et et une trace d’essence aromatique. Les fleurs sont abondamment pourvues de flavonoïdes variés (gossypétine, rutine, quercétine, lutéoline, apigénine, robiniobioside, kaempférol, épicatéchine, épigallocatéchine, etc.). On y trouve encore des caroténoïdes, un peu d’essence aromatique, etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Expectorante, mucolytique, augmente et fluidifie les sécrétions bronchiques, antitussive, pectorale, balsamique
  • Laxative douce, purgative douce, vermifuge
  • Diurétique légère, sudorifique
  • Antispasmodique, sédative, tranquillisante, analgésique, inductrice du sommeil
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante
  • Sialagogue
  • Sternutatoire (poudre de rhizome seulement)
  • Cardioprotectrice, hémolytique, hémostatique
  • Vulnéraire, astringente douce, adoucissante, antiprurigineuse
  • Anti-infectieuse : antiseptique, antibactérienne, bactériostatique, antivirale

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, catarrhe bronchique, rhume (dès le début), refroidissement, grippe, pneumonie, coqueluche, asthme, toux grasse à caractère chronique
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée chronique, inflammation intestinale, vomissement
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase urinaire, rhumatisme, goutte
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : tension, palpitations
  • Affections cutanées : plaie, contusion, blessure, meurtrissure (aux pieds, quand on porte des chaussures neuves ; on peut envisager des compresses ou un bain de pieds à base d’une décoction concentrée de primevère), écorchure, ecchymose, hématome, coup de soleil, inflammation cutanée, piqûre d’insecte, boutons et autres éruptions, rides, crevasse, gerçure
  • Affections bucco-dentaires : maux de dents, inflammation de la bouche et de la langue
  • Troubles locomoteurs : goutte, rhumatisme, arthralgie, névralgie
  • Maux de tête invétérés, céphalée, vertige
  • Troubles du système nerveux : stress, nervosité, nervosisme, crise d’angoisse, insomnie, insomnie infantile, sommeil agité, surmenage, hystérie, chorée, convulsions infantiles

Modes d’emploi

  • Infusion de fleurs : comptez une cuillerée à café à une cuillerée à soupe de fleurs sèches pour une tasse d’eau bouillante en infusion durant 5 à 10 mn. Pour un litre d’eau, cela représente 20 à 30 g. Dans le commerce, on rencontre plusieurs mélanges spéciaux contenant des fleurs de primevère : à visée respiratoire, expectorante, urinaire, cardiaque, circulatoire, etc. On retiendra aussi la tisane des cinq fleurs (coquelicot, violette, mauve, guimauve et primevère). Infusion contre l’asthme : racine d’aunée, rhizome de primevère, anis vert : 10 g de chaque. Une cuillerée à café de ce mélange par tasse d’eau chaude.
  • Décoction de fleurs et de feuilles : 30 à 50 g par litre d’eau. A faire bouillir 5 mn, puis infuser hors du feu pendant 10 mn à couvert. Un traitement au long cours : on abaisse les quantités à 10 g de fleurs et de feuilles par litre d’eau.
  • Fleurs fraîches contuses placées dans de l’eau tiède sucrée ou miellée. Cela peut représenter une boisson de confort quotidienne en cas de refroidissement, de rhume, d’attaque de froid, etc.
  • Extrait de plante fraîches : 20 à 25 gouttes dans un demi-verre d’eau trois fois par jour.
  • Décoction de rhizome : une cuillerée à café en décoction pendant 5 à 10 mn dans 15 cl d’eau (on peut réduire ce temps à 2 mn, puis laisser infuser hors du feu pendant 10 mn).
  • Décoction concentrée de rhizome : dès 20 à 30 g par litre d’eau, l’on peut pousser jusqu’à 100 g. En décoction pendant au moins 20 mn, jusqu’à réduction au tiers. On l’utilise surtout en usage externe (lotion, compresse).
  • Poudre de rhizome.
  • Suc frais des feuilles (usage assez rare).
  • Macérât huileux de fleurs fraîches (il faut procéder comme pour l’huile rouge de millepertuis).

Note : la fleur de primevère apparaît comme ingrédient dans la liste composant l’eau de mélisse des Carmes. Parmi les inattendus de cette recette, on trouve aussi du muguet et du cresson !

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : on peut prélever les feuilles dès mars, les fleurs avec leur calice le mois suivant et jusqu’à la défloraison complète qui intervient généralement avant juin. Le rhizome se déterre à l’automne (novembre-décembre), ou bien à la fin de l’hiver quand les feuilles sont sur le point d’émerger.
  • Séchage : les fleurs se disposent sur des claies en couche mince, à l’ombre. Elles ne demandent pas de soin particulier si les conditions de séchage sont respectées. Après séchage, on obtient 1/5 à 1/3 du poids de fleurs fraîches initial. Les rhizomes, après ébarbage, sont fendus dans le sens de la longueur, placés au four doux ou, s’il est disponible à ce moment-là, en plein soleil.
  • Inconvénients : un excès de rhizome par voie interne peut causer nausée, vomissement et diarrhée. Le contact de la plante sur la peau peut y provoquer des dermatoses (dermatite de contact11, érythème), ou du moins un phénomène allergique. On en évitera donc l’emploi en ce cas, ainsi qu’en cas avéré d’allergie à l’aspirine et ses dérivés. Les personnes qui suivent un traitement anticoagulant l’éviteront, de même que les femmes enceintes et celles qui allaitent.
  • Alimentation : il est possible de consommer les feuilles à l’état jeune, crues comme cuites, en salade ou en farce, par exemple, comme cela se faisait en Angleterre. Les fleurs se prêtent aussi à un usage culinaire, incorporées à des salades ou à des gelées de fruits par exemple. Autrefois, en Suède et en Grande-Bretagne, on confectionnait une boisson fermentée composée de citron, de miel et de fleurs de primevère. Ailleurs, on faisait infuser la fleur dans du vin (ce qui semble l’améliorer) et la racine dans la bière.
  • Autres espèces : en France, il existe environ une dizaine de primevères dont les 2/3 sont montagnardes. Mais en plaine on rencontre deux autres spécimens : la primevère élevée (P. elatior) et la primevère acaule (P. acaulis ou vulgaris), beaucoup plus petite et aux fleurs jaune pâle. C’est de cette dernière qu’on rencontre différents cultivars aux fleurs simples ou doubles et aux coloris variés (mauve, rose pâle, rose vif, rouge, bleu, bleu violacé, etc.). Mentionnons encore l’existence de la primevère farineuse aux fleurs d’un rose doux (P. farinosa), ainsi que l’auricule ou oreille d’ours (P. auricula).

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  1. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 201.
  2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 102.
  3. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 275.
  4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 793.
  5. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 117.
  6. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 259.
  7. Ute Künkele, Plantes médicinales, p. 154.
  8. Joseph Roques & Till R. Lohmeyer, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 208.
  9. Robert Graves, Les mythes celtes. La Déesse blanche, p. 570.
  10. Annie Besant & C. W. Leadbeater, Les formes pensées, p. 20.
  11. Ce sont surtout des espèces exotiques – la primevère du Tibet (P. obconica), la primevère de Chine (P. sinensis) – qui sont concernées par cette problématique. Des poils revêtant le revers des feuilles provoquent des symptômes rappelant l’érysipèle en sécrétant une substance d’un jaune brillant responsable de l’irritation.

© Books of Dante – 2022


Joyeux solstice !


Claude Monet, La pie, 1868-1869, Musée d’Orsay (Paris).


Tout comme le solstice d’été, le solstice d’hiver a toujours été un marqueur temporel fort. C « très bas » qui fait pendant à ce « très haut » est aussi l’occasion de célébrations et de festivités. En Égypte antique, ce moment unique dans l’année était fêté avec de petites pyramides de bois décorées et surmontées d’un disque solaire. L’on allumait des lampes à huile à l’entrée des habitations afin d’illuminer les rues comme en plein jour. De la nourriture et de la bière étaient offertes aux esprits de l’autre monde. En Perse ancienne, Khorram rooz, le « jour du Soleil », faisait suite au solstice. Des feux projetaient durant la nuit leur ardeur céleste, alors qu’on procédait à prières et offrandes. A Rome, lors des Saturnales qui prenaient place au mois de décembre, l’on embrasait également des feux. Le nord de l’Europe honorait cette date via les « feux nouveaux » propres au monde celte. En Afrique du Nord, on ornait les habitations de lanternes et de rameaux de laurier, arbre éminemment solaire.

Tout cela avait pour but de conjurer l’hiver, la nature dépouillée, l’obscurité (qui dissimule la crainte de la mort…), parce que, bien sûr, le solstice marque le pas de la porte solsticiale ascendante, mais en lui se condensent et se cristallisent également les espoirs de gestation, de conception et de germination futures des plantes sous l’influente grandissante du Soleil. Afin de s’assurer un lendemain serein et réjouissant, il importe donc d’honorer particulièrement le Soleil en ce jour le plus bas. En effet, qu’arriverait-il si le Soleil ne remontait pas dans le ciel comme il en est coutumier ? Ne sait-on pas que le domaine du Soleil couchant est celui des apparitions funestes et sanglantes ? Ainsi, cette exhortation un peu orgueilleuse faite au Soleil s’accompagne aussi d’une profonde dévotion, car il ne faudrait pas risquer de le froisser, ce qui serait assurément un drame. Voilà pourquoi, tout au contraire, il est préférable d’honorer le puissant astre diurne au solstice d’hiver, car cet instant est le lieu de manifestations merveilleuses qui ne peuvent que grandir le cœur de l’homme.

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Le géranium robert (Geranium robertianum)

Avec le vert et le rouge de son feuillage, il est tout à fait taillé pour les fêtes. En revanche, contrairement à son lointain cousin africain le géranium rosat, il est loin de sentir la rose, ce qui n’en fait pas toujours un cadeau ! Mais il n’en reste pas moins une plante médicinale de valeur qu’il faut savoir (re)découvrir.

Un beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes (en plus de ceux qui apparaîtront dans l’introduction de cet article) : herbe du feu, pisse-sang, jambe rouge, herbe du sang, herbe rousse, chancre rouge, chancrée, herbe au charpentier, aiguille du pasteur, gratia dei, aiguille de Notre-Dame, sac de grue, patte d’alouette, pied de colombe, pied de pigeon, géranion, géraine robertine, etc.

Il est curieux de constater que, parmi la multitude de noms vernaculaires dont on a affublé le géranium robert, il n’y en ait pas un faisant référence à la caractéristique odeur de cette plante qui rappelle un peu la punaise ou le bouc ! La langue anglaise, elle, a retenu cela, puisqu’elle surnomme parfois cette plante du sobriquet de « stinking Bob » (Robert-qui-pue) ! En France, on s’est surtout attaché au prénom Robert attribué à la plante, un nom qui semble procéder d’une confusion ou bien d’une cooptation. Le géranium robert ou herbe à robert, c’est Geranium robertianum en latin. Robertianum semble être une déformation du latin ruber qui veut dire rouge, cela en relation avec les tiges et folioles rouges de la plante. Puis, cette herba rubea (herbe rouge) serait devenue ruberta, ruberti, puis rubertiana, enfin herba ruperti, c’est-à-dire l’herbe de saint Ruppert (en français : saint Robert), du nom du premier évêque de Salzbourg (650-718), un saint dont l’hagiographie nous explique qu’il aurait découvert les propriétés hémostatiques et vulnéraires de ce géranium. Sans doute est-ce là encore un bon moyen qu’eut l’église chrétienne de s’arroger la « paternité » du géranium robert, tout comme elle le fit pour nombre de végétaux au cours de son histoire.

