L’huile essentielle d’origan vulgaire (Origanum vulgare)

Afin de compléter l’article que j’avais écrit au sujet de l’origan vulgaire en phytothérapie il y a 5 ans, voici celui que je puis accorder au versant aromathérapeutique de cette plante. Ce sera pour moi l’occasion de rappeler certains points qui me tiennent à cœur et qui ne sont pas l’apanage de la seule huile essentielle d’origan vulgaire, puisqu’ils s’appliquent à toutes les huiles essentielles : faire attention aux dosages, s’interroger aux raisons qui nous poussent à utiliser bien souvent trop d’huiles essentielles, respecter l’environnement et les ressources, etc. Bien des huiles essentielles devraient être abandonnées tant la pression écologique qu’on fait peser sur elles est lourde : si ce n’est pas le cas de l’origan vulgaire de base, c’est celui de ses deux variétés connues sous les noms d’origan compact et d’origan kaliteri, deux vraies mauvaises idées.

Voilà donc un article qui grince aux entournures, mais il est nécessaire de dire les choses, même si elles déplaisent.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes : origan commun, grand origan, thym de berger, grande marjolaine, marjolaine commune, marjolaine sauvage, marjolaine vivace, marjolaine bâtarde, marjolaine d’Angleterre, thé rouge.

L’emploi actuel des huiles essentielles est sans commune mesure avec ce qu’il était il y a un siècle. Pourtant, une petite musique, particulièrement lancinante et pénible, semble sous-entendre, non pas qu’il en a toujours été ainsi, mais que les huiles essentielles accompagnent l’être humain depuis des millénaires. Certes, il existe bien d’antiques tentatives d’obtention d’huiles essentielles par le biais d’alambics archaïques, mais ils ne fournissaient ni en qualité, ni en quantité comparables avec ce qui se produit et s’écoule en un pays donné (en France, tiens !) en l’espace d’un an aujourd’hui. Dire qu’on a toujours fait ainsi relève donc du mensonge. Cet engouement pour l’aromathérapie n’est donc que chose récente eu égard à l’histoire connue de la médecine humaine par les plantes. Ainsi, par nos modes de consommation actuels des huiles essentielles, nous expérimentons, nous autres êtres humains du XXe et du XXe siècles, quelque chose qui n’a jamais été réalisé auparavant. Il n’existe donc aucune histoire millénaire de l’aromathérapie. C’est, peut-être, en l’absence de toute sagesse ancestrale que l’on voit l’aromathérapie dériver comme jamais auparavant, de fausses croyances entraînant bien des abus. Deux d’entre eux me semblent étroitement liés : le surdosage pratiqué par certaines « officines » et la surexploitation des plantes destinées à la production d’huiles essentielles. L’emballement pour quelques espèces précises soulève un intérêt pour d’autres qui leur sont proches et entraîne, bien souvent, des destructions parfois irréversibles dans des pays où l’on exploite sans vergogne, non seulement la matière végétale locale disponible, mais également une main d’œuvre pauvre et non qualifiée, c’est-à-dire pas moins que ce qui se faisait en France il y a encore moins d’un siècle : quand on allait cueillir quelque espèce sauvage dans son milieu naturel, on s’enorgueillissait de n’en pas avoir laissé un seul brin, signe que l’on avait été méticuleux et consciencieux dans sa cueillette. Aujourd’hui, l’on sait bien que de telles pratiques sont néfastes, car une cueillette trop large peut menacer la granification des plantes (et, partant, leur diversité génétique), mais aussi les apports nutritifs auprès des insectes pollinisateurs. Tout cela peut donc mener à faire disparaître, in fine, une plante que l’aromathérapie souhaitait mettre en valeur ! Sur la question des origans, l’on peut avoir une pensée émue pour deux variétés d’Origanum vulgare : tout d’abord la variété compactum, victime marocaine de l’obnubilation des acheteurs d’une part et des méthodes digne d’un Attila des temps modernes d’autre part. Dans la vallée du Rif, femmes et enfants récoltent cet origan pour le compte de grossistes peu soucieux de pérenniser la ressource et d’en intégrer durablement la récolte afin qu’elle profite aux populations locales. Au contraire, on préfère généralement passer sous silence le bilan désastreux de telles pratiques auprès de ceux à qui l’on vante la dernière nouveauté aromathérapeutique à la mode. Autre variété : le kaliteri, dont on parle encore assez peu et qui est quasiment – quelle chance pour lui ! – à peu près indisponible en France (hormis chez quelques-uns, dont une grande « enseigne » que je ne nommerais pas et qui pratique des tarifs tout à fait suspects…). On glose sur ces deux variétés, alors que l’on fait complètement l’impasse sur l’huile essentielle d’origan vulgaire dans la littérature. Il faut dire que c’est du « local » et que la ressource végétale n’est pas rare, contrairement au compactum qui se réduit comme peau de chagrin dans son aire d’origine (où l’arganier subit le même triste sort d’ailleurs…). Côté kaliteri, je ne sais pas trop s’il faut déjà se faire du souci, mais s’enticher de ce nouveau produit me semble tout à fait inutile (en plus d’être une mauvaise nouvelle), sachant la rareté de la ressource. Non seulement elle est limitée, mais elle est lointaine, vue depuis la France : en effet, cet origan n’existe qu’en Bolivie et vit dans des circonstances climatiques (à 2500 m d’altitude) pour lesquelles on ne peut pas exiger la même « productivité » ni la même « rentabilité ». J’espère donc bien que cet origan saura se tenir en dehors de toute notoriété tapageuse dont on connaît parfaitement les effets pervers, qui s’appliquent déjà à d’autres plantes en situation critique d’extinction. Ne pas se jeter inconsidérément sur les dernières nouveautés, permet donc de lever un peu la pression écologique qui pèse sur les plantes qui les produisent, car agir ainsi, quand bien même le produit – ici une huile essentielle – est dit naturel, n’est jamais moins qu’un acte de consommation comme un autre. Cela signifie-t-il que l’emploi de l’origan vulgaire – sous sa forme d’huile essentielle – est sans danger (pour lui) ? Je ne dirai pas cela de façon aussi peu assurée et nuancée. Oui, j’ai parfaitement le souvenir d’avoir dit que la ressource en Europe était loin d’être digne de la plus sévère des pénuries. D’après le site de l’IUCN, cette plante n’est pas inscrite parmi les vulnérables, comme ses cousins Origanum libanoticum et O. dictamnus. Doit-on imputer cette singularité à son caractère ? Le premier terme qu’utilise Maison Néroli sur son site pour qualifier l’origan, c’est le mot mitraillette ! C’est vrai que son odeur agressive le rend difficile d’approche… et « il ne prend pas de gants pour faire connaître sa façon de penser »1. C’est cela donc qui le tiendrait en dehors de toute convoitise ? Hum, non, pas vraiment, puisqu’en l’état de plante fraîche (ou sèche), l’origan ne transmet pas du tout ce type de désagrément (sauf à doses inconsidérées) qui s’applique, prioritairement, à l’huile essentielle qu’on en tire. Bien que cet origan ne soit absolument pas menacé dans la nature, il importe d’attirer l’attention spécifiquement sur son huile essentielle, dont le très faible rendement se situe aux alentours de 0,60 %, c’est-à-dire que pour n’en obtenir qu’un petit flacon de 10 ml, il faut distiller pas loin de 20 kg de cette plante. Or, comme l’origan pousse à profusion, on aurait tendance à en récolter plus que de mesure, menaçant, de fait, un filon prolifique. Mais, plus que cela, il ressort que l’adéquation des dosages représente un moyen efficace d’utiliser moins d’huiles essentielles, de même que prendre en compte les affections auxquelles on les destine. Est-il nécessairement besoin d’invoquer un dragon à grande langue pour lécher un timbre-poste ? « Avons-nous besoin d’un bazooka pour tirer sur une mouche ? »2. Certainement que non. Pourtant… quand on observe des posologies assez ahurissantes il est permis d’en douter. Il faut savoir qu’une seule goutte d’huile essentielle d’origan vulgaire représente l’équivalent de 50 g d’origan frais, soit bien plus que ce qu’on peut et doit consommer dans une journée pour s’en faire une infusion. Fournier indiquait 10 à 20 g par litre d’eau. Aussi, pour avaler, sous forme d’infusion, en une journée, l’équivalent d’une seule goutte d’huile essentielle d’origan vulgaire, ce ne sont pas moins que 2,5 à 5 litres d’infusion qu’il faudrait préparer et ingurgiter dans le courant du jour, ce qui est proprement délirant ! Alors, convertissez maintenant des dosages comme deux gouttes trois fois pas jour !… En plus de ce point qui concerne le dosage, se pose donc aussi toute la question des raisons qui amènent à le mettre en place. Rappelez-vous du dragon tenant un bazooka ^.^ Bien que cette huile essentielle fût évoquée dans les œuvres de Nicolas Lémery, Jean-Baptiste Chomel, Louis Desbois de Rochefort et d’autres auteurs encore, il apparaît que durant les XVIIIe et XIXe siècles, cette huile essentielle n’était quasiment jamais plébiscitée (pas davantage que les autres, au reste). Bien après, puisque Fournier écrit cela dans son Dictionnaire paru en 1947, on se gardait bien de faire appel massivement à cette huile essentielle, produit « excito-stupéfiant qui, dans une première phase, produit de l’excitation accompagnée d’agitation et d’hyperesthésie sensitivo-sensorielle, puis, dans une deuxième phase, provoque la dépression avec anesthésie, engourdissement et somnolence »3. C’est donc ce bazooka que certaines personnes utilisent aujourd’hui pour dézinguer un banal rhume ? Il faudrait s’en abstenir car « médicalement, l’essence est toujours violente et demande à être dosée dans son emploi ; beaucoup d’essences sont dangereuses pour la santé, même quand elles proviennent de plantes inoffensives à l’état naturel [NdA : ce qui n’est pas le cas de l’origan vulgaire]. C’est pour cette raison que les remèdes les meilleurs ne sont pas les essences, car, en réalité, ce principe séparé de ses éléments concomitants est loin de posséder toutes les propriétés que l’on peut attribuer au végétal complet. La meilleure preuve, c’est que l’homme, qui a séparé ainsi ce principe volatil et pénétrant d’une plante quelconque, s’empresse souvent, dans la pratique pharmaceutique, à l’associer, soit à d’autres essences, soit à d’autres corps pour reformer ainsi un nouveau composé quelquefois plus complexe et moins harmonieux »4. Je parie que vous ne vous attendiez pas à une charge pareille dans un article dévolu à une huile essentielle, fut-elle d’origan vulgaire ! Mais j’en appelle à une aromathérapie responsable et mesurée, sachant que, à l’heure actuelle, on utilise beaucoup trop d’huiles essentielles et pas toujours pour des raisons qui le nécessitent. En prenant en compte de manière dépassionnée la réalité, il est bien difficile de donner tort à Botan, l’auteur des lignes ci-dessus citées. Effectivement, se pose la question de savoir pour quelle raison une plante comme l’origan ne séquestre qu’une toute petite fraction d’essence aromatique dans les tissus qui composent ses sommités fleuries, ses feuilles ou encore ses tiges. Réponse possible : si elle en fabriquait davantage, on observerait peut-être des phénomènes de phytotoxicité du même ordre que ceux qui surviennent lorsqu’une remédiation phytosanitaire tourne à l’aigre en utilisant des doses un peu trop appuyées. De plus, ce que la Nature a saupoudré de-ci de-là avec parcimonie, l’être humain s’enquiquine à l’extirper d’une plante entière. De ce totum, on ne prélève que quelques parcelles dont l’unique point commun est d’être aromatiques (parfois, on lit la bêtise qui consiste à dire que l’huile essentielle contient le totum de la plante alors qu’elle n’en est qu’un extrait, le génie complet de la plante ne se dissimulant pas à l’intérieur d’un seul flacon d’huile essentielle !). C’est pour toutes ces raisons que je fais de moins en moins appel aux huiles essentielles en général et que je leur préfère, et de loin, les extraits de plantes fraîches qui se soucient d’une plus grande représentativité biochimique. La dernière remarque de Botan, je la trouve pleine de bon sens, bien que, j’en suis assuré, elle fera grincer quelques dents : on retire de plusieurs plantes des extraits aromatiques que l’on isole pour mieux les réunir. Les mélanges concoctés par l’humain seraient-ils à même de surpasser ce que sait faire la Nature, grande initiatrice dont nous n’avons pas percé la plupart des messages, quelques-uns seulement ? Ainsi, savons-nous un peu que la quantité d’essence dans une plante, sa localisation dans son économie selon les saisons, les conditions qu’offre ou impose le climat, etc., font que d’un lieu à l’autre, la même plante botaniquement déterminée propose plusieurs profils aromatiques en réponse à des facteurs qui, pour la plupart, nous échappent complètement. Pourquoi, en tels lieux et telles circonstances un origan fabrique-t-il plus de β-caryophyllène, tandis que chez un autre, où cette molécule est quasiment absente, c’est le carvacrol (ou cymophénol) qui domine ? Savez-vous répondre à cette question ? Pas plus que moi, qui m’en pose une autre : la destination des essences dans les plantes a-t-elle un rapport avec celle des huiles essentielles chez l’homme ? Bref, passons à la suite pour en apprendre davantage et ne pas succomber à ce que disait Diderot : « L’ignorance et l’incuriosité sont des oreillers fort doux ».



Matthiole, De Materia medica (1564-1584).


L’origan vulgaire en aromathérapie

Comme bien des plantes, l’origan est soumis à des conditions qui influent sur la nature et la quantité d’essence aromatique que cette plante est capable de produire. On sait, par exemple, que l’altitude a une incidence sur cette quantité : selon qu’elle est basse, moyenne ou haute, la teneur en essence est différente et tend à chuter plus on grimpe. A cela s’ajoute le moment de la cueillette. On distingue généralement six phénophases : stade végétatif précoce, stade végétatif tardif, stade de floraison précoce, stade de pleine floraison, stade de floraison tardive et stade de rupture des graines. Si une seule de ces étapes intéresse le distillateur (le stade de pleine floraison), il faut savoir que chaque stade a un effet significatif sur la teneur en essence et sur sa composition : l’origan d’hier n’a donc pas de rapport avec l’origan de demain ! Par exemple, c’est dans l’origan cueilli en période optimale que l’on trouve le plus de phénols, tandis que la période végétative peut considérablement faire varier le rendement (par exemple, estimé à pas loin de 2 % dans un origan cueilli en plein stade végétatif tardif, il s’abaisse à 0,60 % au stade de la pleine floraison !). Même le mode de culture semble influer sur la composition générale d’une huile essentielle extraite pourtant d’origans similaires : il a été observé que selon la densité (nombre de pieds au m²), la composition générale des huiles essentielles évoluent en conséquence ! D’autres facteurs mettent en évidence des disparités en terme de composition biochimique : une étude menée sur des origans iraniens a montré que des plantes récoltées à la même période fabriquaient des huiles essentielles dissemblables selon que l’on ramassait les sommités fleuries (β-caryophyllène : 48 à 60 %), les feuilles (1-octen-3-ol : 24 %) ou les tiges (bicyclogermacrène : 10 % ; 1.8 cinéole : 6,50 % ; bornéol : 5 % ; pinocarvone : 4,50 %). Une autre étude portant sur des origans du nord de l’Inde (état d’Uttarakhand, jouxtant le Népal) prélevés dans des localités distantes de peu de kilomètres, a montré des profils bien différents : l’un à phénols (thymol : 30 à 35 % ; carvacrol : 12 à 21 %), l’autre à esters (acétate de bornyle : 12 à 17 %) et à sesquiterpènes (β-caryophyllène : 10 à 14 % ; germacrène D : 6 à 11 %). Il est bien évident que, dans un souci de « standardisation », l’huile essentielle d’origan vulgaire commercialisée en France se doit d’être issue d’une distillation à la vapeur d’eau des sommités fleuries récoltées à pleine floraison aux mois de juillet et d’août. Ainsi obtient-on un liquide limpide de saveur chaude, épicée, herbacée, très piquant à brûlant, de couleur jaune pâle à ambré (on observe une variation chromatique plus étendue chez compactum : du jaune clair, du jaune d’or, du rouge et du brun foncé), de densité élevée (0,945 contre 0,93 pour compactum) et à la composition biochimique que résume le tableau suivant (en guise de données comparatives, j’ai placé côte à côte le vulgare et le compactum) :

Prix moyen constaté (pour un flacon de 10 ml en bio) : 17 € (contre 14 € pour le compactum).



Cette goutte d’eau, qui joue le rôle de loupe naturelle, nous permet de discerner correctement les poches à essence qui tapissent le limbe de cette feuille d’origan vulgaire.


Propriétés thérapeutiques

En tant qu’arme lourde, l’huile essentielle d’origan vulgaire ne saurait être maniée par des mains trop inexpérimentées, voire folâtres. Dans l’idéal, il ne faudrait la réserver qu’au spécialiste.

  • Anti-infectieuse à large spectre d’action : – antibactérienne active sur germes Gram + et Gram – : Campylobacter jejuni, Helicobacter pylori, Salmonella enterica, S. tuphemurium, Escherichia coli, Listeria monocytogenes, L. innocua, Staphylococcus aureus, S. epidermis, Pseudomonas aeruginosa (le carvacrol provoque des lésions de la membrane cellulaire de cette bactérie), Enterococcus faecalis, Bacillus subtilis, Klebsellia pneumoniae, Proteus mirabilis, Micrococcus flavus, Enterobacter cloacae, etc. Si l’on aligne, face aux mêmes germes, les huiles essentielles et essences de citron, de lavande fine, de camomille matricaire, d’origan vulgaire, de menthe poivrée, de basilic tropical et de sauge officinale, devenez qui gagne ? ^.^ – mycobactéricideantivirale : HSV1, HSV2 – antifongique : Dermatophytes sp., Aspergillus niger, A. flavus, A. fumigatus, Penicillium digitatum, P. verrocosum, Trichophyton mentagrophytes, Saccharomyces cerevisiae, Candida albicans, C. glabrata, C. krusei, C. lusitaniae, C. dubliniensis, C. parapsilosisparasiticide : Tribolium castaneum (ver de farine) – larvicide sur les larves de moustiques vecteurs du paludisme, sur les parasites responsables de la filariose et de l’encéphalite japonaise – vermifuge : ascaride, ankylostome, oxyure, ténia
  • Immunomodulante (la principale molécule, le carvacrol, agit sur la modulation de la réponse immunitaire par l’intermédiaire de diverses actions intracellulaires)
  • Anti-oxydante (effet protecteur sur l’ADN), antiradicalaire
  • Apéritive, stomachique, antiseptique gastro-intestinale, carminative, augmente la sécrétion des sucs biliaires
  • Analgésique
  • Antispasmodique
  • Tonique générale, neurotonique, stimulante physique, mentale, intellectuelle et sexuelle, sédative du système nerveux central, énergisante, réchauffante
  • Emménagogue, freine l’hyperfolliculinie
  • Expectorante
  • Diaphorétique
  • Chimio-préventive, antiproliférante, cytotoxique (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : infections bactériennes des voies respiratoires, bronchite, bronchite chronique, asthme, angine, toux, toux irritative, trachéite, laryngite, pharyngite, coqueluche, rhume, grippe
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, amibiase, gastro-entérite, entérocolite, candidose intestinale, colite, fièvre typhoïde, inappétence, digestion lente, dyspepsie, aérophagie, syndrome de l’intestin irritable, intoxication alimentaire7
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infections bactériennes des voies urinaires, cystite, prostatite, néphrite
  • Troubles locomoteurs : affections rhumatismales aiguës et chroniques, rhumatisme musculaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : absence ou retard des règles, aménorrhée
  • Affections cutanées : dermatoses infectieuses et parasitaires (gale, teigne, acné, mycose), abcès
  • Asthénie profonde, faiblesse immunitaire, fatigue et épuisement nerveux, convalescence
  • Maladie de Lyme (?), paludisme (in vitro, seulement : des cas de neuropaludisme mortels ont été décrits sous origan !)
  • Maladie d’Alzheimer (le carvacrol inhibe l’acétylcholinestérase ; plus largement, l’on connaît l’implication de l’acétylcholine dans les fonctions de la mémoire et de l’apprentissage)
  • Cancer : l’huile essentielle d’origan vulgaire permet l’inhibition de la croissance des cellules dans l’adénocarcinome du côlon (cette activité est un peu moins efficace auprès de l’adénocarcinome du sein)

