La mélisse de calme (Lippia alba)

En langue créole, la verveine blanche porte le nom de mélisse de calme. Le premier de ces mots est trompeur, car cette plante est apparentée à une verveine, portant le nom latin de Lippia alba, et non à la Melissa officinalis, membre du vaste clan des Lamiacées. Le second mot l’est tout autant, car il ne traduit pas cet état de béatitude intérieure infinie que le moindre vol d’une mouche est incapable de briser. Il est la translation du mot « carme » que l’on connaît à travers la célèbre eau de mélisse des Carmes. Ce que l’on peut remarquer, c’est que par ces deux « erreurs » on peut renvoyer la verveine blanche à une certaine parenté qu’elle partagerait avec la mélisse officinale. Cette volonté unioniste semble sceller une certaine communauté thérapeutique, sachant que la mélisse de calme agit sur la sphère cardiovasculaire (elle traite l’hypertension, la tachycardie, ainsi que d’autres troubles cardiovasculaires), les perturbations gastro-intestinales, ainsi que les affections du système nerveux comme l’anxiété, étant considérée comme sédative et antidépressive. A peu de chose près, elle se rapproche donc de ce que la mélisse officinale prend en charge. L’on n’a donc pas eu tort de la surnommer « mélisse », qui plus est de « calme », terme qui, s’il renvoie à la manière erronée d’écrire le mot « carme », convient aussi très bien, car il souligne la capacité remarquable de cette plante à restaurer la tempérance dans le cœur et dans les émotions, aspect tout à fait visible encore dans son aptitude à endormir les enfants et à en calmer les pleurs.

Cette plante, parfois prônée pour ses qualités ornementales et condimentaires, fait l’objet, dans son aire d’origine, d’une pratique phytothérapeutique que l’on retrouve jusqu’en Guyane, Martinique et Guadeloupe où, à l’instar de la verveine citronnée des tisanes de grand-mère, la mélisse de calme est cultivée. Il est vrai que cet élégant sous-arbrisseau qui porte de jolis cônes de fleurs verticillées à l’aisselle de ses feuilles, ne manque pas d’un charme que l’hydrodistillation cherche à lui ravir afin de l’enfermer dans de petites bouteilles de verre opaque. Rare, peu accessible en terme de prix (Oshadhi la propose à pas loin de 26 € le flacon de seulement 3 ml !), on optera sans doute pour l’acquisition d’une huile essentielle plus commune et polyfonctionnelle avant de se jeter sur celle de verveine blanche pour laquelle il faut observer, je pense, la même retenue que vis-à-vis de cet autre produit précieux qu’est l’huile essentielle de mélisse officinale. De couleur jaune à brun clair, l’huile essentielle de mélisse de calme se compose de la façon suivante :

  • Sesquiterpènes (60 %) dont bicyclogermacrène (22,5 %), β-caryophyllène (16,7 %)
  • Oxydes dont 1,8 cinéole (17 %)
  • Monoterpènes (7,5 %)
  • Monoterpénols (2 %)

© Books of Dante – 5 juin 2023

Le rooibos (Aspalathus linearis)

Afin de ne pas conserver à l’esprit l’idée erronée que le rooibos est simplement une alternative au thé ou au café, je me suis attaché à exposer, à travers ce nouvel article, le profil thérapeutique du rooibos, afin de dépasser la vision par trop simpliste avec laquelle on le considère la plupart du temps. Pour ne vous en toucher que quelques mots, sachez donc que le rooibos est un fabuleux anti-oxydant, qu’il est anti-inflammatoire, anti-allérgique et qu’il constitue un bon remède à l’ensemble des maux qui affectent la société occidentale moderne, à savoir l’obésité, le diabète sucré de type II et la maladie d’Alzheimer entre autres. On voit donc qu’il ne s’agit pas que d’une agréable infusion de confort ^.^ Bienvenue donc au rooibos phytothérapeutique !

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : thé rouge, thé des montagnes, buisson rouge, red bush tea.

Désireux d’apprendre la langue du pays batave avant de se rendre aux Indes néerlandaises, le naturaliste suédois Carl Peter Humberg (1743-1828) fit escale au Cap où il demeura quatre années, de 1771 à 1775, ce qui fut pour lui bien pratique, étant entendu que des colons hollandais s’étaient établis à la pointe sud de l’Afrique un siècle plus tôt. Il passe pour avoir favorisé le commerce du rooibos (un terme issu de l’afrikaans, c’est-à-dire une langue dérivée du néerlandais que parlaient les colons hollandais en Afrique du Sud) avec l’Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, époque à laquelle date aussi sa première description botanique établie par les Blancs. Mais n’ignorons pas que cette plante typique du sud du continent africain était parfaitement connue des Khoïsan1 qui l’utilisèrent bien avant l’arrivée de Jan van Riebeeck (1619-1677), le tout premier européen à avoir implanté une colonie en Afrique du Sud, à proximité du Cap de Bonne-Espérance, séparant d’environ 200 km le territoire d’élection du rooibos : le Cederberg (qui accueille depuis un demi-siècle une réserve naturelle). Ce qui ne fut tout d’abord qu’un phénomène local (à la façon du maté) attendit longtemps avant de gagner en notoriété. Au sein de l’historiographie du rooibos, l’on cite souvent le nom de l’homme d’affaires d’origine russe Benjamin Ginsberg (1886-1944) qui s’intéressa très tôt, dès 1903, au rooibos, débutant son commerce tout d’abord localement puis à plus large échelle. Non seulement il suscita l’adhésion pour cette espèce de « thé rouge », mais sa cueillette sauvage s’étendit tant que la matière végétale commença à manquer pour alimenter un marché en plein essor, Ginsberg fournissant de grandes quantités de rooibos à différentes entreprises qui reconditionnaient et revendaient la plante sous leurs propres marques, à l’instar de Ginsberg lui-même, créateur de la plus ancienne marque de rooibos sous forme d’infusion prête à l’emploi, Eleven O’Clock, qui existe toujours au reste et a su conserver un design ringard très moche ^.^ Face aux difficultés d’approvisionnement en rooibos, une plante qui ne pousse que dans le Cederberg et que l’on ne trouve nulle part ailleurs à la surface de la Terre, le docteur Pieter Le Fras Nortier (1884-1955) proposa, dès la fin des années 1920, de tenter la culture du rooibos qui, jusqu’à présent, ne faisait que l’objet d’une cueillette sauvage. Ses recherches furent fécondes, puisqu’en 1930 débuta pour la première fois la culture du rooibos en Afrique du Sud, implantant dans le paysage sud-africain une nouvelle industrie pourvoyeuse d’emplois. Il en profita lui aussi pour concevoir sa propre marque, Dr Nortier’s rooibos tea. Beaucoup plus tard, le docteur Annique Theron (1929-2016) constata qu’une infusion de rooibos avait eu le pouvoir de soulager sa fille Lorinda, alors en bas âge, supprimant chez l’enfant son agitation chronique, ses crampes d’estomac et ses vomissements. Deux ans plus tard, en 1970, elle fit paraître un livre qui relatait l’ensemble des découvertes qu’elle fit au sujet du rooibos : Allergies : an amazing discovery on rooibos. Comme le docteur Nortier avant elle, Theron commercialisa sa propre marque, Annique Rooibos. Tout cela favorisa davantage l’internationalisation du rooibos, propulsé hors de ses frontières à l’aube des années 1990 en direction des pays de l’hémisphère nord essentiellement. Certes, certes. Mais qu’en fut-il des populations locales ? On accuse souvent Ginsberg d’avoir favorisé l’exploitation du rooibos en direction de l’Europe au détriment des populations pauvres d’Afrique du Sud. Et que dire de ses « successeurs » ? En dehors d’Afrique du Sud, cela ne fut guère mieux, tant ce potentiel marché bien juteux attisa la convoitise des grandes groupes aux dents longues. Il y a moins de quinze ans, des entreprises étasuniennes et françaises tentèrent de revendiquer – au nom de quoi ? On se le demande… – la propriété du patrimoine végétal naturel qu’est le rooibos, rien que ça ! En 2012, l’une d’elles, dont le siège social est situé à Paris, procéda même à une demande d’enregistrement d’un certain nombre de marques incorporant les termes « rooibos » et « rooibos sud-africain ». Deux ans plus tard, ce fut au tour de deux méga groupes (capitalisés en bourse à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros chacun) de tenter des actes similaires. Une fois de plus, l’outrecuidance occidentale, mâtinée de racisme et de ce paternalisme agaçant, semble s’être exprimée de la plus indélicate des manières, des entreprises, les mêmes ou d’autres encore, n’hésitant pas à user de moyens peu recommandables, tels que la biopiraterie. En refusant de compenser ou même de reconnaître les cultivateurs des ressources végétales originelles comme tels, on spolie la propriété intellectuelle, la biopiraterie n’étant pas apparentée à autre chose qu’un vol. Désormais, une loi datée de 2013 stipule que « le nom rooibos ne peut être utilisé que pour désigner le produit sec, l’infusion ou l’extrait qui est du rooibos pur à 100 % dérivé d’Aspalathus linearis et qui a été cultivé ou récolté à l’état sauvage dans la zone géographique du Cederberg ». Ce n’est qu’ainsi qu’il put être protégé de l’usurpation. Il aura fallu lutter âprement contre la pression de l’Occident, via l’OMC, pour que l’Afrique du Sud ne se fasse pas dépecer de ce qui « est considéré comme le patrimoine naturel de l’Afrique du Sud, un avantage pour un peuple, un système juridique, une nation, et le thé le moins cher qui soit et qui soigne de nombreux maux »2.

L’exploitation du rooibos en coopératives permet le développement de la région de production de la plante, puisqu’à travers environ 350 fermes impliquées dans cette industrie, ce sont 5000 personnes qui sont employées par ce secteur capable de produire annuellement 15000 tonnes de rooibos dont les 2/3 sont exportés vers l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon. Parallèlement à la culture du rooibos, majoritaire maintenant, de petits agriculteurs ont été amenés à exploiter la ressource sauvage, naturellement résistante à la chaleur et à la sécheresse. Fragile (puisqu’elle dépend des aléas météorologiques et de son exposition aux risques d’incendie), mais ô combien durable : alors qu’un rooibos sauvage peut vivre durant un demi siècle et produire durant ce laps de temps, son homologue cultivé ne dépasse pas une durée de production de six ans. Sauvage, le rooibos est également très rustique, à la façon de son cousin européen, le genêt à balai, ce qui l’autorise à tirer parti de son milieu et des éléments qui, parfois, s’y déchaînent.

Plante du soleil et de la sécheresse, le rooibos est un représentant d’une flore côtière riche de plus de 1300 espèces, dominée par les Astéracées, les Fabacées et les Iridacées, bénéficiant d’une toute petite zone géographique où règne le climat méditerranéen en Afrique du Sud, ce fameux Cederberg où les températures oscillent entre 0° C l’hiver et pas loin de 50° C durant la saison estivale, tandis que les précipitations annuelles s’échelonnent entre 180 et 500 mm. La nature du sol et le climat obligent les racines du rooibos à se frayer un chemin jusqu’à 3 m de profondeur et parfois davantage, afin d’y débusquer l’humidité. C’est cela qui fait qu’il est particulièrement adapté aux terrains secs, grossièrement sableux, infertiles, profonds, bien drainés, au pH acide, tels qu’on les voit dans le Cederberg, entre 450 et 900 m d’altitude. Grâce à l’ensemble de ses rameaux filiformes parallèles bien dressés, le rooibos atteint une taille de 1,5 m de hauteur, ce qui en fait un arbuste compte tenu du tronc, même bref, qu’il possède et qui projette au-dessus du sol sa brassée de rameaux. Ses longues feuilles linéaires, fractales des rameaux qui les portent, de couleur vert foncé, de texture un peu molle, ont aussi pour fonction de protéger la plante de l’évaporation de l’eau contenue dans ses tissus. Au printemps (octobre), de petites fleurs jaunes semblables à celles du genêt s’épanouissent et finissent par produire des fruits en forme de gousse ne contenant chacun qu’une seule graine de couleur jaune pâle, si dure qu’il faut la malmener un peu afin de faire croître la capacité germinative du rooibos.

Le rooibos en phytothérapie

Du mois de décembre à celui de février, c’est-à-dire à la période de l’été dans l’hémisphère sud, on procède à la récolte des feuilles linéaires du rooibos, puis on les coupe finement avant de leur faire subir deux traitements bien distincts qui vont présumer quelque peu de leur composition biochimique respective. Le premier, le rooibos dit rouge, est sans conteste celui que l’on connaît le plus. Il tire son nom de la couleur obtenue après une étape de broyage indispensable à la fermentation recherchée, qui oxyde la plante par le biais d’une action enzymatique, suivie d’un séchage en plein soleil. C’est cela qui lui procure aussi une douceur gustative et une belle couleur de rubis un peu fauve. Si l’on ne fait pas subir cette opération au rooibos, il reste vert après séchage, une étape qui est, en ce qui concerne cette plante, une épreuve bien plus complexe que celle de la fermentation. Bien que non oxydé comme le rouge, le séchage délicat du rooibos (dit vert pour l’occasion) explique qu’il soit moins fréquemment disponible que le rouge (dans le moindre magasin qui vendrait au moins un seul rooibos, il y a dix chances sur dix que ce soit un rouge). La complexité de l’obtention d’un tel produit explique sa cherté supplémentaire par rapport au rouge. Ce traitement alternatif, outre qu’il lui conserve sa couleur de maté, offre, en infusion, un goût et un parfum fort différents. Cette infusion de couleur brun jaunâtre dégage une saveur plus amère et acidulée que le rooibos rouge, fraîche et herbacée. L’engouement pour le rooibos a été l’occasion de publier plusieurs centaines d’études scientifiques dont un bon nombre s’est attaché à faire l’inventaire des composants biochimiques que cette plante abrite. C’est rendre compte de cette somme qui nous attend maintenant.

Tout d’abord, pour ceux à qui répugne le thé, et ce qu’il soit vert ou noir, sachez que le rooibos peut être une bonne alternative en rapport à son taux de tanin, toujours inférieur à 5 % (1 % le plus souvent, bien loin des 7 à 15 % de la plupart des thés). Cela explique son astringence très faible qui me le fait largement préférer au thé pour cette raison. A côté du tanin, nous trouvons de la vitamine C, des sels minéraux et des oligo-éléments (fer, cuivre, sodium, calcium, potassium, magnésium, manganèse, zinc, phosphore, fluorure), des acides phénols (tyrosol) et organiques (acide férulique). Mais ce qui, ici, tient le haut du pavé, c’est l’exubérante représentativité des flavonoïdes et corps flavoniques contenus dans le rooibos. Voici ceux que la littérature scientifique évoque le plus fréquemment : orientine et iso-orientine, vitexine et isovitexine, rutine, quercétine, quercétine-3-O-robinobioside, quercétol, isoquercitrine, isorhamnétine, hespéridine, lutéoline, hyperoside, fisétine, chrysoériol, ériodictyol, acide phénylpéruvique-2-O-β-D-glucoside. Mais ce qui rend unique cette plante, ce sont les dihydro-chalcones comme la nothophagine et la phlorétine, mais, par-dessus tout, cette molécule à laquelle la plante a accordé son nom, c’est-à-dire l’aspalathine, une substance présente uniquement dans le rooibos et son proche cousin qu’est le lanky capegorse (Aspalathus pendula). Comme cette substance s’oxyde à travers l’étape de la fermentation, on en trouve moins dans le rooibos rouge que dans le vert. Comme toute plante soumise à des modifications des facteurs climatiques d’un lieu à l’autre, ce que l’on observe au sujet des huiles essentielles (les chémotypes) s’applique aussi à propos d’autres molécules non aromatiques. C’est le cas des chalcones dont certains sont spécifiques selon qu’un rooibos évolue dans telle ou telle zone. Par exemple, du côté de la ville de Wupperthal, à l’ouest du pays, on trouve des rooibos qui contiennent de la siéboldine et de la phloridzine, substances que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs, comme par exemple dans les rooibos cueillis à proximité de Nieuwoudtville. Pour achever ici cette liste, sachons enfin que le rooibos contient une petite fraction d’essence aromatique que l’on peut extraire à la vapeur d’eau à basse pression (bien qu’elle ne le soit jamais à grande échelle, ce qui menacerait le commerce de la plante sous la forme habituelle d’infusion). Cette essence contribue néanmoins à procurer des arômes ligneux, verts et herbeux au rooibos ou, au contraire, et selon sa composition, des notes fruitées et florales.

Propriétés thérapeutiques

Le « drame » du café, du thé et maintenant du rooibos, c’est de les réduire à une boisson qui n’aurait pas d’autre vertu que celle de contenter notre besoin de confort tout au long de la journée, jusqu’à en oublier, voire méconnaître, ses effets thérapeutiques précis sur l’organisme (et ses méfaits, aussi) : que ce soit en bien comme en mal, les plantes que nous venons de nommer ne peuvent pas rester inactives sur l’organisme, à plus forte raison si on les consomme chaque jour. Ces infusions ne sont pas que de l’eau « salie » par l’immersion d’une plante x ou y dans l’eau pendant une poignée de minutes. Par exemple, pour ne se concentrer que sur le rooibos, sa célèbre molécule, l’aspalathine, n’est pas que ce qui donne sa couleur à une infusion de rooibos, cela va bien au delà, chose qu’on ne peut que concéder quand on apprend que le rooibos est considéré comme un « aliment fonctionnel pour le cerveau » et « une boisson de santé générale ».

  • Anti-oxydant, protecteur contre le stress oxydatif, protecteur de l’ADN des cellules contre l’oxydation, antiradicalaire3, lutte contre la formation d’AGE issus de la glycation, anticancéreux et préventif du cancer
  • Antidiabétique, améliore la libération d’insuline et l’absorption de glucose par les cellules musculaires, protecteur des cellules pancréatiques β, antihyperglycémique
  • Anti-inflammatoire, supprime la formation de cytokines pro-inflammatoires au niveau du foie
  • Immunomodulant, modulateur de la stéroïdogenèse surrénalienne4
  • Digestif, calmant de l’inconfort gastro-intestinal, action prébiotique intestinale
  • Anti-infectieux : antibactérien, antiviral, promeut la santé générale pendant un épisode infectieux
  • Préventif des maladies cardiaques, soutien cardiométabolique, anti-thrombotique, inhibe l’oxydation du cholestérol LDL, inhibe l’activité de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
  • Neuroprotecteur (le stress oxydatif semble plus facilement marquer une empreinte funeste dans le cerveau en raison de sa forte exigence en oxygène, 1,5 % de la masse corporelle d’un individu requérant 20 % de tous l’oxygène absorbé et consommé), améliore les performances cognitives et possède un impact favorable sur la neurotransmission striatale dopaminergique, réducteur de l’anxiété, apaisant du système nerveux central
  • Protecteur de la peau contre les UVB, photo-protecteur, stimulant de la production de mélanine, apaisant cutané
  • Anti-allergique (stimule la production du cytochrome P450, enzyme essentielle à la métabolisation des allergènes)
  • Antispasmodique
  • Propriété ostéoblastique : assure une meilleure santé osseuse et accroît la densité osseuse

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : crampe d’estomac, ulcère gastrique, brûlure d’estomac, douleur gastrique, constipation, diarrhée, colique du nourrisson, colite, nausée, vomissement, toxicose à la fumonisine B1 (mycotoxine produite par des champignons du genre Fusarium et qui contaminent particulièrement les céréales comme le maïs et le blé)
  • Troubles de la sphère respiratoire : grippe, asthme, allergie respiratoire (rhume des foins)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hyperglycémie chronique, dommages cardiaques induits par le diabète, maladies cardiovasculaires5, rosacée, cellulite, varice, hémorroïde, hypertension, accident vasculaire cérébral (Chose étonnante, un article de 2017 émanant de l’université de Bellville en Afrique du Sud explique que dans ce pays 240 personnes sont affectées chaque jour par un AVC. Faut-il croire qu’il n’existe pas de perle à côté de ce dragon-là ? Que si ! Bien qu’on ne puisse pas crier hourra à la panacée. En attendant, les Sud-Africains auraient tout intérêt à se tourner vers une ressource on ne peut plus locale et consommer de façon régulière le rooibos, puisqu’il a montré des effets tout à fait bénéfiques et profitables auprès des personnes qui souffrent d’une affection prédisposant à l’AVC.)
  • Affections cutanées : acné, eczéma, psoriasis, candidose (mycose unguéale), pied d’athlète, verrue, crevasse (du talon surtout), démangeaison et irritation (qui peuvent être d’origine allergique), vieillissement cellulaire (rides), cicatrice, vergeture, coup de soleil
  • Affections oculaires : yeux fatigués, rougis, larmoyants
  • Troubles de la sphère nerveuse : irritabilité, tension nerveuse, insomnie, maux de tête d’origine nerveuse, amélioration de la mémoire spatiale à long terme (chez le rat, certes, mais « quand même ! », comme disait Sarah Bernhardt), dégénérescence liée à l’âge, maladie d’Alzheimer
  • Diabète sucré du type II (et ses complications), glucotoxicité6
  • Obésité7 (état inflammatoire chronique de bas grade)
  • Cancer : lésion cancéreuse cutanée, lésion hépatique précancéreuse, etc.
  • Sécheresse buccale (syndrome de Sicca)

Modes d’emploi

  • Infusion : comptez une demi à une cuillerée à café (soit 1 à 2 g) de rooibos par tasse d’eau (un mug : 20 cl) en infusion dans une eau non bouillante : on préconise 90 à 95° C, mais une température de seulement 85° C semble très satisfaisante pour extraire un maximum de composés phénoliques et, partant, de substances anti-oxydantes. La durée d’infusion, souvent située autour de 5 à 6 mn, peut être portée à 10-15 mn au grand maximum. Afin de mieux respecter les dosages, le rooibos en vrac est plus adapté à l’opération que celui en infusette toute prête (le rooibos est plus cher au poids qui plus est sous cette forme).
  • Poudre : elle s’absorbe comme n’importe quelle poudre, diluée dans un corps gras, du miel, un peu d’eau tiède citronnée, etc. On peut encore la faire macérer quelque temps dans un demi verre de vin rouge avant d’absorber le tout.
  • Cataplasme : ici l’infusette peut nous être d’un grand secours. On fait infuser pendant 10 mn une infusette de rooibos dans moitié moins d’eau qu’on en utilise pour faire une infusion à boire et en respectant le modus operandi donné plus haut. Grâce à l’infusette, qu’on trempe au fur et à mesure des besoins, on applique le rooibos à même la peau comme si on la tamponnait d’une éponge. C’est bien pratique sur l’eczéma, l’acné, les irritations cutanée, etc. Cela évite de « s’en mettre partout » ^.^ Si vous ne disposez pas d’infusette, un petit pochon de toile fine en coton ou en lin fera parfaitement l’affaire. Glissez-y une cuillerée à café de rooibos, faites infuser 10 mn dans 10 cl d’eau portée à 85-90° C. Ceci fait, essorez un peu votre sachet et commencez les applications. A condition que cela ne dégouline pas, il est également possible de maintenir l’infusette/le sachet en toile en place grâce à un bandage en un lieu précis du corps.
  • Gelée de rooibos : parfaitement inconnue (du moins anecdotique) par chez nous, il s’agit d’une infusion de rooibos cuite avec un sirop au sucre. Elle possède la consistance de la gelée de coing. On dilue simplement l’équivalent d’une cuillerée à café de cette gelée dans une tasse d’eau chaude ou froide. C’est une alternative (hélas sucrée !) à l’infusion qui n’apporte rien de bien fantastique.

