La tanaisie (Tanacetum vulgaris)

Les fleurs capitulaires sans ligules de la tanaisie.

Synonymes : tanacée, tanarido (en provençal), herbe aux vers, herbe aux lombrics, herbe aux mites, herbe sainte, herbe de saint Marc, herbe de sainte Marie, herbe amère, balsamite amère, sent-bon (ça dépend pour qui…), baume, barbotine, espergonte, ganelle, remise, athanase (le mot athanasia désigne habituellement l’« immortelle ». On explique parfois le mot « tanaisie » par celui-ci).

L’on a coutume de dire que la tanaisie n’apparaît en aucun cas dans les textes de l’Antiquité. Pourtant, il est bien possible que la tanacita se dissimule derrière cette plante que le pseudo-Apulée appelle herba artemisia tragantes dans un texte, l’Herbarius, qui daterait du IV ème ou du V ème siècle après J.-C. (chez le pseudo-Dioscoride, on peut lire le mot tanaceta). Si cela est vrai, cela signifierait donc que cet auteur très peu connu (qu’on appelle aussi Sextus Apuleius Barbarus), serait le premier à donner quelques informations thérapeutiques au sujet de la tanaisie qui « est bonne pour les douleurs de la vessie, la strangurie, les douleurs aux cuisses, aux nerfs, aux pieds ainsi que pour les fièvres ».
Même plus tard, style Haut Moyen Âge, l’on n’est pas certain de savoir exactement si l’ambrosia du moine-poète Strabo n’est pas en réalité une variété de tanaisie (la variété crispum ?). En attendant, il dit cette plante emménagogue. En tous les cas, cela ne peut être ni l’ambroisie divine, ni sa consœur « diabolique » aux agressifs grains de pollen. Un peu plus tard, fin IX ème siècle, c’est là qu’on est sûr et certain de bien identifier la plante, tanazita, au sein du Capitulaire de Villis. Si ce texte en recommande et en ordonne la culture dans les jardins impériaux, l’on peut imaginer d’en faire remonter l’implantation et les usages quelques siècles (?) auparavant. On imagine que son origine est orientale, qu’elle serait venue là à la faveur des grandes invasions qui marquèrent le continent européen au milieu du premier millénaire. Il faut toujours un peu de temps avant qu’une plante venue d’ailleurs ne soit plébiscitée : voyez la tomate et la pomme de terre, par exemple, initialement boudées par les Européens à leur arrivée en Europe au XVI ème siècle. Quoi qu’il en soit, vers l’an 900, la tanaisie est suffisamment populaire des points de vue culinaire, vétérinaire et médicinal pour que le Capitulaire de Villis la compte au nombre des herbes impériales.
D’un point de vue médicinal, au Moyen-Âge l’on considère que la tanaisie est tonifiante, stomachique, fébrifuge et emménagogue. Du moins est-ce Hildegarde qui nous renseigne sur les usages que l’on faisait d’elle au XII ème siècle. Selon elle, la Reynfan – ainsi la dénomme-t-elle – « est efficace contre toutes les humeurs superflues qui s’écoulent » (1), comme la toux, le rhume, le catarrhe bronchique. Elle intervient aussi sur la sphère digestive. C’est pourquoi il faut « en manger souvent, cela adoucira l’estomac, l’allégera et assurera une bonne digestion » (2). Elle agit aussi sur la vessie (strangurie, lithiase), ainsi que sur l’utérus (douleurs menstruelles, aménorrhée, dysménorrhée). L’on peut oser dire que, dans une certaine mesure, la tanaisie est une plante de la Femme. Mais si elle aide les règles, elle devient aussi abortive à trop fortes doses, « vertu » qui était fréquemment mise à contribution au Moyen-Âge en temps de famine, par exemple. Ensuite, Hildegarde préconise la tanaisie contre les fièvres tierces et donne l’exemple d’un onguent de sauge et de tanaisie qu’on applique sur les contusions à la suite d’un coup ou d’une chute. Pour finir, elle fait référence à une plante qu’elle appelle tanacet dans un autre texte. J’aimerais bien y voir la tanaisie, mais n’en suis pas du tout certain. Voici néanmoins ce qu’elle en dit : « Si, sous l’effet de pensées multiples et diverses [surmenage ?], les connaissances et le bon sens de quelqu’un viennent à disparaître, au point qu’il sombre dans la folie, que cette personne prenne du tanacet et trois fois autant de fenouil, qu’elle fera cuire ensemble dans de l’eau ; après avoir rejeté les herbes, une fois l’eau refroidie, qu’elle en boive souvent le suc » (3).
Les dernières décennies médiévales s’écoulent puis s’achèvent, et l’on n’a toujours pas entraperçu la seule petite ligne, la moindre allusion à ce qui fait généralement la renommée de la tanaisie, c’est-à-dire une référence claire aux propriétés antiparasitaires et vermifuges de celle qu’à bon droit l’on appelle communément l’herbe aux vers. La première mention tardive de cette admirable propriété prend place dans l’œuvre de Léonard Fuchs qui écrit que « les fleurs dans le vin ou le lait réussissent merveilleusement chez les enfants pour expulser les vers de l’intestin ». Mais si l’on en juge par la manière dont Otto Brunfels (1488-1534) appelait la tanaisie – wurmsot (wurm signifiant « ver » en allemand), l’on prend conscience que cette vertu vermifuge est bien plus anciennement connue que cela. L’on prétend même que certains réceptuaires médiévaux en font état. Ce qui est curieux, c’est qu’on n’en ait pas parlé auparavant, car l’on n’omettra pas de considérer que les vers sont un problème plus qu’épineux au Moyen-Âge : ils sont partout, témoins opiniâtres d’un criant manque d’hygiène (au sens large du terme). Et, face aux vers, la tanaisie fait, si je puis me permettre, mouche ! Elle « combat tous ces hôtes indésirables mais également poux, puces et le maître de la vermine lui-même » (4). La tanaisie fraierait-elle avec le domaine des ombres ? Quel mystère se cache-t-il dans le ver ? Eh bien, l’on peut affirmer que la tanaisie possède un étroit rapport avec la nuit et l’obscurité, dans le sens où elle débusque les malignes petites bestioles qui peuplent les sombres recoins de notre anatomie. Et si elle fait fuir le ver, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne parvienne pas à déloger celui qui l’incarne, du moins ses sbires et toutes les ficelles traîtresses qu’ils tendent insidieusement dans l’ombre, ce qui nous place dans un plan plus mental et psychique, l’envers n’étant pas autre chose que le reflet de l’endroit. « C’est lors de la pleine lune d’août, célébrée par une ancienne fête païenne, qu’il fallait faire provision d’herbe aux vers [et d’autres plantes. En] bouquets magiques suspendus devant la maison et l’étable, [elles] écartaient le mauvais œil, les démons, la grêle et la foudre […] Un fagot d’herbe aux vers, allumé et passé sous le lit d’un enfant, chassait les influences malignes et rendait celui-ci ‘gai et beau’ » (5), au contraire de celui qui, assailli et tourmenté par les vers, exprime son embarras par une expression renfrognée dont on peut se demander l’origine. Il n’est pas toujours question d’envoûtement, fort heureusement ! Vous avez vu à quoi ressemble la tronche du gamin des publicités pour le Vermifuge Lune ? Qui souffre le martyre sous l’œil égrillard de la Lune dont on se demande si elle ne se fiche pas un peu de ce lamentable enfant vermineux !
Dans l’idéal, on devrait (se) vermifuger tous les mois à l’approche de la pleine Lune (trois jours avant, trois jours après) ; au moins, deux fois dans l’année. L’on a observé, probablement empiriquement, une corrélation entre lunaison et capacité d’une substance vermifuge à mieux faire son office. Vermifuge Lune ! Tout une époque, avec slogan publicitaire chanté, composé par le poète Robert Desnos (1901-1945), s’il vous plaît :

Le bon Vermifug’ Lune
Fait la joie des parents
Le bon Vermifug’ Lune
La santé des enfants.

Si votre enfant a des cauchemars
Si sa langue est chargée
Si son intestin n’est pas libre
Donnez-lui la fameuse cure de bon Vermifuge Lune.

Le bon Vermifuge Lune
Est la source de santé de l’enfant
Vous trouverez le bon Vermifuge Lune
Chez votre pharmacien sous forme de poudre ou de sirop.

On en donne aux p’tites filles
Pour que leur regard brille,
On en donne aux garçons,
Qui devienn’t forts comm’ des lions.

Bien. Après cette page de publicité, revenons-en à nos moutons, parce que « outre la vertu de fortifier l’estomac et de tuer les vers, [Jean-Baptiste Chomel nous explique en 1712 que] la tanaisie est apéritive, hystérique et céphalique ; elle emporte les obstructions et nettoie les conduits de l’urine : elle est utile dans l’hydropisie, dans la jaunisse et dans les pâles couleurs ». A quoi le Dictionnaire de Trévoux (XVIII ème siècle) ajoute qu’elle est vulnéraire et « bonne pour la colique néphrétique, pour exciter les menstrues, pour les vapeurs et pour les vents ». Enfin, l’on peut dire que c’est un diurétique et un très bon fébrifuge.

Évidemment impliquée dans la pratique médicale qui s’adresse à l’homme, la tanaisie est presque aussi connue comme remède vétérinaire. Au Moyen-Âge, on use surtout de ses vertus insectifuges. Des bouquets de rameaux frais suspendus là où c’est nécessaire permettent d’éloigner certaines insectes dits nuisibles (c’est un succédané du pyrèthre, autre insecticide populaire). On peut placer des feuilles fraîches de tanaisie dans les armoires à linges, entre le sommier et le matelas. Ainsi, elles luttent efficacement contre les puces et les punaises, ainsi que les mites et les fourmis que son odeur insupporte. On peut faire de même dans la niche ou le panier d’un chien, ou sur les lieux que fréquentent les chats habituellement. Dans les poulaillers, la tanaisie met les poux en fuite. Avec elle, on soigne les coliques des animaux, on l’utilise aussi pour les vermifuger, et dans certains coins d’Allemagne, « on verse du suc de tanaisie extrait par compression dans les ruches malades » (6).
Dans le garde-manger, ses feuilles servirent même d’« emballage » pour assurer aux pièces de viande une bonne conservation, en éloigner les mouches et, par voie de conséquence, les vers.
Au jardin, l’on peut fabriquer un insecticide naturel en faisant macérer un demi kilogramme d’absinthe fraîche et la même quantité de tanaisie, également fraîche, dans dix litres d’eau pendant quelques jours. C’est là un produit efficace que l’on pulvérise face au doryphore (Leptinotarsa decemlineata), à l’altise du chou (Phyllotreta nemorum) et aux vers qui accablent les fruitiers.
La plupart de ces modes d’emploi seront d’autant plus efficaces que la tanaisie aura été employée fraîche : en ce cas, une fois coupée, elle prodigue ses qualités olfactives pendant longtemps. C’est ce qui, pense-t-on, lui a valu le nom latin de tanacetum, tiré du grec tanaos qui signifie « grand âge », car la plante, même coupée, résiste longtemps sans se faner, un peu à la manière d’une immortelle (athanasia, comme nous l’avons souligné).
Il n’y a pas que les feuilles de chou qui apprécient les bons offices de la tanaisie. En Europe centrale, « l’arôme très persistant des feuilles plaît tellement que les femmes en conservent dans leurs livres de prières avec l’hysope et le romarin » (7), sans doute comme protection, parce que la tanaisie, alias herbe sainte, forme avec l’hysope et le romarin un excellent trio chasse-diable. Cette plante, venant au secours des écritures saintes, explique peut-être par là ses surnoms d’herbe de saint Marc et de sainte Marie…
Cette affection pour le parfum de la tanaisie était aussi partagée par les Anglais du siècle d’Élisabeth I ère. Sa saveur, dit-on, fut fort goûtée, comme quoi, palais et langue, papilles gustatives et olfactives, s’adaptent selon les époques (autrement dit : c’est culturel). Plus tôt déjà, le Mesnagier de Paris, soit l’un des plus importants documents gastronomiques du Moyen-Âge, fait la part belle à cette plante, dont l’arôme subtile et l’intense amertume joue le rôle de condiment dans un certain nombre de recettes, comme celle des œufs à la tanaisie par exemple, qui nous rapproche d’un usage britannique plus tardif où le suc de tanaisie apportait son parfum à des omelettes sucrées pour lesquelles la tanaisie imprima jusqu’à son nom, puisqu’on les appelait tansies, pluriel du mot tansy qualifiant la plante en anglais.

Rustique et vivace, la buissonnante tanaisie se fixe en terre à l’aide d’une puissante souche rhizomateuse qui peut s’avérer envahissante, ce qui donne lieu, parfois, à des touffes coloniaires de tanaisie qui ne sont pas s’en rappeler celles de sureau hièble.
Ses tiges dressées, creuses mais dures, sont longitudinalement striée. Leur hauteur peut atteindre voire dépasser 120 cm (on peut trouver des sujets de 150 à 160 cm). Bien que peu ramifiées, les tiges très feuillées de cette plante renforcent son aspect buissonneux. Des feuilles amples, alternes, très dentées, dites pennatilobées, comptent généralement une douzaine de folioles de par et d’autre de l’axe foliaire.
La floraison est très particulière : les capitules jaune d’or de la tanaisie sont aussi intenses dans leur couleur que les feuilles. Ils ont la particularité, bien que perchés sur des pédoncules d’inégale longueur, d’être alignés sur le même plan et de présenter leur forme discoïde, joints les uns aux autres de manière très drue, comme on peut aussi le voir chez l’achillée. Il faut dire que ces capitules, intégralement formés de fleurons tubulés, ne comportent pas de ligules qui obligeraient à un éloignement minimum d’un capitule à l’autre. Pas de ligules ? On se serre les uns contre les autres comme des petits pois dans leur cosse. Ces capitules en bouton de chemise d’un centimètre de diamètre fleurissent de juin à octobre et laissent place à de minuscules têtes comme celles du tournesol où sont enchâssés des akènes sans aigrette, ourlés chacun d’un rebord membraneux formant couronne.
La tanaisie est une plante relativement courante en plaine et en moyenne montagne (1500 m maximum). On l’observe assez peu dans l’Ouest et dans le Sud de la France, mais partout ailleurs elle sait se distinguer en ces lieux qui marquent la proximité de l’homme ou de ses passages : talus, haie, bordure de chemin, décombres, déblais, tas de détritus, terrains vagues et incultes, abord des voies ferrées, prairies et jardins. Dans tous les cas, sur sols assez humides, ensoleillés ou placés à mi-ombre.