Maintenant que nous savons d’où provient l’adjectif latin robertiana, penchons-nous sur le substantif geranium, un mot que tout le monde connaît. Il est issu du grec geranis qui désigne un oiseau : la grue. C’est pourquoi on a parfois appelé cette plante du nom de bec-de-grue, en référence à la forme pointue et allongée que prend son fruit. Dans le même ordre d’idée, on accorde également à cette plante le nom de bec-de-cigogne (cigogne en grec se dit pelargos, un mot qui a donné le nom pelargonium, c’est-à-dire celui que portent les géraniums domestiques qui fleurissent aux fenêtres et aux balcons). En 1789, le botaniste français Charles Louis L’Héritier de Brutelle (1746-1800) pris la décision de remettre un peu d’ordre au sein de ce genre de plantes que, jusque-là, l’on nommait indifféremment géraniums. Parmi elles, il distingua les géraniums actuels, ceux-là même estampillés du sceau de la grue, des pélargoniums inspirés de la cigogne et des érodiums du héron, trois oiseaux au long bec pour trois groupes de plantes dont les « becs » ne le sont pas moins. Ainsi, botaniquement parlant, les seules plantes à mériter le nom de géraniums sont les espèces du territoire européen dont le géranium robert (on en trouvera une liste en fin d’article).

La configuration typique du fruit du géranium robert a offert bien d’autres noms vernaculaires parmi lesquels « épingle de la Vierge » et « fourchette du diable ». Voilà. Un point partout. Enfin, de la forme des feuilles découlèrent quelques noms vernaculaires (cerfeuil sauvage, persil maringouins… dernier terme qui fait référence à la façon dont on appelle les moustiques au Québec, et donc probablement à la réputation insectifuge du géranium). Étonnamment, la mention d’une propriété médicinale figure dans un seul nom : l’herbe à l’esquinancie (ancien nom désignant l’angine).

Bien que très courant, le géranium robert n’a pas été remarqué des Anciens. Dioscoride et Pline évoquent d’autres espèces que lui, et parmi les deux geranion que cite Dioscoride, il pourrait bien se trouver le géranium tubéreux (G. tuberosum).

Au Moyen âge, on rencontre le géranium sous la plume de Hildegarde de Bingen. Pour être plus précis, l’abbesse décrit deux espèces différentes : le premier, qu’elle appelle Storcksnabel a reçu la traduction française de « géranium des prés ». Storch, c’est la cigogne en allemand. Quant au mot snabel, c’est une forme ancienne du schnabel actuel qui veut dire « nez » (on se souviendra, en l’occurrence, du doktor Schnabel qui promenait partout son nez au temps de peste et dont nous parlions dans un article du début d’année, celui portant sur l’ail). Nous avons donc affaire à un « bec-de-cigogne ». Quant au second, l’abbesse lui attribue le nom de Crauchsnabel, dans lequel on voit encore un bec accompagné d’un autre mot qui pourrait bien vouloir dire « crépus » (= krauch en actuel allemand), et qui a été traduit par « bec-de-grue ». Du premier, elle disait ceci : « Si quelqu’un a de la peine et est toujours triste, qu’il prenne du géranium des prés et un peu moins de menthe pouliot, de la rue, un peu moins que de menthe, et qu’il mange souvent de cette poudre avec son pain : son cœur sera réconforté et il trouvera la joie »1. Ce géranium a ceci de commun avec l’autre que Hildegarde associe au second des propriétés sur la sphère cardiaque, puisqu’une poudre de bec-de-grue, de pyrèthre et de noix de muscade était conseillée par Hildegarde pour assurer la santé du cœur (au sens non plus émotionnel mais organique cette fois). De cette plante, elle perçut les qualités pectorales et l’action appuyée sur les « maux de gorge » (toux, aphonie…). Détail pour le moins curieux, Hildegarde propose une recette contre la paralysie et la douleur de la goutte qui compte comme ingrédients du bec-de-grue, mais également de la chair de… cigogne ! Ce choix procède-t-il d’un désir de renforcer les vertus de la plante par celles de l’animal qui semble lui faire le plus écho ? C’est une simple hypothèse, rien ne me permet d’affirmer la véracité du propos qu’elle sous-tend.

On a pu dire du géranium qu’il avait été l’une des plantes fétiches de Hildegarde, ce qui ne me semble pas être autre chose qu’une interprétation, d’autant qu’il ne me souvient pas avoir jamais rencontré, dans les lignes écrites par l’abbesse elle-même, une telle confession. Mais il est vrai qu’à une époque où le Moyen âge fait aussi gagner au géranium des vertus vulnéraires et résolutives, l’on a bien la sensation que Hildegarde nous emmène bien plus loin que cela. Cette réputation pourrait bien se situer au niveau du nom du monastère que fonda Hildegarde au milieu du XIIe siècle, après qu’elle ait pris son envol du Disibodenberg où elle se sentait résolument trop à l’étroit. Ainsi, avec dix-huit moniales, elle quitta les lieux, s’installa près de Bingen en bordure du Rhin : en l’honneur de l’homme d’église bénédictin, évêque de Salzbourg au VIIe siècle, Ruppert, elle baptisa ainsi ce nouveau lieu : le Rupertsberg. Il est tentant de croire que cela ait dessiné un rapport étroit entre saint Ruppert et le géranium robert dont il aurait, comme nous l’avons dit plus haut, « découvert » les vertus, mais je ne suis pas du tout certain de cette relation, quand bien même cette anecdote intrigante a de quoi charmer. En revanche, rien de plus vrai dans Les causes et les remèdes : on y trouve un long développement décrivant avec précision une procédure qui implique le géranium, le plantain et la mauve, et dont le but avéré est la fabrication d’une « poudre contre le poison et les paroles magiques »2. Très efficace, « elle donne santé, force et prospérité à celui qui la porte sur lui […], car les herbes ont été tempérées par toutes les heures et par tout l’équilibre de la nuit comme du jour »3. Est-ce cela qui fit perdurer les usages du géranium robert dans le temps ? Je n’en sais rien, mais ce qui est certain, c’est qu’il était présent dans les écrits de plusieurs auteurs de la Renaissance parmi lesquels Walther Ryff (1500-1548), chirurgien allemand qui fut fort inspiré de faire appel à l’action externe du géranium robert sur les plaies et les blessures, et qu’il étendit aux fistules, ulcères et éruptions cutanées, ce à quoi Matthiole ne manqua pas de faire écho une dizaine d’années plus tard dans ses Commentaires sur la Matière médicale de Dioscoride (1554), incluant, à la liste de Ryff, l’érysipèle ainsi que les ulcères buccaux et génitaux. Il n’y eut pas que les personnages de renom qui mirent à profit les vertus de l’herbe à robert, une plante dont l’empirisme rural s’était depuis belle lurette emparé afin de corriger les problèmes d’inflammation de la bouche, d’angine et d’amygdalite. Ses propriétés astringentes et antihémorragiques, clairement établies, firent merveille face à la dysenterie, aux inflammations intestinales, rénales et oculaires, car, comme cela fut remarqué par Tabernaemontanus, le géranium robert est aussi efficace face aux hémorragies internes. Il pointait aussi du doigt une propriété jusqu’alors insoupçonnée : les vertus diurétiques de l’herbe à robert au point de parvenir à dissoudre puis expulser hors de l’organisme les lithiases rénales, parce qu’il est vrai, comme le souligneront plus tard Chomel et Cazin, que le géranium a partie liée avec la sphère vésico-rénale : pour le premier, il résolvait les rétentions liquidiennes (hydropisie, œdème des membres inférieurs), quant au second, il l’appliquait parfois avec succès à des cas de néphrite calculeuse chronique. Il semblerait encore que cette aptitude dissolvante ne se cantonne pas qu’aux calculs. En effet, Nicolas Lémery avançait que cette plante « dissout et résout le sang caillé, appliquée en cataplasme ou en fomentation, et donnée intérieurement en décoction »4, c’est-à-dire, ni plus ni moins, qu’elle résorbe les hématomes consécutifs à une contusion ou à une chute, ce qui range l’herbe à robert dans la clan des herbes du sang dont on peut interroger la capacité fibrinolytique. Au XVIIe siècle apparut une information curieuse : d’après le médecin allemand Daniel Sennert (1572-1637), le géranium robert était considéré comme une plante très étroitement liée à la sphère gynécologique : on le sait notamment efficace contre métrorragie et autres hémorragies utérines, mais ce médecin alla jusqu’à prétendre qu’il pouvait venir à bout de la stérilité féminine ainsi que des « cancers » de l’utérus, information à peine plus surprenante que celle qui voulait que le géranium robert fût un remède antilaiteux et qu’une fois appliqué sur les seins et la vulve il avait la capacité d’en ôter les ulcères.

Au siècle dernier, le docteur Leclerc fit une place, certes modeste, au géranium robert en l’insérant dans la section des toniques astringents de son Précis de phytothérapie, un choix qui ne surprendra personne. Par ailleurs, cet auteur discret mais prolifique, remarqua une qualité jamais vue jusque-là : le géranium robert, se comportant à la manière de l’insuline, est tout à fait requis en cas de glycosurie, c’est-à-dire lorsque le taux de glucose urinaire est trop élevé. Il est donc utile au diabétique.

Le géranium robert est un représentant végétal extrêmement courant en France, bien moins en région méditerranéenne. Malgré cette exclusivité méridionale, il semble peu probable que vous n’en ayez jamais rencontré un, tant il se plaît à peupler des milieux très variés : orée des bois frais, coupe de bois, clairière forestière, bordure de chemin, haie, pied des vieux murs, rocaille, pierrier, éboulis, décombres et abords d’ancien dépotoir. On le rencontre même jusque dans les creux que forment les vieux arbres, en particulier les saules : j’ai souvenir d’un tel arbre chez mes grands-parents. Il poussait tant de travers que son tronc progressait selon un angle de 45° au-dessus du lit du ruisseau qu’il surplombait. Entre deux de ses plus grosses branches, une niche s’était créée, accueillant de multiples débris. Dans cette terre ainsi formée au fil du temps, un jardin suspendu s’était installé : il accueillit pendant longtemps des primevères. Eh bien, le géranium robert est tout à fait capable d’un tel prodige, se perchant parfois sur les trognes des saules têtards !