Note : sous le seul rapport du rooibos rouge, en vrac ou détaillé en infusette, on voit poindre de plus en plus de mélanges aromatisés ayant pour base le rooibos, parfois couplé au maté et/ou au thé vert. Les concepteurs de tels mélanges ne manquent ni d’imagination ni d’audace, puisqu’ils font appel à une foultitude d’ingrédients dont la vanille, les agrumes, les fruits « exotiques » (mangue) ou non (framboise, fraise), le gingembre et autres épices, des plantes médicinales aux effets reconnus (verveine citronnée, menthe poivrée), etc. Tout cela est bien beau mais ne me dissuade pas d’observer fidélité auprès du rooibos rouge nature, en particulier celui d’origine sauvage…

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : à l’été (décembre-février), on sectionne les rameaux de la plante sur une longueur de 30 à 50 cm. On les broie, on les place en tas afin que s’opère la fermentation, puis on les fait sécher au soleil. Le rooibos se conserve à l’abri de la lumière, dans une boîte hermétique gardée en un lieu frais (on peut le ranger au réfrigérateur).
  • Aux doses usuelles, le rooibos présente une complète innocuité et peut s’envisager chez l’enfant, le sportif, pendant la grossesse et l’allaitement. On recense cependant des cas anecdotiques d’irritation hépatique aiguë et des atteintes rénales, réalisables uniquement à doses trop appuyées, alors qu’à doses normales, le rooibos a parfaitement su montrer son caractère hépatoprotecteur et préventif de la stéatose hépatique. Il permet même la régénération des cellules hépatiques endommagées. On évitera toutefois l’usage du rooibos concomitamment à la prise de médicaments censés lutter contre l’hyperglycémie et la dyslipidémie, puisque des interactions entre la plante et ces médicaments restent possibles.
  • Après avoir appris que la médecine traditionnelle chinoise considérait le rooibos comme profitable et utile pour lutter contre le désintérêt sexuel8, qu’elle n’a pas été ma surprise de prendre connaissance, par le biais de plusieurs études récentes (aucune n’a plus de dix ans), que le rooibos pouvait avoir un effet sur les ovaires et la reproduction féminine9. Une autre étude de 2017 avançait déjà les effets hormonosuppresseurs du rooibos, un potentiel anti-reproductif dont il faut savoir prendre compte au travers d’une consommation régulière de cette plante10. Du côté masculin, il a été observé que le rooibos, tout comme le thé d’ailleurs, diminuait la sécrétion de testostérone, alors qu’en 2014 des chercheurs ont établi que les rooibos rouge et vert avaient une incidence sur la vitalité des spermatozoïdes, améliorant, dans le cas du rooibos vert, « la concentration, la viabilité et la motilité des spermatozoïdes »11. En revanche, il est parfaitement établi que le rooibos est capable de prolonger la fertilité des cailles, oiseaux de feu luxurieux dont l’ardeur amoureuse n’est plus à démontrer ^.^
  • Contrairement au thé, le rooibos ne nuit pas l’absorption du fer (en raison de son faible taux de tanin), et à l’inverse de la caféine du café, le rooibos ne fait pas de tort à la bonne santé osseuse.
  • En rinçage des cheveux bruns et châtain foncé, le rooibos leur donne de la brillance.
  • En cuisine, l’infusion de rooibos est largement utilisée en Afrique du Sud. Quelques exemples d’utilisation : on peut faire tremper des fruits secs (figues, raisins, etc.) toute une nuit dans du rooibos. Cela permet de les aromatiser avant un éventuel usage culinaire. Faire mariner du bœuf ou du poulet dans une infusion de rooibos permet d’attendrir la viande. On peut confectionner, sur le mode du thé glacé, un rooibos du même type : il est possible d’y ajouter du sucre, du jus de citron et toutes autres choses qui vous paraîtraient convenables à l’occasion.
  • Risques de confusion : il faut savoir faire la différence entre le rooibos et plusieurs autres « thés » sud-africains dont le honeybush, autre fabacée d’Afrique du Sud, dont on trouve plusieurs espèces (Cyclopia intermedia, subternata, genistoides, sessiliflora, etc.) et dont on se sert comme plantes à infusion, à l’instar du rooibos. Puis vient le thé de brousse (Athrixia phylicoides), une astéracée elle aussi riche en flavonoïdes et en polyphénols qui fait l’objet d’un emploi thérapeutique pour lutter contre l’hypertension et le diabète. Enfin une géraniacée, Monsonia burkeana, qui possède, tout comme les plantes précédentes, d’importantes propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires.
  • Autres espèces : voici quelques-unes des espèces dont on peut croiser le nom dans la littérature scientifique médicale (ce qui est bien peu au regard des 260 et quelques espèces d’aspalathus recensées) : Aspalathus pendula (dont nous avons déjà brièvement parlé), Aspalathus carnosa, Aspalathus callosa, Aspalathus hispida, etc.

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  1. Khoïsan est le terme par lequel on regroupe deux populations unies par des caractéristiques linguistiques et génétiques, les Khoï (Hottentots) qui sont des pasteurs et les San (Bochiman) des nomades chasseurs-cueilleurs.
  2. Source.
  3. « L’exposition au stress psychologique chronique peut être liée à une augmentation des espèces réactives d’oxygène (ROS) ou des radicaux libres, et par conséquent, une exposition à long terme à des niveaux élevés de stress oxydatif peut causer l’accumulation de dommages oxydatifs et finalement conduire à de nombreuses maladies neurodégénératives. […] Cette conclusion est démontrée par la capacité du rooibos à inverser l’augmentation des métabolites liés au stress, prévenir la peroxydation lipidique, rétablir la dégradation des protéines induite par le stress, réguler le métabolisme du glutathion. » (Source).
  4. « Des études in vitro sur les cellules surrénales H295R ont montré que le rooibos et la rutine, l’un des composés flavoniques les plus stables présents dans le rooibos, réduisaient considérablement les niveaux de cortisol et de corticostérone dans les cellules stimulées par la forskoline pour imiter une réponse au stress. » (Source).
  5. « L’ensemble des recherches menées à ce jour souligne clairement les avantages du rooibos en tant qu’aliment fonctionnel thérapeutique à la fois préventif et complémentaire dans le contexte des maladies cardiovasculaires. » (Source).
  6. « Les extraits verts et fermentés d’Aspalathus linearis ont démontré de très vastes mécanismes antidiabétiques, car ils ont révélé plusieurs activités prometteuses qui pourraient être utiles dans la lutte contre la résistance à l’insuline, l’inflammation, le stress oxydatif, la glycation des protéines et la β pancréatique, dysfonctionnement cellulaire et la mort avec une forte tendance à atténuer l’hyperglycémie postprandiale et le dysfonctionnement métabolique qui en résulte en raison d’un contrôle glycémique médiocre. » (Source).
  7. « Nos données montrent que les solides solubles dans l’eau chaude du rooibos fermenté inhibent l’adipogenèse et affectent le métabolisme des adipocytes, ce qui suggère son potentiel pour prévenir l’obésité. » (Source).
  8. De plus, « il pénètre les canaux rénaux, de la rate, du cœur et du foie. Les principales fonctions sont de tonifier le rein et de bénéficier de l’essence, nourrir le Qi et la rate, nourrir le Yin et provoquer la production de fluide corporel, tranquilliser l’esprit et soulager la douleur. » (Source).
  9. « Le nombre limité d’études in vitro suggère une influence du rooibos sur les fonctions fondamentales des cellules ovariennes, ainsi que son applicabilité potentielle pour contrôler la reproduction féminine. » (Source).
  10. Source.
  11. Source.

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Quelques correctifs intéressants au sujet de la renouée du Japon


Les jeunes pousses comestibles de renouée du Japon.


Sur Y*utube (entre autres), on assiste depuis quelques années à l’irruption d’une pléthore de vidéos toutes plus ou moins intitulées de la même façon : « Comment se débarrasser de la renouée du Japon ? » Il faut les voir se casser la nénette, nos « vidéastes » en « mauvaises herbes », faisant surgir les « conseils » aussi promptement que si les conditions de levée de dormance de quelque « mauvaise graine » étaient réunies !

Au fil des années, l’observation directe aidant, j’ai affiné la compréhension plus subtile de cette plante et revu de fond en comble l’idée que je me faisais naguère d’une plante invasive, c’est-à-dire une vision beaucoup trop simpliste pour seulement être prise au sérieux. Or, c’est en évoquant la notion de plante bio-indicatrice que le « concept » de plante invasive se fissure.

Dans le récent article que j’ai rédigé au sujet de la renouée du Japon (il n’est pas très vieux, je l’ai posté il y a moins de deux ans, le 28 mai 2021), j’attirais l’attention sur la question de la comestibilité de cette plante. C’est une polygonacée, et comme beaucoup de plantes de cette famille (oseille, rhubarbe, etc.), elle contient des oxalates de calcium, susceptibles d’encrasser l’organisme. Au delà de ce problème somme toute mineur (il faudrait faire une énorme consommation de ce type de végétaux avant que cela ne devienne problématique), je dois vous rappeler pour quelle autre raison j’imaginais que la consommation de renouée du Japon était parfaitement aberrante. Je me cite : « Si la renouée est utilisée en Asie, tant comme plante médicinale qu’alimentaire, il n’est pas recommandé d’en faire les mêmes usages en France à l’issue d’une cueillette, car elle pousse la plupart du temps sur des sols artificiels non exempts de produits polluants (herbicides, pesticides, métaux lourds ; parmi ces dernières substances, ce sont les rhizomes qui les concentrent prioritairement, puis les feuilles, enfin les jeunes pousses). Ce qui est fort dommage, car cela nous prive d’en déguster les pousses tendres, crues comme cuites, comme cela se pratique au Japon, où une cuisson à la vapeur les apparente aux turions d’asperge. »

La renouée du Japon est connue pour être effectivement une plante qui indique la présence de métaux lourds dans le sol. Estimés à 41, on se préoccupe surtout des principaux que voici : plomb, nickel, mercure, cuivre, arsenic, chrome, cadmium, sélénium, zinc. Dans son biotope primaire asiatique, la renouée du Japon ne vient que sur des zones naturellement riches en fer et en nickel. Ainsi, quand elle trouve, dans un biotope secondaire, la présence artificielle de métaux lourds dans un terrain particulier, elle s’y installe, attendu que ce sont ces mêmes métaux lourds qui provoquent la levée de la dormance des graines de renouée du Japon. Elle ne s’installe pas là pour se nourrir elle-même des métaux lourds, non. Mais elle entretient une relation endomycorhizienne avec un champignon spécifique qui, lui, en fait ses repas quotidiens (de la même façon que Candida albicans bouffe du manganèse). A eux deux, ils chélatent donc les métaux lourds présents dans le sol. Auparavant, j’avais cru comprendre que ces mêmes métaux, captés par la plante, se retrouvaient à terme stockés dans ses tissus, en rendant la consommation régulière dangereuse. Mais, ô surprise ! J’apprends que des analyses menées sur des échantillons de renouée prospérant sur des zones souillées aux métaux lourds n’en contenaient pas eux-mêmes ! C’est pourquoi il faut regarder la renouée du Japon d’un autre œil, abandonner les idées reçues à son propos, d’autant plus qu’elle fournit une aide fort appréciable pour pas cher du tout. Résumons : la présence envahissante de renouée en un lieu donné signale une pollution massive aux métaux lourds. Visuellement, elle nous alerte : là où elle pousse, on ne peut pas concevoir d’y construire une maison, d’y établir un potager, etc. Capable, si on lui en laisse le temps, de gérer les métaux lourds, elle finit par disparaître une fois son travail achevé. A ce moment, il est possible d’envisager d’y planter ses légumes sans risquer de s’intoxiquer aux métaux lourds, chose d’autant plus facilitée par les couches successives laissées au sol année après année, isolant la biosphère de la zone polluée dans le sol et y fabriquant une couche de terre arable à la surface. Le temps qu’elle prendra pour soigner le sol saura aussi profiter au bétail (c’est un excellent fourrage) et aux abeilles, étant très nectarifère, en particulier en période estivale qui, lorsqu’elle est trop sèche, prive de fleurs les abeilles. Non seulement, plus il fait sec et plus elle pousse (elle est économe en eau), mais sa floraison fournit du nectar aux abeilles, tandis que toutes les autres fleurs sont au chômage technique pour cause de sécheresse.

Cette plante est donc, ni plus ni moins, qu’une bénédiction, pour reprendre le propos de Gérard Ducerf. Ainsi, si vous avez de la renouée du Japon chez vous, réfléchissez bien avant d’en envisager l’extraction qui ne résoudrait pas le problème que révèle la renouée : la présence de métaux lourds. Car, alors, la renouée du Japon, vous ne l’aurez plus, mais les métaux lourds si.

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Très mellifères, les fleurs de renouée du Japon sont profitables aux abeilles.


Le pavot de Californie (Eschscholzia californica)

Cousin de notre commun coquelicot qui rougit actuellement les campagnes de ses quatre pétales sanglants, le pavot de Californie ou – attention à ne pas s’embrouiller dans l’écriture – esch… eschsch… eschscholzia (ouf ! ^.^) est un intéressant ressortissant de la famille des Papavéracées que l’on connaît depuis quelques décennies déjà en Europe mais sur lequel je ne m’étais pas encore appesanti. C’est aujourd’hui chose faite grâce à ce tout nouvel article :)

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous ! :)

Gilles

Synonymes : eschscholzie, coquelicot doré, rayon de soleil californien, coupe d’or.

Je tiens à faire remarquer que le plus ancien livre en ma possession qui expose le pavot de Californie n’est en aucun cas un ouvrage dédié à l’usage des plantes médicinales. Bien que cette plante ait foulé pour la première fois le sol européen aux environs de l’année 1800, on n’en trouve pas trace durant tous le XIXe siècle. En revanche, c’est admirablement figuré que je le vois aux pages 162 et 163 de l’Étude de la plante (1903), ouvrage que l’on doit à l’un des chantres de l’Art Nouveau, Maurice Pillard Verneuil (1869-1942). C’était donc alors aux industries d’art que l’on réservait le pavot de Californie, en l’occurrence comme motif de papier-peint. L’ouvrage en question n’indique pas s’il se réservait exclusivement à la chambre à coucher, ce qui eût constitué un excellent choix, à la condition d’avoir connaissance des qualités somnifères et sédatives de cette jolie plante qui révèle, en fermant ses fleurs quand disparaît le soleil, son accointance stricte avec le domaine diurne et lumineux, et son efficacité à mater les soubresauts qui pourraient venir agiter la période qui lui succède chaque soir.

« En contraste avec cette gracieuse fleur, son nom nous paraît assez barbare, et dans sa résonance, et plus encore dans son orthographe, si fréquemment défigurée »1. Fournier, qui écrivit cela près d’une cinquantaine d’années après l’apparition remarquée du pavot de Californie dans l’ouvrage de Pillard Verneuil, ne s’arrêta pas à l’écueil du nom écorchable à loisir, puisqu’il fit alors paraître des informations qui comptaient parmi les premières portant sur l’escholtzia dans la littérature médicale de vulgarisation française. Le chanoine ne s’endormit donc pas sur ses lauriers et savait parfaitement que ce pavot est tout aussi somnifère que ses cousins plus célèbres par chez nous que sont le pavot justement dit somnifère (Papaver somniferum) et le coquelicot (Papaver rhoeas). Ce qui est tout à son honneur, car il ne laissa pas impressionné par l’apparent barbarisme d’un nom que l’on doit au poète et botaniste Adelbert von Chamisso (1781-1838) qui nomma en 1820 la plante ainsi en l’honneur de son collègue et ami Johann Friedrich von Eschscholtz (1793-1831), à la suite de leur participation à l’expédition scientifique organisée par Otto von Kotzebue (1787-1846) en Californie au début du XIXe siècle. Nos trois Allemands ne se seraient très certainement pas attendus à ce que cette « copa de oro »2 devint un jour l’emblème floral de la Californie. C’est pourtant bien ce qui arriva à ce pavot en 1903 sous l’impulsion d’une botaniste américaine, Sara Plummer Lemmon (1836-1923), ce qui explique que, partout sur les routes californiennes, l’on voit des panneaux de ce type (la Californie est si folle de son poppy que depuis 1974 le 6 avril a été institué comme journée de l’escholtzia) :

Si la Californie devint un « Golden State »3 en raison du pétrole et de l’or qu’on y découvrit (la Californie connut elle aussi son goldrush entre 1848 et 1855), elle ne le demeura pas moins grâce à la profusion frénétique qui agite sa flore au printemps. Alors que les colons blancs creusaient la terre pour en extirper leur bonheur, d’autres se contentaient de ramasser ce qui poussait à sa surface sèche et minérale : effectivement, nombreuses furent les tribus amérindiennes californiennes à utiliser l’escholtzia à travers des usages variés et étendus, quand bien même certaines s’en gardèrent, considérant la plante comme poison, précaution contredite par les emplois alimentaires qu’en firent les Luiseño, les Nisenan et les Mendocino. Chez les premiers d’entre eux, l’on se contentait de mâcher la fleur comme si c’était un chewing-gum, peut-être afin de tirer bénéfice des effets analgésiques de la plante sur la sphère bucco-dentaire. En tous les cas, c’est ainsi que faisaient les Mendocino face aux maux gastro-intestinaux douloureux (colique), maux de tête ou encore de dents. C’était encore un remède dermatologique dont on se servait pour venir à bout des plaies suppurantes, un médicament émétique et anti-inflammatoire. Par ses vertus supposément narcotique et stupéfiante (ce qu’il n’est absolument pas en réalité), il s’avéra capable de jouer le rôle d’aide pédiatrique précieuse : les indiens Costanoan disposaient des fleurs de pavots de Californie tout autour des couches des enfants afin de les aider à mieux s’endormir, et si jamais ils avaient des poux, une décoction des fleurs était lotionnée sur leur cuir chevelu afin de les tuer. En revanche, ils en interdisaient l’usage auprès des femmes enceintes et allaitantes, le pavot de Californie n’intervenant qu’au moment du sevrage afin de stopper la lactation des femmes. Ainsi procédait-on pour tarir le lait des femmes chez les Yukis, les Mendocino et les Pomos pour qui l’escholtzia méritait le surnom de « milk disappear plant ».

Plante annuelle dans sa patrie d’origine (elle peut ne pas l’être dans des régions d’adoption au climat plus doux où elle aura été importée), le pavot de Californie est une plante intégralement glabre dont les feuilles découpées en très fines lanières, de couleur bleu grisâtre à vert glauque, tranchent résolument avec la forme de la corolle : quatre pétales solitaires fichés au sommet d’un long pédoncule, peints en un jaune orangé vif et étincelant : à le regarder de plus près, on se rend compte que le cœur de la fleur tire sur le orange et se dégrade – à la manière de certaines toiles de Rothko – vers une teinte davantage jaunâtre extérieurement. Ces fleurs, qui se ferment lorsque le temps devient venteux ou que les températures se rafraîchissent, portent parfois des couleurs alternatives : du rouge, du rose ou du blanc. Dans tous les cas, selon comment l’on observe ces pétales souples et robustes, ils s’avèrent très réfléchissants sous un angle particulier, animés à leur surface d’un effet qu’on peut dire soyeux. Pour conserver une unité de ton avec les pétales, le pollen de l’escholtzia est lui aussi orange et très prolifique (la couleur orange est celle de l’abondance). Les fleurs du pavot de Californie, d’odeur singulière qui peut rebuter quelques-uns4, forment à fructification de longues gousses (3 à 9 cm) en forme de silique, cylindres qui s’ouvrent longitudinalement en deux valves dont la déhiscence peut les faire exploser en un claquement bref qui libère une profusion de petites graines noires ou brun foncé, à l’origine des vastes peuplements si typiques de la Californie et dont l’un des plus célèbres s’étend sur plus de 700 ha : Antelope Valley California Poppy Reserve (jetez un œil sur cette petite vidéo), au nord du comté de Los Angeles. Il existe bien d’autres de ces prairies à pavots en Californie (Bear Valley, Point Buchon, etc.) où, au pavot de Californie, se mêlent diverses sous-espèces, le pavot de Californie étant capable de beaucoup de variations botaniques, ce qui ne l’empêche pas d’être protégé par l’état californien. Parfois, comme à Figueroa Mountain, on voit le pavot de Californie mêler ses corolles oranges aux épis bleu violet des lupins nains (Lupinus nanus), ce qui provoque un effet saisissant qui vaut le coup d’œil ^.^5.

Le pavot de Californie apprécie les zones ouvertes ensoleillées bien drainées, les vallées et prairies sablonneuses à tendance désertique telles qu’on les voit du nord de la Californie jusqu’au sud-ouest du Mexique, grimpant jusqu’à 2000 m dans la sierra qui borde presque la frontière qui unit la Californie à son voisin le Nevada, autre état dans lequel on voit s’égailler le pavot de Californie qui, bien que portant ce nom, ne se cantonne aucunement à la seule Californie puisqu’on l’observe plus au nord (Oregon, Washington) et à l’est (Arizona, Nouveau-Mexique).

La beauté naturelle de la fleur d’escholtzia fait que les jardiniers s’en emparèrent et en obtinrent de très nombreux cultivars dont tous ne sont pas oranges, loin de là. Quelques exemples : White Linen et Ivory Castle (blanc), Carmine King et Mikado Red (rouge), Red Chief (rouge intense), Purple Gleam (pourpre), Mission Bells (multicolore), etc. Si des cultures raisonnées propagèrent la plante en dehors de l’aire où elle est native, certaines introductions accidentelles eurent lieu : ce fut le cas au Chili où des graines de pavot de Californie se trouvèrent mélangées à des semences de luzerne. Ainsi, depuis les années 1850-1900, il a adopté, dans ce pays d’Amérique du Sud, un caractère invasif : comme de nombreuses autres plantes, une fois transporté en dehors de son fief originel, le pavot de Californie est susceptible de devenir envahissant, se développant prioritairement dans les milieux perturbés par l’homme (comme c’est bizarre ! Ça ne vous rappelle pas la renouée du Japon et la vergerette du Canada ? ^.^). Or c’est ainsi que cela se déroule au centre de ce pays où l’on observe un remarquable degré de convergence dans la structure végétale avec la Californie et un climat de type méditerranéen similaire, mais avec une capacité reproductive plus appuyée chez le pavot chilien qui, malgré un climat plus sec, est souvent plus grand que son homologue californien (surtout en l’absence de concurrence) et plus résistant face aux insectes qui décideraient de le brouter. Pourtant, également présent en Argentine, en Australie et en Afrique du Sud, il ne semble pas s’y comporter de cette façon.

Si les populations implantées dans des états américains limitrophes et d’autres pays tendent à s’étendre, on observe un phénomène inverse dans le lieu d’origine du pavot de Californie : « Dans son aire de répartition indigène, la plante est menacée par des altérations de l’habitat et la contamination génétique des populations sauvages par des gènes de cultivars issus de plantations de fleurs sauvages en bordure de route. […] En raison des récentes introductions humaines, Eschscholzia californica occupe désormais de nombreux États américains en dehors de son aire de répartition d’origine. Dans ces états, on peut dire que cette espèce a considérablement augmenté. Cependant, dans son aire de répartition d’origine, une grande partie de son habitat a été convertie en champs agricoles irrigués ou en milieu urbain. Au sein de cette aire de répartition originelle, il est très probable qu’Eschscholzia californica ait diminué depuis le début du XXe siècle »6. C’est sans compter la fréquentation des prairies à pavots de Californie au moment des « super bloom season » durant lesquelles le nombre de visiteurs monte en flèche. Cette production florale exubérante est l’occasion de comportements menaçants pour les plantes : familles aux enfants nombreux qui s’éparpillent parmi les fleurs, semi-célébrités qui viennent là se faire photographier parce que ça fera trop chouette sur Insta, foulant au pied ce qui fait le symbole de toute une région, ces autres encore qui nous rejouent une célèbre scène du Magicien d’Oz, etc. Ce phénomène n’est pourtant pas constant : il surviendrait seulement une fois au cours d’une décennie (je parle des super bloom, pas des imbéciles qui piétinent les plantes ; ceux-là, on peut compter sur eux l’année durant…). Pour profiter d’un tel événement, certains mettent les grands moyens en place : en mars 2019, « un couple a fait atterrir un hélicoptère au milieu d’un champ de pavots de Californie. Lorsqu’un garde-forestier s’est approché du couple, ils sont retournés à l’hélicoptère et se sont enfuis. La réserve a répondu à l’incident dans un message depuis supprimé sur Facebook : ‘Nous n’avons jamais pensé qu’il serait explicitement nécessaire de déclarer qu’il est illégal de faire atterrir un hélicoptère au milieu des champs et de commencer à marcher hors des sentiers. Nous avions tort’ »7. J’ai toujours été persuadé que c’était le pavot à opium qui rendait cinglé. Apparemment, son cousin provoque des dérèglements très étranges chez l’être humain… ^.^

Le pavot de Californie en phytothérapie

De cette jolie petite plante, l’on utilise exclusivement les parties aériennes fleuries, irriguées par un latex limpide dénué de l’aspect laiteux que l’on voit à ceux de la chélidoine et du coquelicot. Ce suc médicinal est abreuvé de substances alcaloïdiques, dont les alcaloïdes isoquinoléiques en tête (groupe qui est celui auquel appartient cet alcaloïde célèbre en médecine qu’est la morphine), particulièrement nombreux dans cette plante puisqu’on en compte de dix à vingt : berbérine, protopine, hunnemanine, macarpine, chélérythrine. Leur tiennent compagnie des alcaloïdes de type benzophénathridine (chélidonine, homochélidonine, fumarine, sanguinarine, norsanguinarine) et de type pavinique (escholtzine, californidine, caryachine, norargémonine, bisnorargémonine). Usines de fabrication de tous ces alcaloïdes, les acides aminés sont également présents en très grandes quantités dans les tissus de la plante, en particulier la L-tyrosine, mais aussi l’alanine, la phénylalanine, la leucine, la valine et la thréonine. La couleur des pétales de ce « coquelicot » annonce la présence d’isoflavones et de flavonoïdes (rutine, quercitrine), dont les très connus caroténoïdes (eschscholtzxanthine, rétro-carotène-triol, etc.). Pour en terminer là, citons l’existence d’une essence aromatique contenue dans les pétales de la fleur du pavot californien : si on les distille, on obtient une huile essentielle à cétones (eschscholtzione, entre autres).