Modes d’emploi

  • Voie cutanée diluée à hauteur de 1 à 5 %. Les préconisations tournent plus souvent autour du premier chiffre que du second.
  • Voie orale : délicate. Usage mesuré et raisonné nécessaire. Autant dire qu’on oubliera les « deux gouttes trois fois par jour » pour les motifs exposés plus haut. Même à raison de 100 à 150 mg par jour pour un adulte, on multiplie les doses souhaitables par deux ou trois. En tout état de cause, un traitement interne ne durera pas plus d’une semaine8.
  • En bain : jamais, même diluée.
  • En diffusion atmosphérique : déconseillée, ou seulement à très petites doses, durant un laps de temps très bref, en synergie avec d’autres huiles essentielles et essences moins agressives. Jamais en présence d’animaux, de jeunes enfants, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Dangerosité des phénols : dans cet article nous avons rencontré le carvacrol surtout et le thymol dans une moindre mesure. Toutes les huiles essentielles qui en contiennent un pourcentage significatif doivent être utilisées de manière rigoureuse, que ce soit par voie orale ou cutanée. A doses élevées et trop souvent répétées sur une période prolongée, ces huiles essentielles sont susceptibles de provoquer des dommages hépatiques : on les dit hépatotoxiques. On les écartera donc en cas de maladies chroniques du foie comme l’hépatite. Comme, de plus, elles présentent un caractère irritant et caustique, il faut se garder d’un usage interne en cas d’ulcère ou de gastrite. Attaquant la peau et les muqueuses lorsqu’elles sont utilisées pures ou improprement diluées, les huiles phénolées ne doivent pas être appliquées sur les peaux hypersensibles, allergiques, malades ou endommagées. Dans quelles autres circonstances faut-il éviter d’employer l’huile essentielle d’origan vulgaire ? Durant la grossesse (parce qu’elle est embryotoxique) et l’allaitement, chez l’enfant, en cas d’antécédents convulsifs, en cas de traitement anticoagulant, de maladies auto-immunes avérées (sclérose en plaques), etc.
  • Impliquée dans les soins vétérinaires, l’huile essentielle d’origan vulgaire a également démontré ses pouvoirs dans d’autres domaines : en tant qu’herbicide (elle est capable d’inhiber la germination de plusieurs espèces de graines : moutarde, radis, cresson alénois, alpiste des Canaries, etc.), ainsi que plusieurs champignons ascomycètes affectant les fruits tels que l’abricot, la prune et la nectarine (Monilinia laxa, M. fruticola, M. fructigena, etc.). Encore faut-il bien doser cet origan antifongique : par exemple, une solution à 1 % d’huile essentielle d’origan vulgaire s’avère toxique pour les nectarines. Quand on élève le taux d’huile essentielle dans cette solution à 10 %, l’efficacité est meilleure contre les champignons, mais devient phytotoxique pour les trois fruits…
  • Autres espèces : le dictame de Crète (O. dictamnus), l’origan grec (O. creticum), l’origan de Syrie (O. syriacum), l’onite (O. onites), l’origan de Tournefort (O. tournefortii), etc.
  • Terminons-en avec cette variété, le kaliteri, dont voici quelques données chiffrées permettant de présenter son profil biochimique : monoterpénols (40 %) dont : trans-4-thujanol (19,25 %), terpinène-4-ol (12,10 %), cis-4-thujanol (5,65 %) ; monoterpènes (40 %) dont : γ-terpinène (11,30 %), paracymène (8 %), α-terpinène (6 %), sabinène (5 %), terpinolène (3 %) ; phénols (10 %) dont : carvacrol (8 %). On lui attribue les propriétés thérapeutiques suivantes : anti-infectieux à large spectre d’action (antibactérien, antiviral, antifongique, antiparasitaire), décongestionnant des voies respiratoires, expectorant, anti-inflammatoire, équilibrant de la flore intestinale. Voici en quels cas répertoriés il est possible de l’utiliser : troubles de la sphère respiratoire (angine, bronchite, grippe, fièvre), troubles de la sphère gastro-intestinale (diarrhée, gastro-entérite, mycose intestinale), infections urinaires, maladies infectieuses (borréliose ? maladie de Lyme ?), convalescence, etc. Bon. Est-ce que ça vaut bien la peine d’aller dévaster les montagnes boliviennes pour si peu ? On me rétorquera que le formidable taux de thujanol de cette huile essentielle en justifie davantage l’emploi que celle d’origan vulgaire qui, rappelons-le, est hépatotoxique, tout au contraire du kaliteri dont on loue les qualités hépatoprotectrices. Il posséderait les avantages du vulgare sans ses inconvénients. Dites, une essence pas chère et qu’on trouve partout, est dotée de la même propriété de protection du foie : celle de citron. Donc, bye-bye kaliteri, parce que vanter une huile essentielle pareille, à ce stade-là, ça n’est plus de l’aromathérapie, c’est tout bonnement du commerce.

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  1. Bernard Vial, Affectif et plantes d’Amazonie, p. 90.
  2. Aline Mercan, Manuel de phytothérapie écoresponsable, p. 88.
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 702.
  4. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles, pp. 211-212.
  5. Étymologiquement, ce mot possède un rapport avec l’idée de brillance (quelque chose de blanc qui luit au soleil, par exemple), mais aussi celle de chaleur (du latin foueo, « chauffer »).
  6. Le carvacrol, isomère du thymol, tire son nom de celui du carvi, peut-être en souvenir du fait que le karwita était du nombre des quatre semences chaudes.
  7. Outre qu’il lutte contre le staphylocoque doré, l’origan est aussi capable d’inhiber la formation des entérotoxines staphylococciques que ces bactéries produisent, ce qui permet de réduire le phénomène d’intoxination qui, autrement, se solderait par les traits habituels de l’intoxication alimentaire (nausées suivies de vomissement, douleurs abdominales, diarrhée, vertige, frissons, faiblesse générale parfois accompagnée d’une légère fièvre). Comme beaucoup d’autres toxines produites par des micro-organismes (mycotoxines, etc.), les entérotoxines sont thermostables, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas détruites par la chaleur d’une cuisson. Cela signifie qu’il faut prêter attention au préalable : se laver les mains avant de manger, respecter la chaîne du froid, ne pas attendre trop longtemps avant de ranger un plat cuit et refroidi au réfrigérateur, etc. On se rappellera de l’emploi de la sarriette, autre plante à phénols, pour « corriger » les gibiers faisandés…
  8. Tout simplement parce que du premier au sixième jour d’utilisation, elle se montre immunostimulante, mais devient immunodéprimante dès le jour suivant. On observe deux phases similaires quand l’origan est accidentellement absorbé à hautes doses : 2 g per os en une seule dose occasionnent une cuisson de l’estomac, des nausées, etc. Au delà : diarrhée, surdité et bourdonnements d’oreilles, ralentissement de la respiration, accélération puis ralentissement du pouls, enfin refroidissement général.

© Books of Dante – 2023



L’angélique des jardins (Angelica archangelica)

Voici une présentation rénovée de cette grande dame autrefois fort prisée, mais en perte de vitesse dans le milieu de la thérapeutique par les plantes médicinales, ce qui est fort dommage vu ce que l’on sait assurément à son sujet. Plutôt que de partir à la conquête du monde végétal à la recherche d’un hypothétique Graal (qui n’existe pas ^.^), mieux vaut déjà regarder ce qu’on a dans les placards !

Bonne lecture (prenez le temps, c’est un gros article) et beau week-end à toutes et tous :)

Gilles



Synonymes : angélique officinale, angélique vraie, angélique cultivée, archangélique, herbe des anges, herbe aux fées, racine du saint Esprit, angélique de Bohème, racine de longue vie, ginseng d’Europe, angélique des confiseurs.

Une chose curieuse demeure à l’endroit de l’angélique officinale : quand elle fit irruption, on ne sait plus trop quand ni comment, elle ne concurrença d’aucune manière l’angélique sylvestre autochtone dont les textes plus anciens ne parlent pas. C’est-à-dire que l’on ne s’est soucié des angéliques quand et seulement quand celle qu’on surnomme archangélique a débarqué sur le sol d’Europe centrale. (Comme si l’on réservait un meilleur accueil à la berce du Caucase plus qu’à notre berce indigène, la commune grande berce.) Faut-il la survenue d’un archange pour prendre conscience de l’armée angélique déjà présente ? Des fois, on se le demande… Une chose est certaine : avant même qu’elle ne fasse une apparition remarquée et durable plus au sud de son aire d’origine (que nous rappelons : Scandinavie, Groenland, Russie), l’angélique dite des jardins était cultivée en grand en Europe du Nord au moins depuis le XIIe siècle, des documents de l’époque en attestent (il ne faut donc pas se casser la tête à chercher dans les vieux textes grecs – Dioscoride et consorts – la moindre trace de cette angélique qui n’existe pas dans ces localités méridionales et qui, de toute façon, n’y survivrait pas). Bien que le climat de l’Europe du Nord lui soit plus adapté, la culture de cette angélique septentrionale se développa d’abord au sein des monastères d’Europe centrale dès le XIVe siècle, puis à une plus large partie de l’Europe occidentale au XVIe siècle (par exemple, on la voit cultivée au monastère isérois de la Grande Chartreuse, près de Grenoble). Cette habitude à la culture explique que cette angélique, par chez nous, s’est toujours cantonnée au jardin et qu’elle ne s’est donc jamais implantée dans la nature pour y devenir spontanée comme a pu le faire efficacement la berce géante du Caucase après elle.

On lit partout (enfin, dès qu’il s’agit de l’histoire médicale de l’angélique), que le passé de cette plante serait étroitement lié à la personne de Paracelse, qui en aurait vanté les bons effets face à une épidémie de peste s’étant abattue sur la ville de Milan en 1510. C’est peut-être vrai. Mais il semblerait que les chroniques aient omis de retenir cet épisode épidémique lombard des premières heures de la Renaissance. Néanmoins, c’était suffisant pour faire acquérir à l’angélique le statut de plante protectrice, car elle « n’a pas été placée sans raison sous le parrainage des anges »1. Cela, c’est aisément lisible dans ses noms latin et français, ou bien dans nombre de ses surnoms. Qu’elle soit herbe aux anges ou Spiritus sancti radix (= racine du saint Esprit), elle touche au Ciel. Aussi lui accorda-t-on comme nom principal angelica (= « ange gardien »), doublé de l’adjectif archangelica qu’on dit faire expressément référence à l’un des sept archanges de la tradition biblique qui aurait révélé en songe l’usage de la plante contre la peste bubonique à un ermite. Tout comme l’unité « Paracelse+Milan+peste+1510 », il est presque toujours question de l’archange Raphaël quand on aborde cette légende, parfois de Gabriel, mais absolument jamais de l’archange saint Michel, ce qui aurait été beaucoup plus judicieux si l’on se souvient que c’est lui qui « terrasse » le dragon… Du moins, qui en maîtrise les forces. Effectivement, cette entité sauroctone, champion du bien, soumet, plus qu’elle ne détruit, la vouivre habilement métamorphosée en dragon démoniaque par le christianisme. Apprécions l’aisance, la vitesse et la puissance avec lesquelles on a dessiné un pedigree à cette plante venue d’ailleurs : c’est quand même balaise pour une primo-arrivante ! Afin de la légitimer, peut-être a-t-il fallu mettre les bouchées doubles, quitte à en faire un peu trop, comme on aura l’occasion de le constater un peu plus loin. Toujours est-il qu’il y a environ quatre siècles, en 1600 pour être précis, on établissait ainsi le portrait de cette super angélique venue du Nord : « Angélique, tel nom a été donné à cette plante, à cause des vertus qu’elle a contre les venins […]. Cette herbe contrarie à toutes les infections : est très utile en temps de pestes, tenant en la bouche de sa racine ; [elle] guérit les morsures des serpents et chiens enragés ; fait cracher les humeurs superflues, nettoyant l’estomac. L’eau qui en est distillée sert aux choses susdites, et à tenir la personne joyeusement. Ses feuilles appliquées au front chassent le mal de tête ». Ça n’est ni un médecin qui parle, encore moins un charlatan un peu mage sur les bords, mais un « simple » agronome : on doit ce portrait à Olivier de Serres (1539-1619) dont le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs connaîtra vingt-et-une éditions entre 1600 et 1807, donnant largement l’occasion de marteler la réputation faite à l’angélique au fil du temps. S’il s’était agi que du seul Olivier de Serres, peut-être bien que l’emballement enthousiaste en serait venu à s’émousser, mais même pas ! Les médecins – Renaissance et époque moderne – s’emparèrent bien évidemment d’elle ! Pourquoi laisser passer celle qu’on qualifie de panacée ? Peut-on raisonnablement se détourer d’une plante dont on prétend qu’elle détient des pouvoirs quasi divins ? C’est pourquoi l’on trouve de l’angélique dans bien des préparations médicinales que l’histoire a retenues pour certaines d’entre elles, d’autres pas. Florilège : le vin diurétique amer de l’hôpital de la Charité, l’emplâtre diabotanum, l’élixir du Suédois, l’eau générale, l’eau vulnéraire (ou d’arquebusade), le baume du Commandeur, le baume d’angélique de Brandes et Bucholz, etc. Je pense que l’on peut en remplir des pages entières. Elle est encore présente dans de nombreux élixirs dont certains sont qualifiés de « longue vie ». Il est vrai que, à l’instar de sa robuste racine qui maintient une tige solide, l’angélique est une plante tout en force dont le surnom de « racine de longue vie » lui a été octroyé en raison du cas du Niçois Annibal Camoux mort en 1759 à l’âge de 121 ans et 3 mois. Cette exceptionnelle longévité tiendrait au fait qu’il avait l’habitude de mastiquer régulièrement de la racine d’angélique. Que cela sente le mythe ou s’approche de la vérité, on comprend que, sans avoir besoin d’en faire un remède miracle, l’angélique est loin d’être une herbe anodine parfaitement inerte dans le domaine médical. Une autre de ses spécificités pourrait se solder par l’énumération, une fois de plus, d’une longue liste de compositions magistrales. En voici compilées quelques-unes : l’orviétan, la thériaque, l’eau thériacale, la confection thériacale d’Adrian von Mynsicht, l’antidote et l’élixir de vie de Matthiole, l’eau céleste et prophylactique de Franciscus de le Boë, l’élixir anti-pestilentiel d’Oswald Crollius, l’eau cordiale de Gilbert, l’opiat cordial de la pharmacopée de Lyon, l’élixir de vie de Joseph du Chesne, l’eau épidémique, le lait alexitère distillé, etc. Toutes ces préparations devaient faire savoir les vertus surnaturelles, fastueuses, bienfaisantes, supra-puissantes, miraculeuses, précieuses, merveilleuses, extraordinaires, en un mot, angéliques, de cette plante iconique. C’est-à-dire que, tout à fait héroïques, ces médicaments étaient présentés comme devant sauver l’homme du péril dans la plupart des circonstances : peste et autres épidémies, morsures envenimées ou rabiques, gangrène, poisons divers et variés, etc. Précisons qu’en ces temps anciens, c’étaient de véritables phobies qui trouvaient leur raison d’être à travers les morts nombreuses qu’elles occasionnaient. On peut donc saisir que l’angélique porte les noms d’herbe du saint Esprit, d’herbe aux anges, etc., vu ses éminentes qualités (à moins que ces valeureuses appellations aient donné des idées à plus d’un, afin d’exploiter la croyance aux dépens de la réalité thérapeutique…). Comment, encore, ne pas comprendre que cette plante soit allée draguer du côté de la magie et qu’on en ait fait une arme anti-maléficieuse ? Ainsi la vit-on tenir une fonction de protection non seulement face aux causes médicales, mais également à toutes celles ayant un rapport à la magie de malédiction. Elle devint donc, en plus de son statut de plante angélique, une plante talismanique dont on jonchait, en guise de purification et de préservatif, le sol des églises et des riches demeures, en compagnie de rue, de menthe et d’hysope. La feuille d’angélique, réputée pour contrer la sorcellerie et les enchantements, était portée autour du cou afin de procurer la chance, tandis que la graine de la plante annihilait les influences néfastes ainsi que les pouvoirs de la fascination. Après bien des utilisations plus médico-magiques qu’autre chose, l’angélique abandonna le versant magique pour se consacrer davantage au seul aspect médical. On vit poindre ce changement à partir de la fin du XVIIe siècle, avec Nicolas Lémery et s’étendre jusqu’à Desbois de Rochefort, un siècle plus tard. Que dit-on d’elle durant ce temps ? Ceci : « Elle est cordiale, stomachique, céphalique, apéritive, sudorifique, vulnéraire », expliquait Lémery, à quoi Morelot ajoutait : stimulante, carminative et sialagogue. L’on vit, en l’espace d’un siècle, l’angélique revenir à des prérogatives « plus réalistes » que tout ce qu’on avait pu lui conférer jusque-là. Pourtant, bien que Chomel insistât sur les qualités stomachique de l’angélique (indigestion, colique venteuse, flatulences, faiblesse et aigreur d’estomac), transparaissent encore dans ses dires, ainsi que dans ceux de Lémery, des attributions qui concernent davantage des pouvoirs « magiques » alors peu différenciés des propriétés thérapeutiques au sens où l’entend la médecine. Ainsi Lémery disait-il de l’angélique que « l’on en mange pour se préserver du mauvais air. […] elle résiste au venin ; on l’emploie pour la peste, pour les fièvres malignes, pour la morsure des chiens enragés »2. Enfin, à la lecture de Desbois de Rochefort (1786), on ne trouve plus trace des références archangéliques de l’angélique : « Ce médicament est un des meilleurs qu’on puisse employer quand il faut donner du tonus à l’estomac, et il ne le cède pas aux racines toniques exotiques »3. Il précisait aussi que l’infusion vineuse était préférable à celle que l’on prépare à l’eau. Pour l’obtenir, on faisait macérer 15 g de racine d’angélique dans un demi litre de vin rouge pendant 36 à 48 heures.



Durant tout ce siècle, l’angélique thérapeutique fut abondamment concurrencée par la même plante dont s’empara la confiserie. Parce que, oui, à l’instar de nombreux autres végétaux curatifs, l’angélique se mange. C’est aux environs de Niort que les sœurs du couvent de la Visitation de Sainte-Marie eurent pour la première fois l’idée de confire les tiges (les pétioles, en fait) d’angélique (auparavant, seules les racines et les feuilles étaient confites, sans que cela n’atteigne néanmoins la dimension de l’entreprise initiée par les religieuses niortaises). Au XIXe siècle, on moulait des tiges d’angélique confite aux formes des animaux et des fleurs emblématiques du marais poitevin. Puis vinrent liqueurs, gelées et autres confitures (regardez un peu sur ce site : l’angélique suscite bel et bien l’inspiration ! ^.^). Victime de son succès, l’angélique confite de Niort est parfois concurrencée par de fausses angéliques bien moins onéreuses à produire, obtenues en confisant du céleri, de la pastèque à chair blanche ou encore des navets. Du sucre, un chouïa de colorant et le tour est joué ! La belle carrière opérée par l’angélique au sein de l’industrie de la confiserie fit dire à Fournier qu’« il est regrettable qu’elle ne soit plus guère usitée que des confiseurs »4. Comment aurait-il pu en être autrement, sachant qu’un siècle avant Fournier, il en était déjà ainsi ? Roques reprochait à la pharmacie de son temps d’avoir abandonné l’angélique, que le médecin devait aller se procurer chez « les confiseurs qui préparent, avec les jeunes tiges d’angélique, un condiment délicieux, et qui, mangé lorsqu’il est récent, peut remplacer dans beaucoup de cas tous les autres modes d’administration de cette plante »5. C’est peut-être une opinion un peu excessive de la part de Cazin, puisque les bâtons d’angélique « ne sont pas les plus aptes à nous faire profiter pleinement des vertus de la plante, les bains de sucre successifs dénaturant quelque peu ses qualités diététiques » et médicinales6. L’angélique confite médicale est d’autant moins pertinente que les préparations sucrées – sirops et pastilles – ne sont pas les meilleures alliées pharmaceutiques pour ce qui est de lutter contre les infections, par exemple. Qu’un médecin ait dû aller se fournir en angélique chez le confiseur en dit tout de même long sur l’état dans lequel on relégua cette pauvre vieille fée oubliée et négligée. Hélas, « tous ces noms émanés du Ciel, n’ont pu sauver l’angélique de l’indifférence des médecins »7. Comment se fait-il qu’une plante pareille, vantée – rappelez-vous ! – contre la peste et dont on a fait l’antidote de la belladone, de la ciguë et du colchique, ait pu tomber si bas dans l’échelle des valeurs thérapeutiques ? En 1810, Bodart écrivait une phrase qui disait toute la réalité de l’angélique d’alors : « Si cette plante avait le mérite d’être étrangère, elle serait aussi précieuse pour nous que le ginseng l’est chez les Chinois ; elle se vendrait au poids de l’or »8. La comparaison avec le ginseng, autre racine de longue vie, est intéressante et fort pertinente, puisqu’en réalité l’angélique ne le cède en rien à certaines substances non indigènes, dont le ginseng, étant tonique et très énergique, valable dans la plupart des maladies et affections mettant en cause une faiblesse constitutionnelle ou adynamique (digestion pénible, flatulences, ranimer les forces de l’estomac, convalescence, épuisement des forces, maladies de langueur…). Le ginseng possède un nom latin (Panax ginseng) qui contient en lui-même la haute idée que l’on se fait de lui : une panacée. Autrement dit, une substance propre à guérir tous les maux. Est-ce le caractère exagérément prétentieux avec lequel on a alloué mille vertus à l’angélique qui a fait que, aujourd’hui, elle a sombré dans un relatif anonymat ? Ça n’est pas impossible. D’autres plantes ont subi un sort assez identique, la sauge par exemple, bien que dans une moindre mesure. Cette mésestime semble être le corollaire d’une extranéité magico-thérapeutique abusive. Ayant été naturalisée, l’angélique a quelque peu perdu de son lustre d’antan. Tout comme les palmiers de la Côte d’Azur qui n’étonnent plus personne ou presque, elle ne présente plus rien d’exotique contrairement au ginseng qui, lui, se vend toujours à prix d’or, puisqu’il vous en coûtera 10 000 € pour acquérir une racine âgée de 25 à 35 ans. Pourtant, tout est à portée de main, où qu’on soit. Mère Nature a si bien pensé et fait le Monde, qu’elle a placé ici et là différentes plantes aux pouvoirs identiques. Pourquoi s’émoustiller devant des baies de goji alors que nous disposons de ce brave cynorhodon que nous offre notre bon vieil églantier rustique ? Inutile d’aller envahir de lointains pays à la recherche d’un précieux Graal végétal. Quel besoin y a-t-il d’essorer ainsi la planète, malheureuse habitude qui n’empêche pas, bien au contraire, la biopiraterie de sévir encore, plus particulièrement en Afrique et en Asie ? Pourquoi donc ne pas réhabiliter l’angélique ? En ce siècle de désenchantement et de de-spiritualisation du monde, il serait pertinent et salutaire de se tourner, de nouveau, en direction de l’angélique solaire et victorieuse. Mais aujourd’hui, l’angélique est quasi muette. Ce qui ne manque pas de sel, quand l’on sait ce qu’en firent les Amérindiens : une décoction de tiges d’angélique leur servait de gargarisme afin de permettre aux chanteurs et aux orateurs de tenir leur voix durant les cérémonies et autres célébrations… Ce n’est pas sans quelque mélancolie que… D’ailleurs l’angélique est assez souvent désignée comme l’emblème de ce sentiment. Parce qu’elle la leur inspirait, les anciens poètes se couronnaient de feuilles d’angélique (plus probablement de feuilles d’ache). Écoutons l’un d’eux : « Qu’elle est douce la mélancolie à laquelle on s’abandonne au déclin d’un beau jour ! Les coteaux qui m’entourent réfléchissent la pourpre du couchant ; les fleurs de la prairie, négligemment penchées, confient leurs parfums aux brises du soir qu’ils répandent dans toute la vallée. Que de belles plantes sauvages au bord de ce ruisseau ! C’est l’angélique sauvage, déployant sur sa haute et vigoureuse tige une vaste ombelle ornée de fleurs d’un blanc mêlé de rose. Comme cette nuance délicate contraste harmonieusement avec la douce verdure des feuilles et des rameaux ! »9.

