Les œillets (Dianthus sp.)

« Parmi tous les arbres, le laurier est le seigneur, entre toutes les fleurs, c’est l’œillet », chante-t-on en Andalousie. Qu’est-ce qui vaut donc à l’œillet cette primauté ? Sa popularité ? Peut-être. N’est-il pas la fleur bien-aimée des paysans, plante dont la culture remonte au moins au XV ème siècle ? On a bien voulu lui accorder une origine divine, certains étymologistes zélés ayant vu dans son nom, Dianthus, une référence à Jupiter, ce mot se divisant en dios anthos, « fleur de Jupiter », divinité suprême du panthéon grec classique, à qui l’on fourre entre les pattes, sans qu’il n’ait rien demandé, une plante que, de toute façon, les anciens Grecs et Romains ne connaissaient même pas (du moins n’ont-ils laissé aucunes traces dans leurs écrits sur ce point). Cependant, il est parfaitement vrai que l’œillet, petit œil, est une plante céleste et divine, et cela le christianisme l’a bien compris et saisi à son compte : ainsi, en Italie (en campagne bolognaise), l’on soutient que saint Pierre tient cette fleur en grande estime, ce qui expliquerait pourquoi le 29 juin est le jour des œillets. Il faut dire que l’œillet n’est pas non plus dénué de pouvoirs magiques, ce qui concourt à sa bonne réputation : par exemple, un encens à brûler composé de verveine, de bois de santal, de cannelle et d’œillet permet d’accroître sa concentration. Un autre, constitué de fenouil, de graines de lin et d’œillet est censé protéger quiconque de l’influence des sorcières pernicieuses. En temps de peste, on lui donnait encore la capacité de repousser les invisibles miasmes mortifères, Pierre-Joseph Buc’hoz, dans sa Toilette de flore à l’usage des dames (1771), n’hésitant pas à recommander « de flairer de l’œillet rouge et de parsemer ses habits d’angélique pulvérisée » (1). Cela valut à la poudre d’œillet de s’imposer « à la fin du règne de Louis XV ; son succès symbolise le triomphe des senteurs végétales » (2), attendu que les odeurs trop fortes, musquées et animales, ont été écartées véhémentement durant le règne du roi précédent. Que l’on ne s’étonne dès lors pas de constater que, davantage encore que la sainteté (Raphaël exécuta une Vierge aux œillets en 1506-1507), l’œillet glisse dans la direction du domaine de la maternité (3) et de l’amour maternel, tant et si bien qu’il y a cinq siècles environ, les artistes hollandais se servaient de l’œillet pour figurer symboliquement les fiançailles et le mariage. Mais quid de l’amour ? Ne dissimulons pas que « le cœur des gros œillets a quelquefois facilité de furtifs messages, et les parfums d’un bouquet ont pu donner plus de charme à un tendre aveu » (4). Il est effectivement parfaitement avéré que, dans le langage des fleurs, outre que l’œillet figure la liberté, il signifie aussi l’amour pur, voire ardent. En cela, remémorons-nous ce roman de Marcel Pagnol dans lequel Ugolin, qui cultive de flamboyants œillets incarnats, s’éprend de Manon, la sauvageonne des sources et des collines, s’entichant d’un amour non partagé jusqu’à la mort. Si l’œillet blanc reflète le dédain et le jaune la jalousie, un œillet rouge signifie un oubli du cœur, et si jamais il est panaché, cela marque le refus tout net : il ne vaut alors mieux ne plus insister, et si tel n’est pas le cas, on achève sa vie à la manière d’Ugolin. L’œillet ne porte donc pas forcément bonheur. Par exemple, une superstition inexplicable indique que cela est potentiellement le cas si l’on porte un œillet à sa boutonnière un mardi. Une autre encore : il ne faut jamais offrir d’œillets à un comédien qui, au reste, n’en achète pas lui-même afin de ne pas attirer sur lui la déveine. « La légende dit que cela viendrait de l’habitude qu’avait un directeur de théâtre d’offrir un gros bouquet d’œillets à ses chanteuses pour signifier la rupture de leur contrat » (5).

En France, cette mauvaise réputation, somme toute assez récente, ne peut expliquer le déclin dans lequel l’œillet est tombé. Il y a à cela plusieurs causes pas forcément rationnelles, et parfois difficilement explicables. De même que l’air du temps, les modes passent. Ce qui se peut comprendre : les plus enivrantes senteurs finissent par devenir entêtantes et désagréables à la longue, et l’on sait bien qu’à un excès fait suite une mise au rebut plus ou moins prolongée.

Probablement originaire des bords de la Méditerranée, l’ancêtre sauvage de notre actuel œillet des jardins ne semble pas avoir été plébiscité avant le XII ème siècle en Europe, mais l’œillet s’avère être plus anciennement usité en Chine, puisqu’une autre espèce, l’œillet superbe (Dianthus superbus) est mentionné comme plante médicinale dans le Shen’nong Bencaojing qui date tout de même du Ier siècle après J.-C. A cette date, en Occident, l’on ne souffle pas un mot à propos d’un quelconque œillet.

L’œillet des jardins, d’une souche ligneuse vivace, se structure sous forme de tiges faibles et peu rameuses, présentant des nœuds qui en articulent chaque segment. A leur base, une touffe de feuilles radicales, épaisses et charnues, linéaires et canaliculées étalent leur vert glauque bleuâtre ou grisâtre qu’elles doivent en partie à une pruine aromatique qui les poudre légèrement. A chaque nœud, l’on observe une paire de feuilles opposées très étroites, de plus en plus courtes au fur et à mesure qu’elles s’approchent du sommet, où, presque collées à même la tige, elles en deviennent invisibles. Enfin, l’on parvient à la fleur : « Calice tubuleux, à cinq dents, muni à sa base d’écailles imbriquées. Corolle à cinq pétales onguiculés, souvent dentés à leur limbe. Dix étamines. Deux styles ; capsule oblongue, uniloculaire, s’ouvrant au sommet en quatre valves » et formant des semences noires et comprimées (6).

L’œillet des jardins possède de très nombreux pétales contournés et frisés, qui forment un volume que l’on ne voit pas dans l’œillet superbe. Il en va des œillets comme des roses : tant que ces végétaux demeurent à l’état sauvage, ils ne comptent que cinq pétales, mais le travail horticole, qui fut conséquent au XIX ème siècle, permit l’obtention de nombreuses variétés ornementales, destinées tant aux plates-bandes qu’à l’industrie des fleurs à couper. L’œillet superbe, lui, ne peut compter que sur lui-même pour présenter un spectacle qui charme la vue : cette plante vivace aux feuilles lancéolées très étroites, possède des fleurs lilas rose très parfumées dont les pétales sont très profondément échancrés, leur donnant une allure arachnéenne très vaporeuse.

Les œillets en phytothérapie

Dans les années 1830, Joseph Roques avait bien remarqué qu’à parfum presque égal, œillet et clou de girofle ne laissaient pas les mêmes sensations au fond de la gorge lorsqu’on absorbait une quelconque liqueur contenant de l’un ou de l’autre. En effet, l’ardeur que peut provoquer une préparation à base de clou de girofle dans le tube digestif est imputable à une molécule, l’eugénol, que l’on retrouve dans l’œillet, mais dans de moindres proportions. Si l’on distillait l’œillet des fleuristes (Dianthus caryophyllus), l’on obtiendrait une huile essentielle comprenant de ce phénol que l’on nomme eugénol (pour information, l’huile essentielle de clou de girofle en contient 80 % en moyenne), ainsi que divers esters (benzoate de benzyle, salicylate de méthyle, linoléate d’éthyle, etc.). Mais les rendements sont si faibles et les débouchés si peu nombreux, que l’on n’a guère tenté l’expérience, du moins en ce qui concerne le strict domaine de l’aromathérapie. Seul l’univers de la parfumerie peut se prévaloir d’un intérêt (certes anecdotique) pour la fragrance de l’œillet, en particulier à travers une concrète que l’éther de pétrole extirpe des pétales de cette plante. Chiche, le rendement n’est pas, là non plus, des plus mirobolants, se situant entre 0,2 et 0,33 %. De couleur vert brunâtre, l’on en tire un absolu, substance pâteuse de couleur identique « à l’odeur très puissante, de fleurs et de rose métissée d’épices où la note de clou de girofle domine » (7).

Loin de ce précieux univers poudré et envoûtant, sachons qu’autrefois l’œillet des jardins était utilisé comme succédané du clou de girofle, « parenté » que l’on retrouve encore de nos jours dans le nom latin de cet œillet, Dianthus caryophyllus, ce dernier mot ayant servi à désigner autrefois le clou de girofle en raison de cette saveur chaude et épicée et de ce parfum prononcé et pénétrant. Ce sont donc les pétales d’odeur suave qui se chargeaient de cette mission thérapeutique, de même que les racines que d’aucuns disaient de beaucoup plus énergiques que les seules inflorescences.

L’emploi thérapeutique de l’œillet étant depuis longtemps parfaitement tombé en désuétude, je me trouve dans l’impossibilité de vous établir un long inventaire de ses constituants biochimiques, exercice qui se bornera à signaler la présence d’une saponine et d’un principe amer.

Passons-en maintenant aux propriétés et usages thérapeutiques de l’œillet des jardiniers, auxquels j’ai joint ceux que réserve la médecine traditionnelle chinoise à l’œillet superbe (Dianthus superbus), dont la littérature indique la communauté des actions aux côtés de notre premier œillet à odeur de girofle. L’œillet superbe, très parfumé également, exhale ses senteurs à l’approche du soir, comme la plupart des œillets au reste.