Notre herbe rouge, très poilue, est formée de tiges dressées cassantes mesurant entre 10 et 50 cm de hauteur. Elles peuvent prendre, tout comme pétioles, contours des feuilles et jusqu’aux limbes entiers, une vive couleur lie-de-vin, et cela parfois presque toute l’année. Bien que d’aucuns disent que la plante ne rougit qu’en fin d’été, comment se fait-il que j’ai rencontré de ces spécimens rubescents au mois d’avril dernier ? C’est parce que la plante, plutôt annuelle, peut devenir bisannuelle : ce qu’elle n’a pas fait l’an dernier, elle le fait l’année suivante. Pourquoi se dépêcher quand le temps le permet, hum ?…

D’un amas de feuilles palmées aux folioles profondément découpées jusqu’à la nervure, émergent des pédoncules portant chacun deux fleurs à cinq pétales n’excédant pas 1,5 cm de diamètre et dont la couleur oscille entre le rose et le magenta. Visibles d’avril à octobre, ces fleurs finissent par mûrir en formant un fruit composé de cinq carpelles se séparant à maturité, chacun achevé par ce long bec dont on s’est demandé s’il était plus similaire à celui du héron, de la grue ou de la cigogne, et qui possède une particularité remarquable : en séchant, le fruit de cette plante dégage une énergie mécanique capable de propulser chaque bec – missile en l’occurrence – à plusieurs décimètres de distance aux alentours. Le géranium ne mérite-t-il donc pas le surnom de Robert-le-Rouge tant il pétarade dans ses habits de coq flamboyant jetant des éclairs ?

Note : le botaniste fait le distinguo entre Geranium robertianum ssp. purpureum et Geranium robertianum ssp. robertianum. Le premier possède des anthères jaunes, chez l’autre elles sont rouges. C’est ce dernier qu’on appelle proprement géranium robert.


Le géranium robert en phytothérapie

Il existe une chose surprenante à l’endroit du géranium robert, c’est que bien qu’il ne soit pas sous-représenté dans la plupart des ouvrages consacrés à la phytothérapie (même s’il est exact qu’il ne possède pas la prégnance d’une sauge officinale ou d’une armoise vulgaire), il demeure suffisamment peu étudié pour qu’on ignore à peu près tout le concernant sur la stricte question de la composition chimique, chose qui serait souhaitable à l’heure où, encore inscrit à la liste A de la pharmacopée française, l’on trouve encore l’herbe à robert en vente sous forme d’herbe sèche en vrac dans quelques herboristeries françaises.

Puisque la plante reste aisément accessible dans la nature, l’on peut pourvoir à ses besoins par une récolte circonstanciée à travers laquelle on surprendra l’un des caractères distinctifs du géranium robert et dont nous avons déjà évoqué le cas en tout début d’article, c’est-à-dire sa propension à ne pas fleurer la rose. Son odeur (car à ce niveau-là on ne peut plus parler de parfum, terme que l’on réservera à son cousin le géranium rosat), c’est à une essence aromatique pourtant présente en très faible quantité que le géranium robert la doit. Cette désagréable odeur fétide a été comparée à diverses émanations nauséabondes : l’urine des personnes ayant mangé des asperges (Cazin), le panais (Lémery), la punaise (Fournier), la moisissure (Lieutaghi), le bouc (Morelot), etc. Fort heureusement, elle disparaît au séchage. Ainsi, face à une infusion de la plante sèche, l’on se trouve seulement confronté à sa saveur âpre et un peu amère.

Après cette peccadille qui nous a fait couler autant d’encre, vient un formidable taux de tanin (pratiquement un tiers du poids de la plante fraîche) qui se localise surtout dans les racines. On lui voit encore arborer des flavonoïdes, un polyphénol anti-oxydant, l’acide ellagique, un principe amer extrêmement soluble dans l’eau que l’on a appelé géraniine, de la vitamine C, de l’acide citrique, de l’amidon, divers sucres, etc. Quid des sels minéraux et oligo-éléments ? Je n’ai pas de données sur ce point, mais l’on peut suspecter la présence plausible de potassium.

Pour en terminer là, je dois dire que je n’ai rien déniché non plus au sujet du phénomène responsable du rougissement de la plante… Peut-être une perte de chlorophylle.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique non irritant du tissu rénal
  • Tonique astringent, vulnéraire, cicatrisant, antiseptique cutané
  • Antihémorragique, hémostatique, hypotenseur, hypoglycémiant
  • Antispasmodique
  • Insectifuge

Usages thérapeutiques

Selon la théorie des signatures, il est dit que les plantes aux pigments rouges soigneraient des maladies et affections en relation avec le sang. Nous savons que c’est déjà le cas de l’armoise vulgaire, par exemple. Voyons donc ce qu’il en est du géranium robert.

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : colique, diarrhée, dysenterie, inflammation intestinale, ulcère gastrique
  • Troubles de la sphère respiratoire : hémoptysie légère, catarrhe bronchique chronique, saignement de nez
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation rénale, douleur vésicale, gravelle, néphrite calculeuse chronique, dysurie, cystite, pyélite, hématurie, glycosurie des diabétiques, hydropisie
  • Troubles cutanés : hématome, coupure, blessure légère, contusion, plaie superficielle, écorchure, érysipèle, ulcère, ulcère carcinomateux, autres inflammations cutanées, teigne, achore
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension artérielle, phlébite, hémorroïde
  • Affections bucco-dentaires : maux de gorge, angine, amygdalite, pharyngite, stomatite, glossite, aphte
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrorragie et autres hémorragies utérines, cancer de la matrice (le géranium robert en amenderait principalement les douleurs selon Wilhelm Fabry (1560-1634), principal protagoniste de la chirurgie en Allemagne), engorgement laiteux des seins
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse, diabète
  • Affections oculaires : ophtalmie, conjonctivite
  • Fièvre intermittente
  • Repousser les insectes (mite, mouche, moustique)

Modes d’emploi

  • Infusion : comptez 20 g de sommités fleuries fraîches (ou 50 g de plante sèche coupée) pour un litre d’eau en infusion durant 10 à 20 mn.
  • Décoction (pour lotion, compresse, gargarisme) : comptez 15 à 30 g de plante sèche pour un litre d’eau. Faire bouillir jusqu’à réduction au tiers. On peut confectionner une décoction concentrée avec 30 à 60 g de plante sèche au litre d’eau, et même pousser jusqu’à 50-100 g, voire 200 g. Une fois refroidie, cette décoction peut également servir de collyre oculaire.
  • Cataplasme de feuilles fraîches hachées.
  • Suc de feuilles fraîches (à appliquer pur localement ou à délayer dans un véhicule convenable).
  • Onguent de géranium robert : faites digérer 50 g de plante fraîche finement hachée dans 200 g d’huile d’olive et 20 g de cire d’abeille au bain-marie, à feu doux pendant deux heures.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les sommités se sectionnent à la fin du printemps et au début de l’été, lorsqu’elles sont tout juste fleuries. Le séchage du géranium robert est délicat, car la plante a tendance à noircir en cours d’opération, ce qui est dû au fait que cette plante contient une très grande part aqueuse et qu’elle doit perdre environ 70 à 75 % de sa masse fraîche avant d’être parfaitement sèche. C’est pourquoi le stockage du géranium robert se réalise toujours à l’abri strict de l’humidité.
  • Autres espèces : il existe bien d’autres géraniums sauvages européens parmi lesquels le géranium sanguin (G. sanguineum), le géranium des colombes (G. columbinum), le géranium découpé (G. dissectum), le géranium mou (G. molle), le géranium des Pyrénées (G. pyrenaicum), le géranium à feuilles rondes (G. rotundifolium), le géranium tubéreux (G. tuberosum), le géranium des marais (G. palustre), le géranium noueux (G. nodosum), le géranium des bois (G. sylvaticum), le géranium fluet (G. pussillum), le géranium luisant (G. lucidum), le géranium des prés (G. pratense), le géranium endeuillé (G. phaeum), etc. Existe-t-il, dans le tas, un autre géranium qui soit médicinal ? Botan précisait que seul G. robertianum était dans ce cas. Il est permis d’en douter.

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  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 88.
  2. Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes, p. 231.
  3. Ibidem, pp. 231-232.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 386.

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Rosa


Festival de la rose dans les jardins de Lucky Rose à Dobrudzha (Bulgarie).


A l’heure où point la masse encore indistincte du Soleil à l’Orient, les dernières étincelles de rosée ont abandonné l’immensité du champ planté de rosiers de Damas. La cueillette matinale qui s’apprête à se dérouler ici, manuelle bien entendu, doit s’effectuer aussi rapidement que possible, sans pour autant brusquer la plante, afin que les pétales de la précieuse fleur soient absolument protégés de l’oxydation. Dans un mouvement sec, l’on rompt le pédoncule des roses et l’on répète ce geste des milliers de fois. Après avoir retiré calices, débris et insectes qui s’y cachent encore, l’on entrepose les pétales de rose de Damas en chambre froide durant deux à trois jours, afin de favoriser – par une fermentation légère induite par le froid – des modifications biochimiques à l’intérieur de la structure des pétales.

Enfin vient l’heure bénite de la distillation. Quelle autre plante peut se targuer de soumettre ses si fragiles pièces florales à la morsure de l’hydrodistillation qui, bien qu’elle ne soit pas menée à feu nu, est une véritable épreuve pour le si délicat pétale de rose ? Oui, quelle autre fleur ? L’ylang-ylang, par exemple. Mais il y en a bien peu. C’est alors un exercice minutieux qui attend la rose, ne durant généralement pas moins de 75 mn, pas plus de 90, mais jamais davantage, sans quoi l’on court le risque de la catastrophe ! Puis s’écoule le précieux liquide dans le vase florentin : une huile éthérée jaune pâle aux reflets parfois vert clair et dont la densité de plume d’oie oscille entre 0,83 et 0,87. Ainsi, on obtient l’essence directe, ou indirecte si l’on procède à la cohobation, c’est-à-dire à une seconde phase de distillation de l’eau florale obtenue lors de la première passe. Cela permet habituellement d’augmenter le rendement qui, sans cela, resterait extrêmement faible (déjà que !). Sachant que quatre à six tonnes de pétales de rose de Damas sont nécessaires pour obtenir un tout petit litre d’huile essentielle, je vous laisse imaginer le nombre de millions de fleurs que cela représente !

