Le blé, prince des moissons

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Le blé, qui est avec le riz et le maïs l’une des espèces végétales les plus cultivées et consommées au monde, a émergé il y a de cela huit millénaires dans le Croissant fertile (cf. carte ci-dessous). Comme de nombreuses plantes nourricières aux origines incertaines, il est possible qu’on ait vu dans le blé un cadeau des dieux déposé sur terre. Et c’est peut-être de ce caractère que découlent les relations qu’auront, très tôt, entretenu les hommes avec les dieux, en l’image du blé jouant le rôle d’intercesseur. En effet, que les semailles et les moissons, et entre deux les soins apportés aux cultures, dépendent essentiellement de l’homme (ou presque), des facteurs extérieurs incontrôlables peuvent réduire à néant le dur labeur humain. Ce que nous nommons aujourd’hui catastrophe naturelle était un concept déjà existant en cette période reculée. Mais on croyait davantage que les forces de la Nature étaient la manifestation d’une puissance divine. Aussi, pour préserver au mieux la subsistance des hommes, encore fallait-il que ces derniers se concilient les dieux d’une façon ou d’une autre. C’est pour cela que nous pouvons indiquer que les cultes liés au blé sont une condition sine qua non de sa culture. En effet, différentes divinités sont là pour le prouver par leur nombre : Sérakh (dieu chaldéen des greniers), Nirba (dieu assyrien des moissons), Séia (déesse romaine des semences), Segesta (déesse romaine des blés), Amuniti (déesse indienne de la fertilité des terres), Déméter (déesse grecque de la terre cultivée), Cérès (le pendant latin de Déméter, qui aura donné naissance au mot céréale), Osiris (dieu égyptien de l’agriculture), etc. Se dégage ainsi une forme d’unanimité : la vie terrestre dépend, en partie, de la bienveillance céleste.

fertile_crescent

Le blé, sacré, implique donc des sacrifices afin d’en assurer la croissance et la multiplication : « Qui sème peu récolte peu, et qui veut recueillir fera bien de choisir un terrain qui lui rende au centuple ce qu’il y aura mis ». Ainsi débute la quête du Graal pour Perceval le Gallois. Pour recevoir au centuple, comme dit Chrétien de Troyes, il faut donc donner : sa sueur, son travail quotidien, ses prières adressées aux divinités, etc. C’est à ce prix que s’obtiennent la fertilité, l’abondance et, par voie de conséquence, la communion, l’apaisement des conflits et la paix. Le blé, par son sacrifice, permet d’attirer l’abondance de la récolte, mais à la condition expresse que l’homme prélève, parmi les grains de blé dont il dispose, ceux qui seront semés pour produire à nouveau. Le blé, qu’on a largement considéré comme un don de la vie, doit nécessairement se décomposer et mourir pour mieux renaître.
C’est grâce à la mythologie grecque que l’on pourra mieux comprendre cette conception : « Il est certain que, pour les Grecs, le mythe de Perséphone ravie à sa mère [Déméter, la « mère des blés »] par Hadès et finalement passant une saison sur terre [6 mois] et une saison dessous [6 mois], symbolisait le grain, la semence du blé et son sort durant l’hiver, temps où le grain est enfoui dans la terre, et la déesse, qui figurait la terre même, reprenait sa gaieté au printemps à partir du moment où le grain commence à poindre à la surface du sol » (1). Il s’agit là d’un motif qu’on retrouve à travers les couples Attis/Cybèle et Ishtar/Tammouz. Ainsi, le culte de Déméter assurait ce cycle perpétuel, que l’on retrouve représenter sur un bas-relief athénien sur lequel on voit Déméter tenant dans sa main du blé (l’expression du renouveau de la vie) et Hadès des pavots (l’oubli propre à la saison obscure).
C’est Déméter qui offrit un grain de blé (parfois on mentionne un épi) au roi Eleusis, dont le fils Triptolème, fondera les fameux mystères. L’un des rites consistait à déposer un grain de blé (union de Zeus et de Déméter) dans un ostensoir. Alors, les initiés devaient observer une contemplation silencieuse. Cette manière d’honorer Déméter, déesse de la fécondité et initiatrice aux mystères de la vie, devait leur permettre de se régénérer symboliquement, comme le grain de blé qui sort de terre. Cela représentait aussi la fertilité de l’âme ouverte à la lumière, une fertilité qui renvoie au phallos, c’est-à-dire à l’un des instruments que contenaient les cistes, les corbeilles dans lesquels objets et symboles mystérieux du culte de Déméter étaient rangés.

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Cérès est un motif que l’on aura utilisé sur le premier timbre émis par la France en 1849. Il sera repris de 1871 à 1876, puis de 1937 à 1941, enfin, entre 1945 et 1947. Dès 1903, on voit apparaître un autre timbre resté célèbre, la fameuse Semeuse que l’on retrouvera sur les pièces de monnaie, même tardivement, puisqu’elle était encore présente sur les francs auxquels l’euro a fait suite. Ces figures de Cérès et de la Semeuse disent tout l’attachement de la France à l’agriculture.

En Égypte, le meurtre auquel s’adonne Seth sur la personne d’Osiris ne me semble pas devoir être pris au pied de la lettre. Il ne s’agit pas d’un sacrifice au sens barbare où on l’entend trop souvent, mais d’un sacrifice qui implique une profonde transformation. On décrit, à travers ce mythe, Osiris comme un homme ligoté dans une gerbe, qui sera ensuite décapité, mutilé, déchiqueté, jeté au Nil. C’est sous l’impulsion de Nephtys et d’Isis qu’il sera reconstitué, dons ressuscité. Souvent représenté avec la peau verte, Osiris, via le fertile limon de la plaine du Nil, incarne donc les symboliques d’espoir, de renouveau et de richesse.