Une volumineuse racine, parfois forte comme le bras, secondée de racines périphériques moins massives, dessinent un ensemble d’aspect ridé, de couleur brun gris extérieurement, laissant découvrir une chair blanchâtre gorgée d’un suc laiteux jaunâtre quand on vient à la rompre. C’est de cette masse souterraine fusiforme qu’émerge une tige verte effilochée de traînées rougeâtres qui, bien qu’épaisse, est intérieurement creuse. Intégralement glabre, l’angélique des jardins, plante très ramifiée, porte, sur près de deux mètres de hauteur (parfois davantage), trois rangées de feuilles composées, largement découpées et dentées en scie. Leurs pétioles sont cylindriquement sectionnés, et non en forme de gouttière comme on peut l’observer chez l’angélique sauvage. Très amples, puisqu’elles peuvent atteindre un mètre de longueur, les feuilles de l’angélique sont deux à trois fois ailées de folioles ovales, vert clair sur le dessous. Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’angélique n’est pas une plante vivace à vie brève : elle est monocarpique, c’est-à-dire qu’elle ne fleurit qu’une seule fois dans sa vie, quelle que soit la durée de son cycle végétatif qui peut s’étaler de deux à quatre ans. Lors de sa dernière année, elle donne de larges ombelles presque globuleuses de 15 à 20 cm de diamètre, composées de 20 à 40 rayons portant de petites fleurs verdâtres, jaunâtres ou légèrement rosées (mais jamais intégralement blanches), puis des fruits, diakènes bordés d’une aile membraneuse et marqués de cinq côtés latérales.

Plante peu exigeante, l’angélique est une géante qui aime l’humidité et la fraîcheur, sans avoir à endurer un excès de chaleur, bien qu’elle éprouve une grande attraction pour le soleil, surtout lorsqu’elle est située sur les sols riches en humus et bien drainés des différents pays d’Europe où son caractère non spontané oblige donc à la cultiver : en France, elle se localise surtout à l’Île-de-France, en Auvergne, ainsi que dans les régions de Niort et de Nantes. Ailleurs en Europe, elle est (a été) cultivée, parfois en grand, dans les pays suivants : Norvège, Suède, Écosse, Angleterre, Hollande, Belgique, Allemagne, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, etc.

L’angélique apprécie à ses côtés la présence de l’ortie qui aurait une influence significative sur sa production d’essence aromatique.



L’angélique en phyto-aromathérapie

Nous avons un peu insisté sur ce point dans la première partie : à l’exclusion des racines et des semences, aucune autre fraction végétale fournie par l’angélique ne joue de rôle officinal. Commençons tout d’abord par la racine, prioritairement employée. D’odeur aromatique pénétrante, on y distingue souvent un relent musqué animal plus ou moins marqué. Quand on la goûte à l’état frais, elle propose une saveur premièrement douce, qui ne tarde pas à s’échauffer pour devenir plus âcre et piquante, amère même, tout en provoquant une abondante salivation. Contenant une grosse part d’amidon accompagné de sucres (saccharose surtout), la racine d’angélique laisse exsuder, quand on l’incise au collet comme on le fait du galbanum et de la férule, un suc gommo-résineux qui se fige finalement à l’air libre : il reflète, en partie, les composants résineux et aromatiques de la plante qui recèle bien des substances intéressantes : de l’acide angélique (dont la structure est proche de celle de l’acide valérianique), des acides organiques (acétique, pectique, malique), des acides phénoliques (caféique, chlorogénique), des acides gras, du tanin, des flavonoïdes et des phytostérols. Enfin, une essence aromatique dont les taux de rendement en huile essentielle rendent compte du caractère particulièrement chiche : déjà très faible dans les feuilles (environ 0,10 %), cette fraction aromatique grimpe un peu plus haut quand il s’agit des racines n’ayant jamais fructifié (0,30 à 1,30 %), s’établissant à un niveau plus élevé en ce qui concerne les semences (0,60 à 1,80 %). Malgré cela, l’huile essentielle de semences d’angélique est beaucoup plus rare que celle extraite des racines, au pris de revient plus élevé pourtant (tarifs moyens en bio, flacons de 5 ml : huile essentielle de racines d’angélique à 46,80 € contre 31,50 € pour l’huile essentielle de semences). Les données concernant l’huile essentielle de semences sont si faméliques et disparates que je n’ai pas été en mesure d’en dresser un portrait biochimique qui soit fidèle et complet (contrairement à l’autre). Au moins puis-je affirmer que ce liquide incolore, qui peut jaunir à force de lumière, paraît majoritairement composé de monoterpènes (α et β-pinène, α et β-phellandrène, etc.) et des très classiques furocoumarines typiques des apiacées. Quant à l’huile essentielle de racine, c’est un liquide mobile, jaune pâle à brun parfois, de densité comprise entre 0,85 et 0,875. Plusieurs adjectifs servent à en qualifier l’identité olfactive : chaude, épicée, poivrée, boisée, herbacée, tourbeuse, terreuse, sèche, cuirée, musquée, etc. Histoire de se donner une idée de la chose, qui me semble très variable, de même que sa composition biochimique, en fonction de sa provenance. Quelques chiffres et j’aborderai ultérieurement ce point :

  • Monoterpènes : 94 %. Dont α-pinène (25 %), δ-3-carène (15 %), β-phellandrène (10 %), α-phellandrène (9 %), limonène (7 %), etc.
  • Sesquiterpènes : 1 à 4 %. Dont β-caryophyllène (1 à 3 %)
  • Esters : 0,50 %
  • Coumarines : traces
  • Furocoumarines : 2 %. Dont angélicine, archangélicine, bergaptène, iso-impératorine, xanthotoxine (et plus d’une dizaine d’autres)

Ceci est un profil typique d’huile essentielle de racines d’angélique provenant de la partie centrale de l’Europe (France, Hongrie, etc.). Elle se remarque par un très fort taux de monoterpènes. Même si on lui trouve des coumarines et des furocoumarines en masse (2 %, c’est tout bonnement énorme !), elle se singularise par une quasi absence d’une classe moléculaire parfois répertoriée par la lecture spécialisée : les lactones macrocycliques. Comme ce sont eux qui confèrent à l’huile essentielle de racine d’angélique son amertume et son odeur musquée, on peut savoir si l’huile essentielle en contient ou pas selon son parfum et son goût. Il est parfois précisé que ces lactones (15-pentadécanolide, 1-3-tridécanolide, ambrettolide, etc.) représentent 7 à 20 % de la composition globale et semblent plus abondantes dans les huiles originaires des pays nordiques, ce qui s’explique par bien des facteurs dont ceux de nature géographique et climatique. On y trouve aussi, quoi que de manière fort inconstante, un taux non négligeable d’oxydes (1.8 cinéole : 15 %).

Propriétés thérapeutiques

Note : si l’on ne doit pas confondre l’angélique avec n’importe quelle berce (la grande, la caucasienne, etc.), il est bon de prendre en compte la réalité suivante : il existe donc une angélique domestique (Angelica archangelica) et une angélique sauvage particulièrement courante dans la nature en France, l’angélique des bois (Angelica sylvestris). On observe entre elles quelques différences morphologiques. Par exemple, l’angélique sauvage est plus petite et développe un parfum moins prononcé que sa sœur domestique. Concernant leurs vertus médicinales, elles sont similaires quoi que plus appuyées chez Angelica archangelica. Ce qui veut qu’en l’absence de toute source vous permettant de vous procurer de l’angélique des jardins, vous pourrez toujours jeter votre dévolu sur l’angélique sauvage.

En phytothérapie :

  • Apéritive, digestive, carminative, stomachique, fortifiante des vaisseaux intestinaux
  • Hépatoprotectrice
  • Tonique, stimulante, reconstituante et fortifiante générale (sujets nerveux, personnes âgées, affaiblies, convalescentes), cortison like
  • Sédative nerveuse puissante, antispasmodique, hypnotique légère, calmante sympathique et parasympathique du système nerveux autonome
  • Expectorante, béchique, fortifiante de la muqueuse pulmonaire et des vaisseaux bronchiques, ouvre la perspiration périphérique
  • Tonique circulatoire (micro-circulation sanguine), bénéfique aux systèmes lymphatique et vasculaire
  • Diurétique, sudorifique, dépurative
  • Emménagogue
  • Anti-rhumatismale
  • Céphalique, antinévralgique, anti-inflammatoire
  • Antibactérienne, préventive des maladies contagieuses
  • Cicatrisante, résolutive (feuille)
  • Fortifier la repousse des cheveux, en prévenir la chute

En aromathérapie :

  • Anti-infectieuse : antifongique, antibactérienne ; immunostimulante
  • Tonique, excitante (à dose idoine), lutte contre l’épuisement des forces physiques, reconstituante et équilibrante générale
  • Tonique circulatoire, augmente le nombre de globules rouges (comme l’ortie, tiens tiens…), stimulante du système lymphatique
  • Renforce le mental, lutte contre l’épuisement des forces psychiques, réconfortante, redonne confiance et courage en ses propres capacités, développe la capacité à prendre des décisions et à aller au bout des choses, renforce les capacités d’expression et de création
  • Sédative et protectrice du système nerveux (à forte dose ; au delà : dépression du système nerveux central), parasymphatolytique, antispasmodique, apaisante, calmante, relaxante
  • Carminative, digestive, protectrice du système digestif, stomachique
  • Dépurative, diurétique, sudorifique, optimise l’élimination saine des toxines
  • Expectorante, fébrifuge
  • Œstrogen like, emménagogue, freiner l’hyperfolliculinie
  • Anti-arthritique, anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

En phytothérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : asthénie fonctionnelle de l’appareil digestif, inappétence, indigestion, digestion difficile (en particulier celle des aliments gras), hyperacidité gastrique, pyrosis, aérophagie, ballonnement, flatulences, colique, crampe intestinale, spasmes gastro-intestinaux, vomissement spasmodique, entérite, dysenterie, dyspepsie, mauvaise haleine
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, asthénie d’origine hépatique, insuffisance immunitaire d’origine hépatique, hépatisme
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthénie fonctionnelle de l’appareil respiratoire, bronchite aiguë et chronique, asthme nerveux, rhume, toux, angine, coup de froid, grippe, fièvre adynamique, muqueuse, typhoïde, utile aux chanteurs et aux orateurs ; en adjuvant dans : tuberculose, pneumonie, pleurésie
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, difficiles, insuffisantes ou absentes, leucorrhée, crampe et congestion utérines
  • Troubles de la sphère circulatoire et cardiovasculaire : mauvaise circulation périphérique (mains, pieds), stase sanguine, maladie de Buerger (?), palpitations
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, agitation, tension nerveuse, stress, peur, phobie, colère explosive, émotivité, surexcitation, instabilité psychologique, insomnie d’origine nerveuse, cauchemar (chez l’enfant) asthénie intellectuelle, nerveuse et psychique, baisse de la libido chez l’homme et la femme
  • Atonie et faiblesse générales, convalescence (à la suite d’une maladie ou d’une opération chirurgicale), anorexie, chlorose, anémie, surmenage
  • Troubles locomoteurs : algie rhumatismale, contusion, douleurs articulaires et musculaires
  • Migraine (d’origine nerveuse et digestive)
  • Vertige, syncope, défaillance
  • Rachitisme, scorbut
  • Plaie
  • Douleur dentaire

En aromathérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dyspepsie, colite, entérite, crampe abdominale, gaz, ballonnement
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, sinusite
  • Troubles de la sphère gynécologique : crampe menstruelle
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, stress, crainte, montagnes russes émotionnelles, insomnie, trouble du sommeil d’origine nerveuse, fatigue nerveuse, confusion mentale
  • Surmenage, épuisement, fatigue physique, convalescence
  • Rétention d’eau, goutte, arthrite
  • Affections cutanées : psoriasis, blessure

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

« On dit que l’angélique doit avoir les racines dans l’eau et la tête au soleil »10. C’est une remarque tout à fait pertinente, tant la vie de l’angélique est bornée entre un alpha – une vigoureuse racine – et un oméga – un capitule céleste qui produit des semences, gages d’une vie future. C’est d’ailleurs à cela que se résume toute la pratique médicale : on utilise la racine née d’une graine, qui va former elle-même d’autres semences, non sans être passée par de nécessaires étapes intermédiaires. Observons bien ces deux moments : l’angélique est convoitée pour son caractère souterrain au début de sa période de végétation. On tire d’ailleurs de cette racine, surtout quand elle provient du Nord, une huile essentielle riche en lactones, classe moléculaire que j’assimile à l’élément Terre. Puis du sous-sol et de la nuit nadirale, le continuum temporel mène l’angélique à une érection et un déplacement du potentiel des forces du bas vers le haut, accédant au ciel zénithal à la fin de sa période de végétation, chose très nettement visible au sein de l’huile essentielle tirée des semences d’angélique : bourrée de monoterpènes, elle s’associe donc à l’élément Air.

Par son système racinaire, l’angélique, tout empreinte d’un certain immobilisme (c’est l’ours qui hiberne), marque néanmoins son territoire. Puis, quittant ce domaine qui n’appartient qu’au temps de la jeunesse, elle se met en mouvement, irradie non seulement selon deux plans, mais trois (il suffit, pour cela, d’observer son ombelle quasi globuleuse). Cette vivacité aérienne acquise grâce à ses semences ailées lui fait gagner en maturité. De l’une à l’autre, ça n’est plus du tout du même profil dont on parle, puisque la racine initie le commencement et la naissance, tandis que la tête couronnée de semences de l’angélique marque son apex, l’achèvement de ses forces, ainsi que sa disparition imminente. D’ailleurs, l’élixir floral d’angélique officinale est destiné aux personnes proches de la mort, tant par leur propre état de santé (personnes gravement malades ou mourantes), que pour les personnes qui les entourent et les accompagnent. Les laboratoires Deva eux-mêmes disent que « l’élixir floral d’angélique est recommandé aux personnes qui se sentent isolées et abandonnées dans les périodes de grand changement ou face à l’inconnu. C’est un élixir dit ‘du seuil’ [NdA : le deuil n’en est-il pas un ?], conseillé dans les situations de crise et chaque fois que la vie est en jeu. Il aide à prendre de la hauteur face aux difficultés et renforce la confiance en la vie. Il apporte force bienveillante et vigueur morale lorsque l’avenir est incertain ». Abandon, isolement, deuil, dépression sont les maîtres-mots auxquels répond cet élixir tiré d’une plante qui autrefois, tout comme le ginseng, passait pour une panacée de longue vie capable d’apporter la vitalité et de retarder l’échéance de la vieillesse et de la mort.

L’angélique, postée tel un Soleil (la planète qui domine la plante, secondée par les influences équilibrantes de Mars et de Vénus), rythme son monde par une alternance continue de jours séminaux et de nuits racinaires. John Donne, le grand poète britannique de la Renaissance, n’avait pas tort d’écrire que « je suis un petit monde très finement fait, d’un esprit angélique ainsi que d’éléments »…11. Bien qu’on ait vu qu’elle comptait la Terre et l’Air comme éléments, l’angélique est aussi considérée comme une plante yang de Feu par la médecine traditionnelle chinoise, stimulant l’énergie du méridien du Cœur, ce qui vaut à cette plante une capacité « propre à recréer le cœur », comme le fit remarquer le Grand Albert.

Sur l’une de mes notes volantes, j’ai écrit la chose suivante : « L’angélique détient, potentiellement, le pouvoir de créer des ‘satellites’ [NdA : du latin satelles : « garde du corps » ; on n’est pas très éloigné de l’ange gardien…] : mots, pensées, postures partagées avec autrui ». Cela rappelle que les semences de l’angélique, si elles sont animées d’une grande puissance, ne possèdent pas une énergie excessivement pérenne, c’est pourquoi l’angélique invite à la ténacité et à la patience. Ces satellites ne sont sans doute pas passés dans le ciel clair de l’angélique tout à fait par hasard : si j’en juge l’aura que j’ai observée à l’huile essentielle d’angélique : de couleur majoritairement bleu cobalt, elle se connecte de fait au chakra de la gorge, le centre des créations subtiles et intellectuelles (et, donc, de manière filigranique, à cet autre chakra, complémentaire de celui de la gorge, le chakra sacré). Mais cette aura n’est pas seulement bleue, elle est aussi « pailletée » de touches argentées : les satellites qui nous convient aux hautes sphères, puisque la couleur argent est associée, communément, au chakra de la couronne (en correspondance avec la Lune).

Matthew Wood écrit quelque chose de très intéressant au sujet de l’angélique, plante à laquelle il entremêle la médecine de l’ours : « Tout comme l’ours entre en hibernation l’hiver, la médecine de l’ours détend l’esprit, ouvre l’imagination et amène vers le temps du rêve »12. Je pense qu’il en va de même de l’angélique, qu’elle nous guide vers l’inspiration, la respiration juste du cœur et ce même temps du rêve.

Modes d’emploi

L’emploi de la plante à l’état frais est de beaucoup préférable, en particulier lorsqu’on souhaite avoir affaire aux tiges et surtout à la racine.

  • Infusion de semences : comptez 8 à 15 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn. Infusion composée contre l’asthme : comptez autant de semences d’angélique que de mélisse et de sauge officinale. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn. Variante pour les crampes d’estomac et les douleurs gastriques : semences d’angélique, absinthe, mélisse à parts égales. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn.
  • Infusion de feuilles fraîches : comptez 10 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn à couvert.
  • Infusion de racines : comptez 20 à 50 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn.
  • Décoction de racines (pour bain) : comptez 120 g de racines par litre d’eau en décoction pendant un quart d’heure. On peut alléger cette décoction (40 à 60 g de racines par litre d’eau), y ajouter des feuilles d’ortie fraîche et mener la décoction pendant 10 mn : après filtrage, on obtient une eau de rinçage après-shampooing fort efficace.
  • Mâcher une tige d’angélique fraîche rafraîchit l’haleine et promeut une bonne santé bucco-dentaire.
  • Vin d’angélique : prenez 50 à 60 g de tiges et/ou de racines fraîches, placez-les dans un litre de vin blanc doux pour une semaine. A l’issue, filtrez. Autre : 60 g de racine fraîches et 8 g de cannelle dans un litre de vin rouge pour quatre jours. Filtrez.
  • Teinture alcoolique : faites macérer au chaud pendant quatre jours 100 g de racine fraîche dans 100 cl d’alcool. A l’issue, filtrer, pressez et réservez dans de petites bouteilles en verre (les plus idéales sont celles munies d’une pipette compte-goutte). Aujourd’hui, on s’en remettra plus sûrement à un extrait de plante fraîche (cf. Herbiolys, Ladrôme, etc.).
  • Ratafia d’angélique : dans un mélange composé d’eau (10 cl) et d’eau-de-vie à 40° (90 cl), placez 6 g de semences d’angélique, 4 g de semences de fenouil et 4 g de semences d’anis. Faites macérer le tout pendant 8 à 10 jours, puis, passé ce délai, ajoutez 500 g de sucre. Laissez reposer puis filtrez.
  • Recette de liqueur composée donnée par Anne Osmont : « On en fait aussi une liqueur stomachique suivant une recette que l’on peut appliquer aussi à l’hysope, à la mélisse et à la verveine et que voici : prenez une bonne poignée de tiges coupées en morceaux, (pour les autres plantes, prenez les sommités cueillies avant floraison), et placez dans un bocal que vous remplirez d’eau-de-vie de Montpellier. Laissez macérer quarante jours en exposant le bocal fermé au Soleil tous les jours où le Soleil brillera, aussi longtemps qu’il brillera. Rentrez le bocal pour la nuit. Au bout des quarante jours, filtrez et faites un sirop sucré selon votre goût. Cette liqueur est stomachique mais elle est de plus excellente, aussi faites-en beaucoup car bien de gens éprouveront sans cause des douleurs d’estomac – tant que les flacons ne seront pas vides »13 ^.^ Autre : dans 1,5 litre d’eau-de-vie à 40°, placez 25 g de tiges fraîches d’angélique et un gramme de noix de muscade râpée. Laissez macérer pendant deux semaines. Passé ce délai, ajoutez-y un sirop simple obtenu à partir d’un kilogramme de sucre et d’un demi litre d’eau.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses et appliqué localement (contusion, plaie, luxation, etc.).
  • Huile essentielle : en usage interne, il suffira de placer une à deux gouttes sur un comprimé neutre ou tout autre substrat à convenance et de répéter l’opération deux autres fois dans la journée, sur un total de sept jours consécutifs. Par voie externe, cette huile essentielle se dilue à hauteur de 0,75 % maximum, bien qu’elle puisse s’appliquer pure en geste d’urgence (sur le plexus, l’intérieur des poignets, la voûte plantaire). Dans tous les cas, son caractère photosensibilisant oblige à ne pas s’exposer durablement au soleil pendant environ douze heures après application cutanée (et même après ingestion).

