Petit abrégé de pratiques chamaniques

Chaman en transe, Mongolie, 1934

Le texte ci-dessous va exposer les grands domaines d’action du chaman. Nous allons voir en quoi le chaman est un maître du chaos, dans le sens où il est censé démontrer son pouvoir de contrôle sur une situation problématique dont l’amplitude est variable. Les multiples tâches que requièrent ses interventions n’ont pas d’autre but que de rétablir un équilibre brisé. Le chaman n’est en aucun cas un démiurge, le retour à l’équilibre n’est jamais pérenne, l’ambivalence de la Nature (y compris humaine) fait que nous sommes dans l’obligation de jongler, notre existence durant, entre équilibre harmonieux et chaos, ce désordre nécessaire (1).

[En dehors de ses aptitudes chamaniques, le chaman est un homme comme les autres, qui mange, boit et dort. Il lui arrive même de déféquer, dites ! L’imagerie « romantique » (voire romancée) du chaman qui s’abîme H24 dans les mystères de la Vie demande à être nuancée quelque peu…]

PROBLEME

L’intervention du chaman est motivée par un problème dont l’envergure est jugée plus ou moins grave pour, d’une part, menacer un individu particulier (un malade, par exemple), d’autre part la communauté dans son sens le plus général (tribu, clan, etc.). Des problèmes tels qu’une mauvaise récolte menaçant de famine un groupe humain, la disparition d’objets ou d’animaux (des chevaux pour les Amérindiens, précieux aides de chasse), la violation d’un tabou, etc., sont du ressort du chaman.

IDENTIFICATION DE LA CAUSE DU PROBLEME

Les causes peuvent être de deux natures, au moins :

Du domaine du visible : blessure de guerre ou de chasse, fracture accidentelle, etc.
Du domaine de l’invisible :
– par l’intervention d’un esprit ou d’une divinité hostile (l’esprit vole l’âme d’un homme ou le possède, la divinité tourmente cet homme, etc.).
– par l’intervention d’un autre chaman (c’est particulièrement le cas des objets minuscules qu’on va magiquement faire pénétrer dans le corps d’un individu appartenant à une tribu ennemie).

PREPARATION

A ce stade, le chaman va devoir mettre en œuvre les compétences, savoirs, pouvoirs, etc., qui sont les siens. Parmi eux, les plus adéquats à la résolution du problème vont être sélectionnés afin d’échafauder un plan de lutte. Plusieurs moyens sont à sa disposition :

* En cas de perturbation provoquée par un esprit, le chaman peut faire appel aux esprits auxiliaires :
– Totems (animaux, végétaux, minéraux)
– Alliés fixes et/ou temporaires
– Entités (guides, protecteurs, gardiens)
– Divinités

Le chaman va s’allier avec certains d’entre eux en fonction du but à atteindre. Il est même possible qu’il soit amené à voyager (décorporation) dans le monde de l’invisible en cas d’âme enlevée, par exemple.

Extraction de l’objet ensorcelé du corps du malade, si besoin est par succion. Mais également par fumigation (nettoyage des impuretés cause de désordre, autant d’un point de vue physique qu’énergétique).
Appel aux plantes médicinales de la pharmacopée propre à la tribu considérée.
* Techniques divinatoires et augurales.