Propriétés thérapeutiques

Sur ce point, l’on consacre plus de mots à dire toute l’inutilité des œillets en thérapie que tout autre chose. Voyez Cazin : « Leur peu d’énergie les a fait abandonner. On en préparait une eau distillée, un vinaigre, un sirop. Ce dernier seul est resté dans la matière médicale ; il sert à édulcorer les potions cordiales » (8). Même son de cloche du côté de Fournier, arguant de la faible activité thérapeutique des œillets pour les reléguer « parmi les plantes actuellement inusitées » (9). Quand on n’a rien à dire, l’on répète parfois ses devanciers.

  • Sudorifique, dépuratif (stimule les fonctions cutanées), diurétique
  • Rafraîchissant, élimine les excès de chaleur
  • Emménagogue, régule la menstruation
  • Excitant des membranes digestives
  • Anti-inflammatoire oculaire
  • Cordial, facilite la circulation sanguine
  • Détersif (par la racine)

Note : heureusement que de vieux traités de médecine traditionnelle chinoise sont passés par là, sans quoi je n’aurais vraiment pas grand-chose à vous raconter. C’est grâce à eux que je puis vous indiquer que l’œillet, de saveur amère et de nature froide, agit sur pas moins de quatre méridiens : Cœur, Vessie, Reins et Intestin grêle, ce qui ouvre de plus larges perspectives que ce que je vais maintenant exposer.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : miction difficile, cystite, autres infections urinaires, hématurie, urines brunâtres, lithiase urinaire (?), œdème
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, selles sanglantes
  • Troubles de la sphère gynécologique : absence de règles
  • Affections cutanées : abcès, eczéma
  • Engorgements de toutes natures
  • Fièvre, coup de chaleur, soif du fébricitant (10)
  • Troubles coronaires
  • Troubles nerveux
  • Toux
  • Conjonctivite

Modes d’emploi

  • Infusion de pétales.
  • Sirop de pétales.
  • Teinture alcoolique, liqueur.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule dès le début de la floraison, soit au mois de juillet et peut s’étendre jusqu’aux premières semaines de l’automne. On prélève les parties aériennes une fois le soir venu, puisque l’on sait que c’est à ce moment-là de la journée que la plante développe le plus ses arômes.
  • Parfumerie : l’œillet ne suscite plus autant d’intérêt qu’auparavant, cette plante semble être dans l’incapacité de renouer avec le succès qui la vit être mêlée à des eaux de Cologne qui firent fureur. L’œillet patiente donc tranquillement, attendant peut-être un nouvel avènement, un retour en grâce, laissant le temps à l’homme trop pressé et vaniteux de découvrir quelque chose qu’il ignore, qu’il n’a encore jamais compris au sujet de cette plante. Rappelez-vous, l’on n’a jamais fait, en un seul lieu, en une seule période, le tour de la question, quelle qu’elle soit. Ceux qui disent que « tout est dit ! » mentent forcément, ou ne sont que des fous. Les plantes sont d’immenses réservoirs, des urnes dont on ne touche parfois qu’une paroi, sans savoir, sans se douter, qu’elle abrite l’existence d’un contenu caché. Quelques pays (Kenya, Italie, Égypte, Midi de la France) restent fidèles à la culture de l’œillet, même si celle-ci n’est pas déployée en grand. Qu’importe ! A quoi cela servirait-il de fabriquer des kilos d’absolu d’œillet si personne n’en veut ? Autrefois vanté dans de nombreux produits cosmétiques (poudres de riz, etc.), l’œillet emprunte depuis plusieurs décennies un laborieux sentier au sein du monde de la parfumerie de luxe. Bien oublié de la plupart de ces secteurs d’activité aujourd’hui, il n’en reste pas moins superbus.
  • Variétés : l’œillet des jardins dont le type initial porte des fleurs rouges, se décompose en coloris multiples dès lors qu’on le sophistique : rose, violet, pourpre, feu, orange, blanc, rouge cramoisi, etc.
  • Autres espèces : – L’œillet superbe dont on a déjà parlé, alias œillet élevé ou mignardise des prés, terme qui souligne on ne peut mieux son aspect gracieux et élégant, ses pétales longuement frangés ajoutant un caractère aérien à son rose pourpre habituel. – L’œillet des poètes (D. barbatus), dont il existe de nombreux cultivars, forme des hampes florales densément fournies. – L’œillet arméria (D. armeria), aux pétales rose vif ponctués de blanc. – L’œillet des chartreux (D. carthusianorum), passant du rose au fuchsia, fut cultivé dans les monastères de l’ordre des chartreux comme plante médicinale. – L’œillet sylvestre (D. sylvestris) s’élève dans les rocailles alpestres. – L’œillet de France (D. gallicus), de modeste stature, s’épanouissant sur les dunes de sable du littoral. – L’œillet de Chine (D. chinensis), à vocation essentiellement ornementale, tire son origine d’Asie et de Russie orientale. – L’œillet à delta (D. deltoides), plante sauvage pouvant évoluer à près de 2500 m d’altitude, arborant des coloris fort variés en fonction de la station qu’il occupe.
  • Faux-ami : malgré son nom, l’œillet d’Inde n’en est pas un, puisque cette plante au parfum peu appétissant (ce qui n’est pas le propre des œillets) est, en réalité, une tagète (Tagetes patula).

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  1. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, p. 97.
  2. Ibidem, p. 115.
  3. Placé sous le patronage planétaire de la Lune, l’œillet préside à la gestation et à l’accouchement. Selon Henri Corneille Agrippa, un encens composé de renoncule, de semences de pavot blanc, d’oliban, de camphre, d’œillet et de sang menstruel était censé favoriser ces fonctions.
  4. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 395.
  5. Serge Schall, Plantes à parfums, p. 121.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 393.
  7. Serge Schall, Plantes à parfum, pp. 120-121.
  8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 646.
  9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaires des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 688.
  10. « Il seconde et soutient les efforts de la nature, à la veille des crises, dans les fièvres putrides et ataxiques ; il hâte le cours de la convalescence », Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 395-396.

© Books of Dante – 2020

 

L’alchémille (Alchemilla vulgaris)

Synonymes : manteau de Notre-Dame, manteau de la dame, mantelet de la dame, pied-de-lion, patte-de-loup, patte-de-lapin, porte-rosée, soubeirelle.

Petite, vivace et rustique, l’on ne peut pas affirmer sans rougir que l’alchémille possède les atours de certaines plantes autrement plus sensuelles et luxuriantes, c’est évident. Cependant, bien qu’elle ne soit plus tellement utilisée par la pratique phytothérapeutique, elle vaut néanmoins le détour. En tous les cas, j’éprouve une sainte adoration pour cette plante cousine du fraisier et de la benoîte.

Ne dépassant pas une trentaine de centimètres de hauteur, l’alchémille prend pied dans le sol grâce à un épais rhizome brun, ligneux, garni de fibres capillaires, formant un chignon chevelu et ébouriffé. Ses feuilles inférieures et radicales émergent en rosette du collet de la racine. Portées par de longs pétioles, ces feuilles d’une belle couleur vert bleuâtre ou vert jaunâtre sur leur face supérieure, vert blanchâtre au-dessous, sont généralement formées de sept à onze lobes finement dentés, velues sur leurs nervures et bordures. Elles ressemblent assez, dans leur aspect général, aux feuilles de la mauve sylvestre. On les qualifie de « capes », d’où le surnom de manteau (ou mantelet) de Notre-Dame qu’on accorde parfois vernaculairement à cette plante. Ses tiges florales rondes et grêles, avant même d’émettre de petits boutons, égrènent quelques feuilles dites supérieures presque sessiles, puis expulsent à leur sommet de petits bouquets lâches de minuscules fleurs de couleur jaune verdâtre à chartreuse, sans corolle ni pétales, dont les quatre sépales font figure d’uniques pièces florales. Fleurissant timidement et sans faste de mai à septembre, il est vrai qu’on peut se surprendre à l’évocation de ce fait pourtant mûrement réfléchi : on a classé l’alchémille dans la vaste famille des Rosacées ! Pourtant, l’on peine à y déceler une quelconque ressemblance avec la rose qui a pris tant de place au fil des siècles, qu’à d’autres plantes plus modestes, c’est la portion congrue qu’on leur a attribuée.

On la trouve dans les lieux humides, en plaine surtout, où il lui arrive de descendre jusqu’à 400 m environ : prés et prairies humides, bordures de ruisseaux, lisières de forêts, chemins de campagne, tout autre lieu inculte et assez ombragé.

Absente de Corse, dans le quart sud-est de la France il est rare de la trouver en-dessous de 1500 m. Elle prend beaucoup moins d’altitude en Belgique, en Suisse, dans la région Grand Est, où il lui plaît d’accorder sa préférence aux prés de fauche, où on la voit parfois en nombre, et aux zones rocailleuses, pourvu qu’elles soit exposées à la fraîcheur.