Note : les alcaloïdes, qui sont des métabolites formés par la plante, exposent ici un portrait du pavot de Californie évoluant à l’état sauvage. On sait que leur production par la plante réagit à différents facteurs de stress : les rayons UV, les infections pathogènes, les blessures, etc. Une plante cultivée ne saurait présenter un tel profil du fait des protections que l’homme lui fournit.

Propriétés thérapeutiques

  • Antispasmodique, sédatif à doses marquées, anxiolytique à doses légères
  • Analgésique (dont l’effet perdure longtemps même après la fin d’utilisation)
  • Hypnotique, somnifère doux, inducteur du sommeil
  • Normalise les fonctions psychologiques (adaptogène ?), favorise le bien-être physique et mental
  • Antifongique (sur Alternaria, Fusarium, Curvularia, Helminthosporium)

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : insomnie et autres troubles du sommeil (réduit la durée de l’endormissement, permet de retrouver un sommeil naturel réparateur de qualité, évite les réveils répétitifs au cours de la nuit), anxiété faible à modérée, angoisse, troubles du comportement chez l’enfant (neuropathie infantile, énurésie nocturne), excès de nervosité, rumination mentale
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : spasmes digestifs douloureux d’origine nerveuse
  • Troubles de la sphère respiratoire : coqueluche, toux spasmodique
  • Troubles locomoteurs : crampes et spasmes musculaires, courbatures
  • Maux de tête et migraine d’origine nerveuse
  • Traitement des dépendances (avec le millepertuis et la folle avoine)

Modes d’emploi

Bien qu’on connaisse, depuis une bonne vingtaine d’années, l’escholtzia sous forme de spécialités pharmaceutiques déclinées selon des apparences très variées (comprimés et gélules à avaler, solutions à boire, gommes à mâcher, etc.), accompagnées ou non de mélatonine, de vitamine B6 ou encore de magnésium, elles sont surtout réservées aux problèmes de détente et de sommeil qui affectent les enfants ainsi que les personnes adultes par trop incommodés par les soporifiques et les narcotiques énergiques. Ceci dit, sachez cependant qu’on trouve dans le commerce de détails de quoi se faire une bonne vieille infusion d’escholtzia, puisque parfois la plante sèche est vendue en vrac (de même qu’en poudre, au reste).

  • Infusion de sommités fleuries sèches : comptez 20 g par litre d’eau (ou une cuillerée à soupe par tasse d’eau) en décoction pendant une poignée de secondes, suivie d’une dizaine de minutes d’infusion à couvert.
  • Poudre : qu’elle se présente en vrac ou façonnée en gélules dosées, il faut réussir à prendre 1 à 1,5 g de la drogue quotidiennement.
  • Extrait hydro-alcoolique : 25 gouttes trois fois par jour (il existe aussi un extrait glycériné pour celles et ceux qui veulent s’affranchir des préparations alcoolisées).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : s’il vous prenait l’envie de semer quelques pavots de Californie dans votre jardin, sachez qu’il se cueille peu avant la fin de la période de floraison, en fin de journée. On le fait sécher sur une grille au maillage fin, en un lieu sec et bien aéré.
  • De nombreuses autres plantes qui se destinent au domaine du sommeil et de la relaxation peuvent heureusement s’associer à l’escholtzia. Voici quelles sont les plus courantes : passiflore, valériane, fleur d’oranger, mélisse officinale, aubépine, coquelicot, lavande officinale, basilic, lotier corniculé, nénuphar, lotus, tilleul, houblon, camomille, mélilot, angélique des jardins, verveine citronnée, etc. Voilà. Plus qu’à trouver quelles sont les plantes avec lesquelles vous entrez le plus en écho et concocter la synergie parfaite ^.^
  • Quelques précisions sur ce que n’est pas le pavot de Californie : ce n’est pas un narcotique et il ne possède aucun effet neuroleptique, antidépresseur, anti-épileptique, antihistaminique et myorelaxant.
  • Dans le cadre d’un usage normal, le pavot de Californie ne provoque pas de phénomène d’accoutumance ni toxicité aux doses usuelles : une « étude suggère que toutes les préparations testées provenant du millepertuis, du pavot de Californie, de la valériane, de la lavande et du houblon, à des concentrations allant jusqu’à 30 µg/ml, ne présentent aucun potentiel cytotoxique ou génotoxique et ne compromettent pas la viabilité des cellules placentaires »8. Son utilisation peut être responsable d’effets oniriques particuliers : « Les rêves étranges sont un effet secondaire de la prise de cette plante chez certaines personnes »9.
  • On veillera cependant à le déconseiller chez la femme enceinte ou allaitante, chez l’enfant de moins de six ans, enfin en cas de glaucome.
  • Autres espèces : le pavot jaune du désert (E. glyptosperma), le pavot pygmée (E. minutiflora), le pavot de Lemmon (E. lemmonii), le pavot de San Benito (E. hypecoides), etc.

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  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 382.
  2. C’est la façon dont les Espagnols appelèrent premièrement la plante une fois qu’ils la découvrirent dans son milieu naturel, c’est-à-dire, grosso modo, la Californie.
  3. Ou encore Golden West et Land of Fire pour d’évidentes raisons. Il paraîtrait que cette couleur jaune orangé du pavot de Californie, vue de l’océan Pacifique, aidait les premiers Espagnols à se repérer en naviguant le long des côtes au printemps.
  4. C’est un membre des Papavéracées, une tribu qui compte parmi ses rangs des plantes à odeur vireuse comme le pavot somnifère et la grande chélidoine, détail à ne pas oublier.
  5. Le pavot de Californie n’est pas la seule plante à se prêter à l’exercice de l’explosion florale printanière, nombreuses sont celles à en faire tout autant, apportant leurs jaunes (Oncosiphon pilulifer, Geraea canescens, Amsinckia menziesii, Lasthenia californica, Encelia farinosa), leurs roses (Abonia villosa, Œnothera speciosa, Calandrina ciliata), leurs blancs (Phacelia cicutaria, Gilia angelensis), leurs bleus (Nemophila menziesii, Salvia columbariae, Lupinus sparsiflorus) et leurs violets (Dipterostemon capitatus, Phacelia minor).
  6. Source.
  7. Source.
  8. Source.
  9. Source.

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La scutellaire de Virginie (Scutellaria lateriflora)

Voici une plante dont on parle encore peu, sans doute parce qu’elle a été occultée par sa cousine asiatique, la scutellaire du Baïkal. Pourtant, cela aurait dommage de se priver de tout ce que cette plante a à offrir, puisqu’elle est d’une grande aide dans les troubles du système nerveux, son grand domaine d’élection demeurant les troubles d’anxiété généralisée (mais pas que). Vu le XXIe siècle à la sauce occidentale qu’on est en train de se concocter, je pense que cette plante a tout lieu d’être présente auprès de nous. Rien que de savoir qu’elle existe et ce qu’elle peut faire pour nous, c’est se sentir mieux armé encore face à tout ce que ce monde peut offrir de brutal et d’angoissant.

Une belle lecture à toutes et tous, excellent week-end ! :)

Gilles

Synonymes : toque, grande toque, scutellaire américaine, grande scutellaire, scutellaire bleue, pimprenelle bleue, scutellaire casquée, fleur de casque, bonnet de quaker, chien fou, etc.

« Les scutellaires sont de petites Labiées, peu usitée d’ailleurs, dont le trait caractéristique réside dans la forme du calice dont la lèvre supérieure porte une bosse saillante, formée par une sorte de repli transversal, qui, loin d’être inerte, sous le choc d’un insecte ou de la pluie, ainsi qu’à la fin de la floraison déclenche le rapprochement des deux lèvres et la fermeture du calice. Les corolles violacées ou roses dépassent longuement le calice et leur lèvre supérieure en forme de voûte abrite les quatre étamine à filets parallèles. Les fleurs sont groupées deux par deux au long de la tige et tournées toutes du même côté. Ce sont des plantes des marécages, tourbières, bois et prés humides, ainsi que du bord des eaux »1. Cela, c’est ce dont on peut prendre connaissance si l’on s’attarde à la page 887 du Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de Paul-Victor Fournier, demi-colonne qui s’étend sur des caractéristiques générales avant d’exposer en moins d’un quart de page des informations relatives à la seule scutellaire que compte le territoire national, la scutellaire casquée, alias Scutellaria galericulata, dont le désintérêt flagrant n’apporte rien à la lecture de ces maigres paragraphes. Pour peu qu’on soit curieux, on aura tôt fait d’apprendre que de l’autre côté de l’océan Atlantique, le territoire de l’Amérique du Nord comprend de nombreuses plantes de ce type, dont la plus connue et commune est sans aucun doute la scutellaire de Virginie. Alors que les Européens négligeaient leur scutellaire endémique, les descendants des premiers colons du Vieux Continent en Amérique du Nord apprirent de ces nouvelles scutellaires dont ils croisèrent le chemin. Mais cela ne se fit pas sans mal, comme on peut l’imaginer. Bien avant cela, on se doute bien que les scutellaires firent l’objet d’un usage médicinal par les tribus amérindiennes présentes sur place. Quand on prend connaissance des informations préservées dans les recueils ethnobotaniques, l’on constate à quel point c’est vrai : bien des tribus (parmi lesquelles les Delaware, les Ojibway, les Mendocino, etc.) usaient de plusieurs espèces de scutellaires (S. californica, incana, parvula, angustifolia, elliptica, etc.), et cela pour des maux très variés, ces plantes regroupant des propriétés stomachique, vomitive et laxative, mais aussi tonique nerveuse et emménagogue. Aussi bien remèdes gynécologiques que rénaux, ces scutellaires entraient en ligne de compte dans le traitement de la diarrhée, des frissons fébriles, des troubles cardiaques et des douleurs oculaires. Pour en venir plus précisément à la scutellaire de Virginie maintenant… Les comptes-rendus ethnobotaniques mentionnent le fait qu’elle fut employée par les tribus des Miwok (contre la toux et le rhume) et des Iroquois (pour les maux de gorge, en prévention de la variole). Mais ce qui est plus abondamment relayé dans la littérature, ce sont les relations des Cherokees avec cette scutellaire. Des infusions de racines de scutellaire de Virginie étaient effectivement utilisées par eux comme antidiarrhéique et remède gynécologique dont les vertus emménagogues étaient profitables aux femmes lors des périodes menstruelles. De plus, des décoctions de racines ont été usitées pour aider à l’expulsion de l’arrière-faix (le placenta) après l’accouchement et pour remédier aux douleurs ressenties dans les seins. Cette plante passa encore auprès des Cherokees comme un médicament actif sur la sphère rénale et comme tonique nerveux. Observons qu’aujourd’hui ce sont essentiellement les parties aériennes de cette plante et non pas ses racines qui font l’objet d’une pratique thérapeutique, ce qui peut expliquer qu’entre ce que l’on reconnaît aujourd’hui à la scutellaire de Virginie et ses utilisations traditionnelles par les Cherokees, il n’y ait aucune corrélation apparente dans beaucoup de cas. Malgré les quelques sources d’informations concernant l’ethnobotanique amérindienne de la scutellaire de Virginie, rien ne semble vraiment affirmé à propos des fondements ancestraux de l’utilisation historique de cette plante qui pousse un peu partout sur le territoire nord-américain et qui, par conséquent, a dû voir passer des dizaines de générations amérindiennes successives. Malheureusement – et c’est un fait qu’il importe de mettre en lumière –, « une grande partie de la médecine traditionnelle des peuples autochtones d’Amérique du Nord a été perdue en raison de la décimation de la population et du déplacement de leurs terres par les conquérants européens »2. De langue iroquoise, la nation cherokee vivait initialement dans une zone située à l’est/sud-est des États-Unis actuels au moment où les premiers colons entrèrent en contact avec elle (cf. carte). Les guerres entretenues entre les Cherokees et les Blancs eurent pour conséquence la reddition de vastes étendues de terres au profit de ces derniers. La découverte d’or sur le territoire de la Géorgie n’arrangea pas non plus les affaires des Cherokees, déjà fragilisés par l’Indian Removal Act, loi de déportation des Indiens votée par le Congrès les 24 avril et 26 mai 1830, et qui entérinait le déplacement de plusieurs tribus le long de la « Piste des larmes », funeste entreprise réalisée de 1831 à 1839, période marquée par le traité de New Echota du 29 décembre 1835 qui força les Cherokees à céder toutes les terres qu’ils occupaient à l’est du Mississippi. Outre les morts que cela occasionna, de nombreux savoirs furent abandonnés, égarés et détruits en chemin. Or, à l’époque de cette déportation des Cherokees en direction d’un Ouest moins prospère, la scutellaire de Virginie n’était entrée que récemment dans la pharmacopée étasunienne : bien que mentionnée pour la première fois dans la décennie 1775-1785, elle faisait déjà partie bien avant cette date de la pharmacopée domestique des colons européens, celle-là même qui s’était construite au fur et à mesure des contacts entretenus avec les diverses tribus amérindiennes présentes sur place. Comment donc continuer à apprendre si l’on soustrait la source d’information principale ? Ce faisant, on se coupe de toute une fraction étendue de savoirs accumulés au fil des générations par les Amérindiens. Malgré un usage relativement récent de cette plante par la pharmacopée des États-Unis, au XIXe siècle, on en savait assez pour affirmer les traits caractéristiques suivants : la scutellaire, considérée comme diurétique et emménagogue, brille surtout par les grands services qu’elle rend en tant que tonique du système nerveux : elle favorise le sommeil et calme les convulsions épileptiques. Cette plante qui lutte contre l’irritabilité est fort utile dans tous les cas où elle peut faire prévaloir ses qualités neurotoniques et sédatives face à la chorée, à la danse de Saint-Guy, aux tremblements, au delirium tremens, à l’hystérie, à la schizophrénie, à la monomanie et à « cette condition indéfinie connue sous le nom de nervosité »3. Aujourd’hui, confortée dans ces observations précurseuses dans le domaine de la santé mentale et nerveuse, la médecine moderne assure que « la scutellaire est un traitement sûr pour presque tous les dysfonctionnements du système nerveux de nature légère ou chronique, allant de l’insomnie à la peur en passant par les maux de tête nerveux, et comme revigorant-palliatif de base lorsqu’il s’agit d’évacuer le stress »4. Et dire que l’irruption des opiacés et surtout des médicaments anxiolytiques issus de la chimie de synthèse a failli décider de l’arrêt de l’utilisation de cette plante par la médecine ! Quand on constate déjà ce qu’elle sait faire et ce qui nous reste à révéler de son profil thérapeutique, l’on se dit qu’il aurait été dommage que cette plante se perde elle-même tout à fait, ce qui aurait pu alors être l’occasion d’un commentaire grinçant de ma part quant à l’utilité de déplacer/tuer des centaines/milliers de gens si c’est pour en arriver là. Mais non, je ne me l’autorise pas, je préfère continuer à grandir au contact de la scutellaire de Virginie, plante qui parait tout à fait adaptée à mes conditions : en adéquation avec les personnes minces, elle est particulièrement remarquable en ce qu’elle les aide à éviter de brûler l’énergie par les deux bouts, puisque, en général, elles sont guère capables de conserver longtemps de bonnes réserves, ne mesurant pas l’étendue de l’énergie accumulée (ou encore son manque), ce qui explique que, très souvent, ces personnes vivent au-dessus de leurs moyens énergétiques. Or, vivre sur un grand pied quand on n’a pas le sou n’est point trop commode !

Afin d’étoffer le portrait thérapeutique de la scutellaire de Virginie, ajoutons encore ses bons effets sur nombre d’affections nerveuses telles que l’excitabilité, l’agitation, l’incapacité de contrôle et de coordination des mouvements musculaires, les secousses, les soubresauts, les névralgies, le délire marmonnant, et même jusqu’aux enfants dont les dents se font et qui sont rendus irascibles pour cela, capables même d’enrager facilement, à la manière de ces adultes qui pètent les câbles (nerveux), sortent de leurs gonds au point d’être hors d’eux-mêmes, tous états d’extrême tension prête à voler en éclats à la faveur d’un stimulus imprévu, un bruit trop fort et soudain très souvent (ces réactions excessives au bruit rappellent ce que nous avons dit au sujet de cette autre plante nootrope qu’est le gotu kola). Être hors de soi. Cette image n’est-elle pas saisissante ? Où se trouve-t-on lorsqu’on est mis en dehors de soi-même ? Imaginez-vous le pouvoir bien trop puissant du stimulus capable de nous faire quitter notre propre place et forcer notre esprit à battre la campagne ? Un tel stimulus a tant de pouvoir sur nous, qu’en peu d’effort il nous désarme, dissocie corps et esprit même pour un temps bref, scinde en deux parts ce qui devrait former une unité. On est donc à la merci de ce qui provoque ce stimulus particulier (lieu, circonstance, personne…) quand on sort de ses gonds. Le mieux, bien entendu, serait de l’identifier au plus vite afin de le neutraliser pour qu’il ne fasse plus peser sur nous le poids de ses menaces. Sur ce point, la scutellaire de Virginie peut nous venir en aide. Si le kawa (Piper methysticum) est impliqué dans « les troubles phobiques, paniques et obsessionnels compulsifs », l’orpin rose (Rhodiola rosea) et le safran (Crocus sativus) le sont dans la dépression, et le jujubier (Zizyphus jujuba), la fleur de la passion (Passiflora incarnata) et maintenant la scutellaire dans tous ce qui concerne les troubles anxieux. L’anxiété est un bien grand mot qu’il importe de rendre avec plus de netteté et de précision, plusieurs degrés de stress séparant un malaise léger d’une peur panique. Quelle que soit l’identité exacte de cette anxiété, on observe souvent des répercussions d’ordre somatique grevant l’économie du corps de problèmes de santé et accablant les individus qui en sont les victimes de difficultés dans le fonctionnement social et professionnel. Aux comorbidités connexes habituelles de l’anxiété, s’ajoutent les signes physiques de sa manifestation dans le corps, c’est-à-dire une pâleur du visage, une transpiration anormale, de l’hyperventilation, des troubles de la déglutition (dysphagie, nausée) et du tractus intestinal (diarrhée), des palpitations cardiaques, des tensions dans la tête et dans les muscles, etc. Eh bien, face à tout cela, sachez que les flavonoïdes de la scutellaire de Virginie se lient aux récepteurs cérébraux impliqués dans la modulation de l’anxiété, que cette plante contient encore de la glutamine, un acide aminé qui, bien qu’il ne soit pas « essentiel », est impliqué dans la réponse immunitaire de l’organisme face au stress oxydatif qui connaît de graves conséquences à travers des maladies neurodégénératives et neuropsychiatriques telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la dépression et, donc, l’anxiété. Enfin, par la présence d’acide γ-aminobutyrique (GABA), la scutellaire est capable d’inhiber l’anxiété. Grâce à la scutellaire, qui me paraît être l’une des grandes plantes nootrope dont le XXIe siècle a/aura besoin, l’humeur s’améliore globalement sans affecter les capacités cognitives ou le niveau énergétique général. « Les avantages les plus souvent rapportés par les patients à leurs praticiens étaient d’être plus calmes, de constater une amélioration des habitudes et de la qualité du sommeil et une meilleure capacité à faire face aux situations stressantes. Les effets positifs étaient l’élévation de l’humeur, l’énergie accrue, le fait d’être plus concentré et de se sentir généralement plus détendu »5. On pourrait même convier la scutellaire de Virginie à la gestion de la schizophrénie numérique. C’est en lisant le petit livre qu’accorde Anne Alombert à ce sujet (récemment paru aux éditions Allia), que je me suis dit que cette lecture concomitante à la rédaction de cet article ne tenait rien du hasard. L’on sait que la surexposition informationnelle aux écrans, outre qu’elle provoque des troubles psychiques, détruit aussi les capacités d’attention, cette même attention dont je parlais conjointement à mon article sur le gotu kola. Ce trouble de déficit de l’attention est la résultante d’une surcharge cognitive et informationnelle vectrice de stress et d’anxiété. Or la scutellaire n’est-elle pas bien capée pour lutter contre une telle anxiété ? A la condition de seconder ses efforts en se coupant au mieux de la source stressante impliquée par cette hyper-connexion aux écrans et aux réseaux. Peut-être êtes-vous l’une des nombreuses victimes de l’économie de l’attention qui mobilise votre hypervigilance, jamais à votre profit, mais à celui de quelques lobbys soucieux d’industrialiser les esprits, car « dans un monde surchargé d’informations, les attentions individuelles deviennent une ressource rare, qu’il s’agit de canaliser et d’orienter afin d’influencer les comportements des agents dans la bonne direction »6, celle-là même souhaitée par les mêmes lobbys, à vos dépens, bien entendu. Comme la scutellaire permet de s’amender de diverses addictions (tabac, café, alcool) et d’assurer un sevrage aux barbituriques et autres anxiolytiques de synthèse, je me suis demandé dans quelle mesure elle pouvait avoir une implication pour aider à décrocher des écrans et de l’industrie mortifère qui va avec… Ce qui serait souhaitable, sachant que la pratique assidue des réseaux sociaux aggrave l’anxiété et la dépression7. Or, ce qui traverse votre attention sculpte votre cerveau. A quoi peut bien ressembler un cerveau exposé à un tel déluge de stimulations répétées et de qualité aussi médiocre généralement, hum ? ^.^

La scutellaire de Virginie est une robuste plante vivace d’assez petit gabarit (60 à 80 cm) aux tiges quadrangulaires élancées, dressées et très ramifiées, portant des feuilles arquées en gouttière, régulièrement opposées le long des tiges. Grossièrement crénelées, ces feuilles sont couvertes de fins poils glandulaires. Survenant dès le mois de juin, la floraison de la scutellaire bleuit la plante de petites fleurs hermaphrodites tubuleuses en forme de « casque ».

La scutellaire prospère sur les environnements bien ensoleillés (quoi qu’elle puisse tolérer d’être exposée à mi ombre), sur des sols humides mais bien drainés d’une très grande partie de l’Amérique du Nord s’étendant, d’est en ouest, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, et du nord au sud, de l’Ontario à la Floride. Au sein de cette vaste étendue territoriale, on la croisera surtout en bordure d’étang (je l’imagine bien tenir compagnie à Thoreau lorsqu’il passa ses 2 ans, 2 mois et 2 jours près de l’étang de Walden ^.^) et de rivières (ripisylves), à proximité des canaux, des marais, des tourbières et des prairies très humides.