ACTION

Le chaman va devoir, une fois encore, démontrer son pouvoir de contrôle sur la situation qui pose problème. Le combat s’engage et la lutte se déroule selon différentes modalités. Un combat physique peut avoir lieu en cas de possession d’un individu par un esprit rebelle. Cette lutte s’accompagne parfois de joutes oratoires entre le chaman et l’esprit que l’on souhaite chasser du corps du malade. Écouter l’esprit, le calmer et l’amadouer pourra être utile. Par ailleurs, une offrande qui semble équitable à l’esprit sera consentie par le chaman si nécessaire. Au pire, ce dernier devra en venir à la supplication, à la contrainte, voire à la coercition afin de mettre l’esprit en déroute.
Selon si l’esprit est une âme égarée ou bien un esprit qui en veut (volontairement ou non) à un individu ou à un groupe d’individus pour diverses raisons (vengeance, irrespect, etc.), le modus operandi différera.
Quoi qu’il en soit, le chaman devra s’adapter à l’esprit en présence duquel il se trouve. Cela nécessite de bien connaître sa nature afin de faciliter au mieux la délivrance de l’homme ou du groupe.
Incantations et prières sont souvent employées afin de compléter l’action des plantes médicinales et cela dans un but cathartique.

DENOUEMENT

Par l’entremise du chaman, l’esprit vindicatif renonce à ses projets. Il modifier alors son comportement à l’égard de l’homme, du groupe, etc., qu’il tourmente. Il est alors acculé à la clémence.
En revanche, si le chaman a affaire à une entité autrement plus puissante et moins malléable, un compromis (offrandes, prières régulières) peut être passé entre eux. D’autres exigences sont possibles : la modification d’un comportement humain considéré comme outrageux par l’entité, la divinité, etc.
On parvient donc à une solution qui va ramener la paix et l’harmonie. Le chaman voit donc sa tâche accomplie.

Cependant, si l’esprit n’est pas aussi conciliant et coopératif que dans le cas précédent et que, malgré l’ensemble des suppliques et/ou admonestations adressées par le chaman, l’esprit ne veut toujours rien entendre, le chaman devra en venir à des méthodes autrement plus expéditives. Selon les cas, ces techniques requièrent une hardiesse particulière de la part du chaman. Par exemple, en cas d’âme enlevée, il devra détruire l’esprit hostile et récupérer l’âme, et cela sans danger ni dommage pour l’âme et lui-même, afin de lui faire regagner son propriétaire.
Le bannissement de l’esprit est également possible, de même que l’emprisonnement dans un objet (pot, bouteille, caillou, etc.). A l’extrême, la destruction pure et simple de l’esprit est recommandée. En cela, le chaman s’apparente à ce que l’on nomme par ailleurs un chasseur de démons.

Est-ce à dire que le chaman n’est que cela ? Certes non, il est bien d’autres choses que nous explorerons ensemble dans le second volet de ce dyptique ;)


  1. A ce titre, si un jour un chaman vous assure une guérison durable jusqu’à la fin de vos jours, cela n’en est probablement pas un. Tout au plus n’est-il qu’un vil imposteur… ^^

Petite bibliographie sélective :

-Jeremy Narby & Francis Huxley, Anthologie du chamanisme, Albin Michel, 2009.
-Bertrand Hell, Possession et Chamanisme, Flammarion, 1999.

© Books of Dante – 2013

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Amanites : phalloïde & tue-mouche

Vous avez sans doute le souvenir de ces petits champignons tout rebondis, au chapeau rouge constellé de petits points blancs qui constituent une partie du décor sur une bûche de Noël ?

Bien, aujourd’hui, au-delà de ce pur aspect décoratif, nous allons nous pencher sur deux représentantes du genre amanitacées : l’amanite phalloïde et l’amanite tue-mouche.

Bien qu’arborant de riches couleurs, l’amanite tue-mouche n’est pas la plus dangereuse des deux, loin s’en faut. Dangereuses ? Oui, si notre petit champignon de Noël est comestible, il en va tout autrement de ces deux beautés vénéneuses que l’on trouve dans la nature. Phalloïde et tue-mouches sont toutes deux dangereuses. Si cette dernière n’est pas mortelle, il en va tout autrement de la première dont les couleurs fades ne laissent rien présager. Décortiquons-les.

1. Descriptif

A droite, l’amanite phalloïde, à gauche l’amanite tue-mouche. Ces deux vues concernent chacun de ces champignons dans leur jeunesse respective.