Ce qui, par-dessus tout, caractérise l’alchémille commune, c’est sa capacité à recueillir la rosée au sein de ses feuilles. En réalité, cette eau n’est pas constituée que de rosée, elle est aussi composée d’une eau végétale excrétée par la plante elle-même : on l’appelle « eau céleste ». Parce que présentant toutes les caractéristiques de la parfaite pureté, l’on raconte que cette eau était utilisée par certains alchimistes dans leur quête de la pierre philosophale ou, plus prosaïquement, pour métamorphoser les métaux vulgaires en or…

L’alchémille était connue de Paracelse qui pensait que son ancien nom médicinal était flammula. Quoi qu’il en soit, son nom médiéval d’alchimillia ou alchemilla est issu d’une expression arabe, alkaest, qui signifie « solvant universel »…

L’engouement de Paracelse pour l’alchémille, l’empreinte quelque peu mystérieuse que l’on a imprimé à sa réputation, explique sans doute le prestige considérable dont aura été auréolée l’alchémille durant toute la Renaissance. Lors des premières décennies de cette faste période, le médecin espagnol Andrés Laguna de Segovia (1499-1559) l’indiquait pour des affections bien spécifiques : en réduisant sa racine à l’état de poudre que l’on délayait ensuite dans du vin rouge, l’on obtenait là un bon remède contre les blessures tant internes qu’externes, ce qui n’est pas un choix malheureux vu l’astringence de cette drogue à tanin. Secundo, il faisait préparer l’infusion des parties aériennes de la plante pour laquelle il disait qu’elle était fort efficace contre les fêlures et les fractures des bébés et des jeunes enfants, une admirable propriété que la science moderne ne semble pas avoir retenu. Tout ceci est fort étrange quand on sait que la tradition populaire fait de l’alchémille une miraculeuse plante de la femme. « Elle a toujours eu la réputation… », « en usage dans la médecine antique… », etc. J’ai pioché, çà et là, quelques extraits qui m’ont fait tiquer durant mes recherches sur l’alchémille. Il n’est pas vrai de dire que cette plante a toujours eu la réputation de…, d’autant moins depuis les temps anciens de la médecine antique où elle n’était répertoriée ni des Grecs ni des Romains. Qu’elle ait pu passer pour sacrée aux yeux de certains, je ne dis pas le contraire, son surnom de manteau de Notre-Dame est là pour le rappeler. Mais celui-ci semble posséder un autre sens que purement christique, parce que le manteau, s’il rappelle effectivement la cape, c’est aussi ainsi que l’on appelle les parois vaginales : le manteau de la dame prendrait dès lors une tout autre signification, et rapprocherait encore davantage l’alchémille de la femme pour ses propriétés gynécologiques dont certaines ont été hélas fantasmées : l’astringence de cette plante a pu faire croire qu’elle avait le pouvoir de faire retrouver sa virginité à la femme mûrissante ! C’est ce que n’était pas loin de penser le médecin allemand Frédéric Hoffmann (1660-1742) : « la décoction des feuilles donne de la fermeté au système musculaire, et répare la faiblesse des jeunes filles » (1). La Vierge Marie peut accomplir bien des miracles dit-on, mais celui de faire revenir à son état originel la femme qui n’est plus une jeune fille, je crois que c’est bien osé. En revanche, il s’avère parfaitement exact que « d’autres y ont vu le manteau de la Sainte Vierge, étendu pour protéger la gent humaine, et l’ont assimilée à une plante soignant de multiples maux, dont particulièrement ceux frappant les femmes » (2). Comme il n’y a pas de fumée sans feu, il se trouve que – loin des élucubrations passées – l’alchémille est effectivement une panacée de l’organisme féminin. Emménagogue (comment en douter ?) et sédative tant localement que d’un point de vue général, l’alchémille est utilisée en cas de règles profuses, de dysménorrhée et de leucorrhée. Elle provoque, régularise et rend plus anodines les menstruations. Tout cela, c’est ce à quoi s’attacha, au début du XX ème siècle, le prêtre herboriste Johann Künzle qui écrivit en 1911 que « le travail des femmes en couches s’accomplit sans problème, y compris dans des cas difficiles, et produit des enfants en bonne santé » dès lors que la délivrance est placée sous les bons auspices de l’alchémille. Effectivement, il est tout à fait possible de préparer l’accouchement et de le faciliter, en débutant une cure d’alchémille à partir du neuvième mois (en revanche, cette plante sera évitée à tout autre moment de la grossesse). Après que l’enfant soit né, il semblerait également que la plante fasse venir le lait aux femmes (en tous les cas, c’est vrai pour les vaches !).

On dit encore que l’alchémille est capable de rendre leur fermeté aux seins flétris par l’âge et les maternité successives, autorisant là un véritable rajeunissement, et « il est exact qu’un apport en progestérone améliore l’état de la peau et l’état général quand on sait que cette hormone induit un sommeil naturel qui est toujours réparateur » (3). Chose qu’ignoraient Künzle et consorts, c’est que l’alchémille abrite dans ses tissus un principe progestéronique… L’on comprend dès lors pourquoi l’alchémille est impliquée dans la grossesse, parce que progestative, c’est-à-dire qu’elle joue le rôle de support de la gestation. Cette information rend davantage réaliste la croyance déjà ancienne qui voulait qu’une infusion d’alchémille absorbée 15 jours durant faisait recouvrer à la femme sa fertilité, du moins favorisait la conception, puisque « dans le cycle ovarien, la progestérone inhibe les contractions rythmiques de la musculature utérine et crée un silence utérin sans lequel toute gestation serait impossible » (4).

L’alchémille n’est donc pas une plante de la Lune pour rien… D’ailleurs, à ce titre, je me permets d’indiquer qu’il existe un élixir floral d’alchémille (alchémille argentée de chez Deva, pour être exact). Il se destine aux femmes qui renient l’aspect maternel ou nourricier de leur féminité. Il aide à surmonter les sensations de perte ou de vacuité liées aux troubles qu’occasionne la sphère gynécologique (dans son axe reproductif surtout). Il a aussi une action sur le chakra du cœur (!), que de nombreuses expériences et autres vécus de type psycho-émotionnel peuvent venir faire dérailler dans sa bonne marche, engendrant indifférence et incapacité à aimer et/ou à manifester son amour par peur du rejet et de l’échec. Ce chakra est aussi affecté par les déceptions amoureuses fréquentes, les relations amicales qui se dérobent, le manque de générosité, l’égoïsme, le repli sur soi, le sentiment de solitude, etc. Sur tout cela, l’élixir floral d’alchémille peut donc avoir une incidence marquée, préférablement en synergie avec d’autres élixirs floraux comme ceux de jasmin, d’aubépine, de violette des bois et d’une autre violette, celle dite aquatique, et qui n’est pas autre chose que le Water violet du docteur Edward Bach.

Après cela, il paraît bien difficile de croire que certains praticiens des temps passés s’en soient pris vertement à l’alchémille, comme cela fut le cas de William Cullen (1710-1790), médecin et chimiste britannique, qui prétendait « que cette plante devrait être bannie de la matière médicale à cause de son inertie », confessait Roques, tout effaré, qui prenait la défense de l’alchémille (sans zèle et empressement cependant), faisant tout de même la remarque que ce médecin anglais « est si rigoureux dans son système de réforme, qu’il est très peu de plantes tout-à-fait dignes de son suffrage » (5). Fort heureusement, l’on n’a pas fait tabula rasa de l’alchémille « qui ne mérite ni les éloges outrés […], ni la réprobation absolue » (6). Sachons donc être mesurés, à l’image de Nicolas Lémery, par exemple. Les tanins que l’alchémille contient la rendent plus ou moins puissamment astringente, voilà pourquoi elle est fort profitable en cas de dévoiements intestinaux. Cette propriété astrictive, doublée d’une vertu hémostatique, fait merveille en usage externe pour arrêter le cours du sang, en application sur les plaies, les ulcères de jambes, les blessures minimes et autres petites ecchymoses. En revanche, Lémery en assurait l’efficacité en cas d’ulcère pulmonaire et de « phtisie », mais force est de remarquer que les âges médicaux qui lui succédèrent n’accordèrent aucun importance à cette observation, l’alchémille agissant bien moins sur la sphère respiratoire que ce que l’on pourrait imaginer. Nous aurons bientôt l’occasion d’en vérifier l’exacte véracité.

L’alchémille en phytothérapie

La présence de l’alchémille dans la plupart des ouvrages traitant de près ou de loin de phytothérapie me donne toujours une drôle d’impression : elle semble être peu prise au sérieux, et si jamais elle est conviée aux festivités, c’est tout juste « parce que c’est elle » (je le fais pour toi, mais sinon…), sorte de condescendance à peine voilée qui laisse à penser que la place de l’alchémille n’est pas dans ces pages, à la rigueur dans les plates-bandes du jardinier, et encore. Et cela se ressent tristement dans la manière dont l’alchémille est traitée, non pas mal, mais avec une certaine indifférence, chose particulièrement lisible, pour ainsi dire, dans la quasi absence d’informations concernant ses constituants biochimiques. Roques le disait déjà il y a deux siècles, Fournier au siècle dernier, et, à l’aube du XXI ème siècle, nous ne pouvons que constater la même pauvreté, peut-être diminuée à l’aide de quelques éléments nouveaux. Voici néanmoins ce que j’ai recensé à ce propos : du tanin, ce qui est l’évidence même, en quantité non négligeable (8 %), un principe amer, des triterpènes, des flavonoïdes, de la résine, une saponine, de l’acide salicylique, un caroténoïde du nom de lutéine, un polyphénol anti-oxydant, l’acide ellagique, enfin divers acides gras (palmitique, stéarique). En revanche, rien n’est dit au sujet du principe progestéronique que la plante semble abriter. Les plantes sont bien assez peu nombreuses dans ce cas pour être en position d’être délaissées. C’est proprement incroyable !

A cette plante inodore, de saveur styptique par sa racine, balsamique et acerbe par son feuillage, l’on prétend habituellement qu’elle exerce les mêmes actions que l’aigremoine (Agrimonia eupatoria). Vérifions donc en quoi cela est vrai (ou pas).