Note : dans le commerce, il existe de nombreuses préparations contenant l’angélique comme ingrédient, en particulier pour lutter contre les problèmes digestifs, de sommeil, de stress (émotions), propres à la sphère féminine, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il est évident qu’il est plus simple de ramasser des fleurs de coquelicot que d’extraire du sol une racine d’angélique ! Et dans ce cas, mieux vaut prendre des gants et porter des vêtements longs. En effet, de par un certain nombre de ses principes actifs, au simple contact de la racine fraîche avec la peau (et parfois même des feuilles !), celle-ci peut être facilement irritée (autrefois, les arracheurs de racines professionnels étaient affectés d’enflures et de dermatites sur les mains). On comprend que ce protocole quelque peu rébarbatif puisse être dissuasif pour qui souhaiterait employer l’angélique, qu’on ne trouve plus guère dans les jardins au reste, l’angélique sylvestre étant, quant à elle, beaucoup plus fréquente mais dotée de propriétés moindres. On pourrait néanmoins lui appliquer les mêmes précautions. Les feuilles de l’angélique, lorsqu’elles sont encore bien vertes, peuvent être récoltées sur les pieds en mai-juin (voire juin-juillet sous climat plus frais), puis utilisées immédiatement ou bien séchées, bien que ce ne soit clairement pas la destination idéale de cette partie végétale (peu d’usages thérapeutiques, perte de capacités par la dessiccation, etc.). Les fleurs sont à peu de choses près dans les mêmes dispositions. Les racines doivent être prélevées sur des pieds n’ayant fait l’objet d’aucune autre récolte que ce soit (ni fleur, ni pétioles, ni semences), puisque ce sont essentiellement les pieds d’angélique dans leur première année qui sont concernés par une récolte (c’est pourquoi, même si elle n’a pas fleuri, l’angélique ne peut être déchaussée dans sa deuxième ou troisième année (s’il y a lieu) : à ce stade, elle devient coriace et filandreuse, impropre à l’usage qu’on en veut faire, commençant à se vider des principes qui la font convoiter plus jeune). Il ne faut donc pas attendre que la plante fructifie pour l’arracher. A cette période, il est déjà trop tard, de même que durant la floraison. Ainsi, dès le mois de septembre (puis durant tous l’automne : novembre et décembre sont aussi deux mois de récolte), les racines d’angélique se déchaussent du sol. Ceci fait, on les lave, on les fend longitudinalement en quatre ou on les tronçonne en rondelles que l’on enfile sur une ficelle. Puis on les fait sécher au soleil (s’il est disponible à ce moment-là) ou dans un local dédié. C’est là une précaution indispensable, sachant que la racine d’angélique contient beaucoup d’eau de végétation (5 kg frais donnent 1 kg sec). Si le local de séchage est trop humide, la dessiccation peut s’en trouver entravée, les racines tronçonnées venant même à pourrir. Puis, même une fois bien sèches, les racines d’angélique se garderont dans un endroit sec, à l’abri de l’humidité, mais également des insectes qui pourraient venir y pondre. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, la racine d’angélique sèche perd (assez) rapidement ses pouvoirs thérapeutiques. Ainsi, une racine sèche doit-elle s’employer dans l’année, au maximum. Il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à utiliser celles ayant plus d’un an (d’où la nécessité de veiller attentivement sur les stocks constitués). Enfin, plus elles conservent longtemps un parfum le plus musqué possible, et mieux c’est. Concernant maintenant les semences, il y a beaucoup moins à dire car les opérations sont beaucoup plus simples. Les pieds d’angélique destinés à la cueillette des graines ne devront faire l’objet d’aucun prélèvement intermédiaire. Il ne faut pas attendre que l’angélique soit trop avancée dans sa fructification pour se soucier d’en recueillir les graines, puisque, comme l’on sait, quand elles sont trop mûres, les semences d’apiacées ont tendance à se perdre au sol. Aussi est-il primordial de rester attentif, quitte à étaler la cueillette sur plusieurs passages et visiter les ombelles pour y prélever uniquement les semences qui commencent à blanchir, puisque, sur une même ombelle, toutes les graines ne sèchent pas à la même cadence. Le séchage n’exige rien de bien particulier : on étale les semences sur un drap, sur du papier, etc., on les place à l’ombre, dans une pièce bien ventilée, et on les retourne de temps à autre. Malgré la relative rareté de l’angélique officinale dans les jardins aujourd’hui, ça n’est pas une plante totalement oubliée des herboristes : certaines bonnes adresses en France délivrent encore des racines sèches et des semences en qualité biologique. En vrac, pour 100 g, il faut compter 11 € pour la racine et 23 € pour les graines (moyennes établies auprès de plusieurs tarifs proposés par des enseignes bio). Quant aux tiges qui concernent la confiserie, elles sont récoltées durant la deuxième année de végétation de la plante, car elles sont alors plus grosses et plus tendres.
  • Culture : vous trouverez de judicieux conseils de culture de l’angélique dans l’ouvrage, certes un peu ancien, d’Antonin Rolet et de Désiré Bouret, Plantes médicinales, pp. 98-100.
  • Une curieuse façon d’utiliser cette plante avait lieu au sein de la Cour des Miracles, à Paris. Le suc de l’angélique est très irritant et les mendiants, le sachant, s’en badigeonnaient les membres afin de volontairement provoquer des ulcères et de se rendre ainsi encore plus pitoyables. Elle contient des substances photosensibilisantes plus connues sous le nom de furocoumarines dont l’une, le bergaptène, se retrouve dans l’essence de bergamote, elle-même photosensibilisante. Il serait possible de la « débergapténiser », comme cela se pratique déjà pour l’essence de bergamote. Mais, d’une, c’est plus cher, et de deux, ces fameuses furocoumarines sont responsables des effets sédatifs et calmants. Il s’agirait alors d’une huile essentielle amputée de certaines de ses propriétés. Quoi qu’il en soit, en cas d’utilisation de plantes aux vertus photosensibilisantes (millepertuis, essences d’agrumes, huiles essentielles d’apiacées, etc.) et que cela soit par usage interne ou externe, pas d’exposition solaire massive car les furocoumarines alliées aux UV créent souvent une réaction de ce type : aïe ! Donc, attention aux expositions solaires prolongées en tel cas. Les précautions à prendre eu égard à l’inconvénient de la phototoxicité de l’angélique portent avant tout sur l’emploi de l’huile essentielle d’angélique, beaucoup moins concernant une infusion de racines ou de semences d’angélique, les furocoumarines étant difficilement extraites par l’eau, même bouillante. En revanche, elles le sont davantage par des substances alcoolisées (vin, eau-de-vie surtout). Un usage inconséquent ou bien normal chez une personne sensible peut amener des cas d’irritation des reins et de l’estomac. On contre-indiquera l’utilisation de l’huile essentielle chez la femme enceinte, la femme qui allaite, les personnes diabétiques et celles affectées de troubles de la coagulation ou susceptibles de prendre des médicaments anticoagulants (du type warfarine, par exemple).
  • Botan avait beau dire que l’huile essentielle d’angélique comptait parmi « l’une des moins toxiques de toutes les plantes à parfum pénétrant »14, il n’en reste pas moins qu’à hautes doses (= deux grammes, ce qui est énorme !), cette huile essentielle provoque maux de tête, stupeur, dépression cérébrale, hématurie, néphrite et éventuellement décès.
  • La pratique de la confiserie française à base d’angélique ne saurait faire oublier les usages culinaires de l’angélique propres à d’autres contrées, très importants puisqu’on considère cette plante comme largement préférable au céleri d’un point de vue alimentaire. Très présente dans les cuisines en Chine et en Scandinavie, la plante y est utilisée des graines à la racine. En Norvège, on avait pour habitude de moudre la racine séchée et de la mêler à la farine de seigle, ce qui avait pour conséquence de rendre le pain obtenu par cuisson de cette pâte plus digestible. Au Groenland, elle est demeurée longtemps l’unique légume disponible. Les Lapons en consomment les feuilles cuites dans du lait de renne et conservent le poisson dans ces mêmes feuilles, alors qu’en Alaska, la racine est consommée après cuisson à l’eau. En Sibérie, on mange les tiges en compagnie de pain et de beurre. Par ailleurs, les usages sont multiples. On utilise la plante entière : feuilles (en compote avec des fruits acides, « thé » ; il est possible de les cuire, ce qui en renforce l’amertume. Afin d’obvier à cet inconvénient, il est préférable de les blanchir), jeunes pousses (en salade, potage, farce, sauce), racines (en légume, cuites à la vapeur ou à l’eau : à blanchir deux ou trois fois, ce qui n’est pas très économique), graines (en liquoristerie, brasserie et pâtisserie), fleurs (pour aromatiser les pâtisseries, les salades de fruits, les crèmes, etc.). On compte encore bien d’autres préparations faisant appel à l’angélique  : confitures, bonbons, sirops, vins aromatisés, etc.
  • Petit focus en ce qui concerne la liquoristerie. Avant même que de devenir une boisson que l’on prend en fin de repas, une liqueur est avant tout un élixir médicinal. Ainsi, il en va de la Chartreuse et de la Bénédictine qui sont deux élixirs qui s’invitent davantage sur nos tables que dans l’armoire à pharmacie aujourd’hui, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Cependant, passer du sacré au profane fait souvent tomber dans la vulgarité. Bien d’autres spécialités spiritueuses, liqueurs et alcools composèrent avec l’aromatique angélique : l’eau de mélisse des Carmes, la Suze, le Vermouth de Turin, le Raspail, le Vespetrò savoyard, la liqueur du Mont-d’Or (à proximité de Lyon), etc.
  • Autres industries nécessitant les bons services de l’angélique : la parfumerie, la cosmétique et la savonnerie.
  • Autres espèces d’angéliques européennes : l’angélique des bois (A. sylvestris), l’angélique de Bernard (A. sylvestris ssp. bernardiae), l’angélique des estuaires (A. heterocarpa), l’angélique de Razouls (A. razulii), l’angélique des Pyrénées (A. pyrenaea), l’angélique à feuilles de yèble (A. ebulifolia). Parmi les angéliques asiatiques, on cite souvent l’angélique chinoise (A. sinensis) dans la littérature (c’est le danggui de la médecine traditionnelle chinoise). Davantage plébiscitée que le ginseng en Chine, il pèse sur cette angélique une pression trop considérable pour qu’on choisisse de faire appel à son aide. Du côté de l’Amérique septentrionale, l’on constate l’existence de l’angélique noire pourpre (A. atropurpurea), également médicinale et comestible.

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  1. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 70.
  2. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 47.
  3. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 32.
  4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 86.
  5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 60.
  6. Annie-Jeanne & Bernard Bertrand, La cuisine sauvage des haies et des talus, p. 37.
  7. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 220.
  8. Pierre-Henri-Hippolyte Bodart, Cours de botanique médicale comparée, Tome 1, p. 199.
  9. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 2, p. 405.
  10. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales, p. 100.
  11. John Donne, Poèmes sacrés et profanes, p. 161.
  12. Matthew Wood, Traité d’herboristerie énergétique, p. 158.
  13. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 47.
  14. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 17.

© Books of Dante – 2023


L’huile essentielle de géranium rosat (Pelargonium graveolens)

Ce n’est pas mon huile essentielle favorite, mais comme j’avais tout un tas d’informations nouvelles à son propos, le géranium rosat est repassé sur le métier. Bienvenue dans cette version augmentée, détricotée, etc. de l’huile essentielle de géranium rosat.

Belle lecture à toutes et à tous, bon week-end et à bientôt :)

Gilles



Synonymes : géranium rose, mauve rose.

Si le géranium rosat a, grâce à la main de l’homme, diversifié ses parfums1, il était initialement cantonné au sud du continent africain, région où s’implantèrent de manière définitive plusieurs ressortissants de pays européens dans le courant du XVIIe siècle. C’est aux environs de 1690 que provinrent, de la région du cap de Bonne-Espérance, les premiers spécimens de géraniums africains en Europe. Ce n’est que bien plus tard, en 1819, que le pharmacien français César Auguste Recluz (1799-1873) obtint, par distillation de la plante, l’huile essentielle de géranium rosat, alors qu’il étudiait la pharmacie à Lyon. Il fallut attendre une trentaine d’années avant que ne soit décidé le début de la culture du géranium rosat dans une visée industrielle. Ainsi rejoignit-il orangers, violettes et narcisses dans la région de Grasse et de Pégomas, ainsi qu’en quelques points du Var et de la Provence. Sans être une échec, l’expérience rencontra des difficultés insolubles (investissements excessifs pour un rendement faible et incertain). C’est pourquoi on transposa cette culture à la Corse et aux colonies françaises d’alors toutes proches (Algérie, Tunisie, Maroc). Dans le cadre de la culture des plantes à parfums, on expédia le géranium sur l’île de la Réunion aux alentours des années 1865-1870. Cultivé en particulier dans la région de la Petite France à l’ouest de l’île, un travail patient de sélection permit d’accéder à une variété qu’on connaît depuis sous le nom de géranium Bourbon (en rapport avec le nom que porta l’île de 1649 à 1793, date à laquelle on déchut ce nom d’ancien régime au profit de celui plus révolutionnaire de Réunion). On peut dire que ce fut un succès, puisque la qualité de l’huile essentielle de géranium rosat type Bourbon produite sur le territoire réunionnais (ainsi que malgache, non loin de là) surpassait celle des huiles distillées dans le bassin méditerranéen. Également inspirés, des pays comme la Turquie, l’Italie et l’Espagne naturalisèrent le géranium rosat sur leur territoire. Il fut même cultivé dans des pays auxquels on ne pense pas dès lors qu’il est question de géranium rosat : l’Autriche et le sud de l’Allemagne (il faut se méfier des zones à tendance gélive, le géranium, peu rustique, ne supportant pas des températures inférieures à 5° C). Il s’écarta même plus à l’est, puisqu’on le retrouve encore aujourd’hui en Égypte, et bien plus loin, en Chine (Yunnan), où il produit une huile essentielle beaucoup plus riche en citronnellol, ce qui en fait un produit assez différent des huiles essentielles d’origine africaine.

Son parfum âcre, pas des plus agréables, lui a valu un dicton selon lequel quand le géranium est là, le serpent ne vient pas. Présomptueux ? Encore faudrait-il se renseigner sur la nature exacte dudit serpent. Quoi qu’il en soit, autrefois, dans les campagnes, on pensait fermement que les plantes à odeur forte permettaient de repousser les parasites. La langue de vipère n’en est-elle pas un ? Le jardinier Michel Lis nous apprend qu’en « Italie, les loquets des portes sont une fois par an frottés avec du géranium frais pour tenir à distance les voleurs »2. Peut-être parle-t-il du géranium qui fleurit au balcon et dont l’objectif – on l’oublie assez souvent – n’est pas qu’ornemental : il éloigne les indésirables moustiques voleurs de sang, de même que son cousin africain, Pelargonium graveolens, dont l’huile essentielle, diffusée près d’une porte d’entrée, en écarte généralement d’autres importuns : les voisins casse-pieds qui en font le siège, par exemple ^.^

Il était nécessaire, je pense, de faire le distinguo entre le géranium des fleuristes et le soi-disant « géranium » qui fait l’objet de cet article d’aromathérapie. Ce géranium rosat est une plante vivace qu’il faut imaginer vivre dans la nature, au sein de son biotope naturel (sud de l’Afrique). Grâce à une souche ligneuse (c’est-à-dire qui fabrique du « bois »), il peut atteindre plus d’un mètre de hauteur, ce qui lui donne l’allure d’un gros buisson, impression renforcée par une profusion de tiges rameuses très feuillues. Ses feuilles alternes sont généralement très découpées (selon cinq à sept lobes), dentelées, crépues et duveteuses. Si l’on y regarde de plus près, on peut constater que tiges et feuilles comportent deux façons de poils : les premiers, très fins, longs et effilés, en dissimulent d’autres plus courts, épais à la base, renflés à leur sommet : ce sont les véritables poils sécréteurs de la plante, c’est-à-dire abritant des poches d’essence aromatique que l’on brise quand on froisse la plante qui imprègne alors les doigts d’une douceâtre odeur de rose citronnée. Quant à la floraison, elle intervient diversement selon le climat et l’aire géographique : d’avril à octobre pour la plupart des pays tempérés, elle est par exemple plus précoce en Algérie (mars). Les ombelles capitulées du géranium rosat se composent de fleurs à cinq pétales dont les supérieurs sont le plus souvent roses ou pourpres et les trois inférieurs striés de lignes rouge sang. Très parfumées, elles participent à la renommée aromathérapeutique du géranium rosat.



Pelargonium graveolens par Pierre-Joseph Redouté paru dans le Geraniologia de Charles Louis l’Héritier de Brutelle (1787-1788).


L’huile essentielle de géranium en aromathérapie

La culture du géranium rosat, soumise à bien des facteurs décisifs et cruciaux, permet d’obtenir des produits dissemblables non seulement en raison de l’implantation géographique, même si l’on consent à accorder qu’elle compte pour beaucoup, mais également en fonction de caractères comme l’exposition solaire, la quantité de chaleur reçue dans l’année, l’altitude, la protection face aux vents, la sensibilité vis-à-vis d’un excès d’humidité hivernale ou d’une extrême sécheresse estivale, etc. Soit tout un panel de critères qui ne dépendent pas du bon vouloir du cultivateur. A cela, s’ajoute ce qui peut être de son propre ressort : l’installation du géranium rosat sur telle ou telle parcelle de sol (de préférence calcaire, profond et riche en humus), la qualité de la fumure (un sol trop engraissé risque de fabriquer beaucoup de feuilles proportionnellement peu riches en essence, contrairement aux sols légers et sablonneux), le contrôle de l’arrosage… Des facteurs climatiques, culturaux et anthropiques sont donc à l’origine de la naissance d’une huile essentielle de géranium rosat de qualité (ou pas). Il y a un siècle, on comptait encore la France (avec la Corse) et l’Espagne comme les principaux fournisseurs de l’industrie de luxe en huile essentielle de géranium rosat de haute qualité, alors que celles en provenance du Maghreb et de la Réunion étaient jugées « ordinaires ». Les choses ont depuis bien évolué, puisque nombreux sont ceux qui estiment l’huile essentielle de géranium rosat de la Réunion (voire de Madagascar) comme le nec plus ultra en matière de géranium rosat, qu’on dit alors spécifiquement « bourbon » dans ce cas (comme un cru de vanille). Il est fort probable que ce jugement métropolitain d’autrefois ait été motivé par un sentiment cocardier qui ne parvenait pas, alors, à compter la Réunion au nombre des possessions françaises (j’ai vu des auteurs parler de cette île comme de « l’étranger » !). Quant à la récolte, elle est inféodée, elle aussi, à des impératifs climato-météorologiques. Par exemple, à l’époque où la culture du géranium était encore d’actualité du côté de Grasse et dans un certain nombre de départements méridionaux, on procédait généralement à la récolte en août/septembre (avec parfois une seconde coupe en octobre/novembre). En Corse, où le climat est plus favorable au géranium, on le récoltait une première fois en mai, puis en août, et éventuellement une troisième fois en septembre/octobre. En cela, la Réunion se voit privilégiée, car les récoltes sont échelonnées toute l’année : printemps, été et automne. Selon la saison, le rendement varie, ainsi que la qualité globale du produit : proche de 0,10 % en avril, il double en été, pour revenir en automne à son niveau printanier. Malgré cela, on continue d’affirmer que la première récolte de l’année offre la meilleure qualité d’huile essentielle.

On fauche à la faucille le géranium par temps sec, le soir, ce qui permet d’éviter un début de dessiccation des feuilles, tout en prenant soin de ne pas trop bousculer le végétal dont les feuilles peuvent facilement se détacher. Sans plus attendre, on procède à la distillation, afin d’éviter à la matière verte de s’échauffer et de fermenter, ce qui lui ferait immanquablement perdre une partie de sa valeur. On privilégie uniquement les feuilles seules ou plutôt les rameaux fleuris, à l’exclusion des tiges ligneuses qui entravent plutôt le bon déroulement des opérations. Après une épreuve de distillation à basse pression dont la durée s’étale de 90 mn à 3 heures, l’on obtient une huile essentielle liquide et limpide, de densité comprise entre 0,885 et 0,905, en très faible quantité, le rendement oscillant entre 0,15 et 0,35 %3. Fréquemment jaune très pâle, elle peut faire porter à sa robe des couleurs plus soutenues allant du vert jaunâtre à des jaunes brunâtres plus prononcés. Puis l’huile essentielle est filtrée à l’abri de la lumière, serrée dans des flacons bien hermétiques placés dans un endroit frais et sombre, afin qu’elle y « mûrisse » Selon sa provenance, il est bien évident que l’huile essentielle de géranium rosat présente des variations biochimiques. Grâce à plusieurs chromatographies en phase gazeuse portant sur des lots d’huiles essentielles biologiques, je puis fournir un ensemble de données. Voici quelques-unes des principales molécules contenues dans l’huile essentielle de géranium rosat (on en compte, au total, de 170 à 190).