La tanaisie en phytothérapie

Voici une plante similaire en vertus à l’absinthe ou encore à la matricaire. Ça annonce dès lors le pedigree si je puis dire, et cette exigence de rappeler que la tanaisie, bien qu’elle n’ait jamais été aussi glorieusement vantée depuis des temps immémoriaux comme la sauge, pour prendre un exemple évident, n’en est pas moins une plante qui mérite d’être (re)connue, et non négligée parce que quelques mains hasardeuses (et pas forcément bien intentionnées) lui ont collé une estampille à faire peur. Nous aurons ici l’opportunité de nuancer la soi-disant toxicité de la tanaisie. J’en utilise moi-même en petite quantité tous les jours ou presque, et je ne suis (toujours) pas mort !
A l’état frais, par temps chaud, la tanaisie, dès qu’on l’approche, propage dans l’atmosphère une odeur pour le moins entêtante, qui peut être étiquetée comme désagréable, voire repoussante pour certains, alors que d’autres y perçoivent comme un parfum camphré ou balsamique. Sur la question de sa saveur, là, on est unanime : tout comme l’absinthe, la tanaisie est très amère et âcre, et développe même des relents quelque peu épicés et/ou nauséeux. Cette amertume s’explique par des lactones sesquiterpéniques, dont l’un est connu depuis longtemps, la tanacétine. Viennent ensuite une flopée de flavonoïdes (cynaroside, orientine, lutéoline, etc.) et d’acides (malique, citrique, oxalique, butyrique, caféique, chlorogénique). La partie tannique est assurée par l’acide gallique et l’acide tanacétotannique. A cela, que peut-on encore ajouter ? Les substances suivantes : de la gomme, une coumarine (au moins), de l’inuline (dans la racine), du manganèse (quantité remarquable), un pigment jaune, enfin une huile grasse et une huile éthérée ou essence aromatique spéciale, que l’on extrait des sommités fleuries et des feuilles par le biais de la classique méthode de l’hydrodistillation qui permet d’obtenir au grand maximum 0,6 % d’huile essentielle dont la couleur varie du jaune au vert foncé, avec une tendance à brunir quand elle s’oxyde. Sa saveur âcre et amère la rend redoutée, d’autant que son point éclair très bas, 21° C, fait d’elle un produit facilement inflammable.
Avec l’absinthe, l’armoise vulgaire, l’hysope officinale et d’autres encore, l’huile essentielle de tanaisie est interdite à la vente libre en France, elle ne peut être délivrée que par un pharmacien (monopole pharmaceutique), puisque classée parmi les huiles essentielles à haute teneur en cétones monoterpéniques. A nouveau, nous retrouvons ces thuyones, plus précisément α & β-thuyone (qu’anciennement on appelait, pour l’occasion, tanacétone). Voici un petit tour d’horizon concernant la composition biochimique de cette huile essentielle :

  • Cétones monoterpéniques : α-thuyone, β-thuyone, camphre, artémisiacétone, camphone, isopinocamphone, pipéritone
  • Esters : acétate de chrysanthényl
  • Oxydes : 1.8 cinéole
  • Monoterpènes : limonène, sabinène, paracymène
  • Sesquiterpènes : germacrène D
  • Monoterpénols : bornéol

Selon l’origine de la plante, le taux de cétones est très différent. Il peut s’affoler avec des fractions de pas loin de 90 %, ou bien s’assagir un peu et stationner autour de 40 %. Parfois, c’est la β-thuyone qui domine largement (87,6 %), ou bien c’est à l’α-thuyone que revient la plus grosse part du gâteau cétonique (26 %), au coude-à-coude, non pas avec une autre cétone, mais un ester, l’acétate de chrysanthényl (30 %).
Qu’elle provienne de Roumanie, de Slovénie ou encore de France, on observe, comme nous l’avions remarqué à travers l’huile essentielle d’armoise vulgaire, d’énormes disparités moléculaires.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique amère, stimulante (parfois trop : on la dit alors excitante)
  • Tonique digestive, stomachique, vermifuge
  • Fébrifuge (elle est, sur ce point, équivalente à la camomille romaine et à la petite centaurée)
  • Mucolytique
  • Diurétique
  • Antispasmodique
  • Emménagogue
  • Détersive, résolutive, antiseptique cutanée
  • Insectifuge, insecticide, antiparasitaire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion difficile, atonie des voies digestives, dyspepsie nerveuse, diarrhée chronique, colite spasmodique, douleur gastrique, gastrodynie (?), parasites intestinaux (ascarides, oxyures, ténias)
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, aménorrhée asthénique, dysménorrhée atonique ou nerveuse, menstruations irrégulières, leucorrhée, engorgement des seins au moment du sevrage, préparation à l’accouchement (le faciliter et le rendre moins douloureux), prévenir les fausses couches (?)
  • Troubles de la sphère circulatoire : varice, hémorroïde
  • Troubles de la sphère pulmonaire : rhume, catarrhe bronchique
  • Troubles locomoteurs : entorse, foulure, lumbago, crampe et spasmes musculaires, points douloureux de la goutte, rhumatisme, rhumatisme chronique, carie osseuse
  • Œdème, hydropisie, anasarque, engorgement lymphatique
  • Affections cutanées : plaie, plaie suppurante, ulcère (atonique, sordide, gangreneux, vermineux), gerçure, contusion, ecchymose
  • Anémie, chlorose, faiblesse, épuisement, convalescence
  • Faiblesse et épuisement nerveux, nervosisme, état dépressif (?)
  • Fièvre, fièvre intermittente, fièvre intermittente rebelle
  • Rage de dents

Modes d’emploi

  • Infusion et infusion concentrée de sommités fleuries, de feuilles ou de semences.
  • Décoction de la plante entière.
  • Macération dans le vin blanc ou rouge, le cidre, la bière, l’huile d’olive.
  • Sirop.
  • Teinture alcoolique.
  • Poudre de semences dans du sirop, dans du miel, délayée dans un peu de vin.
  • Cataplasme de feuilles (ou de la plante entière) cuites en décoction dans l’eau ou le vin. On filtre, on épuise le liquide et l’on applique la plante localement.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles, généralement en juillet (ou plus tôt : si besoin au printemps), les sommités fleuries tout au long du mois d’août, enfin les semences dès qu’elles sont bien mûres, en septembre-octobre par là. Rappelez-vous que ces semences sont des akènes sans aigrette, c’est-à-dire qu’ils ne s’envolent pas au premier coup de vent comme le fait si bien le pissenlit ; en revanche, les pieds défleuris peuvent être picorés par les oiseaux. Aussi, si vous souhaitez récupérer quelques graines, il vous faudra veiller au grain ;-)
  • Séchage : il est très facile, la tanaisie n’étant pas trop difficile sur ce chapitre et présente l’immense avantage de ne rien perdre de sa saveur, ni de ses propriétés thérapeutiques une fois sèche. Pour cela, on réunit les sommités fleuries en bouquets pendus la tête en bas. On peut aussi les placer en guirlande sur un fil tendu, ou à plat sur des claies. Une feuille qui reste bien verte une fois sèche est un bon indice de réussite.
  • Toxicité : hormis les caractéristiques de son huile essentielle, il n’y a pas grand-chose à « reprocher » à la tanaisie : « Dans la pratique médicale, cette action toxique [nda : id est user de la tanaisie en interne aux doses physiologiques] ne peut constituer un écueil à l’emploi de la tanaisie, les doses auxquelles ont la prescrit représentant une proportion très faible du principe actif » (8). Cependant, un usage modéré et peu prolongé sera de rigueur.
    L’huile essentielle de tanaisie est, de fait, épileptisante, convulsivante et tétanisante. Les premiers symptômes d’intoxication surviennent avec des doses faibles (2 à 3 g), le décès peut être provoqué par une plus importante quantité (5 à 15 g). Avant d’en arriver à une issue aussi funeste, on observe une augmentation du rythme respiratoire et du pouls, ainsi que du rythme cardiaque. Certains organes internes tendent à se dégrader (par exemple, l’utérus est affecté d’hémorragies non fonctionnelles). Les pupilles se dilatent, le sujet hallucine et convulse à la manière d’un animal enragé. On appelle ce phénomène la rage tanacétique, caractérisée par un excès de salive et une tendance à vouloir mordre. Les pertes de conscience s’accompagnent d’une paralysie qui peut mener à un arrêt respiratoire ou cardiaque.
    C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’on a abandonné l’emploi thérapeutique de l’huile essentielle de tanaisie vulgaire. Si vous devez avoir affaire à une huile essentielle de tanaisie, ce ne saurait être que celle de tanaisie annuelle (Vogtia annua).
  • Alimentation : il ne faut pas s’attendre à tirer de la tanaisie plus qu’une maigre pitance. Ce sont surtout les semences qui sont condimentaires, saupoudrées avec parcimonie sur les viandes et le gibier, les pâtés, les gâteaux. Les feuilles, qui servirent autrefois de substitut au houblon dans l’industrie brassicole, peuvent s’émietter finement une fois sèches (penser à ôter la nervure centrale) et ainsi agrémenter une salade toute simple (de la laitue, par exemple) ou bien plus complexe, en mélange avec des feuilles d’ortie sèches, de l’ail des ours, etc. Dans son Grand Dictionnaire de cuisine (1873), Alexandre Dumas expliquait très clairement que la tanaisie comptait au nombre des dix plantes recommandées pour l’assaisonnement.
  • Des fleurs, l’on obtient un pigment jaune d’or qui, après mordançage par l’alun, est apte à teindre la laine. Des semences, l’on tirerait, parait-il, un pigment vert.
  • Autres espèces : une variété, tout d’abord : Tanacetum vulgare var. crispum. Ses feuilles crépues lui valent d’entrer dans la composition de bouquets en fleuristerie.
    D’autres tanacetum :
    Tanacetum annuum (nom remplacé par Vogtia annua) : la tanaisie annuelle (ou tanaisie bleue)
    Tanacetum parthenium : la grande camomille
    Tanacetum corymbosum : la tanaisie en corymbe
    Tanacetum coccineum : le pyrèthre rose
    Tanacetum cinerariifolium : le pyrèthre de Dalmatie
  • Faux ami : la « tanaisie sauvage ». C’est ainsi qu’on surnomme parfois la potentille ansérine (Potentilla anserina), en raison d’une similarité foliaire avec la tanaisie.
    _______________
    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 69.
    2. Ibid.
    3. Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes, p. 202.
    4. Erika Laïs & Laurent Terrasson, Mes plantes magiques, p. 57.
    5. Ibid., p. 58.
    6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 275.
    7. Ibid.
    8. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 31.

© Books of Dante – 2020

Tanaisie vulgaire à droite et sa variété crépue à gauche.

De l’absinthe et de l’absinthisme

Affiche d’Henri Privat-Livemont (1861-1936) pour l’absinthe Robette (1896).

« Prenez garde qu’il n’y ait parmi vous aucun homme, ni femme, ni famille, ni tribu, qui détourne aujourd’hui son cœur de l’Éternel notre Dieu, pour aller servir les dieux de ces nations, et qu’il n’y ait entre vous quelque racine qui produise du fiel et de l’amertume. » Ainsi Moïse exhorte-t-il son peuple dans le Deutéronome (XXIX, 18). Si l’on doit condenser ce que représente l’absinthe biblique, l’on peut établir la liste de mots-clés suivante qui n’a rien d’exhaustive : le fiel et la bile, l’ab-sainte (dénuée de sainteté), l’autre et l’étranger, la ciguë et le poison, la bourrelle et le repoussoir, le suppôt du diable, le serpent aux paroles apparemment mielleuses et suaves comme l’huile, mais qui, lorsque qu’il quitte le jardin d’Éden, laisse dans son sillage des pieds d’absinthe qui poussent spontanément après lui.

Plutôt que d’accorder trop longuement la parole aux docteurs de l’Église, adressons-nous aux docteurs… en médecine, pour savoir ce qu’ils pensent de tout cela.

Chez les Anciens, on avait bien remarqué qu’un usage trop fréquent de l’absinthe (c’est-à-dire utilisée comme plante médicinale sous forme de vin d’absinthe en particulier), nuisait particulièrement à la tête, provoquait des vertiges, enflammait les yeux et injectait les conjonctives. Johann Friedrich Cartheuser, médecin allemand du XVIII ème siècle, en vint à proscrire l’absinthe de sa pratique en raison de ses vertus prétendument narcotiques. Un peu plus tard, à une époque où la liqueur d’absinthe n’est pas tant en vogue, Joseph Roques explique que « l’absinthe communique au vin, à l’alcool, à la bière, une propriété enivrante très remarquable » (1). Deux décennies plus tard, Cazin fait une remarque à peu près identique : la bière à laquelle on substitue le houblon par l’absinthe enivre davantage. D’autres médecins du XIX ème siècle, siècle par excellence de la liqueur d’absinthe, renforcent par leurs propos ceux de Roques et de Cazin. Armand Trousseau et Hermann Pidoux sont certains « que la liqueur connue sous le nom d’eau ou de crème d’absinthe, enivre très facilement, produit des vertiges et un état nauséeux qui n’appartient pas à l’alcool, mais à l’absinthe » (2). Plus de vingt ans avant ces auteurs, Roques avait déjà consigné un effet d’accoutumance : « Tous les gourmands connaissent les liqueurs spiritueuses qu’on prépare avec l’absinthe. Un ou deux petits verres de ces liqueurs excitantes, qu’ils boivent avant les repas, les disposent à mieux savourer les délices de la table ; mais peu à peu l’estomac s’y habitue, et il faut doubler, tripler les doses pour lui donner une nouvelle énergie » (3). Nous ne sommes jamais là qu’en présence d’une utilisation thérapeutique de l’absinthe, qui passera du statut de préparation médicinale à celle de l’apéritif ou du digestif de confort comme l’histoire en compte tant. Il n’est plus besoin de s’adresser à une officine pour se procurer de ces produits : les restaurants, bars et grandes surfaces en proposent, la composition d’officine ayant migré chez l’épicier. Mais encore cela n’est-il que progressif, un bond prodigieux ayant été effectué entre la naissance de l’absinthe à Pontarlier en 1805, par les bonnes œuvres de Henri-Louis Pernod, jusqu’au couperet de l’interdiction plus d’un siècle plus tard. Cette habitude consommatoire reste périphérique au début du XIX ème siècle, et surtout très locale. En 1850, sa consommation est très loin d’avoir atteint la suprématie qu’on lui connaît un demi siècle plus tard. Quelques données chiffrées vont permettre de se rendre compte de la fulgurante ascension de l’absinthe entre les années 1873 et 1910. Les chiffres suivants communiquent la consommation annuelle d’absinthe en France exprimée en hectolitres :

  • 1873 : 6713
  • 1884 : 49 335
  • 1894 : 125 078
  • 1904 : 209 129
  • 1908 : 310 868
  • 1910 : 350 000

En moins de 40 ans, la consommation a été multipliée par 52, ce qui représente une véritable explosion de + 5113 %, alors que dans ce même laps de temps, la population française ne s’accroît que d’à peine 10 % (4). Bien sûr, pour fournir ce marché qui devient de plus en plus lucratif, il importe de mettre la plante en culture afin de satisfaire la demande. Ainsi l’exploitation en grand de l’absinthe est-elle décidée dans bien des pays d’Europe : Danemark, Grande-Bretagne, Hongrie, Roumanie, sud de l’Allemagne, Suisse, France, diverses autres régions méditerranéennes encore… Une fois que la matière végétale est disponible, il n’y a plus qu’à mettre en œuvre un travail qui, en fonction des plantes nécessaires, des proportions de chacune, de l’alambic, de la qualité de l’eau et de l’alcool utilisés pour ce faire, du savoir-faire du distillateur, etc., permet d’obtenir un résultat très variable, même si cette boisson fait l’objet d’une production quasi industrielle (elle l’est surtout d’un point de vue quantitatif). Qu’on ne se méprenne pas : il existe, en vérité, bien plus qu’une seule absinthe, une foule de recettes bien différentes est là pour en attester. Le Nouveau dictionnaire des sciences (ouvrage régulièrement édité il y a un siècle), répertorie l’une d’elles  :

  • Grande absinthe sèche : 2,5 kg
  • Hysope en fleurs sèche : 0,5 kg
  • Mélisse sèche : 0,5 kg
  • Anis vert pilé : 2 kg
  • Alcool à 85 ° : 16 litres