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-inflammatoire, sédative locale et générale
  • Stomachique, antidiarrhéique, décongestionnante hépatique
  • Détersive, résolutive, cicatrisante, vulnéraire, raffermissante cutanée
  • Veinotonique, régulatrice de la tension artérielle, bénéfique sur l’artériosclérose
  • Hémostatique
  • Tonique astringente
  • Diurétique, dépurative
  • Expectorante
  • Stimulante progestéronique, emménagogue, préventive des fibromes (?)
  • Fébrifuge

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inflammation des muqueuses gastro-intestinales, diarrhée, dysenterie chronique, entérite, spasmes gastriques, météorisme, ballonnement
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, catarrhe bronchique, pharyngite (comme on le voit, l’alchémille s’adresse surtout aux voies respiratoires hautes)
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, arthrite dentaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : prévention des douleurs menstruelles, règles douloureuses, règles trop abondantes, règles insuffisantes, dysménorrhée, faciliter la ménopause (bouffées de chaleur, troubles circulatoires, etc.), leucorrhée, métrorragie, inflammation utérine, endométriose, démangeaisons et irritations vaginales (prurit vulvaire), vaginite, faciliter l’accouchement, lésion suite à l’accouchement, mastose, mastite
  • Troubles de la sphère hépatique : congestion hépatique, diabète
  • Troubles de la sphère circulatoire : varice, phlébite, hémorroïdes, artériosclérose
  • Affections cutanées : plaie, plaie suppurante, fongueuse, variqueuse, gangreneuse, ulcère variqueux, atonique, de jambe, abcès, inflammation et rougeur cutanées, prurit eczémateux, enflure, piqûre, acné
  • Affections oculaires : conjonctivite et autres inflammations
  • Hydropisie, obésité
  • Rhumatisme
  • Énurésie
  • Fatigue et épuisement nerveux, anémie, insomnie (parfois)
  • Migraine, céphalée, pesanteur de tête
  • Saignement de nez

Modes d’emploi

  • Infusion de la plante sèche.
  • Décoction des parties aériennes, décoction de la racine (cette dernière se destine surtout aux usages externes, comme le bain par exemple : compter quatre cuillerées à soupe en décoction dans un litre d’eau jusqu’à ébullition. Laisser infuser 10 mn hors du feu, filtrer, verser dans l’eau du bain).
  • Teinture alcoolique.
  • Suc frais.
  • Plante fraîche broyée pour former cataplasme.
  • Plante fraîche froissée et passée sur les piqûres, les petites irritations cutanées, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule dès que la rosée s’est évaporée. On prélève les feuilles uniquement ou la totalité des parties aériennes durant tout l’été (au plus large, de mai à septembre). La racine se déchausse à l’automne.
  • Séchage : il se déroule sur claies, au sec et à l’ombre. On conserve la drogue sèche à l’abri de la lumière et de l’humidité. Le délai de garde de l’alchémille n’excède pas une année.
  • Sur la question des activités progestéroniques de l’alchémille, il importe de savoir que cette plante se prête avant tout à un traitement au long cours, son action demandant plusieurs mois pour se mettre en branle. Il est bon d’en faire une cure chaque mois, du dixième au vingt-cinquième jour du cycle, et de répéter ce rituel jusqu’à amélioration. On prendra soin de ne pas administrer des doses trop massives ou prises trop longuement, en particulier par voie interne, chez les personnes fragiles et/ou sensibles de l’estomac (agressivité du tanin).
  • Les jeunes feuilles d’alchémille sont comestibles crues comme cuites. Les plus âgées devront être écartées, car trop riches en tanin pour être un régal succulent. Ce tanin, d’ailleurs, contre-indique l’utilisation d’instruments contenant du fer pour réaliser les diverses préparations qui le nécessitent. Opter donc pour un contenant émaillé.
  • Des feuilles d’alchémille, l’on peut tirer une teinture verte.
  • Autres espèces : Alchémille des Alpes ou alchémille argentée (A. alpina) : propriétés semblables à celles de l’alchémille vulgaire, plus efficaces et prononcées encore. Alchémille des champs (A. arvensis) : astringente et diurétique, elle s’avère assez semblable à l’alchémille vulgaire dans ses effets également. Alchémille quinte-feuille (A. pentaphylla) : tonique amère et astringente. Alchémille glauque (A. glaucescens).

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  1. Cité par Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 560.
  2. Erika Laïs, Le livre des simples, p. 23.
  3. Martine Bonnabel-Blaize, Les herbes du Père Blaize, p. 120.
  4. Wikipédia, page « progestérone ».
  5. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 560.
  6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 1014.

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Le basilic sacré (Ocimum sanctum)

Synonymes : basilic saint, basilic thaïlandais, tulsi (sic), tulasî.

Pour bien comprendre la dimension sacrée qui auréole ce basilic, il importe de le faire revenir sur ses pas, et de nous rendre sur sa terre originelle, c’est-à-dire l’Inde. Là-bas, le basilic est tout aussi sacré que la verveine l’était pour les Romains, sinon davantage encore. On y élève de toutes petites « chapelles » (des pagodes, en fait), ainsi que de véritables autels cernés de murs et de piliers, en l’honneur de cette plante à laquelle on s’adresse comme s’il s’agissait d’une divinité. Et cela en est bien une en définitive, puisque la mythologie hindoue nous apprend que l’amante de Krishna, Tulsi, fut métamorphosée en ce basilic. C’est donc elle qu’on adore à travers son image végétale, basilic sacré ou Tulasî (tulsi est impropre).

Voici comment les Hindous conçoivent leur relation spéciale à cette plante, d’après les observations de l’ecclésiastique Vincenzo Maria da Santa Caterina qui se rendit sur place au XVII ème siècle : « Ils ont grand soin de cette herbe ; devant elle, ils murmurent plusieurs fois par jour leur prière, en se prosternant souvent, en chantant, en dansant, en l’arrosant avec de l’eau. Sur les rivages des fleuves où ils vont se baigner, on en voit en grande quantité ; ils croient en effet que les dieux aiment particulièrement cette herbe, et que le dieu Ganavedi (Ganeça) y demeure continuellement. Lorsqu’ils voyagent, à défaut de cette plante, ils la dessinent sur le terrain avec sa racine, voilà comment s’explique qu’au bord de la mer, on remarque si souvent de pareilles figures tracées sur le sable » (1). C’est vrai qu’en terme de dieux, le tulasî n’est lié pas moins qu’à Lakshmî et à Vishnou, et cette herbe ceint le front de bien d’autres divinités du panthéon hindou, sachant que son parfum raffiné reste associé à la puissance divine. Plante féconde et fécondante, le tulasî est invoqué pour la protection de toutes les parties du corps humain, de la tête jusqu’aux pieds, et à chacune d’elles correspond une prière bien distincte. L’incomparable tulasî intervient aussi bien pour la vie que pour la mort. C’est une plante immortelle « qui contient en elle toutes les perfections, qui éloigne les maux, qui purifie et qui guide au paradis céleste ceux qui la cultivent » (2). C’est là un parfait résumé des fonctions de l’herbe tulasî. Véritable amulette, il est vrai que le tulasî est reconnu, parce que propice et parfumé, comme destructeur des méchants, qu’il met en fuite, de même que les monstres qu’il éloigne, comme le montrent bien quelques-uns de ses autres noms sanskrits, apetarakshasî et bhûtagni. Cette vertu s’applique également au venin des serpents et à toute influence pernicieuse (3) qui viendrait entraver les rituels de fécondation, c’est-à-dire destinés à la perpétuation de la vie. Chargé de tous les aspects de la vie des hommes et des femmes en Inde, le tulasî ouvre également les chemins du Ciel aux hommes pieux. C’est pourquoi il doit être cueilli uniquement dans une bonne intention et de façon précautionneuse, sans casser la plante, de crainte d’irriter Vishnou, et sans oublier les prières d’usage : « Mère Tulasî, toi qui apportes la joie au cœur de Govindas, je te cueille pour le culte de Nârayana. Sans toi, bienheureuse, toute œuvre est stérile ; c’est pourquoi je te cueille, déesse Tulasî ; sois-moi propice. Comme je te cueille avec soin, sois miséricordieuse pour moi, ô Tulasî, mère du monde ; je t’en prie ! » Comme on le constate, il n’était pas question de s’y prendre à la légère, puisque, de toute façon, si c’était le cas, Vishnou se charge de rendre « malheureux pour toute sa vie et pour l’éternité l’impie qui, par mauvaise volonté, voire même (sic) aussi l’imprudent qui, par mégarde, arracherait l’herbe tulasî ; point de bonheur, point de salut, point d’enfants pour lui » (4). Oui, répétons-le, le tulasî ne peut accorder ses bienfaits et largesses qu’aux méritants, qu’ils soient morts ou vifs. Ainsi, après une existence de parfaite dévotion, l’homme, sentant la mort venir, se prépare sereinement à cette éventualité. Une fois son trépas interrompant le fil de son existence terrestre, il est de coutume de placer un petit bouquet de cette plante entre les mains du défunt ou bien une feuille sur sa poitrine, afin que ce viatique lui assure un bon voyage. Puis on lui lave la tête à l’aide d’une eau dans laquelle on aura préalablement fait macérer des feuilles de ce basilic, ainsi que des graines de lin.