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Maintenant, nous les voyons alors qu’ils ont grandi. Le chapeau s’est développé et aplani. Celui de l’amanite phalloïde arbore une couleur vert jaunâtre, voire olivâtre, alors que celui de l’amanite tue-mouche porte cette caractéristique couleur rouge vif constellée d’excroissances verruqueuses blanches.

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Chacune d’elles porte un large anneau dans la partie supérieure, des lamelles blanches à l’intérieur du chapeau, ainsi qu’une volve que l’on voit très bien sur chacune des deux dernières images : à la base du pied, elle joue le rôle de gaine enveloppante.

On pourra rencontrer des spécimens isolés ou en colonies en Europe dans les bois clairs, les bois de feuillus (à proximité du bouleau, entre autres…) et les bois mixtes plus particulièrement. A l’automne surtout, même si l’amanite phalloïde peut pointer le bout de son nez dès l’été.

2. Historique

Comment ne pas évoquer la mort par empoisonnement de l’empereur romain Claude par sa seconde femme Agrippine afin que le fils de cette dernière, Néron, monte sur le trône ? Claude étant friand de champignons, en particulier de ceux qu’on nomme amanite des césars, par le biais de Locuste, Agrippine ajouta à ce plat comestible quelques amanites phalloïdes. Pris d’horribles douleurs intestinales, Claude se fit vomir comme c’était de coutume à l’époque avant d’y revenir. Agrippine paracheva le travail en lui faisant ingurgiter une mixture à base de coloquinte, une petite cucurbitacée dont le suc est violemment purgatif et dangereux. Ainsi donc, Néron prit place sur le trône en lieu et place de Britannicus, l’un des fils de Claude né d’un premier mariage, mais ce dernier présentant une gêne, il fut également empoisonné un an plus tard…

A la fois porte-bonheur et maléfique, très connue mais malgré tout mystérieuse, l’amanite tue-mouches fit des adeptes parmi de nombreux artistes, en particulier le peintre Jérôme Bosch (1450-1516) dont certains historiens d’art estiment qu’il aurait peint un certain nombre de ses toiles alors qu’il était sous son emprise.

Champignon hallucinogène, l’amanite tue-mouches est utilisée par les chamans du nord de l’Asie, en Sibérie et en Laponie, entre-autres.

Entracte : nous nous en rendons compte, impossible d’évoquer l’histoire de ces deux champignons sans faire référence à leurs propriétés hallucinogènes et psychotropes. Ce que nous allons évoquer dans la partie suivante.

3. Composition et pouvoirs

L’amanite phalloïde, champignon le plus toxique d’Europe, contient des peptides (amatinine), des alcaloïdes (phalloïdines), etc. La dose létale est atteinte avec 40 à 50 g de ce champignon à l’état frais. Les effets toxiques sont lents à se manifester après ingestion. On considère que plus le temps entre la consommation d’un champignon toxique et l’apparition des symptômes se fait plus long, et plus l’intoxication est grave.

En ce qui concerne l’amanite phalloïde, le délai d’incubation peut aller de huit heures à deux semaines ! (Généralement de 6 à 24 h, le plus souvent de 8 à 12 h).

Lors d’une intoxication avec ce champignon, on voit apparaître les effets suivants : troubles digestifs, vomissements incessants, diarrhées abondantes, liquides et sanguinolentes, crampes abdominales, déshydratation sévère, chute de la tension, destruction des cellules hépatiques et rénales, mort par hémorragie interne et hypoglycémie

En cas d’intoxication, on peut mettre en place les mesures suivantes : lavage gastrique, charbon actif, hospitalisation en service de réanimation, injection de pénicilline, prise de silybine (principe actif hépatoprotecteur présent dans le chardon-marie et constituant le principal antidote de l’amanite phalloïde). Le problème réside dans le fait que lorsque les premiers symptômes apparaissent, les dégâts causés au foie sont déjà importants. Dans le pire des cas, une greffe de foie s’avère nécessaire.