L’on mettait en place une étape de macération, puis une autre de distillation alcoolique, ce qui permettait d’obtenir non pas une liqueur (5), mais une teinture alcoolique titrant en moyenne 68 à 72°. Il existe bien d’autres recettes qui demandent d’employer des plantes supplémentaires comme l’armoise, la badiane, la menthe poivrée, le fenouil, la marjolaine, la cannelle, l’angélique, le curcuma, la coriandre, la baie de genévrier, etc. Par exemple, en Suisse, un distillateur (Philippe Martin, du village de Boveresse dans le Val-de-Travers) a fixé à dix le nombre de plantes que requiert sa recette. Bien avant lui, on ajoutait aussi des additifs pour sophistiquer le produit final, en particulier sa couleur. Pour cette tâche, étaient conviées les sucs des plantes suivantes : la mélisse et l’hysope une fois de plus, la menthe, la petite absinthe, mais également des végétaux qui n’ont rien d’aromatique (cresson, ortie, persil, épinard, luzerne), afin que la fée soit bien verte. On la colorait aussi artificiellement à l’aide de sels de cuivre et de sulfate de zinc.
La distillation n’était pas la seule manière de fabriquer de l’absinthe. Des absinthes de moins bonne qualité étaient obtenues en dissolvant un certain nombre d’huiles essentielles (badiane, fenouil, absinthe) dans un alcool industriel parfois mal rectifié. Dans ce cas, l’adjonction des essences cherchait moins à fabriquer de l’absinthe qu’à dissimuler le mauvais goût de cet alcool que, de toute façon, l’on réservait aux pauvres. On faisait parfois un peu mieux : on coupait l’absinthe de distillation avec de l’alcool de contrebande dont on se demande de quoi il était lui-même constitué. C’est pour cette raison qu’on trouva nombre d’absinthes frelatées sur le marché français et européen au cours du XIX ème siècle. Malgré toute cette débauche de moyens aussi malhonnêtes les uns que les autres, ce n’est pas cela qui provoqua la disgrâce de l’absinthe.
En attendant de parvenir à ce point de non-retour, des études de plus en plus nombreuses (comme si elles suivaient le rythme de la consommation galopante de l’absinthe), voient le jour en France dès la fin des années 1860 : elles s’attachent à mettre en évidence les effets néfastes et toxiques de l’absinthe sur la santé. Dans quelle mesure la seule « essence » (= huile essentielle) d’absinthe est-elle responsable de ce qu’on présente comme le pire fléau social au début du XX ème siècle ? On incrimine la thuyone, dont les propriétés convulsivantes étaient déjà connues à l’époque. « Libérée par la distillation, [elle] provoque des crises d’épilepsie et entraîne des dommages irréversibles » (6). Encore faut-il apporter une nuance : considère-t-on l’intoxication aiguë ou chronique ? S’attache-t-on à bien différencier un usage normal d’un usage excessif ? Prend-on en compte le fait que la thuyone, bien que suspecte, ne mène pas à elle seule à la démence ? Quel rôle l’alcool joue-t-il dans ces troubles en tant que second toxique présent dans l’absinthe ? Cet alcool avec lequel on distillait, était-il toujours de l’éthanol ou bien ce sous-produit de la distillation du bois qu’est le méthanol ? Le consommateur d’absinthe ingurgitait-il d’autres tord-boyaux et brûle-gueule ?
Une « dose » d’absinthe, soit à peu près deux cuillerées à soupe, équivaut à 0,05-0,10 g d’huile essentielle d’absinthe et 0,30-0,80 g des autres huiles essentielles présentes dans cette boisson. Mais comme nous avons dit qu’il n’existe pas ou peu d’absinthe standardisée, il est difficile d’admettre la même toxicité d’un produit à l’autre, qui reste variable selon les individus, le terrain morbide qui les affectent déjà, la consommation concomitante d’autres substances (laudanum, opium, haschisch…). L’intoxication à l’essence d’absinthe à travers la consommation du produit du même nom peut mener à ce que l’on appelle l’épilepsie absinthique de Magnan. Elle se caractérise par une phase d’excitation semblable à l’ivresse, des troubles sensorimoteurs, psychiques et mentaux, de l’agitation et des tremblements, des hallucinations et frayeurs soudaines, une tendance à l’abrutissement et à l’hébétude, menant droit à une déchéance pour laquelle il n’existait pas de remède. « L’exaspération de la sensibilité transformant les sensations en vives douleurs, les paralysies locales ou générales, un delirium tremens à forme épileptique et l’aliénation mentale formeraient l’aboutissement de l’absinthisme chronique » (7).
Il est évident que supprimer l’absinthe de la teinture d’absinthe fait disparaître l’absinthisme. Mais ce n’est pas de l’absinthe en ce cas. On peut se demander quelle est la part de responsabilité réelle de l’absinthe et de sa β-thuyone dans l’absinthisme : il ne s’agit pas forcément de disculper l’absinthe, mais de démêler si possible l’imbroglio, sachant, de plus, qu’on trouve dans la liqueur d’absinthe bien plus que la plante du même nom : il s’y trouve, comme nous l’avons dit plus haut, au moins les essences d’anis vert, de fenouil, d’hysope et de mélisse. Hormis cette dernière, toutes les autres, par leur trans-anéthol ou leurs cétones monoterpéniques, peuvent avoir, à doses élevées prises au long cours, des effets pernicieux sur la santé cérébrale (8).

« Partout où l’hydre verte paraît, paraissent le crime et la folie », stipulait une pétition de l’époque en vue de faire interdire ce que beaucoup parmi ses détracteurs qualifiaient de poison vert. Si cette couleur est généralement associée à la guérison, à la médecine et à la pharmacie, elle peut prendre des connotations bien plus funestes. Je précise que le symbole des pharmaciens – le serpent escaladant la coupe d’Hygie – n’a pas de rapport avec notre propos, bien qu’un serpent enlaçant un verre à pied verdâtre peut surprendre. Ne va-t-il pas cracher son venin dans le contenu, souiller le remède ?
On le sait, la Franche-Comté est terre d’absinthe. Cette région est traversée par une rivière de 122,2 km, la Loue. D’un point de vue légendaire, l’on dit que cette rivière serait née à l’issue « du combat homérique de la vouivre et d’une ‘louve’ dont elle aurait dévoré la portée. Le sang versé se serait mué en eau verte » (9). Que la fiction peut rejoindre la réalité, même temporairement ! Le 11 août 1901, la foudre s’abat sur l’usine Pernod de Pontarlier. L’incendie est immédiat, et compte tenu des quantités d’alcool présentes sur le site, l’explosion de l’usine et du quartier est à craindre. On ouvre les vannes, pour ne pas risquer un malheur, en déversant le contenu des cuves dans le Doubs qui « s’imprégna de l’absinthe qui coulait à flots […] et quelques dizaines d’heures après, la Loue était plus verte, plus amère » (10). C’est ainsi qu’on se rendit compte que cette rivière était en fait une résurgence du Doubs. Paraît-il que des soldats en garnison sur le secteur pêchèrent l’eau absinthée avec leur casque.
Avant même cet avertissement (la foudre divine ?) qui rappelle quelque peu le fragment de l’apocalypse de saint Jean, les industriels concernés par le juteux marché de l’absinthe sentent le vent tourner. Face à la cabale dont est victime l’absinthe, ils tentent depuis quelques années déjà de montrer patte blanche à leurs contempteurs. Et cela commence, comment s’en étonner, dans le Doubs. La société Cusenier, basée à Ornans, proposa à la vente une absinthe « oxygénée » pour laquelle l’inventeur expliqua que l’oxygène, gaz vital, conférait à son absinthe le statut de breuvage de santé et de vie. Farces et attrapes. On ne fut pas dupes. En 1902, les établissements Saint-André à Paris proposèrent une absinthe « hygiénique » sans alcool, et l’année suivante l’absinthe lyonnaise de chez Bellecombe passa de l’O2 à l’O3, mettant pas moins qu’une absinthe « ozonée » à la portée du public ! En 1912, après l’absinthe sans alcool, l’entreprise pontissalienne Cousin imagina une absinthe soi-disant sans thuyone à grand renfort de publicité.

Malgré tout ces efforts, ces appels du pied à Hygie, rien n’y fit. L’absinthe était dans le viseur des ligues de lutte contre l’alcoolisme, des médecins (comme probable et puissante favorisante de la tuberculose entre autres) et des… vignerons (lobby à l’appui). Ces derniers, après avoir bataillé longuement contre le phylloxera qui apparaît en France dans les années 1861-1863, se trouvent, à l’aube du XX ème siècle confrontés à une crise de surproduction qui s’étalera pendant plusieurs années. Les prix baissent, les débouchés reculent, la misère augmente. Tout cela mènera à la révolte des vignerons languedociens en 1907 qui sera réprimée dans le sang par Clemenceau. (Il faut, je pense, imaginer l’immense manifestation qui a lieu le 9 juin 1907 à Montpellier, regroupant entre 600 et 800 000 personnes !) La misère porte bien des visages et, pour s’expliquer elle-même, s’attaque bien souvent à des boucs émissaires. A l’époque, en plus des aléas climatiques, les vignerons ont affaire à la concurrence, non pas de la verte, mais des vins à bas prix venus de l’étranger. Mais qui ne peut plus boire d’absinthe, boira bien du vin, n’est-ce pas ? L’interdiction de l’absinthe est aussi une affaire de gros sous, ainsi qu’une histoire politique, le milieu viticole employant une plus grande masse salariale que celui de l’absinthe. Tous ces vignerons en colère sont aussi des personnes en âge de voter… On dénigra donc l’absinthe, puis on l’interdit durant la Grande Guerre. Sa culture fut marquée par un brutal ralentissement. La poursuivre aurait immanquablement attirer les soupçons.

L’usine Pernod à Pontarlier après l’incendie.

En 1916, paraît un petit fascicule de 32 pages édité par le Ministère de la guerre (Sous-Secrétariat d’État du service de santé militaire). Sobrement intitulé Conseils au Soldat pour sa Santé, à la page 10, après avoir conseillé de boire avec modération du vin, du cidre ou de la bière, l’on poursuit le propos en intimant l’ordre de ne pas boire d’alcool (11) parce qu’« il ne procure qu’une excitation passagère, mais ne donne pas de force, ne réchauffe pas, ne favorise pas la digestion. C’est un poison. L’eau-de-vie devrait s’appeler eau de mort. Elle conduit l’homme à la folie, à la tuberculose, à la mort et à la dégénérescence de la race dans ses enfants. Tous les apéritifs et surtout l’absinthe sont encore plus dangereux. Le soldat ivre déshonore son uniforme. » Propagande à grand renfort d’extraits placés en caractères gras, qui fait suite à la récente loi du 16 mars 1915 émanant du gouvernement de Raymond Poincaré, qui promulgue l’interdiction de l’absinthe en France : « interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail, ainsi que de la circulation de l’absinthe et des liqueurs similaires. » Abrogée le 19 mai 2011, cette loi tardive en France fut appliquée à l’ensemble du territoire national en 1915 et précédée en 1914 d’interdictions ponctuelles : préfecture de la Seine, région militaire niçoise. D’autres pays que la France prohibèrent la verte bien avant elle : la Belgique en 1906, les Pays-Bas en 1908, la Suisse en 1910, les États-Unis en 1912, l’Italie en 1913, le Maroc en 1914. Compte tenu des volumes qu’atteignit la production nationale peu avant la Première Guerre mondiale, des ateliers clandestins qui résistèrent, des fabrications frauduleuses qui circulèrent, etc., il n’est pas impossible d’imaginer qu’en 1916, et même dans les années suivantes de la guerre, l’absinthe se cachait encore sous le manteau en France malgré l’interdit. Il y a parfois loin de la coupe aux lèvres, si je puis dire. La production illégale d’absinthe, et donc sa contrebande, s’est poursuivie dans les deux régions originelles, ces Jura français et suisse. Il était également possible de se fournir en Andorre, en Espagne et au Portugal. En Suisse, il y a plus de vingt ans, pour se faire servir une absinthe, il fallait demander une « bleue ».

Ces injonctions militaires sont l’écho synthétique de ce que l’on préconisait auprès des jeunes gens préparant le Certificat d’Études Primaires, c’est-à-dire concernant des enfants d’une douzaine d’années. Par exemple, dans un manuel maintes fois réédité au début du XX ème siècle, Notions élémentaires de sciences avec leurs applications à l’agriculture et à l’hygiène, l’auteur, O. Pavette, inspecteur primaire, officier de l’instruction publique et officier du mérite agricole, donne en quelques lignes des informations bien plus détaillées à l’attention des écoliers que ce qu’on fit auprès des Poilus, dont le manuel, mesurant 12 cm sur 8 ne peut pousser à l’exhaustivité s’il veut tenir dans une petite poche, et dont l’auteur anonyme pourrait bien être Pavette tant les propos sont similaires (à moins qu’un plumitif du Ministère de la guerre, s’ennuyant au bureau, ne se soit inspiré du manuel de l’ancien instituteur).
Pour impressionner son jeune lectorat, Pavette n’y va pas avec le dos de la cuillère à pot : « Ce qui est par-dessus tout funeste à la santé, c’est l’abus du vin et surtout l’usage de l’eau-de-vie, qu’on devrait plutôt appeler l’eau de mort ; car, bien loin d’entretenir la vie et encore moins de la prolonger, elle l’abrège et la rend même insupportable par le triste cortège de maladies qu’elle traîne avec elle. C’est principalement sur le cerveau qu’elle agit ; elle le détériore en affaiblissant les plus belles facultés de l’intelligence : l’alcoolisme fait perdre la mémoire et la raison, abrutit l’homme et le dégrade au point de le faire descendre au-dessous des animaux. L’alcool, sous toutes ses formes, est l’un des poisons les plus terribles ; il est d’autant plus dangereux qu’on se figure généralement qu’il est inoffensif. Il est prouvé que l’alcoolisme fait mourir plus de personnes que la peste et le choléra réunis (sic) ; en outre, il fait commettre les plus grands crimes : il a poussé des jeunes gens, presque des enfants, à devenir des incendiaires et des assassins. Et, quand on a pris l’habitude de boire de l’eau-de-vie ou de l’absinthe, il est presque impossible de s’en débarrasser. L’alcool n’attaque pas seulement le cerveau, il agit aussi sur l’estomac par son action irritante ; alors celui-ci ne peut plus fonctionner, et le malheureux alcoolique, pour se donner une force passagère, absorbe des quantités de plus en plus considérables de mauvaise eau-de-vie qui le fait mourir prématurément après lui avoir fait endurer toutes sortes de souffrances. Il est sujet à des cauchemars et à des hallucinations épouvantables qui lui font pousser des cris déchirants ; il croit être attaqué par des araignées gigantesques, ou par des bandes de rats qui veulent le dévorer tout vivant ; d’autres fois, il se voit entouré de flammes qui le brûlent, ou bien il est persuadé qu’on va le guillotiner, et il voit l’échafaud dressé devant lui : alors, ses cheveux se hérissent, il sue à grosses gouttes, pousse des cris affreux, et, pour échapper à l’angoisse horrible qui l’étreint, il se frappe lui-même à coups de couteau. Il y a en qui se jettent par la fenêtre, d’autres qui se précipitent dans l’eau et se noient. L’alcoolisme des parents a sur la santé des enfants une influence considérable et pernicieuse : les idiots, les imbéciles, les épileptiques, les dégénérés de toute sorte sont, pour la plupart, les malheureux descendants d’alcooliques. Quelle terrible responsabilité pour les parents ! Enfants, croyez-en un de vos amis et suivez son conseil ; fuyez l’eau-de-vie et l’absinthe comme la peste : n’en buvez jamais, car ce sont des poisons » (12). L’exemplaire que je possède, ayant appartenu à mon arrière grand-père Ernest, date de 1911. Trois années plus tard, une autre étoile, non moins amère, embrasait le monde, faisant vivre pas moins que l’horreur que Pavette mettait sur le compte de la liqueur d’absinthe. Quand on considère l’ensemble des motifs extrêmement nombreux qui permettaient l’exemption du service militaire (indépendamment du conflit armé de 1914-1918), on estimait bien que l’alcoolisme, et plus précisément l’absinthisme, était un motif de trop, parce qu’un bon soldat est un soldat qui ne boit pas, même si plusieurs millions d’hectolitres de vin inondèrent les Poilus en la seule année 1917. L’absinthe étant accusée de briser le moral des troupes, on argumenta en faveur du vin qui était censé le remonter. « Pour la Patrie, le soldat doit être aussi ménager [nda : économe] de sa santé que généreux de son sang ». Moins il y a de buveurs d’absinthe, plus il y a de chair à canon. Pourquoi est-ce que je persiste à voir, dans les centaines de millions d’obus tombés du ciel en l’espace de quatre ans, autant d’étoiles « Absynthe » ?

L’Absinthe et la Médecine (Pierre Gelis-Didot & Louis Malteste. Vers 1890).

Bien après la Première Guerre mondiale, l’interdiction de l’absinthe explique peut-être que le Larousse médical illustré n’accorde qu’une demi colonne à l’article absinthisme (alors que celui sur l’alcoolisme s’étend sur cinq pages) : « L’intoxication par l’absinthe peut se présenter sous deux formes, suivant que l’individu en absorbe fréquemment de petites doses ou en boit de grands verres. Dans le premier cas, l’empoisonnement s’établit graduellement. Aux signes de l’intoxication par l’alcool, comme la perte d’appétit, les vomissements liquides du matin (pituites), viennent s’ajouter une pâleur spéciale, une maigreur et une faiblesse progressives attestant les troubles des organes digestifs. Puis apparaissent des troubles nerveux : vertiges, hallucinations (chiens ou vermine semblant dévorer le malade), douleur dans les articulations et le long des nerfs. Tantôt ces douleurs prennent la forme de picotements, d’élancements, de brûlures et surtout de fourmillements qui s’exaspèrent la nuit. Le caractère se modifie, devient impressionnable, sombre, triste. A d’autres heures, l’absinthique entre sans raison dans des fureurs terribles (delirium tremens), pendant lesquelles il frappe et tue [nda : Rimbaud et Verlaine pour ne citer qu’un exemple célèbre : en 1871, le premier plante un couteau dans la cuisse du second, celui-ci rétorque au revolver deux ans plus tard, ce qui le conduira en prison. Tous deux étaient plausiblement sous l’emprise de la fée verte au moment des faits]. Dans l’intoxication aiguë, aux signes précédents s’ajoute une ivresse marquée par des phénomènes convulsifs constituant une forme d’attaque d’épilepsie » (13).

