Fonctions et importance de la doula auprès de la femme enceinte

Le 7 février, c’est la date dédiée à Eugénie, la « bien-née », sainte patronne des sages-femmes et des femmes en couches. On ne l’invoque plus guère lors des accouchements, au contraire des Romains qui disposaient de Lucine largement et les Grecs d’Artémis pour ce faire. Aujourd’hui, alors qu’on fait de moins en moins appel aux déesses et aux saintes, quelle poignée à laquelle s’accrocher reste-t-il à la femme sur le point d’accoucher ?

Autrefois, dans certaines contrées, officiait la matrone, c’est-à-dire l’accoucheuse traditionnelle. Dans d’autres, c’était la sage-femme qui occupait cette fonction. Mis à part ça ? Eh bien, depuis quelques décennies, émerge une nouvelle profession complémentaire : la doula. Étymologiquement, la doula, qui tire son nom du grec doúlê, comprend le sens de compagne, servante et esclave, et l’identité d’une personne domestique attachée indéfectiblement à la domus, c’est-à-dire à la maison de sa maîtresse, au service d’icelle, qui telle une Brangien auprès d’Iseult, l’assure de sa pleine confiance et d’un constant appui. Malgré la référence lexicale au mot esclave, il ne faut pour autant pas voir en ce mot, doula, une marque de dépréciation et ne pas y entendre la connotation péjorative que peut avoir encore aujourd’hui le mot esclave. A l’exposé des diverses informations qui vont suivre, l’on comprendra que cette relation n’existe plus. Présentons donc la fonction de la doula pour mieux nous en assurer. Tout d’abord, comment pourrions-nous la définir au mieux ? On peut dire d’une doula qu’elle pratique une approche holistique de la naissance. Ce qui est bien vague… Quelle place, laissée vacante, la doula occupe-t-elle ? La doula intervient auprès de la femme enceinte avant, pendant et après accouchement, afin d’assurer, durant la période périnatale, un soutien complet à la parturiente se déclinant selon plusieurs volets : émotionnel, psychique, psychosocial, physique, informationnel et pratique. Mais encore, « les doulas sont des professionnels de la périnatalité communautaire formés à la santé de la grossesse, à la préparation à l’accouchement, au soutien au travail, au conseil en lactation et aux soins postnataux. »1 Sans être une sage-femme, la doula promeut une mode d’intervention doux, au contraire de l’obstétricien, qui reste attaché à l’intervention technologique, c’est-à-dire au règne de la machine et du matériel. Tout à l’inverse, la doula s’applique à tirer parti de la puissance du pouvoir de l’esprit, obtenant par là même des résultats comparables à ceux d’une sage-femme, bien que la correspondance entre ces deux professions ne soit pas tout à fait exacte. La doula s’est cependant appropriée des fonctions inoccupées par les sages-femmes en raison d’un manque de bras et de temps, et qui étaient autrefois, dans les campagnes entre autres, prises en charge par la figure féminine tiers, c’est-à-dire la grand-mère, ce que le resserrement familial – trois générations sous le même toit – rendait tout à fait possible et souhaitable.

