L’angélique des jardins (Angelica archangelica)

Voici une présentation rénovée de cette grande dame autrefois fort prisée, mais en perte de vitesse dans le milieu de la thérapeutique par les plantes médicinales, ce qui est fort dommage vu ce que l’on sait assurément à son sujet. Plutôt que de partir à la conquête du monde végétal à la recherche d’un hypothétique Graal (qui n’existe pas ^.^), mieux vaut déjà regarder ce qu’on a dans les placards !

Bonne lecture (prenez le temps, c’est un gros article) et beau week-end à toutes et tous :)

Gilles



Synonymes : angélique officinale, angélique vraie, angélique cultivée, archangélique, herbe des anges, herbe aux fées, racine du saint Esprit, angélique de Bohème, racine de longue vie, ginseng d’Europe, angélique des confiseurs.

Une chose curieuse demeure à l’endroit de l’angélique officinale : quand elle fit irruption, on ne sait plus trop quand ni comment, elle ne concurrença d’aucune manière l’angélique sylvestre autochtone dont les textes plus anciens ne parlent pas. C’est-à-dire que l’on ne s’est soucié des angéliques quand et seulement quand celle qu’on surnomme archangélique a débarqué sur le sol d’Europe centrale. (Comme si l’on réservait un meilleur accueil à la berce du Caucase plus qu’à notre berce indigène, la commune grande berce.) Faut-il la survenue d’un archange pour prendre conscience de l’armée angélique déjà présente ? Des fois, on se le demande… Une chose est certaine : avant même qu’elle ne fasse une apparition remarquée et durable plus au sud de son aire d’origine (que nous rappelons : Scandinavie, Groenland, Russie), l’angélique dite des jardins était cultivée en grand en Europe du Nord au moins depuis le XIIe siècle, des documents de l’époque en attestent (il ne faut donc pas se casser la tête à chercher dans les vieux textes grecs – Dioscoride et consorts – la moindre trace de cette angélique qui n’existe pas dans ces localités méridionales et qui, de toute façon, n’y survivrait pas). Bien que le climat de l’Europe du Nord lui soit plus adapté, la culture de cette angélique septentrionale se développa d’abord au sein des monastères d’Europe centrale dès le XIVe siècle, puis à une plus large partie de l’Europe occidentale au XVIe siècle (par exemple, on la voit cultivée au monastère isérois de la Grande Chartreuse, près de Grenoble). Cette habitude à la culture explique que cette angélique, par chez nous, s’est toujours cantonnée au jardin et qu’elle ne s’est donc jamais implantée dans la nature pour y devenir spontanée comme a pu le faire efficacement la berce géante du Caucase après elle.