Une fois que l’on se retrouve face au produit fini, attend l’étape de l’analyse biochimique : l’on pourrait en rester au seul fait que les monoterpénols y règnent en maîtres (60 % dont citronnellol, géraniol et nérol), loin devant les alcanes (15 % dont heptadécane, nonadécane, etc.). Mais cela serait oublier l’extrême prodigalité de cette huile essentielle, puisque, en plus de ces quelques molécules citées, on en dénombre plusieurs centaines d’autres, dont certaines en si faible proportion qu’on peut se demander si on ne les a pas rêvées, ce qui ne serait pas surprenant, tant la rose de Damas, sous ses airs de grande dame respectable, sait être farceuse. Tenez, d’ailleurs, parmi l’un de ses tours favoris, il y a celui qui la voit se figer en adoptant une texture « cristallo-gélatineuse » quand elle est exposée à une température de 15 à 18° C, tandis qu’une douce chaleur clémente (supérieur à 22° C) lui permet généralement de se détendre et, de même que la femme alanguie par une trop intense pâmoison, de se liquéfier littéralement ^.^

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La ficaire (Ranunculus ficaria)

On accorde parfois à la ficaire le sobriquet d’herbe du siège. Celui sur lequel on s’assied ou bien celui sur lequel on s’assied ? ^.^ Cela n’est pas que de l’imagination, c’est l’expression d’une réalité tangible, un exemple concret démontrant, si besoin est, que la théorie des signatures n’est pas qu’une fumisterie farfelue (à ce titre, je recommande les ouvrages de Guy Ducourthial, Flore médicale des signatures et La théorie des signatures végétales au regard de la science). En effet, la ficaire n’est pas seulement le premier exemple pour lequel fonctionne cette théorie et auquel l’on pense, elle nous invite aussi à aiguiser notre regard afin de déceler dans d’autres végétaux des signatures qui ne sont pas toujours aussi évidentes qu’on le souhaiterait. Mais je ne pense pas, en l’occurrence, qu’il soit bon d’entrer dans cette quête avec des idées préconçues.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous,

Gilles


Synonymes : petite chélidoine (c’est la Chelidonium minus des anciens botanistes), petite éclaire, éclairette, éclairotte, clariotte, mire-soleil, étoile d’or (etaila tzona), bouton d’or, pissenlit rond, fleur de beurre, pot-au-beurre, jouneau, bassinet, petit bassinet, billonnée, petite scrofulaire, herbe aux fics, herbe aux hémorroïdes, herbe du siège, ficaire fausse renoncule, épinard des bûcherons, etc.

A la suite de la grande éclaire, alias chélidoine, Dioscoride déroula le tapis à la petite, dont la description botanique qu’il en donne évoque largement la ficaire, de même que la référence à sa capacité à ulcérer la peau, ce qu’elle parvient effectivement bien à faire, étant appliquée fraîche pendant un temps plus ou moins long. Le médecin grec nous livre des aptitudes que l’on ne s’attend pas à trouver dans le bagage thérapeutique de la ficaire : remède de la gale, elle résout aussi les infections unguéales. Son suc instillé par les narines « purge le cerveau », ainsi que la poitrine dont elle corrige les défauts étant prise en décoction. En revanche, pas un mot de ce sur quoi l’on est en droit d’attendre une information primordiale dès lors qu’il s’agit de ficaire : sa prétendue capacité à traiter les hémorroïdes, qui lui a fait mériter le surnom d’« herbe aux hémorroïdes » avec le temps. L’on est bien également surpris de n’en pas trouver trace chez Hildegarde de Bingen qui ne concéda à sa Ficaria qu’une seule vertu fébrifuge face aux fièvres ardentes. Ça n’est que dans le courant du XVIe siècle qu’on voit une mention relative à ce qui pourrait bien être une propriété anti-hémorroïdaire de la ficaire se dessiner : le botaniste Jérôme Bock recommandait le suc et la poudre de ficaire délayés dans l’eau distillée de la plante afin de soulager « les ulcères qui viennent au fondement ». Si l’on se rapproche de l’aire d’élection de la ficaire, il est bien entendu qu’il ne peut être question d’hémorroïde dans cette indication dont la localisation est susceptible de créer une parenté douteuse. Quant à Andrea Cesalpino, il évoquait surtout les vertus anti-scrofuleuses de la ficaire, ce qui nous place d’emblée bien loin de cette considération fondamentale et douloureuse qu’est l’hémorroïde. Le premier médecin qui identifiera clairement la ficaire en tant qu’anti-hémorroïdaire se trouve être Rembert Dodoens (1517-1585). L’on sait parfaitement que le médecin flamand bassinait les hémorroïdes avec du suc de tubercules de ficaire mêlé à du vin. Aussi, est-il vrai de prétendre, à l’instar de certaines sources, que la ficaire est usitée dans ce but depuis l’Antiquité ? D’où vient-il encore que « selon une légende du Moyen âge, quiconque portait de la ficaire sur lui était guéri des hémorroïdes » ?1. Peut-on parler d’approximations ou de simples bévues ? Pour être plus précis, il est possible de dater le début de la carrière officielle de la ficaire comme anti-hémorroïdaire au XVIe siècle (bien que rien n’empêche de penser que Dodoens ait eu vent d’un usage empirique antérieur allant dans ce sens). A sa suite, plusieurs preuves, en date du XVIIe siècle, font clairement référence à l’emploi interne comme externe de la ficaire contre cette douloureuse affection du siège qu’est la varice hémorroïdaire : on la distingue exposée chez Lémery dans le chapitre qu’il consacre à la chelidonia (= petite chélidoine, soit la ficaire, à discerner du chelidonium ou grande chélidoine) : « Elle est humectante, rafraîchissante, apéritive, propre pour les maladies de la rate, pour le scorbut ; on applique sa racine pilée sur les hémorroïdes ; elle les adoucit et les résout »2. Malgré tous ces grands noms qui prêchèrent au bénéfice de la ficaire, l’on vit s’instiller le doute quant aux soi-disant propriétés anti-hémorroïdaires de la ficaire. La première attaque (et certainement la seule…) provient de Joseph Roques : « Rien n’est moins certain que les grandes propriétés qu’on lui attribue, et il ne faut pas trop s’en rapporter aux éloges de quelques botanistes, amateurs de merveilleux »3. Sans doute entendait-il par là ceux qui furent sensibles à la théorie des signatures : en effet, on employa la ficaire « au motif que ses racines présentaient des renflements en tout point analogues à des hémorroïdes »4. A moins qu’il ne s’agisse de pratiques encore plus « magiques » que condamne le médecin hygiéniste originaire du Tarn : Pierre Bulliard, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, citait le cas de plusieurs personnes qui, portant un petit sachet empli de racines de ficaire, ne furent plus jamais tourmentées par les hémorroïdes, ce qui n’est pas moins stupide que de se soumettre au protocole que rapportait Paul Sébillot : « On est garanti des hémorroïdes si l’on a sur soi quelques marrons d’Inde »5, autre grand remède anti-hémorroïdaire de valeur (bien que le mode d’application puisse surprendre : on soupçonne le contact répété de la plante avec la peau de communiquer, avec régularité, sa vertu à l’organisme). En définitive, qu’importe la ficaire pour Roques puisque, pour lui, faire appel à un remède anti-hémorroïdaire est un non-sens car il considère cet écoulement sanguin comme un flux « salutaire pour prévenir ou pour détruire une foule de maladies dont l’art triomphe quelquefois si difficilement »6. Un discours qu’il nous avait déjà servi pour la goutte, rappelez-vous (cf. l’article sur l’égopode podagraire). D’ailleurs, il faisait de l’écoulement hémorroïdaire la condition sine qua non de la suppression des affections goutteuses, ce qui est parfaitement délirant (sauf à considérer que cette « hémorragie », pour ne pas dire « saignée », supprime du même coup une partie de l’acide urique et des autres poisons qui empoisonnent le sang). Roques était favorable à la saignée, il voyait donc les hémorroïdes comme un signe par lequel le corps cherche à s’amender d’une affection morbide de lui-même, car « n’a-t-on pas vu la phtisie pulmonaire, l’apoplexie, la paralysie, les coliques nerveuses, les étouffements, les spasmes succéder à la suppression des hémorroïdes ? »7. Répétition de ce qu’affirmait déjà Chomel au XVIIIe siècle, les assertions de Roques se lisaient encore en partie dans le Larousse médical du début du XXe siècle ! Fort heureusement, au milieu du XIXe siècle, plusieurs médecins consciencieux vinrent confirmer les propriétés anti-hémorroïdaires de la ficaire, le docteur Neuhausen revendiquant le succès de cette plante face à la congestion hémorroïdaire : dans les années 1850 (soit moins de 20 ans après les « affirmations roquiennes »), en guise de contre-pied à Roques, Neuhausen écrivait que « la racine de la plante, administrée en infusion, ne tarde pas à manifester ses effets ; sous son influence, les selles deviennent régulières, ont lieu sans douleurs et s’accompagnent de beaucoup de mucosités ; si l’on en continue pendant un certain temps l’usage, l’affection hémorroïdale perd de son intensité, et les accidents qui l’accompagnent d’ordinaire finissent par disparaître »8, ce qui n’est pas un moindre mal, merci bien ! Car les hémorroïdes ne se réduisent pas qu’à une bête affection qui fait pouffer eu égard à leur localisation. Mais, au lieu de ricaner sottement, savons-nous précisément ce qu’est une hémorroïde ? C’est le nom que l’on donne à une varice spécifique aux veines appartenant à l’extrémité du gros intestin et de l’anus. Découlant du grec haimorrois, le mot hémorroïde se décompose selon deux racines : hémo, « sang » et rhéô, « couler », d’où ce double r visible dans bien des mots français : rhinorrhée, aménorrhée, blennorragie, etc. L’hémorroïde est donc bien une hémorragie résultant de la dilatation des veines qui deviennent volumineuses au point de former des « ampoules » de près d’un centimètre. A ce durcissement s’ajoute un amincissement considérable de la paroi des veines dilatées sous la pression, ce qui peut mener à leur rupture, laissant échapper du sang mais également du pus. Occasionnant des douleurs bien peu agréables (au contact, au frottement, par la défécation), l’hémorragie hémorroïdaire est susceptible de mener à l’anémie profonde et très sûrement à la formation de marisque qui est une « hémorroïde atrophiée par suite de l’oblitération des varices qui l’avaient formée »9. Ce tissu fibreux, sorte d’hémorroïde « cicatrisée » en somme, tire son nom du latin marisca qui veut dire « figue ». Ce qui nous amène vers un des autres noms vernaculaires de la ficaire, l’herbe aux fics. Chez l’animal, le fic est une sorte de grosse verrue en forme de figue et qui en emprunte la couleur, tandis que chez l’homme le terme fic s’adresse à toute excroissance charnue : verrue, condylome et cette séquelle d’hémorroïde qu’est la marisque.

Parlant de figue… Allez savoir pourquoi Otto Brunfels (1488-1534) accorda à la ficaire le nom latin de Testiculus sacerdoti, autrement dit « couilles de moine » en langage moins soutenu. Au gouet pied-de-veau, l’on donna bien du « vit de prêtre », alors bon… Il faut dire que l’allure violacée de l’un, la teinte blafarde des tubercules de l’autre semblent signifier que le membre monacal est si constamment abrité des ardeurs du soleil par l’épaisseur de la soutane, qu’un organe dont on ne se sert pas finit nécessairement par s’étioler et prendre des teintes supposées rappelant celles des deux végétaux sus-cités. Cette imagination, qui déborde du cadre de notre propos, avait même fleuri sous les pinceaux de Jean Bourdichon, l’illustrateur des Grandes Heures d’Anne de Bretagne : au-dessus de l’enluminure représentant une ficaire (cf. plus bas), il a écrit testiculus sacerdoti ! Mieux vaut le « mire-soleil » placé dans le cartouche du bas, car il nous porte vers quelque chose de bien plus ludique. En effet, la ficaire est demeurée longtemps une fleur de jeu occasionnel pour les enfants : il consistait à placer une fleur de ficaire sous le menton d’un camarade et de poser la coutumière question : « Aimes-tu le beurre ? » Si la fleur renvoyait sur la peau de l’enfant sa teinte jaune d’or, on obtenait assurément la réponse à cette question.