  • Monoterpénols (53,50 %) dont : citronnellol (33,15 %), géraniol (13,50 %), linalol (4,80 %)
  • Esters (15 %) dont : formiate de citronnellyle (8 %), formiate de géranyle (2,70 %)
  • Cétones (7,50 %) dont : menthone (2 %), isomenthone (5,20 %)
  • Sesquiterpènes : 7,30 %
  • Monoterpènes : 1,40 %

On observe un trait commun à cette huile essentielle et à celle de rose de Damas : elles contiennent chacune un tiers de leur masse de citronnellol (à ne pas confondre avec le citronnellal, un monoterpénal présent dans les huiles essentielles d’eucalyptus citronné, de citronnelle de Java, etc.), et à peu près la même quantité de géraniol (autour de 15 % en moyenne). Cependant, il reste un grand écart moléculaire de l’une à l’autre. Cela n’a pourtant pas dissuader les gens de percevoir dans le parfum de l’huile essentielle de géranium comme une odeur de rose, d’où l’adjectif rosat, c’est-à-dire « relatif à la rose ». Rosat est le terme générique qu’on associait à l’ensemble des préparations magistrales (huile, vin, vinaigre, miel, sucre, cérat, glycérolé, beurre, onguent…) qui comptaient pour ingrédient végétal exclusif (quoique pas toujours) la rose (peu importe laquelle, en vérité : rose rouge de Provins, rose pâle, etc.). Si c’est un adjectif bien pratique qui permet d’identifier facilement les produits dits « rosats », il est en revanche trompeur en ce qui concerne l’huile essentielle de géranium rosat qui, bien évidemment, ne contient absolument pas d’huile essentielle de rose, mais dont le parfum s’en approche un peu (quand on expose l’huile essentielle de géranium à l’air, elle gagne encore un peu en ressemblance avec celle de rose de Damas). Afin de marquer cette proximité, il a été décidé d’utiliser le mot rosat qui, sans doute, crée moins de confusion que le seul mot « rose », si jamais on devait l’associer au substantif « géranium ». Déjà que rien n’est simple dans le monde des géraniums/pélargoniums, n’ajoutons pas davantage de complexité et contentons-nous de ces quelques explications. Malheureusement, cette promiscuité olfactive a engagé des personnes peu scrupuleuses sur le chemin de la malhonnêteté : comment – même avec un rendement aussi chiche – est-il possible d’exploiter l’huile essentielle de géranium pour la faire passer pour de l’huile essentielle de rose, beaucoup plus onéreuse à l’achat ? Eh bien, en la falsifiant par divers moyens : essence de térébenthine, alcool phényléthylique, essence de gurjum (ce qui est très curieux, vu que cette huile essentielle ne contient pas une once de citronnellol et de géraniol…), géraniol synthétique, etc., chaque époque ayant ses méthodes. Aussi, voyons un peu comment les opérations se déroulaient en Turquie au XIXe siècle par exemple : on fraudait l’huile essentielle de rose avec de l’essence de géranium à laquelle on mêlait une certaine part de blanc de baleine (ou spermaceti, substance contenant divers triglycérides et cires), afin d’assurer à l’ensemble une cristallisation factice (on se rappellera que cette huile essentielle se « fige » en-dessous de 18° C). Vu que l’huile essentielle de géranium rosat coûtait alors huit à dix fois moins cher que celle de rose (ce qui, au reste, n’a guère changé de nos jours), on se livrait plus facilement qu’aujourd’hui à ce honteux commerce (à l’heure qu’il est, on dispose des chromatographies en phase gazeuse afin de se prémunir de telles ruses condamnables). Servant le faussaire, l’huile essentielle de géranium rosat est, elle aussi, l’objet de pratiques frauduleuses ! Le peu de géraniol qu’elle contient ne lui permet pas de tenir la comparaison avec les huiles essentielles de thym vulgaire CT géraniol (65 %), de palmarosa (ex « palma rosat » ; 80 %) ou encore de monarde (90 %). Ce n’est donc pas de là que provient le coupable. Pour la contrefaçon, compte tenu que l’on perçoit des notes citronnées dans l’huile essentielle de géranium rosat, qui appelle aussi un fond doux et sucré de litchi, quoi de plus simple que d’alimenter le marché par de fausses huiles essentielles de géranium rosat obtenues à partir de ces produits qui valent trois fois rien que sont les cymbopogons ? Lemongrass, gingergrass, citronnelles de Java et de Ceylan viennent donc au secours du contrefacteur !

Le géranium rosat subit parfois l’épreuve de l’enfleurage à froid, procédé permettant la fabrication d’un absolu spécifiquement réservé à la parfumerie. Ne nous étalons donc pas sur ce sujet et poursuivons en direction des propriétés et usages.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique majeure (cette huile essentielle est par exemple capable de lutter contre les moisissures allergisantes présentes dans les habitations), antiparasitaire (vermifuge), antiseptique
  • Tonique veineuse et lymphatique, décongestionnante hémorroïdaire
  • Diurétique, tonique urinaire
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Antispasmodique, relaxante, apaisante, calmante, régulatrice du système nerveux
  • Neurotonique, immunomodulante, stimulante des cortico-surrénales
  • Astringente cutanée, cicatrisante, régénérante et antiseptique cutanée, rééquilibrante de la sécrétion de sébum
  • Soutien du système reproducteur chez la femme, du cycle menstruel et de la ménopause
  • Stimulante hépatopancréatique, antidiabétique
  • Insectifuge (pou, puce, tique, moustique ; elle peut être secondée par l’une des nombreuses autres huiles essentielles qui œuvrent dans ce domaine : palmarosa, eucalyptus citronné, niaouli, citronnelles, etc.)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, spasmes gastro-intestinaux, gastro-entérite, ulcère gastrique, « brûlure » d’estomac, douleur gastrique, vers intestinaux chez l’enfant et l’adulte (ascaride, oxyure), colite, candidose intestinale
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hémorroïde et prurit hémorroïdaire, prévention des varices et des phlébites, jambes lourdes, œdème, lymphœdème, rétention d’eau, insuffisance lymphatique, hypertension, couperose, syndrome de Raynaud, saignement de nez
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : candidose urinaire , lithiase urinaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie utérine, ménorragie, dysménorrhée, vulvite, prurit vulvaire, mycose gynécologique (candidose vaginale), endométriose (ralentir l’hyperfolliculinie), syndrome prémenstruel, symptômes de la ménopause, douleur et engorgement des seins, mastite, mastose, infertilité, frigidité
  • Troubles de la sphère génitale masculine : impuissance, congestion et hypertrophie de la prostate
  • Troubles de la sphère respiratoire : sinusite, hémoptysie, angine
  • Troubles locomoteurs : douleur lombaire, tendineuse et musculaire, tendinite, névrite, arthrite, rhumatisme ostéo-articulaire, pieds fatigués et douloureux
  • Affections bucco-dentaires : aphte, stomatite, glossite, candidose
  • Affections cutanées : plaie, plaie de cicatrisation difficile, ulcère (y compris variqueux), dartre, eczéma sec, psoriasis, furoncle, mycose (cutanée, sous-unguéale), acné, impétigo, croûte de lait, coupure, brûlure, bleu, ecchymose, engelure, vergeture, vieillissement cutané (rides et ridules, peau fatiguée et dévitalisée), peau grasse, sèche et/ou déshydratée, transpiration excessive, piqûre d’insecte, coup de soleil, cheveux gras ou secs
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse, agitation, peur, phobie, trac, timidité, crise émotionnelle (avec état de choc), troubles du sommeil, insomnie, fatigue (nerveuse, psychique et intellectuelle), surmenage, manque de tonus psychique, apathie
  • Fatigue physique, asthénie
  • Diabète, atonie pancréatique
  • Utilité dans la désaccoutumance tabagique et alcoolique

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Dans cette huile essentielle, on peut remarquer deux éléments principaux : le Feu (en majorité, cf. les monoterpénols) et l’Eau (en minorité, cf. les esters et les sesquiterpènes). Ces deux éléments nous permettent de nous diriger vers deux méridiens : celui du Triple Foyer (Feu) et celui des Reins (Eau).

Commençons par le premier de ces méridiens afin de superposer médecine traditionnelle chinoise et aromathérapie à « l’européenne ». Tout d’abord, nous pouvons dire que ce méridien est un transporteur (de sang, d’énergie, de liquides organiques…), un régulateur et un éliminateur. Il s’oppose donc à la formation des « stases », c’est-à-dire des états d’immobilité, ce en quoi on retrouve bien l’huile essentielle de géranium rosat dans ce portrait. En effet, nous l’avons dit veinotonique et lymphotonique. Par exemple, dans ce cas, une « stase » serait un œdème, de la rétention d’eau, etc. Lorsqu’un dysfonctionnement affecte le méridien du Triple Foyer, apparaissent de l’apathie, une asthénie, de la fatigue, un manque d’entrain. Or l’huile essentielle de géranium rosat, neurotonique, stimulante des cortico-surrénales (elles sont en relation avec le méridien des Reins), immunomodulante, permet, justement, de contrecarrer ces manifestations.

D’un point de vue psycho-émotionnel, si ce méridien présente une insuffisance énergétique, on observe un manque de gaieté ainsi que des capacités intellectuelle plus faibles qu’à l’habitude. En revanche, si l’on distingue un excès, il peut alors être associé à de l’irritabilité, de l’excitation, de l’agitation, etc., chose que l’huile essentielle de géranium rosat est capable d’engourdir (elle est, rappelons-le, apaisante et calmante).

Enfin, se préoccuper de l’état de ce méridien peut trouver son utilité dès lors qu’on rencontre des difficultés à faire la part des choses entre préoccupations matérielles (yin) et spirituelles (yang). C’est peut-être ce qui a fait dire à certains que l’huile essentielle de géranium rosat était une harmonisante du yin et du yang… (Précisons, au passage, que ce méridien est yang et que le suivant est yin…)

Passons donc maintenant en revue le deuxième méridien qui s’impose à nous lorsqu’on évoque l’huile essentielle de géranium rosat. Parmi les pathologies associées au dysfonctionnement du méridien des Reins, nous en rencontrons un grand nombre déjà évoquées dans la section « Usages thérapeutiques » : lithiase, rétention d’eau, lombalgie, douleur articulaire et musculaire, fatigue générale, cortico-surrénales en berne. L’on voit donc, au travers de cet exemple, que l’huile essentielle de géranium rosat est susceptible de corriger les troubles physiques provoqués par une perturbation de ce méridien. Bien sûr, les troubles émotionnels ne sont pas oubliés. Ainsi, les peurs, angoisses, phobies, trac, effets d’une timidité excessive, etc. sont-ils justiciables de l’emploi de l’huile essentielle de géranium rosat.

En ce qui concerne les chakras auxquels cette huile essentielle peut s’appliquer, il s’en trouve un dont le mauvais fonctionnement peut entraîner des difficultés de perception visuelle : le chakra du troisième œil. Il fait directement référence à la couleur indigo, qui se trouve être la couleur de l’aura des deux huiles essentielles de géranium rosat que j’ai testées à l’occasion. La couleur opposée et complémentaire à l’indigo sur le disque chromatique est un mélange d’orange et de jaune. Au jaune, on lie le chakra du plexus solaire et au orange celui qu’on appelle sacré.

« Le parfum [de l’huile essentielle de géranium rosat] passe pour rendre ardent et aventureux »4, mais communique aussi une sorte de plénitude calme et confiante, ainsi qu’une présence généreuse.

Modes d’emploi

  • Voie orale : mode d’administration le moins souvent consenti, mais néanmoins envisageable : trois fois trois gouttes par jour sur une durée réduite à une semaine. On place les gouttes sur un comprimé neutre, dans une cuillerée d’huile d’olive, de miel, de purée d’amandes, etc.
  • Diffusion atmosphérique, olfaction.
  • Voie cutanée : pure en geste d’urgence, mais diluée le plus souvent à hauteur de 5 % pour le visage et 17,50 à 20 % maximum pour le reste du corps.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Huile essentielle à bonne tolérance cutanée en temps normal. Mais il existe quelques exceptions à cette « règle » : j’ai, par exemple, souvenir d’une pénible expérience avec cette huile essentielle. Bien que diluée, son application cutanée ne s’est alors pas fait sans mal. Surgirent sensation de chaleur, rougeur et érythème douloureux persistant sur une bonne partie du visage. Depuis, je n’utilise plus que l’hydrolat aromatique de géranium rosat en ce qui concerne le visage. Cette huile essentielle, que j’utilise très peu, ne m’occasionne par ailleurs aucun désagrément.
  • L’huile essentielle de géranium rosat, malgré tout les bons services qu’elle apporte à la femme, ne fait pas très bon ménage avec celle qui est enceinte. Elle est régulièrement présentée comme étant un produit à employer avec prudence dès le quatrième mois, mais jamais durant ceux qui précèdent.
  • L’huile essentielle de géranium rosat est déconseillée en cas de phlébite avérée.
  • Les feuilles fraîches de géranium rosat sont comestibles. Il est possible de les utiliser comme matière aromatique en cuisine.
  • Nombreux sont les produits de parfumerie, cosmétique, savonnerie et hygiène qui font appel au pouvoir odoriférant du géranium rosat. Gageons que de l’une aux autres on ne fasse pas intervenir les mêmes types d’huiles essentielles. Si elle peut s’avérer presque nécessaire à la parfumerie (qui est pour moi un luxe bien superflu), il est en revanche peu utile de faire intervenir cette huile essentielle (même de piètre qualité) dans les produits d’hygiène. Cela s’apparente plus à du gaspillage qu’à toute autre chose.
  • Le géranium rosat fait partie de ces plantes qu’on utilise exclusivement sous forme d’huile essentielle sous nos latitudes. N’étant pas une plante indigène, cela en explique la raison. Mais ce géranium ne se borne pas qu’à un seul usage aromathérapeutique. A l’instar du ravintsara malgache et de l’arbre à thé australien, le géranium rosat est utilisé par les pharmacopées locales, par le biais de ce que nous nommons phytothérapie. Son absence sur le sol français limite nécessairement cet usage. Cependant, l’on peut tout de même indiquer quelques données à ce sujet, qui concernent essentiellement des applications externes à base de feuilles de géranium rosat : infusion de feuilles (contre angine, stomatite, glossite), décoction de feuilles (névralgie faciale, douleur gastrique, douleur lombaire, engorgement des seins, dartre, eczéma, œdème des membres inférieurs…), feuilles écrasées et pilées (sur coupure, plaie, ophtalmie, engelure) ou mêlées à de l’huile d’olive comme pommade (sur inflammations des seins, en cas de pédiculose…).

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  1. Chez le pépiniériste, on peut le rencontrer, ainsi que ses nombreuses variétés : ces cultivars généralement annuels sont des espèces très parfumées, fruits d’un travail horticole et d’hybridations multiples et répétées. C’est ainsi que, d’une variété à l’autre, en en froissant très légèrement les feuilles, on perçoit un parfum différent : citron, orange, pomme, abricot, carotte, eucalyptus, pin, cèdre, noix de coco et même chocolat ! Le hic, c’est que sous nos latitudes, ils ne deviennent pas pérennes : on est dans l’obligation de s’en servir dans l’année et d’en faire sécher les feuilles avant que la plante entière ne fane et ne vienne à mourir.
  2. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, p. 70.
  3. Autrefois, pour augmenter le rendement, on agitait l’hydrolat aromatique de géranium rosat obtenu en queue de distillation avec un extractif, l’éther de pétrole. Cela permettait, sur cent litres d’hydrolat, de retirer encore 20 g d’essence qui, s’ajoutant aux 160 obtenus par la distillation de 100 kg de géranium, portait le rendement à pas loin de 0,20 %, ce qui reste bien faible, à l’image de la rose qu’on cohobe de la même manière que le géranium rosat.
  4. Antonin Rolet, Plantes à parfums et plantes aromatiques, p. 207.

© Books of Dante – 2023


Rosa


Festival de la rose dans les jardins de Lucky Rose à Dobrudzha (Bulgarie).


A l’heure où point la masse encore indistincte du Soleil à l’Orient, les dernières étincelles de rosée ont abandonné l’immensité du champ planté de rosiers de Damas. La cueillette matinale qui s’apprête à se dérouler ici, manuelle bien entendu, doit s’effectuer aussi rapidement que possible, sans pour autant brusquer la plante, afin que les pétales de la précieuse fleur soient absolument protégés de l’oxydation. Dans un mouvement sec, l’on rompt le pédoncule des roses et l’on répète ce geste des milliers de fois. Après avoir retiré calices, débris et insectes qui s’y cachent encore, l’on entrepose les pétales de rose de Damas en chambre froide durant deux à trois jours, afin de favoriser – par une fermentation légère induite par le froid – des modifications biochimiques à l’intérieur de la structure des pétales.

Enfin vient l’heure bénite de la distillation. Quelle autre plante peut se targuer de soumettre ses si fragiles pièces florales à la morsure de l’hydrodistillation qui, bien qu’elle ne soit pas menée à feu nu, est une véritable épreuve pour le si délicat pétale de rose ? Oui, quelle autre fleur ? L’ylang-ylang, par exemple. Mais il y en a bien peu. C’est alors un exercice minutieux qui attend la rose, ne durant généralement pas moins de 75 mn, pas plus de 90, mais jamais davantage, sans quoi l’on court le risque de la catastrophe ! Puis s’écoule le précieux liquide dans le vase florentin : une huile éthérée jaune pâle aux reflets parfois vert clair et dont la densité de plume d’oie oscille entre 0,83 et 0,87. Ainsi, on obtient l’essence directe, ou indirecte si l’on procède à la cohobation, c’est-à-dire à une seconde phase de distillation de l’eau florale obtenue lors de la première passe. Cela permet habituellement d’augmenter le rendement qui, sans cela, resterait extrêmement faible (déjà que !). Sachant que quatre à six tonnes de pétales de rose de Damas sont nécessaires pour obtenir un tout petit litre d’huile essentielle, je vous laisse imaginer le nombre de millions de fleurs que cela représente !

Une fois que l’on se retrouve face au produit fini, attend l’étape de l’analyse biochimique : l’on pourrait en rester au seul fait que les monoterpénols y règnent en maîtres (60 % dont citronnellol, géraniol et nérol), loin devant les alcanes (15 % dont heptadécane, nonadécane, etc.). Mais cela serait oublier l’extrême prodigalité de cette huile essentielle, puisque, en plus de ces quelques molécules citées, on en dénombre plusieurs centaines d’autres, dont certaines en si faible proportion qu’on peut se demander si on ne les a pas rêvées, ce qui ne serait pas surprenant, tant la rose de Damas, sous ses airs de grande dame respectable, sait être farceuse. Tenez, d’ailleurs, parmi l’un de ses tours favoris, il y a celui qui la voit se figer en adoptant une texture « cristallo-gélatineuse » quand elle est exposée à une température de 15 à 18° C, tandis qu’une douce chaleur clémente (supérieur à 22° C) lui permet généralement de se détendre et, de même que la femme alanguie par une trop intense pâmoison, de se liquéfier littéralement ^.^

© Books of Dante – 2022

L’âme de la plante


Maurice Maeterlinck, Le Trésor des Humbles (essais),

édition Fasquelle, 1959.


Le parfum d’une fleur est-il son âme, comme le prétendait Maurice Maeterlinck ? En ce cas, quid des plantes aux fleurs sans odeur (pour d’humaines narines !…). Peut-on, à toutes celles-la, leur dénier une âme ? Seules celles qui s’expriment par l’ineffable mystère de leur parfum, magnifiant notre propre âme, en détiendrait donc également une ? C’est réduire ce groupe à peau de chagrin, en considération de la totalité des plantes qui peuplent la Terre et qui ne sont si rose ni violette, encore moins tubéreuse ou mimosa.

Outre leur nombre infiniment réduit, « ces fragiles ornements de la Terre » sont soumis à rude épreuve dès lors qu’elles tombent sous le regard du parfumeur. De grandes masses soyeuses et satinées sont précipitées au devant des alambics, renvoyant à l’ère des machines sans âme les rangées d’appareils fourbis et prêts à l’attaque. Et l’on se surprend de l’énormité des moyens techniques mis en œuvre pour arracher à la plante le secret de son cœur mystique : voyez-vous la volumineuse cuve métallique accouchant, larme après larme, d’une si faible quantité d’huile essentielle parfois « plus coûteuse qu’une gelée de perles » ? N’est-ce d’ailleurs pas folie que cette procédure ? Le peu que l’on obtient face à l’immensité des moyens réquisitionnés pour ce faire n’offre-t-il pas le même contraste que l’activité minière qui concasse une tonne de roche, jusqu’à la pulvérulence, pour n’en tirer que quelques grammes d’un quelconque métal précieux ? La Nature n’a-t-elle pas procédé par ordre et intelligemment en diluant les essences aromatiques par petites fractions dans les tissus des plantes, que l’homme cherche coûte que coûte à réunir en masses conséquentes, quitte à meurtrir des milliers de cœurs ? Et tout cela pour, de nouveau, les diluer quant il procédera à ses coûteuses et complexes opérations réalisées dans son laboratoire de parfumeur !…

Tout cela est-il bien naturel ? Arroseriez-vous votre plante fétiche avec un arrosoir rempli d’eau bouillante ? Assurément non. Aussi, pourquoi considérer que l’hydrodistillation le soit, naturelle ? N’est-ce pas plutôt une technique barbare ? Comment, face à un tel supplice, ne pas s’imaginer l’âme de la plante disparaître au point qu’il faille l’enfermer, à l’instar du génie dans sa lampe, dans un flacon de cristal afin de ne pas risquer son envol définitif vers d’autres cieux ? Mais comme les huiles essentielles peuvent révéler à nous-même le sublime, nous nous permettrons ce sacrifice que nous ne concevrons pas autrement qu’encadré et mesuré, car même à petites doses les huiles essentielles encouragent le divin dans notre âme.

© Books of Dante – 2022

L’aneth (Anethum graveolens)

L’aneth n’est pas que le simple succédané du fenouil, sans quoi l’on pourrait légitimement se demander ce qu’il fait bien au monde. Non, c’est bel et bien une espèce à part entière qu’il importe d’étudier sous un angle exclusif sans avoir constamment le besoin de dire : « L’aneth est comme l’anis, l’aneth est comme le fenouil, etc. » Insistons donc sur ce qui le singularise. Accepterions-nous un tel traitement ? Il n’y a guère de temps, untel m’a apostrophé en me disant que je ressemblais à tel autre. J’ai bien assez d’être moi pour avoir le temps d’être un autre, non mais ! ^.^

Bref, faisons bon accueil à l’aneth qui sera ici abordé autant du point de vue de la phytothérapie que de celui de l’aromathérapie.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles


Synonymes : anet, fenouil bâtard, fenouil puant, faux anis, ecarlade, écarlate.