Le basilic sacré en aromathérapie

Surtout connu par chez nous pour son huile essentielle, le basilic sacré fait l’objet d’un large emploi phytothérapeutique dans le sous-continent indien depuis des millénaires, où la médecine ayurvédique l’utilise aussi bien cuit que cru. Les parties aériennes de cette plante qui se prêtent à cet exercice contiennent des flavonoïdes (lutéoline, apigénine), des triterpènes (acide ursolique), ainsi qu’une fraction aromatique estimée à 1 %. Son extraction par le biais de la distillation à la vapeur d’eau donne lieu à une huile essentielle fort différente de celle de basilic tropical. Voici les données chiffrées qui permettent de s’en assurer :

  • Phénols : 30 à 70 % dont eugénol (50 %), carvacrol
  • Sesquiterpènes : 35 à 45 % dont β-caryophyllène (30 à 40 %)
  • Monoterpénols : 4 % dont linalol (2,5 %)
  • Sesquiterpénols : 4 % dont élémol (2,5 %)
  • Phénols méthyle-éthers : 3 % dont estragole (généralement moins de 2 %), eugénol méthyle-éther

Cette composition biochimique explique pourquoi cette huile essentielle se démarque de celle de basilic tropical par une caractéristique odeur de clou de girofle (cf. le fort taux d’eugénol). Chaude et épicée, elle dégage aussi un petit quelque chose de fleuri, et n’agresse pas les narines comme peut le faire l’huile essentielle de clou de girofle.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux (antibactérien, antifongique, antivirale), antiparasitaire
  • Cardioprotecteur, régulateur du système cardiovasculaire, hypotenseur, abaisse la tension artérielle, fait chuter le taux de cholestérol sanguin, hypoglycémiant et stabilisateur de la glycémie
  • Anti-inflammatoire, antalgique, analgésique
  • Antispasmodique
  • Adaptogène, favorise la résistance au stress, favorise la concentration, fortifiant, revitalisant, tonique physique et intellectuel, immunostimulant
  • Calmant, sédatif
  • Emménagogue, tonique utérin
  • Expectorant, mucolytique, anti-allergique
  • Antispasmodique
  • Fébrifuge
  • Anti-oxydant

Usages thérapeutiques

L’huile essentielle de basilic sacré est spécifique des sphères cardiovasculaire et circulatoire, mais il est évident qu’elle ne se borne pas qu’à cela. Décortiquons-la !

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : douleur et ulcère gastriques, entérocolite, colite spasmodique, spasmes gastro-intestinaux, parasitose, mal des transports
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : toux, bronchite, grippe et autres infections des voies respiratoires avec ou sans fièvre, rhume, asthme, pleurésie, otite
  • Prévention des maladies tropicales infectieuses (dont la malaria)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : maladies cardiovasculaires, glycémie et cholestérolémie sanguines, certains diabètes
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, arthrite, polyarthrite rhumatoïde, arthrose, tendinite, contracture et élongation musculaires, courbature, crampe
  • Troubles de la sphère gynécologique : préparation à l’accouchement (qu’on se rappelle que le clou de girofle occupe la même fonction, et qu’il tire son ancien nom latin – Eugenia caryophyllata – de sainte Eugénie, patronne des sages-femmes)
  • Affections cutanées : teigne, morsure d’insecte
  • Troubles du système nerveux : stress, fatigue mentale, manque de dynamisme et de persévérance, fatigue mentale, indécision
  • Aphte

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : par voie interne, par voie cutanée (dilution impérative dans une huile végétale), en dispersion atmosphérique, inhalation et olfaction (attention cependant à la présence de phénols dans cette huile essentielle dont le caractère irritant pour les muqueuses nasales et oculaires n’est pas méconnu).

Note : en Inde, on use de ce basilic de la même manière dont nous opérons avec le basilic tropical. Le basilic sacré se prête donc bien à l’infusion et à la décoction, on peut en extraire le suc que l’on emploie préférablement frais, le faire sécher puis le réduire à l’état de poudre de feuilles, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : l’huile essentielle de basilic sacré est déconseillée chez le bébé et l’enfant. La femme qui allaite devra s’en passer, de même que la femme enceinte, à l’exception de celle qui souhaite faire appel à elle pour préparer la délivrance, ce qui en autorise l’emploi durant l’ultime mois de grossesse grand maximum.
  • L’utilisation de cette huile essentielle chez l’homme limiterait la production de sperme.

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  1. Cité par Angelo de Gubernatis dans sa Mythologie des plantes, Tome 2, pp. 37-38.
  2. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 363.
  3. En tant que plante purificatrice, la pavitra – l’un des nombreux autres noms de l’herbe tulasî – permet l’aspersion des objets contaminés de même que les hommes investis d’un mauvais esprit. On dit aussi qu’une maison élevée sur un terrain sur lequel le tulasî pousse bien constitue un bon augure pour ses habitants.
  4. Ibidem, pp. 364-365.

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Isabette et le pot de basilic (conte)

 

Isabette, jeune fille de bonnes manières, s’amouracha de Lorenzo, gérant de la fortune de ses trois frères, lequel le lui rendait bien. Mais, apprenant quel ménage il se tramait entre les deux tourtereaux, le frère aîné alerta les deux autres, attendu que la personne de Lorenzo, trop mauvais parti, était jugée comme une insulte au renom de la famille d’Isabette. Ils jouèrent donc un jeu hypocrite face à Lorenzo, qui ne se doutait de rien. Ceux-ci finirent par lui tendre un piège : ils l’assassinèrent puis l’enterrèrent à la sauvette afin de dissimuler son corps. Cette disparition inquiétait fort Isabette, qui piaffait comme un cheval privé de sa ration de picotin. Elle questionna bien ses frères, mais n’en obtint aucune réponse. Ce qu’elle ne put pas obtenir en plein jour, lui vint nuitamment : dans un rêve, un Lorenzo pâle et décomposé se présenta à elle. Il lui apprit quel méfait ses frères avaient commis, ainsi que l’emplacement où son corps a été enfoui. Isabette, résolue à en avoir le cœur net, se rendit donc sur place et découvrit le cadavre de son bien-aimé. Fidèle à la mode antique, elle s’arrache les cheveux et se frappe la poitrine. Puis, elle s’en retourna, non sans avoir tranché la tête de son amoureux qu’elle emporta avec elle, à défaut de prendre possession du corps dans son entier. Parvenue chez elle, elle dissimula la tête dans un pot, la couvrit de terreau et y planta quelques pieds de basilic, qu’elle décida de n’arroser que d’eau de rose et d’oranger, ainsi que de ses larmes. « Rien n’interrompt ses soins prolongés, et la tête putréfiée engraisse le terreau dont elle est couverte. La beauté du basilic en devient éclatante et son parfum exquis ». Mais voilà que ces agissements attirèrent la curiosité mal placée du voisinage, qui s’empressa, sûr de son fait, d’en informer les trois frères, qui subtilisèrent à Isabette le pot de basilic. Alors que, privée de l’objet de son amour, Isabette tomba malade de chagrin, les trois frères s’expliquèrent l’attitude intrigante de leur sœur en découvrant ce qui se cachait au fond du pot, ce qui eut pour effet immédiat de leur faire prendre la poudre d’escampette le plus discrètement possible, tandis qu’Isabette expira de douleur amoureuse.

D’après Giovanni Boccacio (1313-1375), in le Décaméron.

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Le basilic tropical (Ocimum basilicum)

Synonyme : basilic indien, basilic exotique, basilic romain, herbe royale, oranger de savetier (1), balico.

Avant d’atterrir dans le creuset des distillateurs de l’ancien temps, le basilic a parcouru un long chemin. L’adjectif « tropical », au reste, est là pour nous rappeler, grosso modo, sa provenance. Comme on le surnomme également basilic indien, ce dernier adjectif nous fournit davantage de précisions : en effet, le basilic tropical est bel et bien originaire du sous-continent indien (et doit être rigoureusement distingué du pistou, une sous-espèce quelque peu différente). Tout comme la menthe, le basilic est une plante aromatique et condimentaire tellement courante en cuisine, que l’on pourrait en oublier sa provenance asiatique. Cultivé en Inde depuis au moins 4000 ans, le basilic s’est ensuite enraciné en Asie mineure, avant de gagner l’Europe balkanique, non sans avoir, auparavant, foulé la terre égyptienne il y a trente siècles, et où l’on sait, qu’en tant qu’herbe parfumée, il embaumait les temples. « Le basilic est également une herbe rituelle qui figurait au culte des morts dans l’Égypte des pharaons » (2). En Grèce, après y avoir été probablement rapporté par Alexandre le Grand au IV ème siècle avant J.-C., la culture du basilic prend aussitôt, et suivra de près ce mouvement en Rome impériale. Cela explique qu’on puisse découvrir le basilic dans les vieux traités médicaux et agronomiques de l’Antiquité gréco-romaine. Ainsi apparaît-il dans l’œuvre de Varron, mais aussi de Columelle, sans oublier Pline qui le dit bon contre l’épilepsie (sic) et lui taille une réputation aphrodisiaque, et Galien qui, contrairement au naturaliste, déconseille l’usage interne du basilic. Quant à Dioscoride, il fait le distinguo entre le basilic sauvage (Acinos) et celui qu’il appelle Ocymoïdes (très vraisemblablement le même que le Livre des Cyranides mentionne sous le nom d’Ôkimos). Ce dernier est censé posséder une semence dont la vertu s’oppose aux morsures des vipères, tandis que le précédent, aux rameaux subtiles et cassants, au feuillage plus velu que celui de l’Ocymoïdes, restreint les flux stomacaux et menstruels (métrorragie). De plus, « Dioscoride accorde au basilic la vertu diurétique mais il lui reproche, sans raison plausible, d’affaiblir la vue lorsqu’on en fait un usage trop abondant » (3). Chez les Romains, il passe pour galactogène et carminatif. Serenus Sammonicus réitère sa vertu diurétique, et intitule ainsi l’un des chapitres des Préceptes médicaux : « Contre les affections de la vessie : contre le calcul et la rétention d’urine ». Mais ce qui demeure le plus surprenant parmi ce que les anciens Grecs et Romains ont laissé dans leurs écrits, c’est sans doute ceci : « Le basilic, ainsi que l’affirme Théophraste, agacé par les injures et les violences, croît et s’allonge, et plus on le provoque, plus il grandit » (4). Subissant le même traitement que le cumin et la rue fétide, il importait donc d’injurier copieusement le basilic lors des semailles afin qu’il s’épanouisse au mieux. Aujourd’hui, l’expression « semer le basilic » indique la médisance.

Il n’y a pas loin de la face lumineuse à la face obscure.