On lit partout (enfin, dès qu’il s’agit de l’histoire médicale de l’angélique), que le passé de cette plante serait étroitement lié à la personne de Paracelse, qui en aurait vanté les bons effets face à une épidémie de peste s’étant abattue sur la ville de Milan en 1510. C’est peut-être vrai. Mais il semblerait que les chroniques aient omis de retenir cet épisode épidémique lombard des premières heures de la Renaissance. Néanmoins, c’était suffisant pour faire acquérir à l’angélique le statut de plante protectrice, car elle « n’a pas été placée sans raison sous le parrainage des anges »1. Cela, c’est aisément lisible dans ses noms latin et français, ou bien dans nombre de ses surnoms. Qu’elle soit herbe aux anges ou Spiritus sancti radix (= racine du saint Esprit), elle touche au Ciel. Aussi lui accorda-t-on comme nom principal angelica (= « ange gardien »), doublé de l’adjectif archangelica qu’on dit faire expressément référence à l’un des sept archanges de la tradition biblique qui aurait révélé en songe l’usage de la plante contre la peste bubonique à un ermite. Tout comme l’unité « Paracelse+Milan+peste+1510 », il est presque toujours question de l’archange Raphaël quand on aborde cette légende, parfois de Gabriel, mais absolument jamais de l’archange saint Michel, ce qui aurait été beaucoup plus judicieux si l’on se souvient que c’est lui qui « terrasse » le dragon… Du moins, qui en maîtrise les forces. Effectivement, cette entité sauroctone, champion du bien, soumet, plus qu’elle ne détruit, la vouivre habilement métamorphosée en dragon démoniaque par le christianisme. Apprécions l’aisance, la vitesse et la puissance avec lesquelles on a dessiné un pedigree à cette plante venue d’ailleurs : c’est quand même balaise pour une primo-arrivante ! Afin de la légitimer, peut-être a-t-il fallu mettre les bouchées doubles, quitte à en faire un peu trop, comme on aura l’occasion de le constater un peu plus loin. Toujours est-il qu’il y a environ quatre siècles, en 1600 pour être précis, on établissait ainsi le portrait de cette super angélique venue du Nord : « Angélique, tel nom a été donné à cette plante, à cause des vertus qu’elle a contre les venins […]. Cette herbe contrarie à toutes les infections : est très utile en temps de pestes, tenant en la bouche de sa racine ; [elle] guérit les morsures des serpents et chiens enragés ; fait cracher les humeurs superflues, nettoyant l’estomac. L’eau qui en est distillée sert aux choses susdites, et à tenir la personne joyeusement. Ses feuilles appliquées au front chassent le mal de tête ». Ça n’est ni un médecin qui parle, encore moins un charlatan un peu mage sur les bords, mais un « simple » agronome : on doit ce portrait à Olivier de Serres (1539-1619) dont le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs connaîtra vingt-et-une éditions entre 1600 et 1807, donnant largement l’occasion de marteler la réputation faite à l’angélique au fil du temps. S’il s’était agi que du seul Olivier de Serres, peut-être bien que l’emballement enthousiaste en serait venu à s’émousser, mais même pas ! Les médecins – Renaissance et époque moderne – s’emparèrent bien évidemment d’elle ! Pourquoi laisser passer celle qu’on qualifie de panacée ? Peut-on raisonnablement se détourer d’une plante dont on prétend qu’elle détient des pouvoirs quasi divins ? C’est pourquoi l’on trouve de l’angélique dans bien des préparations médicinales que l’histoire a retenues pour certaines d’entre elles, d’autres pas. Florilège : le vin diurétique amer de l’hôpital de la Charité, l’emplâtre diabotanum, l’élixir du Suédois, l’eau générale, l’eau vulnéraire (ou d’arquebusade), le baume du Commandeur, le baume d’angélique de Brandes et Bucholz, etc. Je pense que l’on peut en remplir des pages entières. Elle est encore présente dans de nombreux élixirs dont certains sont qualifiés de « longue vie ». Il est vrai que, à l’instar de sa robuste racine qui maintient une tige solide, l’angélique est une plante tout en force dont le surnom de « racine de longue vie » lui a été octroyé en raison du cas du Niçois Annibal Camoux mort en 1759 à l’âge de 121 ans et 3 mois. Cette exceptionnelle longévité tiendrait au fait qu’il avait l’habitude de mastiquer régulièrement de la racine d’angélique. Que cela sente le mythe ou s’approche de la vérité, on comprend que, sans avoir besoin d’en faire un remède miracle, l’angélique est loin d’être une herbe anodine parfaitement inerte dans le domaine médical. Une autre de ses spécificités pourrait se solder par l’énumération, une fois de plus, d’une longue liste de compositions magistrales. En voici compilées quelques-unes : l’orviétan, la thériaque, l’eau thériacale, la confection thériacale d’Adrian von Mynsicht, l’antidote et l’élixir de vie de Matthiole, l’eau céleste et prophylactique de Franciscus de le Boë, l’élixir anti-pestilentiel d’Oswald Crollius, l’eau cordiale de Gilbert, l’opiat cordial de la pharmacopée de Lyon, l’élixir de vie de Joseph du Chesne, l’eau épidémique, le lait alexitère distillé, etc. Toutes ces préparations devaient faire savoir les vertus surnaturelles, fastueuses, bienfaisantes, supra-puissantes, miraculeuses, précieuses, merveilleuses, extraordinaires, en un mot, angéliques, de cette plante iconique. C’est-à-dire que, tout à fait héroïques, ces médicaments étaient présentés comme devant sauver l’homme du péril dans la plupart des circonstances : peste et autres épidémies, morsures envenimées ou rabiques, gangrène, poisons divers et variés, etc. Précisons qu’en ces temps anciens, c’étaient de véritables phobies qui trouvaient leur raison d’être à travers les morts nombreuses qu’elles occasionnaient. On peut donc saisir que l’angélique porte les noms d’herbe du saint Esprit, d’herbe aux anges, etc., vu ses éminentes qualités (à moins que ces valeureuses appellations aient donné des idées à plus d’un, afin d’exploiter la croyance aux dépens de la réalité thérapeutique…). Comment, encore, ne pas comprendre que cette plante soit allée draguer du côté de la magie et qu’on en ait fait une arme anti-maléficieuse ? Ainsi la vit-on tenir une fonction de protection non seulement face aux causes médicales, mais également à toutes celles ayant un rapport à la magie de malédiction. Elle devint donc, en plus de son statut de plante angélique, une plante talismanique dont on jonchait, en guise de purification et de préservatif, le sol des églises et des riches demeures, en compagnie de rue, de menthe et d’hysope. La feuille d’angélique, réputée pour contrer la sorcellerie et les enchantements, était portée autour du cou afin de procurer la chance, tandis que la graine de la plante annihilait les influences néfastes ainsi que les pouvoirs de la fascination. Après bien des utilisations plus médico-magiques qu’autre chose, l’angélique abandonna le versant magique pour se consacrer davantage au seul aspect médical. On vit poindre ce changement à partir de la fin du XVIIe siècle, avec Nicolas Lémery et s’étendre jusqu’à Desbois de Rochefort, un siècle plus tard. Que dit-on d’elle durant ce temps ? Ceci : « Elle est cordiale, stomachique, céphalique, apéritive, sudorifique, vulnéraire », expliquait Lémery, à quoi Morelot ajoutait : stimulante, carminative et sialagogue. L’on vit, en l’espace d’un siècle, l’angélique revenir à des prérogatives « plus réalistes » que tout ce qu’on avait pu lui conférer jusque-là. Pourtant, bien que Chomel insistât sur les qualités stomachique de l’angélique (indigestion, colique venteuse, flatulences, faiblesse et aigreur d’estomac), transparaissent encore dans ses dires, ainsi que dans ceux de Lémery, des attributions qui concernent davantage des pouvoirs « magiques » alors peu différenciés des propriétés thérapeutiques au sens où l’entend la médecine. Ainsi Lémery disait-il de l’angélique que « l’on en mange pour se préserver du mauvais air. […] elle résiste au venin ; on l’emploie pour la peste, pour les fièvres malignes, pour la morsure des chiens enragés »2. Enfin, à la lecture de Desbois de Rochefort (1786), on ne trouve plus trace des références archangéliques de l’angélique : « Ce médicament est un des meilleurs qu’on puisse employer quand il faut donner du tonus à l’estomac, et il ne le cède pas aux racines toniques exotiques »3. Il précisait aussi que l’infusion vineuse était préférable à celle que l’on prépare à l’eau. Pour l’obtenir, on faisait macérer 15 g de racine d’angélique dans un demi litre de vin rouge pendant 36 à 48 heures.