Fertilité, abondance, renouveau… Le blé est bien davantage que cela. Découvrons ensemble quelles symboliques il peut encore représenter.

Synonyme d’abondance et de prospérité, la gerbe de blé (contrairement aux maigres épis glanés) est de première importance : « Des rites célèbrent la première ou la dernière gerbe, tombée sous les coups de la faux [ou faucille (2)] : elle est saturée de force sacrée » (3). En guise d’offrande bénéfique, cette gerbe est parfois offerte à un voisin. De cette gerbe, on fabrique aussi un talisman de fertilité : la poupée de paille. « Afin de ne pas oublier que l’abondance n’est pas un dû, quelque chose de normal, mais qu’avoir reçu assez pour pouvoir donner à notre tour est une chance » (4), le premier à avoir achevé sa moisson fabriquait à l’aide de cette gerbe une poupée qu’il offrait au deuxième à la terminer, et ainsi de suite. Cette poupée pouvait être enterrée, ou brûlée comme la gerbe dont on répandait par la suite les cendres dans les champs, comme bénéfique augure.
D’un point de vue très personnel, j’ai vu mes grands-parents agir de la sorte : un petit carrée d’épis n’était pas fauché durant les moissons, comme offrande. Ainsi, donner une gerbe ou la rendre à la terre procède d’une intention identique. Il s’agit de bénédiction, de porte-bonheur (une idée que l’on retrouve à travers la croix de Brigitte), par extension, de solidarité, car de la gerbe en grains on parvient au pain, un mot issu de la racine pa, que l’on distingue dans repas et compagnon, c’est-à-dire celui avec lequel on partage le pain. A ce titre, il faut savoir que se quereller avec « une personne avec laquelle on avait rompu le pain était considéré comme un sacrilège dans de nombreuses cultures » (5). Symbole de communion entre les hommes, le grain de blé était versé par poignées sur les mains unies des mariés. Aujourd’hui, répandre du riz ou du blé à la sortie de l’église semble induit par un désir similaire de surrection.
Cette volonté communautaire autour des moissons, du blé et du pain, se perpétue encore de nos jours à travers les nombreuses fêtes de la moisson ou fêtes des épis, qui se déroulent très souvent au mois d’août, à mi-chemin entre le solstice d’été et l’équinoxe d’automne. L’une d’elles porte un nom directement lié à ce qui se produit à cette période de l’année : Lammas ou Messe des pains, qui a lieu le premier août (Lunasa est le nom du mois d’août en gaélique irlandais, Lunasda en gaélique écossais) et pour laquelle convivialité, amitié et partages sont de mise.

A travers la paille, on retrouve aussi cette notion d’entente mutuelle, d’accord, d’union. Le mot stipulation, qui désigne un contrat, provient de stipula, le brin de paille qui s’apparente fort au brin d’herbe dont on usait pour sceller les traités de paix médiévaux. Ainsi, le fétu de paille, que l’on conservait précautionneusement, incarnait-il l’engagement qui, s’il était rompu, valait au fétu d’être présenter en justice. Rompre la paille n’a donc pas la même valeur que rompre le pain. Il s’agissait alors de rejet, de rupture, de renonciation à l’hommage, voire de menace.
La paille avait aussi vertu divinatoire, puisqu’on consultait le sort en tirant des pailles dont la plus longue était le privilège de l’exempté (l’expression tirer à la courte paille est un souvenir de ces lointaines pratiques). Ensuite, et bien que cela ne soit pas une règle, la paille avait aussi une connotation nuptiale. En Italie, offrir un fétu de paille équivalait à une demande en mariage. En revanche, la paille, assez souvent considérée comme vile et veule, servait à confectionnait des anneaux lors des mariages « irréguliers ». Enfin, la paille revêt parfois des aspects plus sombres de déchéance (être sur la paille, etc.).

La mythologie chrétienne aura, par la suite, investi le blé et son grain. On le retrouve dans la parabole évangélique des épis vides et des épis pleins qui compare les premiers aux orgueilleux et les seconds aux hommes nobles chargés de fruit. Cette volonté de séparation se retrouve dans le même évangile (selon saint Matthieu) sous une parabole plus connue et tombée depuis lors dans le langage courant : séparer le bon grain de l’ivraie, qui fait référence au tri des âmes lors du jugement dernier. C’est une image qui ne peut se comprendre si l’on n’en dit pas davantage à propos de l’ivraie, une plante adventice du blé appartenant à la même famille botanique. Ce n’est pas tant le caractère envahissant de l’ivraie qui est pointé du doigt à travers cette parabole, mais l’état dans lequel elle pouvait jeter les hommes alors. Il s’avère que l’ivraie, tout comme le seigle, a été parasitée par un champignon dont la toxicité imprégnait la farine de blé, ce qui conduisait son consommateur à une forme d’ivresse, raison pour laquelle on appelle cette plante du nom d’ivraie enivrante. Peut-on en déduire que ivraie et ivresse présentent des caractéristiques communes autres qu’orthographiques. En effet, ivraie provient du latin ebrieca qui veut dire… ébriété. Ainsi, pour en revenir à cette parabole, l’ivraie désignait-elle le pêcheur et le bon grain le bon chrétien.
Malgré la « condamnation » biblique de l’ivraie, celle-ci fut parfois employée comme plante médicinale. Par exemple, Macer Floridus, dans De viribus herbarum (XI ème siècle) n’évoque pas le blé mais l’ivraie dont il dit que lorsque elle est « employée en fumigation, elle facilite l’accouchement » (6). Serait-ce un clin d’œil involontaire à la valeur génésique du blé ?
Un siècle plus tard, Hildegarde de Bingen fait complètement l’impasse à son sujet. Au contraire, la première plante abordée dans le premier livre de la Physica n’est autre que le blé.