La scutellaire de Virginie en phytothérapie

Demeurée longtemps concentrée sur la racine de la scutellaire du Baïkal, plante plébiscitée depuis des siècles par la médecine traditionnelle chinoise, la phytothérapie occidentale a cru bon devoir se tourner en direction de la plus commune des scutellaires du continent nord-américain. En comparaison, l’usage de la scutellaire du Baïkal est beaucoup plus ancien, comme l’atteste cette information : « En 1973, au nord-ouest de la Chine, on découvrit 92 tablettes en bois dans une tombe datant du IIe siècle de notre ère. Parmi les plantes prescrites sous forme de décoctions, de teintures, de pilules et d’onguents, figurait la scutellaire du Baïkal »8. Du côté de la scutellaire de Virginie, l’on ne constate rien de tout cela, attendu que les tribus amérindiennes, dont les colons ont « hérités », n’ont laissé aucune information manuscrite et que le plus ancien usage (re)connu de cette plante par les colons, remonte au temps où ceux-ci se permirent de rester à l’écoute des savoirs autochtones ancestraux, ce qui est plus pratique, avant même de les faire disparaître une bonne fois pour toute, d’une manière ou d’une autre…

Très nombreuses, réparties sur au moins trois continents (Europe, Asie, Amériques), les scutellaires sont, parmi plusieurs centaines d’espèces (un nombre qu’on estime entre 350 et 470), six à sept dizaines à présenter des intérêts pour le thérapeute. Malgré cette vaste distribution et une représentativité fort étendue, il apparaît que d’une espèce à l’autre, les composants phytochimiques, s’ils conservent peu ou prou les mêmes fonctions (se protéger face aux prédateurs, s’adapter aux conditions météorologiques, etc.), se localisent diversement selon la plante considérée : alors que la médecine traditionnelle chinoise s’en va déterrer la scutellaire du Baïkal afin de tirer partie de sa racine comme matière médicale, on n’observe rien de comparable au sujet de la scutellaire de Virginie : en effet, si dans les racines de cette dernière plante, on trouve à peu près les mêmes composants que dans la scutellaire asiatique, ceux-ci y sont présents en beaucoup plus petites quantités : c’est que le mode d’accumulation de ces substances diffère selon les espèces. C’est pourquoi l’on préfère accorder plus d’attention aux parties aériennes de la scutellaire de Virginie qui possède dans son feuillage ce que la scutellaire du Baïkal stocke dans ses parties souterraines. Bien que davantage connue et étudiée, j’ai volontairement laissé de côté la scutellaire du Baïkal, premièrement parce qu’on en utilise la racine (il faut donc tuer la plante, et j’ai du mal avec la plupart des remèdes racines pour cela, surtout s’ils sont issus de plantes qui se cultivent mal ou pas/peu), qu’on l’emploie de manière bien trop large et qu’elle en vient donc à se raréfier. Je ne puis donc pas faire la promotion d’une plante sur laquelle pèse la menace d’une extinction. Celle-là, j’aimerais qu’on la laisse tranquille et qu’on la substitue par une plante plus courante, exploitable de manière raisonnée et moins risquée pour la survie de l’espèce (ce qui ne veut pas dire qu’il faut reporter la pression sur celle-ci !…). Cela tombe très bien : la scutellaire de Virginie est toute trouvée pour jouer un rôle médical en phytothérapie, sans pour autant complètement se confondre avec sa cousine asiatique, l’une n’étant pas la copie-carbone de l’autre. En tous les cas, la phytopharmacothérapie n’a pas à rougir d’accueillir une telle plante dans ses rangs, car elle vaut mieux que d’être seulement une cousine américaine éloignée de la menthe poivrée ! Au vu de ce qui va suivre, vous allez très rapidement vous rendre compte que mes recherches, loin d’être vaines, m’amènent à présenter une plante dont il aurait été fort dommage de se priver. Entamons donc le recensement des composants biochimiques qui ont agité les méninges des chercheurs ces vingts dernières années (je serai le plus bref et ordonné possible ^.^). Allez, c’est parti ! : des alcaloïdes indoles (mélatonine, sérotonine), des phytostérols (β-sitostérol, daucostérol), des polyphénols (verbascoside, acide caféique, acide p-coumarinique), des glycosides phénylpropanoïdes (martynoside) et phényléthanoïdes (leucosceptoside A), des iridoïdes (catalpol), des dihydropyranocoumarines (scutéflorine A, scutéflorine B, décursine). Pas mal jusque-là, hein ? Mais ça, c’est juste le hors-d’œuvre. Accrochez-vous pour la suite ^.^ On va souffler avec des trucs faciles, tiens : tanins, acides organiques (acide férulique, etc.), vitamine C, polysaccharides. Voilà que ça se complique maintenant avec les lignanes (syringarésinol 4-O-β-D-glucopyranoside), les triterpènes pentacycliques (acide ursolique) et les diterpénoïdes néolédanes (scutellaterine A, scutellaterine B, scutellaterine C, ajugapitine et scutécyprol A). Cependant, la palme d’or revient au grand groupe des flavonoïdes et apparentés : la scutellaire de Virginie en contient tant qu’il a fallu que j’en limite le nombre aux plus fréquemment cités dans la littérature scientifique, ce qui n’est pas de la tarte, sachant que chaque année il s’en découvre de nouveaux dans la même plante ! Voici ceux dont on parle prioritairement depuis ces deux ou trois dernières décennies : la baïcaline, la baïcaléine, la scutellarine, la latériflorine, la wogonine, l’ikonnikoside I et l’oroxyline A. Additionnons-y la fournée suivante : dihydrobaïcaline, wogonine 7-β-glucuronide, isoscutellarine, isoscutellarine 8-O-β-D-glucuronide, scutellaréine, apigénine, apigénine 7-O-β-glucuronide, apigétrine, lutéoline, lutéoline 7-β-glucuronide, hispiduline, naringénine, naringénine 7-O-β-glucuronide, oroxyline A-7-O-glucuronide, dihydro-oroxyline A, chrysine, 2-méthoxy-chrysine-7-O-glucuronide, dihydrochrysine, etc. Comme si ça ne suffisait pas, sachez qu’il existe une fraction aromatique dans les parties aériennes de cette plante, bien qu’elle ne me semble pas faire l’objet d’un commerce particulier au sein des articles d’aromathérapie. Voici néanmoins quelques données chiffrées qui permettent, comme d’habitude, de rendre compte des disparités biochimiques selon le lieu de provenance des plantes. On va ici comparer une huile essentielle de scutellaire de Virginie typiquement nord-américaine (plante cultivée et distillée dans l’état du Montana, aux États-Unis) avec une autre d’origine iranienne.

Iran :

  • sesquiterpènes (75 à 80 %) : dont δ-cadinène (27 %), calaménène (15,2 %), β-élémène (9,2 %), α-cubénène (4,2 %), α-humulène (4,2 %) et α-bergamotène (2,8 %) ;

USA :

  • diterpénols : dont octénol (27,5 %), phytol (14,8 %) ;
  • sesquiterpènes : dont β-caryophyllène (8,8 %), trans-α-bergamotène (4,1 %), α-humulène (3,2 %), germacrène D (1,5 %) ;
  • phénols : dont thymol (2,6 %), carvacrol (1,1 %) ;
  • monoterpénols : dont linalol (1,1 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique du système nerveux, trophorestauratrice du système nerveux central, sédative, calmante (sans causer de perte d’énergie ni de vigilance), antispasmodique, anticonvulsivante, anxiolytique, antipsychotique, relaxante, neuroprotectrice, euphorisante (à doses appuyées)
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antivirale
  • Hépatoprotectrice, antidiabétique (par inhibition des cellules pancréatiques)
  • Diurétique, protectrice du système urinaire
  • Anticancéreuse, antiferroptose, inhibe la métastase des cellules cancéreuses, anti-angiogenèse, anti-néoplasique
  • Cardioprotectrice, stimulante de la circulation sanguine dans la région pelvienne
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante puissante, antiradicalaire
  • Astringente légère
  • Décontractante musculaire
  • Effet œstrogénique (in vitro)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie nerveuse, reflux gastro-œsophagien, anorexie, affections intestinales de nature inflammatoire
  • Troubles de la sphère gynécologique : maintien d’un cycle menstruel fonctionnel, promotion de la fertilité féminine, syndrome prémenstruel, règles douloureuses, douleur dans les seins
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, rhume, rhinite allergique, asthme, infection grippale (abaisse la fièvre si elle est trop élevée, calme la toux et la sensation d’essoufflement, réduit les palpitations cardiaques, l’irritabilité et l’anxiété que suscitent de tels épisodes)
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse (et crise d’angoisse), nervosité, agitation, hyperactivité, TDAH, choc nerveux, crise de panique, épreuve péniblement nerveuse (examen, entretien d’embauche, etc.), déprime, état dépressif, dépression légère, insomnie et autres troubles du sommeil, épuisement nerveux et mental (après un épisode infectieux, par exemple), épilepsie, convulsions, sclérose en plaques, encéphalomyélite, migraine d’origine nerveuse, addiction (tabac, alcool, café), sevrage (barbituriques, anxiolytiques)
  • Troubles locomoteurs (dont beaucoup d’origine nerveuse) : fibromyalgie, ostéomyélite, contractures et spasmes musculaires (muscle tendu, contracture dorsale, nuque raide, mâchoires serrées…), tics nerveux, névralgie, arthrose, arthrite rhumatoïde, rhumatisme
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hyperlipidémie, prévention des maladies cardiaques ischémiques (comme l’infarctus), maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires
  • Affections cutanées : allergie cutanée, piqûre d’insecte, herpès labial
  • Insolation sévère
  • Affections cancéreuses : fibrosarcome, carcinogenèse9

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries (fraîches comme sèches) : comme la scutellaire n’est pas très fan de l’eau bouillante et des longues ébullitions qui dénaturent la plante, il est préférable de procéder ainsi : faites bouillir la quantité d’eau voulue, patientez quelques instants afin qu’elle tiédisse un peu et à ce moment seulement, versez la plante dans l’eau à raison d’une à deux cuillerées de plante sèche pour la valeur d’une tasse d’eau et laissez infuser pendant 10 à 15 mn.
  • Poudre : conditionnée le plus souvent sous la forme de gélules titrées, il arrive aussi de pouvoir se procurer de la poudre de scutellaire en vrac. En ce cas, l’on compte ½ cuillerée à café délayée dans ½ verre d’eau tiède.
  • Teinture : certains, qui la disent préférable à l’infusion de l’herbe (surtout si elle est sèche), préconisent d’élaborer une teinture de scutellaire fraîche de la manière suivante : placez, si vous en avez, une part de plante fraîche dans cinq parts d’alcool le plus fort possible. Durant la première semaine de macération, ouvrir le bocal tous les jours et mélangez bien vigoureusement à la cuillère, puis les deux semaines suivantes, remuez juste le bocal une fois par jour. A l’issue, passez, filtrez et exprimez. Si l’alcool utilisé pour cette opération s’avère trop faible pas sa teneur (40-50°), il faudra sans doute songer à étaler la durée de macération à six semaines. En terme de dosage, l’on convient qu’ils sont (peuvent être) plus appuyés lorsqu’on a affaire à une teinture « maison » : ¼ de cuillerée à café dans ½ tasse d’eau chaude trois fois par jour est amplement satisfaisant. En revanche, avec l’extrait hydro-alcoolique de scutellaire que j’ai repéré dans le commerce, il en va tout autrement : on considère une dose de 5 à 20 gouttes diluées dans un verre d’eau comme convenable.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : sur les pieds âgés de deux à quatre ans, on prélève les parties aériennes abondamment fleuries au milieu de l’été (juin-septembre), puis on les fait sécher en les suspendant tête en bas sur une ficelle. Quand la matière végétale craque souplement sous les doigts, on détache les feuilles et les sommités fleuries des tiges principales.
  • On rencontre souvent l’information d’après laquelle la scutellaire de Virginie serait hépatotoxique. Cette fausse réputation provient de lots adultérés par la présence de plantes du genre Teucrium (germandrées) dont certaines sont hépatotoxiques. A l’état sec, il est difficile de distinguer les unes de l’autre, ce qui autorise les mélanges frauduleux. Seules des analyses poussées permettent de déceler les lots problématiques. Cependant, la scutellaire de Virginie pourrait endommager le foie chez les sujets prédisposés à cette fragilité. Cette hépatotoxicité relative disparaît néanmoins à l’arrêt des prises.
  • Tout au contraire de ce sombre portrait, la scutellaire de Virginie est généralement une plante bien tolérée, sans aucune toxicité marquée et dont les effets secondaires, relativement mineurs, se soldent par un sentiment de somnolence en journée, des troubles digestifs légers, des nuits agitées emplies de rêves tout en vivacité (ce qui peut être intéressant ^.^ Certaines tribus amérindiennes mentionnèrent l’usage de cette plante pour obtenir des visions…). En revanche, en cas de surdosage (de la teinture essentiellement), l’on voit surgir des phénomènes plus « inquiétants » (vertige et étourdissement, stupeur et tremblements, convulsions, tics nerveux, sentiment de confusion, irrégularité du rythme cardiaque, etc.).
  • Si la scutellaire de Virginie est compatible avec la lactation et l’allaitement, elle doit tout à fait être évitée durant la grossesse car susceptible de provoquer une fausse couche.
  • La scutellaire de Virginie est incompatible avec la prise de « calmants » (du type benzodiazépines) et d’alcool.
  • Il s’avère possible d’associer cette plante avec d’autres médicinales à visée sédative et calmante : la damiana, la lavande officinale, la mélisse citronnée, le millepertuis, la passiflore, l’eschscholtzia, etc.
  • Médecine vétérinaire : en Amérique du Nord, cette plante est utilisée auprès des animaux de compagnie en proie à l’anxiété, à ceux qui supportent difficilement le transport automobile et ceux qui sont potentiellement sujets aux crises d’épilepsie.
  • Autres espèces : la scutellaire à casque européenne (S. galericulata), la petite scutellaire (S. minor), la scutellaire barbue (S. barbata), la scutellaire de Cuba (S. havanensis), etc.

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  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 887.
  2. Source.
  3. John W. Fyfe, Specific diagnosis & specific medication, p. 715.
  4. Matthew Wood citant Michaël Moore, Traité d’herboristerie énergétique, p. 420.
  5. American skullcap (Scutellaria lateriflora) : an ancient remedy for today’s anxiety ?, Brock et al, 2010.
  6. Anne Alombert, Schizophrénie numérique, p. 20.
  7. Source.
  8. Larousse des plantes médicinales, p. 134.
  9. « L’oroxyline A […] a un grand potentiel dans le traitement de multiples cancers, y compris le cerveau, le sein, le col de l’utérus, le côlon, l’œsophage, la vésicule biliaire, l’estomac, l’hématologie, le foie, les poumons, la bouche, les ovaires, le pancréas et la peau. Toutefois, l’absence d’études pharmacocinétiques, d’évaluations de la toxicité, d’études de normalisation des doses et d’effets indésirables limite l’optimisation de ce composé en tant qu’agent thérapeutique » (Source).

© Books of Dante – 2023

Cathedral Woods


Cathedral Woods, Intervale, New-Hampshire (États-Unis).


A travers de larges allées, où déambulaient autrefois les promeneurs endimanchés, transpire un sentiment fort lointain. D’anciennes émotions plus ou moins fugaces se devinent encore. Là débute la piste menant au repaire de la bête qui a abandonné derrière elle des signes compréhensibles de ses seuls congénères ; ici s’engage le sentier qui file, sinueux, en direction de cet arbre fabuleux qu’on appelait le Magicien, un bouleau dont les branches semblaient vouloir saisir les cieux, pour en capter les divins effluves. On peut alors imaginer que sous l’écorce de cet arbre se dissimulait une entité spirituelle et qu’un culte secret s’organisait par et à travers cet arbre sacré. « Dans des circonstances périlleuses, on recherche ces temples couverts de lierre, ombragés de vieux chênes, parce que c’est au milieu des bois, loin du bruit des passions humaines, que s’exerce avec le plus de force cette puissance morale qui guide et console le malheur »1. Mais, parfois, les idoles sont abattues : le bouleau sorcier des Appalaches fut jeté à bas par une tempête dans les années 1930. Depuis, les hautes colonnes des pins gardent la marche qui mène au cœur des secrets que recèle le bois cathédrale

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, pp. 546-547.

© Books of Dante – 2023


L’arbre Magicien, Intervale, New-Hampshire (États-Unis).


Le gaillet jaune (Galium verum)

Le gaillet jaune est-il un caille-lait, autrement dit est-il capable de faire cailler le lait comme semble le prétendre sa longue utilisation à travers l’industrie fromagère de plusieurs pays ? Aujourd’hui encore, le doute subsiste. Bien qu’on se soit quelque peu éloigné de cette question aujourd’hui, l’interrogation demeure encore bel et bien prégnante, tant et si bien que hormis cela, on peut se demander à quoi peut bien servir ce cousin du gaillet gratteron qui a eu droit à une tribune ici-même il y a quelques semaines. Nous répondons, autant que possible, à la question des usages thérapeutiques du gaillet jaune dans ce nouvel article.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : gaillet vrai, galliet, gallait, caille-lait, caille-lait jaune, caille-lait officinal, herbe à cailler, bonsang, petit muguet, herbe de la Saint-Jean, herbe à la Vierge.

J’ignore si les plus anciennes paroles font toujours autorité, mais il s’avère que du temps de Dioscoride puis de Galien, l’on professait déjà des caractéristiques propres au gaillet jaune érigées comme des évidences indiscutables. C’est ainsi qu’on le considérait comme apte à stopper les écoulements de sang, bien que cela ne soit pas là sa principale prérogative. (Aujourd’hui, c’est tout juste si on lui reconnaît une aptitude à endiguer les saignements de nez. Il est, à ce titre, beaucoup plus efficace pour guérir les brûlures et, surtout, les blessures.) Mais revenons-en à nos moutons. Le nom même de cette plante, gaillet, fait référence à l’une de ses propriétés qui n’est pas médicinale : dans gaillet, on peut entendre comme une contraction de l’expression « gaille-lait », autrement écrit caille-lait. Ce qu’il faut considérer, pour comprendre cette dénomination, c’est que depuis au moins 2000 ans, l’on se sert de cette plante comme présure végétale, ce qui n’est pas une information exactement inutile, mais qui fut à l’occasion de quelques exagérations, comme celle qui voulait que la seule présence de cette plante dans l’étable suffise à la métamorphose du lait en fromage ! Mais l’idée générale rencontra ses détracteurs en les personnes de Bergius, Parmentier et Déyeux pour lesquels le gaillet jaune n’avait strictement aucun rôle à jouer là-dedans, démonstrations à l’appui. Malgré cela, l’idée fausse (?) poursuivit son chemin, se propagea à nombre d’articles contenus dans des encyclopédies et des livres de botanique et de phytothérapie, et ce jusqu’à nos jours, répétée maintes et maintes fois au sein de ces divers ouvrages dont les auteurs ne se sont vraisemblablement pas donnés la peine de vérifier la véracité des dires qu’ils partageaient. C’est, par exemple, le cas cas du Dictionnaire dit de Trévoux qui publia un texte allant dans ce sens en 1771. Or, une quarantaine d’années plus tard, dans le Dictionnaire des sciences médicales (1812), Louis-Benoît Guersent mena une charge contre cette prétendue propriété et précisa même qu’il faudrait supprimer le mot caille-lait en raison du fait qu’il rappelait « une idée entièrement fausse »1. En revanche, il était parfaitement d’accord avec le fait que le gaillet jaune est propre à parfumer et à colorer les fromages, utilisé conjointement à l’emprésurage en Hollande (pour le gouda), ainsi qu’en Angleterre, pays qui, en la circonstance, développa la culture du gaillet jaune pour ce faire au XIXe siècle puis au début du XXe siècle (avant qu’elle ne périclite avec l’irruption des colorants de synthèse). Ainsi faisait-on dans le comté rural de Chester, région anglaise jouxtant le nord du pays de Galles, depuis devenu le Cheshire, où sévit un drôle de chat sorti tout droit des méninges de Lewis Caroll… ^.^ Cette activité complémentaire mais néanmoins disjointe de celle de la présure proprement dite, n’a pourtant pas empêché la plante de s’appeler cheese rennet en langue anglaise, c’est-à-dire « présure de lait » littéralement. En définitive, est-il, oui ou non, un caille-lait autrement que par son nom, comme on le prétend ? Roques apportait, sur ce point, une opinion bien plus subtile et nuancée que de brutaux oui et non : « les fleurs ont des nectaires remplis d’une sorte de miel qui s’aigrit par une dessiccation lente, et passe à l’état d’acide acétique ; ce qui pourrait expliquer la propriété qu’ont ces fleurs de faire cailler le lait. Ainsi les deux chimistes que nous venons de citer [NdA : Déyeux et Parmentier] pourraient bien n’avoir pas tout à fait raison »2. Pourtant, selon les analyses menées un siècle plus tard par D. Aye (1929), on lui trouva bien trop peu d’enzymes coagulantes pour qu’une aussi infime fraction (1 mg pour 8 à 10 g de gaillet) puisse être à l’origine d’une activité si originale. En fait, « le gaillet agirait plutôt en créant des conditions optimales au développement de micro-organismes déjà présents dans le lait »3. Tout semble décidément tourner autour du lait, jusqu’au mot gaillet lui-même que l’étymologie fait émaner du grec galion et du latin gala, « lait », ce qui nous mène tout droit au mot galactogène qui désigne une propriété à même d’activer la sécrétion lactée. Or, dans tous les cas précédents, on donne le gaillet comme une plante censée figer un liquide (le sang d’une blessure, le lait, etc.), chose très étonnante que de le voir jouer une fonction soi-disant galactogène, c’est-à-dire permettant d’activer la mobilité du lait. Mais l’on n’est pas obligé de réagir à ce que dirent les Anciens. Matthiole, dans ses commentaires sur Dioscoride, ne fit en aucun cas allusion au gaillet caille-lait : de son temps, cet usage en tant que présure était inconnu des bergers italiens qui utilisaient pour cela une autre plante, la carline. Le plus curieux, au travers de cette chronique fromagère, c’est que l’idée même de fixité induite par l’activité de caillage du lait semble s’être transposée à une activité thérapeutique que l’on suppose à cette plante, celle d’être antispasmodique. Observons même le sens étymologique du mot coaguler : cela veut dire « rendre fixe ». Il s’agit donc de concentrer et de densifier, de figer quelque chose qui ne l’est pas afin de lui faire acquérir un impassible immobilisme. De la même façon que « lac coagulatur in caseum », on a pensé pouvoir indiquer le gaillet jaune dans une affection qui, à l’agitation, en est le dramatique avatar : l’épilepsie. Puisque le gaillet jaune caille le lait, qu’il le fait passer du fluide mouvant au fixe ordonné, ne serait-il pas possible, par le truchement de je ne sais quelle signature magique cachée, qu’il remette aussi de l’ordre chez le sujet épileptique dont les crises extraordinaires sont à l’image du lait non caillé, c’est-à-dire insaisissables ? Je ne sais pas si cette association d’idées s’est faite dans l’esprit des médecins de l’ancien temps, mais elle paraît trop tentante pour être passée sous silence. En attendant, on évoqua tout autant les vertus coagulantes du gaillet jaune en même temps que sa soi-disant implication dans le traitement de l’épilepsie. A force de lectures entreprises à ce sujet, il s’avère que nombreux furent les praticiens qui le conseillèrent dans ce but (Murray, Mérat, Hufeland, Kœnig, Lémery, etc.), réputation qui sera à l’origine de l’élaboration de compositions à visée anti-épileptique aujourd’hui parfaitement oubliées (comme l’élixir de Larnage, du nom de la petite ville drômoise située à côté de Tain-l’Hermitage, l’élixir de Taillotte… mais ce n’était pas le gaillet jaune qui entrait dans leur préparation, mais le blanc !) Pour Nicolas Lémery, il n’y a rien de plus simple que le traitement de l’épilepsie par le gaillet, plante que l’on « estime pour l’épilepsie, pourvu qu’elle ait été simplement infusée quelques temps dans de l’eau froide […] et qu’on en boive l’infusion à l’ordinaire »4. Un contemporain de Lémery, le médecin anatomiste Daniel Tauvry, mort très jeune à 31 ans, fit même du gaillet jaune un spécifique de ce désordre nerveux qu’est l’épilepsie, ce qui est tout bonnement grandiose ! Le Dictionnaire de Trévoux ne fit pas moins que de lui emboîter le pas : « Ces deux plantes [NdA : gaillets jaune et blanc] sont à présent recommandées pour l’épilepsie. On prend l’une et l’autre indifféremment, ou bien l’on en fait une décoction, ou on les prend infusées à froid » à la manière qu’indiquait Lémery5. A l’inverse de ce que soutenait Tauvry, dans le Dictionnaire des sciences médicales du début du XIXe siècle, on demeura plus mesuré : « Les observations que nous avons jusqu’à ce jour, sont fort peu nombreuses et très peu concluantes ; elles sont dues, pour la plupart, à M. Bonafons, médecin de Perpignan. Dans toutes ses expériences, il a commencé par saigner et purger les malades, et leur a fait prendre ensuite, pendant trois jours consécutifs, quatre onces de suc exprimé des sommités fleuries de gaillet, et pendant un mois une infusion théiforme de cette plante. Les malades, qu’il obligeait de rester au lit, ont presque toujours transpiré assez abondamment, et plusieurs de ceux dont il parle ont guéri : ‘Mais je n’aurais garde, dit-il, de considérer ce remède comme un spécifique constant, car je m’en suis servi dans d’autres cas sans succès’. On ne peut qu’approuver la sage réserve de M. Bonafons, quand on considère que l’épilepsie est une maladie qui tient à une foule de causes différentes, très souvent obscures, et que la saignée et le purgatif ont pu produire beaucoup plus d’effet que le suc de gaillet, qu’il ne donnait qu’après »6. Que conclure ? L’on ne sait finalement même pas si le gaillet jaune est un caille-lait et encore moins un remède de l’épilepsie, deux réputations qui semblent usurpées. Mais allez savoir, après tout, « si la vérité est dans les faits, elle ne se présente pas sous le même aspect à tous les yeux »7. Plus probable fut sans doute la capacité dépurative du gaillet jaune que souligne son surnom de « bonsang », plante destinée à « ceux qui se feraient justement du ‘mauvais sang’ »8, au sens propre comme au figuré. Mais bon, allez, ne nous en faisons pas trop.