De la doula à la femme enceinte, les interactions ne sont pas unilatérales. Restant à l’écoute des désirs et besoin de celle-ci, la doula lui transmet le nécessaire. Communiquant des informations non médicales, la doula utilise un certain nombre d’outils auprès de la femme qu’elle accompagne, tels que la relaxation, le yoga et la méditation, des exercices d’étirement et d’assouplissement, la visualisation, le massage périnéal prénatal, enfin beaucoup de techniques qui mettent en œuvre le sens oublié du toucher dans pareilles circonstances. Tout cela représente un soutien précieux en vue de la délivrance, reconnu tant par la famille et les proches de la parturiente que le personnel médical (en général), bien que certains médecins obstétriciens entretiennent, à l’égard des soins de maternité non traditionnels, une attitude pour le moins négative. Pourtant, une foule d’études disponibles à la lecture sur PubMed, Scopus, etc., disent toutes le bien-fondé de l’intervention d’une doula au cours de la maternité. Une étude récente (USA, 2022) est très claire sur ce point : « Les politiques et pratiques hospitalières devraient inclure les doulas en tant que membres précieux de l’équipe de soins pour aider à assurer des expériences positives pendant la naissance. »2 Elle se rapproche de ce qu’affirmait une étude mexicaine vingt ans plus tôt : « Les résultats de cette étude ont montré, comme dans d’autres essais mesurant l’impact de la présence d’une doula pendant le travail et la naissance, que le soutien de la doula pendant le travail est associé à des résultats positifs qui ont des implications physiques, émotionnelles et économiques. »3 Justement, parlons-en plus précisément, de ces résultats positifs. Avec l’aide et la présence d’une doula, la durée du travail est réduite, l’accouchement est plus rapide et moins difficile, en particulier parce qu’on fait davantage appel aux méthodes de soulagement de la douleur non pharmacologiques durant le travail, comme l’acupuncture et l’homéopathie. Bien que le recours à la pitocine (ocytocine de synthèse) et d’analgésiques soit moins systématique, beaucoup d’accouchements avec doula sont moins douloureux, la femme enceinte étant moins anxieuse et stressée. Résultat des courses : moins d’anesthésie par péridurale. Par voie de conséquence, les accouchements instrumentaux (utilisation du forceps) et par césarienne (y compris d’urgence) sont beaucoup moins fréquents, de même que le nombre d’interventions médicales inutiles en cours d’accouchement. Globalement, l’accompagnement périnatal d’une doula permet de multiplier par deux les naissances vaginales spontanées, de réduire le taux de naissances prématurées (et, subséquemment, le taux de nouveaux-nés en détresse fœtale ou admis dans les unités de soins intensifs néonatals). Dans certains pays, l’influence bénéfique de la doula permet même de réduire la mortalité infantile et maternelle survenant durant l’accouchement ! Même une fois que la délivrance a eu lieu, les bons effets du travail de la doula se font encore ressentir : le saignement post-partum est moins abondant, l’anxiété et la dépression de la mère moins marquées (et parfois inexistantes). Au contraire, plus nombreuses sont les mères à éprouver une satisfaction et une gratitude plus grandes, observant leur propre expérience de la naissance avec un regard plus serein. Elles sont plus enclines à l’estime d’elles-mêmes. Enfin, comme la sensibilité de la mère vis-à-vis de son enfant est plus importante, cela facilite d’autant mieux l’allaitement naturel.

Si l’efficacité des doulas au sein des structures de santé dévolues à la prise en charge des femmes sur le point d’accoucher ne fait plus aucun doute, certaines d’entre elles, souhaitant aller plus loin encore, n’hésitent pas à remettre en cause, non pas un système, du moins des pratiques jugées dépassées. Caroline Pérez est l’une de ces doulas qui recherchent davantage encore le bien-être de la mère et de l’enfant. C’est grâce à la lecture de l’interview qu’elle a accordée au magazine Nexus (n° 149, novembre-décembre 2023) que j’ai pris connaissance de l’existence des doulas. Ayant trouvé très intéressants les propos qu’elle y partage, je me suis décidé à écrire ce petit article, que je vais compléter ci-après en m’inspirant des apports de Caroline Pérez.