Blé_grains

Le blé en aromathérapie

Le long frontispice qui précède trouve sa raison d’être dans ce qui va suivre. Comme toujours, je tente, pour chacune des plantes que j’aborde, de placer en exergue un ensemble d’informations à travers une nécessité de jeter toute la lumière sur les qualités médicinales de telle et telle, et, par la même occasion, de rendre compte des passerelles existantes entre un mythe lointain et un produit d’aromathérapie. Bien. Ceci ayant été précisé, passons sans attendre à la suite de notre propos :)

Le blé, dont on distingue trois qualités (tendres : beaucoup de farine et peu de gluten ; demi-durs : beaucoup de farine et de gluten ; durs : beaucoup de farine et de gluten) est une matière végétale qui aura été employée de bien des façons en phytothérapie :

  • Par sa farine (en usage externe : érysipèle, excoriations, abcès, brûlures, affections cutanées chroniques)
  • Par son amidon (en usage externe : intertrigo, eczéma, inflammations cutanées ; en usage interne : irritations des voies digestives, inflammations intestinales, diarrhée, dysenterie)
  • Par son (ne riez pas) son (en usage interne : toux, rhumes opiniâtres, fièvre, irritations intestinales (7) ; en usage externe : douleurs rhumatismales et articulaires, gastralgie, colique)
  • Par son (ne riez pas, bis) gluten : très riche en azote, c’est la partie la plus nutritive du blé. Triste ironie pour les allergiques et/ou les intolérants à cette substance.
  • Par son germe : c’est là qu’on attaque la partie aroma, si vous le voulez bien. Tout d’abord, une petite précision : ce que l’on appelle le germe de blé, ça n’est pas le petit pédoncule verdâtre du grain de blé germé. C’est de ce petit germe de blé (qui ne représente que 0,2 % du poids d’un grain de blé) que sera extraite l’huile végétale de germe de blé par expression mécanique (il faut 18 tonnes de blé pour obtenir 1 kg de cette huile végétale, ce qui explique son prix élevé).

Le germe de blé est très riche en protéines (40 %), en amidon (13 %), en pentosane (12 %), en sucres (4 %), en cellulose (3 %) et en graisses (12 %). Ce sont ces douze derniers pourcents qui nous intéressent à travers l’huile végétale de germe de blé. La réserve lipidique du germe de blé se décompose comme suit :

  • Acides gras insaturés : oméga 3 (5 %), oméga 6 (60 %), oméga 9 (15 %). Non synthétisés par l’organisme, ils doivent faire l’objet d’un apport quotidien par l’alimentation.
  • Acides gras saturés : 15 %

De plus, ce liquide épais, de couleur jaune brunâtre, sans odeur particulière, est bourré de vitamine E (150 mg aux 100 g), mais aussi de pro vitamine A, de vitamines A, B1, B2, B6, C, D, K et P.

Propriétés thérapeutiques

  • Protectrice cardiovasculaire, régulatrice de la cholestérolémie, régulatrice de la coagulation sanguine
  • Anti-oxydante, antiradicalaire
  • Anti-anémique, fortifiante, revitalisante
  • Tonique du système nerveux
  • Régénératrice cutanée, hydratante cutanée, assouplissante cutanée, nourrissante cutanée, restauratrice du film hydrolipidique, protectrice solaire (légère)
  • Anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles cardiovasculaires : myocardiopathies, artérite, excès de cholestérol
  • Maladie de Dupuytren
  • Carence en vitamine E (laquelle a une incidence sur la fertilité)
  • Troubles cutanés : psoriasis, eczéma, peaux matures, sèches et desquamées

Précautions d’emploi

L’huile végétale de germe de blé, bien qu’étant une superbe substance anti-oxydante, s’oxyde elle-même très rapidement. Son délai de conservation étant situé entre un et deux mois, mieux vaut l’acheter en petite quantité et la stocker au réfrigérateur.

Encore ?

Je ne vous le cache pas, cette huile végétale est chère. Il est cependant possible de bénéficier des qualités du blé à travers ce que l’on appelle le blé germé qui, contrairement à ce que l’on croit souvent, n’est pas l’apanage d’une pratique moderne. Il était déjà rapporté par Fournier dans les années 1940, puis par Valnet 30 ans plus tard. Le blé germé, pour l’entretien de la santé et la résistance face aux maladies, ne doit cependant pas faire l’objet d’une cure pantagruélique. Il s’agit d’en consommer la valeur d’une cuillère à soupe par jour, le midi de préférence, pendant deux à trois semaines, en prenant soin d’espacer chaque cure par deux ou trois mois.
Très nutritifs et vitaminés, les grains de blé germé sont également reminéralisants. D’un grain de blé à un grain de blé germé, les proportions de phosphore et de magnésium sont multiplié par 2,5, celle de calcium par 1,7.
Cette consommation, selon les termes ci-avant présentés, est profitable en cas de déminéralisation, d’anémie, d’asthénie physique ou intellectuelle, de défauts et retards de croissance. Elle est fortement recommandée durant la grossesse et l’allaitement.