Vivace, le gaillet jaune se propage sous terre par l’intermédiaire de racines grêles traçantes, mais également par voie aérienne puisqu’il peut arriver à ce gaillet de propulser ses stolons à l’horizon. Selon ce qui se trouve dans son environnement proche, le gaillet jaune dresse ses 20 à 70 cm ou les conserve semi-couchés, à l’égal de son cousin gratteron. Cette plante très ramifiée possède des tiges qui ne sont quadrangulaires qu’au sommet alors qu’à la base elles sont quasiment rondes. Dans tous les cas, elles portent ces caractéristiques verticilles de feuilles/stipules aux extrémités mucronées, courtes pièces foliaires linéaires et luisantes au-dessus, si petites qu’il faut y regarder de plus près pour s’assurer qu’elles sont bien velues et grisâtres sur leurs faces inférieures et que leurs bordures sont un peu enroulées, à la manière d’une chips en train de se faire dorer les flancs au four. Dès le mois de mai, le rustique gaillet jaune déploie sa floraison qui dure jusqu’à fin septembre : elle prend l’allure de denses panicules de toutes petites fleurs, croix jaunes très odorantes formant, à fructification, des akènes lisses et noirs, glabres et résistants comme des légumes secs.

Naturellement présent à la majeure partie de l’Europe ainsi qu’à une partie de l’Asie, le gaillet jaune, artificiellement introduit en Amérique du Nord, a également été repéré au Groenland. Dès les plus basses altitudes de bord de mer, le gaillet s’élève jusqu’à, parfois, 2000 m. Il est très possible de croiser le chemin de cette plante fréquente partout en France, sur des emplacements ensoleillés et des sols secs bien drainés, calcaires, neutres à alcalins, tels que les prairies sèches, les pelouses, les landes, les talus, au bord des routes et sur tout autre sol sablonneux, rocailleux et gravillonneux. Chaque année, je le vois occuper une étroite bande de terre qui longe une haie en bordure de champ : la « haie jaune ». Pour l’instant occupée par des coucous, suivront les gaillets jaunes en compagnie des croisettes, puis l’année se terminera avec le jaune plus pâlot des linaires.

Le gaillet jaune en phytothérapie

Bien que le sujet ait déjà été abordé, cette plante contient-elle un quelconque principe végétal dont la fonction s’approche de la présure et, si oui, quel est son mode d’action ? Voici la question casse-tête qu’on s’est assénée jusqu’au XIXe siècle sans que, toutefois, une unanimité ait été atteinte. Le XXe siècle, pour lequel la question importait peu (ou était considérée comme résolue… Mais, en ce cas, quelle est la réponse à cette question ?), prit la peine de dépasser cet écueil fromager, véritable caesus belli ! Le hic, c’est que pignoter le même bout de gras ne permet pas toujours de voir au delà d’une anecdote digne d’une énigme posée par le Sphinx ! Mais comme cette interrogation n’entre pas dans le cadre du propos qui va suivre, abandonnons-la dès à présent, puisqu’il nous reste à exposer un aspect plus judicieux qui, lui, ne tient en rien du mirage : l’odeur mielleuse de la plante, en particulier de ses sommités quand elles sont pleinement épanouies. Effectivement, le pouvoir odoriférant du gaillet jaune est très puissant, d’autant plus si l’on en croise une colonie sous le chaud soleil de juillet. Il s’agit d’un parfum si lourd et sucré, qu’il est parfois perçu comme désagréable par des narines qui n’entretiennent pas d’affinité élective avec lui. De cette odeur, une essence aromatique est responsable. Mais il existe à son sujet un flou à peu près semblable à celui du pouvoir présurisant du gaillet jaune. Ce n’est pas exactement le silence radio, mais des communiqués rares et contradictoires. D’une part, il est dit qu’elle est constituée à hauteur de 50 % par deux molécules, le squalène (?) et le cis-3-hexen-1-ol, un alcool gras à l’intense odeur d’herbe et de feuilles vertes. Par le biais d’autres sources, l’on apprend que l’on peut tirer une essence aromatique aussi bien des feuilles que des sommités fleuries : dans le premier cas, elle est majoritairement composée de 2-méthylbenzaldhéhyde (26 %), dans le second de germacrène D (28 %). On y trouverait encore ce sesquiterpène bien connu, le β-caryophyllène. Avec la présente sensation de tourner en rond, je constate que nous n’avons encore rien dit de la saveur du gaillet jaune : un peu amère et herbacée quand il est frais, on lui trouve aussi une touche acidulée et astringente. Cependant, une fois la plante sèche, odeur et saveur s’annulent à peu près.

Fidèle à la famille des Rubiacées, le gaillet jaune affiche à l’analyse des iridoïdes (aspéruloside, dérivés hydroxycinnamiques), des anthraquinones, des acides phénols, des polyphénols (comme l’acide chlorogénique). N’oublions pas les nombreux flavonoïdes (rutine, diosmine, diosmétine, diosmétine 7-O-β-D-glucopyranoside, quercétine-3-O-β-D-glucopyranoside, isorhamnétine, isorhamnétine 3-O-α-L-rhamnopyranosyl-(1-6)-β-D-glucopyranoside) et les alcanes, les glycosides et les polysaccharides, de même que les lignanes tels que le pinorésinol-4-O-β-D-glucopyranoside (une molécule active face au stress oxydatif qui occasionne des dommages hépatiques et dont on sait qu’il est, avec l’inflammation chronique, un prérequis au diabète), l’épipinorésinol et le médiorésinol (une substance antifongique et antibactérienne). Et puis ceux-là encore : des triterpènes pentacycliques (acides ursolique et rubifolique). Au rang des substances plus courantes, nous trouvons des acides organiques (acide citrique), des tanins (acides gallique et gallotannique), des sels minéraux comme le potassium et de la vitamine C. La racine, peu usitée en phytothérapie, recèle un pigment rouge que nous évoquerons ultérieurement.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédatif léger, calmant, antispasmodique, inhibiteur du stress
  • Sudorifique, dépuratif rénal et hépatique, diurétique léger
  • Laxatif, cholagogue
  • Anti-infectieux : antibactérien, antifongique, antiparasitaire
  • Anti-oxydant
  • Cytotoxique
  • Immunomodulant9
  • Galactogène (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : obstruction du foie, lithiase biliaire
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase (urinaire, rénale), cystite, rétention d’urine, hydropisie, oligurie, assurer un meilleur confort urinaire
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : prévention des phlébites et des varices, obstruction des glandes mésentériques, palpitations, ischémie cardiaque10, saignement de nez
  • Troubles locomoteurs : articulation enflée, douleur articulaire et musculaire
  • Affections cutanées : plaie, plaie cancéreuse, ulcère (rebelle, d’aspect cancéreux), dartre invétérée, eczéma, psoriasis, dermatose rebelle, gale, tumeur ganglionnaire ulcérée (et autres tumeurs cancéreuses localisées au visage et au cou : par exemple, carcinome laryngé), autres inflammations et éruptions cutanées, blessure, brûlure
  • Affections bucco-dentaires : ulcère de la bouche, stomatite aphteuse
  • Troubles du système nerveux : nervosité, irritabilité, angoisse, insomnie légère (le gaillet jaune procure un sommeil bon et sain), hystérie (plus précisément : « petits accidents de l’hystérie » selon Henri Leclerc. Quoi que recouvre cette formulation…), épilepsie (? Comme nous l’avons vu, le gaillet jaune possède une longue et très ancienne réputation de médicament anti-épileptique, mais il a été plus souvent en usage à travers des affections nerveuses généralement mineures. Dans ces cas-là, on ne le considère nullement comme une panacée spécifique, tout juste comme un auxiliaire. J’ai de gros doutes quant aux soi-disant vertus anti-épileptiques du gaillet jaune…)

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries fraîches : comme l’eau s’empare facilement des principes du gaillet jaune, ne nous privons pas d’en faire l’infusion à destination de la voie interne. En ce cas, il faut compter une cuillerée à café de plante finement hachée pour la valeur d’une tasse d’eau bouillante, soit 10 à 15 g par litre d’eau. Pour un usage externe, plutôt que d’opter pour la décoction qui abîme la plante, mieux vaut procéder à une infusion concentrée de 30 à 70 g par litre d’eau à couvert pendant un bon quart d’heure.
  • Extrait hydro-alcoolique : 20 à 25 gouttes diluées dans un demi verre d’eau trois fois par jour. Dans 10 cl de rhum à 50°, faites macérer pendant trois semaines 20 g de gaillet jaune frais cisaillé en petits morceaux. A l’issue, filtrez, pressez et conservez en petites bouteilles opaques.
  • Feuilles froissées en application locale.
  • Pommade : on l’obtient en broyant 100 g de gaillet jaune frais que l’on mêle à 50 g de poudre d’écorce d’orme. On fait cuire longuement et doucement le tout pendant plusieurs heures dans une livre de saindoux.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte et séchage : dès le matin, « on doit le récolter lorsqu’il est en fleur et par un beau temps. Disposé en guirlandes, on le fait sécher promptement, pour le conserver ensuite dans des boîtes et à l’abri de la lumière. Ses fleurs noircissent, et il perd de ses propriétés en vieillissant. Comme on peut se le procurer facilement, on fera bien de ne pas le garder au delà d’un an »11, ce qui invite à n’en pas cueillir plus qu’il n’est besoin. Alors qu’on considère généralement que les mois de récolte courent de juin à fin septembre, on préconise parfois de cueillir le gaillet jaune juste au moment où il fleurit, avant libération du pollen. Quand il s’agira de « s’enherber », on ramassera le gaillet jaune au printemps en compagnie d’autres plantes dépuratives et, si besoin est, ses racines à l’automne. Le séchage du gaillet jaune, bien qu’assez simple, doit cependant être des plus prompts et soigneux. Il s’effectue mieux lorsqu’on suspend les tiges en petits bouquets lâches à une ficelle. Le gaillet jaune, particulièrement odorant lorsqu’il est frais, prend, en séchant, un parfum peu avenant, contrairement à l’aspérule qui développe tous ses arômes grâce à la dessiccation. De conservation très brève, on ne le gardera pas plus d’une année en raison de sa détérioration rapide à l’état sec.
  • Ferment lactique : jamais deux sans trois ! Pour Lieutaghi, d’accord avec Fournier, la chose est on ne peut plus simple et n’appelle pas de contradiction : « Il suffit de faire infuser quelques sommités fraîches, contuses, dans le lait tiède qui ‘prend’ plus ou moins vite selon la température ambiante »12. Plus précisément, il faut compter 15 à 20 g de ces sommités fleuries fraîches (ou 5 g à l’état sec) pour un litre de lait. Bien sûr, ce ferment lactique qui donne une teinte jaune et un arôme délicat au fromage, agit parfois de façon aléatoire, en fonction de sa concentration dans la plante utilisée. Mais alors, d’où vient que des auteurs comme Morelot, Cazin, Reclu et jusqu’au Larousse médical récusent cette propriété ? Une expérimentation non concluante peut-elle provenir d’une erreur d’identification ? (Par exemple, quand on observe de près l’illustration qui se trouve en marge du tout petit article que Larousse réserve au gaillet jaune, on peut se demander si l’auteur de la rubrique en a déjà vu un : effectivement, cette illustration montre un gaillet gratteron !). Pourtant, on reconnaît maintenant la présence d’un « quelque chose » (une enzyme du nom de chymosine quand ce ne sont pas des progalines A et B qui sont invoquées…) qui fait plus ou moins bien cailler le lait dans le gaillet. Face à une question aussi épineuse, comme rien ne vaut l’expérience, je me réserve le droit d’essayer par moi-même dès que poindront les premières têtes fleuries de gaillet jaune. Marchera, marchera pas. On verra bien. Mais si ça ne marche pas, cela ne veut pas forcément dire que la chose est impossible mais que je m’y serai probablement mal pris… Ce qui est tout à fait envisageable ^.^
  • Matière tinctoriale : le gaillet possède un point commun à de nombreuses autres rubiacées (garance, gaillet gratteron, etc.) : une racine tinctoriale permettant d’obtenir une teinture rouge orangé sur la laine. Abondant dans les espaces septentrionaux (Islande, Écosse, Laponie…), le gaillet jaune y fut souvent utilisé dans ce but en lieu et place de la garance, non seulement absente de ces zones, mais surtout hors de prix. Cependant, le pouvoir tinctorial de ce gaillet apparaît moindre que celui de la garance, à moins qu’il faille, là encore, compter sur une question de concentration et de mode opératoire. A ce titre, voici ce que suggère Roques : « La racine arrachée en automne ou au printemps, bien nettoyée et disposée par couches avec la laine filée, ensuite bouillie avec la petite bière, teint la laine en rouge »13. On peut plus simplement faire bouillir laine et gaillet jaune dans la même eau additionnée d’alun. Enfin, achevons ce tour d’horizon en compagnie de Thierry Thévenin qui propose dans un ouvrage plus récent (il a tout juste quinze ans) un modus operandi différent : « Vous devez par exemple utiliser 500 grammes de cette racine finement moulue pour un petit litre de bain de teinture, orange saumoné, que vous pouvez toutefois renforcer, selon l’antique recette persane, avec… du yaourt séché »14. C’est à croire que le gaillet jaune n’est pas prêt de nous voir changer de crèmerie !…
  • Autres espèces : il existe, du gaillet jaune, une sous-espèce qui se distingue par son absence de parfum, le gaillet de Wirtgen (G. verum ssp. wirtgenii). On connaît bien sûr le gaillet gratteron (G. aparine), étudié ici même il y a quelques semaines, le gaillet blanc (G. mollugo) auquel on croît voir dans le gaillet dressé (G. album) une sous-espèce. On peut encore mentionner le gaillet piquant (G. asprellum), le gaillet des sables (G. arenarium), le gaillet maritime (G. maritimum) et le gaillet de Paris (G. parisiense). Remarquons, pour nous arrêter là, que celui qu’on appelait autrefois gaillet croisette a été retiré des gaillets bien qu’il fasse toujours partie du genre Galium : il porte aujourd’hui le nom latin de Cruciata laevipes (qui remplace Galium cruciata).
  • Le gaillet jaune, qui nécessite des cures brèves, peut entrer en interaction avec certains médicaments anticoagulants et anti-agrégeants.
  • Dans de vieux bouquins, on peut apprendre des choses comme celle-ci à propos du gaillet jaune : des animaux que l’on nourrirait en partie avec de la poudre de racine de gaillet jaune deviendraient étiques, c’est-à-dire atteints d’étisie, autrement dit d’extrême maigreur. Quelle drôle d’idée !…
  • A l’identique avec le gaillet gratteron, le gaillet jaune servit autrefois au rembourrage des matelas comme en atteste un de ses noms vernaculaires anglais, Lady’s bedstraw. Une légende chrétienne explique aussi que la litière dans laquelle Jésus fut couché après sa naissance était composée de fougères et de gaillet. On intégra vraisemblablement le gaillet aux plantes de la litière de la Vierge Marie, c’est-à-dire un groupe de plantes dont on garnissait les lits des femmes en couche afin de préserver du malheur les futures mères et les enfants à naître.

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  1. Louis-Benoît Guersent, Dictionnaire des sciences médicales, Tome 3, p. 441.
  2. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, pp. 267-268.
  3. La Garance voyageuse, n° 141, Printemps 2023, p. 26.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 382.
  5. Dictionnaire de Trévoux, Tome 2, p. 157.
  6. Louis-Benoît Guersent, Dictionnaire des sciences médicales, Tome 3, p. 442.
  7. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 219.
  8. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages : connaître, cueillir et utiliser, p. 195.
  9. « Tous les extraits étudiés avaient un effet stimulant marqué sur l’activité de transformation des cellules sanguines immunocompétentes. » (Source).
  10. « Nos résultats ont démontré pour la première fois que l’extrait de G. verum préserve la contractilité cardiaque, la fonction systolique et diastolique ainsi que les dommages structurels du cœur après une ischémie. De plus, l’extrait de G. verum modulait l’activité des enzymes antioxydantes et atténuait la production de pro-oxydants. » (Source).
  11. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 217.
  12. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 250.
  13. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, pp. 267-268.
  14. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages : connaître, cueillir et utiliser, p. 195.

© Books of Dante – 2023

Le gotu kola (Centella asiatica)

Vous avez des problèmes de concentration récurrents ? Vous vous sentez inopérant au sein d’une atmosphère bruyante ? Vous craignez que la folle vie urbaine ne vous rende prématurément neuneu ? Dans ces cas, il serait peut-être bon de s’arrêter un brin auprès du gotu kola afin d’écouter ce qu’il a de profitable à vous raconter ;) En tous les cas, je suis bien heureux de vous offrir la somme d’informations qui vous attend !

Bonne lecture ! Un beau week-end à toutes et à tous :)



Synonymes : hydrocotyle asiatique (de hýdôr, « eau » et kotylé, « écuelle, cuvette »), pied de biche asiatique, bevilacque, brahmi, mandookaparni, pegaga, pancaga, codagen, pesequinus, vallarai. Par ailleurs, cette plante porte pas loin d’une cinquantaine de noms différents sur le seul territoire de l’Inde !

Quand les bio-hackers du XXIe siècle proclament que le gotu kola représente un « cofacteur adaptogène de l’illumination spirituelle », il ne faut pas se dire qu’ils sont tombés sur la tête, se détourner de leurs dires et classer l’affaire. Ce serait de l’ignorance et une insulte adressée à l’encontre de cette plante fabuleuse qu’est le gotu kola, alias Centella asiatica. Si l’on se réfère à l’histoire de cette plante, il n’y a rien d’absurde dans ce propos, puisqu’il reflète, en une seule phrase, le statut qu’elle occupe depuis la création de la médecine ayurvédique il y a de cela plusieurs millénaires1. « L’Ayurvéda est le plus ancien système de médecine au monde, son antiquité remontant aux Védas. Il adapte une approche holistique unique à toute la science de la vie, de la santé et de la guérison. Les domaines de considération en Ayurvéda sont la gériatrie, le rajeunissement, la nutrition, l’immunologie, la génétique et la conscience supérieure »2. Voilà déjà une idée très claire du bain dans lequel on a amené le gotu kola à baigner, lui qui fut employé par les rishis et les yogi pour qu’ils améliorent leur « compétences méditatives », afin de les mener au développement de la conscience de soi, du bien-être émotionnel et à la prise en compte de la réalité suprême (ou brahmique). Mais ce guérisseur traditionnel de l’esprit fut également considéré comme celui du corps, c’est pour cela qu’on lui octroya le statut d’herbe de longévité. Effectivement, « les textes ayurvédiques décrivent un ensemble de mesures de rajeunissement permettant de donner une subsistance biologique aux tissus corporels. Ces remèdes, appelés Rasayanas, sont prétendus agir comme micronutriments […]. Ceux spécifiques au tissu cérébral sont appelés Medhya Rasayanas. Ces Rasayanas retardent le vieillissement du cerveau et aident à la régénération des tissus neuronaux en plus de produire des antistress, adaptogènes et effets améliorant la mémoire. En plus de la longue tradition de preuves textuelles et fondées sur l’expérience pour leur efficacité, certaines études récentes menées sur ces remèdes traditionnels selon des paramètres scientifiques ont montré des résultats prometteurs qui ont été examinés pour fournir de l’avance à d’autres études »3. Parmi ces Medhya Rasayanas, l’on ne s’étonnera pas d’y trouver le mandookaparni, autrement dit le gotu kola, flanqué de plantes que l’on connaît plus ou moins bien en Europe : l’ashwagandha (Withania somniferis), le brahmi4 (ou hysope d’eau, Bacopa monnieri), le shankapushpi (ou liseron indien, Convolvulus pluricaulis) et le shatavari (Asparagus racemosus).

En Inde, il existe cette légende : un éléphant mangeait du gotu kola, ce qui eut pour conséquence de fortifier sa mémoire et d’accroître considérablement sa longévité. Voyant cela, l’homme fit de même, illustrant un proverbe cinghalais ayant cours au Sri Lanka : « Deux feuilles de gotu kola par jour éloignent la vieillesse ». Ce ne me semble pas être une fable fantaisiste, d’après ce qui va suivre, qui est pourtant encore plus énorme. Si nous contions, dans notre article portant sur l’angélique des jardins, l’histoire d’Annibal Camoux, ce Niçois soi-disant mort à plus de 120 ans, à peu près à la même époque naissait un Chinois nommé Li Ching-Yun, qui estimait la date de sa naissance à 1734 (elle pourrait être plus ancienne : 1677). Eh bien, on prétend que cet herboriste chinois, accessoirement maître de qigong, aurait vécu plus de 250 ans (256 exactement) et qu’il aurait été marié à 24 reprises au cours de sa longue existence. « Je pense, expliquait-il, que la raison pour laquelle j’ai vécu aussi longtemps et que je suis toujours bien en santé, c’est que rien ne m’a irrité depuis que j’ai 40 ans. Pour cette raison, mon cœur est très calme, paisible et divinement tranquille. C’est pourquoi je suis libre de toute maladie, toujours en bonne santé et heureux ». Le gotu kola avait, semble-t-il, sa préférence. Il en consommait quotidiennement l’infusion. D’où ce prodigieux résultat. Cela peut paraître certes merveilleux, mais il n’en reste pas moins que « le gotu kola agit sur les tissus les plus anciens et les plus primitifs du corps, les polymères de la matrice qui lient les cellules entre elles et régulent l’activité cellulaire »5. Peut-on dire que le gotu kola en appelle à notre ancestralité ?

Le gotu kola est une plante qui permet d’avoir du temps à soi, de se retirer du monde, de se plonger dans « l’abandon confiant aux pouvoirs de l’imaginaire et de la rêverie »6, cherchant tout bonnement à se placer face à ce que l’on peut appeler la tyrannie de la vie moderne, urbaine, technologique et bruyante. Comment cela ? Il peut paraître bien étonnant que cette humble petite herbe puisse, comme on l’a sous-entendu plus haut, être capable de préparer un individu à une séance de relaxation, voire de méditation. Pourtant, régulièrement absorbée, une infusion de gotu kola semble avoir sur le cerveau et le système nerveux de bien agréables dispositions, effets qu’ainsi l’on peut décrire : se centrer autour d’un calme intérieur, clarifier sa pensée, élargir sa sensibilité et sa créativité, augmenter sa concentration. Et surtout, le gotu kola est susceptible de réduire la vigilance et les temps de réaction, tout en améliorant l’attention. A elle seule, cette simple phrase peut ne vouloir rien dire si l’on ne sait pas faire la distinction entre vigilance et attention. La vigilance est une hyper surveillance et elle est tout à fait différente de l’attention que l’on présente souvent comme une tension douloureuse vers quelque chose de fixe. C’est un mot qui, hélas, met tous nos sens en alerte et nous stresse plus qu’autre chose, par exemple, au travers du « Fais attention aux voitures ! » de la mère à son enfant, parfois même prononcé alors qu’aucune voiture ne survient. Cette manière de « faire attention » est bien différente de celle qui transparaît dans la phrase suivante : « Elle a été très attentionnée avec moi ». On n’y décèle aucune possible survenue de catastrophe potentielle. Or, l’attention qu’est censée procurer le gotu kola n’adopte aucune de ces deux formes, même si, par la bienveillance, elle se rapproche de la seconde. L’attention dont je veux parler est veille et attente : « le sujet attentif exerce ses facultés librement tout en s’ouvrant à la chose même, où il accepte volontairement de s’oublier lui-même et d’accorder à l’objet la faveur d’un regard exclusif »7. D’après la philosophe Simone Weil (1909-1943), « l’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet […]. La pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer ». A cette vacuité de l’esprit s’ajoute un effort libre et volontaire « qui consiste à écarter les solutions qui s’imposent trop rapidement, à repousser les sollicitions extérieures, à se détourner de tout ce qui paraît accessoire à l’objet choisi »8. C’est donc cette propension à l’attention que le gotu kola est capable de promouvoir, tout en abaissant le seuil de cette vigilance (qui est parfois bien pire, puisqu’on parle d’hypervigilance), véritable nuisance au bonheur personnel, car elle prend au piège ceux qui sont trop empressés à répondre à toutes les excitantes requêtes comme si leur vie en dépendait ! Or, plus le monde se peuple de sources de stimulations diverses et variées, plus le niveau de vigilance augmente, jusqu’à devenir pathogène. Les motifs d’inattention, pour trop nombreux qu’ils soient aujourd’hui, ne sont pourtant pas une invention propre au XXIe siècle, puisque Charles Baudelaire déjà s’en plaignait. La conspiration de la vie moderne – à travers la triple alliance maléfique de la technologie intensive, de l’urbanisme et de l’argent – rend impossible l’attention sous la forme que nous en avons donnée plus haut. Surmonter les distractions passagères et les parasitages récurrents qui nous agacent est donc salutaire, car s’y abandonner nous empêche d’accéder à des états de conscience non inclus dans le « pack de la vie ordinaire », fait de stimuli, de SMS et de notifications incessantes, d’images « épileptogènes », de lumières violentes et insidieuses qui se répandent partout, etc. Par exemple, ne devient-on pas généralement plus détendu en dormant chaque nuit dans un noir presque parfait et naturel plutôt qu’au sein des artificielles lumières de la Cité ? Mais, plus qu’à la lumière, le gotu kola permet d’augmenter notre résistance à une autre sorte de manifestation : le bruit. Effectivement, grâce à une consommation régulière de cette plante, l’on observe une réduction de la sensibilité à la réaction de sursaut et un effet de surprise moindre face aux bruits forts qui surgissent de manière aléatoire et impromptue. Il est bien entendu qu’un bruit soudain, bien qu’étant une agression subite et parfois violente, est heureusement un phénomène non chronique. Malgré cela, il occasionne une réponse cérébrale et la sécrétion de différentes hormones impliquées dans le stress en réponse à un danger potentiel, comme, par exemple, le célèbre cortisol. Mais s’il s’agit d’une réaction chronique face aux différentes et continuelles sources de bruits, la sécrétion hormonale devient presque constante et les dérèglements s’instaurent. On comprend dès lors l’implication de la pollution sonore dans la mauvaise santé des citadins, relativement plus exposés aux nuisances de toutes sortes survenant continuellement et en surabondance. De fait, comme le cerveau est incapable de baisser la garde, l’on est sur les nerfs et en phase de « distress » chronique. Tout cela mène à l’épuisement et à la maladie (érosion de l’immunité, troubles du sommeil, maladies cardiovasculaires, etc.), à la perte de plusieurs années d’espérance de vie, enfin à la mort prématurée (selon l’Agence européenne de l’environnement, on estime à 10000 le nombre des victimes annuelles à une exposition chronique au bruit).