Hôte prime printanière des sous-bois, alors que les rayons du soleil renaissants transpercent tranquillement la forêt dépourvue de feuillage, l’éclatante ficaire s’égaie çà et là en généreuses plates-bandes concurrençant l’anémone sylvie, la petite pervenche et le lierre terrestre qui se fait grimpant pour échapper à l’envahissement. Autant que possible plante d’ombre comme la violette, la ficaire ne rechigne pourtant pas à accueillir un temps donné les effusions de l’astre diurne afin d’éparpiller sur le sol du sous-bois une ribambelle d’étoiles jaune d’or miniatures. Ne négligeant pas l’ombre, il lui faut aussi de l’humidité, raison pour laquelle on la trouve dans les sous-bois de feuillus, les haies humides, les ripisylves.

Plante vivace très fréquente, la ficaire est une renonculacée atypique dotée d’un système racinaire comptant des racines chevelues fibreuses mêlées à une masse tuberculeuse constituée de faisceaux de masses piriformes, ficoïdes, fusiformes ou encore claviformes de 2 à 6 cm de longueur, les fameuses qui donnèrent l’indice des propriétés anti-hémorroïdaires de la ficaire.

Vert foncé et luisantes, les feuilles de la ficaire dessinent vaguement un cœur, mais pas de ces cœurs voluptueux et arrondis, bien plutôt taillés au canif sur une planche de bois trop dure. Glabres et quelque peu charnues, elles rendent une sensation « caoutchouteuse » sous les doigts. Ces limbes foliaires sont enchâssés au bout d’un pétiole grêle, cylindrique, un peu cassant, renflé à la base, et dont la longueur brève ne permet jamais à la plante de dépasser 20 cm de hauteur. Surgissant plus tard afin de tenir compagnie aux feuilles, les fleurs se déploient, solitaires, perchées à l’extrémité d’un long pédoncule, étincelantes de jaune d’or entre mars et mai. Composées de trois sépales rapidement caducs, les fleurs de ficaire comptent généralement six à douze pétales « munis à leur base interne d’une petite écaille en forme de poinçon »10. Plante de soleil, les fleurs de ficaire se ferment par mauvais temps, et une fois parfaitement défleuries, elles abandonnent la place à un fruit arrondi en forme de tête vésiculeuse empli de semences oblongues dont bien peu sont capables d’assurer une quelconque fertilité à la ficaire. Afin de pallier cette grave problématique, la plante a développé une autre stratégie : elle porte des bulbilles aériens, sorte de bourgeons amovibles, naissant à l’aisselle des feuilles. Ce sont eux qui sont responsables de la véritable multiplication végétative de la plante. Cela explique pourquoi Dioscoride appelait la ficaire « froment sauvage », tant ces bulbilles ressemblent à des grains d’orge que la plante abandonne en si grand nombre qu’elle a aussi mérité le nom d’herbe au Petit Poucet.


La ficaire en phytothérapie

L’un des constituants majoritaires des tubercules de ficaire, la ficarine, passe pour assez semblable à une sorte de saponine, régulièrement couplée à un corps volatil, l’acide ficarique. Un autre corps, la proto-anémonine, outre le fait qu’elle signe bien l’appartenance de la ficaire au clan des renoncules, est relativement toxique, en particulier à l’état frais (elle disparaît généralement des tissus de la plante après leur dessiccation ou évaporation du suc. Par le biais de la coction, la proto-anémonine quitte la plante et se concentre en partie dans l’eau de cuisson qui gagne en âcreté.

A cela, ajoutons du tanin, des flavonoïdes, et de la vitamine C qui loge essentiellement dans le feuillage de la plante.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-hémorroïdaire, décongestionnante veineuse, hémostatique
  • Antiscrofuleuse (?)
  • Antiscorbutique
  • Analgésique
  • Rubéfiante, vésicante
  • Astringente, résolutive
  • Fébrifuge

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïde (hémorroïde simple, prolapsus hémorroïdaire, anite hémorroïdaire…), congestion hémorroïdaire, prurit hémorroïdaire. Mais encore, « elle peut […] se montrer utile chez les hémorroïdaires en atténuant la douleur, en calmant le ténesme, en refrénant le flux sanguin, en favorisant l’affaissement et la réduction des ectasies veineuses »11
  • Affections cutanées : ulcère invétéré, tumeur scrofuleuse (?)
  • Troubles locomoteurs : douleur névralgique, rhumatisme, point de côté

Modes d’emploi

  • Infusion (ou décoction brève) : comptez 50 à 60 g de tubercules par litre d’eau.
  • Décoction concentrée de tubercules de ficaire dans laquelle on délaye ensuite de la farine de lin afin d’en constituer une pâte facilement applicable sur les hémorroïdes.
  • Cataplasme de tubercules. Peu pratique. Mieux vaut préférer celui que l’on élabore à base de feuilles cuites que l’on applique chaudes préférablement. Si l’on souhaite utiliser les tubercules, on les écrase dans l’eau à laquelle ils mêlent leur suc. C’est ce mélange que l’on applique ensuite localement après avoir filtré les parties dures.
  • Suc frais : appliqué localement (on peut le placer dans une base aqueuse ou glycérinée, ce qui revient au même que le point précédent).
  • Sirop de ficaire : à deux parties d’eau, ajoutez une partie de tubercules broyés. Faites cuire jusqu’à réduction de moitié. Passez et exprimez. Puis ajoutez cinq parties de sucre et faites cuire jusqu’à consistance sirupeuse.

Dans le commerce, il existe force pommades anti-hémorroïdaires et autres suppositoires. Nous nous contenterons de la suggestion du docteur Leclerc :

Précautions d’emploi, contre-indications et autres informations

  • Récolte : les tubercules de la ficaire se récoltent au tout début de la floraison de cette plante, c’est-à-dire au printemps et cela jusqu’à la fin du mois de mai, époque où ils ont une saveur âcre et amère, quelque peu nauséeuse. Le séchage est malvenu puisqu’il s’accompagne habituellement d’une importante perte de propriété (alors même que la plante abandonne, par ce biais, une bonne part de sa virulence). Quant aux feuilles que l’on destine à l’alimentation, il est souhaitable de choisir les plus jeunes, celles qui ont le moins vu le soleil, ce qui localise cette cueillette avant même l’apparition des fleurs, au tout début du printemps. C’est le plus sûr moyen d’éviter de très importants taux de substances âcres dans les feuilles.
  • Toxicité : la ficaire est une renonculacée qui tient une place particulière dans la pharmacopée, puisqu’elle est inscrite dans la liste A, c’est-à-dire qu’on la juge suffisamment peu toxique, bien qu’on insiste pour qu’il ne soit pas fait d’elle des usages thérapeutiques étendus. Cependant, elle ne l’est pas assez pour que cela interdise son emploi médicinal. Si la plante adulte, ayant reçu beaucoup de soleil, est relativement toxique, lorsqu’elle est jeune, sa quasi absence de virulence peut justifier son emploi « alimentaire » (voir plus bas). L’automédication n’est pas conseillée et il est de bon ton de demeurer prudent avec cette plante, puisque, après usage interne (quand cela s’avère nécessaire, bien que rarement recommandé), des douleurs intestinales ainsi que des diarrhées peuvent survenir. Même en application cutanée, la plante n’est pas exempte de manifestations désagréables : si l’on juge de bon sens de ne pas déposer un cataplasme de ficaire sur une zone comportant écorchure ou toute plaie ouverte, il arrive pourtant que malgré ces précautions, la plante occasionne des irritations sur la peau, ainsi que sur les muqueuses.
  • Alimentation : ce paragraphe peut paraître surprenant, mais il existe, aussi bien en France, en Hongrie, en Allemagne qu’en Roumanie, pléthore de noms vernaculaires faisant référence à cet usage circonstancié, vraisemblablement étendu pour avoir été fixé dans des noms comme épinard des bûcherons. La vie dans les forêts ayant été, autrefois, plus intense qu’à l’heure actuelle, on comprend que bûcherons et charbonniers aient eu tendance à exploiter les ressources locales avant tout, ce qui semble être le cas depuis le Moyen âge. Alors, on cueillait les feuilles de ficaire très jeunes, parfois après les avoir fait artificiellement blanchir, chose que l’on obtenait en les recouvrant de feuilles mortes, par exemple. Une fois étiolées, ces feuilles accédaient à un statut alimentaire moins dangereux. Plus âgées, on les faisait cuire comme n’importe quelle verdure, ce qui avait pour effet de les défaire d’une partie de causticité et d’âcreté (une cuisson à deux eaux renouvelées garantissait encore plus d’innocuité à la préparation).
  • Autre espèce : plus une variété qu’une espèce à part, remarquons l’existence de Ranunculus ficaria ssp. bulbifer aux fleurs jaune d’or plus petites que celles de sa cousine.

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  1. Larousse des plantes médicinales, p. 260.
  2. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 235.
  3. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 123.
  4. Jean-Marie Pelt, Les vertus des plantes, p. 32.
  5. Paul Sébillot, Le folk-lore de France, Tome 3, p. 411.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 123.
  7. Ibidem.
  8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 815.
  9. Larousse médical, p. 711.
  10. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 122.
  11. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 102.

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L’âme de la plante


Maurice Maeterlinck, Le Trésor des Humbles (essais),

édition Fasquelle, 1959.


Le parfum d’une fleur est-il son âme, comme le prétendait Maurice Maeterlinck ? En ce cas, quid des plantes aux fleurs sans odeur (pour d’humaines narines !…). Peut-on, à toutes celles-la, leur dénier une âme ? Seules celles qui s’expriment par l’ineffable mystère de leur parfum, magnifiant notre propre âme, en détiendrait donc également une ? C’est réduire ce groupe à peau de chagrin, en considération de la totalité des plantes qui peuplent la Terre et qui ne sont si rose ni violette, encore moins tubéreuse ou mimosa.

Outre leur nombre infiniment réduit, « ces fragiles ornements de la Terre » sont soumis à rude épreuve dès lors qu’elles tombent sous le regard du parfumeur. De grandes masses soyeuses et satinées sont précipitées au devant des alambics, renvoyant à l’ère des machines sans âme les rangées d’appareils fourbis et prêts à l’attaque. Et l’on se surprend de l’énormité des moyens techniques mis en œuvre pour arracher à la plante le secret de son cœur mystique : voyez-vous la volumineuse cuve métallique accouchant, larme après larme, d’une si faible quantité d’huile essentielle parfois « plus coûteuse qu’une gelée de perles » ? N’est-ce d’ailleurs pas folie que cette procédure ? Le peu que l’on obtient face à l’immensité des moyens réquisitionnés pour ce faire n’offre-t-il pas le même contraste que l’activité minière qui concasse une tonne de roche, jusqu’à la pulvérulence, pour n’en tirer que quelques grammes d’un quelconque métal précieux ? La Nature n’a-t-elle pas procédé par ordre et intelligemment en diluant les essences aromatiques par petites fractions dans les tissus des plantes, que l’homme cherche coûte que coûte à réunir en masses conséquentes, quitte à meurtrir des milliers de cœurs ? Et tout cela pour, de nouveau, les diluer quant il procédera à ses coûteuses et complexes opérations réalisées dans son laboratoire de parfumeur !…

Tout cela est-il bien naturel ? Arroseriez-vous votre plante fétiche avec un arrosoir rempli d’eau bouillante ? Assurément non. Aussi, pourquoi considérer que l’hydrodistillation le soit, naturelle ? N’est-ce pas plutôt une technique barbare ? Comment, face à un tel supplice, ne pas s’imaginer l’âme de la plante disparaître au point qu’il faille l’enfermer, à l’instar du génie dans sa lampe, dans un flacon de cristal afin de ne pas risquer son envol définitif vers d’autres cieux ? Mais comme les huiles essentielles peuvent révéler à nous-même le sublime, nous nous permettrons ce sacrifice que nous ne concevrons pas autrement qu’encadré et mesuré, car même à petites doses les huiles essentielles encouragent le divin dans notre âme.