  1. Frédéric Baudry cité par Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tomes 2, p. 162
  2. « La moisson elle-même ne s’obtient qu’en tranchant la tige qui relie, comme un cordon ombilical, le grain à la terre nourricière, [à l’aide d’une faucille, outil courbe, féminin et lunaire]. La moisson, c’est le grain condamné à mort, comme nourriture ou comme semence […]. C’est pourquoi elle [la faucille] est l’attribut de Saturne comme de Cérès [Déméter] », Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 428
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 477
  4. Jennifer Cole, Cérémonies autour des saisons, p. 84
  5. David Fontana, Le langage secret des symboles, p. 166
  6. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 163
  7. Pas en cas d’ulcères intestinaux, d’altération des muqueuses et d’hémorragies intestinale. Le son, dans ces cas, est bannissable. Cependant, il existe du son micronisé. Renseignez-vous !

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La valériane

valériane

Je ne pense pas qu’une telle plante porte un pareil nom sans qu’on puisse arbitrairement faire appel à un prénom féminin avec lequel la valériane entretient bien des similitudes. De Valérie à valériane, il n’y a pas un pas, tant ces deux mots sont semblables. Cela signifie justement : je le vaux. Est-ce à dire que Valérie et valériane sont valeureuses ? Oui. Il s’agit, en elles deux, d’être fortes et courageuses.

A propos de la valériane, on dit parfois qu’elle était connue des Anciens. Pline mentionne déjà son influence salutaire, mais on ne sait pas vraiment s’il décrit la valériane dite officinale. C’est plus fréquemment qu’on la rencontre au Moyen-Âge dans les pharmacopées, quoi que tardivement, et pour des usages qui laissent penser qu’on aura peiné à déterminer les domaines électifs de la valériane d’un point de vue médicinal. Hildegarde de Bingen, qui la désigne sous le nom de penemarcha, la dit utile contre la pleurésie et la goutte. Mais là où elle remporte davantage de succès, c’est en sa qualité d’aphrodisiaque relatée par de multiples potions magiques, une attribution qu’elle conservera jusqu’en toute fin du Moyen-Âge. Ne dit-on pas qu’une décoction de racine dans du vin, partagée par l’homme et par la femme, suffisait amplement pour combattre vaillamment dans le camp de Vénus ? Par ailleurs, on trouve cette recette dans le Grand Albert : « Si tu veux qu’une femme se donne à toi, prends dans ta bouche de la valériane et embrasse celle que tu désires ; immédiatement, elle sera à toi. » Pourtant, l’odeur de punaise écrasée un peu musquée de la racine de valériane, sa saveur âcre et amère auraient dû en dissuader plus d’un ! La réputation aphrodisiaque de la valériane est d’autant plus étonnante, sinon douteuse, que cette plante aura joué le rôle « d’adjuvant utile du traitement bromuré » (1), bromure dont on sait bien qu’il est tout sauf aphrodisiaque.

C’est véritablement dès le début du XVI ème siècle que la valériane entame une nouvelle carrière. Par automédication, le médecin italien Fabius Columna guérit de l’épilepsie en 1592, puis au début du XVII ème siècle, un autre médecin italien, Dominique Panarole, fera de même auprès d’un patient qu’il débarrassera de cette maladie grâce à la racine de la valériane (là où d’autres remèdes, le crâne humain et le pied d’élan, furent inefficaces). A la même période, François le Boé note son action sur les convulsions et l’agitation nerveuse. On l’indique même contre la danse de Saint-Guy, étant établi qu’elle agit comme modératrice majeure du système cérébro-spinal, ainsi que comme antispasmodique. En dehors de ces qualités de premier ordre, la valériane est déclarée apéritive, diurétique, sudorifique, cardiaque, vulnéraire (Lémery, Schroeder, Matthiole, Horst…), alexipharmaque (propre à résister aux venins ; on pensait la valériane capable de traiter les morsures d’animaux venimeux). Elle aura aussi été fort appréciable pour les asthmatiques, les bronchitiques et les tousseurs (Culpeper). Puis, deux siècles plus tard, soit au XIX ème siècle, après que le siècle précédent ait vu de nombreuses monographies être publiées à son sujet, le désintéressement relatif pour la valériane s’amorce, en raison de l’essor de la pharmacie chimique. Quelques médecins travaillant encore à l’aide de la phytothérapie résistent dans ce contexte. Si la valériane est encore employée durant le Premier Empire pour suppléer à la rareté de la quinine, ce n’est que beaucoup plus tard, dans les années 1850-1860, qu’on la retrouve chez le docteur Cazin qui la dit essentiellement diurétique, donc à même d’abaisser la production d’urée, entre autres responsable des douloureuses crises de goutte (rappelons-nous que Hildegarde ne disait pas autre chose).
Au XX ème siècle, « la valériane est le remède de tous les désordres nerveux, depuis la plus simple insomnie jusqu’aux spasmes convulsifs » (2).

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La valériane en phytothérapie

Si l’on utilise principalement les racines, on fait accessoirement appel aux feuilles. Cultivée en plein champ, l’arrachage de la valériane a lieu durant la seconde année. On procède au nettoyage des racines qu’on fait ensuite sécher. C’est la dessiccation qui provoque une modification biochimique mais aussi odorante. C’est cela qui explique son surnom d’herbe à chat. « Les chats en particulier vouent un vif intérêt pour deux plantes courantes : Nepeta cataria et Valeriana officinalis. Le chat flaire la plante, s’excite progressivement, la lèche, la mâchonne, y frotte sa tête puis son corps, se roule sur lui-même et bondit en tout sens, complètement hors de lui ; cette sorte de transe agite l’animal une bonne dizaine de minutes et s’apparente à l’état d’excitation que connaissent les chats en période d’intense activité sexuelle » (3).