Probablement issu du Proche-Orient (Perse ?) et de l’Asie centrale méridionale, l’aneth s’est propagé (oui, c’est un mot masculin) au Caucase et à l’Égypte dans un premier temps. (Même si à ces déplacements l’on peut en ajouter d’autres : des fouilles en pays helvète ont révélé la présence de graines d’aneth néolithiques. Par ailleurs, bien qu’endémique à l’Europe méridionale, des restes d’aneth ont été découverts parmi les ruines de maisons romaines en Grande-Bretagne, ce qui atteste de la percée septentrionale de l’aneth au cours des siècles encadrant la naissance du Christ.) En Égypte, cette plante donnée contre la douleur, fut inscrite au sein du papyrus Ebers (XVIe siècle avant J.-C.). Du côté des Grecs, on vit l’aneth entre les mains d’Hippocrate et de Dioscoride, ce qui est la preuve qu’il posa le pied sur le sol européen bien avant le début de notre ère (si l’on en croit le Nouveau Testament, Matthieu XXIII, 23, on connaissait déjà l’aneth en tant que plante potagère chez les Israélites). Mais déjà, pointaient les premières contradictions : Dioscoride concédait à l’aneth la vertu de « dessécher le sperme », tandis que d’autres composèrent un remède à base d’aneth, de fenouil et de racine de verveine dont le but avéré était de combattre la stérilité féminine ! Alors que ces mêmes Grecs tirèrent de l’aneth un remède contre l’insomnie (paraît-il que se couvrir les yeux de feuilles d’aneth accélère l’endormissement), du côté des Romains, « les gladiateurs le mêlaient à leurs aliments pour augmenter leurs forces »1. Plus précisément, ils prêtaient à l’huile d’aneth la capacité d’assouplir et de fortifier leurs membres. Tout cela peut paraître, effectivement contradictoire si l’on ignore que l’aneth est tout à la fois une plante sédative et stimulante. En tous les cas, dans le monde gréco-romain, l’aneth était pris en bonne part : Virgile (Bucoliques, II) campait une naïade cueillant, en compagnie de violettes, de pavots et de narcisses, des brassées d’aneth (que certaines traductions donnent comme étant du fenouil ; dans les deux cas, Virgile ne nous explique pas à quoi cette naïade destine toutes ces fleurs…). Peut-être aux usages que Roques confiait à ses lecteurs : « Les Romains se couronnaient d’aneth dans les festins, à cause de sa bonne odeur .[…] Quant aux Grecs, ils « n’estimaient pas moins l’aneth. D’après Alcée et Sapho, ils se parfumaient les cheveux, le cou, la poitrine, les mains avec cette plante aromatique »2. Loin des tables et plus près de l’officine, l’aneth était aussi reconnu comme plante médicinale autant par les Grecs que par les Romains. Ce sont avant tout ses excellents effets sur la sphère gastro-intestinale qui furent mis à profit, l’aneth étant effectivement anti-vomitif, carminatif, apte à chasser les coliques. On lui concéda aussi d’autres vertus évacuatrices : il est diurétique, galactogène et facilite plus sûrement l’accouchement. On en faisait encore intervenir la feuille et la graine au travers de bien d’autres affections comme le gonflement de la rate, la fièvre quarte, les morsures et plaies de curation difficile, l’épilepsie, etc.

Au Moyen âge, l’aneth était fort en faveur auprès de l’école de Salerne qui, par l’intermédiaire de deux vers de son cru, fixa les vertus qu’elle reconnaissait à cette plante. Voici ce qu’écrivit la célèbre école de médecine campanienne à son propos : Anethum ventos prohibet, minuitque tumores, ventres repletis pravis facit esse minores. Autrement dit : « L’aneth chasse les vents, amoindrit les humeurs et d’un ventre replet dissipe les grosseurs », ce qui est une autre façon de signifier que l’aneth possède des propriétés carminatives et digestives, et qu’il a, de plus, une heureuse action sur la bile et le sang. Quant à Hildegarde, impossible d’avoir un doute face à son dille ! Elle signalait qu’il n’est pas souhaitable de le consommer à l’état cru car il rend l’homme facilement triste. En revanche, une fois cuit, il facilite la digestion, s’oppose aux maladies pectorales, aux douleurs spléniques et goutteuses, aux saignements de nez et à l’échauffement de la luxure.

Aux temps qui firent suite à la période médiévale, Matthiole attesta que l’aneth était cultivé dans tous les jardins et qu’il comptait au nombre des ingrédients constituants des thériaques3, tandis que ses graines formaient avec la camomille, le mélilot et la matricaire le club des quatre plantes carminatives des apothicaires de l’époque. A la Renaissance, l’aneth avait si bonne presse que son emploi fut continué dans les siècles suivants : par exemple, dès 1672, il s’invita à la table du roi Louis XIV sous la forme d’une liqueur composée à base de fenouil, d’aneth et de cannelle, entre autres drogues : le rossolis. Eupeptique, celui-ci autorisait au roi des digestions moins pénibles, ce que ses excès de table occasionnaient régulièrement. C’est bien ce que racontait peu ou prou Nicolas Lémery au sujet de la seule graine d’aneth : « Elle chasse les vents, elle excite l’urine, elle adoucit le hoquet, elle provoque le lait aux nourrices, elle aide à la digestion »4. A cela Chomel ajouta surtout d’autres vertus de l’aneth sur la sphère digestive (manque d’appétit, aigreur d’estomac, colique, vomissement…), précisant encore que l’aneth est anodin (c’est-à-dire, dans l’acception ancienne : qui calme les douleurs) et résolutif, avançant « la suppuration des tumeurs ». A la toute fin du XVIIIe siècle, Desbois de Rochefort établit des modes d’emploi dont on trouvait encore le libellé dans bien des ouvrages postérieurs (au moins jusqu’à Fournier !). Par exemple, il préconisait 1 à 1,5 gros de semences d’aneth dans une chopine de vin ou bien une pinte d’eau (éléments de compréhension, puisque Desbois écrit avant la réforme des poids et mesures de 1789 : un gros = 3,82 g ; une chopine = 0,466 l ; une pinte = 0,931 l). Il procédait par décoction dont le résultat se destinait aux lavements et fomentations. Il broyait aussi la semence d’aneth et l’administrait à hauteur d’un quart à un demi gros. Il précisait encore avoir retiré un grand succès de l’usage des huiles essentielles carminatives – dont celle d’aneth – dans le hoquet et les vomissements spasmodiques. Ils les donnait généralement aux doses de 8, 10, 12 ou 15 gouttes sur quatre ou cinq onces (une once = 30,594 g) de potion, breuvage que le patient absorbait à la cuillère. Terminons-en là en citant l’auteur qui aborde un point supplémentaire : « Les semences sudorifiques sont principalement tirées des plantes ombellifères, et ce sont les mêmes que l’on nomme carminatives ; telles sont celles d’anis, de fenouil, de carotte, d’aneth, de cumin, de persil, etc. Toutes sont fort aromatiques, ainsi que leurs eaux distillées. Elles donnent une assez grande quantité d’huile essentielle, qui est tonique, stimulante, pousse beaucoup à la peau, et que l’on emploie à la dose de 10, 12 ou 15 gouttes. Ces semences peuvent aussi se donner en substance, à la dose d’un demi gros ou un gros, en infusion sur une pinte d’eau ou de vin : ce vin est un bon sudorifique »5.

L’aneth est considéré comme une plante utile contre les mauvais sorts – un de ses apanages médiévaux qui longtemps perdura. « Réputé pour protéger les jeunes couples et leur assurer une vie conjugale heureuse »6, on voyait aussi les mariées scandinaves orner leur corsage de ses fleurs qui assuraient une fonction similaire. « La tradition russe en fait un aphrodisiaque puissant d’où son utilisation intensive dans les recettes de cuisine »7. C’est effectivement un ingrédient indispensable aux philtres. J’ai d’ailleurs lu quelque part que cette plante avait été placée sous la houlette de la planète Vénus par certains astrologues. En tous les cas, l’aneth semble fort utile à Lucius dont Apulée, dans L’Âne d’or, nous décrit la métamorphose qui s’accompagne d’une monstrueuse « élongation » apte aux jeux de l’amour ^.^ : « Vois enfin avec quelles plantes de rien, et tout ordinaires, on peut produire de si grands effets : un peu d’aneth, joint à des feuilles de laurier, jeté dans de l’eau de source, avec laquelle on se lave et que l’on boit »8. Ainsi s’adresse Photis à Lucius, lui garantissant que par ce moyen simple il pourra – du statut d’oiseau de malheur qu’il a malencontreusement acquis quelques temps auparavant – redevenir ce Lucius qu’il est, mais n’y gagne qu’une nouvelle métamorphose animalière, Lucius se muant en âne sous le sortilège de l’aneth !

Parce que plante annuelle, l’aneth s’oblige à faire de la graine dans la même année que celle de sa germination. Il a donc bien intérêt à pousser et à croître rapidement, ce que semble suggérer le mot grec ánêthon, au sens proche du latin currere qui veut dire « courir ».

Bien plus petit que le fenouil auquel il ressemble assez, l’aneth est constitué de tiges rameuses creuses, cylindriques, longitudinalement striées, qui émergent d’une racine blanchâtre en fuseau. Comme très souvent chez les Apiacées, se distinguent des feuilles inférieures aux pétioles engainants et des feuilles supérieures à folioles linéaires et filiformes trois fois divisées dont la légèreté vaporeuse renforce l’allure pruineuse et glaucescente générale de cette plante. Émergeant de ce fouillis brumeux, de larges ombelles planes (10 à 15 cm), composées de quinze à trente rayons, portent, entre juin et septembre, de nombreuses petites fleurs jaunes sans involucre ni involucelle, et dont l’extrémité des cinq pétales se recourbe en direction du centre de la fleur. Bien que sans nectar, elles produisent une profusion de fruits, di-akènes se séparant à maturité en deux semences plates d’un côté, convexes de l’autre, et marquées de cinq côtes.

Autrefois spontané dans les moissons, l’aneth se fait aujourd’hui beaucoup plus rare même dans les départements français les plus méridionaux où il courrait autrefois les champs. Essentiellement échappé d’anciennes cultures puis ensauvagé, on le voit bien établi dans la péninsule ibérique ainsi qu’en Italie.

Toujours cultivé dans le Midi de la France, sa production est en net recul depuis plusieurs année. Il fait l’objet de cultures plus étendues en Amérique septentrionale, ainsi qu’en Europe du Nord et de l’Est (Grande-Bretagne, Hollande, Pologne, Russie, Roumanie, Bulgarie), deux zones géographiques où il est plus largement consommé qu’en France.


L’aneth en phyto-aromathérapie

Alors que sa présence était encore attestée dans la pharmacopée de 1884, l’aneth fut retiré du Codex en 1908. On fit, à tort, de l’aneth, une ombellifère strictement condimentaire (et assez peu usitée comme telle en France), ce qui, surtout, lui condamna l’accès au fabuleux monde de la parfumerie et, dans une mesure moindre, à celui de l’officine où l’on est toujours prompt à lui préférer le fenouil, réduisant l’aneth au rôle congru de faux-ami, à tel point qu’on a affecté à l’aneth des sobriquets tels que « faux fenouil », « fenouil bâtard », etc., au travers desquels il recèle une approximation que l’on consent à accepter, à défaut d’autre chose… Mais, « tout comme on appelle les agaves aloès, on appelle généralement l’aneth fenouil. Mais erreur ne fait pas compte »9. De même du « faux anis » que nous doivent les nombreux points communs observés d’une plante à l’autre. Alors qu’il fut un temps où l’on désignait le fenouil par le nom d’aneth fenouil (Anethum foeniculum), l’aneth est, depuis, résolument entré dans l’ombre de son cousin, de laquelle nous allons l’extirper, car toutes ces potentielles similitudes entretenus entre deux plantes ne sauraient nous faire oublier qu’elles possèdent chacune leurs spécificités. En effet, il ne s’agit pas de dire que l’aneth est affublé d’une odeur aromatique plus forte que celle du fenouil (une fois de plus, qu’est-ce que ça signifie ?), ni qu’on en regarde les feuilles et les semences comme moins agréables que celle du fenouil (du moins, dans sa variété dulce, bien entendu !). Vous savez bien que les goûts et les couleurs ne se disputent pas : le choix de préférer l’aneth au fenouil en diffusion atmosphérique m’appartient (c’est l’occasion de surprendre, dans son huile essentielle ainsi utilisée, une touche fraîche et claire bien intéressante qu’on peut qualifier de « mentholée », ce que contredit l’adjectif graveolens, « à forte odeur »). Ainsi, dans la suite de notre propos, nous nous départirons du discours habituel : par exemple, l’aneth propose, pour d’identiques compositions biochimiques (sic), des propriétés et usages thérapeutiques qui valent celles et ceux du fenouil, de l’anis ou du carvi, etc., ce qui n’est pas autre chose que de la paresse intellectuelle.

L’aneth, dont la saveur est plus prononcée lorsqu’on le cueille en un lieu sec, est surtout connu par l’emploi de sa semence qui contient environ 20 % de matières grasses et 15 % de matières albuminoïdes, mais également des matières résineuses, mucilagineuses et tanniques. On y voit encore des flavonoïdes, des xanthones et des triterpènes, enfin des sels minéraux et oligo-éléments (fer, magnésium, calcium…), et des éléments vitaminiques (vitamine C). Terminons-en avec une fraction aromatique oscillant entre 2,5 et 5 %, suffisamment intéressante pour que, autrefois (au XVIIIe siècle), on l’obtienne en pressant mécaniquement les fruits, ce qu’aujourd’hui l’on ne fait plus, puisque les semences d’aneth endurent le même sort que celui de nombreuses autres graines, à savoir l’extraction par hydrodistillation, ce qu’on fait subir à l’aneth après que ses graines aient été séchées puis pulvérisées. Ce procédé permet la production d’un liquide limpide et mobile de couleur généralement jaune très pâle quand elle n’est tout bonnement pas incolore. Quand à son parfum, Fournier lui trouvait celui résultant d’une combinaison de persil et de paraffine, c’est dire ! On y croise bien une touche anisée, mais ce n’est pas ça qui saute aux yeux (du moins, pas aux miens). Assez chaude, mais mentholée comme j’ai eu l’occasion de le mentionner plus haut, elle dénote par une autre touche fraîche et herbeuse agréable.

Son rendement varie de 2,5 à 5 %. Si on l’estime généralement à 3 %, les informations que je vais vous fournir ci-dessous vont permettre de poser un problème à l’ancienne : sachant qu’un quintal de graines d’aneth coûte 190 francs, et que le kilogramme d’huile essentielle d’aneth se marchande à 43 francs, calculez quel est le rendement minimum pour que la distillation d’un quintal de graines d’aneth soit rentable ^.^ C’est dans un vieux livre datant de 1908 que j’ai déniché ces données. J’y ai aussi découvert la recette permettant la fabrication de l’hydrolat d’aneth : pour obtenir 100 l de ce produit, il faut placer 200 l d’eau dans l’alambic, ainsi que 53 kg de graines d’aneth. Bref. Ne nous égarons pas trop et revenons-en donc à l’huile essentielle d’aneth « graines », et prioritairement à sa composition qui rappelle beaucoup celle du carvi, ne serait-ce que par les deux principales molécules communes aux deux huiles, à savoir le limonène et la D-carvone.

  • Monoterpènes (49 %) dont limonène : 47,50 %
  • Cétones (50 %) dont D-carvone : 46,50 %
  • Éthers : dill-éther (3 à 10 %)
  • Coumarines : ombelliférone (loin d’être une molécule phototoxique, l’ombelliférone est plutôt une protectrice solaire, comme le suggère son nom à l’étymologie commune au parapluie. Elle réduit la quantité d’UVB que la peau peut absorber, raison qui explique que l’ombelliférone entre dans la liste des éléments actifs de certaines préparations de protection solaire).

Étant donné que le biotope possède une importance capitale sur la composition moléculaire des huiles essentielles, on observe, chez celle d’aneth, des variations du limonène et de la D-carvone (quand le taux de l’un baisse, celui de l’autre monte et vice-versa). Mais, parfois, on voit un autre trublion moléculaire venir perturber ce jeu de balancelle : l’α-phellandrène. Il ampute limonène et D-carvone d’une partie à peu près égale et se pose comme la troisième roue du carrosse : pour 30 % de D-carvone et 30 % de limonène, on peut trouver jusqu’à 25 % d’α-phellandrène dans certaines huiles essentielles d’aneth « graines », ce qui fait monter le taux total de monoterpènes à 60 %. Ce n’est donc plus le même produit que le précédent, qui, en revanche, est beaucoup plus proche de l’huile essentielle d’aneth que l’on retire par la distillation de la plante fraîche cueillie avant floraison, et que l’on ne retrouve que rarement sur le marché du fait d’un rendement hyper chiche (0,05 à 0,75 %), ce qui explique qu’on en parle très peu. Voici néanmoins quelques chiffres permettant de faire une comparaison entre l’huile essentielle « graines » à α-phellandrène et l’huile essentielle « parties aériennes non fleuries ».


S’il faut compter environ 10€ pour obtenir un flacon d’huile essentielle d’aneth « graines » biologique de bonne qualité (10 ml), il est souvent nécessaire de débourser le double pour un même flacon d’huile essentielle d’aneth « parties aériennes non fleuries ».

Propriétés thérapeutiques

Comme nous allons le voir, l’aneth dégage les obstructions, assouplit et fluidifie. Il a la vitesse du lièvre et la pugnacité de la tortue, agissant sur bien des liquides du corps : urines, sang, salive, sucs gastriques, bile, lait maternel, mucus pulmonaire. Presque autant qu’il ne possède de rayons à ses ombelles.

  • Stimulant des glandes salivaires et gastriques, digestif, stomachique, carminatif, antispasmodique des voies digestives, anti-émétique
  • Expectorant, mucolytique, fluidifiant des sécrétions bronchiques, anticatarrhal, décongestionnant bronchique
  • Stimulant hépatique, hypocholestérolémiant, cholagogue, cholérétique
  • Stimulant de la circulation sanguine, fluidifiant sanguin, anticoagulant, cardioprotecteur
  • Diurétique, antispasmodique et protecteur rénal
  • Emménagogue, lactifère
  • Anti-infectieux : antiseptique puissant, antifongique, antibactérien
  • Stimulant du système nerveux central, neurotrope, hypnotique
  • Rafraîchissant et assainissant de l’haleine
  • Résolutif, émollient

Note : je signale que le mot dill, terme anglais désignant la plante, signifie « apaiser » en ancien anglais, en relation avec les qualités antispasmodiques de l’aneth.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : manque d’appétit, digestion lente, laborieuse et paresseuse, lourdeur post-prandiale, dyspepsie, aérophagie, météorisme, ballonnement, flatulences, éructation, hoquet, colite spasmodique et autres spasmes intestinaux, colique (venteuse, du nourrisson), diarrhée, vomissement (surtout d’origine nerveuse), gastralgie, insuffisance pancréatique
  • Affections buccales : haleine « ammoniaquée » au matin (révélant des perturbations d’ordre rénal et hépatobiliaire)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, nécessité d’un drainage lymphatique
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite aiguë, encombrement bronchique, rhume, catarrhe pulmonaire, ronflements, toux, grippe, asthme
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hémogliase (épaississement du sang), prévention des risques d’infarctus
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, règles douloureuses, insuffisance lactée, engorgement des seins
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine
  • Sciatique
  • Insomnie
  • Contusion

Note : j’ai récemment lu dans un ouvrage que je consulte rarement que l’on pouvait préconiser l’huile essentielle d’aneth auprès des enfants « qui absorbent une nourriture trop riche et dont les troubles se manifestent par des vomissements, coliques, nausées, sensation de brûlure et ballonnements »10. J’avoue que tout cela me laisse perplexe. La logique ne prévaut-elle pas d’enlever le trop-plein plutôt que de rajouter quelques gouttes d’huile essentielle ? Si l’on considère que cette huile essentielle est un blanc-seing à la malbouffe (car pour assurer de tels dysfonctionnements, ça en est, assurément), on tombe là dans le domaine du gaspillage, qui n’a pas lieu d’être en aromathérapie. Les huiles essentielles se doivent d’être employées avec mesure, et non pour des raisons que l’on peut (et doit !) modifier en adoptant un régime alimentaire ad hoc et non pathogène, car en disconvenir, c’est signifier que l’on peut continuer à s’empiffrer dans l’insouciance. Qu’importe, puisque l’aneth veille au grain, après tout ? Triste Occident, tu portes la mort dans ton nom…

Note 2 : l’aneth étant une plante riche en sels minéraux variés, on peut le substituer au sel de table en cas de régime alimentaire sans sodium.

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Je ne suis pas certain que ce que je vais raconter ci-dessous s’intègre parfaitement à l’idée que l’on peut se faire des « propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques », mais, ayant surgi de nulle part, et ne sachant trop quoi en faire, je me permets de le placer ici plutôt que de me risquer à l’insérer partout ailleurs dans le corps de texte.

En compulsant le site internet de Maison Néroli, je suis tombé d’accord avec ce qui y est écrit sur la page dédiée à l’huile essentielle d’aneth, en particulier lorsqu’il est fait référence à l’odeur de cette huile qu’on peut décrire « comme voilée, presque brumeuse », c’est-à-dire sans doute à l’image de la plante elle-même : à la voir, s’imagine-t-on capable de tenir entre le pouce et l’index l’une de ses feuilles éthérées, comme on le ferait d’une feuille à limbe simple, non ambigu, immédiatement saisissable, comme peut l’être, par exemple, une feuille de tilleul ? Il y a quelque chose d’inapprochable chez l’aneth, mieux encore, d’inembrassable, bien qu’on puisse mieux l’embrasser du regard, plus que par tout autre moyen. Il donne néanmoins la sensation de toujours se soustraire en partie aux regards, ne paraissant jamais entièrement là, mais se manifestant toujours par fragments. Cette impression, je l’ai eue également lorsque – prise de notes en cours – je me suis retrouvé nez à nez avec un tas d’informations disparates dont je me suis demandé où est-ce que j’allais bien pouvoir les caser sans que cela donne l’impression artificielle d’agglutiner entre elles des pièces rapportées.