La Ville et la folle vie qui y règne ne sont donc pas idéales pour (re)conquérir le silence intérieur – celui-là même que promeut le gotu kola – juste pendant du silence censé nous environner et dans lequel il est bon de trouver refuge, préférablement avant que le besoin ne s’en fasse sentir (car, à ce moment-là, on est déjà saturé). Si le cerveau est rendu abruti par le bruit, le silence lui fait le plus grand bien (imaginez avec du gotu kola en prime !). Le bruit, qui occasionne des troubles du sommeil, fait perdre une partie de son activité au cortex préfrontal, associé aux capacités de planification et de raisonnement. S’en suit un dérèglement émotionnel, une incapacité à prendre les bonnes décisions (y compris celle permettant de sortir de l’impasse dans laquelle on est enferré !), ainsi que la chute de la capacité à éprouver compassion, empathie et amour de soi : le bruit chronique mène donc bien véritablement à l’abrutissement ! Quoi de plus normal, à force d’exposer les cellules nerveuses à de perpétuelles agressions ? Déjà qu’en dehors de ce cadre délétère le cerveau se régénère lentement, alors, en raison du bruit (entre autres), l’on imagine la catastrophe. On connaît l’exemple de l’hippocampe, logé au centre du cerveau : cette toute petite fraction cérébrale est impliquée dans la mémorisation et dans l’apprentissage. Il s’y crée, quand les conditions requises sont réunies, des neurones tout neufs grâce auxquels on échappe assurément à Alzheimer. Parce que cela nous amène à une autre façon de penser, le cerveau utilise ces neurones comme de nouveaux outils pour façonner des dendrites neuronales et des arbuscules axonaux s’épanouissant en une sorte de « jardin cérébral » où une certaine « flore » devient le reflet de l’existence de son hôte. Le scientifique espagnol Santiago Ramón y Cazal (1852-1934) expliquait ainsi que « tout homme peut, s’il le désire, devenir le sculpteur de son propre cerveau », prouesse rendue possible grâce à ce que l’on appelle la plasticité synaptique, « aptitude du système nerveux à ‘pousser’, c’est-à-dire modifier sa structure et son fonctionnement en fonction des stimulations de l’environnement »9. En poursuivant une existence urbaine bruyante et polluée, l’on se coupe de cette possibilité de voir ces chemins neuronaux se former (et nous-mêmes les emprunter !), on se met à distance, dans le même temps, de champs d’applications qui nous demeureront définitivement clos. Aux sur-sollicitations de cette vie « moderne », il faut, autant que l’on peut, leur opposer les vertus que procure l’absence de bruit. Voyez comme le gotu kola se superpose ici au silence ! Tant est que l’on pourrait prendre l’un pour l’autre car, c’est un fait bien avéré, le gotu kola procure au cerveau les mêmes bénéfices qu’une cure de silence. Comme l’on ne peut pas vouloir tirer bienfait d’une plante si l’on ne réunit pas toutes les chances par devers soi, il est donc utile de faire bonne mesure, c’est-à-dire de se respecter autant qu’on respecte la plante : il est indispensable de procéder à une approche rituelle silencieuse, puisque la préparation et l’absorption d’un « thé » de gotu kola ne me semble pas compatible avec une ambiance sonore discordante.

Apiacée comme nous l’avons dit, le gotu kola n’en est pas moins le membre le plus atypique de cette famille botanique : à bien l’observer, on pourra peiner à lui trouver la moindre ressemblance avec un pied de persil, de carotte sauvage ou encore d’angélique des jardins. Ici, pas de grandes feuilles en frondes bien découpées, ni ombelles de fleurs minuscules composant une forme de plateau, piste d’atterrissage pour les insectes et parfois de petits oiseaux. Mais nous avons donné l’étymologie du mot hydrocotyle qui peut se réduire à « écuelle d’eau », un terme qui rend bien compte des feuilles circulaires, légèrement évasées au centre desquelles démarre un pétiole : pourtant, cette vision ne s’applique pas au gotu kola mais à l’hydrocotyle vulgaire présente en France. Il est un fait : à bien considérer cette feuille, il est difficile de penser aux Apiacées. De même lorsqu’on détaille la feuille réniforme du gotu kola qui rappelle davantage celle du lierre terrestre par sa rondeur quelque peu bossuée. Ces feuilles paraissent solitaires ou par groupes de trois à chaque nœud de la tige qui s’en va rampante, rougeâtre, striée et glabre comme les deux faces du limbe des feuilles. Côté sol, sous les feuilles, fait pendant un faisceau de racines qui permet à cette plante stolonifère de s’enraciner de loin en loin et de tapisser de grandes surfaces tout en demeurant de taille modeste (maximum 15 cm de hauteur). D’avril à juin surgissent de petites fleurs, groupées par trois ou quatre, au sommet de pédoncules qui s’érigent au-dessus du moutonnement foliaire du gotu kola. Habituellement blanches, il leur arrive aussi d’être roses ou pourpres.

Le gotu kola recherche les expositions franchement ensoleillées ou ombragées de façon mitigée, de préférence à basse altitude (moins de 600 m, mais il a parfois été observé plus haut, entre 1200 et 1500 m), dans des zones où peut s’ébattre cette plante vivace semi aquatique, c’est-à-dire aussi bien des sols humides que carrément détrempés (fossés, canaux, bordures d’étang, cours d’eau montagneux, etc.).

Bien loin de se cantonner à son unique aire d’origine, le gotu kola s’est étendu à la plupart des territoires où les conditions climatique – tropicales et subtropicales – lui permettent de prospérer, autrement dit : l’Asie (Chine, Sud-Est asiatique, Indonésie, Malaisie, Népal), l’Afrique (Afrique du Sud, Madagascar), les Amériques (Mexique, Colombie, Venezuela, sud-est des États-Unis : en Floride ; ils ont déjà des pythons de Birmanie, alors pourquoi pas la jolie herbette qui serpente avec eux ? ^.^), l’Océanie et le Pacifique (Australie, Tahiti, Hawaï, Fidji, îles Cook, Samoa, Tonga).



Le gotu kola en phytothérapie

Face à l’immensité des savoirs empiriques qui ont irrigué pas moins que la médecine ayurvédique, la médecine traditionnelle chinoise et la médecine traditionnelle coréenne depuis des siècles (avant de se répandre aux zones d’exportation de première intention que sont le Sud-Est asiatique, le Bangladesh, le Népal, les îles indo-malaises ; puis de seconde intention : les îles Fidji, l’île Maurice, Madagascar, le Brésil, etc.), la science a bien dû s’emparer du « phénomène gotu kola ». C’est ce qui explique que de 1967 à l’an 2000 à peu près, de très nombreux rapports scientifiques furent édités pour relater les diverses propriétés thérapeutiques de cette plante dont les savoirs traditionnels se prévalaient depuis des lustres. On en voit la trace sur un site comme PubMed : en tapant « gotu kola » dans la barre de recherche de ce site, ce sont plus de 1000 articles qui surgissent, dont un quart concerne la dernière décennie écoulée. Cette plante stimule tant la recherche à dire vrai qu’il ne se passe pas une année sans que l’on expérimente de nouvelles choses ou que l’on découvre des composants biochimiques que la plante avait tenus secrets jusque-là, etc. Devant une telle avalanche d’informations, il a fallu disséquer et sélectionner l’essentiel et le pertinent, l’exhaustivité ne pouvant sacrifier le confort de lecture. Mais attelons-nous plutôt à l’inventaire des substances biochimiques dignes d’intérêt contenues dans le gotu kola. On trouve, tout d’abord, des éléments très communs dans les parties aériennes du gotu kola (ses racines ne font pas l’objet d’un emploi thérapeutique) : des tanins, des sucres, des vitamines (B, C, G…), des sels minéraux et oligo-éléments (fer, sélénium, calcium, sodium, potassium, magnésium), une huile végétale contenant plusieurs acides gras (palmitique, stéarique, lignocérique, oléique, linolénique, linoléique), une essence aromatique. Voici maintenant toutes ces autres substances précieuses que l’on retire de ces parties fraîches qui possèdent une odeur herbacée (devenant quelque peu vireuse une fois sèches). Commençons premièrement par les triterpènes pentacycliques dont le plus célèbre est sans nul conteste l’asiaticoside que, pendant longtemps, l’on extrayait d’une seule source, la Centella asiatica (on a depuis découvert ce corps dans l’écorce d’une espèce de schefflera). Mais se contenter uniquement de cela, équivaudrait à laisser l’arbre dissimuler la forêt, car ces triterpènes pentacycliques sont très nombreux. Voici les noms de ceux qui ressortent généralement régulièrement dans la littérature : asiaticoside B, madécassoside, acide asiatique et acide madécassique. A ce quartet, l’on peut additionner pas loin d’une dizaine d’autres molécules de même nature : brahmoside, brahminoside, centelloside, schéffoléoside A, thankunisside, acides brahmique, centellique, terminolique, corosolique, ursolique, isothankunique. Arrivés là, si l’on croit que ça en est terminé avec la composition biochimique du gotu kola, eh bien l’on se trompe, puisque l’on a encore recensé une flopée de flavonoïdes (rutine, quercétine, kaempférol, catéchine, lutéoline, castilliférol, castillicétine) et d’acides aminés (glycine, acide aspartique, acide glutamique, α-alanine, phényle-alanine), puis des phytostérols, des ginsénosides, des polyphénols (acides rosmarinique, chlorogénique), un alcaloïde (l’hydrocotyline), quelques acides organiques (acide malique), etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Cicatrisant (favorise la prolifération cellulaire et la biosynthèse du collagène10 au site des plaies tout en réquisitionnant les antioxydants enzymatiques et non enzymatiques tels que la vitamine E, l’acide ascorbique, le glutathion peroxydase, la catalase, le superoxyde dismutase….), répare et régule le métabolisme des tissus conjonctifs, prévient la formation de chéloïde et de vergeture, hydrate, nourrit, assainit, purifie, raffermit et protège (de la pollution, de l’air sec, etc.) le tissu cutané, retarde le vieillissement cutané, antiprurigineux, anti-psoriasique
  • Fluidifiant de la circulation sanguine, actif sur la micro-circulation et la perméabilité capillaires, augmente la circulation sanguine cérébrale (stimulant et oxygénant cérébral, avec, pour action connexe : dépuration du cerveau des toxines et des déchets métaboliques qui l’encombrent), vasodilatateur, cardioprotecteur, stimulant de l’angiogenèse (synthèse de nouveaux vaisseaux sanguins)
  • Tonique nerveux, neuroprotecteur, nootrope (avec très peu d’effets secondaires), augmente l’arborisation dendritique de certaines régions cérébrales impliquées dans la mémorisation et l’apprentissage (hippocampe, amygdale), améliore la mémoire de travail et la mémoire à long terme, réduit la vigilance et les temps de réaction tout en améliorant l’attention, favorise la neurogenèse, accélère la réparation des neurones endommagés, augmente l’activité des enzymes anti-oxydantes dans toutes les régions du cerveau, stimulant du système nerveux central, sédatif, antidépresseur, anxiolytique, soutient un bon niveau de GABA dans le cerveau
  • Adaptogène doux (évite l’augmentation des taux de cortisol et d’adrénaline et augmente la résistance aux stress physiques, mentaux et chimiques, procure force et endurance), renforce les glandes surrénales, tonique, revitalisant
  • Anti-infectieux : antifongique, antiprotozoaire (Entamoeba histolytica), larvicide (auprès de certaines espèces de moustiques), antibactérien (sur germes Gram + comme le staphylocoque doré, le SARM, la lèpre à ses débuts par plausible action dissolutive de l’asiaticoside sur la couverture cireuse de Mycobacterium leprae), antiparasitaire (bilharziose), antiviral (HSV-2)
  • Anti-inflammatoire, antirhumatismal
  • Diurétique léger
  • Rafraîchissant
  • Favorise la croissance des ongles et des cheveux
  • Cytotoxique (entre autres sur les cellules fibroblastiques)
  • Apaiserait la gueule de bois, favoriserait la désintoxication à l’opium

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : varice et varicosité, phlébite, ulcère de jambe, AVC, crise hémorroïdaire, lymphœdème, cellulite11, insuffisance veineuse, œdème de la cheville, pieds enflés, micro-angiopathie veineuse hypertensive chronique, sclérodermie systémique, ischémie cérébrale
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : lésion gastrique (causée par l’alcool), dysenterie, douleur abdominale, prévention de la fibrose hépatique
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, bronchite, tuberculose (dans certains cas)
  • Affections cutanées : plaie, plaie de longue curation, blessure, brûlure, réaction aiguë aux rayonnements de la radiothérapie, coup de soleil, peau rougie, irritée, enflammée, acné, eczéma (chronique, rebelle), lichen, prurigo, formation anormale de cicatrice, chéloïde, vergeture, élastose, lésion chirurgicale, cancer de la peau (mélanome)

Note : une peau saine et lumineuse est le brillant reflet d’une santé intérieure épanouie.

  • Troubles locomoteurs : arthrite, rhumatisme, douleur articulaire et musculaire, fibromyalgie
  • Parodontite chronique
  • Trouble de la sphère cérébrale et nerveuse : affections liées à une activité accrue de la phospholipidase A2 (épilepsie, sclérose en plaques, AVC), traumatisme crânien, mauvaise mémoire, déficit cognitif, retard mental, TDAH, trouble de l’humeur chez les personnes âgées, fatigue mentale, trouble anxieux généralisé, stress, anxiété, anxiété sociale, anxiété d’approche, nervosité, irritabilité, timidité, déprime, dépression, insomnie
  • Convalescence et rétablissement après une épreuve nerveusement pénible

Modes d’emploi

  • Infusion de la plante sèche (forme sous laquelle on la trouve le plus couramment par chez nous) : comptez une cuillerée à café pour la valeur d’une tasse d’eau bouillante en infusion à couvert pendant 10 mn. Pour un usage externe (lotion et compresse), procédez à une infusion concentrée de 5 g de gotu kola dans 10 cl d’eau bouillante à couvert pendant 20 mn.
  • Infusion composée à visée neurofortifiante : mêlez à parts égales les plantes suivantes : scutellaire casquée (Scutellaria lateriflora), verveine bleue (Verbena hastata), millepertuis, camomille romaine, romarin et gotu kola. Variante pour soutenir l’activité cérébrale : 1/3 de romarin, 1/3 de ginkgo biloba et 1/3 de gotu kola.
  • Poudre : libre, en gélule. Comptez 2 à 4 gélules par jour selon leur contenance à prendre avant les repas. Sinon, 1,5 à 2 g de poudre (environ ¾ d’une cuillerée à café) par jour, mêlée à un peu d’eau tiède ou à un corps gras (en Inde, on l’incorpore au ghee, le beurre clarifié et on l’absorbe ainsi). Variante : comptez 1 g de poudre de gotu kola et 1 g de poudre de feuilles de ginkgo biloba par jour. Il importe de maintenir cette cure pendant plusieurs mois, tout en ménageant des interruptions (voir plus loin).
  • Teinture alcoolique : 12 à 30 gouttes deux fois par jour.
  • Cataplasme : mélangez deux cuillerées à café de poudre de gotu kola à 25 ml d’eau, puis appliquez localement.
  • Pour les plus aventureux d’entre vous, une pratique ayurvédique connue sous le nom de nasya consiste à faire pénétrer par le nez un certain nombre de gouttes d’huile dans laquelle on aura fait macérer le temps nécessaire les plantes choisies. Le gotu kola se prête bien à cette pratique médicale.

Il existe bien d’autres préparations pharmaceutiques et cosmétiques qui font participer le gotu kola comme des pommades et baumes cicatrisants pour les pieds et les mains, des gels et crèmes anti-rides, des extraits glycérinés, des macérâts huileux, des shampooings, des savons, de l’aloe vera enrichi au gotu kola et jusqu’à l’incontournable collagène en poudre additionné de gotu kola.

Note : dans le commerce de détail spécialisé, l’on trouve de l’extrait titré de Centella asiatica (TECA). Comme c’est un produit à demi-vie courte (2 à 4h30), il importe donc de multiplier au mieux les doses par trois afin de couvrir une journée entière. Sont préconisées des cures de six semaines suivies d’une interruption de quinze jours. Ceci dit, l’on a observé que dès 0,5 g par jour l’anxiété diminuait, que l’humeur s’améliorait autour de 0,75 g quotidien et que la mémoire de travail s’optimisait aux environs de 1,25 g par jour.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : celle des parties aériennes est possible toute l’année. Puis elles se consomment immédiatement en l’état, crues comme cuites. On en peut faire des salades, des currys, des jus (comme cela se pratique dans le sud de l’Inde et dans le Sud-Est asiatique), des chutney, etc. En revanche, une fois sèche, il vaut mieux garder cette plante de toute humidité sachant à quel point elle peut être hygrométrique. Si le séchage est envisageable, la conservation du gotu kola sous forme de poudre s’avère fort difficile en dehors d’une atmosphère complètement sèche. En Europe, l’on ne trouve guère le gotu kola que sous la forme de plante sèche en vrac. Et pour le consommateur européen, c’est là que ça se complique : bien que ne faisant pas l’objet d’une préoccupation majeure de la part de l’IUCN, cette plante a été largement cultivée afin de répondre à une demande croissante. Mais cette surexploitation a mené à ce que cette culture ait été plus souvent mal faite que bien, en particulier en Asie, ce qui doit nous interroger quant à la qualité du matériel végétal recueilli. En effet, du gotu kola est cultivé dans des zones souillées aux métaux lourds, tout à fait indésirables lorsque l’on recherche, tout au contraire, un retour à la santé et à l’équilibre (cette plante exige une pureté de l’eau telle que celle qu’on concède au cresson). Or, comme le gotu kola est un aspirateur à saletés… Où croyez-vous, qu’à terme, elles se retrouvent, considérant que nous nous situons au dernier maillon de la chaîne trophique, hum ? ^.^ De plus, l’absence de réglementation, la rareté des contrôles effectués, la volonté farouche de faire du fric sur le dos du vivant, mènent à proposer sur le marché des produits adultérés et/ou frelatés, donc dangereux. La prudence est donc de mise, en particulier sous le climat dans lequel on vit qui ne permet pas la culture de cette plante. Il faut donc s’en remettre à des fournisseurs dont la sûreté est incontestablement avérée.
  • Toxicité : aux doses recommandées, il n’en a été observée aucune. En revanche, quelques effets secondaires ont été répertoriés : allergie cutanée (dermatite de contact), sensation de brûlure au lieu de l’application topique, maux de tête, maux d’estomac, nausée, étourdissement, vertige, somnolence. Il est parfois dit que la plante serait photosensibilisante. C’est bien une apiacée, mais contient-elle pour autant des furocoumarines ?
  • Incompatibilités médicamenteuses : le gotu kola est déconseillé en cas de prise d’anxiolytiques et de somnifères de synthèse. Il n’est pas non plus compatible avec un sevrage aux benzodiazépines.
  • Grossesse : on attire parfois l’attention sur le fait que le gotu kola est malvenu au cours d’une grossesse. Bien que considéré sans danger, on appelle néanmoins à la précaution durant cette période.
  • Fertilité : par certains de ses composés (asiaticoside, thankunisside), le gotu kola serait capable de réduire la fertilité masculine en abaissant le niveau de testostérone sérique et en diminuant le nombre de spermatozoïdes.
  • Il est préférable de privilégier les prises en début et milieu de journée et d’oublier cette plante en soirée afin qu’elle ne vienne pas entraver le sommeil, etc.
  • Il a été remarqué que la vitamine E potentialisait la puissance thérapeutique du gotu kola.
  • Autres espèces : l’hydrocotyle à ombelle (Hydrocotyle umbellata), espèce américaine ; l’hydrocotyle vulgaire (Hydrocotyle vulgaris), d’origine européenne et dont on parle encore dans quelques bouquins de phytothérapie du début du siècle dernier pour n’en pas dire grand-chose ; l’hydrocotyle verticillée (Hydrocotyle verticillata), présente sur la partie nord de l’Amérique du Sud ; l’hydrocotyle à tête blanche (Hydrocotyle leucocephala) d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, etc.

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  1. Le gotu kola est, par exemple, mentionné dans le Sushruta Samhita. Cette herbe tridoshique rajeunit Pitta (feu), calme Vata (air) et réduit les excès de Kapha (terre).
  2. Source.
  3. Ibidem.
  4. Le nom brahmi est un mot sanskrit qui s’applique aussi bien au bacopa qu’au gotu kola ; on estime que les associer forme une bonne synergie.
  5. Matthew Wood, Traité d’herboristerie énergétique, p. 267.
  6. Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, p. 29.
  7. Jean Lacoste, L’idée de beau, p. 115.
  8. Ibidem, p. 118.
  9. Michel Le Van Quyen, Cerveau et nature, p. 148.
  10. Le collagène est une protéine qui constitue 30 à 35 % du total protéinique présent dans l’organisme. Il assure la cohésion, l’élasticité et la régénération de l’ensemble des tissus dans la composition desquels il entre. On distingue plusieurs types de collagènes : bien qu’il en existe plusieurs dizaines, on évoque surtout les collagènes I, II et III. Le premier est le plus abondant, on le trouve dans les tissus osseux, la peau et les tendons. Le collagène II prête renfort aux cartilages, tandis que le collagène III apparaît dans les muscles et les parois des vaisseaux sanguins.
  11. « La cellulite, un syndrome clinique qui touche principalement les femmes, implique des changements spécifiques dans les tissus dermiques et sous-cutanés conjonctifs, conduisant à des altérations vasculaires et hypertrophiques dans les tissus adipeux et à l’altération conséquente de la structure des tissus » (Source).

© Books of Dante – 2023


L’huile essentielle de patchouli (Pogostemon cablin)

Dans le cadre de cet article, je mettrai plus particulièrement l’accent sur le versant aromathérapie du patchouli, mais je me permettrai aussi d’apporter des éléments supplémentaires quant aux usages phytothérapeutiques du patchouli tels qu’ils se pratiquent, par exemple, en Inde et en Chine. C’est donc une vision élargie du patchouli qui vous attend dans cet article revisité auquel j’ai ajouté un tas de trucs tout neufs :)

Je vous souhaite une bonne lecture ainsi qu’un beau week-end :)

Gilles



Synonymes : patchouly, puchaput (nom indien).

Quelques rares allégations médiévales semblent vouloir attester l’introduction du patchouli en Europe au temps des croisades (pourquoi, toujours, les croisades ?). Peu remarqué, il trouva refuge dans quelques jardins, où il périclita sans doute, parce que aujourd’hui l’on ne l’y retrouve plus, d’autant que le climat européen n’est guère profitable à cette plante tropicale/subtropicale. Bien que j’ai découvert une mention (une seule !) à son sujet dans les sources médiévales que je consulte régulièrement, tout ceci reste néanmoins fort étrange. Bref. Il est exact que cette plante assez discrète et peu odorante (à l’exclusion de ses sommités fleuries) n’est pas très encourageante et enviable au premier abord, contrairement à nombre de ses cousines de la famille des Lamiacées qui exhalent leur parfum pour peu qu’on les frôle ou les froisse entre les doigts (sauge, lavande, romarin, etc.). En réalité, il est plus probable d’en imaginer l’importation à une époque plus tardive puisque certaines sources avancent que Napoléon Bonaparte l’aurait rapporté (sous quelle forme ?) d’Égypte après les campagnes des pyramides, soit au tout début du XIXe siècle. Un peu plus tard, en 1826, on le retrouve mentionné dans une revue de pharmacie sous le nom de patchouly, un mot qui s’inspire de la façon dont on désigne cette plante en Inde et qui veut tout simplement dire « feuille verte » (de patchai, « vert » et ilai « feuille »). On l’appela aussi pogostémon, en référence à ses étamines barbues (sous l’apparence scientifique impénétrable du latin se dissimule très souvent une évidence triviale). Mais plutôt que de s’égarer, il est préférable de se renseigner sur la manière dont le patchouli était initialement considéré dans sa patrie d’origine, si tant est qu’on parvienne à la déterminer avec précision (le patchouli proviendrait d’Indonésie et de Malaisie). Savoir qu’il a été incorporé à la médecine ayurvédique et aux médecines traditionnelles chinoise et coréenne devrait donner une petite idée de l’étendue de sa sphère d’influence.