Propriétés et usages thérapeutiques

Puissante sédative du système nerveux, la valériane est indiquée dans les états d’hyperexcitabilité nerveuse et psychique. Étant de plus tranquillisante, myorelaxante, rééquilibrante et somnifère, c’est dans l’ensemble des affections suivantes qu’on peut préconiser la valériane : crises de nerfs, hystérie, mouvements convulsifs, crises épileptiques, agitation, excitation, stress, emballement, surmenage, anxiété, insomnie d’origine nerveuse, palpitations, tachycardie, spasmes (intestins, estomac), céphalées, sensation d’étouffement et de « boule dans la gorge », hoquet, angoisse, névrose… Enfin, vous l’avez compris, la valériane fait merveille dès lors qu’il y a agitation, spasmes et soubresauts intempestifs.
Au contraire, elle est aussi favorable aux personnes qui sont « à plat », c’est pourquoi elle est conseillée en cas de neurasthénie (un état incluant tristesse, déprime, fatigue…).
Les feuilles, quant à elles, s’appliquent en usage externe sur plaies, contusions, ulcères rebelles, varices et hématomes.

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : peu courante et assez chère, elle n’est pas d’un abord des plus aisés.
  • Teinture-mère : c’est sans doute le produit le plus adapté et le plus simple.

Vous pouvez aussi laisser macérer cent grammes de racine dans un litre d’eau pendant 30 à 45 mn, mais cela n’est clairement pas (plus) le meilleur mode d’administration.

Contre-indications

  • La valériane est réservée à l’adulte. On fera attention aux dosages (par exemple 20 gouttes de teinture-mère, trois fois par jour, dans un verre d’eau) sans quoi l’on peut observer des résultats inverses à ceux qui sont recherchés. D’autre part, un surdosage peut mener à une accoutumance (toxicomanie).
  • Selon les troubles visés, on peut associer la valériane aux plantes suivantes : le coquelicot, l’aubépine, la passiflore, le houblon, l’aspérule odorante, la ballote noire, le lotier corniculé.

D’un point de vue psycho-émotionnel

Les problèmes psychosomatiques ont maille à partir avec la valériane. Par exemple, l’anxiété et l’hypersensibilité peuvent trouver leur raison d’être dans une forme de hantise superstitieuse défaillante. On peut aussi, parfois, se sentir influencé par des forces invisibles, par une forme de sensibilité à certains facteurs extérieurs réels ou supposés comme, par exemple, les mouvements lunaires. Il est également possible d’observer des peurs diffuses et incontrôlables, une obsession de l’imagination qui rend l’endormissement difficile ou impossible, en raison d’un état d’hyperexcitabilité nerveuse. La valériane « fait partie des plantes yin du Bois, qui disperse l’énergie dans le méridien majeur de cet élément, le Foie. Elle permet donc au corps d’évacuer l’excès d’énergie qui perturbe le sommeil » (4) et donc la vie diurne.
Cela peut prendre également un tour plus pernicieux. Que l’on ait surnommé la valériane herbe à la meurtrie et herbe aux femmes battues ne doit rien au hasard : « On lui répète qu’elle ne vaut pas grand chose, on l’accuse de tous les maux de la création, on lui reproche des défauts qu’elle finit par s’attribuer à elle-même » (5). Tel est le portrait de la femme moderne pour laquelle un élixir de fleurs de valériane – la valeureuse et la courageuse – peut être d’une grande aide. Ne nous étonnons donc pas que le Moyen-Âge ait vu en elle une plante consolante.

En magie

Consolante, c’est bien le cas. On désignait par ce terme un groupe de plantes qui avaient pour vertu de rassurer et d’encourager son porteur. « Enfermée dans un sachet de toile suspendu au cou par un fil rouge, la valériane protège des démons » (6).
La valériane, parfois désignée sous le nom d’herbe à la femme sauvage (ce qui atteste une fois de plus son caractère yin et donc féminin) avait le pouvoir de chasser les elfes. Il semblerait aussi qu’elle ait eu une implication dans la divination, si l’on en croit ce qui se déroulait en Italie où l’on croyait en l’existence de valérianes mâles et femelles, et tel que le rapporte Angelo de Gubernatis dans sa Mythologie des plantes : « Les prétendus devins engagent […] ceux qui désirent apprendre la bonne aventure, à faire l’aumône au valérien et à la valériane » (7).

***

Grande plante des lieux humides, la valériane se rencontre en colonies souvent densément peuplées. Vivace par son rhizome, elle porte une tige cannelée caractéristique surmontée d’un capitule de petites fleurs roses le plus couramment, blanchâtres parfois. En France, elle est fréquente, sauf en région méditerranéenne, et s’élève parfois jusqu’à 2000 m d’altitude.


1.Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 203
2.Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 948
3.Jean-Marie Pelt, Les vertus des plantes, p. 13
4.Philippe Maslo et Marie Borrel, Guérir par la médecine chinoise, p. 152
5.Bernard Vial, Affectif et plantes d’Amazonie, p. 36
6.Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 235
7.Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 367

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La livèche (Levisticum officinale)

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Comme de nombreuses autres plantes ayant été, tôt ou tard, reconnues comme médicinales, la livèche, pour laquelle on n’a pas tari d’éloges, a été qualifiée d’officinale, c’est-à-dire de plante d’officine (apothicairerie, herboristerie, pharmacie). C’est parce qu’elle apporte soin et soulagement qu’elle aurait été désignée Levisticum, un mot latin issu de levare qui veut dire apaiser, rendre confortable, un terme en relation directe avec sa capacité à guérir. Selon les endroits, elle porte des noms vernaculaires différents qui rendent compte de la richesse de cette plante : ache des montagnes, herbe à maggi, lévistique officinale, angélique des montagnes, céleri perpétuel, etc. Si ces termes peuvent induire un certain nombre d’erreurs d’identification, ils sont parlants à plus d’un titre et permettent, ensemble, de dresser un portrait de la belle du jour : grande comme une angélique, la livèche partage avec le céleri une partie de son parfum mais pas sa longévité (la livèche est vivace, le céleri bisannuel). Enfin, on la sait montagnarde et médicinale.