Une fois l’atrocité de la guerre dépassée et l’absinthe finalement interdite, la porte est grande ouverte pour les anciens industriels de l’absinthe, qui trouvent moyen de s’adapter comme le fit la société Pernod qui proposa, comme tant d’autres « anysetiers », des similaires d’absinthe sans absinthe. La réglementation resta cependant particulièrement sévère durant l’entre-deux-guerres. Elle s’assouplira au sortir du second grand conflit mondial. En 1951, Pernod, créateur historique de l’absinthe à Pontarlier en 1805, mit à disposition des consommateurs un dérivé d’absinthe (n’en contenant pas toutefois) : le pastis 51 précisément. L’on vit d’autres boissons alcoolisées de ce type voir le jour. Ces « pastis », boissons anisées, sont issus de la distillation de l’anis vert et/ou de la badiane (encore eux !), lesquels contiennent du trans-anéthol en grande quantité, principe actif de leur huile essentielle dont les effets neurotoxiques sont parfaitement établis, bien que peu connus du grand public.
Parallèlement à cette mésaventure absinthique, d’autres spiritueux comme le génépi et la chartreuse, contenant eux aussi de l’absinthe dans des proportions plus ou moins variables, ne furent jamais inquiétés ni prohibés, de même que le vermouth dont l’abus peut lui aussi mener à l’absinthisme.

De nouveau autorisée depuis une dizaine d’années dans les deux pays phares qui la virent naître (2005 en Suisse, 2011 en France), l’absinthe, par le légendaire qui l’auréole, l’iconographie nombreuse (art nouveau entre autres) qui la présente toujours séduisante, les hommes de lettres, les peintres, les sculpteurs, etc. qui firent presque oublier la misère de ce siècle par leurs œuvres, ces autres-là qui la frôlèrent ou tombèrent en amour dans ses bras, dessine un portrait très chamarré que l’on peut distinguer encore à travers les multiples appellations dont on a parées la fée verte, qui est sans doute celle qui est la plus connue. Mais il en est d’autres. Je me propose, pour conclure, de les passer en revue.
La fée verte est aussi la dame verte, la muse verte, voire la fée aux yeux glauques. Ses détracteurs usèrent au contraire des termes de mort verte et de poison vert. Qu’importe, puisque l’herbe verte se faisait divine, devenant pour untel l’ambroisie verte que l’on avalait cérémonieusement, religieusement presque, à l’heure verte ou heure du persil. Ce caractère quasi sacré apparaît aussi chez la commune herbe sainte, provocation et sûrement jeu de mots (absinthe et ab-sainte, c’est-à-dire « sans sainteté »). Cet ascenseur vers le paradis pouvait mener à ceux qui sont artificiels. A défaut d’être propulsé jusqu’à la voie lactée, on atterrissait en pleine purée de pois (ou poix, celle qui empègue), juste à l’heure pour se faire servir une mélusine sur le zinc qui prenait le buveur dans son lac, avant qu’il ne sombre après avoir adressé ses dernières prières à Notre-Dame de l’oubli.
Bref. Tout comme le haschisch, l’absinthe aiguisa l’imagination des usagers qui redoublèrent d’inventivité pour désigner la verte : le gingembre vert ou herbe aux prouesses, le perroquet, pour continuer dans l’exotisme. En Suisse, elle fut lait du Jura, lait de chèvre, thé de Boveresse (petit village du Val-de-Travers en Suisse), en Russie, Tchernobyl. En France, on l’appelait encore ovomaltine ou, plus pittoresque, un train direct pour Charenton, équivalent du lyonnais « aller tout droit au Vinatier » ou bien du marseillais « filer pour Sainte-Anne », qui sont tous les trois des hôpitaux psychiatriques (14). C’était là une manière – « Hep ! Garçon, un aller direct pour Charenton » – de montrer que la consommation abusive d’absinthe pouvait mener droit à l’asile. On descendait sans doute à la gare de Charenton-le-Pont, détruite en 1942, puis on se farcissait encore trois bornes jusqu’à l’hôpital, sans divaguer et, si possible, sans tomber dans la Marne.

La gare de Charenton-le-Pont.


  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, spécialement appliqué à la médecine domestique et au régime alimentaire de l’homme sain ou malade, Tome 2, p. 376.
  2. Armand Trousseau & Hermann Pidoux, Traité de thérapeutique et de matière médicale, Tome 2, p. 494.
  3. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, spécialement appliqué à la médecine domestique et au régime alimentaire de l’homme sain ou malade, Tome 2, p. 376.
  4. La population française augmenta plus exactement de 9,81 % de 1872 (37 653 000 hbts) à 1910 (41 350 000 hbts).
  5. Une liqueur est un alcoolat généralement sucré. L’absinthe, ne contenant pas de sucre, n’en est donc pas une. Ce terme est usité pour désigner parfois tout et n’importe quoi, sans souci d’exactitude le plus souvent.
  6. Ute Künkele & Till R. Lohmeyer, Plantes médicinales, p. 57.
  7. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 100.
  8. Les huiles essentielles d’anis vert et de badiane, souvent conviées dans les recettes, sont stupéfiantes au niveau cérébro-spinal, peuvent causer des vomissements, des vertiges, ainsi que des épisodes marqués par des convulsions. De plus, le seul anis vert provoque un ralentissement de la circulation sanguine et une propension aux congestions cérébrales. L’essence de fenouil est aussi convulsivante à haute dose. Enfin l’hysope officinale contient plusieurs cétones monoterpéniques dont la β-thuyone et l’isopinocamphone. Elle est aussi épileptisante.
  9. Benoît Noël, Un mythe toujours vert, l’absinthe, pp. 74-75.
  10. Onésime Reclus, Le manuel de l’eau, p. 28.
  11. L’on fait le distinguo entre l’œnolisme (abus de vin), l’éthylisme (abus d’alcool) et l’absinthisme (abus des boissons alcoolisées à base d’absinthe et de celles apparentées n’en contenant pas forcément). Pour beaucoup, et encore aujourd’hui, le vin n’est pas considéré comme de l’alcool, pourtant c’est toujours la même molécule, l’éthanol, qui est à l’œuvre.
  12. O. Pavette, Notions élémentaires de sciences avec leurs applications à l’agriculture et à l’hygiène, pp. 167-168.
  13. Larousse médical illustré, édition 1927, p. 7.
  14. L’asile de Charenton, bien connu de Paul Verlaine, situé dans la commune de Saint-Maurice dans le Val-de-Marne, n’existe plus. Il devint l’hôpital Esquirol qui, quelques mois avant que la loi d’interdiction de l’absinthe fut abrogée en France, fusionna avec l’hôpital national de Saint-Maurice.

© Books of Dante – 2020

L’absinthe (Artemisia absinthium)

Synonymes : absinthe commune, grande absinthe (en opposition à la « petite » absinthe ou absinthe du Pont, Artemisia pontica), armoise absinthe, armoise amère, armoise amure, absin-menu, alvine, aluine, alvyne, aluyne, aloïne (Ces cinq derniers termes dérivent tous de l’hébreu alua qui sert à désigner la plante mais également une chose amère ou maudite. Il a aussi donné naissance au mot aloès, plante extrêmement amère également.), herbe sacrée, herbe sainte, herbe aux vers.

Edgar Degas. Alfred de Musset. Arthur Rimbaud. Paul Verlaine. Vincent Van Gogh. Antonin Artaud. Ernest Cabaner. Edvard Munch. André Gill. Henri de Toulouse-Lautrec. Alfred Jarry. Maurice Rollinat. Auguste Strindberg. Etc.
A l’évocation de ces personnages célèbres, on plonge forcément dans le XIX ème siècle. A des degrés divers, ils furent tous consommateurs de liqueur d’absinthe. Tant et si bien que sa propagation, entre 1830 et 1915, aboutira à l’interdiction de la production et de la consommation de l’absinthe sur l’ensemble du territoire français. Il faut dire qu’un usage immodéré a été pour beaucoup dans la mise au ban de l’absinthe comme poison du siècle.
Ces années de débauche « absinthéique » auront surtout fait oublier deux choses : l’absinthe ne se limite pas à la liqueur du même nom. Secundo, elle ne peut être réductible aux quelques décennies évoquées plus haut. Pourquoi ? En premier lieu, parce qu’elle regroupe un ensemble de propriétés médicinales dont certaines furent partiellement reconnues et mises en pratique dès le temps d’Hippocrate, il y a de cela deux millénaires et demi. Mais, bien avant ça, on note son utilisation chez les Assyriens et les Babyloniens, puisque des tablettes aux caractères cunéiformes indiquent qu’on avait alors déjà recours à l’absinthe pour ses propriétés digestives (c’est ainsi qu’elle apparaît dans L’épopée de Gilgamesh). En Égypte ancienne, le papyrus Ebers bien connu met à l’honneur les propriétés vermifuges de cette plante qui ne furent jamais démenties jusqu’à présent, ainsi que sa capacité à traiter nombre d’affections gastriques. Troisième point au tableau : l’absinthe est un tonique, un fortifiant. Pour cette raison, les Égyptiens faisaient cuire la plante en compagnie d’ail dans du lait, formant un breuvage à la réputation roborative (je veux bien le croire ^.^). C’était une herbe magique pour les initiés aux mystères de la déesse Isis, « porteurs d’un rameau d’absinthe car cette déesse qui a rendu son souffle vitale à Osiris passe pour éloigner les maladies » (1).

Ces trois propriétés thérapeutiques – vermifuge, tonifiante, digestive –, on les retrouvera souvent au fil de l’histoire thérapeutique de l’absinthe à travers les âges.

L’Antiquité gréco-romaine reconnut aussi en elle ce puissant vermifuge que l’absinthe n’a jamais cessé d’être dans les époques postérieures, au Moyen-Âge plus particulièrement, mais j’y reviendrai. C’est un fait qu’on peut lire dans l’oeuvre du médecin grec Soranus d’Éphèse qui porte une grande estime à cette plante vermifuge, de même qu’un siècle avant lui dans la Materia medica : Dioscoride recommande l’absinthe comme anthelminthique. Mais pas seulement, puisque selon lui, elle entrait dans la composition d’un breuvage tonifiant très populaire en Thrace. On croyait qu’il permettait de conserver une bonne santé. Galien ne dira pas autre chose sur ce point. Chez les Romains, c’est une potion de ce type qui était offerte aux vainqueurs des tournois de char en guise de tonique et de préservatif de tous les maux, puisqu’ils étaient « persuadés que le présent le plus digne d’un vainqueur était la santé, le bien, sans contredit, le plus précieux de tous ceux que puissent désirer les hommes » (2). Ce qui pourrait paraître bien anodin si l’on ignore tout de l’amertume proverbiale de l’absinthe, bien évidemment remarquée à cette même époque, visible dans l’œuvre de Virgile et de Lucrèce, qui conseillait, afin de mieux faire avaler l’absinthe aux enfants vermineux, de la verser dans un vase à boire dont il fallait enduire les bordures de miel, afin d’aider la pilule à mieux passer. Boire l’infusé d’absinthe est bel et bien une preuve de courage, aussi bien pour l’enfant que pour l’athlète qui, par le truchement de cette épreuve, montre la puissance de sa bravoure et de sa grandeur.
L’on croise aussi, dans le texte de Dioscoride, des références directes à l’action de l’absinthe sur la sphère digestive : tonique tant de l’estomac que des intestins, l’absinthe soulage paresse digestive et flatulence. Dioscoride la considère comme emménagogue et fébrifuge, bonne contre les ulcères et les blessures, diverses douleurs (dents, oreilles, yeux). Parmi le fouillis que compose le chapitre qu’il accorde à l‘aluyne, ressortent très nettement des propriétés digne d’un antidote face à diverses substances vénéneuses, mais également une fonction répulsive auprès des « parasites » (mites, moucherons, mouches, teignes). Il va même jusqu’à préciser que « l’encre faite de son infusion protège des rats et des souris les livres qui ont été écrits avec elle » (3). Pline ajoute que la plante est apte à provoquer le sommeil, et Serenus Sammonicus que c’est un bon remède pour les affections du foie.
En Gaule, les druides ne firent pas autrement que chez les Latins : outre qu’ils procédaient à des offrandes d’absinthe, ils l’utilisaient contre les vers, les hommes s’en faisaient des ceintures sur les reins pour lutter contre les rhumatismes, les femmes de même pour bénéficier des propriétés emménagogues de l’absinthe, bien qu’elle ne possède pas d’action élective sur l’utérus, agissant à la manière d’un tonique général, dont l’utilité sur les troubles gynécologiques est d’autant plus efficace qu’ils procèdent d’atonie. Par voie de conséquence, ses vertus abortives furent elles aussi soulevées à la même période. Abortive et emménagogue. Voilà deux terme liés au nom scientifique de l’absinthe : Artemisia absinthium. On reconnaît facilement la présence d’Artémis dans le premier mot. Cela en fait donc une plante typiquement féminine (la Verte n’aurait pas pu être allégoriquement représentée par autre chose qu’une femme/fée/déesse…). Artémis, donc. Déesse grecque en opposition parfaite avec Aphrodite. Artémis, responsable des morts violentes. Voilà qui pose en une seule étymologie les prémisses du destin funeste de l’absinthe. Apportons quelques précisions supplémentaires : l’adjectif absinthium va définitivement nous écarter d’Aphrodite, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce mot latin est tiré du grec apsinthion qu’on peut traduire ainsi : « privé de douceur », « sans plaisir », évidente référence à l’amertume dont l’absinthe sait faire preuve. Une expression plus guère employée – je ne me nourrirai pas d’absinthe – était une façon de signifier qu’on préférait la douceur de la vie plutôt que son amertume, une vision que révoquait sans doute l’évêque de Clermont-Ferrand, Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) estimant qu’« il vaut mieux se nourrir que d’un pain d’absinthe et d’amertume ». Cet homme d’église était-il austère ? En tous les cas, l’absinthe en est assez souvent le synonyme, de même qu’elle est plus fréquemment apparentée à l’amertume de l’âme et de l’esprit. C’est sans surprise qu’elle fait partie des nombreuses plantes dont parle la Bible. Voici ce qu’elle en dit : « Et le troisième ange sonna de la trompette, et il tomba du ciel une grande étoile, ardente comme un flambeau, et elle tomba sur la troisième partie des fleuves et sur les sources d’eau. Et le nom de cette étoile était Absynthe : et la troisième partie des eaux fut changée en absynthe ; et elles firent mourir un grand nombre d’hommes, parce qu’elles étaient devenues amères […] : malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre, à cause du son des trompettes des trois anges qui doivent encore sonner » (4). En gros, le jour où cet astre Absinthe tombera des cieux sur la Terre, cela indiquera la fin de tout. Très étrangement, cette absinthe-là symbolise Satan.
Comme l’indiquent les auteurs du Dictionnaire des symboles, l’absinthe biblique peut être considérée comme une figuration prophétique. Cela peut être une calamité céleste s’abattant sur la Terre, calamité comme peuvent l’être les conséquences d’une explosion nucléaire rendant les eaux mortellement radioactives, les pluies acides qui s’insinuent et qui rongent jusqu’au marbre petit à petit, les insecticides/pesticides/herbicides dont l’agriculture intensive est friande, parvenant jusqu’aux nappes phréatiques. Cela pourrait être aussi, soyons fous, la liqueur d’absinthe s’infiltrant dans le cœur de l’homme, bien plus, au sein même de son esprit. On peut donc voir à travers ces quelques applications plus ou moins alambiquées, l’expression désastreuse d’un cataclysme qui corrompt les sources mêmes de la Vie, parce que « Absinthe symbolise une perversion de la pulsion génésique, une corruption des sources, les eaux devenues amères » (5). Peut-être faut-il voir là l’usage dévoyé de la plante, eu égard à sa consommation populaire sous forme de fée verte, forme de résignation. D’ailleurs, l’expression « avaler son absinthe » exprime exactement cela : elle implique de supporter sans broncher, avec patience quelque chose de désagréable, l’épreuve douloureuse. Si « la vie est cruellement mêlée d’absinthe », écrivait Madame de Sévigné, cette même absinthe jouxte assez souvent la mort de troublante manière. Ainsi, par exemple, remarqua-t-on qu’en Allemagne elle prit le surnom de grabkraut, terme qui possède deux sens qui vont à peu de chose près dans la même direction : on peut l’entendre par « herbe des tombes » et « fossé d’excavation ». Il est vrai qu’en certains lieux d’Allemagne, l’absinthe était déposée sur les tombes des amis et des proches, peut-être comme protection contre les vers du sépulcre. Mais diaboliser l’absinthe ne mène à rien. Tout ou partie d’une plante n’est jamais ni bon ni mauvais dans l’absolu. L’absinthe n’échappe pas à cette règle. Par exemple, l’on sait que Socrate fut forcé de boire la ciguë. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est qu’il ingurgita une mixture de plantes parmi lesquelles l’opium (on a beau être stoïque, il fallait bien escamoter les effets violents de la ciguë par les effets analgésiques et antalgiques du pavot) et l’absinthe, c’est-à-dire, la même absinthe que l’on utilisait à cette époque comme antidote de la ciguë !
Atroce sorcière selon Verlaine, Fée verte pour d’autres, l’absinthe ne démérite pas sur son statut de plante trouble et mystérieuse, en fonction des circonstances qui ne sont pas autre chose qu’humaines, faut-il le rappeler ?