Durant tout ce siècle, l’angélique thérapeutique fut abondamment concurrencée par la même plante dont s’empara la confiserie. Parce que, oui, à l’instar de nombreux autres végétaux curatifs, l’angélique se mange. C’est aux environs de Niort que les sœurs du couvent de la Visitation de Sainte-Marie eurent pour la première fois l’idée de confire les tiges (les pétioles, en fait) d’angélique (auparavant, seules les racines et les feuilles étaient confites, sans que cela n’atteigne néanmoins la dimension de l’entreprise initiée par les religieuses niortaises). Au XIXe siècle, on moulait des tiges d’angélique confite aux formes des animaux et des fleurs emblématiques du marais poitevin. Puis vinrent liqueurs, gelées et autres confitures (regardez un peu sur ce site : l’angélique suscite bel et bien l’inspiration ! ^.^). Victime de son succès, l’angélique confite de Niort est parfois concurrencée par de fausses angéliques bien moins onéreuses à produire, obtenues en confisant du céleri, de la pastèque à chair blanche ou encore des navets. Du sucre, un chouïa de colorant et le tour est joué ! La belle carrière opérée par l’angélique au sein de l’industrie de la confiserie fit dire à Fournier qu’« il est regrettable qu’elle ne soit plus guère usitée que des confiseurs »4. Comment aurait-il pu en être autrement, sachant qu’un siècle avant Fournier, il en était déjà ainsi ? Roques reprochait à la pharmacie de son temps d’avoir abandonné l’angélique, que le médecin devait aller se procurer chez « les confiseurs qui préparent, avec les jeunes tiges d’angélique, un condiment délicieux, et qui, mangé lorsqu’il est récent, peut remplacer dans beaucoup de cas tous les autres modes d’administration de cette plante »5. C’est peut-être une opinion un peu excessive de la part de Cazin, puisque les bâtons d’angélique « ne sont pas les plus aptes à nous faire profiter pleinement des vertus de la plante, les bains de sucre successifs dénaturant quelque peu ses qualités diététiques » et médicinales6. L’angélique confite médicale est d’autant moins pertinente que les préparations sucrées – sirops et pastilles – ne sont pas les meilleures alliées pharmaceutiques pour ce qui est de lutter contre les infections, par exemple. Qu’un médecin ait dû aller se fournir en angélique chez le confiseur en dit tout de même long sur l’état dans lequel on relégua cette pauvre vieille fée oubliée et négligée. Hélas, « tous ces noms émanés du Ciel, n’ont pu sauver l’angélique de l’indifférence des médecins »7. Comment se fait-il qu’une plante pareille, vantée – rappelez-vous ! – contre la peste et dont on a fait l’antidote de la belladone, de la ciguë et du colchique, ait pu tomber si bas dans l’échelle des valeurs thérapeutiques ? En 1810, Bodart écrivait une phrase qui disait toute la réalité de l’angélique d’alors : « Si cette plante avait le mérite d’être étrangère, elle serait aussi précieuse pour nous que le ginseng l’est chez les Chinois ; elle se vendrait au poids de l’or »8. La comparaison avec le ginseng, autre racine de longue vie, est intéressante et fort pertinente, puisqu’en réalité l’angélique ne le cède en rien à certaines substances non indigènes, dont le ginseng, étant tonique et très énergique, valable dans la plupart des maladies et affections mettant en cause une faiblesse constitutionnelle ou adynamique (digestion pénible, flatulences, ranimer les forces de l’estomac, convalescence, épuisement des forces, maladies de langueur…). Le ginseng possède un nom latin (Panax ginseng) qui contient en lui-même la haute idée que l’on se fait de lui : une panacée. Autrement dit, une substance propre à guérir tous les maux. Est-ce le caractère exagérément prétentieux avec lequel on a alloué mille vertus à l’angélique qui a fait que, aujourd’hui, elle a sombré dans un relatif anonymat ? Ça n’est pas impossible. D’autres plantes ont subi un sort assez identique, la sauge par exemple, bien que dans une moindre mesure. Cette mésestime semble être le corollaire d’une extranéité magico-thérapeutique abusive. Ayant été naturalisée, l’angélique a quelque peu perdu de son lustre d’antan. Tout comme les palmiers de la Côte d’Azur qui n’étonnent plus personne ou presque, elle ne présente plus rien d’exotique contrairement au ginseng qui, lui, se vend toujours à prix d’or, puisqu’il vous en coûtera 10 000 € pour acquérir une racine âgée de 25 à 35 ans. Pourtant, tout est à portée de main, où qu’on soit. Mère Nature a si bien pensé et fait le Monde, qu’elle a placé ici et là différentes plantes aux pouvoirs identiques. Pourquoi s’émoustiller devant des baies de goji alors que nous disposons de ce brave cynorhodon que nous offre notre bon vieil églantier rustique ? Inutile d’aller envahir de lointains pays à la recherche d’un précieux Graal végétal. Quel besoin y a-t-il d’essorer ainsi la planète, malheureuse habitude qui n’empêche pas, bien au contraire, la biopiraterie de sévir encore, plus particulièrement en Afrique et en Asie ? Pourquoi donc ne pas réhabiliter l’angélique ? En ce siècle de désenchantement et de de-spiritualisation du monde, il serait pertinent et salutaire de se tourner, de nouveau, en direction de l’angélique solaire et victorieuse. Mais aujourd’hui, l’angélique est quasi muette. Ce qui ne manque pas de sel, quand l’on sait ce qu’en firent les Amérindiens : une décoction de tiges d’angélique leur servait de gargarisme afin de permettre aux chanteurs et aux orateurs de tenir leur voix durant les cérémonies et autres célébrations… Ce n’est pas sans quelque mélancolie que… D’ailleurs l’angélique est assez souvent désignée comme l’emblème de ce sentiment. Parce qu’elle la leur inspirait, les anciens poètes se couronnaient de feuilles d’angélique (plus probablement de feuilles d’ache). Écoutons l’un d’eux : « Qu’elle est douce la mélancolie à laquelle on s’abandonne au déclin d’un beau jour ! Les coteaux qui m’entourent réfléchissent la pourpre du couchant ; les fleurs de la prairie, négligemment penchées, confient leurs parfums aux brises du soir qu’ils répandent dans toute la vallée. Que de belles plantes sauvages au bord de ce ruisseau ! C’est l’angélique sauvage, déployant sur sa haute et vigoureuse tige une vaste ombelle ornée de fleurs d’un blanc mêlé de rose. Comme cette nuance délicate contraste harmonieusement avec la douce verdure des feuilles et des rameaux ! »9.

Une volumineuse racine, parfois forte comme le bras, secondée de racines périphériques moins massives, dessinent un ensemble d’aspect ridé, de couleur brun gris extérieurement, laissant découvrir une chair blanchâtre gorgée d’un suc laiteux jaunâtre quand on vient à la rompre. C’est de cette masse souterraine fusiforme qu’émerge une tige verte effilochée de traînées rougeâtres qui, bien qu’épaisse, est intérieurement creuse. Intégralement glabre, l’angélique des jardins, plante très ramifiée, porte, sur près de deux mètres de hauteur (parfois davantage), trois rangées de feuilles composées, largement découpées et dentées en scie. Leurs pétioles sont cylindriquement sectionnés, et non en forme de gouttière comme on peut l’observer chez l’angélique sauvage. Très amples, puisqu’elles peuvent atteindre un mètre de longueur, les feuilles de l’angélique sont deux à trois fois ailées de folioles ovales, vert clair sur le dessous. Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’angélique n’est pas une plante vivace à vie brève : elle est monocarpique, c’est-à-dire qu’elle ne fleurit qu’une seule fois dans sa vie, quelle que soit la durée de son cycle végétatif qui peut s’étaler de deux à quatre ans. Lors de sa dernière année, elle donne de larges ombelles presque globuleuses de 15 à 20 cm de diamètre, composées de 20 à 40 rayons portant de petites fleurs verdâtres, jaunâtres ou légèrement rosées (mais jamais intégralement blanches), puis des fruits, diakènes bordés d’une aile membraneuse et marqués de cinq côtés latérales.