La livèche est une plante qu’on dit native de Perse. Peut-être y vivait-elle originellement, aux côtés de l’un de ses cousins, le galbanum. Contrairement à une autre cousine, la grande berce, la livèche n’est pas une plante invasive, bien au contraire, elle apparaît rarement de façon spontanée. On aura donc très peu de chance de la rencontrer dans la nature. Si on la trouve çà et là, c’est parce qu’elle y aura été amenée par l’homme. Nous verrons que l’intérêt qu’il aura porté à cette plante formera, au fil de l’histoire, des jalons.
Probablement connue des Étrusques, la livèche fut, vraisemblablement, suffisamment appréciée des Grecs pour que ces derniers en mastiquent les graines comme ailleurs on croque des grains d’anis. Ils n’omirent pas la valeur aromatique de la livèche, celle-ci étant utilisée en cuisine, ajoutée à d’autres aromates aux marinades. Il est fort probable que, de la Grèce à l’actuelle Roumanie, la livèche fut transportée. A Bucarest et en Transylvanie surtout, la livèche fraîche, que l’on nomme leustean domine le potage national, la tchorba, une sorte de pot-au-feu de veau ou d’agneau. Les Romains de l’Antiquité étaient, semblerait-il, friands d’une sauce, la muria. Composée de jus de poisson, d’aneth, de gingembre, de persil, de thym, d’hysope, de safran, de livèche, de sel et de poivre (elle est assez proche du nuoc-mâm), elle témoigne de l’arrivée de la livèche aux portes de l’Europe occidentale.
Il est souvent dit que c’est sous l’impulsion des bénédictins que cette plante prit plus largement racine en Europe. Même si on ignore la date exacte à laquelle la livèche fut introduite en Europe de l’ouest, de précieux documents la mentionnent ici et là dès le VIII ème siècle :

795 : le Capitulaire de Villis indique une leusticum.
812 : les inventaires des jardins impériaux de Charlemagne mentionnent sa présence.
820 : elle apparaît sur le plan du monastère de Saint-Gall.
827 : le moine érudit Walafrid Strabo, dans son Hortulus, nous parle de la courageuse livèche.

Bien plus tard, la grande Hildegarde de Bingen emploiera la livèche, qu’elle nomme lubestuchel dans son Physica (le nom allemand actuel qui désigne cette plante est liebstoeckle). La qualité dépurative des graines de livèche n’aura pas échappée à l’abbesse. Elle l’indique aussi contre certains embarras gastriques, intestinaux et respiratoires, autant pour l’homme que pour le cheval. Au Moyen-Âge, on la connaît aussi comme remède efficace contre les rétentions urinaires et comme emménagogue, facilitant les accouchements difficiles. Comme de coutume, la médecine populaire s’empara d’elle. Dans les campagnes, on disait la livèche carminative, digestive, emménagogue et antimigraineuse.
Par la suite, on constate, dans les textes, comme un abandon de l’intérêt qu’on aura accordé à la livèche jusque là. Elle aura bien été, ici ou là, cultivée comme légume à l’égal du céleri, pour sa racine ainsi que pour ses parties aériennes. Les intérêts d’aujourd’hui n’étant pas forcément ceux d’hier, nous aurons l’occasion de vérifier que la livèche possède d’indéniables propriétés que les Anciens n’ont apparemment pas vues. En France, à l’heure actuelle, la livèche semble bien trop méconnue, alors qu’elle est cultivée en grand comme le pavot, mais n’est pas inscrite, à l’instar du persil, dans un panorama que l’on souhaiterait, au moins, culinaire. Cherchez une botte de livèche sur les marchés, vous n’en trouverez pas. La France est peut-être trop occidentale pour la livèche qu’on rencontre encore couramment en Alsace, en Allemagne, ainsi qu’en Suisse. Celle qui rencontra une grande vogue il y a quelques siècles, est presque oubliée en phytothérapie (même si la production d’huile essentielle de livèche française tire quelque peu son épingle du jeu).

Vivace et robuste, la livèche s’organise en trois étages :

  • Les racines épaisses, à chair blanche fortement aromatique ;
  • De grandes tiges (plus de deux mètres de hauteur parfois) creuses et sans poils. Elles portent plusieurs successions de grandes feuilles découpées et composées, d’un beau vert foncé luisant, presque gras.
  • Enfin, des ombelles de petites fleurs jaune verdâtre qui fleurissent en été. Chaque fleur donnera naissance à un fruit oblong et bosselé qui noircira en vieillissant.

La livèche pousse de préférence sur sol humide, dans les prairies et les haies, aux abords des habitations. Elle est présente jusqu’à 1800 m d’altitude dans les Alpes. Aujourd’hui, elle est encore cultivée dans bien des pays où elle aura été historiquement implantée (France, Allemagne, Suisse, Pologne, Balkans).