Au XII ème siècle, le médecin salernitain Matthaeus Platearius recommandait l’absinthe contre l’ivresse. Le pauvre, s’il avait su ! C’est un trait de caractère qu’avait déjà consigné Paul d’Égine au VII ème siècle et Dioscoride bien avant lui. A cette époque (Moyen-Âge central et tardif), on faisait surtout appel à l’absinthe du fait de ses propriétés vermifuges : on luttait de toutes les manières possibles contre les vers de toutes espèces, la vermine étant, à l’époque médiévale, un problème de santé publique des plus importants, les vers affectant nombre de parties de l’organisme : « Le corps humain est sujet à des vers qui se logent ordinairement dans l’œsophage, l’estomac et les intestins ; ils dévorent les aliments, gâtent et corrompent le chyle et sont un obstacle à la digestion. D’autres parties du corps servent aussi quelquefois de demeure et de nourriture aux vers ; le sinus du nez, le conduit interne et externe de l’oreille, les dents cariées, contiennent quelquefois des vers ; on en a trouvé aussi dans le péricarde, dans la substance du foie et des reins ». Cette description n’a rien de médiévale, puisqu’on la doit au bénédictin Dom Jacques Alexandre, érudit français né au XVII ème siècle (1653-1734). Il a beau faire la description d’un état des lieux de son temps, elle colle à merveille aux nombreux siècles médiévaux. Rien de véritablement nouveau sous le soleil, sur le même fil, ce sont toujours les trois mêmes perles – vermifuge, tonifiante, fébrifuge, que nous rencontrons chez Avicenne par exemple vers l’an 1000 : pour lui, l’absinthe est un merveilleux stimulant de l’appétit. Pour Strabo, elle est résolument fébrifuge et vermifuge pour Macer Floridus. Mais elle ne se résume pas, heureusement, qu’à cela, bien entendu. L’absinthe est un remède contre les maux de tête, voire les migraines. C’est important. Je dis ça pour un peu plus tard… Elle repousse les serpents du mal de mer, « émousse les traits du poison qu’on a bu […] Aux oreilles mêlée au fiel de bœuf, elle fait des merveilles. Et corrige parfaitement leur incommode tintement » (école de Salerne). Fort bien, nous en aurons besoin. Mais il est d’autres douleurs qu’auriculaires que le suc d’absinthe peut réduire à néant d’après sainte Hildegarde : la Wermuda (6) apaise les douleurs dentaires, pectorales dues à la toux, et à celles causant des maux de côté, d’autres encore incriminant la goutte. A propos du suc d’absinthe, Hildegarde écrit qu’« il apaise la douleur des reins et la mélancolie, éclaircit la vue, réconforte le cœur, empêche le poumon de s’affaiblir, purge les entrailles et assure une bonne digestion » (7), ce avec quoi Macer Floridus, un siècle plus tôt, était bien d’accord : l’absinthium « est très efficace contre les diverses affections de l’estomac […], elle relâche le ventre et en apaise les douleurs les plus violentes » (8). A quoi il ajoute : diurétique, emménagogue, remède du foie et de la rate, etc. La suite n’est qu’une traduction de Dioscoride par Macer en latin. Et l’on finit par s’égarer… La fin de la rubrique est succulente, surtout à partir du moment où l’auteur écrit que « Pline fait un éloge pompeux de la vertu de cette herbe » (9). Ce qui est purement drôlissime, sachant qu’il fait tout autant, compilant et mêlant Pline, Dioscoride et consorts. Parfois ça « sonne » Salerne, à moins que Salerne ne soit venue piquer des trucs à Macer ou dans tel autre dans lequel il aurait lui-même pioché, etc. Ôter, ajouter, traduire de telle langue à telle autre, avec ses propres moyens et la capacité de compréhension du lecteur : ça ne devait pas être simple. Aujourd’hui, nous proviennent ces vieux textes. Mais s’ils apparaissent solides, ils n’ont rien de la noble courtepointe, tout de la couverture ravaudée cent et mille fois, issus du travail d’une foultitude de petites mains invisibles. De Dioscoride à Macer, on n’imagine pas toujours l’ensemble des acteurs, même modestes, qui ont fait que certains textes modifiés, falsifiés, malmenés, soient, malgré tout, parvenus jusqu’à nous. N’oublions pas cependant que, très souvent, il semble qu’une grosse « valeur » ajoutée ait intégrée, au fil des siècles, l’œuvre d’origine. Quand je dis : « Macer pense, dit que… », il faut entendre que c’est peut-être un autre qui prend la parole, comme ici Pline, qui narre ce fait qu’on connaît déjà dans son Histoire naturelle : « les Romains offraient une coupe, remplie de jus d’absinthe, à celui qui avait remporté la victoire dans les courses de char ». Avec Macer Floridus, on la boit jusqu’à la lie. Mais n’accablons pas trop notre moinillon : d’autres que lui, plus tardifs, empruntèrent à des sources plus anciennes que Pline et Dioscoride. C’est le cas de Tabernaemontanus en 1588 qui « recommande spécialement l’emploi de la plante aux femmes acariâtres et bilieuses, [tout simplement parce que] Théophraste (IV ème siècle avant J.-C.) avait prétendu que les moutons engraissés à l’absinthe perdaient leur bile » (10). Alors bon. Je vous laisse apprécier le parallèle… Bref. En ce même siècle, c’est-à-dire le XVI ème, l’on poursuit l’œuvre qui consiste à expérimenter, déduire, établir, etc. Un travail de longue haleine bien entendu. « Qui pourrait en énumérer toutes les vertus ? », interrogeait, à propos de l’absinthe, Jérôme Bock en 1546. Le pasteur luthérien n’a pas tort, il faudrait des livres entiers pour recenser tout ce que l’on en sait, tout ce que l’on a dit sur l’absinthe dans le seul cadre thérapeutique à travers les âges.

« Les affections maladives provenant d’une débilité spéciale guérissent ou s’amendent, sous l’influence prompte, intense et durable de l’absinthe. Son infusion aqueuse ou vineuse, sa teinture alcoolique, son extrait, réchauffent l’estomac et les intestins, raniment leurs fonctions, et cette excitation se répète sur presque tout le système organique » (11). Nous verrons bien, docteur Roques, dans quelle mesure vous avez raison dans quelques lignes.

Plante probablement d’origine eurasiatique, l’absinthe est aujourd’hui répandue bien au-delà : elle a colonisé l’Europe occidentale, l’Afrique du Nord, ainsi que l’Amérique septentrionale, du moins dans sa zone atlantique. En France, où elle est beaucoup plus rare que l’armoise vulgaire, on la croise néanmoins sur le littoral océanique, dans le Midi, et jusqu’à 2000 m d’altitude dans les Alpes, les Pyrénées et le Massif central. Partout ailleurs, sauf dans la région Grand Est, elle apparaît sporadiquement sur les sols calcaires qui abritent vignes et cultures. Si elle n’y est pas cultivée, au moins y est-elle naturalisée ou subspontanée. Elle apprécie les sols riches en nitrates, d’où sa présence aux abords des ruines, des maisons laissées à l’abandon, des terrains vagues (renforçant peut-être par là la dimension funeste de cette plante). Elle sait aussi se contenter d’emplacements moins désolants : bordures de chemins, friches, coteaux rocailleux, tous autres lieux incultes, arides et pierreux.
Plus petite que sa cousine armoise, il est rare que l’absinthe atteigne un mètre de hauteur : elle se situe le plus souvent entre 50 et 70 cm. En revanche, c’est avec vivacité qu’elle érige au printemps ses tiges jaillissant d’une souche rhizomateuse dure et solide. Ses rameaux, souvent ligneux à la base (c’est-à-dire que l’absinthe fabrique du bois en plus de provoquer la gueule du même nom ^.^), doivent leur couleur vert glauque aux poils soyeux qui les tapissent. Bien droites, cannelées, ramifiées, elles sont très feuillées. Ses feuilles molles sont douces au toucher, veloutées presque, et apparaissent vert blanchâtre ou gris cendré en raison de ces mêmes poils argentés qui les recouvrent sur leurs deux faces. Alternes, elles sont très divisées, plus exactement trois fois subdivisées en lobes larges de 3 à 4 mm, tandis que les supérieures, bien plus brèves, sont presque entières. A l’été a lieu la floraison : de nombreux petits capitules globuleux de 4 mm, plus larges que longs (inversement à ceux de l’armoise), formés de tubes floraux verdâtres ou jaunâtres, ponctuent les rameaux en panicules assez lâches, pendant dans le vide, une fois de plus à l’inverse de l’armoise qui les porte dressés vers le ciel.

L’absinthe en phytothérapie

Un parfum fortement marqué, aromatique et pénétrant quand la plante est fraîche, additionné d’une saveur extrêmement amère qui persiste longtemps en bouche, sont les marques de fabrique de l’absinthe. L’amertume de l’absinthe, plus prononcée dans les feuilles que dans les sommités fleuries, est due à une lactone sesquiterpénique non toxique que l’on connaît depuis longtemps, l’absinthine (0,2 à 0,3 %). A ses côtés, l’on trouve une autre matière azotée quasi insipide, l’anabsinthine, ainsi que diverses autres lactones (artabasine, artanolide, guaianolide, psylostchyine, psylostchyine C, etc.). Nous inventorions aussi des flavonoïdes, des composés phénoliques (lignanes), des acides (malique, succinique), du tanin, de la chlorophylle, une importante quantité de sels de potasse, sans doute quelques autres oligo-éléments et vitamines. A ce niveau, nous sommes encore là dans le domaine de l’anodin si je puis dire, puisque rien encore n’a été dit au sujet de l’essence aromatique contenue dans l’absinthe : cette huile volatile, voire très volatile, n’excède pas un taux moyen de 0,5 %. Si l’on emploie la plante en infusion, chose rarissime réservée aux braves tant c’est atroce, une fraction de l’essence aromatique s’évapore sous l’effet de la chaleur. Les autres constituants restent en place et suffisent pour assurer à la plante toutes ses propriétés ou presque (en dehors de celles qui suscitent des désordres variés : on ne peut alors plus parler de propriétés thérapeutiques). De couleur verte, d’odeur spéciale et agréable, l’huile essentielle d’absinthe est assurément un drôle de produit. En France, elle est surtout connue pour être frappée d’interdit par monopole pharmaceutique (cf. toujours le fameux JO n° 182 du 8 août 2007 ; remarquons que même la plante sèche n’est pas autorisée à être vendue librement en France), en raison de son taux de cétones monoterpéniques très élevé, en particulier de thuyone, plus précisément de β-thuyone (thuyone avec un y ; si vous le voyez doté d’un j, c’est parce qu’il est écrit en anglais). Par cette interdiction, il appert qu’on n’en sait généralement peu au sujet de la composition biochimique de cette huile essentielle. (Pourquoi se casser la nénette à analyser une substance « invendable », hum ?) Il n’y a guère, nous avions pu remarquer que l’armoise, elle aussi, est sujette au même phénomène qui frappe l’absinthe, rendant son étude complexe et sa présentation incomplète : en effet, la composition de cette huile essentielle est très variable selon le pays et le milieu écologique dans lesquels la plante a été récoltée (suggérant l’existence de plusieurs génotypes), ce qui fait qu’elle subit des facteurs d’influence sensibles d’une zone à l’autre. De plus, la composition de cette huile peut se modifier selon l’ontogenèse, c’est-à-dire que l’état d’avancement de la plante dans son cycle végétatif nous place face à différentes facettes moléculaires : par exemple, une huile essentielle d’absinthe obtenue avec la plante cueillie en tout début de floraison est moins riche de β-thuyone, et davantage fournie en terpènes. L’on comprend que par le biais de cette forte variabilité intraspécifique, l’on puisse avoir à faire à plusieurs huiles essentielles d’absinthe (des chémotypes, quoi !). Mais il est vrai que dans beaucoup d’occasions, l’on voit dans ces lots un fort taux de β-thuyone, 50 % à peu près, ce qui est, du fait de la loi, « rédhibitoire ». Pour attiser la curiosité, voici quelques données moléculaires que j’ai recueillies au cours de mes lectures (j’oublie de façon bien volontaire les pourcentages pour davantage de sûreté) :

  • Cétones monoterpéniques : α-thuyone, β-thuyone, camphre
  • Monoterpènes : myrcène, sabinène, phellandrène, azulène
  • Sesquiterpènes : cadinène
  • Esters : acétate de sabinyle, acétate de chrysanthényl
  • Oxydes : 1.8 cinéole
  • Monoterpénols : linalol, thuyol, chrysanthénol
  • Coumarines

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique amère puissante
  • Apéritive, digestive, stomachique, tonique du système digestif (estomac et intestins), stimulante des sécrétions gastriques, intestinales et pancréatiques, améliore l’absorption des nutriments (à la condition qu’on ne fasse pas état de désordres gastro-intestinaux, comme irritations et inflammations), rétablit la contractilité fibrillaire des voies digestives, antivomitive, vermifuge puissante
  • Cholagogue, tonique de la vésicule biliaire, tonique hépatique, hépatoprotectrice (?)
  • Tonique et dépurative sanguine
  • Diurétique
  • Antiseptique cutanée, antiputride, résolutive, détersive, cicatrisante
  • Stimulante générale, roborative, relève les forces après une longue maladie
  • Fébrifuge puissante (succédanée du quinquina)
  • Anti-inflammatoire
  • Parasiticide, insectifuge
  • Antidépressive légère (?)