Plante peu exigeante, l’angélique est une géante qui aime l’humidité et la fraîcheur, sans avoir à endurer un excès de chaleur, bien qu’elle éprouve une grande attraction pour le soleil, surtout lorsqu’elle est située sur les sols riches en humus et bien drainés des différents pays d’Europe où son caractère non spontané oblige donc à la cultiver : en France, elle se localise surtout à l’Île-de-France, en Auvergne, ainsi que dans les régions de Niort et de Nantes. Ailleurs en Europe, elle est (a été) cultivée, parfois en grand, dans les pays suivants : Norvège, Suède, Écosse, Angleterre, Hollande, Belgique, Allemagne, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, etc.

L’angélique apprécie à ses côtés la présence de l’ortie qui aurait une influence significative sur sa production d’essence aromatique.



L’angélique en phyto-aromathérapie

Nous avons un peu insisté sur ce point dans la première partie : à l’exclusion des racines et des semences, aucune autre fraction végétale fournie par l’angélique ne joue de rôle officinal. Commençons tout d’abord par la racine, prioritairement employée. D’odeur aromatique pénétrante, on y distingue souvent un relent musqué animal plus ou moins marqué. Quand on la goûte à l’état frais, elle propose une saveur premièrement douce, qui ne tarde pas à s’échauffer pour devenir plus âcre et piquante, amère même, tout en provoquant une abondante salivation. Contenant une grosse part d’amidon accompagné de sucres (saccharose surtout), la racine d’angélique laisse exsuder, quand on l’incise au collet comme on le fait du galbanum et de la férule, un suc gommo-résineux qui se fige finalement à l’air libre : il reflète, en partie, les composants résineux et aromatiques de la plante qui recèle bien des substances intéressantes : de l’acide angélique (dont la structure est proche de celle de l’acide valérianique), des acides organiques (acétique, pectique, malique), des acides phénoliques (caféique, chlorogénique), des acides gras, du tanin, des flavonoïdes et des phytostérols. Enfin, une essence aromatique dont les taux de rendement en huile essentielle rendent compte du caractère particulièrement chiche : déjà très faible dans les feuilles (environ 0,10 %), cette fraction aromatique grimpe un peu plus haut quand il s’agit des racines n’ayant jamais fructifié (0,30 à 1,30 %), s’établissant à un niveau plus élevé en ce qui concerne les semences (0,60 à 1,80 %). Malgré cela, l’huile essentielle de semences d’angélique est beaucoup plus rare que celle extraite des racines, au pris de revient plus élevé pourtant (tarifs moyens en bio, flacons de 5 ml : huile essentielle de racines d’angélique à 46,80 € contre 31,50 € pour l’huile essentielle de semences). Les données concernant l’huile essentielle de semences sont si faméliques et disparates que je n’ai pas été en mesure d’en dresser un portrait biochimique qui soit fidèle et complet (contrairement à l’autre). Au moins puis-je affirmer que ce liquide incolore, qui peut jaunir à force de lumière, paraît majoritairement composé de monoterpènes (α et β-pinène, α et β-phellandrène, etc.) et des très classiques furocoumarines typiques des apiacées. Quant à l’huile essentielle de racine, c’est un liquide mobile, jaune pâle à brun parfois, de densité comprise entre 0,85 et 0,875. Plusieurs adjectifs servent à en qualifier l’identité olfactive : chaude, épicée, poivrée, boisée, herbacée, tourbeuse, terreuse, sèche, cuirée, musquée, etc. Histoire de se donner une idée de la chose, qui me semble très variable, de même que sa composition biochimique, en fonction de sa provenance. Quelques chiffres et j’aborderai ultérieurement ce point :

  • Monoterpènes : 94 %. Dont α-pinène (25 %), δ-3-carène (15 %), β-phellandrène (10 %), α-phellandrène (9 %), limonène (7 %), etc.
  • Sesquiterpènes : 1 à 4 %. Dont β-caryophyllène (1 à 3 %)
  • Esters : 0,50 %
  • Coumarines : traces
  • Furocoumarines : 2 %. Dont angélicine, archangélicine, bergaptène, iso-impératorine, xanthotoxine (et plus d’une dizaine d’autres)

Ceci est un profil typique d’huile essentielle de racines d’angélique provenant de la partie centrale de l’Europe (France, Hongrie, etc.). Elle se remarque par un très fort taux de monoterpènes. Même si on lui trouve des coumarines et des furocoumarines en masse (2 %, c’est tout bonnement énorme !), elle se singularise par une quasi absence d’une classe moléculaire parfois répertoriée par la lecture spécialisée : les lactones macrocycliques. Comme ce sont eux qui confèrent à l’huile essentielle de racine d’angélique son amertume et son odeur musquée, on peut savoir si l’huile essentielle en contient ou pas selon son parfum et son goût. Il est parfois précisé que ces lactones (15-pentadécanolide, 1-3-tridécanolide, ambrettolide, etc.) représentent 7 à 20 % de la composition globale et semblent plus abondantes dans les huiles originaires des pays nordiques, ce qui s’explique par bien des facteurs dont ceux de nature géographique et climatique. On y trouve aussi, quoi que de manière fort inconstante, un taux non négligeable d’oxydes (1.8 cinéole : 15 %).

Propriétés thérapeutiques

Note : si l’on ne doit pas confondre l’angélique avec n’importe quelle berce (la grande, la caucasienne, etc.), il est bon de prendre en compte la réalité suivante : il existe donc une angélique domestique (Angelica archangelica) et une angélique sauvage particulièrement courante dans la nature en France, l’angélique des bois (Angelica sylvestris). On observe entre elles quelques différences morphologiques. Par exemple, l’angélique sauvage est plus petite et développe un parfum moins prononcé que sa sœur domestique. Concernant leurs vertus médicinales, elles sont similaires quoi que plus appuyées chez Angelica archangelica. Ce qui veut qu’en l’absence de toute source vous permettant de vous procurer de l’angélique des jardins, vous pourrez toujours jeter votre dévolu sur l’angélique sauvage.