Depuis combien de temps cultive-t-on le patchouli en Inde ? Je n’en sais rien, mais cette activité agricole est datée, pour la Chine, de l’époque de la dynastie Liang (502-557) et pourrait même remonter bien auparavant. Ce qui n’est pas très important s’il s’agit de démontrer que le patchouli reste très apprécié des Chinois depuis des siècles. Afin de le distinguer de la menthe coréenne ou hysope géante (Agastache rugosa, Huo Xiang), on lui a attribué le nom de Guang Huo Xiang au sein de la pharmacopée chinoise. Tout cela peut vous paraître bien lointain et parfaitement désuet, mais il est à signaler que le patchouli est présent dans une recette composée de 16 à 21 ingrédients végétaux (qui s’appelle Qing fei pai du tang) dont l’efficience a été testée sur des cas précoces d’infection au SARS-CoV-2, sachant que c’est avant tout une formulation initialement destinée à soulager les inconforts respiratoires tout en soutenant l’immunité. Du côté de l’Inde, le patchouli revêtit une grande importance, tant et si bien qu’il était interdit aux castes inférieures d’en faire usage. Chasse-gardée des brahmanes, il demeura pendant longtemps l’apanage du domaine religieux. Très souvent, les épouses des brahmanes se livraient au mehndi, c’est-à-dire à la peinture rituelle au henné, traçant à l’ensemble de la peau du corps et surtout des pieds et des mains, des dessins d’une exquise finesse, et, ce faisant, propageaient tout autour d’elles l’odeur du patchouli dont elles s’étaient parfumées. D’un point de vue liturgique, c’était là une manière de signifier l’enfantement. En effet, le patchouli porte en lui des symboliques d’amour, de fertilité et de prospérité. C’est ce qui semble encore apparaître à travers la poudre chiksa. De même que celle de curry, il ne paraît pas exister de recette « officielle » de cette poudre, mais seulement une infinité de variantes dont, selon Eugène Rimmel, la base est composée de farines de moutarde et de fenugrec, henné, santal, patchouli, vétiver, benjoin, anis, camphre, etc., auxquels on peut ajouter ces oubliés que sont le curcuma et les pétales de rose. A quoi cela sert-il ? Il s’agit d’une poudre de bain préparatrice au mariage, qui procure à la peau d’évidents bienfaits thérapeutiques, du moins cosmétiques. Elle lui redonne éclat et souplesse, tout en l’adoucissant et en amoindrissant les marques et taches cutanées éventuelles, l’objectif étant de faire resplendir, c’est-à-dire littéralement « faire briller » le corps et le visage de la future mariée (cette poudre peut effectivement être employée comme masque pour le visage en mélangeant la valeur d’une cuillerée à café à suffisamment d’eau de rose pour former une pâte lisse, souple mais ferme. Les adeptes du masque à l’argile n’y trouveront rien de surprenant). On peut aisément comprendre qu’une Vénus latine, qu’on imagine poudrée et alanguie, ait désiré jeter son dévolu sur une telle drogue de séduction, au point que dans certains grimoires magiques on peut dénicher des recettes d’encens composés destinés, lorsqu’on les brûle au jour et à l’heure de Vénus, à attirer mais aussi à repousser (ce qui est toujours la seconde face de la même monnaie). Voici un de ces mélanges : myrrhe, mimosa, jasmin et patchouli. Un quart de chaque. A faire brûler sur un charbon ardent. Il s’avère bien utile pour écarter les ennemi(e)s (le patchouli s’y entend à merveille pour évincer la vermine, c’est-à-dire aussi bien le ver qui creuse le fruit que la rivale amoureuse), mais aussi, une fois que la place nette a été faite, pour attirer le chaland : dans les préconisations de cette recette d’encens, l’on parle de clientèle. On comprendra de quel type il peut être ici question si, sous l’égide d’une quelconque Aphrodite des carrefours, c’est une demi-mondaine qui fait usage de cette drogue parfumée… D’ailleurs, venons au plus près de cet aspect qui colle aux guêtres du patchouli depuis environ le milieu du XIXe siècle en Europe. En ce siècle, les comptoirs commerciaux anglais des Indes faisaient transiter jusqu’en Europe les soies et lainages du Cachemire que les producteurs locaux emballaient accompagnés de feuilles de patchouli parce qu’ils savaient que cela les garantissaient de l’attaque des mites durant le voyage. Le parfum des feuilles séchées du patchouli ne laissa vraisemblablement pas les Anglaises indifférentes, puisqu’elles finirent par les utiliser elles aussi pour parfumer le linge dans les armoires, sous forme de pots-pourris. Où l’on voit que le patchouli passa du statut d’insectifuge à celui de déodorant (puisque l’on peut vouloir lier l’agréable à l’utile sans avoir besoin de subir le désagréable). En France, le patchouli connut un destin quelque peu différent. En effet, il fut rapidement adopté comme parfum par les demi-mondaines parisiennes, c’est-à-dire ces femmes appartenant au demi-monde, autrement dit les marges de la bonne société où celle-ci allait parfois s’encanailler. Ces femmes aux mœurs « légères », courtisanes ou poules (cocottes parfois) de luxe, étaient entretenues par de riches bourgeois des boulevards de Paris afin qu’ils en assurassent les frais matériels. C’est de ce patchouli-là dont il est question dans le Madame Bovary (1857) de Flaubert. Un peu plus tard, sous la plume de Zola, on croise dans le roman intitulé Nana (1880), le personnage de la lorette parisienne, qui tient le milieu entre la femme entretenue et celle qu’on appelle une grisette, plus péjorativement une gourgandine, c’est-à-dire une courtisane de petite condition et de médiocre extraction. Auprès d’elle, on sent encore distinctement les lourds effluves du patchouli : une odeur fauve, musquée, au point qu’on croirait parfois celle d’un animal quittant son terrier. Nul doute que la femme du grand monde ne put agréer le patchouli, résolument trop canaille et vulgaire, disant toute la basse condition et les expédients allant à l’avenant de celles qui s’en aspergeaient. Le patchouli, qui avait une valeur sacerdotale en Inde, devint, en cette Europe occidentale de la fin du XIXe siècle, le marqueur olfactif social des bas quartiers interlopes1 où vivotaient tant bien que mal les pauvresses qui cherchaient vainement à se hisser au niveau de la belle grande dame qui ne devait leur accorder aucun regard, hormis, peut-être, celui, écœuré, quand elle sentait les bestiales émanations du patchouli provenir jusqu’à elle et lui serrer le cœur. Peut-être ne s’y risquait-elle même pas de crainte de s’émouvoir d’y surprendre un spectacle interdit… Parce que le patchouli de cette fin de siècle, ça sent l’adultère de seconde zone, le sexe pas cher et contagieux, l’étreinte jamais sincère à trois francs six sous. Le patchouli est surtout le symbole de cette femme, de la courtisane, dont tirait parti le bourgeois qui s’attristait de son sort conjugal, peut-être même – qui sait ? – le mari de cette dame-là ! Ces femmes qui se parfumaient au patchouli, de même que les lorettes et autres grisettes, que l’on réprouvait comme femmes de rien, on peut dire qu’elles étaient juste en avance sur les soi-disant bonnes mœurs de leur temps, et donc en décalage avec le reste de la société sur ce point. C’est pourquoi le patchouli eut dès lors une mauvaise réputation qui perdura durant une bonne partie du XXe siècle en Europe, avant de tomber sous la houlette des mouvements hippie et Flower power des années 1960-70. L’aura licencieuse que le patchouli se traînait jusque-là sut plaire et devint la signature parfumée d’une certaine libération des mœurs, tout à fait adapté à un public non violent qui recherchait non seulement l’insouciance mais également la quiétude d’esprit et la paix. Et puisque l’on évoque le « pouvoir des fleurs »… Si ça en est une, alors on peut dire qu’elle est de la tribu de celles qui savent prendre leur temps et le font savoir tout autour d’elles : « Tu ne me cueilleras pas tant que je ne serais pas prête, tant que je n’y consentirais pas ! » Pensez donc ! J’anticipe un peu sur la prochaine partie, mais sachez que le profond arôme du patchouli ne se manifeste jamais qu’une fois cette plante complètement sèche. Ce laps de temps, durant lequel s’opère la dessiccation, est l’indice d’une certaine forme de retenue, de concentration. La perte aqueuse dont il est l’objet lui permet de mieux se condenser sur l’essentiel, ce qui fait écho à l’un des effets que son huile essentielle peut avoir sur notre psychisme : nous aider au rassemblement de nos pensées, chose tout indiquée aux esprits volatils et pressés qu’elle saura débarrasser d’un sentiment d’urgence qui n’a pas lieu d’être. Je pourrai encore jeter sur le papier que cette huile essentielle apporte la détente nécessaire pour mieux se préparer à la relaxation et à la méditation, qu’elle autorise une meilleure stabilité, un enracinement plus prononcé ou encore qu’elle lutte contre les sensations d’incertitude ou de manque de confiance en soi, etc. Mais ainsi j’ai l’impression de ne rien dire du tout et surtout de me faire le jalon d’une pensée étrécie et peu originale. C’est pourquoi je préfère opter pour le personnel particulier plutôt que pour le général anonyme.

L’huile essentielle de patchouli est l’huile de la réconciliation. Je me rappelle il y a 15 ans ou à peu près : que fut longue et harassante la réflexion qu’il me fallut mener au sujet de l’huile essentielle qui m’était alors la plus capitale !… Dis-toi ceci : tu n’as plus qu’un seul billet de 20 à craquer, vers quelle huile essentielle ton choix va-t-il se porter ? C’est particulièrement compliqué lorsque tu parviens difficilement à estimer – le manque de concentration et l’excès de confusion aidant – que cette perte de repères est telle que tu serais tout à fait capable de taper à côté, de faire le mauvais choix qui renforcerait la spirale de ta mélancolie grandissante. Savoir si c’est, en l’occurrence, en cet instant T, du patchouli dont tu as besoin, tu ne peux pas encore le savoir, tu ne peux pas l’« essayer » comme tu le ferais d’un jean dans une boutique de fringues.

A la fin du XIXe siècle en Europe, on considérait encore ce qu’on nommait le « fluide » comme une réalité et l’on parvenait à déterminer et à faire entrer en action l’efficacité d’une substance médicinale en la plaçant entre les mains d’un patient que l’on avait préalablement amené dans un état d’hypnose. Les docteurs Henri Bourru (1840-1914) et Prosper Ferdinand Burot (1849-1921) rendirent parfaitement compte des expérimentations qu’ils accomplirent en ce sens dans un ouvrage qu’ils rédigèrent en commun et firent publier en 1887, La suggestion mentale et l’action à distance des substances toxiques et médicamenteuses. Loin de moi l’idée de douter qu’il soit impossible d’entrer dans une forme d’auto-hypnose, même légère mais suffisante, dans une boutique dont la spécialité est de vendre tous le nécessaire en aromathérapie ! Cela fut pourtant essentiel afin de mieux capter les radiations de la plante en question.

Le patchouli, c’est comme un grand-père assis au bord de la route qui regarde passer la vie devant lui. Tu sais, à ce moment précis, que c’est à lui seul qu’il faut demander ta route. Tu l’identifies clairement comme tel mais tu n’oses pourtant pas t’adresser à lui en raison d’une puissante force de rétorsion assez incompréhensible. Je ne sais pas trop ce qui s’est déroulé entre mon intention initiale et le moment où j’ai quitté le magasin avec mon petit flacon d’huile essentielle de patchouli (un trésor de chez Ladrôme, je me souviens ; mon premier patchouli ^.^), mais la suite des événements a parfaitement justifié cette acquisition. Avant même que je me le procure, le patchouli « enfermé » dans cette bouteille a pu s’adresser à moi de telle façon qu’il a répondu affirmativement à ma requête, d’où l’acte d’achat sensé subséquent qui me l’a fait emporter au creux de la main, comme si c’était à moi de le protéger, alors que c’était tout le contraire.

Réconciliation ? Oui, l’on peut affirmer que le bienveillant patchouli ré-unit en l’être même deux sphères disjointes et, de fait, non disposées à bien fonctionner ensemble. On se sent raccommodé, remit en ordre, réparé grâce au patchouli (j’ai bien conscience de ce que ces affirmations peuvent avoir de vague…). Plus précisément, on se sent réconcilié, c’est-à-dire que l’on parvient, de nouveau, à se concilier cette partie de soi auquel l’accès est devenu plus difficile, ce qui, par conséquent, nous fait nous sentir difficilement intègres. Ainsi, à l’aide du patchouli, on retrouve des repères que l’on n’avait jamais vraiment perdus. On dit encore qu’il consolide la psyché. Pourquoi pas ? Puisqu’il régénère la peau, pourquoi ne serait-il pas capable d’en faire de même avec notre entendement profond ? Il élimine les inhibitions, les pensées anxieuses et les sautes d’humeur (il arase les dents de scie en vagues douces et moutonnantes ; c’est un adoucissant, ne l’oublions pas) grâce à sa capacité de réduire l’écart et le décalage que l’on peut percevoir entre le spirituel et le corporel, grâce, entre autres, au grounding, c’est-à-dire la mise à la terre (note de base en parfumerie, l’on saisira avec aisance dans quelle mesure le patchouli est un parfum d’ancrage, qui n’a cependant rien de forcené !). Un autre mot me vient à l’esprit quand il est question des vertus que, tel un baume, le patchouli applique sur l’âme et l’esprit : introspection, ce qui, littéralement, veut dire « regarder à l’intérieur de soi ». On peut pratiquement parler d’observation spéculaire, comme si le patchouli nous tendait un miroir (pas pour s’y mirer en faisant preuve de coquetterie, à l’image de la courtisane, non), mais pour nous permettre, en toute tranquille clarté, de prendre connaissance de certains aspect de nous-mêmes inconnus ou non-sus. Décaper un mot des sens successifs qu’on lui a octroyés, c’est revenir au sens primordial du bourgeon d’origine. Surgissent alors des visions que tous ces oripeaux empêchaient d’atteindre. Ainsi en est-il du mot considérer : « regarder l’ensemble des étoiles ». Ou spéculer : « interroger le miroir pour y lire le présent ou l’avenir ». Ce dernier va maintenant nous inviter à prendre en compte le patchouli selon un regard que nous voulons botanique.

Le patchouli est un sous-arbrisseau vivace semper virens d’un bon mètre de hauteur et dont les tiges quadrangulaires sont duveteuses et ramifiées. Les garnissent une profusion de grandes feuilles à forte nervure centrale, opposées, plus ou moins ovales, vert brillant, découpées en bordure par de grosses dents irrégulières et enchâssées sur les tiges par de longs pétioles. Quand le patchouli évolue sous un climat qui lui est propice, on lui voit porter des épis de fleurs verticillées à odeur prononcée et dont la couleur est variable (blanc, mauve pâle, bleuté, pourpre). Le patchouli apprécie les expositions ensoleillées sur terrains humides, sur sols riches et fertiles. S’étant aventuré en dehors de son fief asiatique originel, on le trouve aujourd’hui cultivé dans beaucoup de régions tropicales et subtropicales du globe : en Asie (Philippines, Chine, Sri Lanka, Inde), en Afrique, en Amérique du Sud (Guyane), aux Antilles, sur l’île de la Réunion, etc.



Le patchouli en phyto-aromathérapie

Le patchouli est une plante de culture facile et de production quasi immédiate que l’on peut couper jusqu’à trois fois dans l’année, pourvu qu’elle pousse sous climat qui lui est favorable. Les usages phytothérapeutiques propres aux zones tropicales et subtropicales où cette plante s’épanouit, expliquent que les feuilles, qu’elles soient fraîches ou sèches, sont conviées à des pratiques qui nous mènent à faire le constat suivant : les jeunes feuilles et jeunes pousses de cette plante, que l’on préfère pour cela, possèdent des constituants biochimiques dont on ne parle généralement pas, puisque, à notre niveau, nous ne connaissons du patchouli que son huile essentielle qui n’est en rien concernée par ce que nous allons maintenant révéler. Si les tiges fibreuses du patchouli concentrent une grande part de composés glucidiques (normal, fibres = glucides), les épillets floraux abritent quant à eux des lipides et des acides aminés comme la proline, la lysine ou encore le tryptophane. Mais le gros des troupes, si je puis ainsi dire, est logé dans les feuilles du patchouli puisqu’elles ne recèlent pas moins que les éléments suivants : des phytostérols (β-sitostérol, daucostérol), des flavonoïdes et flavones (pachypodol), des triterpénoïdes (friedéline, épifriedélinol), des glycosides phényléthanoïdes (crénatoside, isocrénatoside), des alcaloïdes sesquiterpéniques (patchoulipyridine, gaïapyridine), des acides organiques (acide succinique : le même que l’on trouve dans l’ambre ; on comprend d’où le patchouli peut bien trouver une partie de son identité orientale), des vitamines, enfin une essence aromatique qui fournit une huile essentielle dont tous les éléments moléculaires ne préexistent pas dans la plante fraîche, ce qui explique la différence d’odeur entre les feuilles de patchouli fraîches et l’huile essentielle de patchouli issue de feuilles qui ont subi une coction et un traitement thermique au sein de l’alambic. En poussant au delà de ce seul constat, l’on pourrait même affirmer que, selon la partie de la plante considérée, outre qu’elles fournissent des rendements plus ou moins disparates (importants dans les feuilles, plus faibles dans les tiges et les sommités fleuries), le parfum respectif de chacune d’elles évolue. Il en va de même quand on fait sécher ces feuilles ou qu’on les fait fermenter à la manière de celles du théier. Si l’on cherche à obtenir une huile essentielle riche en ce sesquiterpénol que l’on appelle patchoulol, il faudra prioritairement se concentrer sur les feuilles, qui plus est récoltées et distillées en juin et en juillet (elles fournissent une plus grande proportion – 40 à 45 % – de patchoulol, contre celles récoltées durant le mois d’août, moins avantageuses sur ce point : 30 %). Il a été remarqué que si l’on distillait les tiges, c’était une autre molécule qui se formait en priorité, la pogostone, ce qui explique que, selon le lieu où l’on se situe, l’on ait affaire à un chémotype patchoulol ou à un chémotype pogostone. Nous ne parlerons que du premier, le plus courant en France et en Europe, contenant essentiellement du patchoulol et des quantités négligeables de pogostone (inférieures à 1 %).

Avant même d’être distillées, les sommités fleuries et les feuilles fraîches de Pogostemon cablin sont préfanées, puis séchées à l’ombre et enfin fermentées en gros tas. Une fois la distillation achevée, l’huile essentielle obtenue est vieillie en fût afin qu’elle perde de son amertume (cela ne lui disconvient en rien puisqu’elle est de ces huiles essentielles qui se bonifient avec le temps). A quoi donc ressemble cette huile essentielle ? Limpide la plupart du temps, elle n’est pas liquide comme on pourrait s’y attendre mais légèrement visqueuse, de consistance épaisse et dense (0,96 à 20° C). Selon la nature de l’alambic utilisé au cours de la distillation, la couleur finale de l’huile essentielle de patchouli est amenée à changer : quand l’opération se déroule au sein d’une cuve en acier inoxydable, elle opte pour des teintes oscillant du jaune à l’orange clair, du doré à l’ambré. Alors que des alambics ferreux produisent des huiles davantage sombres, tendant vers le brun mâtiné de jaune ou de rouge, le vert brunâtre, etc. Au sujet du parfum, on s’expose, là aussi, à de très nettes différences selon la provenance, le cultivar, le climat, etc. (comme toujours ^.^). On rencontre donc des huiles essentielles de patchouli un peu « femelles », aux notes douces toute empreintes de souterraine humidité. Et d’autres plus sèches, fumées, chaudes, dénuées des aspects froids et humides de la Terre et de l’Eau. En général, le parfum puissant et persistant (note de fond en parfumerie) peut répondre aux adjectifs suivants : épicé, ambré, boisé, résineux, exotique, capiteux, herbacé, camphré2, musqué, âcre, terreux, tourbeux. Y transparaissent également des notes de bois fumé et de mousses en décomposition. Le rendement est assez généreux puisqu’à partir de 40 à 45 kg de feuilles de patchouli, l’on peut produire 1 kg de son huile essentielle (les rendements varient de 1,5 à 4 %). De composition biochimique peu commune pour nous autres Européens, l’huile essentielle de patchouli regroupe ses molécules pour un tiers au sein des sesquiterpénols et pour les deux autres tiers auprès des sesquiterpènes. Observons plus en détail la composition biochimique moyenne de l’huile essentielle de patchouli que l’on peut se procurer en France :

  • Sesquiterpènes (60 %) dont : α-bulnesène (18,4 %), α-guaiène (15,2 %), α-patchoulène (7,5 %), seychellène (6,4 %), β-caryophyllène (3,15 %), β-patchoulène (3,1 %), aciphyllène (2,75 %)3
  • Sesquiterpénols (32 %) dont : patchoulol (28,4 %), pogostol (1,9 %)
  • Sesquiterpénones : pocahémicétones A et B

En moyenne, il faut débourser environ 15 € pour se procurer un flacon de 10 ml d’huile essentielle de patchouli bio de très bonne qualité.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux : antibactérien sur germes Gram + et Gram – (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, SARM), antiviral, antifongique puissant (Candida albicans, Aspergillus flavus, A. oryzae), antiparasitaire, immunomodulant (attention : le chémotype à pogostone est immunosuppresseur par la pogostone qu’il contient, ce qui n’est pas le cas du chémotype à patchoulol)
  • Acaricide (Dermatophagoides farinae), répulsif des insectes (mite, mouche, termite, fourmi, blatte, noctuelle, puce du chat, foreur du caféier, moustique ; dans ce dernier cas, plus l’huile essentielle de patchouli est diluée, et plus la protection qu’elle offre s’évapore), des vers (nématodes) et des sangsues4
  • Apéritif, contrôle l’appétit, stomachique, carminatif, modulateur du microbiote intestinal, protecteur de la muqueuse intestinale (c’est pourquoi le patchouli est profitable aux personnes affectées de MICI), améliore et protège les fonctions de la barrière épithéliale intestinale (tout en favorisant les bactéries productrices d’acides gras à chaîne courte : Clostridium jejuense, Eubacterium uniforme, Anareostipes butyraticus, Butyrivibrio fibrisolvens…), anti-émétique
  • Actif favorablement sur la sphère hépatique (par ses effets anti-oxydants, analgésiques et anti-inflammatoires)
  • Diurétique, décongestionnant prostatique
  • Tonique et décongestionnant veineux et lymphatique, antiplaquettaire, anti-thrombotique, phlébotonique, favorise le retour veineux, fibrinolytique, hypotenseur
  • Aphrodisiaque, améliore l’intérêt sexuel, euphorisant
  • Calmant, sédatif
  • Tonique, stimulant
  • Antidépresseur (par augmentation de la sécrétion de dopamine), neuroprotecteur
  • Anti-mutagène, cytotoxique
  • Cicatrisant, régénérateur cutané (stimule la croissance de nouvelles cellules cutanées), régulateur des excès de sébum, réduit l’élasticité de la peau, augmente la teneur de la peau en collagène

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inconfort gastro-intestinal, inflammation des muqueuses, ulcère gastrique5, entérocolite infectieuse, infection intestinale (candidose), diarrhée, constipation, nausée, flatulences, ballonnement
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : stéatose hépatique non alcoolique (par l’inhibition d’accumulation de lipides hépatiques)
  • Obésité et maladies métaboliques connexes (par effet anti-inflammatoire sur les tissus adipeux)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : insuffisance veineuse et lymphatique, jambes lourdes, varice, hémorroïde, fragilité capillaire, congestion du petit bassin, rétention d’eau, œdème, cellulite
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses ou tardives, candidose vaginale, sevrage du nourrisson (par inhibition de la lactation)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : congestion et adénome prostatiques, prostatite
  • Troubles de la sphère sexuelle : frigidité, impuissance
  • Troubles du système nerveux : asthénie, manque de tonus et de vitalité, épuisement nerveux, psychologique et/ou intellectuel, dépression et états dépressifs, mélancolie légère, stress, anxiété, peur, agitation mentale, manque de concentration
  • Maladie d’Alzheimer (?) par réduction du stress oxydatif et de la pyroptose
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, lésion pulmonaire aiguë
  • Affections cutanées : acné, herpès labial, mycose, parasitose (gale), psoriasis, eczéma, impétigo, dermatose inflammatoire, plaie, ulcère, crevasse, gerçure, escarre, cicatrice, vieillissement cutané (photo-vieillissement, rides et ridules), peau grasse, sèche, asphyxiée, dévitalisée, coup de soleil, piqûre d’insecte
  • Soins capillaires : soin du cuir chevelu, chute de cheveux

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches (il est possible de s’en procurer dans diverses herboristeries asiatiques : quid de la provenance, de la qualité, de la traçabilité ?) : comptez une cuillerée à café de patchouli pour une tasse d’eau bouillante en infusion à couvert pendant 10 mn.
  • Décoction de feuilles sèches : comptez 20 g par litre d’eau en décoction à couvert à petits bouillons pendant 10 mn.
  • Poudre : 3 g dans une petite quantité d’eau tiède pour bien la diluer, de préférence en dehors des repas.
  • Extrait glycériné.
  • Huile essentielle : par voie externe, l’huile essentielle de patchouli, fabuleusement riche de nombreux sesquiterpènes, bénéficie du même privilège que les huiles essentielles de nard de l’Himalaya et de myrrhe : une excellente tolérance cutanée qui permet, quand les usages s’y prêtent, des applications pures. Mais dans l’ensemble, mieux vaut la diluer, c’est la garantie d’être plus économe de cette précieuse substance. Sous nos longitudes calées à l’heure européenne, la voie orale, rare, appelle à un usage raisonné (là où en Asie la prise per os de cette huile essentielle n’est pas l’occasion d’une aussi scrupuleuse frilosité). Ensuite, par l’olfaction directe au flacon, l’huile essentielle de patchouli offre bien des services (que ce soit pour calmer le mental quand on se trouve dans les transports en commun par exemple ou bien pour préparer comme il se doit une séance de méditation dans le calme feutré du domicile). Enfin, sa diffusion atmosphérique est tout à fait possible, à la condition de la diluer un peu si elle s’avère trop épaisse, ou la mêler à d’autres huiles essentielles et/ou essences plus fluides (qui jouent alors un rôle de solvant), ce qui évite non seulement d’encrasser les appareillages de dispersion atmosphérique, mais aussi d’entêter les esprits !