Note : l’on a dit l’absinthe emménagogue. Contrairement à sa cousine armoise, l’absinthe ne possède pas d’action spécifique sur la sphère gynécologique, quand bien même il peut lui arriver d’intervenir dans certains cas, mais jamais précisément, parce que c’est un tonique général qui agit tout d’abord sur les atonies quelles qu’elles soient.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie gastrique et intestinale (amenant constipation qui peut aussi être causée par une atonie hépatique), diarrhée, diarrhée chronique, colique, flatulence, ballonnement, fermentation intestinale, dyspepsie, dyspepsie nerveuse, gastrite, spasmes stomacaux, pyrosis, vomissement
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, jaunisse, calcul biliaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée par atonie utérine, règles tardives, rares, difficiles, faire apparaître les règles chez les jeunes filles anémiques ou chlorotiques, leucorrhée (En Grande-Bretagne, il arrive que l’absinthe porte le sobriquet de old woman, rappelant l’usage qu’on faisait parfois de la plante au temps de la ménopause.)
  • Affections cutanées : plaie (suppurante, atone, gangreneuse), ulcère (atone, scrofuleux, scorbutique, sanieux, vermineux), pourriture d’hôpital, dartre, gale, piqûre d’insecte (abeille, moustique)
  • Engorgements : œdème, anasarque, hydropisie, goitre, engorgement lymphatique
  • Anémie, chlorose, asthénie des convalescents, des anémiques et des neurasthéniques, convalescence, fatigue après maladie infectieuse ou épisode morbide épuisant
  • Rhumatismes, accès de goutte
  • Fièvre intermittente, accès paludéen
  • Mettre en fuite les insectes parasites du dehors (moustiques, moucherons, mites et ce que les Anciens appelaient la « vermine ») et du dedans (ascarides, oxyures ; sur le ténia, l’efficacité de l’absinthe est discutée)
  • Mal de mer, nausée
  • Ophtalmie, otalgie
  • Saturnisme (l’absinthe éliminerait le blanc de plomb, la céruse, etc.)

Modes d’emploi

  • Infusion aqueuse de feuilles ou de sommités fleuries, sèches ou fraîches : un délice ? Non, un supplice en interne. En revanche par voie externe l’on peut s’en servir comme lotion pour le visage et éclaircir le teint.
  • Macération de feuilles fraîches ou de sommités fleuries dans l’eau, la bière, le vin blanc ou rouge : compter une poignée d’absinthe – c’est relatif – pour ½ litre de liquide en macération à froid pendant 48h00. Après coup, on filtre, on exprime, on administre comme tonique et apéritif avant le repas, comme digestif après).
  • Décoction aqueuse de sommités fleuries et de feuilles.
  • Décoction aqueuse concentrée de sommités fleuries et de feuilles (pour usage externe : en lavement, fomentation, pansement).
  • Huile d’absinthe : on l’obtient en faisant macérer des feuilles d’absinthe fraîches dans de l’huile d’olive, et que l’on expose au soleil pendant plusieurs semaines (comme l’huile rouge), ou bien que l’on fait digérer plus rapidement au bain-marie.
  • Teinture alcoolique : elle remplace efficacement l’infusion parce que moins désagréable à absorber par voie orale. Préférablement, l’on en verse les gouttes nécessaires dans une infusion plus alliciante comme celles d’anis vert, de menthe poivrée ou encore de mélisse (ça permet de passer outre l’amer).
  • Suc frais en application locale.
  • Extrait par réduction et inspissation du suc ou de l’infusion, que l’on peut ensuite mêler à de la poudre d’absinthe pour confectionner des pilules. Avec 1 à 4 g de ce produit, on jouit de ses effets toniques, au-delà (4 à 10 g), c’est une dose qui joue un rôle davantage fébrifuge.
  • Poudre de feuilles sèches : dans un véhicule adapté. Cela peut-être de l’eau, du miel, de la marmelade. Leclerc conseillait la purée de pruneaux. Selon la dose unitaire absorbée, les effets ne sont pas tous identiques : tonique (1 à 2 g), fébrifuge (1 à 5 g), vermifuge (4 à 10 g).
  • Cataplasme chaud de la plante infusée (sur le ventre, pour les vers chez les enfants).

Note : quelques préparations à base d’absinthe qui ont marqué les siècles : l’élixir tonique de Auguste Nicolas Gendrin, le vin diurétique d’Armand Trousseau, la tisane amère de longue vie du Père Blaize, l’élixir parégorique, le vinaigre des quatre voleurs, les pilules ante cibum (= « avant repas »), l’élixir amer de Stougton (un pharmacien londonien du XVIII ème siècle), les pilules balsamiques de Georg Ernst Stahl, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : on cueille les sommités fleuries au tout début de leur floraison. La dessiccation de l’absinthe n’est pas très compliquée : à l’ombre, on la dispose en guirlande sur des fils suspendus, ou bien en bottes (sauf si elle est trop « verte » : il ne faudrait pas courir le risque qu’un excès d’humidité, retenu par les rameaux serrés les uns contre les autres, ne fasse pourrir le tout). On peut aussi monder la plante, disposer les sommités fleuries sur des claies, et les laisser sécher tel quel. L’absinthe ne doit ni noircir ni jaunir au cour de l’opération de séchage. Elle doit conserver son parfum bien appuyé et son amertume : si le séchage a été correctement mené, c’est une garantie de la bonne conservation de ses propriétés.
  • L’huile essentielle d’absinthe, de par ses caractéristiques, est neurotoxique et potentiellement convulsivante. Elle peut donc provoquer des spasmes, ainsi qu’un dérèglement grave du système nerveux.
  • En dehors de cette question, l’absinthe utilisée en phytothérapie n’est pas complètement exempte de contre-indications. Voici les principales : la grossesse, l’allaitement (elle risquerait de rendre le lait amer). Ensuite, l’état physiologique de l’individu doit être pris en compte : l’absinthe n’est pas recommandable en cas d’irritations et d’hémorragies gastro-intestinales, de problèmes hépatiques, d’hématurie, d’hémorroïdes, de tendance à la congestion cérébrale, de nervosité telle qu’on peut la voir chez les tempéraments nerveux.
    Au-delà de ces entraves, chez le sujet sain, la prise régulière et massive d’absinthe peut déterminer de l’excitation générale (c’est un tonique puissant, ne l’oublions pas), de la soif, enfin une sensation de chaleur au niveau de l’épigastre. C’est pourquoi, en général, on conseille des cures brèves et interrompues : au grand maximum, une cure ne doit pas excéder la durée de quatre semaines consécutives, à raison de trois tasses par jour pour un adulte. Enfin, chez l’enfant, seule l’infection vermineuse peut justifier l’usage externe de l’absinthe.
  • Puisque nous en parlons : l’absinthe est un puissant parasiticide et vermicide, et se range, en terme de propriété, bien à côté de ces autres herbes à vers que sont l’armoise et surtout la tanaisie. L’on peut suspendre des rameaux d’absinthe dans les armoires, cela aura pour effet d’en chasser les mites et les fourmis. La décoction concentrée d’absinthe dont nous avons parlé dans le paragraphe « modes d’emploi », se prête à bien d’autres usages que strictement médicinaux : en pulvérisation, c’est un parfait insecticide pour le jardinier (pucerons noirs et verts, chenilles, autres parasites ailés). Elle peut aussi faire l’objet d’un usage vétérinaire pour débarrasser les animaux, comme les chevaux par exemple, des mouches et des taons qui les encombrent et les agacent.
  • L’absinthe a parfois trouvé utilité pour une raison qu’on évoque généralement peu et dont je n’ai trouvé la trace que chez Fournier : elle agirait comme dégraissant à la façon d’un savon, pour nettoyer les linges gras ou très sales (la potasse contenue dans la plante explique sans doute cette propriété).
  • Autres espèces : la petite absinthe (A. pontica), l’absinthe glaciale ou génépi (A. glacialis), l’absinthe maritime (A. maritima).
    _______________
    1. Benoît Noël, Un mythe toujours vert, l’absinthe, p. 15.
    2. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 81.
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre III, chapitre 23.
    4. Apocalypse selon saint Jean, VIII, 10-13.
    5. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 5.
    6. Aujourd’hui wermut en allemand, très proche de l’anglais wormwood ; cette forme s’est stabilisée, semble-t-il, au XV ème siècle, et elle est parfaitement visible dans le nom de ce vin aromatisé qu’est le vermouth qui, comme son nom l’indique, contient entre autres de l’absinthe.
    7. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 68.
    8. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 79.
    9. Ibidem, p. 81.
    10. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 100.
    11. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, spécialement appliqué à la médecine domestique, et au régime alimentaire de l’homme sain ou malade, Tome 2, p. 375.

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La mélisse (Melissa officinalis)

Synonymes : herbe au citron, menthe au citron, citronnelle, citronne, citronnade, cédronnelle, ponceriane, ponchérade, poncirade (de l’espagnol poncidre, du latin pomum citrus, sorte de citronnier épineux, peut-être Poncirus trifoliata), céline, thé de France, piment des mouches, piment des abeilles, piment des ruches.

Depuis l’Antiquité, la mélisse a trouvé sa place au sein de pharmacopées de différentes régions géographiques du bassin méditerranéen que l’homme lui a fait traverser. Comme beaucoup d’autres plantes, elle s’est propagée d’est en ouest, débutant sa course d’Asie mineure à une date déjà fort reculée, avant de se retrouver cultivée en Espagne par les Arabes vers l’an 960, et de l’autre côté des Alpes par le biais des bénédictins qui, dit-on, transportèrent la plante davantage au septentrion. Mais n’allons pas trop vite, la mélisse est une plante qui n’apprécie pas toujours d’être brusquée, fée délicate qu’elle est.
Chez les Grecs anciens, où on l’appelait melissophyllon, c’est sans doute à Théophraste qu’on doit la plus ancienne mention de cette plante au sein de son Traité. Nicandre de Colophon la présente aussi bien dans Les Thériaques que dans Les Alexipharmaques, puisqu’on est assuré que la macération vineuse de feuilles de mélisse offre un parfait antidote contre les piqûres de scorpion et les morsures de chien enragé, caractère repris par Dioscoride, auquel il ajoute plusieurs propriétés : la mélisse est vue comme diurétique, emménagogue, hypnotique. Le médecin grec use d’elle aussi face à des affections pulmonaires (asthme, dyspnée, toux) et à différentes algies (migraine, douleur oculaire). On peut, à travers ces quelques informations, reconnaître certaines des attributions propres à la mélisse, mais celles qui en constituent le cœur et la cible restent pour l’heure inabordées, comme s’il déplaisait à la belle de livrer tous ses trésors en même temps.
Lors du Haut Moyen-Âge (476-888), Macer Floridus, pas encore né, ne peut donc nous farcir les oreilles de répétitions qu’il emprunte, massives, à l’Antiquité gréco-romaine. En dehors de ce qui reste des ruines fumantes de l’empire romain et de l’Antiquité tardive qui n’en finit pas de barboter comme un poisson essoufflé dans une flaque d’eau, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Mais un médecin syrien, qu’on connaît sous le nom de Sérapion (dit le Vieux, pour le distinguer du Jeune, en activité trois siècles après lui), semble être l’un des premiers à attribuer à la mélisse sa vertu de cordial, terme médical tombé en désuétude depuis, et que l’on comprendra à l’aide de la définition suivante : un médicament cordial se dit d’un remède propre à ranimer le fonctionnement du cœur (du latin cor, « cœur »). Ainsi, Sérapion considère-t-il la mélisse comme capable de rendre l’humeur joyeuse (le terme antidépresseur n’est pas encore forgé, mais on comprend l’idée sous-jacente). Voici ce qu’il écrit : « La mélisse réjouit le cœur, aide à la digestion, ouvre les conduits du cerveau, fortifie le cœur défaillant ou affaibli, principalement les défaillances nocturnes, les palpitations et ôte toutes les imaginations fâcheuses du cerveau, principalement qui procèdent d’humeur mélancolique ». Cela prouve un grand sens de l’observation que de relater des propriétés que les Anciens de l’Antiquité ne surent pas même approcher un peu. Un siècle et demi plus tard, c’est au tour d’un autre médecin arabe, plus célèbre encore, Avicenne, d’ajouter une pierre à cet édifice : pour lui, la mélisse est bel et bien un médicament du cœur, permettant de chasser les « vapeurs » mélancoliques et les palpitations nocturnes qui l’assaillent. On ne fait pas encore mention des propriétés stimulantes et antispasmodiques de la mélisse, mais on s’en approche grandement. Le Moyen-Âge central a beau innover en la personne d’Avicenne, cette période historique n’est, par ailleurs, que la redite des paroles des anciens médecins grecs et romains. Une fois de plus, Macer Floridus ne fait pas exception à la règle qu’il s’est imposée, il emprunte, il copie sans se soucier qu’en l’espace d’un millier d’années, les choses évoluent ou sont censées le faire : l’on retrouve donc dans ses écrits la qualité respiratoire de la mélisse contre l’asthme et l’orthopnée, sa réputation d’antidote face aux morsures de chien, aux piqûres d’abeille, de guêpe ou encore d’araignée (ce qui est plus proche de ses attributions actuelles), sa valeur antalgique sur les douleurs dentaires, articulaires, abdominales et menstruelles, ainsi que diverses autres affections (scrofulose, ulcère cutané, enflure, dysenterie). On accorde aussi à la mélisse la vertu de favoriser la conception et de purifier et de déterger la matrice après l’accouchement.
A la fin du Moyen-Âge, dès cette Renaissance bien nommée, un nouveau cap est en train d’être franchi par la mélisse : on le voit à travers l’engouement qui gagne les médecins : Petrus Forestus (1521-1597), Lazare Rivière (1589-1655) et au-delà même : Friedrich Hoffmann (1660-1742), Herman Boerhaave (1668-1738), Armand Trousseau (1801-1867), etc. Qu’est-ce que tous ces praticiens ont en commun ? D’avoir perpétué la médecine arabe du temps de Sérapion et d’Avicenne en quelque sorte, reconnaissant à cette plante sa juste valeur comme antispasmodique et sédative du système nerveux central, intervenant avec bonheur en cas d’hypocondrie, de manie et de mélancolie, de toutes ces agitations et agaceries que sont les palpitations cardiaques, les bourdonnements d’oreilles, les migraines et maux de tête d’origine nerveuse, les vertiges, les obnubilations, l’affaiblissement de la mémoire, etc., c’est-à-dire pas moins qu’un remède des nerfs, du cœur et de l’esprit. Pour mieux comprendre cette affirmation, il nous faut revenir au temps d’un médecin atypique, prédécesseur de ceux dont nous avons donné la liste un peu plus haut : Paracelse (1493-1541). Pour lui, la mélisse est une herbe souveraine qui « redonne force et santé à ceux qui sont malades, fatigués ou âgés » (1), autrement dit un tonique général dont Paul Sédir donne la recette d’élaboration dans son opus sur les plantes magiques : « Primum ens melissae, d’après Paracelse. Prenez un demi litre de carbonate de potasse pur, exposez-le à l’air jusqu’à ce qu’il soit dissout ; filtrez le liquide et mettez-y autant de feuilles de mélisse que vous pourrez, de sorte qu’elles soient toutes plongées dans le liquide. Tenez dans un endroit fermé, chaleur douce pendant vingt-quatre heures ; décantez ; versez sur le liquide pur une couche d’alcool de un ou deux pouces, laissez-l’y pendant deux jours ou jusqu’à ce que l’alcool devienne d’un beau vert ; cet alcool doit être recueilli, car il est bon pour l’usage, et remplacé par de l’autre alcool jusqu’à ce que toute la matière colorante ait été absorbée ; l’alcool sera alors distillé, et évaporé jusqu’à consistance sirupeuse » (2). C’est une recette relativement simple mais assez peu détaillée. Pour ne pas alourdir mon propos, je place un autre texte extrait d’un petit livre d’Anne Osmont, consultable ici en pdf, et dans lequel on explique la manière d’élaborer une quintessence de mélisse. A bon droit, l’auteur la considère comme un merveilleux arcane, auquel on va maintenant donner toute sa place au sujet des diverses vertus : elle « aiguise admirablement tous les sens internes, et principalement la mémoire qu’elle rend très heureuse, parce qu’elle purge le cerveau de toutes ses humidités et elle conforte très bien les esprits animaux [nda : c’est-à-dire le souffle vital] et les multiplie. Elle rend l’esprit gai, met en fuite la tristesse et vient au secours de l’estomac froid. Elle l’aide ainsi à digérer et elle lui apporte des éléments de vie, en augmentant sa chaleur naturelle. Elle rappelle les esprits animaux déficients, renforce la faiblesse du cœur, ramène le sommeil par sa chaleur naturelle et multiplie les esprits animaux. Elle met en fuite les soucis de l’âme et chasse les inquiétudes de l’imagination […]. Elle corrige les émanations pestilentielles, si on arrose avec les maisons infectées, et conforte le cerveau et le cœur par son odeur qui est on ne peut plus agréable, de telle sorte qu’on peut résister à toutes ces émanations. Bien plus, elle est aussi d’un grand secours pour ceux qui sont réellement atteints de la peste […]. Il peut sembler, à des esprits superficiels que cette description ait quelque chose de fabuleux et que ce soit demander beaucoup à la toute petite plante qu’est la mélisse qu’exiger d’elle ces quasi-miracles. Il n’en est rien et, si nous réfléchissions, nous verrions que les plantes qui nous sont les plus connues, celles à qui nous n’avons pas coutume de penser, sont riches de pouvoirs auxquels nous ne faisons jamais des appels qui nous seraient pourtant bien profitables » (3). C’est assurément un beau portrait, mais il est encore bien en-deçà de ce que peut offrir cette plante. L’on sait bien que la mélisse est une herbe de réconfort et de confortation agissant sur le cœur ; aujourd’hui, l’on dit plus sobrement qu’elle possède un effet bénéfique sur le moral, mais c’est manquer de beaucoup de poésie. Écoutons plutôt ce que déclamait le poète anglais Abraham Cowley (1618-1667) au sujet de la mélisse : « Fuyez, soucis qui troublez ma solitude ; l’aimable mélisse vient trouver son poète ; elle s’annonce gaiement et couronne ma tête de ses rameaux parfumés. ‘Chante-moi, me dit-elle, je serai ta récompense.’ Plante céleste ! Je reconnais ton souffle vivifiant ; il porte dans mon cœur la joie et la sérénité ».
Rendant aimable quand elle est portée sur soi, la mélisse, véritable talisman, non seulement éloigne les cauchemars, mais permet également d’attirer à soi les beaux rêves comme nous l’apprend le napolitain Jean-Baptiste Porta : voici « le moyen assuré d’exciter des songes agréables. Si, sur la fin du souper et à l’heure d’aller se coucher, une personne mange de la mélisse, elle aura en dormant des illusions et représentations d’effigies diverses, voire telles que l’esprit humain n’en pourrait désirer de plus joyeuses, car il verra des champs, des vergers, des fleurs, et la terre diaprée de verdure, il la verra ombragée de divers bocages, et finalement, en jetant les yeux autour de lui, il lui semblera voir que le monde entier verdoiera et fera rire pour sa merveilleuse beauté » (4). Jean-Baptiste Porta fut bien inspiré au sujet de la mélisse dont il a clairement cerné la capacité à induire le sommeil et à l’accompagner aussi de rêves dans lesquels domine une couleur, le vert, propre à un chakra, celui du cœur. La mélisse peut-elle promettre de nous emmener chaque nuit sur les terres de la déesse Aphrodite ? Je ne sais pas trop, mais, comme je l’avais remarqué il y a maintenant longtemps, la plante agit autant sur le cœur physique que sur celui représenté par ce chakra central qu’est Anahata, siège de la beauté et de l’amour.
La prodigieuse mélisse est aussi placée sous la houlette du Soleil et d’un animal qui le symbolise bien, l’abeille. D’ailleurs, son nom latin melissa est une abréviation du mot grec melitophyllon, qui signifie littéralement « feuille de miel », « feuille à abeille ». La mélisse est « singulièrement aimée des abeilles, qui se plaisent surtout à butiner sur ses fleurs » (5). C’est comme si, dans ces abeilles, l’on pouvait voir des prêtresses tout affairées auprès de leur reine qui leur offre ce si succulent nectar en échange de leur fidélité. Cet attrait des abeilles pour la mélisse explique aussi pourquoi les apiculteurs, dès l’Antiquité, employèrent les feuilles de mélisse pour en frotter les ruches. Recommandée déjà par Virgile, cette méthode permet d’éviter la fuite des essaims. Il est bien possible que derrière la nymphe Melissa se dissimule la déesse Artémis dont on sait que l’abeille est l’un des emblèmes symboliques. Figurée sous la forme d’une mélisse idéale et divine, Artémis serait donc la reine de l’essaim et de la ruche, tandis que les ouvrières besogneuses, les prêtresses dévouées et attachées au culte de la déesse.