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Suppression de la page Facebook de Books of Dante


Bonjour,

Celles et ceux d’entre vous qui suivez également les activités de Books of Dante sur Facebook se seront peut-être rendu(e)s compte que la page a disparu. C’est vrai. Devant l’insistance de Facebook à me causer des ennuis, j’ai donc décidé de supprimer tout simplement cette page car il n’est pas très utile de conserver un support sur lequel on ne peut plus rien partager. C’est sans regret. Je ne fais qu’anticiper tout simplement une idée qui me trotte en tête depuis pas mal de temps.

Cela ne remet bien évidemment pas en cause mon activité ici : tant que je pourrais me le permettre, je poursuivrai au rythme d’un article par semaine – le coutumier article du vendredi – auquel devrait se joindre, chaque semaine également, un plus court format qui devrait prendre place tous les mardis sous la forme d’une image accompagnée d’un texte n’excédant pas 500 mots, le tout traitant des nombreux sujets qui nous occupent habituellement. J’ai récemment posté un essai allant dans ce sens, visible ici.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une belle fin de journée. Merci de votre attention et à bientôt ici ;)

Gilles

L’aneth (Anethum graveolens)

L’aneth n’est pas que le simple succédané du fenouil, sans quoi l’on pourrait légitimement se demander ce qu’il fait bien au monde. Non, c’est bel et bien une espèce à part entière qu’il importe d’étudier sous un angle exclusif sans avoir constamment le besoin de dire : « L’aneth est comme l’anis, l’aneth est comme le fenouil, etc. » Insistons donc sur ce qui le singularise. Accepterions-nous un tel traitement ? Il n’y a guère de temps, untel m’a apostrophé en me disant que je ressemblais à tel autre. J’ai bien assez d’être moi pour avoir le temps d’être un autre, non mais ! ^.^

Bref, faisons bon accueil à l’aneth qui sera ici abordé autant du point de vue de la phytothérapie que de celui de l’aromathérapie.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles


Synonymes : anet, fenouil bâtard, fenouil puant, faux anis, ecarlade, écarlate.

Probablement issu du Proche-Orient (Perse ?) et de l’Asie centrale méridionale, l’aneth s’est propagé (oui, c’est un mot masculin) au Caucase et à l’Égypte dans un premier temps. (Même si à ces déplacements l’on peut en ajouter d’autres : des fouilles en pays helvète ont révélé la présence de graines d’aneth néolithiques. Par ailleurs, bien qu’endémique à l’Europe méridionale, des restes d’aneth ont été découverts parmi les ruines de maisons romaines en Grande-Bretagne, ce qui atteste de la percée septentrionale de l’aneth au cours des siècles encadrant la naissance du Christ.) En Égypte, cette plante donnée contre la douleur, fut inscrite au sein du papyrus Ebers (XVIe siècle avant J.-C.). Du côté des Grecs, on vit l’aneth entre les mains d’Hippocrate et de Dioscoride, ce qui est la preuve qu’il posa le pied sur le sol européen bien avant le début de notre ère (si l’on en croit le Nouveau Testament, Matthieu XXIII, 23, on connaissait déjà l’aneth en tant que plante potagère chez les Israélites). Mais déjà, pointaient les premières contradictions : Dioscoride concédait à l’aneth la vertu de « dessécher le sperme », tandis que d’autres composèrent un remède à base d’aneth, de fenouil et de racine de verveine dont le but avéré était de combattre la stérilité féminine ! Alors que ces mêmes Grecs tirèrent de l’aneth un remède contre l’insomnie (paraît-il que se couvrir les yeux de feuilles d’aneth accélère l’endormissement), du côté des Romains, « les gladiateurs le mêlaient à leurs aliments pour augmenter leurs forces »1. Plus précisément, ils prêtaient à l’huile d’aneth la capacité d’assouplir et de fortifier leurs membres. Tout cela peut paraître, effectivement contradictoire si l’on ignore que l’aneth est tout à la fois une plante sédative et stimulante. En tous les cas, dans le monde gréco-romain, l’aneth était pris en bonne part : Virgile (Bucoliques, II) campait une naïade cueillant, en compagnie de violettes, de pavots et de narcisses, des brassées d’aneth (que certaines traductions donnent comme étant du fenouil ; dans les deux cas, Virgile ne nous explique pas à quoi cette naïade destine toutes ces fleurs…). Peut-être aux usages que Roques confiait à ses lecteurs : « Les Romains se couronnaient d’aneth dans les festins, à cause de sa bonne odeur .[…] Quant aux Grecs, ils « n’estimaient pas moins l’aneth. D’après Alcée et Sapho, ils se parfumaient les cheveux, le cou, la poitrine, les mains avec cette plante aromatique »2. Loin des tables et plus près de l’officine, l’aneth était aussi reconnu comme plante médicinale autant par les Grecs que par les Romains. Ce sont avant tout ses excellents effets sur la sphère gastro-intestinale qui furent mis à profit, l’aneth étant effectivement anti-vomitif, carminatif, apte à chasser les coliques. On lui concéda aussi d’autres vertus évacuatrices : il est diurétique, galactogène et facilite plus sûrement l’accouchement. On en faisait encore intervenir la feuille et la graine au travers de bien d’autres affections comme le gonflement de la rate, la fièvre quarte, les morsures et plaies de curation difficile, l’épilepsie, etc.

Au Moyen âge, l’aneth était fort en faveur auprès de l’école de Salerne qui, par l’intermédiaire de deux vers de son cru, fixa les vertus qu’elle reconnaissait à cette plante. Voici ce qu’écrivit la célèbre école de médecine campanienne à son propos : Anethum ventos prohibet, minuitque tumores, ventres repletis pravis facit esse minores. Autrement dit : « L’aneth chasse les vents, amoindrit les humeurs et d’un ventre replet dissipe les grosseurs », ce qui est une autre façon de signifier que l’aneth possède des propriétés carminatives et digestives, et qu’il a, de plus, une heureuse action sur la bile et le sang. Quant à Hildegarde, impossible d’avoir un doute face à son dille ! Elle signalait qu’il n’est pas souhaitable de le consommer à l’état cru car il rend l’homme facilement triste. En revanche, une fois cuit, il facilite la digestion, s’oppose aux maladies pectorales, aux douleurs spléniques et goutteuses, aux saignements de nez et à l’échauffement de la luxure.

Aux temps qui firent suite à la période médiévale, Matthiole attesta que l’aneth était cultivé dans tous les jardins et qu’il comptait au nombre des ingrédients constituants des thériaques3, tandis que ses graines formaient avec la camomille, le mélilot et la matricaire le club des quatre plantes carminatives des apothicaires de l’époque. A la Renaissance, l’aneth avait si bonne presse que son emploi fut continué dans les siècles suivants : par exemple, dès 1672, il s’invita à la table du roi Louis XIV sous la forme d’une liqueur composée à base de fenouil, d’aneth et de cannelle, entre autres drogues : le rossolis. Eupeptique, celui-ci autorisait au roi des digestions moins pénibles, ce que ses excès de table occasionnaient régulièrement. C’est bien ce que racontait peu ou prou Nicolas Lémery au sujet de la seule graine d’aneth : « Elle chasse les vents, elle excite l’urine, elle adoucit le hoquet, elle provoque le lait aux nourrices, elle aide à la digestion »4. A cela Chomel ajouta surtout d’autres vertus de l’aneth sur la sphère digestive (manque d’appétit, aigreur d’estomac, colique, vomissement…), précisant encore que l’aneth est anodin (c’est-à-dire, dans l’acception ancienne : qui calme les douleurs) et résolutif, avançant « la suppuration des tumeurs ». A la toute fin du XVIIIe siècle, Desbois de Rochefort établit des modes d’emploi dont on trouvait encore le libellé dans bien des ouvrages postérieurs (au moins jusqu’à Fournier !). Par exemple, il préconisait 1 à 1,5 gros de semences d’aneth dans une chopine de vin ou bien une pinte d’eau (éléments de compréhension, puisque Desbois écrit avant la réforme des poids et mesures de 1789 : un gros = 3,82 g ; une chopine = 0,466 l ; une pinte = 0,931 l). Il procédait par décoction dont le résultat se destinait aux lavements et fomentations. Il broyait aussi la semence d’aneth et l’administrait à hauteur d’un quart à un demi gros. Il précisait encore avoir retiré un grand succès de l’usage des huiles essentielles carminatives – dont celle d’aneth – dans le hoquet et les vomissements spasmodiques. Ils les donnait généralement aux doses de 8, 10, 12 ou 15 gouttes sur quatre ou cinq onces (une once = 30,594 g) de potion, breuvage que le patient absorbait à la cuillère. Terminons-en là en citant l’auteur qui aborde un point supplémentaire : « Les semences sudorifiques sont principalement tirées des plantes ombellifères, et ce sont les mêmes que l’on nomme carminatives ; telles sont celles d’anis, de fenouil, de carotte, d’aneth, de cumin, de persil, etc. Toutes sont fort aromatiques, ainsi que leurs eaux distillées. Elles donnent une assez grande quantité d’huile essentielle, qui est tonique, stimulante, pousse beaucoup à la peau, et que l’on emploie à la dose de 10, 12 ou 15 gouttes. Ces semences peuvent aussi se donner en substance, à la dose d’un demi gros ou un gros, en infusion sur une pinte d’eau ou de vin : ce vin est un bon sudorifique »5.

L’aneth est considéré comme une plante utile contre les mauvais sorts – un de ses apanages médiévaux qui longtemps perdura. « Réputé pour protéger les jeunes couples et leur assurer une vie conjugale heureuse »6, on voyait aussi les mariées scandinaves orner leur corsage de ses fleurs qui assuraient une fonction similaire. « La tradition russe en fait un aphrodisiaque puissant d’où son utilisation intensive dans les recettes de cuisine »7. C’est effectivement un ingrédient indispensable aux philtres. J’ai d’ailleurs lu quelque part que cette plante avait été placée sous la houlette de la planète Vénus par certains astrologues. En tous les cas, l’aneth semble fort utile à Lucius dont Apulée, dans L’Âne d’or, nous décrit la métamorphose qui s’accompagne d’une monstrueuse « élongation » apte aux jeux de l’amour ^.^ : « Vois enfin avec quelles plantes de rien, et tout ordinaires, on peut produire de si grands effets : un peu d’aneth, joint à des feuilles de laurier, jeté dans de l’eau de source, avec laquelle on se lave et que l’on boit »8. Ainsi s’adresse Photis à Lucius, lui garantissant que par ce moyen simple il pourra – du statut d’oiseau de malheur qu’il a malencontreusement acquis quelques temps auparavant – redevenir ce Lucius qu’il est, mais n’y gagne qu’une nouvelle métamorphose animalière, Lucius se muant en âne sous le sortilège de l’aneth !