En phytothérapie :

  • Apéritive, digestive, carminative, stomachique, fortifiante des vaisseaux intestinaux
  • Hépatoprotectrice
  • Tonique, stimulante, reconstituante et fortifiante générale (sujets nerveux, personnes âgées, affaiblies, convalescentes), cortison like
  • Sédative nerveuse puissante, antispasmodique, hypnotique légère, calmante sympathique et parasympathique du système nerveux autonome
  • Expectorante, béchique, fortifiante de la muqueuse pulmonaire et des vaisseaux bronchiques, ouvre la perspiration périphérique
  • Tonique circulatoire (micro-circulation sanguine), bénéfique aux systèmes lymphatique et vasculaire
  • Diurétique, sudorifique, dépurative
  • Emménagogue
  • Anti-rhumatismale
  • Céphalique, antinévralgique, anti-inflammatoire
  • Antibactérienne, préventive des maladies contagieuses
  • Cicatrisante, résolutive (feuille)
  • Fortifier la repousse des cheveux, en prévenir la chute

En aromathérapie :

  • Anti-infectieuse : antifongique, antibactérienne ; immunostimulante
  • Tonique, excitante (à dose idoine), lutte contre l’épuisement des forces physiques, reconstituante et équilibrante générale
  • Tonique circulatoire, augmente le nombre de globules rouges (comme l’ortie, tiens tiens…), stimulante du système lymphatique
  • Renforce le mental, lutte contre l’épuisement des forces psychiques, réconfortante, redonne confiance et courage en ses propres capacités, développe la capacité à prendre des décisions et à aller au bout des choses, renforce les capacités d’expression et de création
  • Sédative et protectrice du système nerveux (à forte dose ; au delà : dépression du système nerveux central), parasymphatolytique, antispasmodique, apaisante, calmante, relaxante
  • Carminative, digestive, protectrice du système digestif, stomachique
  • Dépurative, diurétique, sudorifique, optimise l’élimination saine des toxines
  • Expectorante, fébrifuge
  • Œstrogen like, emménagogue, freiner l’hyperfolliculinie
  • Anti-arthritique, anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

En phytothérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : asthénie fonctionnelle de l’appareil digestif, inappétence, indigestion, digestion difficile (en particulier celle des aliments gras), hyperacidité gastrique, pyrosis, aérophagie, ballonnement, flatulences, colique, crampe intestinale, spasmes gastro-intestinaux, vomissement spasmodique, entérite, dysenterie, dyspepsie, mauvaise haleine
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, asthénie d’origine hépatique, insuffisance immunitaire d’origine hépatique, hépatisme
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthénie fonctionnelle de l’appareil respiratoire, bronchite aiguë et chronique, asthme nerveux, rhume, toux, angine, coup de froid, grippe, fièvre adynamique, muqueuse, typhoïde, utile aux chanteurs et aux orateurs ; en adjuvant dans : tuberculose, pneumonie, pleurésie
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, difficiles, insuffisantes ou absentes, leucorrhée, crampe et congestion utérines
  • Troubles de la sphère circulatoire et cardiovasculaire : mauvaise circulation périphérique (mains, pieds), stase sanguine, maladie de Buerger (?), palpitations
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, agitation, tension nerveuse, stress, peur, phobie, colère explosive, émotivité, surexcitation, instabilité psychologique, insomnie d’origine nerveuse, cauchemar (chez l’enfant) asthénie intellectuelle, nerveuse et psychique, baisse de la libido chez l’homme et la femme
  • Atonie et faiblesse générales, convalescence (à la suite d’une maladie ou d’une opération chirurgicale), anorexie, chlorose, anémie, surmenage
  • Troubles locomoteurs : algie rhumatismale, contusion, douleurs articulaires et musculaires
  • Migraine (d’origine nerveuse et digestive)
  • Vertige, syncope, défaillance
  • Rachitisme, scorbut
  • Plaie
  • Douleur dentaire

En aromathérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dyspepsie, colite, entérite, crampe abdominale, gaz, ballonnement
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, sinusite
  • Troubles de la sphère gynécologique : crampe menstruelle
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, stress, crainte, montagnes russes émotionnelles, insomnie, trouble du sommeil d’origine nerveuse, fatigue nerveuse, confusion mentale
  • Surmenage, épuisement, fatigue physique, convalescence
  • Rétention d’eau, goutte, arthrite
  • Affections cutanées : psoriasis, blessure

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

« On dit que l’angélique doit avoir les racines dans l’eau et la tête au soleil »10. C’est une remarque tout à fait pertinente, tant la vie de l’angélique est bornée entre un alpha – une vigoureuse racine – et un oméga – un capitule céleste qui produit des semences, gages d’une vie future. C’est d’ailleurs à cela que se résume toute la pratique médicale : on utilise la racine née d’une graine, qui va former elle-même d’autres semences, non sans être passée par de nécessaires étapes intermédiaires. Observons bien ces deux moments : l’angélique est convoitée pour son caractère souterrain au début de sa période de végétation. On tire d’ailleurs de cette racine, surtout quand elle provient du Nord, une huile essentielle riche en lactones, classe moléculaire que j’assimile à l’élément Terre. Puis du sous-sol et de la nuit nadirale, le continuum temporel mène l’angélique à une érection et un déplacement du potentiel des forces du bas vers le haut, accédant au ciel zénithal à la fin de sa période de végétation, chose très nettement visible au sein de l’huile essentielle tirée des semences d’angélique : bourrée de monoterpènes, elle s’associe donc à l’élément Air.

Par son système racinaire, l’angélique, tout empreinte d’un certain immobilisme (c’est l’ours qui hiberne), marque néanmoins son territoire. Puis, quittant ce domaine qui n’appartient qu’au temps de la jeunesse, elle se met en mouvement, irradie non seulement selon deux plans, mais trois (il suffit, pour cela, d’observer son ombelle quasi globuleuse). Cette vivacité aérienne acquise grâce à ses semences ailées lui fait gagner en maturité. De l’une à l’autre, ça n’est plus du tout du même profil dont on parle, puisque la racine initie le commencement et la naissance, tandis que la tête couronnée de semences de l’angélique marque son apex, l’achèvement de ses forces, ainsi que sa disparition imminente. D’ailleurs, l’élixir floral d’angélique officinale est destiné aux personnes proches de la mort, tant par leur propre état de santé (personnes gravement malades ou mourantes), que pour les personnes qui les entourent et les accompagnent. Les laboratoires Deva eux-mêmes disent que « l’élixir floral d’angélique est recommandé aux personnes qui se sentent isolées et abandonnées dans les périodes de grand changement ou face à l’inconnu. C’est un élixir dit ‘du seuil’ [NdA : le deuil n’en est-il pas un ?], conseillé dans les situations de crise et chaque fois que la vie est en jeu. Il aide à prendre de la hauteur face aux difficultés et renforce la confiance en la vie. Il apporte force bienveillante et vigueur morale lorsque l’avenir est incertain ». Abandon, isolement, deuil, dépression sont les maîtres-mots auxquels répond cet élixir tiré d’une plante qui autrefois, tout comme le ginseng, passait pour une panacée de longue vie capable d’apporter la vitalité et de retarder l’échéance de la vieillesse et de la mort.