Cela va sans doute vous paraître hors de propos, mais il me semble qu’il existe un animal-totem sacré chéri par bien des tribus amérindiennes d’Amérique du Nord qui me fait grandement penser à l’aneth, en particulier au travers de cette habitude d’être là sans y être vraiment, sans y demeurer intégralement, à l’abri sous le voile de dentelle du roi Aneth, toujours de manière fractionnée. Cet animal-totem, et non des moindres, c’est l’Oiseau-tonnerre. Peut-être bien que l’écriture du livre que j’ai consacré à ce sujet à l’été 2013, concomitamment à l’achat d’un flacon d’huile essentielle d’aneth, a initié une superposition entre cette figure totémique et cette plante, l’un faisant réponse énergétique et symbolique à l’autre et inversement, en quelque sorte. L’association reste certes hardie, mais il n’en demeure pas moins que l’Oiseau-tonnerre, qui voyage toujours dissimulé au sein des nuages, se rapporte assez bien à ce que dit Maison Néroli de l’huile essentielle d’aneth.

Du côté de Deva (laboratoire isérois de fabrication d’élixirs floraux), on raconte aussi des choses fort intéressantes : l’élixir de fleurs d’aneth permet de s’accorder à un rythme extérieur que l’on juge trop rapide, en réalisant une sorte d’homéostasie afin que le décalage ressenti s’amoindrisse, et que les expériences et expérimentations nouvelles puissent être plus facilement engrangées et donc profitables. D’ailleurs, ne reconnaît-on pas à l’huile essentielle d’aneth la capacité de favoriser l’adaptation du système nerveux quand celui-ci se trouve dépassé ?

Modes d’emploi

  • Infusion de semences : comptez 5 à 10 g de graines d’aneth en infusion dans un litre d’eau pendant 10 mn à couvert.
  • Infusion composée (apozème partagé par Henri Leclerc) : comptez cinq parties de tilleul, trois de semences d’aneth et deux de semences d’angélique. Une cuillerée à soupe de ce mélange pour la valeur d’une tasse d’eau chaude en infusion à couvert pendant un quart d’heure.
  • Décoction pour bain : faire bouillir pendant quelques minutes 30 g de graines d’aneth par litre d’eau, puis laisser infuser hors du feu à couvert pendant un quart d’heure.
  • Décoction pour lotion : placez 50 à 100 g de semences d’aneth par litre d’eau en décoction pendant 10 mn, puis laissez infuser à couvert et hors du feu durant le même temps. Après avoir passé et filtré, on peut utiliser cette lotion en compresses, éventuellement en fomentation.
  • Poudre de semences : comptez un à deux grammes par prise dans un véhicule convenable.
  • Macération huileuse des sommités fleuries fraîches.
  • Cataplasme de feuilles fraîches d’aneth contuses.
  • Graines dans l’alimentation, à mâcher quand besoin s’en fait sentir.
  • Huile essentielle : voie orale avec précaution (cétones), voie cutanée diluée (1,2 % au maximum), inhalation, olfaction, dispersion atmosphérique

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles peuvent se prélever avant la floraison de la plante, soit aux mois de mai et juin. On peut les faire sécher, bien qu’elles y perdent en partie une fraction de leur arôme. Il est plus pertinent de les utiliser fraîches au fur et à mesure des besoins dans l’alimentation, à l’instar de la coriandre. Quant aux semences, elles font l’objet d’une cueillette s’étalant de la fin de l’été au mois d’octobre. Une fois les ombelles fanées, et bien avant que la maturité ne soit complètement avancée (on connaît le problème des Apiacées dont les fruits – si on les cueille trop tardivement – s’égrènent facilement, compliquant bien inutilement la récolte), on les sectionne avec délicatesse, puis on les suspend tête en bas et on les laisse sécher le temps nécessaire, jusqu’à ce que les graines s’en détachent quand on secoue les ombelles (prévoyez un linge au-dessous pour faciliter le recueillement des semences).
  • Toxicité : contenant de fortes proportions de cétones monoterpéniques (D-carvone essentiellement), l’huile essentielle d’aneth implique de potentiels risques neurotoxiques et abortifs. On n’utilisera donc pas cette plante sous cette forme en cas de grossesse et d’allaitement, encore moins chez le bébé, l’enfant et la personne neurologiquement fragile. Les personnes soumises à un traitement anticoagulant l’éviteront, de même que celles étant sujettes aux lithiases biliaires. Rappelons que la D-carvone, contrairement aux turmérones contenus dans l’huile essentielle de curcuma, est une cétone « lourde », à l’instar de ces autres molécules cétoniques que sont le camphre et la pinocamphone. La toxicité de l’aneth se vérifie aussi auprès d’un certain nombre d’oiseaux pour lesquels les graines de cette plante ont des effets néfastes et mortels.
  • En cuisine : les amateurs de cuisine scandinave connaissent sans aucun doute la sauce dill, mélange de jus de citron, de crème fraîche et de feuilles d’aneth finement ciselées, accompagnant traditionnellement le saumon fumé, et qui, à une époque, valait à cette plante une seule apparition annuelle dans les grandes surfaces, c’est-à-dire en fin d’année, à la période des fêtes. Mais celui que l’on ne connaît presque plus comme matière médicale par chez nous, y brille aussi par son absence en tant qu’herbe condimentaire, aussi bien par ses feuilles fraîches que par ses semences sèches. Si l’on sort de France, on se rend compte aisément que dans une bonne partie de l’Europe du Nord (Scandinavie, Grand-Bretagne, Allemagne) et de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Russie), l’aneth y est beaucoup plus plébiscité : cette plante aromatique participe à de nombreuses recettes ayant pour base les produits de la mer (coquillages, crustacés, poissons), les œufs, les crudités (carotte, tomate, concombre), les pommes de terre. On en fait des marinades et des conserves au vinaigre (cornichons, petits oignons blancs), on l’incorpore aux liqueurs digestives, à certaines confitures, à la choucroute, etc. L’aneth peut se substituer au fenouil dans bon nombre de recettes impliquant celui-ci. On peut même retirer des graines hydrodistillées un ersatz de café après torréfaction.
  • Variétés : on distingue l’Anethum graveolens var. graveolens, objet de cet article, de son cousin cultivé Anethum graveolens var. hortorum. (Cette distinction botanique peut-elle expliquer la différence que nous avons observée plus haut au sujet de la composition des deux huiles essentielles d’aneth « graines » ?) On en reconnaît plusieurs cultivars : aneth Dukat, aneth Super Dukat, aneth Mammoth (jusqu’à 170 cm de hauteur), aneth Sari, aneth Aros, aneth Bouquet (plante naine).
  • Autres espèces : l’aneth poivré (Anethum piperitum) et le sowa (Anethum sowa), herbe ayurvédique. Des études récentes ont montré la richesse de cette plante en composés phytochimiques (on aimerait qu’il en aille de même avec notre aneth européen). Les extraits qu’on a tirés du sowa ont montré des effets particulièrement intéressants pour la médecine : des propriétés anti-infectieuses (antivirales, antibactériennes, antiparasitaires), anti-inflammatoires, anti-oxydantes, analgésiques, antidiabétiques et anticancéreuses.

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 205.
  2. Ibidem, pp. 205-206.
  3. La graine apparaît dans des recettes de thériaque, du moins des compositions magistrales intégrant de la chair de vipère que l’on pile dans un mélange à part égale de sel et de semences d’aneth, à moins qu’il ne s’agisse du mehon (auquel ressemblent fortement aneth et fenouil) qui était donné comme alexitère de valeur, cette propriété en expliquant ici l’emploi. L’on peut dénicher une recette de ce type dans l’ouvrage de Pierre Pomet qui date pourtant de la fin du XVIIe siècle. Mais, alors, on n’en avait pas encore fini avec la thériaque.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 47.
  5. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, pp. 429-430.
  6. Dominique Lepage, Miscellanées végétales, p. 18.
  7. Ibidem.
  8. Apulée, L’Âne d’or, Livre III, pp. 110-111.
  9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 83.
  10. Michel Faucon, Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 359.

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Parfums antiques


Flacon à parfum en verre. Rome antique, seconde moitié du Ier siècle avant J.-C. Metropolitan Museum of Art (New-York).


Durant l’Antiquité, la parfumerie n’a rien de comparable avec ce qu’elle est aujourd’hui devenue, quand bien même elle recherchait peu ou prou les mêmes buts. Avant de les atteindre, elle s’échina à extirper de fractions végétales diverses (racines, rhizomes, fleurs, feuilles, écorces…) les principes odorants convoités. Si l’on évoque quelquefois des eaux parfumées, celles qui eurent la faveur des Anciens étaient avant tout les huiles parfumées que l’on obtenait principalement par macération à froid ou à chaud d’un végétal sec ou frais dans de l’huile, afin qu’au corpus puisse se mêler le sucus. Enfleurage et expression étaient aussi des méthodes employées. On procédait parfois à l’adjonction de sel ou d’orcanette comme conservateur, alors que l’on conviait gommes et résines à jouer le rôle de fixateur, afin d’assurer au parfum quelque espérance de pérennité. Parfois, des matières reconnues pour leur pigment, ou pour leur capacité à éclaircir ou à obscurcir, étaient invitées lors de l’élaboration des parfums qui pouvaient suivre des recettes simples ou complexes. Puis, une fois la confection achevée, on abritait les parfums des rayons du soleil en les entreposant dans des réceptacles en pierre (albâtre), en terre cuite, voire en cuir (!). Heureusement que le verre – à l’image du flacon que nous voyons ci-dessus – viendra y mettre bon ordre.

Aujourd’hui volatil et éthéré, son homologue antique était gras, onctueux, épais et visible, rendant la peau brillante et aussi parfumée (sinon odorante) que possible, et cela à de nombreuses occasions de la vie de tous les jours rythmée par des festivités nombreuses et variées : événements sportifs, rituels religieux et funéraires, le parfum intervenait aussi dès l’étape des fiançailles, puis des noces, enfin au sein même de la chambre nuptiale, tout en étant, bien entendu, l’objet d’extravagances souvent crucifiées par les poètes de l’époque.

Malgré toutes les sources antiques écrites dont on dispose au sujet des parfums, l’on n’est pas encore en mesure de se représenter fidèlement l’univers olfactif des Grecs et des Romains : l’archéobotanique a donc de beaux jours devant elle !

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La menthe pouliot (Mentha pulegium)


Synonymes : herbe aux puces, chasse-puce, péliot, pouliot royal, penny royal1, menthe des marais, herbe à moustique, petit baume, dictame de Virginie (sic ?), frétillet, menthe de squaw2, herbe de saint Laurent3, bléchon.

S’il existe une menthe qui se distingue très nettement de ses consœurs, c’est bien cette plante qui s’affranchit régulièrement du nom de menthe pour n’être réduit qu’au simple pouliot. Sur cet aspect, il n’échappa d’ailleurs pas aux observateurs gréco-romains de l’Antiquité. Le pouliot, chez les Grecs, c’est le glêkhôn. Hippocrate, Théophraste et Dioscoride étaient unanimes au sujet de cette herbe fort connue qui dessèche, échauffe et digère, et pour laquelle on comptait bien d’autres propriétés médicinales qui ont toujours cours : ainsi le pouliot était-il également emménagogue, eutocique (c’est-à-dire permettant à un accouchement de se dérouler correctement ; à ce titre, le pouliot a la réputation d’évacuer l’arrière-faix, autrement dit le placenta), cholagogue, expectorant, anti-inflammatoire, propre à réduire les douleurs spléniques (de la rate), calmer les vomissements, effacer les taches de rousseur, soulager les démangeaisons cutanées et les morsures d’animaux venimeux, enfin, renforcer les gencives. J’emprunte à Dioscoride une observation qu’on ne voit pas partout : « Mis sous le nez dans du vinaigre, il fait revenir ceux à qui l’esprit est amorti »4. Allez savoir pourquoi le mot amorti dans cette phrase me fait sourire… On dit aussi que le pouliot est visible dans le pulegium (ou herba puleium) des Romains, bien que ce pulegium-là ne corresponde très probablement pas qu’à une seule plante. En tous les cas, l’on sait que les Anciens n’apparentaient pas le pouliot à une menthe. Ce rapprochement est le fait tardif de Linné qui classa le pouliot dans le groupe des menthes en 1756. Il est vrai qu’il en diffère beaucoup. C’est une espèce à part. L’agencement de ses hampes florales rappelle fortement le marrube, la couleur de ses fleurs celles de l’origan ou du serpolet (qu’on appelle parfois « petit pouliot »). Avec des feuilles presque rondes, des tiges circulaires et une arcature quelque peu « anarchique », on n’a pas du tout l’impression d’avoir affaire à une menthe. Peut-être sont-ce ces traits distinctifs caractéristiques qui permirent aux Anciens de nettement singulariser cette plante qu’il nous est permis de reconnaître dans les textes antiques. Une chose est néanmoins certaine : cette plante méridionale était bien connue des Grecs, des Romains et même des Égyptiens, et partout elle était prise en bonne part. On la voit, par exemple, être répertorié par Pline dans pas moins de 25 remèdes différents. Il est abondamment traité par divers auteurs, comme Dioscoride, que nous avons abordé plus haut, mais d’autres encore qui lui allouaient bien des vertus merveilleuses : remède des morsures de serpents et des piqûres de scorpions (comme tant d’autres plantes, et cela de l’Antiquité au Moyen âge inclus), le pouliot intervenait dans une foule d’affections qui peuvent faire croire qu’on lui avait concédé un rôle de parfaite panacée : toux, vomissement, colique, crampe d’estomac, vers intestinaux, digestion difficile et autres affections stomacales, affections spléniques et urinaires, douleurs de tête, fièvre tierce, troubles des règles, etc., et même jusqu’à l’hydropisie pour laquelle Serenus Sammonicus possédait une conception pour le moins étrange : « L’hydropisie peut provenir ou de l’altération du foie, ou du gonflement de la rate, ou des ravages d’une fièvre ardente qui a desséché la moelle des os, ou enfin de ce que pour étancher une soif brûlante, on a eu l’imprudence de boire un breuvage glacé »5.

Comme beaucoup d’autres plantes employées durant l’Antiquité, les usages mêlaient autant la médecine qu’une bonne part de rituels et de magie (ces deux pratiques étaient si intimement liées à dire vrai que l’on n’hésitait pas à prononcer des incantations durant l’administration des remèdes, pour donner un exemple). Pline rapporte aussi que la cueillette du pouliot se devait de s’effectuer à jeun. On nouait ensuite la plante dans le dos ou sous les couvertures du malade avant que ce dernier ne s’y installe. Pour faire tomber la fièvre tierce, le pseudo-Apulée recommandait de prendre trois brins de pouliot et de les nouer de laine : « Si le malade les porte comme une couronne sur la tête avant l’accès, le mal de tête partira », expliquait-il. Non seulement le pouliot pouvait guérir par simple contact direct, mais également à distance, comme y fait allusion Pline dans l’Histoire naturelle : une couronne placée dans la chambre d’un migraineux passait pour faire fuir les maux de tête (d’où, peut-être, la croyance qui voulait que le pouliot fasse aussi fuir l’ivresse). Ainsi, par le fait d’en confectionner des couronnes, cette herbe avait-elle valeur cérémoniale. Au chapitre des propriétés magiques encore : Aristophane, l’auteur de La Paix, fait prétendre à l’un de ses personnages, Hermès, que le pouliot était susceptible de ranimer les forces sexuelles. Mais on connaît la tendance d’Hermès au mensonge et l’on n’ignore pas qu’Aristophane est un farceur, aussi ne doit-on pas trop prendre au pied de la lettre ce que racontent ces deux-là ^.^

Comme on le voit, les divinités étaient aussi de la partie : comment aurait-il pu en être autrement ? Une légende raconte qu’une jeune nymphe du nom de Mintha (ou Menthée) était harcelée par les assiduités d’Hadès auquel elle se refusait (si la menthe pouliot avait été glaciale, elle aurait bien rafraîchi les ardeurs du vieux charbonneux…). Perséphone, légitime épouse et folle de jalousie, réduisit Mintha en charpie. Dans les versions les plus édulcorées du mythe, elle se contente d’une métamorphose dont les dieux ont le secret. Mais regardons au delà du mythe et de son apparente brutalité : d’une nymphe dont on ne sait rien avant sa transformation, l’épouse d’Hadès la promeut au rang de ces plantes puissantes, en l’occurrence la menthe en général, le pouliot en particulier, propre à chasser ces créatures infernales que sont les puces, « petits insectes qui incommodent tout le mode et qui ne paraissent bons à rien »6, mais pourvoyeuses de bien des calamités, confortablement juchées sur leur monture favorite qui les transporte d’ici à là en un éclair. (Rappelons que de 1346 à 1350, la quasi totalité de l’Europe est aux prises avec la peste qui s’est répandue par le biais de son vecteur privilégié véhiculé à dos de rat : eu égard aux infrastructures de l’époque et aux modes de transport, quatre ans, c’est extrêmement rapide !) D’ailleurs, n’est-on pas prêt à affirmer que nom de la plante – pulegium – proviendrait du latin pulex qui désigne la puce ? Les connaissances empiriques de l’Antiquité ont été vérifiées au XXe siècle et Leclerc s’en faisait l’écho dans l’un de ses articles : le pouliot, en tant qu’insectifuge/insecticide, est bel et bien un tueur de puces. Tout comme l’absinthe et la tanaisie, il les chasse et les supprime. D’aucuns s’en moquèrent bien, car toute autre plante que le pouliot, affublée d’un parfum suffisamment vif pour déranger les puces (un origan ou un dictame ; pourquoi pas la cataire ?) pourrait être concernée par cette vertu. Mais non, inutile de chercher à blâmer le pouliot ou à en diminuer la valeur : il est bien une plante à poux et à puces ! Par exemple, il était de commune mesure de placer la plante sous le matelas afin de se prémunir de la bébête en question. Au XIVe siècle, d’après le Hortus sanitatis, on procédait à des fumigations de pouliot afin de chasser les puces. Il n’est donc pas très étonnant que le pouliot ait été tenu en grande estime pendant la plus grande partie du Moyen-Âge, parce que les parasites, qu’ils soient puces, vers ou autres, faisaient florès. C’est, entre autres, pour cette raison que le pouliot fut inscrit aux capitulaires et autres inventaires impériaux du temps de Charlemagne et de Louis le Pieux. Mais pas uniquement : l’histoire médiévale du pouliot dépasse largement le cadre de sa vertu répulsive et antiparasitaire. Pour s’en convaincre, jetons donc un œil à l’histoire médicale du pouliot, bornée aux IXe et XIIe siècles. A l’époque des édits impériaux rappelés un peu plus haut, le moine poète de Reichenau, Walafrid Strabo, vantait le pouliot dont il prétendait que les plus riches nations se l’arrachaient au prix de l’or ou de l’ébène (on peine à le croire !), parce que, affirmait-il, cette plante salutaire est capable de mater des dizaines de maladies. « Notre auteur, écrivait Henri Leclerc qui traduisit le poème de Strabo duquel je tire ces informations, fait du pouliot, cousin germain de la menthe, l’objet d’un long chapitre qui pourrait servir d’épigraphe à un plaidoyer en faveur de la phytothérapie indigène : cette herbe qui jouit auprès des sages de l’Inde d’autant de crédit que le poivre noir des Indes auprès des habitants de la Gaule, fournit un décocté, intus et extra, qui soulage admirablement l’estomac paresseux »7, remède gastrique auquel il additionnait, en les répétant, d’antiques antiennes médicales, jusqu’à fermer le ban sans plus de façon. On fut bien moins inspiré du côté de l’école de Salerne : c’est à peine si on nous apprend que le pouliot est un remède de la goutte et qu’il est capable de mettre en fuite l’humeur mélancolique. Pourquoi pas ? C’est vrai que le pouliot, plante capable de bien des prodiges, met en fuite tout un tas de trucs : la fièvre, les reptiles venimeux, les vers, les puces, l’ivresse, le mauvais œil, les querelles au sein des couples, etc., alors pourquoi pas l’humeur mélancolique ? Mais c’est qu’il ne faudrait pas se méprendre : par « humeur mélancolique », il ne faut pas entendre l’idée que s’en faisaient les romantiques blafards du XIXe siècle, non, bien plutôt les « sucs biliaires ». Salerne nous enseigne tout simplement que le pouliot est une plante cholérétique (et passablement cholagogue). Chez Macer Floridus, c’est davantage fourni, bien qu’on remarque, dans le texte qu’il consacra au pouliot, de larges redites que j’omettrai donc ici, me contentant de mentionner ce qui me paraît neuf au regard de tout ce que nous avons déjà pu dire du profil thérapeutique du pouliot : aux vertus emménagogues et eutociques du pouliot, Macer Floridus ajoutait, prévenant, le caractère abortif du pulegium et, fait tout à fait nouveau me semble-t-il, il fut le premier à relater la qualité thérapeutique des racines du pouliot : elles seraient, selon lui, galactogènes, aphrodisiaques8 et propres à dissiper les affections pulmonaires et hépatiques. Voilà qui nous fait sortir des sentiers battus ! Venons-en enfin auprès de cette puissante abbesse (pour ne pas dire magicienne), Hildegarde, qui connaissait bien le pouliot. D’après elle, les pouvoirs de cette plante se retrouve dispatchés dans une quinzaine de plantes que voici : zédoaire, giroflier, galanga, gingembre, basilic, consoude, pulmonaire, aristoloche, achillée, aurone, polypode, aigremoine, géranium des prés, menthe aquatique. Elle administrait le poleya en cas de fièvre, de troubles de la vue et d’aphonie. Mais aussi de toux, nausée, vomissement, faiblesse d’estomac (qu’elle purge et assainit), maladies pectorales et asthénie. Elle la faisait aussi intervenir dans le cas de « souffrance cérébrale » capable de rendre « fou » quelqu’un, de même qu’à l’occasion de chagrin et de tristesse. Autant dire que l’abbesse avait l’ouïe fine !