Chez les Grecs, le basilic était symbole de haine et de malheur, à tel point que l’on représentait allégoriquement la pauvreté sous les traits d’une mendiante tenant un pot de basilic. Également emblème de la colère, le voir en songe était considéré comme de mauvais augure. Funéraire et sinistre, on le plantait fréquemment sur les tombes. Mais d’où vient que, tour à tour, le basilic apparaît extrêmement bénéfique ou carrément néfaste ? Vénéré ici, méprisé là, c’est, une fois de plus, toute l’ambivalence propre à l’esprit humain que d’attribuer à une même plante de multiples symboles dont certains sont parfois diamétralement opposés. En raison de quelle association le basilic porte-t-il en lui cette dichotomie ? Venons-y.

Dans son Herbarius, le pseudo-Apulée (IV ème siècle après J.-C.) mentionne le basilic parmi plus d’une centaine de plantes. Y sont indiqués les soins de récolte : tout d’abord, il importe de tracer un cercle tout autour de la plante au coucher du soleil, puis de la sectionner, à la condition que cela ne soit pas avec un instrument en fer. Ainsi, « cette herbe royale triomphe de toutes les violences, explique-t-il, et, si on la porte sur soi, on sera protégé de toutes les générations de serpents ». En ce seul passage, nous avons affaire à une interrelation entre la plante et l’animal mythique, assez proche de la gorgone dans ses principales attributions, qui méduse et tue de son regard foudroyant toute personne assez folle pour lui jeter une œillade. Quelles que soient les étymologies, il est toujours question, lorsqu’on parle du basilic, de royauté : du latin basilicum, tiré du grec basilikon qui signifie « royal » (basileus désigne le roi, le prince), en allant jusqu’au basilisk, c’est-à-dire le roi des serpents, partout l’on retrouve cette idée. Peut-être a-t-on donné à cette plante le nom de basilic parce qu’elle permettrait, dit-on, de repousser les serpents (le basilic est un traitement d’appoint des morsures de vipères), et, peut-être le roi des serpents qu’est le basilic, animal hybride à l’allure de coq teigneux, aux ailes huilées de chauve-souris et queue de serpent (au Moyen-Âge, l’on trouve cette étonnante orthographe pour qualifier le bestiau : bazeillecoq). Les indices des pouvoirs répulsifs du basilic sur les serpents et le grand basilic, il faut aller les chercher du côté de l’Inde où le basilic qu’on dit sacré (Ocimum sanctum) prend, tout comme l’oignon d’ailleurs, le nom sanskrit de bhûtagni que l’on peut traduire par « plante tueuse de monstres ». Voilà qui est tout de suite plus clair ! Ce qui explique qu’on ait affublé le basilic tropical du pouvoir d’écarter les esprits et les démons, et que « porté sur soi, il empêche toute vision infernale » (5) d’un basilic, en particulier dans sa cuisine où il est préférable d’y abriter une brassée de tiges feuillées du premier plutôt que les regards furibonds et dégoulinant de haine du second !

Cette association entre la plante et l’animal est intéressante à plus d’un titre, en particulier si l’on oppose la rectitude de la royauté qui, parce qu’elle se tient droite, imprime un mouvement d’élévation, à la nature pulsionnelle, passionnelle et désireuse du serpent animal qui rampe à l’horizontal. On se rend compte à quel point le premier contrecarre le second, et qu’il joue souvent le rôle d’amulette protectrice qui défend l’homme face aux pièges tendus par la malignité, quelle que soit la forme qu’elle adopte. « Tu marcheras sur le lion et sur l’aspic, et tu fouleras le lionceau et le dragon », assure, prévoyant, le psaume biblique de la protection (6).

« L’homme a le pouvoir, sur son chemin d’évolution, de transformer toutes les forces destructrices qui existent en lui et le basilic agit de la sorte dans la nourriture que cet homme ingère. En effet, le basilic a la réputation de pénétrer le sang aussi rapidement que le fait le poison et de chasser tout ce qui s’oppose à la vie » (7). A ce titre, l’on connaît le fameux cas de Glaucus qui fut ramené à la vie grâce à du basilic malgré les médecins désespérés par son cas qui s’étaient pressés à son chevet.

« Le basilic mériterait sans doute un usage plus universel, à l’image de ce qu’il fut dans le passé, afin qu’il puisse s’opposer à l’attaque du serpent à mille têtes qui est apparu, de nos jours, dans le domaine de la nutrition » (8). Comment contredire une si lumineuse pensée ?

Nous avons déjà caressé l’idée selon laquelle le basilic serait habité d’une dimension funéraire. Très fréquemment, elle s’associe à une autre, de nature érotique, ce qui peut surprendre au premier abord. Par exemple, en Crète, où le basilic est symbole de deuil, on le trouve pourtant à toutes les fenêtres. Il symbolise aussi « l’amour lavé de pleurs ».

Le basilic possède des vertus lénifiantes « qui expulsent du cœur les vapeurs mélancoliques », professait G. Hoffmann, mais lorsque la mort a frappé, il est déjà presque trop tard. Cependant, le grand rôle joué par cette plante dans les traditions populaires, en Italie et en Grèce, n’est pas toujours marqué par un si funeste aspect, alors que ressort très nettement la valeur érotique du basilic. Par exemple en jetant des feuilles de basilic sur les cendres encore chaudes de l’âtre, l’on peut interpréter par l’aspect qu’elles adoptent quelque présage amoureux. Quand on est sûr de son coup (pour ainsi dire), l’on peut rendre visite à sa belle, un brin de basilic sur l’oreille. Parfois, le prétendant va jusqu’à offrir un pied de basilic : « L’on m’a raconté, explique Michel Lis, comment, jadis, on déclarait sa flamme : le prétendant offrait à la jeune fille désirée un pied de basilic accroché à une canne [NdA : certainement pour ne pas se prendre une gifle en cas de refus… ^.^], si celle-ci acceptait, elle plantait le basilic » (10), et tout était dit ! Enfin presque, mais je ne dis rien des murmures et soupirs que se bécotèrent les amoureux. En revanche, quand il y avait de l’eau dans le gaz entre ces deux-là, il était utile de leur faire avaler de grandes salades composées de basilic, d’alysson marin et de laitue (ce qui est fort curieux, compte tenu de ses propriétés anaphrodisiaques ; la laitue a au moins l’avantage, dans ces circonstances, de rafraîchir les idées). A d’autres fois, le basilic était du fait de la jeune fille. Celle qui offre un brin de basilic à un jeune homme le fait immanquablement tomber amoureux d’elle, et lorsque l’amant est bien ferré, elle lui fait comprendre qu’il peut pénétrer dans son intimité dès lors qu’elle ôte de sa fenêtre le pot de basilic qui s’y trouve. Enfin, selon la manière dont les femmes portaient le basilic, cela donnait des indices sur leur situation : accroché à la ceinture, il signalait la virginité de la jeune fille ; à la tête, cela indiquait une femme mariée. On le retrouve encore au sein de pratiques plus « sorcières » : une femme désirant un enfant se frottait le ventre de feuilles de basilic. Des philtres composés de racines de basilic et de céleri, de cumin et de feuilles de serpentaire étaient censés susciter l’amour. Étonnants pouvoir quand l’on sait à quel point le basilic est frileux, qu’il craint le gel et les courants d’air !

Le basilic pénétra tardivement en Europe occidentale. On sait que cette plante fit partie du jardin des simples d’Hildegarde de Bingen au XII ème siècle. Pour l’abbesse, il s’avère tonique, antispasmodique, digestif, pectoral et vermifuge. Elle en élabora un vin fébrifuge et le fit participer à sa recette de l’onguent d’Hilaire l’Égyptien, un onguent antalgique intervenant en cas de paralysie et de difficultés d’élocution entre autres. Platearius, de l’école de Salerne, indiquait au même siècle les vertus emménagogues du basilic, suivi de près par Bernard de Gordon qui en signalait la présence à l’école de médecine de Montpellier au XIII ème siècle, l’employant face à la manie et la mélancolie. Il faudra attendre le début du XVI ème siècle pour que l’on parle enfin de l’essence de basilic, en particulier dans le Traité de la distillation (1506) de Hieronymus Brunschwig et, plus tard, dans le Dispensatorium noricum (1589), tandis qu’entre ces deux dates, Matthiole s’attacha à faire la part du faux et du vrai à propos des différentes assertions tenues avant lui au sujet de cette plante.

Au siècle suivant le basilic remémore à tous ses pouvoirs de protection : en temps d’épidémie, l’on porte sur soi un sachet de plantes aromatiques, dont le basilic, que l’on respire aussi souvent que nécessaire afin de se prémunir des miasmes putrides. Comment s’étonner de ce que cette plante conjure les sortilèges et protège contre les mauvais esprits ? Plante régie par Jupiter (et Mars également, ce qui nous renvoie immanquablement au signe zodiacal du Scorpion avec lequel l’on a volontiers confondu le basilic), « en compagnie de la sauge, il permit à la Sainte famille de se cacher lorsqu’elle fuyait Hérode » (11), ce qui est bien présomptueux mais habituel au christianisme qui s’empresse de faire sien ce qui, autrefois, appartenait aux païens. D’ailleurs, l’on retrouve le basilic à travers une très surprenante anecdote : « Une légende dit que sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin qui convertit l’Empire romain au christianisme au III ème siècle, se laissa guider par le parfum d’une plante alors peu connue (sic), le basilic, pour trouver la croix du Christ » (12), ce qui me paraît outrageusement exagéré et fruit d’une évidente propagande, surtout quand on sait qu’Hélène, de basse extraction, n’était qu’une servante d’auberge, et peut-être même une prostituée (stabuleria). Bref.