Rénover l’accouchement, restaurer la manière dont l’enfant vient au monde est, pour elle, primordial. Elle pointe un certain nombre de faits sur lesquels des améliorations, voire des révolutions, pourraient être apportées, mais qui, pourtant, sont laissées en l’état. Elle place ainsi en opposition deux façons d’appréhender le moment de la naissance, au travers, tout d’abord, des conditions requises qui ne sont pas toujours réunies du côté de la maternité, de la clinique et de l’hôpital. Rien ne va sur la manière dont on accouche dans ces structures : la salle d’accouchement est trop froide, trop violemment éclairée aux néons, beaucoup trop bruyante. Pour cela, Caroline Pérez privilégie l’accouchement à domicile, permettant à la femme enceinte de bénéficier d’un effet « cocooning », parce qu’un lieu connu et apprécié de la parturiente, qui plus est où il fait bon et calme, concourt à la sécrétion naturelle d’hormones indispensables à la bonne marche de l’accouchement, telles que la mélatonine et l’ocytocine (qui a pour conséquence la survenue des contractions, l’ouverture du col, etc.), hormone sur laquelle Caroline Pérez insiste considérablement4. Or, cela n’est pas accessible, ou si peu, sans la sécurité, la tranquillité, la confiance et l’intimité, qui participent à la déconnexion du cerveau, de même que le fait de se taire (trop parler, c’est (faire) quitter l’état de conscience modifiée requis pour mieux accoucher). Autant dire qu’à l’hôpital, la crainte, l’anxiété et l’incertitude brisent complètement la capacité de la femme enceinte à mettre en branle la sécrétion de ces hormones incontournables (que l’on compense donc par injection de pitocine souvent trop dosée et aux effets douloureux insupportables). Bien consciente qu’un certain nombre d’écueils handicapent gravement la femme qui accouche en institution hospitalière, Caroline Pérez se dit favorable à un accouchement par les voies basses autant qu’il est possible, et non comme cela se pratique habituellement, la femme étant allonger sur le dos. L’accouchement physiologique est, selon elle, un bon moyen de mettre à distance l’outrance de l’assistance et des interventions médicalisées appliquées sur le corps de la femme au travail, dans des lieux parfois saturés par l’agacement des infirmières et par l’arrogance des médecins, ce qui place d’autant plus la femme à distance d’elle-même, contrairement à la douce intervention de la doula, dont la proximité émotionnelle et psychique, ainsi que le sens tactile, permettent de soustraire la femme enceinte à la domination biomédicale qui confine à l’anonymisation du corps de la femme. « Le fait qu’il y ait de moins en moins de sages-femmes, qu’on aille de plus en plus à l’hôpital, que la médecine soit de plus en plus aux mains des hommes nous a éloignés petit à petit de nombreuses pratiques autour du soin de la femme. »5 C’est pour cela que Caroline Pérez milite en faveur de la réappropriation de savoirs oubliés et non transmis, ce qui est évidemment dommageable pour les futures mères, sachant qu’ils sont spécifiquement relatifs à cette période spéciale de la vie d’une femme enceinte sur le point d’avoir un enfant. C’est aussi de la réappropriation de son corps par la femme elle-même dont il est question, ainsi que le recouvrement de l’autonomie, de l’intuition, de l’instinct, du ressenti et de l’écoute de soi, toutes choses qui doivent assurément faire plaisir à Deirdre English et Barbara Ehrenreich entre autres.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. « En étant privées de ces hormones naturelles, nous sommes aussi privées de tout ce qui découle d’attachement, de bonheur, mais aussi de relaxation et de détente. […] La péridurale nous coupe complètement de nos instincts. En accouchant sous ocytocine de synthèse, sans passer par la sécrétion naturelle d’ocytocine, on perd au bout de quelques générations notre capacité à sécréter de l’ocytocine. […] Le fait qu’on ne sécrète plus cette hormone est qu’elle n’est plus transmise à notre enfant pendant cette période, ça veut dire que les humains n’arrivent plus sous l’hormone de l’amour à la naissance, ce n’est quand même pas rien » (Source : Nexus 149, p. 39).
  5. Ibidem, p. 34.

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2 réflexions sur “Fonctions et importance de la doula auprès de la femme enceinte

  1. Bonjour, merci beaucoup pour le rappel de l’importance de ce qui peut se dérouler pendant l’accouchement pour le lien entre la mère et l’enfant et aussi pour l’âme du nouveau-né. J’invite à lire l’ouvrage de Bernard Montaud « L’accompagnement de la naissance » qui décrit toutes les étapes vécues par cette âme dans ce moment capital.

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    • Bonjour Céline,

      Merci beaucoup pour la référence :) S’il est vrai que les conditions matérielles comptent pour beaucoup dans la préparation à l’accouchement (et pas seulement du seul point de la mère), que dire, effectivement, des conditions psychiques d’accueil ? Sans trop entrer dans les détails de ce domaine ardu qui m’est trop inconnu pour que j’en parle bien, il apparaît évident que l’âme ne peut bien faire son nid dans un univers troublé, peu propice à l’expression de la douceur, que l’on est en droit d’attendre d’un tel événement.

      Belle journée à vous,

      Gilles

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