Parce que plante annuelle, l’aneth s’oblige à faire de la graine dans la même année que celle de sa germination. Il a donc bien intérêt à pousser et à croître rapidement, ce que semble suggérer le mot grec ánêthon, au sens proche du latin currere qui veut dire « courir ».

Bien plus petit que le fenouil auquel il ressemble assez, l’aneth est constitué de tiges rameuses creuses, cylindriques, longitudinalement striées, qui émergent d’une racine blanchâtre en fuseau. Comme très souvent chez les Apiacées, se distinguent des feuilles inférieures aux pétioles engainants et des feuilles supérieures à folioles linéaires et filiformes trois fois divisées dont la légèreté vaporeuse renforce l’allure pruineuse et glaucescente générale de cette plante. Émergeant de ce fouillis brumeux, de larges ombelles planes (10 à 15 cm), composées de quinze à trente rayons, portent, entre juin et septembre, de nombreuses petites fleurs jaunes sans involucre ni involucelle, et dont l’extrémité des cinq pétales se recourbe en direction du centre de la fleur. Bien que sans nectar, elles produisent une profusion de fruits, di-akènes se séparant à maturité en deux semences plates d’un côté, convexes de l’autre, et marquées de cinq côtes.

Autrefois spontané dans les moissons, l’aneth se fait aujourd’hui beaucoup plus rare même dans les départements français les plus méridionaux où il courrait autrefois les champs. Essentiellement échappé d’anciennes cultures puis ensauvagé, on le voit bien établi dans la péninsule ibérique ainsi qu’en Italie.

Toujours cultivé dans le Midi de la France, sa production est en net recul depuis plusieurs année. Il fait l’objet de cultures plus étendues en Amérique septentrionale, ainsi qu’en Europe du Nord et de l’Est (Grande-Bretagne, Hollande, Pologne, Russie, Roumanie, Bulgarie), deux zones géographiques où il est plus largement consommé qu’en France.


L’aneth en phyto-aromathérapie

Alors que sa présence était encore attestée dans la pharmacopée de 1884, l’aneth fut retiré du Codex en 1908. On fit, à tort, de l’aneth, une ombellifère strictement condimentaire (et assez peu usitée comme telle en France), ce qui, surtout, lui condamna l’accès au fabuleux monde de la parfumerie et, dans une mesure moindre, à celui de l’officine où l’on est toujours prompt à lui préférer le fenouil, réduisant l’aneth au rôle congru de faux-ami, à tel point qu’on a affecté à l’aneth des sobriquets tels que « faux fenouil », « fenouil bâtard », etc., au travers desquels il recèle une approximation que l’on consent à accepter, à défaut d’autre chose… Mais, « tout comme on appelle les agaves aloès, on appelle généralement l’aneth fenouil. Mais erreur ne fait pas compte »9. De même du « faux anis » que nous doivent les nombreux points communs observés d’une plante à l’autre. Alors qu’il fut un temps où l’on désignait le fenouil par le nom d’aneth fenouil (Anethum foeniculum), l’aneth est, depuis, résolument entré dans l’ombre de son cousin, de laquelle nous allons l’extirper, car toutes ces potentielles similitudes entretenus entre deux plantes ne sauraient nous faire oublier qu’elles possèdent chacune leurs spécificités. En effet, il ne s’agit pas de dire que l’aneth est affublé d’une odeur aromatique plus forte que celle du fenouil (une fois de plus, qu’est-ce que ça signifie ?), ni qu’on en regarde les feuilles et les semences comme moins agréables que celle du fenouil (du moins, dans sa variété dulce, bien entendu !). Vous savez bien que les goûts et les couleurs ne se disputent pas : le choix de préférer l’aneth au fenouil en diffusion atmosphérique m’appartient (c’est l’occasion de surprendre, dans son huile essentielle ainsi utilisée, une touche fraîche et claire bien intéressante qu’on peut qualifier de « mentholée », ce que contredit l’adjectif graveolens, « à forte odeur »). Ainsi, dans la suite de notre propos, nous nous départirons du discours habituel : par exemple, l’aneth propose, pour d’identiques compositions biochimiques (sic), des propriétés et usages thérapeutiques qui valent celles et ceux du fenouil, de l’anis ou du carvi, etc., ce qui n’est pas autre chose que de la paresse intellectuelle.

L’aneth, dont la saveur est plus prononcée lorsqu’on le cueille en un lieu sec, est surtout connu par l’emploi de sa semence qui contient environ 20 % de matières grasses et 15 % de matières albuminoïdes, mais également des matières résineuses, mucilagineuses et tanniques. On y voit encore des flavonoïdes, des xanthones et des triterpènes, enfin des sels minéraux et oligo-éléments (fer, magnésium, calcium…), et des éléments vitaminiques (vitamine C). Terminons-en avec une fraction aromatique oscillant entre 2,5 et 5 %, suffisamment intéressante pour que, autrefois (au XVIIIe siècle), on l’obtienne en pressant mécaniquement les fruits, ce qu’aujourd’hui l’on ne fait plus, puisque les semences d’aneth endurent le même sort que celui de nombreuses autres graines, à savoir l’extraction par hydrodistillation, ce qu’on fait subir à l’aneth après que ses graines aient été séchées puis pulvérisées. Ce procédé permet la production d’un liquide limpide et mobile de couleur généralement jaune très pâle quand elle n’est tout bonnement pas incolore. Quand à son parfum, Fournier lui trouvait celui résultant d’une combinaison de persil et de paraffine, c’est dire ! On y croise bien une touche anisée, mais ce n’est pas ça qui saute aux yeux (du moins, pas aux miens). Assez chaude, mais mentholée comme j’ai eu l’occasion de le mentionner plus haut, elle dénote par une autre touche fraîche et herbeuse agréable.

Son rendement varie de 2,5 à 5 %. Si on l’estime généralement à 3 %, les informations que je vais vous fournir ci-dessous vont permettre de poser un problème à l’ancienne : sachant qu’un quintal de graines d’aneth coûte 190 francs, et que le kilogramme d’huile essentielle d’aneth se marchande à 43 francs, calculez quel est le rendement minimum pour que la distillation d’un quintal de graines d’aneth soit rentable ^.^ C’est dans un vieux livre datant de 1908 que j’ai déniché ces données. J’y ai aussi découvert la recette permettant la fabrication de l’hydrolat d’aneth : pour obtenir 100 l de ce produit, il faut placer 200 l d’eau dans l’alambic, ainsi que 53 kg de graines d’aneth. Bref. Ne nous égarons pas trop et revenons-en donc à l’huile essentielle d’aneth « graines », et prioritairement à sa composition qui rappelle beaucoup celle du carvi, ne serait-ce que par les deux principales molécules communes aux deux huiles, à savoir le limonène et la D-carvone.

  • Monoterpènes (49 %) dont limonène : 47,50 %
  • Cétones (50 %) dont D-carvone : 46,50 %
  • Éthers : dill-éther (3 à 10 %)
  • Coumarines : ombelliférone (loin d’être une molécule phototoxique, l’ombelliférone est plutôt une protectrice solaire, comme le suggère son nom à l’étymologie commune au parapluie. Elle réduit la quantité d’UVB que la peau peut absorber, raison qui explique que l’ombelliférone entre dans la liste des éléments actifs de certaines préparations de protection solaire).

Étant donné que le biotope possède une importance capitale sur la composition moléculaire des huiles essentielles, on observe, chez celle d’aneth, des variations du limonène et de la D-carvone (quand le taux de l’un baisse, celui de l’autre monte et vice-versa). Mais, parfois, on voit un autre trublion moléculaire venir perturber ce jeu de balancelle : l’α-phellandrène. Il ampute limonène et D-carvone d’une partie à peu près égale et se pose comme la troisième roue du carrosse : pour 30 % de D-carvone et 30 % de limonène, on peut trouver jusqu’à 25 % d’α-phellandrène dans certaines huiles essentielles d’aneth « graines », ce qui fait monter le taux total de monoterpènes à 60 %. Ce n’est donc plus le même produit que le précédent, qui, en revanche, est beaucoup plus proche de l’huile essentielle d’aneth que l’on retire par la distillation de la plante fraîche cueillie avant floraison, et que l’on ne retrouve que rarement sur le marché du fait d’un rendement hyper chiche (0,05 à 0,75 %), ce qui explique qu’on en parle très peu. Voici néanmoins quelques chiffres permettant de faire une comparaison entre l’huile essentielle « graines » à α-phellandrène et l’huile essentielle « parties aériennes non fleuries ».


S’il faut compter environ 10€ pour obtenir un flacon d’huile essentielle d’aneth « graines » biologique de bonne qualité (10 ml), il est souvent nécessaire de débourser le double pour un même flacon d’huile essentielle d’aneth « parties aériennes non fleuries ».

Propriétés thérapeutiques

Comme nous allons le voir, l’aneth dégage les obstructions, assouplit et fluidifie. Il a la vitesse du lièvre et la pugnacité de la tortue, agissant sur bien des liquides du corps : urines, sang, salive, sucs gastriques, bile, lait maternel, mucus pulmonaire. Presque autant qu’il ne possède de rayons à ses ombelles.