On a fait moins de publicité à cette relation de la mélisse à Artémis qu’à ce qu’on appelle toujours l’eau de mélisse des carmes, et qui, parce qu’on lui attribue aussi le nom d’or potable, se rapproche dans sa symbolique du soleil et de l’abeille. Cette eau (qui n’en est pas une au sens strict) se compose de neuf épices et de quatorze plantes parmi lesquelles se trouvent thym, marjolaine, romarin, angélique, coriandre, clou de girofle, cannelle, noix de muscade, etc. Et, donc, de la mélisse. On l’obtient par macération des différentes substances végétales dans l’alcool, puis distillation. Cette composition médicinale est l’œuvre de l’Ordre des carmes déchaux (ou déchaussés), portant ce nom en raison de son origine, l’ordre ayant vu le jour en Terre-Sainte, abrité non loin du mont Carmel. Puis, de façon progressive, les carmes se répandent en Europe. Leur implantation en France ne semble pas remonter avant 1600, et à Paris en 1611, où ils s’installent à proximité du palais du Luxembourg, dans le futur sixième arrondissement. En 1613, rue de Vaugirard, au n° 70, ils posèrent la première pierre de ce qui est toujours l’église Saint-Joseph-des-Carmes, pour des travaux qui durèrent sept années. Pendant ce temps, on cultive la mélisse dans les jardins. C’est une plante que, sans doute, les carmes connaissent bien de par leurs origines proche-orientales communes. Expliquer la naissance de l’eau de mélisse, c’est un peu comme se risquer à raconter sans dire trop d’âneries, l’histoire du vinaigre des quatre voleurs : les lieux, parfois les dates, changent ; des données se télescopent entre elles, et on ne sait plus, finalement, ce qui est du domaine du vrai ou du faux. Mais comme cette eau de mélisse est encore vendue en pharmacie, l’on sait qu’on n’est pas là face à un mirage. Elle eut, comme émissaire de son succès, pas moins que le cardinal de Richelieu qui fit de cette eau l’un des médicaments favoris par lesquels il soignait ses migraines tenaces. Avec un tel ambassadeur, la réussite de l’eau de mélisse des carmes ne pouvait qu’être assurée, d’autant qu’en 1635 se produisit un événement fâcheux : Richelieu ne reconnût pas la caractéristique odeur de son eau de mélisse, et refusa donc de l’avaler, ce qui lui permit de déjouer une tentative d’empoisonnement. Dès lors, les carmes assurèrent la garantie d’une eau de mélisse « non abusée » en apposant sur chaque flacon le sceau de leur couvent. Voilà pourquoi l’eau de mélisse des carmes est munie d’un cachet rouge évoquant la pourpre du cardinal. En tous les cas, l’on put dire, avec Jean-Baptiste Chomel entre autres, que « l’eau de mélisse s’est acquis une réputation égale à celle de l’eau de la reine de Hongrie, à laquelle même plusieurs la préfèrent ». Cette eau de mélisse s’accompagna aussi d’une réclame dans laquelle on vantait ses pouvoirs, réels ou supposés. Présentée comme une panacée, elle permettait, disait-on, de « lutter contre les vapeurs, l’apoplexie, les syncopes, les évanouissements, les obstructions du foie, de la rate, des reins et surtout c’est une amie du cœur qu’elle réjouit et fortifie dans ses faiblesses ». Rien de plus que ce que disaient Sérapion, Avicenne, Paracelse et les autres, en somme, mais sous un emballage certainement plus moderne et plus « scientifique ». Voici ce qu’en disait Joseph Roques deux siècles après que les carmes déchaux aient lancé leur production rue de Vaugirard : « Cette préparation qu’on trouve dans toutes les pharmacies, excite puissamment tout l’organisme, augmente la chaleur générale, accélère la circulation, ranime la vie et convient spécialement dans la paralysie atonique, la difficulté de la menstruation, la faiblesse des voies digestives et la syncope produits par l’inertie des fonctions vitales » (6), ce qui, en guise d’avant-goût, est un résumé très correct de ce qui nous attend dans la seconde partie de cet article consacrée aux propriétés et usages de la mélisse en phytothérapie et aromathérapie. Mais ça ne sera pas sans une page de botanique.

C’est avec bonheur que le clan des Lamiacées s’enorgueillit, je pense, de posséder un tel membre parmi ses rangs, bien que la mélisse, il est vrai, à côté du romarin, du thym et de la menthe, soit plus rarement représentée. Par exemple, il y a quelques jours je me suis rendu au marché et j’en ai profité pour me renseigner auprès du pépiniériste qui vend diverses plantes en pot dont quelques aromatiques. Je lui ai demandé s’il avait de la mélisse. Il m’a répondu que non, parce que c’était une plante trop peu demandée, et qu’il courait moins de risques à proposer les grandes classiques que sont le thym, la ciboulette, le persil, le romarin et la menthe. C’est triste, cette histoire de serpent qui se mord la queue. Bref. En attendant, toi, lecteur, si tu connais la mélisse, je te souhaite, si ce n’est déjà fait, d’en avoir un pied à la maison, et si tu ne la connais pas encore, qu’une sorte de heureux « hasard » qui n’existe pas t’a fait arriver jusqu’ici, je ne puis que te conjurer de t’en prendre un pied.
Comme la sauge et la menthe, la mélisse est une plante vivace qui pousse en touffes denses formant quelquefois de petits peuplements buissonneux et ramifiés de 70 cm de hauteur à plein développement. Des feuilles opposées, plus ou moins ovales, parfois découpées selon une forme qui rappelle ses propriétés cordiales, s’établissent le long d’une tige comptant quatre angles. Tendres et assez molles en leur jeunesse, ces feuilles, de couleur vert jaunâtre, gai et franc, sont festonnées sur leurs marges de grosses dents rondes, parfois chicots abrasés, toutes douces. Lorsque, timidement, la floraison se met en place, l’on peut observer, à l’aisselle des feuilles, de petits boutons jaune tendre qui s’organisent en verticilles souvent peu denses. D’un blanc discret, ces fleurs poussent parfois l’audace à se laver d’un peu de rose pâle. La floraison de la mélisse, qui généralement dure de juin à septembre, donne naissance à une multitude de petites semences noires qui se resèment très facilement, faisant de la mélisse une plante parfois invasive, empruntant la voie des airs pour se répandre, alors que la menthe poivrée, aux graines stériles, se propage à l’abri des regards indiscrets par le biais d’un astucieux et infatigable réseau de rhizomes souterrains.
En France, la mélisse est naturalisée principalement dans le quart sud-est, ailleurs elle est spontanée ou cultivée. Ce n’est pas une aventurière, cela explique pourquoi on la trouve souvent sur des sols riches, ensoleillés, parfois à mi-ombre dans les haies, se dissimulant dans les broussailles aux côtés de l’ortie, à la lisière des bois clairs ; mais jamais on ne la verra s’emmitoufler au sein de l’épaisse forêt ombrageuse parce que c’est avant tout une plante solaire et sociable, présente dans ou aux abords des jardins, s’y installant parfois sans qu’on ne lui demande rien (et il doit y avoir là une excellente raison à cela et qui mérite qu’on y trouve réponse autrement qu’en arrachant bêtement la plante comme je l’ai vu parfois faire…). Ignorants de l’or qui pousse gracieusement et gratuitement dans leur jardin, certains excommunient la belle comme on ferait d’une vulgaire mendiante, qui ne fait pas nécessairement exprès de se signaler à notre attention dans les villages, auprès des maisons, au pied des vieux murs, parfois même dans les vignobles. Très souvent sa présence ectoplasmique marque l’abord d’une ancienne culture menée en grand. On peut alors la considérer comme un vestige, à l’image de celles qui poussent çà et là chez mes grands-parents, non loin de touffes de grande absinthe, rappelant à elles deux, qu’à une époque antérieure à l’interdiction de la liqueur d’absinthe en France, ces plantes y étaient fréquemment cultivées pour en approvisionner le marché.
Au jardin, on prendra soin d’installer la mélisse très éloignée de la sauge, parce qu’elle peut en inhiber la croissance par télétoxie. On observera, de même, une zone de sécurité entre mélisse et lavande, qui risque fort autrement de pâtir de la proximité de la mélisse. Voilà quelques petites règles de base avant de hurler au sortilège ou à l’envoûtement ^.^

La mélisse en phyto-aromathérapie

Les doigts qui froissent légèrement les feuilles de cette plante sauront reconnaître la mélisse à son suave parfum citronné très prononcé, ainsi qu’à sa saveur chaude et un peu amère, aromatique et épicée.
Des matières résineuses et pectiques côtoient du tanin, ainsi que plusieurs acides-phénols (acides rosmarinique, caféique, chlorogénique), triterpènes (acide olénolique, acide hydroxyoléanolique, acide ursolique) et flavonoïdes (lutéoline, quercétol).
Bien que fortement parfumée, la mélisse contient une infime fraction aromatique, une information facilement lisible en terme de rendement située entre 0,02 et 0,2 % la plupart du temps. On évoque aussi parfois les chiffres de 0,4, voire 0,75 % au sujet de cultivars espagnols, ce qui contredit quelque peu les informations fournies par Fournier, comme quoi les mélisses septentrionales sont plus généreuses en ce qui concerne la production d’huile essentielle, qui prend, chez elle, l’aspect d’un liquide pâle (incolore à jaune très clair), d’odeur fraîche, herbacée et citronnée. Obtenue par hydrodistillation des sommités fleuries, cette huile essentielle très légère (densité : 0,893 à 20° C) se compose biochimiquement comme suite :

  • Monoterpénals (ou aldéhydes terpéniques) : 55 %, dont géranial (ou α-citral : 30 %), néral (ou β-citral : 20 %), citronnellal (2 %)
  • Sesquiterpènes : 20 %, dont β-caryophyllène (17 %), germacrène D (1 %)
  • Esters : 7 %, dont acétate de géranyle (4 %), citronnellate de méthyle (1 %), géranate de méthyle (0,7 %)
  • Monoterpénols : génariol (3 %)
  • Cétones : 6-méthyl-5-hepten-2-one (3 %)
  • Monoterpènes : 2 %, dont β-ocimène (1 %)
  • Coumarines : esculine, scopolétol (traces)

Propriétés thérapeutiques

  • Négativante, sédative du système nerveux central, calmante, hypnotique
  • Tonique, cardiaque, hypotensive, cordiale, antispasmodique
  • Apéritive, digestive, stomachique, favorise la sécrétion des sucs gastriques, carminative, hépatostimulante, cholagogue légère, vermifuge intestinale (?)
  • Tonique utérine, emménagogue, anaphrodisiaque (permettrait de dominer les élans pulsionnels…)
  • Anti-inflammatoire, sudorifique légère, calme la soif et la sécheresse des muqueuses lors d’épisodes fébriles, rafraîchissante
  • Vulnéraire, régénératrice cutanée
  • Anti-infectieuse : antivirale, antifongique, bactériostatique
  • Tonique cérébrale, stimulante intellectuelle et physique (« répare les forces épuisées par l’abus des plaisirs physiques », « ranime l’action musculaire dans les membres affaiblis et comme paralysés »)
  • Anti-oxydante
  • Ophtalmique
  • Antihistaminique
  • Insectifuge (moucheron, moustique)
  • Équilibrante thyroïdienne, progesteron like
  • Sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, indigestion*, digestion difficile, paresse digestive, lourdeur digestive, ballonnement*, météorisme, flatulence*, douleur digestive*, nausée*, nausée de la grossesse, éructation, spasmes abdominaux, dyspepsie, gastralgie, colique*, acidité gastrique*, mal des transports, crampe stomacale, vers intestinaux (* : également d’origine nerveuse)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : éréthisme cardiaque, faiblesse du cœur, spasmes cardiaques, palpitations, tachycardie, angor, arythmie cardiaque, hypertension, cardialgie
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : bronchite, bronchite chronique, catarrhe bronchique chronique, asthme, asthme humide, allergie respiratoire, refroidissement, acouphène, bourdonnement d’oreille, névralgie auriculaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, retard des règles (Simon Paulli recommandait aux femmes qui accusent un retard de placer quelques feuilles de mélisse dans leurs souliers), dysménorrhée, prévention des troubles de la ménopause (bouffées de chaleur…), engorgement des seins, douleur des femmes en couches
  • Troubles du système nerveux : nervosité, émotivité, hyperémotivité, irritabilité, crise de nerfs, hystérie, anxiété, panique, inquiétude, trac, choc, état de choc, vertige, syncope, évanouissement, état dépressif, dépression légère, mélancolie, deuil, défaillance nerveuse, épuisement nerveux, déficience intellectuelle (perte de mémoire), insomnie et autres troubles du sommeil

Note : la mélisse s’apparente assez à une sorte de remède de secours (type Rescue du docteur Bach). Sous forme d’huile essentielle, elle est aussi très proche du néroli. Ainsi, « l’annonce d’une joie ou d’une peine inaccoutumée […], une bataille de galopins ou la venue inopinée de l’hiver » (7) et autres scènes de ménage sont-elles des occasions justiciables de son emploi.