Livèche_fleurs

La livèche en aromathérapie

Huile essentielle : description et composition

Pour mieux saisir la suite de mes propos, rappelons les trois étages dont se compose la livèche : la racine, les tiges feuillées, les sommités fleuries. Dans chacune de ces parties, on trouve une essence distillable, à cela près que la composition biochimique des unes et des autres diffère. Ainsi, distiller les seules graines ne permet pas d’obtenir une huile essentielle identique à celle qui sera produite par la racine. On favorise l’huile essentielle issue des parties aériennes de la plante pour une question de rentabilité. En effet, couper les tiges n’affecte pas la plante comme son arrachage. Voici maintenant quelques données concernant l’huile essentielle extraite des parties aériennes fructifiées :

  • Monoterpènes (limonène 23 %, béta-phellandrène 18 %) : 60 %
  • Esters : 20 %
  • Sesquiterpènes : 10 %
  • Phtalides : 5 % (à titre de comparaison, l’huile essentielle « racines » en contient près de 70 %)
  • Coumarines : traces

Le rendement, assez moyen, varie de 0,8 à 1,7 %. Bien que proche par sa stature de l’angélique, le parfum de cette huile essentielle se rapproche davantage de l’odeur du céleri, puissante, assez épicée.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritive, digestive, carminative
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antiparasitaire
  • Anticatarrhale, expectorante
  • Diurétique, dépurative rénale, drainante hépatique et rénale, détoxifiante (contrepoison)
  • Anticoagulante légère, lymphotonique
  • Tonique nerveuse et musculaire
  • Positivante
  • Antipsoriasique
  • Emménagogue

Usages thérapeutiques

  • Sphère gastro-intestinale : indigestion, ballonnement, flatulences, perte d’appétit, brûlure d’estomac, douleurs intestinales, entérocolites fermentaires et parasitaires, nausée de la chimiothérapie (« On peut en conseiller après les repas aux malades dont l’intestin recèle la tempête » dira le docteur Leclerc dans son Précis de phytothérapie)
  • Sphère hépato-biliaire et pancréatique : insuffisance hépatique, biliaire et pancréatique, congestion hépatique, séquelles d’hépatite, intoxication hépatique, cirrhose
  • Intoxications alimentaires, chimiques et médicamenteuses
  • Sphère rénale et urinaire : rétention urinaire, cystite, néphrite, insuffisance rénale, lithiase
  • Rhumatismes, arthrite
  • Bronchite chronique
  • Règles insuffisantes
  • Hémogliase
  • Asthénie physique et nerveuse
  • Piqûres d’insectes
  • Psoriasis

Modes d’emploi

  • Diffusion atmosphérique (accompagnée d’autres essences et huiles essentielles pour éviter son côté entêtant)
  • Olfaction, inhalation
  • Voie interne raisonnée
  • Voie externe diluée

Contre-indications et précautions

  • La livèche est déconseillée dans les cas suivants : femme enceinte, femme allaitant, jeune enfant.
  • Les coumarines contenues dans la livèche font de son huile essentielle un produit photosensibilisant.

Autres usages

  • En cuisine : il est possible d’employer la plante entière pour différents usages.
    -Racines : râpées crues comme celles du céleri, au vinaigre, cuites en tranches, séchées puis pulvérisées en guise de condiment.
    -Graines : pour la confection de liqueurs, de pâtisseries, de sel de livèche (assez semblable au sel de céleri).
    -Tiges : confites comme celles de l’angélique.
    -Feuilles : condiment apprécié tant en soupe qu’en ragoût, les feuilles de livèche doivent être utilisées avec parcimonie car leur arôme est puissant. Elles résistent bien aux cuissons longues et peuvent aisément remplacer certaines épices trop fortes dans les bouillons, les potages, les sauces, les salades, les pot-au-feu.

[Note : on surnomme parfois la livèche par le nom d’herbe à maggi, en relation avec la firme qui fabrique des bouillons en cube et des condiments liquides, bien que ces produits ne contiennent pas de livèche, mais la rappelle par leur arôme.]

  • En magie (sans mauvais jeu de mots ^^)

Si la livèche ne fait pas partie du bouillon maggi, elle aura bien été employée pour d’autres potions. Si l’on observe les noms que porte la livèche dans différentes langues européennes, l’on constate quelques similitudes : lovage en anglais, liebstoeckle en allemand, levistico en italien, ligustica en portugais, lavas kruid en néerlandais. Parmi ces termes, certains ont incidemment fait penser que la livèche pouvait avoir un rapport avec l’amour. En effet, elle fut utilisée magiquement pour raviver l’amour. C’est pourquoi l’on dit que cette plante aurait le pouvoir des retours d’affection. On tentait d’en faire manger aux personnes afin de les rendre à nouveau amoureuses. Si l’on échouait, on pouvait toujours offrir un parfum contenant du suc de livèche.
Dans un tout autre domaine, afin de se préparer à la pleine lune du mois d’août, il fallait faire provision de livèche. Cette dernière était traditionnellement cueillie, ainsi que l’armoise, la sauge et la tanaisie. On en confectionnait des bouquets que l’on installait ensuite dans les maisons et les étables. Ils avaient pour vertus de favoriser les accouchements et de se protéger du mauvais œil, de la foudre et de la grêle.

© Books of Dante – 2015

Livèche_graines

Le marrube, protecteur du foie et des poumons

Marrube

Seul représentant de son espèce en France, il est parfois appelé marrube blanc pour le distinguer du marrube noir qui est en fait la ballote (Ballota nigra). Cette distinction existait déjà du temps des Grecs de l’Antiquité. Au IV ème siècle av. J.-C., Théophraste désignait par le mot prasion le marrube et par celui de ballôtê la ballote. En Égypte, il était fortement connoté spirituellement comme en témoigne son nom de sperme (semence ou graine) d’Horus (1). Il est dit que les béliers qui participaient aux processions des prêtres d’Ammon avaient préalablement brouté du marrube.
Égyptiens et Grecs surent percevoir les propriétés pectorales de cette plante. Les premiers l’utilisaient comme remède des maladies respiratoires en général, alors que les seconds, comme Dioscoride, employaient le marrube contre l’asthme, la toux et la tuberculose. Ils avaient aussi remarqué la propriété détersive du marrube. C’est pourquoi on appliquait des cataplasmes de feuilles sur les plaies enflammées. Il était aussi qualifié d’emménagogue, de fébrifuge, d’expectorant et de diurétique, des propriétés que le marrube possède bel et bien. Il était surtout reconnu pour ses bienfaits sur la sphère hépatique à travers des actions que des auteurs n’auront de cesse de répéter dans les siècles suivants.