Au XVIII ème siècle, « les Parisiennes à la mode cultivent la giroflée et le basilic en pot » (13), mais l’on ne nous dit pas si elles l’ôtent de leur fenêtre, à la manière des Siciliennes, et, si oui, ce qui se passe à l’ombre des alcôves et des boudoirs en un pareil cas…

Comme c’est le cas chez de très nombreuses représentantes de la famille des Lamiacées, les tiges du basilic observent une section quadrangulaire, mais, contrairement à la plupart de ses cousines, le basilic n’est qu’une plante annuelle (ou vivace à vie courte dans des circonstances particulièrement favorables), mais cela n’empêche pas ses tiges de devenir si robustes qu’elles se lignifient à leur base, c’est-à-dire qu’en l’espace de moins d’un an, le basilic est capable de fabriquer du « bois ». Ainsi atteint-il parfois soixante bons centimètres de hauteur. Plante très rameuse, l’aspect touffu du basilic est accentué par une profusion de feuilles ovoïdes ou lancéolées (selon la variété), généralement vert vif luisant. Entières et opposées, ces feuilles au parfum honni ou adoré, bien que relativement minces, offrent, entre les doigts qui les triturent un peu, une résistance un peu caoutchouteuse. La floraison, qui intervient dès le mois de juin pour s’achever en septembre, forme des épillets assez peu denses de fleurs verticillées, tubuleuses et bilabiées, dont la couleur est généralement blanche, mais peut arborer une teinte rosée, jaunâtre ou rougeâtre plus violacée. A l’issue, elles produisent des fruits à quatre loges, des nucules (= « petite noix ») pour être précis, renfermant de minuscules semences noires. Le basilic, non indigène en France et très rarement subspontané, ne doit sa présence dans l’hexagone que par le biais de cultures au détail ou en grand, à la condition que les sols qui l’accueillent soient riches et l’exposition franchement ensoleillée.

Le basilic tropical en phyto-aromathérapie

Avant même que l’huile essentielle de basilic tropical ne se vulgarise, affichant des tarifs fort abordables (même en qualité biologique), il faut savoir que le basilic ne passait pas son temps qu’en cuisine, finement ciselé entre la tomate et la mozzarella, la pratique médicale s’étant laissée tenter d’en faire autre chose qu’un pesto, même si ce dernier est succulent. La médecine employa donc les feuilles et les sommités fleuries du basilic principalement, quelquefois ses semences mucilagineuses. Mais il est vrai que l’analyse pharmacologique a quelque peu buté sur l’odeur aromatique très agréable du basilic, sur sa saveur piquante, chaude et envoûtante, parce quelle n’a pas été capable de nous dire si le basilic contenait autre chose que du tanin, de la chlorophylle et des sels minéraux. En revanche, il est parfaitement avéré que la prégnance aromatique du basilic n’a pu être ignorée de quiconque, et l’on ne s’est pas laissé aller béatement, face à cette essence aromatique. Autant dire qu’elle a mis les distillateurs en appétit, au sens propre comme au sens figuré ! Après une cueillette où prévalent l’attention et le respect (mais quelle plante ne les mérite pas ?), l’on distille, pendant 90 à 120 mn, les sommités fleuries du basilic, dont la vapeur d’eau enlève et entraîne les molécules aromatiques dans les mystères du serpentin, avant que de choir dans le vase florentin.

Les rendements, très fantasques, s’étalent entre 0,03 et 0,5 % chez la plante fraîche, et entre 0,2 et 2,7 % chez la sèche. Habituellement liquide, limpide et jaune pâle, l’huile essentielle de basilic tropical peut être amenée à subir quelques modifications dans sa texture olfactive : tantôt forte, épicée, anisée, à la limite du liquoreux, elle apparaît par ailleurs plus puissamment herbacée, fraîche et verte. Ces différences notables s’expliquent par le biais du chémotype : en effet, selon la provenance du basilic, son huile essentielle diffère du tout au tout. Pour rendre compte de ce phénomène, je communique ci-dessous les données biochimiques concernant deux huiles essentielles de basilic tropical : la première provient d’Inde, la seconde d’Égypte.

Huile essentielle indienne (14)

  • Phénols méthyle-éthers : 78 % dont méthyle-chavicol (76 %), eugénol méthyle-éther (1 %)
  • Monoterpénols : 18,6 % dont linalol (15,5 %)
  • Sesquiterpènes : 3,4 % dont α-bisabolène (1,6 %), α-trans-bergamotène (0,6 %)
  • Monoterpènes : 1,5 %

Huile essentielle égyptienne (15)

  • Monoterpénols : 52,7 % dont linalol (50,6 %)
  • Sesquiterpènes : 21,8 % dont α-trans-bergamotène (5,9 %), β-élémène (3 %), γ-cadinène (2,7 %)
  • Oxydes : 9 % dont 1.8 cinéole (8,7 %)
  • Phénols : 5,5 % dont eugénol (5,15 %)
  • Monoterpènes : 4,65 %

Note : il existe aussi un chémotype à linalol, produit en Italie ainsi qu’en Europe de l’est.

Propriétés thérapeutiques

Les domaines d’action du basilic tropical, s’ils devaient être réduits à un seul trio, seraient les suivants : la sphère gastro-intestinale, la sphère hépatique et la sphère génito-urinaire.

  • Anti-infectieux : antivirale, antifongique, antibactérien (sur Campylobacter jejuni, Escherichia coli, Listeria monocytogenes, Salmonella enterica, Candida sp.), antiseptique intestinal
  • Antalgique, anti-inflammatoire puissant
  • Antispasmodique neuromusculaire puissant
  • Tonique digestif, stomachique, carminatif, vermifuge intestinal
  • Stimulant hépatobiliaire, décongestionnant hépatique, cholagogue
  • Diurétique, « purifie le sang », décongestionnant prostatique
  • Emménagogue, décongestionnant du petit bassin, galactogène
  • Neurotonique, sédatif, calmant, antidépresseur
  • Stimulant des cortico-surrénales, fortifiant, musculotrope, positivant
  • Sternutatoire (16), « dégage les poumons », antihistaminique
  • Décongestionnant veineux
  • Anti-oxydant
  • Détersif cutané
  • Insectifuge, insecticide, nématocide

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion lente et pénible, indigestion, dyspepsie d’origine nerveuse, atonie digestive, flatulence, ballonnement, aérophagie, colite spasmodique, spasmes gastro-intestinaux, gastro-entérite, gastrite, aérogastrite, entérocolite virale, grippe intestinale, colique, diarrhée, constipation, nausée, vomissement, mal des transports, hoquet, éructation, borborygme, acidité gastrique, maladie de Crohn (?)
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : rhume, perte d’odorat du coryza, rhume des foins, bronchite, catarrhe bronchique, grippe, asthme, maux de gorge, angine, toux, coqueluche à ses débuts, surdité, otite
  • Troubles de la sphère circulatoire : varice et autres stases veineuses des membres inférieurs
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance pancréatique et hépatique, congestion hépatique, hépatite virale
  • Troubles de la sphère gynécologique : congestion du petit bassin, troubles prémenstruels, règles douloureuses et insuffisantes, dysménorrhée, crampes menstruelles, spasmes et bouffées de chaleur de la femme ménopausée, tension dans les seins, harmonisation de la circulation sanguine avant et après l’accouchement, douleur de l’accouchement, leucorrhée (semences)
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, arthrite, polyarthrite rhumatoïde, tendinite, contracture et élongation musculaires, courbature, crampe, arthrose
  • Affections cutanées : zona, eczéma sec, irritation et inflammation cutanées, irritation du cuir chevelu, piqûre d’insecte, morsure, coup, contusion, blessure, cernes sous les yeux, taches de vieillesse ou pigmentaires
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation des voies urinaires, néphrite (semences), gonorrhée (semences), prostatite
  • Troubles du système nerveux : spasmophilie, « hystérie », stress, anxiété, angoisse, nervosisme, fatigue nerveuse, épuisement intellectuel et psychique, surmenage, fébrilité, faiblesse, manque de dynamisme et de tonus, déprime, dépression, idées noires, insomnie et autres troubles du sommeil (en plus de cela, l’on peut affirmer sans l’ombre d’aucun doute que l’huile essentielle de basilic tropical « calme la colère, le ressentiment et l’incompréhension », ce à quoi l’on peut allègrement ajouter le doute et l’inquiétude. Elle prend aussi en charge les états de choc, et se montre « utile pour l’indécision », amenant davantage de clarté. Enfin, elle « encourage la vigilance [et] favorise l’intégrité et l’assertivité »)
  • Repousser les mouches, les puces et les moustiques (d’où le pot de basilic aux fenêtres, de même que le géranium, fort réputé contre les « intrus » de toute nature)
  • Céphalée opiniâtre, céphalée d’origine nerveuse ou digestive
  • Aphtes, petites affections bucco-dentaires

Note : l’assertion selon laquelle l’huile essentielle de basilic tropical est utile dans l’épilepsie est bien évidemment une funeste blague.

D’un point de vue psycho-émotionnel

Je ne vais pas réquisitionner ici tout ce qui a déjà été éparpillé à ce sujet, de manière plus ou moins subtile, au fil de cet article. Mais je puis ouvrir une parenthèse pour signaler l’existence d’un élixir floral de basilic qui s’adresse aux personnes qui ne parviennent pas à équilibrer leur vie sexuelle avec l’ensemble des autres facettes de leur existence, concernant tant une libido excessive que réduite à peau de chagrin. Élixir utile parce que « souvent, lorsqu’il y a un déséquilibre sexuel –, trop fort besoin ou, au contraire, trop forte lassitude – c’est qu’il y a un conflit latent ou bien ouvert » (17). Or, nous l’avons dit, le basilic, par le truchement de son huile essentielle, étouffe la colère, le ressentiment, évacue les idées noires, et ouvre l’esprit de l’individu en direction d’un nouvel horizon quand c’est pour lui le moment adéquat. A son contact olfactif, on éprouve un « sentiment d’apaisement, de calme. [Une] sensation de douceur, de clarté intérieure, de joie et de confiance, et [qui] donne envie de s’étirer. Peut être utilisé lorsqu’on a du mal à se centrer, à être dans le moment présent, et qu’on a besoin de stimulation pour agir et passer à l’action » (18), en particulier lorsqu’on souhaite se défaire d’une mauvaise habitude depuis longtemps ancrée, comme une addiction au tabac ou à l’alcool.