L’angélique, postée tel un Soleil (la planète qui domine la plante, secondée par les influences équilibrantes de Mars et de Vénus), rythme son monde par une alternance continue de jours séminaux et de nuits racinaires. John Donne, le grand poète britannique de la Renaissance, n’avait pas tort d’écrire que « je suis un petit monde très finement fait, d’un esprit angélique ainsi que d’éléments »…11. Bien qu’on ait vu qu’elle comptait la Terre et l’Air comme éléments, l’angélique est aussi considérée comme une plante yang de Feu par la médecine traditionnelle chinoise, stimulant l’énergie du méridien du Cœur, ce qui vaut à cette plante une capacité « propre à recréer le cœur », comme le fit remarquer le Grand Albert.

Sur l’une de mes notes volantes, j’ai écrit la chose suivante : « L’angélique détient, potentiellement, le pouvoir de créer des ‘satellites’ [NdA : du latin satelles : « garde du corps » ; on n’est pas très éloigné de l’ange gardien…] : mots, pensées, postures partagées avec autrui ». Cela rappelle que les semences de l’angélique, si elles sont animées d’une grande puissance, ne possèdent pas une énergie excessivement pérenne, c’est pourquoi l’angélique invite à la ténacité et à la patience. Ces satellites ne sont sans doute pas passés dans le ciel clair de l’angélique tout à fait par hasard : si j’en juge l’aura que j’ai observée à l’huile essentielle d’angélique : de couleur majoritairement bleu cobalt, elle se connecte de fait au chakra de la gorge, le centre des créations subtiles et intellectuelles (et, donc, de manière filigranique, à cet autre chakra, complémentaire de celui de la gorge, le chakra sacré). Mais cette aura n’est pas seulement bleue, elle est aussi « pailletée » de touches argentées : les satellites qui nous convient aux hautes sphères, puisque la couleur argent est associée, communément, au chakra de la couronne (en correspondance avec la Lune).

Matthew Wood écrit quelque chose de très intéressant au sujet de l’angélique, plante à laquelle il entremêle la médecine de l’ours : « Tout comme l’ours entre en hibernation l’hiver, la médecine de l’ours détend l’esprit, ouvre l’imagination et amène vers le temps du rêve »12. Je pense qu’il en va de même de l’angélique, qu’elle nous guide vers l’inspiration, la respiration juste du cœur et ce même temps du rêve.

Modes d’emploi

L’emploi de la plante à l’état frais est de beaucoup préférable, en particulier lorsqu’on souhaite avoir affaire aux tiges et surtout à la racine.

  • Infusion de semences : comptez 8 à 15 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn. Infusion composée contre l’asthme : comptez autant de semences d’angélique que de mélisse et de sauge officinale. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn. Variante pour les crampes d’estomac et les douleurs gastriques : semences d’angélique, absinthe, mélisse à parts égales. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn.
  • Infusion de feuilles fraîches : comptez 10 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn à couvert.
  • Infusion de racines : comptez 20 à 50 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn.
  • Décoction de racines (pour bain) : comptez 120 g de racines par litre d’eau en décoction pendant un quart d’heure. On peut alléger cette décoction (40 à 60 g de racines par litre d’eau), y ajouter des feuilles d’ortie fraîche et mener la décoction pendant 10 mn : après filtrage, on obtient une eau de rinçage après-shampooing fort efficace.
  • Mâcher une tige d’angélique fraîche rafraîchit l’haleine et promeut une bonne santé bucco-dentaire.
  • Vin d’angélique : prenez 50 à 60 g de tiges et/ou de racines fraîches, placez-les dans un litre de vin blanc doux pour une semaine. A l’issue, filtrez. Autre : 60 g de racine fraîches et 8 g de cannelle dans un litre de vin rouge pour quatre jours. Filtrez.
  • Teinture alcoolique : faites macérer au chaud pendant quatre jours 100 g de racine fraîche dans 100 cl d’alcool. A l’issue, filtrer, pressez et réservez dans de petites bouteilles en verre (les plus idéales sont celles munies d’une pipette compte-goutte). Aujourd’hui, on s’en remettra plus sûrement à un extrait de plante fraîche (cf. Herbiolys, Ladrôme, etc.).
  • Ratafia d’angélique : dans un mélange composé d’eau (10 cl) et d’eau-de-vie à 40° (90 cl), placez 6 g de semences d’angélique, 4 g de semences de fenouil et 4 g de semences d’anis. Faites macérer le tout pendant 8 à 10 jours, puis, passé ce délai, ajoutez 500 g de sucre. Laissez reposer puis filtrez.
  • Recette de liqueur composée donnée par Anne Osmont : « On en fait aussi une liqueur stomachique suivant une recette que l’on peut appliquer aussi à l’hysope, à la mélisse et à la verveine et que voici : prenez une bonne poignée de tiges coupées en morceaux, (pour les autres plantes, prenez les sommités cueillies avant floraison), et placez dans un bocal que vous remplirez d’eau-de-vie de Montpellier. Laissez macérer quarante jours en exposant le bocal fermé au Soleil tous les jours où le Soleil brillera, aussi longtemps qu’il brillera. Rentrez le bocal pour la nuit. Au bout des quarante jours, filtrez et faites un sirop sucré selon votre goût. Cette liqueur est stomachique mais elle est de plus excellente, aussi faites-en beaucoup car bien de gens éprouveront sans cause des douleurs d’estomac – tant que les flacons ne seront pas vides »13 ^.^ Autre : dans 1,5 litre d’eau-de-vie à 40°, placez 25 g de tiges fraîches d’angélique et un gramme de noix de muscade râpée. Laissez macérer pendant deux semaines. Passé ce délai, ajoutez-y un sirop simple obtenu à partir d’un kilogramme de sucre et d’un demi litre d’eau.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses et appliqué localement (contusion, plaie, luxation, etc.).
  • Huile essentielle : en usage interne, il suffira de placer une à deux gouttes sur un comprimé neutre ou tout autre substrat à convenance et de répéter l’opération deux autres fois dans la journée, sur un total de sept jours consécutifs. Par voie externe, cette huile essentielle se dilue à hauteur de 0,75 % maximum, bien qu’elle puisse s’appliquer pure en geste d’urgence (sur le plexus, l’intérieur des poignets, la voûte plantaire). Dans tous les cas, son caractère photosensibilisant oblige à ne pas s’exposer durablement au soleil pendant environ douze heures après application cutanée (et même après ingestion).