Par ailleurs, soulignons au passage que le marrube a écopé du statut de contrepoison fort employé en cas de piqûres venimeuses et d’empoisonnement, et cela dès l’Antiquité. Cette propriété aura parcouru les siècles, puisqu’au IX ème, Strabo, dans son Hortulus (827), la relate comme suit : «  Si jamais les poisons préparés par une marâtre en fureur versent dans ta boisson, mêlent à tes aliments l’embûche sinistre de l’aconit, aussitôt la potion de marrube salutaire a raison des craintes et du péril. »
Trois siècles plus tard, on retrouve cette capacité antitoxique du marrube dans les écrits de Hildegarde. C’est là qu’on peut véritablement mettre en évidence que le marrube est effectivement antitoxique du fait qu’il agit sur la sphère hépatique, ainsi que sur la vésicule biliaire. Étant cholagogue et dépuratif, le marrube nettoie le foie et draine en dehors de l’organisme les toxines. Plus généralement, le marrube, dans ses indications médiévales, intervenait en cas de troubles pectoraux (catarrhe chronique, toux, emphysème, phtisie, algie pulmonaire), il était aussi fort réputé contre les maux de tête (avec le fenouil, l’origan et la sauge) et les maux d’oreille. Enfin, Hildegarde note le marrube, qu’elle appliquait en compagnie d’autres plantes, sous forme d’onguent, en cas de lèpre rouge.
Par la suite, dès le début du XVI ème siècle, on ne compte plus les auteurs qui seront unanimes quant à l’efficacité du marrube sur les affections hépatiques : Matthiole, Forestus, Baglivi, Chomel, Gilibert (ce dernier ira même jusqu’à placer le marrube au rang de meilleure plante médicinale européenne).
Au XX ème siècle, de la même manière que Valnet qualifiera le poireau de balai de l’estomac, le docteur Leclerc souligne l’action « coup de balai » du marrube sur la sphère pulmonaire. En effet, ce dernier, contrairement à un eucalyptus parfois trop brutal, « a l’avantage […] de ne pas tarir les sécrétions en desséchant les muqueuses » (2).

Le marrube, originaire d’Asie centrale et de régions qui bordent la Méditerranée, est ce que l’on appelle une plante laineuse, du fait des fins poils blancs qui donnent à ses feuilles un aspect velu. Comme chez de très nombreuses représentantes de la famille des Lamiacées, les tiges du marrube sont quadrangulaires et portent des feuilles ovales et gaufrées qui s’opposent deux à deux. Ses fleurs blanches sont installées en denses verticilles à l’aisselle des feuilles et s’épanouissent selon les régions entre juillet et octobre. C’est une plante qui apprécie les sols calcaires, secs et bien drainés, et c’est très fréquemment qu’on la rencontre aux abords des habitations, au pied des murs, sur les terrains vagues et les décombres, où elle vit en colonie, parfois jusqu’à 1000 m d’altitude. D’odeur vineuse, presque musquée, peu d’abeilles la visitent.

marrube_feuille

Le marrube en thérapie

Partie de la plante utilisée en phytothérapie : les sommités fleuries.

Propriétés thérapeutiques

  • Expectorante, antitussive, mucolytique, fluidifiante des sécrétions bronchiques, antiseptique pulmonaire
  • Antitoxique, cholagogue, stimulant hépatique
  • Apéritive, digestive, stomachique
  • Cardiotonique
  • Diurétique
  • Fébrifuge, antithermique
  • Emménagogue

Usages thérapeutiques

  • Sphère respiratoire : toux rebelle, toux sèche, encombrement bronchique, bronchite (y compris chronique), bronchiolite, laryngite, pneumonie, pleurésie, prévention des crises d’asthme
  • Sphère gastro-intestinale : manque d’appétit, digestion difficile, gastralgie, parasites intestinaux
  • Sphère cardiaque : palpitations, tachycardie, fibrillation, arythmie
  • Sphère hépatobiliaire : insuffisance biliaire, hépatite, ictère
  • Sphère génitale féminine : règles douloureuses, tardives, insuffisantes
  • Troubles cutanés : eczéma, ulcérations cutanées, plaies
  • Troubles locomoteurs : rhumatismes, arthrite
  • Maladies infectieuses : fièvre typhoïde, malaria (action similaire à celle du quinquina), tuberculose (s’oppose à la pullulation des germes), coqueluche, rougeole

Modes d’emploi

  • Infusion, décoction, potion vineuse (assez déconseillées en raison des poils irritants du marrube, ainsi que de son amertume très marquée ; la décoction peut se réserver à l’usage externe)
  • Teinture mère : elle est préférable, car elle n’affiche pas les inconvénients que nous venons d’aborder, de plus, on observe une plus grande solubilité des principes actifs du marrube dans l’alcool, aussi la teinture-mère est-elle plus adaptée pour un usage interne.

Remarques

  • Les doses faibles seront réservées aux affections bronchiques mineures. En ce qui concerne de fortes fièvres (fièvre typhoïde par exemple), on pourra doubler, voire tripler, les doses.
  • Une trop grande consommation de marrube peut avoir des effets sur le rythme cardiaque.

  1. Il portait aussi les noms de sang de taureau et d’oeil de l’étoile.
  2. Henri Leclerc, Précis de Phytothérapie, p. 153

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