  • Stimulant des glandes salivaires et gastriques, digestif, stomachique, carminatif, antispasmodique des voies digestives, anti-émétique
  • Expectorant, mucolytique, fluidifiant des sécrétions bronchiques, anticatarrhal, décongestionnant bronchique
  • Stimulant hépatique, hypocholestérolémiant, cholagogue, cholérétique
  • Stimulant de la circulation sanguine, fluidifiant sanguin, anticoagulant, cardioprotecteur
  • Diurétique, antispasmodique et protecteur rénal
  • Emménagogue, lactifère
  • Anti-infectieux : antiseptique puissant, antifongique, antibactérien
  • Stimulant du système nerveux central, neurotrope, hypnotique
  • Rafraîchissant et assainissant de l’haleine
  • Résolutif, émollient

Note : je signale que le mot dill, terme anglais désignant la plante, signifie « apaiser » en ancien anglais, en relation avec les qualités antispasmodiques de l’aneth.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : manque d’appétit, digestion lente, laborieuse et paresseuse, lourdeur post-prandiale, dyspepsie, aérophagie, météorisme, ballonnement, flatulences, éructation, hoquet, colite spasmodique et autres spasmes intestinaux, colique (venteuse, du nourrisson), diarrhée, vomissement (surtout d’origine nerveuse), gastralgie, insuffisance pancréatique
  • Affections buccales : haleine « ammoniaquée » au matin (révélant des perturbations d’ordre rénal et hépatobiliaire)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, nécessité d’un drainage lymphatique
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite aiguë, encombrement bronchique, rhume, catarrhe pulmonaire, ronflements, toux, grippe, asthme
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hémogliase (épaississement du sang), prévention des risques d’infarctus
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, règles douloureuses, insuffisance lactée, engorgement des seins
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine
  • Sciatique
  • Insomnie
  • Contusion

Note : j’ai récemment lu dans un ouvrage que je consulte rarement que l’on pouvait préconiser l’huile essentielle d’aneth auprès des enfants « qui absorbent une nourriture trop riche et dont les troubles se manifestent par des vomissements, coliques, nausées, sensation de brûlure et ballonnements »10. J’avoue que tout cela me laisse perplexe. La logique ne prévaut-elle pas d’enlever le trop-plein plutôt que de rajouter quelques gouttes d’huile essentielle ? Si l’on considère que cette huile essentielle est un blanc-seing à la malbouffe (car pour assurer de tels dysfonctionnements, ça en est, assurément), on tombe là dans le domaine du gaspillage, qui n’a pas lieu d’être en aromathérapie. Les huiles essentielles se doivent d’être employées avec mesure, et non pour des raisons que l’on peut (et doit !) modifier en adoptant un régime alimentaire ad hoc et non pathogène, car en disconvenir, c’est signifier que l’on peut continuer à s’empiffrer dans l’insouciance. Qu’importe, puisque l’aneth veille au grain, après tout ? Triste Occident, tu portes la mort dans ton nom…

Note 2 : l’aneth étant une plante riche en sels minéraux variés, on peut le substituer au sel de table en cas de régime alimentaire sans sodium.

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Je ne suis pas certain que ce que je vais raconter ci-dessous s’intègre parfaitement à l’idée que l’on peut se faire des « propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques », mais, ayant surgi de nulle part, et ne sachant trop quoi en faire, je me permets de le placer ici plutôt que de me risquer à l’insérer partout ailleurs dans le corps de texte.

En compulsant le site internet de Maison Néroli, je suis tombé d’accord avec ce qui y est écrit sur la page dédiée à l’huile essentielle d’aneth, en particulier lorsqu’il est fait référence à l’odeur de cette huile qu’on peut décrire « comme voilée, presque brumeuse », c’est-à-dire sans doute à l’image de la plante elle-même : à la voir, s’imagine-t-on capable de tenir entre le pouce et l’index l’une de ses feuilles éthérées, comme on le ferait d’une feuille à limbe simple, non ambigu, immédiatement saisissable, comme peut l’être, par exemple, une feuille de tilleul ? Il y a quelque chose d’inapprochable chez l’aneth, mieux encore, d’inembrassable, bien qu’on puisse mieux l’embrasser du regard, plus que par tout autre moyen. Il donne néanmoins la sensation de toujours se soustraire en partie aux regards, ne paraissant jamais entièrement là, mais se manifestant toujours par fragments. Cette impression, je l’ai eue également lorsque – prise de notes en cours – je me suis retrouvé nez à nez avec un tas d’informations disparates dont je me suis demandé où est-ce que j’allais bien pouvoir les caser sans que cela donne l’impression artificielle d’agglutiner entre elles des pièces rapportées.

Cela va sans doute vous paraître hors de propos, mais il me semble qu’il existe un animal-totem sacré chéri par bien des tribus amérindiennes d’Amérique du Nord qui me fait grandement penser à l’aneth, en particulier au travers de cette habitude d’être là sans y être vraiment, sans y demeurer intégralement, à l’abri sous le voile de dentelle du roi Aneth, toujours de manière fractionnée. Cet animal-totem, et non des moindres, c’est l’Oiseau-tonnerre. Peut-être bien que l’écriture du livre que j’ai consacré à ce sujet à l’été 2013, concomitamment à l’achat d’un flacon d’huile essentielle d’aneth, a initié une superposition entre cette figure totémique et cette plante, l’un faisant réponse énergétique et symbolique à l’autre et inversement, en quelque sorte. L’association reste certes hardie, mais il n’en demeure pas moins que l’Oiseau-tonnerre, qui voyage toujours dissimulé au sein des nuages, se rapporte assez bien à ce que dit Maison Néroli de l’huile essentielle d’aneth.

Du côté de Deva (laboratoire isérois de fabrication d’élixirs floraux), on raconte aussi des choses fort intéressantes : l’élixir de fleurs d’aneth permet de s’accorder à un rythme extérieur que l’on juge trop rapide, en réalisant une sorte d’homéostasie afin que le décalage ressenti s’amoindrisse, et que les expériences et expérimentations nouvelles puissent être plus facilement engrangées et donc profitables. D’ailleurs, ne reconnaît-on pas à l’huile essentielle d’aneth la capacité de favoriser l’adaptation du système nerveux quand celui-ci se trouve dépassé ?

Modes d’emploi

  • Infusion de semences : comptez 5 à 10 g de graines d’aneth en infusion dans un litre d’eau pendant 10 mn à couvert.
  • Infusion composée (apozème partagé par Henri Leclerc) : comptez cinq parties de tilleul, trois de semences d’aneth et deux de semences d’angélique. Une cuillerée à soupe de ce mélange pour la valeur d’une tasse d’eau chaude en infusion à couvert pendant un quart d’heure.
  • Décoction pour bain : faire bouillir pendant quelques minutes 30 g de graines d’aneth par litre d’eau, puis laisser infuser hors du feu à couvert pendant un quart d’heure.
  • Décoction pour lotion : placez 50 à 100 g de semences d’aneth par litre d’eau en décoction pendant 10 mn, puis laissez infuser à couvert et hors du feu durant le même temps. Après avoir passé et filtré, on peut utiliser cette lotion en compresses, éventuellement en fomentation.
  • Poudre de semences : comptez un à deux grammes par prise dans un véhicule convenable.
  • Macération huileuse des sommités fleuries fraîches.
  • Cataplasme de feuilles fraîches d’aneth contuses.
  • Graines dans l’alimentation, à mâcher quand besoin s’en fait sentir.
  • Huile essentielle : voie orale avec précaution (cétones), voie cutanée diluée (1,2 % au maximum), inhalation, olfaction, dispersion atmosphérique

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles peuvent se prélever avant la floraison de la plante, soit aux mois de mai et juin. On peut les faire sécher, bien qu’elles y perdent en partie une fraction de leur arôme. Il est plus pertinent de les utiliser fraîches au fur et à mesure des besoins dans l’alimentation, à l’instar de la coriandre. Quant aux semences, elles font l’objet d’une cueillette s’étalant de la fin de l’été au mois d’octobre. Une fois les ombelles fanées, et bien avant que la maturité ne soit complètement avancée (on connaît le problème des Apiacées dont les fruits – si on les cueille trop tardivement – s’égrènent facilement, compliquant bien inutilement la récolte), on les sectionne avec délicatesse, puis on les suspend tête en bas et on les laisse sécher le temps nécessaire, jusqu’à ce que les graines s’en détachent quand on secoue les ombelles (prévoyez un linge au-dessous pour faciliter le recueillement des semences).
  • Toxicité : contenant de fortes proportions de cétones monoterpéniques (D-carvone essentiellement), l’huile essentielle d’aneth implique de potentiels risques neurotoxiques et abortifs. On n’utilisera donc pas cette plante sous cette forme en cas de grossesse et d’allaitement, encore moins chez le bébé, l’enfant et la personne neurologiquement fragile. Les personnes soumises à un traitement anticoagulant l’éviteront, de même que celles étant sujettes aux lithiases biliaires. Rappelons que la D-carvone, contrairement aux turmérones contenus dans l’huile essentielle de curcuma, est une cétone « lourde », à l’instar de ces autres molécules cétoniques que sont le camphre et la pinocamphone. La toxicité de l’aneth se vérifie aussi auprès d’un certain nombre d’oiseaux pour lesquels les graines de cette plante ont des effets néfastes et mortels.
  • En cuisine : les amateurs de cuisine scandinave connaissent sans aucun doute la sauce dill, mélange de jus de citron, de crème fraîche et de feuilles d’aneth finement ciselées, accompagnant traditionnellement le saumon fumé, et qui, à une époque, valait à cette plante une seule apparition annuelle dans les grandes surfaces, c’est-à-dire en fin d’année, à la période des fêtes. Mais celui que l’on ne connaît presque plus comme matière médicale par chez nous, y brille aussi par son absence en tant qu’herbe condimentaire, aussi bien par ses feuilles fraîches que par ses semences sèches. Si l’on sort de France, on se rend compte aisément que dans une bonne partie de l’Europe du Nord (Scandinavie, Grand-Bretagne, Allemagne) et de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Russie), l’aneth y est beaucoup plus plébiscité : cette plante aromatique participe à de nombreuses recettes ayant pour base les produits de la mer (coquillages, crustacés, poissons), les œufs, les crudités (carotte, tomate, concombre), les pommes de terre. On en fait des marinades et des conserves au vinaigre (cornichons, petits oignons blancs), on l’incorpore aux liqueurs digestives, à certaines confitures, à la choucroute, etc. L’aneth peut se substituer au fenouil dans bon nombre de recettes impliquant celui-ci. On peut même retirer des graines hydrodistillées un ersatz de café après torréfaction.
  • Variétés : on distingue l’Anethum graveolens var. graveolens, objet de cet article, de son cousin cultivé Anethum graveolens var. hortorum. (Cette distinction botanique peut-elle expliquer la différence que nous avons observée plus haut au sujet de la composition des deux huiles essentielles d’aneth « graines » ?) On en reconnaît plusieurs cultivars : aneth Dukat, aneth Super Dukat, aneth Mammoth (jusqu’à 170 cm de hauteur), aneth Sari, aneth Aros, aneth Bouquet (plante naine).
  • Autres espèces : l’aneth poivré (Anethum piperitum) et le sowa (Anethum sowa), herbe ayurvédique. Des études récentes ont montré la richesse de cette plante en composés phytochimiques (on aimerait qu’il en aille de même avec notre aneth européen). Les extraits qu’on a tirés du sowa ont montré des effets particulièrement intéressants pour la médecine : des propriétés anti-infectieuses (antivirales, antibactériennes, antiparasitaires), anti-inflammatoires, anti-oxydantes, analgésiques, antidiabétiques et anticancéreuses.

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 205.
  2. Ibidem, pp. 205-206.
  3. La graine apparaît dans des recettes de thériaque, du moins des compositions magistrales intégrant de la chair de vipère que l’on pile dans un mélange à part égale de sel et de semences d’aneth, à moins qu’il ne s’agisse du mehon (auquel ressemblent fortement aneth et fenouil) qui était donné comme alexitère de valeur, cette propriété en expliquant ici l’emploi. L’on peut dénicher une recette de ce type dans l’ouvrage de Pierre Pomet qui date pourtant de la fin du XVIIe siècle. Mais, alors, on n’en avait pas encore fini avec la thériaque.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 47.
  5. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, pp. 429-430.
  6. Dominique Lepage, Miscellanées végétales, p. 18.
  7. Ibidem.
  8. Apulée, L’Âne d’or, Livre III, pp. 110-111.
  9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 83.
  10. Michel Faucon, Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 359.

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