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Si cette huile essentielle est tonique à faibles doses, elle devient sédative à doses plus appuyées. Il importe donc de se méfier des quantités et du moment de leur absorption (tonique le matin et sédatif le soir, c’est plus conforme à la nature de notre espèce diurne).
  • Attention de pas employer cette huile essentielle (en raison de sa forte teneur en patchoulol) en cas de cancers hormono-dépendants. Faire aussi attention aux interactions médicamenteuses, en particulier avec les anticoagulants (l’huile essentielle de patchouli est capable d’inhiber la coagulation du sang).
  • Connue en parfumerie, l’huile essentielle de patchouli est de plus en plus utilisée en cosmétique (gel douche, shampooing, hygiène bucco-dentaire, déodorant) et en savonnerie. On en peut confectionner des baumes, des parfums d’ambiance et autres brumes d’oreiller. Le patchouli, à l’état de plante brute, est abondamment employé en Asie, comme chez nous la lavande : comme substance à brûler (encens en bâton et en cône, poudre à brûler du type cade, buvard d’encens du genre « papier d’Arménie »), à stocker dans les armoires dans de petits sachets qui ont pour objectif double de parfumer le linge et de repousser les mites, astuce efficace déjà connue des marchands indiens qui protégeaient ainsi les pièces de soie et autres précieuses étoffes.
  • Autres espèces : voici quelques spécimens choisis parmi la centaine d’espèces de Pogostemon qui existent de par le monde (Asie, Afrique et Océanie) : le pogostémon paniculé (P. paniculatus), le pogostémon de Heyne (P. heyneanus), le pogostémon hirsute (P. hirsutus), le pogostémon pourpre (P. purpurascens), l’origan bengalais (P. benghalensis), le pogostémon faux-plectranthe (P. plectranthoides) ou encore P. tranvacoricus, P. elsholtzioides, etc.

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  1. C’est souvent ce qui arrive aux objets sacrés : quand ils tombent dans le monde profane, leur symbolique s’en trouve souvent retournée.
  2. Abandonnée à elle-même, l’huile essentielle de patchouli « laisse déposer un corps cristallin, dit camphre de patchouly, fusible entre 54 et 55°, qui est un homologue du camphre de Bornéo » (François Dorvault, L’officine, p. 1021).
  3. A cela, près d’une vingtaine d’autres sesquiterpènes s’agrègent à ce premier groupe pour former une véritable grappe sesquiterpénique.
  4. L’huile essentielle de patchouli est un biopesticide intéressant dont des études ont montré les effets larvicides, pupicides et inhibiteurs de croissance chez plusieurs espèces d’insectes « ravageurs » des cultures.
  5. « Le mélange de patchouli et de peau de mandarine peut réduire la formation d’ulcères muqueux gastriques, réduire les lésions des muqueuses gastriques, améliorer l’expansion du réticulum endoplasmique des cellules principales, réparer les dommages mitochondriaux et inhiber la sécrétion d’acide gastrique par les cellules pariétales » (Sources).

© Books of Dante – 2023


L’hydrastis du Canada (Hydrastis canadensis)

Comparable aux ginsengs (américain et asiatique) dans ses actions et l’aura thérapeutique qui le nimbe, l’hydrastis est une de ces malheureuses plantes devenues victimes de leur succès, un véritable crève-cœur : comment concilier la rareté d’une ressource végétale avec l’énormité de la demande qui la concerne ? J’ai tendance à dire que la perle est souvent à côté du dragon. Mais que faire quand cette perle se résume à peau de chagrin et que les dragons accourent à de partout à son contact ? L’hydrastis ne peut, à lui tout seul, venir en aide à toutes ces personnes mal portantes, c’est pourquoi il a fallu le mettre en culture avant sa disparition complète. Cela fut la seule manière de pouvoir continuer à utiliser l’hydrastis, quand bien même on se doute que cet hydrastis-là n’a pas exactement le même profil que celui qui, sauvagement, pousse en forêt par la seule force de ses propres moyens.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes : hydraste, sceau d’or (traduction de l’anglais golden seal, principal nom usuel de la plante en Amérique du Nord), racine orange, racine jaune, curcuma de l’Ohio, curcuma indien, peinture jaune amérindienne, racine de la jaunisse, racine oculaire, ginseng du pauvre homme, framboise de terre.

Depuis au moins une trentaine d’années, l’hydratis fait partie du top 5 (du moins du top 10) des plantes les plus vendues en Amérique du Nord dans un but médical, déclinant ses bienfaits au travers d’une multitude de préparations disponibles aussi bien en pharmacies, grands magasins, boutiques bio qu’auprès des e-commerces, ce qui est le témoin de l’intérêt que l’on porte à cette plante endémique, qui est à l’Amérique septentrionale ce qu’est le ginseng pour l’Asie qui lui fait face au delà de l’océan Pacifique.

A l’arrivée des colons, seuls les Amérindiens connaissaient l’hydrastis, qu’il leur fallait aller chercher dans la forêt, puisque cette espèce, très sensible à la lumière, connaît sa meilleure croissance à l’aide d’un dense couvert forestier lui apportant 75 à 80 % d’ombre. A l’occasion du déboisement relatif à l’installation des habitations et des champs des colonisateurs, il n’est pas impossible d’imaginer ces derniers faire la rencontre de cette curieuse plante dont le fruit, glomérule tout rouge, semble comme posé sur la feuille, ce qui procure un drôle d’effet qui frappe l’imagination.

D’après les informations rapportées par divers ouvrages consacrés à la pharmacopée amérindienne et à l’ethnobotanique des Premières Nations, on constate que les Amérindiens déterraient déjà le rhizome noueux, tordu et ridé de l’hydrastis, qu’ils ne destinaient pas qu’à la seule fin de remède, puisque ce rhizome de section jaune vif à verdâtre quand on vient à le trancher, procure une matière tinctoriale jaune capable de colorer les objets en peau et en cuir, mais également les individus en tant que peinture faciale et corporelle. En guise de remède végétal, on lui voit tenir une fonction de médicament auprès de différentes tribus du nord-est des États-Unis dont les Micmacs, les Cherokees, les Iroquois et les Shawnees. Infusion simple ou composée, décoction, application de préparations topiques forment les principales destinations thérapeutiques dont usèrent les Amérindiens cherchant à tirer profit des propriétés stimulantes et toniques du rhizome de l’hydrastis (faiblesse générale, troubles immunitaires), mais pas seulement, puisqu’ils lui reconnurent également des vertus actives sur la sphère gastro-intestinale (manque d’appétit, dyspepsie, diarrhée, gaz intestinaux, acidité stomacale excessive) et hépatique, l’hydrastis étant aussi un stimulant de la sécrétion biliaire. Vulnéraire, l’hydrastis est aussi un bon remède de la peau et des muqueuses (inflammation et irritation cutanées). On l’utilisait encore pour soigner les yeux, les oreilles, les poumons (coqueluche, pneumonie), le cœur, ainsi que quelques cas de tumeurs. Mais cette panacée ne tarda pas à tomber entre d’autres mains, qui l’exploitèrent tant et si bien que la récolte excessive que pratiquèrent les colons tout au long du XIXe siècle, doublée par le phénomène de destruction de son habitat (construction d’infrastructures ferroviaires et routières, coupes de bois, extensions agricoles, etc.) faillirent bien mener l’hydrastis au cimetière des espèces révolues. Sans peut-être s’en douter, les colons d’Amérique du Nord commirent la même erreur qui fut perpétrée avec le ginseng. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui l’hydrastis sauvage du Canada soit inscrit à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CiTES) depuis des décennies. Or comment répondre à la demande quand celle-ci ne faiblit pas, que la ressource s’épuise à vue d’œil et qu’on est incapable de la régénérer ? Eh bien, en décidant la culture de cette plante indigène dans le moins pire des cas. Ou bien, en passant par de mauvais chemins, comme celui-ci, par exemple : les limites de l’offre et la cupidité pour le profit ont mené à l’altération avec des matériaux végétaux similaires, mais plus accessibles et moins coûteux (coptis, mahonia, xanthorhiza, oseille crépue…). Mais tout comme le ginseng, l’hydrastis est une plante qui se prête bien difficilement à l’exercice de la culture, contrairement à ces bêtes végétaux qui se laissent nonchalamment parquer comme de vulgaires rangées de blettes. L’hydrastis n’est pas une plante amérindienne pour rien ! Ainsi, plusieurs états, inclus dans la zone d’origine de l’hydrastis, firent l’objet de culture : Michigan, Tennessee, Wisconsin, Caroline du Nord, Ohio, Kentucky, Virginie occidentale, Arkansas. Mais également dans quelques zones où l’hydrastis n’est pas natif (Oregon, état de Washington). Hormis ces cultures étasuniennes, on procéda à des essais en Europe (France : dans les Vosges et les Yvelines, près de Houdan ; Estonie), ainsi qu’en Australie (Tasmanie), mais force est d’accepter qu’ils furent tous de patents échecs.

Comme l’hamamélis, l’hydrastis est donc originaire d’Amérique du Nord, et sans doute est-il peut-être plus septentrional encore que le witch-hazel (aux États-Unis, il est présent dans 27 états, du Vermont au Minnesota d’est en ouest, et jusqu’au sud en Géorgie, Alabama et Arkansas. Malgré son nom, au Canada on ne le trouve qu’au sud de l’Ontario). Hôte des forêts humides et profondes, des riches prairies montagneuses humifères, l’hydrastis ressemble à s’y méprendre à un pied de ginseng, tant cette plante se configure assez de la même manière, du moins en ce qui concerne ses parties aériennes. La première année de la vie de la plante, c’est à peine si l’on voit affleurer trois ou quatre écailles jaunes à ses pieds. Puis surgit une première feuille l’année suivante, puis une seconde lors de la troisième année. Très larges malgré la petitesse de la plante (qui n’excède pas 30 cm de hauteur), les feuilles de l’hydrastis, à fortes nervures saillantes, adoptent une allure palmée et sont découpées en cinq à neuf lobes dentés et gaufrés. Ces toutes premières feuilles sont stériles. Elles sont cependant accompagnées d’un bouquet de tiges fertiles dotées chacune de deux à trois feuilles dont l’une n’est pas totalement déployée afin de tenir à l’abri le bouton floral unique qu’elle protège. De couleur vert blanchâtre, cette fleur discrète ne compte aucun pétale mais seulement trois sépales rapidement caducs, donnant lieu à une floraison très brève de moins d’une semaine survenant à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai. Très nombreuses, les étamines (40 à 50) criblent le cœur de la fleur une fois que celle-ci est épanouie, donnant plus tard naissance à un fruit charnu et globuleux, grappe de plusieurs petites baies agglomérées (autant que la fleur compte d’étamines ou presque) qui lui donne l’allure d’une improbable framboise, incomestible en revanche. Parfaitement mûr en juillet/août, ce fruit contient dix à trente semences noires, dures, brillantes, de 2 à 5 mm de longueur, et dont la capacité germinative est très aléatoire, ce qui questionne sur les intentions protectionnistes de la plante à l’égard de ses fleurs comme le ferait une mère d’un nouveau-né dans son couffin. Arrivé à ce point, il n’est alors plus temps de se préoccuper du rhizome replié sur lui-même, ramifié, chevelu, tant il est épuisé à ce stade végétatif terminal de la vie de la plante. Avant de parvenir à cette extrémité, ce rhizome d’odeur fort peu agréable se présente sous la forme d’un cylindre plus ou moins aplati de 4 à 7 cm de longueur, et jusqu’à 2 cm de section. Extérieurement jaune brun à l’état frais, sa chair d’aspect cireux est gorgée d’un suc jaune vif.



L’hydrastis du Canada en phytothérapie

Tout d’abord, le fait que l’hydrastis appartienne à la famille des Renonculacées doit nous avertir de l’énergie thérapeutique dont il est doté. Effectivement, il fait partie d’un groupe botanique que l’on ne manie pas à la légère, à l’instar des aconits et autres anémones, c’est-à-dire bon nombre de plantes autrefois usitées en phytothérapie, mais aujourd’hui réservées à la seule homéopathie, chose heureuse vu la puissance héroïque qui les habite. Cependant, l’hydrastis est peut-être une renonculacée, mais il n’empêche qu’il demeure l’une de celles qui sont les moins délicates à employer.

Son profil toxicologique, il le doit aux nombreux alcaloïdes isoquinoléiques que recèle son rhizome, à commencer par la berbérine (0,5 à 6 %), antibactérienne et sédative du système nerveux central, et l’hydrastine (autrefois classée dans le tableau A des substances toxiques dont l’achat, la détention, la vente et l’emploi étaient réglés par le décret du 19 novembre 1948), qui confère sa couleur jaune et son amertume au rhizome de l’hydrastis. Vasoconstricteur et stimulant du système neurovégétatif, cet alcaloïde est présent à hauteur de 1,5 à 4 %. A la suite des deux principaux alcaloïdes du sceau d’or, nous en trouvons beaucoup d’autres, plusieurs dizaines en réalité dont certains ont été nommés comme suit : la berbérastine (2 à 3 %), la canadine (1 %, voire moins), la canadaline, l’hydrastinine et d’autres encore en quantités plus minimes comme la palmatine et l’isocorypalmine.

Du fait que l’hydrastine loge essentiellement dans les zones ligneuses et le liber du rhizome, et la berbérine dans les parenchymes de sa moelle, il importe de bien considérer intégralement le rhizome, à l’exclusion des radicelles qui contiennent malgré tout les mêmes alcaloïdes, mais dans des proportions moindres. Par exemple, en ce qui concerne la seule hydrastine :

  • Rhizome : 2,2 à 2,8 %
  • Radicelles : 1,3 à 1,9 %
  • Feuilles : 0,4 à 0,8 %

De plus, il convient de considérer des pieds suffisamment âgés. Par exemple, dans un plant de cinq ans, il y a, en moyenne, cinq fois plus d’alcaloïdes totaux que dans une plante juvénile de deux ans (outre les adultérations bien volontaires des faussaires, ces détails pourraient expliquer la pauvreté de certains extraits d’hydrastis en alcaloïdes et, partant, leur moindre efficacité…).

A cette kyrielle d’alcaloïdes, on peut additionner de nombreux flavonoïdes, surtout représentés dans les feuilles (on gage qu’un extrait issu des feuilles et des rhizomes offrirait une bien meilleure activité thérapeutique que le rhizome seul…). Parmi ces substances, l’on trouve du sidéroxyline, du 6-desméthyl-sidéroxyline et du 8-desméthyl-sidéroxyline. Mais aussi des stérols (β-sitostérol) et des acides (canadinique, chlorogénique, etc.). Que pouvons-nous ajouter d’autre ? De l’amidon et divers sucres, une huile grasse, de l’albumine, des acides aminés, une résine, un peu d’essence aromatique, plusieurs sels minéraux (calcium, fer, manganèse) et vitamines (provitamine A, vitamine C et vitamines du groupe B).

Seul le rhizome fait l’objet d’un usage phytothérapeutique, les feuilles n’ayant, semble-t-il, pas suscité le même engouement. Errata : en Amérique du Nord, on vend aussi bien le rhizome que les feuilles de l’hydrastis, déclinée sous plusieurs formes (poudre de feuilles libre ou en gélules, extrait glycériné, feuilles sèches en vrac).

Propriétés thérapeutiques

Avant même d’entamer ce paragraphe, précisons que la manière dont la plante manifeste son action sur les sécrétions muqueuses du corps lui a valu son nom d’hydrastis (du grec ancien hýdôr, « eau »).

  • Vasoconstricteur pelvien et des muqueuses génito-urinaires, veinotrope (assez proche dans son action de l’hamamélis de Virginie), vasoconstricteur des vaisseaux périphériques, stimulant de la circulation dans les extrémités (doigts et pieds froids caractéristiques), tonique circulatoire, abaisse la pression artérielle, hypotenseur, cardioprotecteur, ralentit les mouvements du cœur, anti-arythmique
  • Apéritif, digestif (augmente la sécrétion des enzymes digestives du tractus gastro-intestinal), stomachique, laxatif doux, contracte et resserre les muqueuses de l’intestin, rétablit le tonus des muqueuses intestinales (après épisode diarrhéique et dysentérique, par exemple)
  • Tonique hépatique, cholagogue, régulateur des fonctions saines du foie
  • Anti-infectieux : antiseptique, bactériostatique, antibactérien face à des germes Gram + et Gram – (Staphylococcus aureus1, Streptococcus sanguis, Escherichia coli, Salmonella sp., Helicobacter pylori, Neisseria gonorrhoeae, Proteus sp., Vibrio sp.), anti-amibien, antiprotozoaire (Giardia lamblia, Plasmodiums sp., leishmanies), antifongique, immunomodulant
  • Tonique et stimulant utérin, contractant musculaire utérin
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydant
  • Dépuratif du sang, hypolipémiant, hypoglycémiant, anti-diabétique (améliore la résistance à l’insuline)
  • Astringent, résolutif, hémostatique, antihémorragique
  • Sédatif du système nerveux central, stimulant du système neurovégétatif, myorelaxant, inotrope
  • Diurétique
  • Anti-sudorifique
  • Antitumoral, effet cytotoxique sélectif contre certaines cellules du cancer du sein hormono-dépendant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie des muqueuses gastriques, gastrite, inflammation des muqueuses gastro-intestinales, irritabilité gastrique et duodénale, dyspepsie, mauvaise digestion (atonie intestinale, estomac faible et/ou enflammé), infection intestinale (choléra, turista), MICI, manque d’appétit et d’assimilation chez le convalescent, constipation des bilieux
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : jaunisse, torpeur hépatique conduisant à la constipation, diabète sucré du type II (le stress oxydatif et l’inflammation sont essentiels à la pathogenèse du diabète sucré, or la berbérine inhibe ces deux manifestations dans le foie, les reins, le pancréas et les tissus adipeux)
  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : maux de gorge, toux, pharyngite, pharyngite chronique, inflammation des muqueuses des bronches, du nez, de la gorge et des oreilles, otite, ozène, otorrhée, congestion nasale, catarrhe nasal chronique, catarrhe bronchique, sécrétions bronchiques tenaces (épaisses, de couleur jaune verdâtre), rhume, coryza chronique, coup de froid, fièvre, grippe, hémoptysie, adénocarcinome pulmonaire
  • Affections buccales : inflammation des muqueuses buccales, aphte, stomatite aphteuse, ulcère buccal
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation des muqueuses de la vessie et de l’urètre, gonorrhée, blennorrhée, infection de la vessie, catarrhe urétral, sédiments épais et muqueux dans les urines
  • Troubles de la sphère gynécologique : inflammation des muqueuses du vagin et de l’utérus, réduction anormale du flux menstruel, métrorragie, ménorragie (suite à un accouchement ou à la ménopause), ptôse utérine, congestion du col de l’utérus, ulcération utérine et vaginale, vaginite (chronique, bactérienne), leucorrhée, douleur endométriale, démangeaison vulvaire, catarrhe vaginal, dysménorrhée congestive, myomatose, carcinome du col de l’utérus
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : arythmie et insuffisance cardiaque, hypertension, dyslipidémie, hypercholestérolémie, insuffisance veineuse et lymphatique, varice, ulcère de jambe, hémorroïde (y compris avec fissure anale et/ou ulcère rectal)
  • Affections cutanées : irritation, plaie infectée et/ou enflammée, acné, psoriasis, érysipèle, excoriation, ulcère indolent
  • Affections oculaires : inflammation de la muqueuse oculaire, conjonctivite, trachome
  • Maladies infectieuses tropicale : maladie de Chagas, seconder l’organisme en cas de paludisme
  • Convalescence

Modes d’emploi

  • Décoction de rhizome : comptez 60 g par litre d’eau (c’est-à-dire une belle cuillère à café pour une petite tasse d’eau) en décoction pendant 10 à 20 mn. Peut faire l’objet d’un usage interne comme externe (bain d’œil, de bouche, injection vaginale).
  • Poudre de rhizome : comptez trois prises de 500 mg par jour.
  • Teinture-mère : 5 à 15 gouttes par prise, à raison de trois à quatre prise par jour (soit 15 à 60 gouttes par jour, au total).
  • Extrait fluide : 5 à 30 gouttes par jour.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : afin d’obtenir 1 kg d’hydrastis, il faut arracher au moins un demi millier de rhizomes (avant de les passer au séchoir). C’est pourquoi l’on attend au moins trois ans (3 à 4 ans pour les hydrastis issus de division de souche, un de plus pour ceux tirés de semences) afin de se procurer des rhizomes qui ne soient pas trop petits. Après quoi, on les nettoie, on les fait sécher sur une toile à l’air libre jusqu’à ce qu’ils deviennent cassants, puis ceci fait on supprime les radicelles adjacentes. On réalise tout cela à l’automne, saison à laquelle on observe une concentration maximale en alcaloïdes dans le rhizome.
  • Étant un tonique des muscles utérins, l’hydrastis est fortement déconseillé durant la grossesse : les spasmes utérins qu’il provoque sont assez violents pour mener à l’avortement. De même, les femmes qui allaitent en éviteront l’emploi, ainsi que les personnes sujettes à l’hypertension et à celles qui font usage d’antirétroviraux (il y n’a généralement pas bon ménage entre ce type de médicaments et l’hydrastis). Enfin, les produits qui contiennent de la berbérine sont susceptibles de provoquer une phototoxicité locale en contact avec les muqueuses oculaires. Ainsi, en cas de bain oculaire avec une préparation à base d’hydrastis, il vaut mieux se garder de s’aventurer au soleil après coup.
  • Usage prolongé : il a été remarqué que l’hydrastis en interne était susceptible d’empêcher la bonne assimilation de certains nutriments dont les vitamines du groupe B.
  • Usage à trop hautes doses : en ce cas, l’hydrastis, conforme à son nom, exagère la sécrétion des muqueuses buccales et nasales. Il entrave le cours de la digestion et peut même mener à une constipation inopportune.
  • On peut corriger le goût des préparations à base d’hydrastis (la décoction surtout) par du miel, quelques gouttes de cognac ou tout autre rectificatif à votre convenance.
  • D’après Jean Valnet, l’hydrastis serait un antidote à l’intoxication par le trichloroéthanal, un aldéhyde qui jouait autrefois le rôle de médicament calmant, antiseptique, anesthésique et parasiticide.

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  1. L’extrait de feuilles – alliance intelligente de flavonoïdes et d’alcaloïdes, possède une activité antimicrobienne plus puissante que la berbérine considérée isolément, face au SARM (c’est-à-dire le staphylocoque doré résistant à la méticilline), tout en inhibant la production de toxines staphylococciques.

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