Modes d’emploi

  • Infusion simple de feuilles (ou de sommités fleuries) fraîches ; infusion composée de feuilles (ou de sommités fleuries) fraîches : basilic + absinthe + baies de genévrier à parts égales. Compter 2 g de ce mélange pour un grand bol d’eau. Prévoir sucre ou miel pour étouffer l’amertume apportée par l’absinthe.
  • Décoction et décoction concentrée de sommités fleuries fraîches.
  • Teinture alcoolique, liqueur de feuilles fraîches.
  • Sirop de feuilles fraîches.
  • Pommade.
  • Manducation de feuilles fraîches (contre les aphtes, entre autres, et pour rafraîchir l’haleine).
  • Feuilles fraîches froissées appliquées en friction énergique sur les piqûres de guêpe, les morsures de vipère (dans ce cas, il s’agit d’un seul traitement d’appoint).
  • Huile essentielle : voie cutanée diluée, diffusion atmosphérique, olfaction, inhalation. Proscrire l’usage per os autant que faire se peut, car « les huiles [essentielles de basilic tropical] sont réservées à l’usage externe pour éviter tout risque de mutations génétiques » (19).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Confusion : attention de ne pas confondre le basilic tropical à méthyle-chavicol avec le basilic doux européen, simple variété du précédent, qu’en principe l’on étiquette ainsi : Ocimum basilicum ssp. basilicum CT linalol. Si le chémotype change sur le flacon, il en va bien évidemment de même en ce qui concerne le contenu du flacon ambré. Le basilic doux contient plus de linalol et moins de méthyle-chavicol que son compère tropical, ce qui en fait un produit d’usage plus maniable. Du fait de sa plus grande teneur en linalol, il s’avère davantage antibactérien ; en revanche, son action antispasmodique est moins importante que celle du basilic tropical. De même, on ne se méprendra pas en assimilant ces deux basilics au basilic sacré (Ocimum sanctum) qui est une tout autre espèce.
  • Toxicité : la moindre que présente l’huile essentielle de basilic tropical à méthyle-chavicol, c’est son caractère, non pas dermocaustique, mais irritant pour la peau quand elle y est appliquée à l’état pur. Les peaux fines et fragiles y prendront garde. On fera de cette huile essentielle un usage modéré dans le temps, en cause la forte proportion de méthyle-chavicol. Il s’avère qu’à doses massives administrées sur un laps de temps prolongé, cette huile essentielle devient stupéfiante (elle stimule puis déprime l’organisme). Sa toxicité peut s’exprimer à travers une génotoxicité et/ou une cancérogénicité. Dans certains cas très particuliers (allergie, par exemple), il est possible d’envisager un usage interne via un traitement d’attaque à raison de 500 à 1000 mg/jour d’huile essentielle de basilic tropical, sans excéder cinq à six jours de traitement consécutifs, à moins d’opter pour des doses plus faibles, de l’ordre de 100 mg/jour administrées sur une durée plus étendue. Les conseils d’un aromathérapeute sont bienvenus. Enfin, dans tous les cas suivants, l’on prendra soin d’éviter cette huile essentielle : femme enceinte (possible stimulation œstrogénique), enfant, bébé.
  • Récolte : elle se déroule en juillet et en août. Mais dans certains cas, il est possible d’effectuer trois coupes durant l’année.
  • Alimentation : certaines personnes préfèrent user de basilic exclusivement sec, tout comme c’est le cas en de rares occasions dans le domaine de la phytothérapie. Or la dessiccation – on ne le répétera jamais assez –, opère en lui une cruelle perte de propriétés, tant gustatives que thérapeutiques, s’évanouissant en même temps que sa saveur et ses arômes. Autant dire que, dans un cas comme dans l’autre, il ne sert plus à grand-chose, et qu’il faut l’utiliser au plus vite dans l’année qui vient. Donc, du basilic frais, c’est beaucoup mieux, même s’il est vrai que son caractère annuel en limite l’utilisation tout au long de l’année (mais cela ne doit être en aucun cas un écueil : cela nous invite simplement à partir à la recherche d’une autre plante qui possède les mêmes fonctions que le basilic et qui serait disponible quand lui ne l’est plus). Et puis, le basilic n’est-il pas une plante estivale ? Aurait-on l’idée de consommer du basilic frais en plein hiver ? Non ! Il faut se conformer au rythme des saisons, c’est à cela qu’elles servent : donner la mesure. Ce qui explique qu’à la saison chaude, l’on préfère se rafraîchir avec une belle salade de tomates au basilic, parsemée de quelques olives noires, de fines tranches d’oignon rouge et des utiles duos condimentaires – vinaigre/huile, sel/poivre – et de quelques cubes de feta ou tranchettes de mozzarella. Le basilic entre encore dans la composition de nombreuses préparations en tant qu’aromate. Il se marie à merveille avec l’ail, l’aubergine et, donc, la tomate (d’ailleurs, au jardin, associer la culture du basilic à celle des tomates et bénéfique pour les deux plantes). On le retrouve fréquemment dans les cuisines méridionales (Italie, Grèce, Midi de la France) et asiatiques (Inde, Thaïlande). C’est lui qui donne son nom et son arôme à la soupe au pistou, nom provençal du basilic, pas tellement éloigné, orthographiquement, de l’italien « pesto ». (Pistou émane d’un verbe latin, pistare, qui signifie « broyer », attendu que le basilic est passé au mortier ; pesto possède une étymologie analogue, dérivant du verbe italien pestare qui veut dire « piler ».) Le basilic est donc bienvenu dans les salades composées, les omelettes, les sauces, les ragoûts, les soupes froides du type gaspacho, les pizzas, certaines viandes et poissons blancs au court-bouillon. Avec le saumon, il n’est pas inintéressant. On peut même l’ajouter frais à du vinaigre pour confectionner un vinaigre au basilic qui, sans démériter, s’approche de la saveur du vinaigre à l’estragon.
  • Variétés : à propos du basilic tropical, les horticulteurs s’en sont donnés à cœur joie. En effet, Ocimum basilicum compte de très nombreuses variétés dont les plus courantes sont les suivantes : – O. basilicum var. minimum (petit basilic) ; – O. basilicum var. grand vert (alias pistou) ; – O. basilicum var. à feuilles de laitue. Certaines variétés se distinguent par l’odeur de leur feuillage : Anis, Cannelle, Citron à petites feuilles, Citron à grandes feuilles, Clou de girofle, Lime, Pomme, Réglisse. D’autres par des caractéristiques plus botaniques : de grandes feuilles vertes de 11 à 15 cm (Napoletano, Monstrueux Mammouth), des feuilles vertes teintées de violet (Nouvelle-Guinée), des feuilles vertes et des tiges violettes (Thaïlandais à petites feuilles, Thaïlandais à grandes feuilles), des feuilles en forme de coupe renversée (Gênes), un feuillage violet plus ou moins soutenu (Dark Opal, Violet Osmin, Violet Rubin, Purple Ruffle), un feuillage pourpre (Red Rubin), enfin des variétés naines (Grec).
  • Autres espèces : le genre Ocimum compte pas loin de 160 espèces annuelles ou vivaces à vie courte réparties sur trois continents : l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud et centrale. En voici quelques-unes : le basilic africain (O. gratissimum), le basilic du Kenya (O. kilimandscharicum), le basilic du Pérou (O. campechianum), le basilic crépu (O. bullatum), le basilic camphré (O. canum), le basilic américain (O. americanum), le basilic des moines (O. monachorum), enfin le basilic sacré (O. sanctum) que nous avons déjà brièvement abordé.

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  1. Dans un petit livre, Anne Osmont expliquait que les savetiers plaçaient des pots de basilic à leurs fenêtres afin de chasser au mieux l’odeur des vieux cuirs régnant dans leurs boutiques.
  2. Erika Laïs, Le livre des simples, p. 46.
  3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 117.
  4. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 22.
  5. Paul Sédir, Les plantes magiques, p. 150.
  6. Psaume 91, verset 13.
  7. Sophy & Dominique Guillet, Catalogue Terre de semences, 1999, p. 61.
  8. Ibidem.
  9. Giovanni Boccacio, Décaméron, p. 301.
  10. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, pp. 32-33.
  11. Serge Schall, Plantes à parfum, p. 60.
  12. Ibidem.
  13. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, p. 115.
  14. Ce chémotype apparaît aussi dans d’autres pays : Pakistan, Thaïlande, Vietnam, Madagascar, Réunion, Comores, France…
  15. Ce chémotype provient également du Maroc et d’Afrique du Sud.
  16. « La poudre des feuilles est un agréable stimulant des nerfs olfactifs. On la prend en guise de tabac pour rétablir l’écoulement du mucus nasal, pour exciter le cerveau. Quelquefois on la mêle à celle d’autres plantes odorantes, et on a une espèce de poudre céphalique, comme on l’appelait anciennement, dont on se sert contre la paralysie, l’amaurose et autres affections nerveuses », Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 182. L’amaurose est une perte complète et temporaire de la vision, affection dont l’étiologie est multifactorielle.
  17. Paul Ferris, Le guide des fleurs du docteur Bach, p. 151.
  18. Serge Hernicot, Les huiles essentielles énergétiques, p. 46.
  19. Ute Künkele & Till R. Lohmeyer, Plantes médicinales, p. 93.

© Books of Dante – 2020