A la lumière des faits exposés ci-dessus, nous pouvons dire que l’amanite phalloïde n’a pas usurpé son titre de champignon le plus toxique d’Europe. Elle est responsable de 95 % des intoxications mortelles et de 90 % des empoisonnements graves en France. Le plus souvent, l’intoxication involontaire est à mettre sur le compte d’une méconnaissance, la reconnaissance d’un champignon toxique ou non passant par sa préalable connaissance. Ainsi, l’amanite phalloïde est couramment confondue avec d’autres amanites comestibles et appréciées : Amanita caesara, Amanita vaginata, Amanita solitaria, etc.

L’amanite tue-mouches, bien que plus spectaculaire que la précédente, n’est pas si dangereuse. Elle contient des acides gras ainsi que de l’acide iboténique qui sont à même de tuer les mouches ainsi que d’autres insectes, ce qui explique le nom de ce champignon.

Le chapeau de l’amanite tue-mouche doit sa couleur à des pigments appelés bétalaïnes également présents dans la betterave rouge, mais ceux-ci n’ont pas d’action psychotrope.

Ce qui rend la consommation de ce champignon dangereuse, c’est la présence d’un alcaloïde, la muscarine, mais présente en si petite quantité (de l’ordre de 0,0002 %) que ses effets sont loin d’être aussi dévastateurs que ceux de l’amanite phalloïde.

Les toxines de ce champignon attaquent le système nerveux et le temps de latence est bien plus rapide que celui de l’amanite phalloïde : les effets se font sentir ½ heure à trois heures après ingestion. On peut alors observer l’ensemble des troubles suivants : troubles digestifs, sudation et salivation excessives, angoisse, rétractation de la pupille, tachycardie, convulsions, pseudo ébriété (avec excitation ou somnolence), vertiges, agitation, modification de la perception dans l’espace, modification de la perception de la personnalité, hallucinations et visions

Bien que la liste des effets de ce champignon soit assez longue, on observe une régression des symptômes au bout de vingt-quatre heures. Ceci dit, il est toujours possible d’accélérer la désintoxication par les moyens suivants : charbon actif, laxatifs, sédatifs, anticonvulsivants, hospitalisation (parfois nécessaire mais plus rarement que dans un cas d’intoxication à l’amanite phalloïde).

Revenons à la liste des effets. J’ai noté : hallucinations et visions. C’est pour cette raison que l’amanite tue-mouches est utilisée par les chamans en Sibérie et en Laponie, entre-autres. Là-bas, on n’hésitera pas à échanger un renne contre un seul de ces champignons qui, si l’on en croit l’expérience, est beaucoup plus actif consommé une fois sec qu’à l’état frais.

Voici ce qu’en dit John Mann dans son ouvrage de 1996, Magie, meurtre et médecine : « Les champignons sont séchés, puis mangés en larges morceaux et ingérés à l’aide d’eau froide. Au bout d’une demi-heure environ, la personne est complètement ivre et intoxiquée et fait l’expérience d’extraordinaires visions. Ceux qui ne peuvent pas payer le prix plutôt élevé des champignons boivent l’urine de ceux qui en mangent, à la suite de quoi ils sont tout autant intoxiqués, voire plus. L’urine paraît plus puissante que le champignon lui-même et ses effets perdurent jusqu’au quatrième ou cinquième homme ».

Au-delà de ces usages psychotropes de base, n’oublions pas que le chaman ingère savamment ce champignon afin de l’aider à entrer en transe, ce qui a pour but de voir son esprit traverser par les plantes qui permettront la guérison de ses patients malades. Il ne s’agit donc pas là d’une « défonce » crasse et gratuite, je tiens à le souligner, mais d’une recherche visionnaire incluse dans un rituel de guérison.

N. B. : Agaricus phalloides et agaricus muscarius sont deux remèdes homéopathiques.

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