Note : dans le commerce, il existe de nombreuses préparations contenant l’angélique comme ingrédient, en particulier pour lutter contre les problèmes digestifs, de sommeil, de stress (émotions), propres à la sphère féminine, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il est évident qu’il est plus simple de ramasser des fleurs de coquelicot que d’extraire du sol une racine d’angélique ! Et dans ce cas, mieux vaut prendre des gants et porter des vêtements longs. En effet, de par un certain nombre de ses principes actifs, au simple contact de la racine fraîche avec la peau (et parfois même des feuilles !), celle-ci peut être facilement irritée (autrefois, les arracheurs de racines professionnels étaient affectés d’enflures et de dermatites sur les mains). On comprend que ce protocole quelque peu rébarbatif puisse être dissuasif pour qui souhaiterait employer l’angélique, qu’on ne trouve plus guère dans les jardins au reste, l’angélique sylvestre étant, quant à elle, beaucoup plus fréquente mais dotée de propriétés moindres. On pourrait néanmoins lui appliquer les mêmes précautions. Les feuilles de l’angélique, lorsqu’elles sont encore bien vertes, peuvent être récoltées sur les pieds en mai-juin (voire juin-juillet sous climat plus frais), puis utilisées immédiatement ou bien séchées, bien que ce ne soit clairement pas la destination idéale de cette partie végétale (peu d’usages thérapeutiques, perte de capacités par la dessiccation, etc.). Les fleurs sont à peu de choses près dans les mêmes dispositions. Les racines doivent être prélevées sur des pieds n’ayant fait l’objet d’aucune autre récolte que ce soit (ni fleur, ni pétioles, ni semences), puisque ce sont essentiellement les pieds d’angélique dans leur première année qui sont concernés par une récolte (c’est pourquoi, même si elle n’a pas fleuri, l’angélique ne peut être déchaussée dans sa deuxième ou troisième année (s’il y a lieu) : à ce stade, elle devient coriace et filandreuse, impropre à l’usage qu’on en veut faire, commençant à se vider des principes qui la font convoiter plus jeune). Il ne faut donc pas attendre que la plante fructifie pour l’arracher. A cette période, il est déjà trop tard, de même que durant la floraison. Ainsi, dès le mois de septembre (puis durant tous l’automne : novembre et décembre sont aussi deux mois de récolte), les racines d’angélique se déchaussent du sol. Ceci fait, on les lave, on les fend longitudinalement en quatre ou on les tronçonne en rondelles que l’on enfile sur une ficelle. Puis on les fait sécher au soleil (s’il est disponible à ce moment-là) ou dans un local dédié. C’est là une précaution indispensable, sachant que la racine d’angélique contient beaucoup d’eau de végétation (5 kg frais donnent 1 kg sec). Si le local de séchage est trop humide, la dessiccation peut s’en trouver entravée, les racines tronçonnées venant même à pourrir. Puis, même une fois bien sèches, les racines d’angélique se garderont dans un endroit sec, à l’abri de l’humidité, mais également des insectes qui pourraient venir y pondre. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, la racine d’angélique sèche perd (assez) rapidement ses pouvoirs thérapeutiques. Ainsi, une racine sèche doit-elle s’employer dans l’année, au maximum. Il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à utiliser celles ayant plus d’un an (d’où la nécessité de veiller attentivement sur les stocks constitués). Enfin, plus elles conservent longtemps un parfum le plus musqué possible, et mieux c’est. Concernant maintenant les semences, il y a beaucoup moins à dire car les opérations sont beaucoup plus simples. Les pieds d’angélique destinés à la cueillette des graines ne devront faire l’objet d’aucun prélèvement intermédiaire. Il ne faut pas attendre que l’angélique soit trop avancée dans sa fructification pour se soucier d’en recueillir les graines, puisque, comme l’on sait, quand elles sont trop mûres, les semences d’apiacées ont tendance à se perdre au sol. Aussi est-il primordial de rester attentif, quitte à étaler la cueillette sur plusieurs passages et visiter les ombelles pour y prélever uniquement les semences qui commencent à blanchir, puisque, sur une même ombelle, toutes les graines ne sèchent pas à la même cadence. Le séchage n’exige rien de bien particulier : on étale les semences sur un drap, sur du papier, etc., on les place à l’ombre, dans une pièce bien ventilée, et on les retourne de temps à autre. Malgré la relative rareté de l’angélique officinale dans les jardins aujourd’hui, ça n’est pas une plante totalement oubliée des herboristes : certaines bonnes adresses en France délivrent encore des racines sèches et des semences en qualité biologique. En vrac, pour 100 g, il faut compter 11 € pour la racine et 23 € pour les graines (moyennes établies auprès de plusieurs tarifs proposés par des enseignes bio). Quant aux tiges qui concernent la confiserie, elles sont récoltées durant la deuxième année de végétation de la plante, car elles sont alors plus grosses et plus tendres.
  • Culture : vous trouverez de judicieux conseils de culture de l’angélique dans l’ouvrage, certes un peu ancien, d’Antonin Rolet et de Désiré Bouret, Plantes médicinales, pp. 98-100.
  • Une curieuse façon d’utiliser cette plante avait lieu au sein de la Cour des Miracles, à Paris. Le suc de l’angélique est très irritant et les mendiants, le sachant, s’en badigeonnaient les membres afin de volontairement provoquer des ulcères et de se rendre ainsi encore plus pitoyables. Elle contient des substances photosensibilisantes plus connues sous le nom de furocoumarines dont l’une, le bergaptène, se retrouve dans l’essence de bergamote, elle-même photosensibilisante. Il serait possible de la « débergapténiser », comme cela se pratique déjà pour l’essence de bergamote. Mais, d’une, c’est plus cher, et de deux, ces fameuses furocoumarines sont responsables des effets sédatifs et calmants. Il s’agirait alors d’une huile essentielle amputée de certaines de ses propriétés. Quoi qu’il en soit, en cas d’utilisation de plantes aux vertus photosensibilisantes (millepertuis, essences d’agrumes, huiles essentielles d’apiacées, etc.) et que cela soit par usage interne ou externe, pas d’exposition solaire massive car les furocoumarines alliées aux UV créent souvent une réaction de ce type : aïe ! Donc, attention aux expositions solaires prolongées en tel cas. Les précautions à prendre eu égard à l’inconvénient de la phototoxicité de l’angélique portent avant tout sur l’emploi de l’huile essentielle d’angélique, beaucoup moins concernant une infusion de racines ou de semences d’angélique, les furocoumarines étant difficilement extraites par l’eau, même bouillante. En revanche, elles le sont davantage par des substances alcoolisées (vin, eau-de-vie surtout). Un usage inconséquent ou bien normal chez une personne sensible peut amener des cas d’irritation des reins et de l’estomac. On contre-indiquera l’utilisation de l’huile essentielle chez la femme enceinte, la femme qui allaite, les personnes diabétiques et celles affectées de troubles de la coagulation ou susceptibles de prendre des médicaments anticoagulants (du type warfarine, par exemple).
  • Botan avait beau dire que l’huile essentielle d’angélique comptait parmi « l’une des moins toxiques de toutes les plantes à parfum pénétrant »14, il n’en reste pas moins qu’à hautes doses (= deux grammes, ce qui est énorme !), cette huile essentielle provoque maux de tête, stupeur, dépression cérébrale, hématurie, néphrite et éventuellement décès.
  • La pratique de la confiserie française à base d’angélique ne saurait faire oublier les usages culinaires de l’angélique propres à d’autres contrées, très importants puisqu’on considère cette plante comme largement préférable au céleri d’un point de vue alimentaire. Très présente dans les cuisines en Chine et en Scandinavie, la plante y est utilisée des graines à la racine. En Norvège, on avait pour habitude de moudre la racine séchée et de la mêler à la farine de seigle, ce qui avait pour conséquence de rendre le pain obtenu par cuisson de cette pâte plus digestible. Au Groenland, elle est demeurée longtemps l’unique légume disponible. Les Lapons en consomment les feuilles cuites dans du lait de renne et conservent le poisson dans ces mêmes feuilles, alors qu’en Alaska, la racine est consommée après cuisson à l’eau. En Sibérie, on mange les tiges en compagnie de pain et de beurre. Par ailleurs, les usages sont multiples. On utilise la plante entière : feuilles (en compote avec des fruits acides, « thé » ; il est possible de les cuire, ce qui en renforce l’amertume. Afin d’obvier à cet inconvénient, il est préférable de les blanchir), jeunes pousses (en salade, potage, farce, sauce), racines (en légume, cuites à la vapeur ou à l’eau : à blanchir deux ou trois fois, ce qui n’est pas très économique), graines (en liquoristerie, brasserie et pâtisserie), fleurs (pour aromatiser les pâtisseries, les salades de fruits, les crèmes, etc.). On compte encore bien d’autres préparations faisant appel à l’angélique  : confitures, bonbons, sirops, vins aromatisés, etc.
  • Petit focus en ce qui concerne la liquoristerie. Avant même que de devenir une boisson que l’on prend en fin de repas, une liqueur est avant tout un élixir médicinal. Ainsi, il en va de la Chartreuse et de la Bénédictine qui sont deux élixirs qui s’invitent davantage sur nos tables que dans l’armoire à pharmacie aujourd’hui, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Cependant, passer du sacré au profane fait souvent tomber dans la vulgarité. Bien d’autres spécialités spiritueuses, liqueurs et alcools composèrent avec l’aromatique angélique : l’eau de mélisse des Carmes, la Suze, le Vermouth de Turin, le Raspail, le Vespetrò savoyard, la liqueur du Mont-d’Or (à proximité de Lyon), etc.
  • Autres industries nécessitant les bons services de l’angélique : la parfumerie, la cosmétique et la savonnerie.
  • Autres espèces d’angéliques européennes : l’angélique des bois (A. sylvestris), l’angélique de Bernard (A. sylvestris ssp. bernardiae), l’angélique des estuaires (A. heterocarpa), l’angélique de Razouls (A. razulii), l’angélique des Pyrénées (A. pyrenaea), l’angélique à feuilles de yèble (A. ebulifolia). Parmi les angéliques asiatiques, on cite souvent l’angélique chinoise (A. sinensis) dans la littérature (c’est le danggui de la médecine traditionnelle chinoise). Davantage plébiscitée que le ginseng en Chine, il pèse sur cette angélique une pression trop considérable pour qu’on choisisse de faire appel à son aide. Du côté de l’Amérique septentrionale, l’on constate l’existence de l’angélique noire pourpre (A. atropurpurea), également médicinale et comestible.