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique (d’origine nerveuse), soulagement des douleurs causées par des calculs biliaires
  • Affections cutanées : écorchure, ecchymose, contusion, plaie douloureuse et/ou enflammée, piqûre d’insecte (abeille, guêpe, moustique), coup, blessure, eczéma, zona, éruption (varicelle)
  • Affections bucco-dentaires : névralgie et douleur dentaires, rage de dents, herpès labial
  • Faiblesse de la vue
  • Anémie, chlorose, fatigue après infection, convalescence
  • Migraine chez les personnes délicates et nerveuses, maux de tête, névralgie faciale
  • Douleurs goutteuses et rhumatismales

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles et/ou de sommités fleuries sèches ou fraîches à vase clos (placer un couvercle sur la casserole s’avère avantageux pour minimiser la volatilité de l’essence aromatique au cours de l’infusion).
  • Infusion vineuse (dans du vin blanc) de feuilles et/ou de sommités fleuries à froid (température ambiante) durant 24h00.
  • Décoction vineuse de feuilles et/ou de sommités fleuries fraîches dans du vin blanc.
  • Décoction de feuilles fraîches : comptez dix cuillerées à soupe de mélisse pour un litre d’eau. On prolonge la décoction jusqu’à ébullition, on coupe le feu, on laisse infuser à couvert pendant 10 mn hors du feu, on filtre en exprimant. Cette décoction se destine tant aux différents usages que l’on peut faire de la mélisse en externe, que versée dans l’eau d’un bain.
  • Macération vineuse : 50 g de mélisse fraîche pour un litre de vin blanc en macération durant 48h00, au bout desquelles on filtre et on exprime. Usage interne essentiellement.
  • Macération alcoolique (= teinture) : comptez une partie de mélisse fraîche qu’on fait macérer pendant 15 jours dans huit parties d’eau-de-vie. Se destine à l’usage interne comme externe.
  • Alcoolat de mélisse composé (= « eau de mélisse »). Il s’agit là d’une des nombreuses recettes qui ont puisé leur inspiration auprès de l’eau de mélisse des carmes, qu’on distinguera, parce que autrement plus élaborée. Dans la plupart des recettes simplifiées, ce sont presque toujours les mêmes ingrédients que l’on retrouve, seuls changent les proportions et le mode opératoire. Voici l’une de ces recettes : 50 g de feuilles et sommités fleuries de mélisse fraîches, 15 g de zeste de citron frais, 15 g de semences de coriandre, 15 g de noix de muscade râpée, 10 g de clous de girofle, 10 g de racine d’angélique sèche, 5 g de cannelle de Ceylan « bâton », un litre d’eau-de-vie blanche. On laisse macérer le tout pendant 15 jours, au bout desquels on filtre en exprimant. Se destine à l’usage tant interne qu’externe sur un comprimé neutre, dans une potion, etc.
  • Eau de mélisse des carmes : elle n’a pas besoin d’être absorbée en grande quantité. A ce titre, elle ressemble beaucoup à l’alcool de menthe Ricqlès. Comme les deux autres préparations dont nous venons de parler, l’on peut user de l’eau de mélisse des carmes en interne comme en externe. Dans le premier cas, on place le nombre de gouttes qui suffisent sur un comprimé neutre que l’on met ensuite sous la langue, ou bien directement dans un demi verre d’eau, une infusion ou n’importe quelle boisson chaude ou froide (ce produit est soluble dans l’eau, contrairement aux huiles essentielles). A l’extérieur, l’eau de mélisse des carmes vient bien à propos en friction locale sur les tempes, la nuque, l’intérieur des poignets. L’on peut étendre la zone d’application au rachis, à la poitrine (à l’épigastre en particulier), ainsi qu’aux membres inférieurs comme supérieurs.
  • Huile essentielle : en olfaction, en application cutanée locale préalablement diluée dans l’huile végétale adaptée au besoin, per os (c’est plus rare, vue sa cherté).
  • Hydrolat aromatique : en vaporisation cutanée, en lavage, en bain d’œil, etc. C’est aussi, tout comme l’infusion simple, un bon moyen de diluer teinture-mère, extrait de plante fraîche, poudre, etc.
  • Suc frais en application locale (par exemple : piqûre d’insecte). Plus rapide encore : friction de feuilles fraîches sur la zone endolorie et/ou enflammée.
  • Pommade, onguent.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses.
  • Poudre de feuilles sèches (assez rarement ; usitée comme sternutatoire).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : à force de lire différentes choses sur ce sujet çà et là, je suis arrivé à une conclusion (temporaire ?) : la mélisse est affectée des mêmes « problématiques » que la verveine citronnée, c’est-à-dire que selon l’avancement du cycle végétatif de ces deux plantes, la saveur et le parfum de leurs parties aériennes évoluent, de même que l’huile essentielle que l’on obtiendrait en distillant la plante avant et après. Mais avant et après quoi ? Floraison ! D’après Henri Leclerc, il est souhaitable d’employer la mélisse lorsque les fleurs sont encore tout juste en boutons, lorsqu’elles n’ont pas encore pris cette teinte blanche qui succède à celle, safranée, qu’elles ont quelques temps auparavant. Pour Cazin, il fallait que la mélisse soit bien garnie de fleurs pour opérer une récolte, ce qui nous situe en juin, voire en juillet selon les régions. En revanche, il est vrai qu’on se gardait de récolter la mélisse trop avancée dans sa floraison, parce que trop âgée, elle ne diffuse plus une agréable odeur de citron, bien plutôt une odeur désagréable, les fleurs fanées donnant à la plante une saveur amère de punaise peu ragoûtante. Pour éviter cet écueil, l’on fixe la période de récolte avant floraison et/ou bien après, lorsque les fleurs, ayant fait leur office, ont chu. Il n’y aurait non pas deux phases aromatique, mais trois : avant, pendant et après floraison, correspondant, à peu près, aux mois de juin, juillet et août.
  • Séchage : il est bien sûr possible, et même facile, mais comme il s’accompagne généralement d’une perte d’odeur et d’un peu de saveur, on a préféré souvent usé de la plante fraîche. Cazin offre néanmoins une solution : « Pour conserver aux feuilles leur couleur et leur odeur, il faut les cueillir un peu avant la floraison, en détacher les tiges et les pétioles, les faire ensuite sécher au soleil, ou mieux à l’étuve, et les placer dans un lieu sec » (8). Sinon, le mieux reste encore la teinture alcoolique : grâce à elle, on bénéficie des avantages de la mélisse même en plein hiver quand on ne dispose plus de mélisse fraîche. Le délai de garde de la mélisse sèche est d’un an grand maximum. Si la récolte a été bien menée, de même que la dessiccation, la mélisse sèche doit conserver encore un peu de souplesse, sans se ramollir ni noircir au fil du temps, ce qui serait le signe qu’elle a été mal conservée ou placée non à l’abri de l’humidité (comme l’on sait, certaines plantes sèches captent l’humidité atmosphérique assez facilement).
  • L’on aurait tort de croire que la mélisse, malgré son odeur de citron, puisse posséder quelque rapport avec cet agrume : si l’on compare la composition biochimique de l’huile essentielle de mélisse avec celle de l’essence de citron, l’on peine à découvrir de grandes lignes directrices. La proximité sémantique – on a affublé la mélisse de citronnade, d’herbe au citron, etc. – ne peut pas abuser le connaisseur. Il est des mots passe-partout, comme citronnelle, qui, eux, sèment davantage la confusion : si, par citronnelle, tu entends la mélisse et que moi j’entends la « vraie » citronnelle, que tu me demandes de la citronnelle, je t’offrirais, par exemple, un flacon d’huile essentielle de Cymbopogon citratus de 10 ml, coûtant, allez, 5,00 €. Alors que pour la même somme, tu ne peux que rarement t’offrir plus de 0,5 ml d’huile essentielle de mélisse officinale. Parmi les autres risques de spoliation qui pourraient (voudraient) nous faire prendre les vessies pour des lanternes, nous avons, par proximité biochimique et olfactive (ce qui est une parfaite insulte pour la mélisse !), les huiles essentielles d’eucalyptus citronné (Eucalyptus citriodora), de litsée (Litsea cubeba), de cataire (Nepeta cataria), de lemon-grass (Cymbopogon flexuosus), et d’autres plantes comme l’aurone mâle et le thym citron. La seule plante médicinale, portant quelquefois le sobriquet trompeur de citronnelle et qui pourrait nous la faire confondre avec la mélisse sans trop de conséquence, n’est autre que la verveine citronnée (Aloysia citriodora), huile essentielle rare et chère qui, à côté de celle de mélisse, tient largement la comparaison, tant d’un point de vue du parfum que des propriétés thérapeutiques (9). Quant aux « citronnelles » indiennes, javanaises, etc. Euh… J’ai vu une fois un étiquetage frauduleux : mélisse des Indes. C’était je ne sais plus quel cymbopogon. Le vendeur, trop désireux de refourguer sa « daube » n’hésite pas à la parer des lettres de noblesse qu’elle n’a pas. En ce qui me concerne, les huiles essentielles à forte teneur en monoterpénals que j’apprécie, ce ne sont pas moins que celles que j’ai citées tout à l’heure, savoir mélisse et verveine. Quant aux différentes citronnelles, lemon-grass, litsée, eucalyptus citronné et je ne sais plus quoi d’autre dans ce goût-là, ce sont des produits que je trouve bien trop frustes, pour lesquels j’ai la plus grande répulsion parce qu’ils m’irritent au-delà du raisonnable. Ce qui est fort étrange, parce que je range les monoterpénals dans l’élément Terre qui, très justement, chez moi, fait défaut. (Je suis beaucoup plus à l’aise avec les cétones que je classe dans le même élément. Définitivement.) Mais la citronnelle, non, elle me repousse comme un moustique (je dois m’interroger à ce sujet…). En l’espace de 15 ans, j’ai perçu une modification de l’attraction que je peux éprouver pour certaines huiles essentielles : par exemple, les huiles essentielles d’arbre à thé, de niaouli, de palmarosa, qui m’indisposaient grandement à l’époque (depuis je ne me suis pas procuré plus de deux flacons de chaque), se montrent plus acceptables aujourd’hui, en particulier le niaouli et le palmarosa (l’arbre à thé, je ne peux toujours pas le saquer ^.^).
  • Puisque nous y venons… : l’on considère l’huile essentielle de mélisse habituellement sans risque ni toxicité. Néanmoins, l’on observe chez les personnes sensibles un effet irritant sur peau et muqueuses, lacrymogène et tussigène parfois. Il est habituel de la considérer avec prudence durant la grossesse. Mais vu son prix !… Cependant, à la fin du XIX ème siècle, Cadéac et Meunier étudièrent les effets de cette huile essentielle ingérée à haute dose : 2 g. Cela peut vous faire sourire, mais 2 g (ou à peu près 2 ml), c’est le flaconnage courant dans lequel cette huile essentielle est commercialisée en France. Après enquête, j’ai vue des capacités variant de 2 à 5 ml, mais plus souvent 2 ml en ce qui concerne la vente au détail ; sinon, elle est parfois vendue au kg (1650 €), aux 10 kg (13000 €). Il n’est nul besoin de tomber dans une telle bassine pour ressentir les premiers effets, non pas d’une intoxication, mais d’un excès : 2 g à jeun entraînent une lassitude suivie d’un engourdissement de la respiration et du pouls, d’un fléchissement de la tension artérielle. Bien possible qu’à doses plus fortes le cœur s’arrête.
  • Alimentation : « La mélisse est rarement admise au nombre des condiments culinaires, et je ne sais pourquoi. Son odeur de citron ne déparerait pourtant pas les mets qu’on donne aux convalescents et aux personnes débiles, aux goutteux, aux asthmatiques, aux paralytiques, etc. Quelques personnes mangent pourtant les feuilles en salade dès qu’elles commencent à se former. C’est une fourniture agréable et saine » (10). Pourtant, il s’avère exact qu’en cuisine la feuille de mélisse peut largement tenir la comparaison avec des herbes fraîches qui, d’habitude, s’y trouvent bien plus souvent qu’elle. Mais, depuis le temps de Roques (il écrivait cela en 1837), la culture, même domestique, de la mélisse a bien reculé. Fournier nous en donne une des raisons : en France, « la culture de la mélisse a rétrogradé depuis l’interdiction de l’absinthe, dans laquelle elle entrait pour une certaine proportion » (11). Malgré l’interdit qui a frappé la fée verte il y a un siècle, l’on a perpétué l’usage de la mélisse à travers l’élaboration toujours continuée de liqueurs comme la Bénédictine et la Chartreuse, et, en Allemagne, dans une sorte de maitrank. En cuisine, les feuilles permettent de parfumer agréablement les potages, les salades, les ragoûts et, pourquoi pas ?, les omelettes. Avec certains légumes cuits, elle réussit bien, de même qu’avec des préparations fromagères où, au fromage blanc frais, on mêle, outre le sel et le poivre suffisants, des herbettes comme le cerfeuil, la ciboulette, le persil, la coriandre, le céleri (ou l’ache sauvage, mieux à propos), et donc des feuilles de mélisse bien finement ciselées. N’y a-t-il pas desserts, sauces, huiles ou vinaigres qui ne se trouveraient pas bien de l’emploi de la mélisse ? Aux Pays-Bas, en Belgique encore, on emploie les feuilles de mélisse pour bien agrémenter les marinades de poissons comme le hareng et l’anguille. En Angleterre, on substitue la mélisse au basilic dans la recette du pesto.
  • Il n’y a pas que les aliments que la mélisse parfume : des rameaux de mélisse placés dans les armoises à linge, outre qu’ils font fuir les mites, imprègnent vêtements et lainages d’un subtil parfum. Son huile essentielle intervient aussi dans l’art du parfumeur.
  • Confusion : on appelle parfois des surnoms de mélisse des bois, mélisse sauvage ou encore mélisse bâtarde, une plante assez proche, la mélitte à feuilles de mélisse (Melittis melissophyllum). De même, cette plante qu’en latin on appelle Melissa calamintha ne doit pas nous égarer : ce n’est pas une mélisse, mais un calament. Autre faux ami : la mélisse de Moldavie (Dracocephalum moldavica).
  • Sous-espèces et variétés : la mélisse orange au parfum de mandarine est une sous-espèce de mélisse officinale. En latin, elle porte le nom de Melissa officinalis ssp. altissima. A son sujet, je me demande bien pourquoi, Pierre Lieutaghi lui trouvait une odeur aux relents fétides… Parmi les variétés, il existe une mélisse officinale aux feuilles intégralement jaunes (All gold), une autre au feuillage panaché (Variegata), la Quedlinburger Niederliegende, plus riche en essence aromatique. Enfin, nous pouvons encore ajouter les variétés Lemonella, Citronella et Lime.
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    1. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon Dieu, p. 176.
    2. Paul Sédir, Les plantes magiques, pp. 78-79.
    3. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, pp. 91-92.
    4. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 199.
    5. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 146.
    6. Joseph Roques, Plantes usuelles, Tome 1, pp. 241-242.
    7. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 292.
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 574.
    9. L’huile essentielle de verveine citronnée, même si elle demeure un produit onéreux, l’est tout de même moins que celle de mélisse officinale. Après rapide enquête auprès d’une dizaine de producteurs français, j’ai calculé le prix moyen de 27,00 € les 5 ml. Pour ce tarif, l’on n’a jamais guère que 2 ml d’huile essentielle de mélisse.
    10. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, spécialement appliqué à la médecine domestique, et au régime alimentaire de l’homme sain ou malade, Tome 3, p. 176.
    11. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 622.

© Books of Dante – 2020