_______________

  1. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 70.
  2. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 47.
  3. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 32.
  4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 86.
  5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 60.
  6. Annie-Jeanne & Bernard Bertrand, La cuisine sauvage des haies et des talus, p. 37.
  7. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 220.
  8. Pierre-Henri-Hippolyte Bodart, Cours de botanique médicale comparée, Tome 1, p. 199.
  9. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 2, p. 405.
  10. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales, p. 100.
  11. John Donne, Poèmes sacrés et profanes, p. 161.
  12. Matthew Wood, Traité d’herboristerie énergétique, p. 158.
  13. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 47.
  14. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 17.

© Books of Dante – 2023


Berce Vs Angélique

Quelle surprise que de rencontrer côte à côte, cet après-midi même, en humide bordure d’un chemin de campagne ces deux grandes dames que sont la berce (Heracleum sphondylium) et l’angélique (Angelica sylvestris) !
La berce, déjà évoquée ici-même où elle rencontre un succès aussi grand que sa taille, offre bien des caractéristiques communes avec son angélique cousine. En voici quelques-uns.

Angélique Vs Berce 2

La taille, nous l’avons déjà évoquée. Comprise entre 2 et 2,50 m pour les sujets mâtures. De larges feuilles très découpées formant une gaine qui embrasse la tige, c’est là un deuxième point commun. L’appartenance botanique : ces deux ex-Ombellifères regroupent leurs fleurs sous la forme d’ombelles. Au bout de la tige florale se déploie une vingtaine de faisceaux porteurs de petites fleurs blanches à verdâtres. Le caractère vésicant et irritant de leur suc en est un autre. Enfin, photosensibilisantes toutes les deux.

Angélique 5

Avant d’en passer aux différences, quelques mots à propos de mon « ex-Ombellifères ». Il fut un temps où c’est par ce joli nom qu’on qualifiait la famille botanique regroupant la berce et l’angélique. Aujourd’hui, la dénomination a changé, berce et angélique font partie d’une famille qui a pour nom Apiacées. Pour en comprendre le sens, un peu d’étymologie sera souhaitable. Ce mot a été fabriqué sur le mot latin apium qui désigne le céleri, une plante appartenant également à l’actuel groupe botanique des Apiacées, lequel compte parmi ses membres la livèche, le fenouil et l’aneth entre autres.

Angélique 1

De visu, les différences sautent aux yeux. Ce sont elles qui permettent la distinction entre les deux plantes. La tige est cannelée, verte et velue chez la berce alors qu’elle est lisse, glabre et rougeâtre chez l’angélique. Les ombelles, quasiment plates chez la berce, sont davantage bombées chez l’angélique.
S’il existe véritablement des critères permettant de faire le distinguo entre berce et angélique, c’est bien de ceux-ci dont il s’agit.

© Books of Dante – 2013