A l’aube de la Renaissance, plusieurs praticiens s’emparèrent du pouliot : Matthiole, qui commenta l’œuvre de Dioscoride, n’inventa pas grand-chose et conserva à cette plante ses propriétés diurétiques, anti-hydropiques, hépatiques et eutociques. C’est avec surprise qu’on apprend que des médecins comme Jérôme Bock et Tabernaemontanus, etc., usaient du pouliot pour éclaircir la vue, rendre à la chair la bonne couleur de ton, endiguer les flueurs blanches, etc. C’est à peu près à la même époque que l’on considère que s’amorce le déclin thérapeutique du pouliot. Cependant, on le voit encore bien présent dans des ouvrages ultérieurs, ceux de Lémery et de Chomel, par exemple. Le premier donna la description de deux pouliots : si l’on peut confirmer avec exactitude la véracité de l’identité du premier, on ne s’attardera pas sur le second qui n’est autre que la menthe des cerfs (M. cervina), plante au feuilles oblongues très étroites sans commune mesure avec le pouliot dont Lémery établit ainsi le portrait thérapeutique : « Le pouliot est apéritif, atténuant [NdA : calmant], résolutif, carminatif, propre pour la colique, pour exciter les mois aux femmes, pour fortifier le cerveau »9. Quant à Chomel, qui rapprochait son action de celle du calament, il s’attardait principalement sur les vertus respiratoires du pouliot (toux convulsive et opiniâtre, rhume invétéré, asthme, enrouement, difficulté d’expectoration…). Début XIXe, le pouliot résistait encore : c’est sans doute Roques qui fut le dernier à en parler dans les meilleurs termes, avant que cette plante ne soit occultée, chez Cazin, Reclu, Botan, etc., par la seule menthe poivrée, et cela pour ne presque plus rien en dire et même jusqu’à lui dénier ce qui lui donna son nom, c’est-à-dire sa qualité répulsive face aux puces ! Pourtant, Roques martelait : « C’est un stimulant très efficace, un remède puissant pour ranimer les forces abattues, pour exciter l’estomac, les voies utérines, le cœur, le cerveau, etc. »10. Ce n’est pas un propos à prendre à la légère surtout provenant d’un médecin hygiéniste qui se contentait le plus souvent de professer le repos, les régimes doux et une vie bien réglée plus que les drogues énergiques à l’antique statut de panacée !

Le pouliot, dont nous avons déjà donné quelques éléments descriptifs, se distingue si grandement des autres menthes que, lorsqu’on en fait la rencontre, l’on n’en déduit généralement pas qu’il peut en être une ! Tout d’abord, sachons que cette plante vivace est la plus petite des menthes : c’est rare si elle dépasse les 40 cm de haut. Il faut dire que de ses racines grêles et traçantes émergent de nombreux rameaux semi-couchés qui redressent la tête au moment de la floraison, comme font parfois l’hysope et la sarriette (c’est qu’il faut se faire bien voir). Ses tiges rougeâtres portent des feuilles opposées, ovales presque rondes, très brièvement pétiolées et légèrement dentées. Lors de la floraison, qui s’étend généralement de juillet à septembre, on voit poindre, à l’aisselle des feuilles supérieures, des fleurs de couleur pourpre, mauve, rose lilacée, très rarement blanche, qui s’organisent en têtes sphériques axillaires, plus précisément en verticilles, dont le diamètre diminue au fur et à mesure que l’on rejoint le sommet des tiges. Alors que la menthe poivrée est stérile par ses graines parce qu’hybride issu de deux autres menthes, le pouliot donne au contraire naissance à des graines fertiles.

En France, on trouve le pouliot à peu près partout, bien qu’inégalement réparti, surtout dans le Midi, et plus largement de l’Espagne à l’Asie mineure. Bien qu’appréciant les sols acides et sableux, cette plante a besoin d’humidité pour bien s’épanouir, c’est pourquoi on peut aisément la dénicher dans les lieux inondés une partie de l’hiver, en bordure de mares et d’étangs, sur les friches humides, les points d’eau temporaires, etc. Par exemple, je l’imagine parfaitement peupler la Garâa Sejnane (zone humide située au nord de la Tunisie).


La menthe pouliot en phyto-aromathérapie

Dans quelques ouvrages dédiés à l’aromathérapie, on évoque parfois l’huile essentielle de menthe pouliot, sans que les auteurs ne s’y arrêtent davantage : en effet, pourquoi occuper deux ou trois pages à parler d’un produit dont on déconseille l’usage au lecteur ? Parce que, oui, très souvent, on ne va jamais au delà de la sentence : les propriétés toxiques de cette huile essentielle sont exagérément mises en avant au point qu’on en oublie tout le reste, c’est-à-dire que la menthe pouliot, plante dont on tire cette huile essentielle, est inscrite, non pas sur la liste B de la pharmacopée française, mais sur la liste A. Refuser d’employer cette huile essentielle ne doit pas nous empêcher d’user de la menthe pouliot par le biais des principaux modes d’emploi que la simple phytothérapie met couramment à notre portée. Seulement, la crainte d’une part, l’ignorance bien volontaire d’autre part, font aujourd’hui du pouliot une menthe mal connue en terme de composition biochimique. On aimerait, à son sujet, en savoir autant qu’à propos de la menthe poivrée dont on nous rabat les oreilles : mais le pouliot n’est plus la vedette qu’il fut autrefois, le statut de panacée ne durant qu’un temps. « Depuis lors, la plante est bien déchue de son antique réputation et ne se rencontre presque plus jamais dans les jardins »11, à plus forte raison aujourd’hui, ¾ de siècle après ce constat formulé par Fournier.

Débutons tout d’abord par la portion congrue, les constituants de la plante entière tels qu’on les connaît, c’est-à-dire pas de façon très étendue, malheureusement. Que contiennent donc les tissus de cette plante que l’on utilise entière à l’exception des racines ? Eh bien, des tanins et des principes amers, des matières pectiques et résineuses, du sucre, des acides phénoliques, ainsi que des flavonoïdes. Qu’elle soit fraîche ou sèche, cette plante disperse un parfum bien particulier, que d’aucuns considérèrent autrefois comme grossier, en tous les cas beaucoup plus fort (qu’est-ce que ça veut dire ?) que celui des menthes en général. C’est vrai que le mot menthe nous loge une première idée en tête à laquelle le pouliot ne répond pas vraiment. En tous les cas, l’odeur et la saveur du pouliot sont prononcées. A la première, l’on peut trouver une synthèse de menthe et de citron, et à la seconde un goût âcre un peu brûlant, chaud et piquant. Quand on en vient à distiller à la vapeur d’eau les parties aériennes de la menthe pouliot, on obtient un liquide assez dense (0,93 à 0,94) de faible rendement (0,50 à 0,80 %), fortement parfumé. Sa couleur rouge, identique à celle de l’huile essentielle de sarriette des montagnes, semble, dès l’abord, nous renseigner sur l’énergie et la tonicité dont la menthe pouliot sait se rendre capable. Quelques chiffres permettront d’étayer le fait que le pouliot est aux menthes ce que la stoechade est aux lavandes :

  • Cétones (65 à 90 %) dont pulégone : 55 à 88 %
  • Monoterpénols (25 %) dont néo-isomenthol : 20 %
  • Esters (10 %) dont acétate de néo-isomenthyle : 8 %
  • Monoterpènes (2,50 %) dont limonène : 1 %
  • Sesquiterpènes (2 %) dont α-humulène : 1,50 %

Comparons maintenant les cétones comprises dans l’huile essentielle de pouliot avec celles que l’on trouve communément dans l’huile essentielle de menthe poivrée :


Ce petit tableau permet de faire l’observation suivante : en moyenne, l’huile essentielle de pouliot contient environ trois fois plus de cétones monoterpéniques que celle de menthe poivrée. D’un point de vue olfactif, malgré cette grosse proportion de cétones qu’on lui voit, son parfum n’est pas trop « écrasé » comme cela peut parfois arriver chez certaines huiles essentielles riches de ces molécules.

Propriétés thérapeutiques

  • Stomachique, stimulante des sécrétions gastriques, digestive, eupeptique, carminative, cholagogue, cholérétique, tonique hépatocytaire
  • Expectorante, anticatarrhale, antitussive, mucolytique
  • Hypertensive, cardiotonique, vagotonique
  • Stimulante et tonique (générale, du système nerveux central)
  • Antispasmodique
  • Splénotonique
  • Emménagogue (en particulier lorsqu’il y a atonie, manque d’excitation locale ou générale)
  • Cicatrisante
  • Insectifuge/insecticide, parasiticide, vermifuge
  • Fébrifuge
  • Anti-infectieuse : antifongique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, cholécystite (inflammation de la vésicule biliaire), lithiase biliaire, ictère
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie gastrique, digestion difficile, fermentation intestinale, colique, flatulences, douleur intestinale, hoquet, vomissement, nausée, maux de tête post-prandiaux, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : infections respiratoires bénignes, bronchite (chronique, rebelle, asthmatiforme), asthme, trachéo-bronchite, mucoviscidose, encombrement muqueux des bronches (chez la personne âgée), insuffisance respiratoire, coqueluche, toux quinteuse, grippe
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, dysménorrhée, aménorrhée atonique, menstruations lentes, difficiles et/ou irrégulières
  • Affections cutanées : démangeaison, prurit, sensation de picotement de la peau, taches de rousseur
  • Troubles locomoteurs : goutte, rhumatisme
  • Repousser les insectes piqueurs (tique, moustique, pou, etc.)

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : par voie cutanée diluée essentiellement ; olfaction possible, de même qu’inhalation (ce n’est pas une huile essentielle que je trouve désagréable, elle semble même se bonifier avec le temps) ; voie orale : elle est réservée aux spécialistes. L’auto-médication est fortement déconseillée. De nombreuses préparations (spray, aérosol, lotion, shampooing) intègrent dans leur composition de l’huile essentielle de menthe pouliot : les faibles quantités qu’elles réquisitionnent à chaque utilisation et le vecteur d’application indirect en font des produits sûrs.
  • Infusion des sommités fleuries : comptez 20 à 50 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn.
  • Macération vineuse : comptez 50 g de menthe pouliot fraîche pour un demi litre de vin blanc. On fait, si possible, macérer tout cela durant une nuit à chaud (à proximité d’un radiateur, par exemple). Autrefois, on y adjoignait de la limaille de fer dont on se passera allègrement pour l’heure.
  • Teinture-mère de la plante fraîche entière.
  • Élixir floral : destiné aux personnes perturbées par les pensées négatives des autres.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : lamiacée facile à cueillir et à faire sécher, le pouliot se ramasse bien fleuri durant l’été (juillet-septembre). On en peut faire des bouquets lâches suspendus à l’ombre ou bien déposer des jonchées de tiges sur des claies.
  • Comme cela a été dit plus haut, l’huile essentielle de menthe pouliot contient trois fois plus de cétones monoterpéniques que celle de menthe poivrée. Ainsi, elle donne à réfléchir à l’image des huiles essentielles à cétones que sont la sauge officinale (α et β-thuyone), l’hysope officinale (pinocamphone) ou encore la lavande stoechade (fenchone). Déjà que l’on recommande d’utiliser la menthe poivrée avec prudence, l’on comprend donc que le pouliot doive faire l’objet d’une attention soutenue et de la plus grande circonspection (quand on lit, sur un bulletin d’analyse, pulégone = 88 %, cela nous rappelle à une certaine réalité). En effet, avec le pouliot, nous sommes loin de l’huile essentielle d’hélichryse d’Italie avec sa poignée d’italidiones (presque) inoffensives par exemple. Les cétones propres à la menthe pouliot sont bien évidement responsables des effets thérapeutiques que nous avons retracés plus haut. Seulement, cette huile essentielle est une arme à double tranchant : elle est si puissante qu’elle a tendance à trop en faire. C’est alors qu’elle est encore active qu’elle devient toxique. Concernant le pouliot, le potentiel toxique se concentre sur au moins quatre axes. Elle est neurotoxique : « Les huiles essentielles riches en cétones monoterpéniques […] déclenchent une dégradation du tissu neuronal et provoquent des convulsions »12. Elle est donc susceptible de provoquer une crise d’épilepsie. Elle est hépatotoxique : « En inhibant le cytochrome p450, elle [NdA : la pulégone] perturbe la métabolisation des autres substances traitées par le foie. Elle agit également au niveau du glutathion et provoque une toxicité hépatique même à dose faible, altérant tous les métabolismes de détoxification »13 et nécrosant la cellule hépatique. Elle est abortive : on relate parfois dans la littérature le cas de ces deux États-uniennes qui succombèrent à une ingestion massive d’huile essentielle de pouliot (une once !), utilisée à ces occasions comme substance abortive. Déjà qu’on recommande à la femme ayant des règles abondantes de ne pas user de l’infusion de menthe pouliot, alors, l’huile essentielle, qui plus est à hautes doses, vous pensez bien que cela ne fait pas exactement bon ménage avec la vie. On dit même que cette infusion, longtemps continuée, pourrait être capable d’avoir des effets tératogènes, c’est-à-dire de fabriquer des « monstres ». Elle est stupéfiante. Autres troubles recensés : à cette liste déjà prohibitive, nous pouvons ajouter que l’intoxication à l’huile essentielle de pouliot s’accompagne généralement d’une perte de sensibilité dans les extrémités (mains, jambes), d’atteintes rénales et pulmonaires. A noter que pulégone et menthone sont particulièrement toxiques par voie orale, un peu moins par les voies cutanée, rectale et vaginale. Il va sans dire que c’est une huile essentielle interdite chez l’enfant, la femme enceinte et celle qui allaite. Les personnes sujettes à des troubles hépatiques ou à de l’hypertension ne pourront s’en faire une alliée. Arrivé là, on peut être en droit de repousser le pouliot, du moins sous sa forme éthérée (qu’on ne trouve pas partout au reste ; parmi les sites que je fréquente régulièrement, il n’y a guère qu’Oshadhi qui propose une huile essentielle de menthe pouliot). Avez-vous remarqué, tout comme moi, que ce sont toujours les huiles essentielles les plus puissantes d’un point de vue thérapeutique qui ont mauvaise presse en raison de propriétés néfastes remarquées ? En effet, qu’est-ce que c’est que ces plantes héroïques d’un jour ou d’un millénaire que l’on condamne le lendemain ? C’est parce que le remède est dans le poison (si l’on peut dire) qu’il demande à être justement approprié, car les substances les plus vigoureuses occasionnent, à la fois, les plus grands bienfaits, mais aussi de catastrophiques malheurs pour ceux qui n’y sont pas initiés. C’est pour cela qu’il me faut intervenir afin de prévenir les erreurs de jugement : on peut bêtement s’intoxiquer parce qu’on s’est arrêté au mot « menthe » sur l’étiquette, de même qu’on peut répudier une plante parce qu’on a crié haro sur elle, etc. Souvenez-vous toujours que la plante n’y est jamais pour rien. C’est le mauvais usage que l’on en peut faire qui est le seul dommageable. Toutefois, si vous souhaitez faire usage du pouliot sans risquer d’inconvénient, optez pour l’infusion de plante sèche (aussi rarissime que l’huile essentielle chez les marchands spécialisés : quelques herboristeries la proposent, il faut savoir bien fouiller ici ou là).
  • Vu que la menthe pouliot a peiné à convaincre la parfumerie, elle s’est rabattue sur quelques produits cosmétiques, ainsi que sur la savonnerie. Son parfum, jugé trop fruste, est à l’origine de ce désaveu : la menthe pouliot n’est pas bien capable de mener quiconque par le bout du nez, elle manquerait, dit-on, de finesse. Mais sur la question de faire déguerpir l’indésirable, ça, elle s’y connaît ! Voici donc plusieurs trucs et astuces éprouvés par l’expérience au travers desquels mettre en œuvre la vertu répulsive de la menthe pouliot. Par exemple, pour éloigner les puces et la vermine de la niche d’un chien, d’un poulailler, d’un clapier à lapin, etc., on peut joncher le sol de ces habitats animaliers de rameaux de menthe pouliot fraîche (et les renouveler autant de fois que nécessaire). Avec le même pouliot, mais sec cette fois, on peut fumiger les mêmes locaux, fabriquer une infusion bien concentrée qu’on laisse macérer jusqu’à ce qu’elle refroidisse, puis, de trois ou quatre brins de buis ou de genêt dont on se sera fait une sorte de balayette, on asperge copieusement cette infusion dans les lieux à la manière des Romains qui lustraient les autels de façon similaire. Cette infusion peut aussi être frictionnée à même le pelage des animaux. Tout comme la lavande, le pouliot sec peut emplir de petits sachets de toile que l’on glisse dans les armoires, là où l’on sait que maraudent mites et autres bestioles malfaisantes. Enfin, macéré dans du vinaigre de cidre étendu d’eau, le pouliot forme une bonne lotion contre les poux et leurs lentes.
  • Faux ami : le pouliot américain (Hedeoma pulegioides). La confusion ne portera que sur le nom car l’apparence de cette lamiacée n’a pas beaucoup de rapport avec notre pouliot, en particulier au niveau des fleurs (l’on ne voit pas chez cette autre espèce, les fleurs former de denses verticilles placés à l’aisselle des feuilles). De plus, j’ignore si cette plante est présente sur le sol national, ce qui limite la possibilité d’erreur.

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  1. Sachant que les femmes boivent l’infusion de penny royal comme dernière mesure absolue, Kurt Cobain, chanteur et guitariste de Nirvana, absorbait lui aussi régulièrement l’infusion de cette plante comme il y fait clairement référence dans la chanson intitulée Penny Royal Tea parue sur l’album In Utero (1993). Cette absorption avait pour but d’avorter en lui les fractions de son âme qu’il jugeait indésirables, espérant la purifier et abandonner derrière lui ce qu’il considérait comme les plus mauvaises parts…
  2. Me semble plutôt désigner le pouliot américain (Hedeoma pulegioides).
  3. Idem.
  4. Dioscoride, Materia medica, III, 30.
  5. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 36.
  6. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 718.
  7. Henri Leclerc, Bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie, n° 59, juillet 1928, p. 101.
  8. Il n’y a peut-être pas autant de menteries dans les propos du dieu au caducée…
  9. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 718.
  10. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 126.
  11. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 624.
  12. Fabienne Millet, Le guide Marabout des huiles essentielles, p. 30.
  13. Ibidem, p. 29.

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La menthe pouliot dans l'un de ses lieux de vie favoris : c'est une vraie menthe "pieds dans l'eau" !

L’huile essentielle de pruche (Tsuga canadensis)

Synonymes : tsuga de l’Est1, pruche de l’Est, pruche bleue, épinette pruche, épinette de l’Est, sapin du Canada, haricot, violon, sapin hemlock2.

De même qu’il nous arrive de nous concocte une petite tisane de bourgeons de pin (pour conserver des cordes vocales bien nettes), il n’était pas rare, autrefois, de se préparer un thé d’aiguilles de pruche (quand on en avait le temps, on en faisait tout bonnement une espèce de sapinette, autrement dit une bière de pruche). A cette infusion de confort, l’on peut ajouter diverses préparations, médicinales celles-là, faisant montre des précieux pouvoirs astringents et antiseptiques de l’écorce brun foncé rougeâtre de la pruche, et que la médecine amérindienne exploitait sagement pour guérir différentes affections comme la diarrhée, les colites et diverticulites, la leucorrhée, la cystite, le rhume et la fièvre, mais aussi pour apaiser les maux de gorge et de bouche, pour désinfecter et favoriser la cicatrisation des plaies et des écorchures. Aux dires des chroniques, on laisse entendre que c’est grâce à la pruche que Jacques Cartier et son équipage échappèrent à un plausible scorbut en 1535 après avoir été soignés par des autochtones dont ils firent la rencontre (mais on pense, plus assurément, qu’il s’agit non pas de la pruche mais de l’annedda, c’est-à-dire de cet autre conifère qu’on appelle Thuja occidentalis). En attendant, il est parfaitement avéré que la pruche sauva la vie à de nombreuses personnes lors des disettes, tout cela après récolte de son cambium, dont on parvenait même à tirer une espèce de farine. Comme on peut le constater de notre point de vue d’Européens, la pruche, comme tout arbre emblématique (elle est devenue celui de l’état de Pennsylvanie en 1931), est exploitée pour bien d’autres motifs que son huile essentielle, production somme toute récente au regard de l’histoire de cet arbre conjointement à celle des hommes. Cette essence fournit de quoi fabriquer de la pâte à papier (vu que la communication, c’est un peu son rayon), mais encore du bois d’œuvre solide et hydrofuge destiné à la menuiserie et à la charpenterie, mais, une fois encore, à ces vecteurs de communication que sont la lutherie et la fabrication de traverses de voies de chemin de fer. Mais l’on sait bien où mène, la plupart du temps, une exploitation sans mesure, surtout quand la forêt dans laquelle évolue la pruche ne compte pas d’autres espèce de conifère qu’elle. Une pression énorme pesa donc sur la seule pruche durant l’ensemble du XIXe siècle, ce qui mena, fin XIXe-début XXe, au (presque) complet dépouillement des pruches présentes dans les forêts de Pennsylvanie. La pruche, hélas pour elle, n’eut pas même le temps de dire ouf qu’un autre danger, en provenance d’Asie de l’Est, allait poindre le bout de son nez : le minuscule puceron lanigère de la pruche (Adelges tsugae), un insecte piqueur-suceur tuant l’arbre en 4 à 15 ans, et dont on pense qu’il aurait été introduit accidentellement en 1924, mais repéré seulement en 1951. Aujourd’hui décimées, les forêts de pruche du sud des Appalaches et des Smoky Mountains valent à l’espèce d’être classée sur la liste rouge de l’UICN. « Étant donné que la pruche de l’Est est fortement concentrée dans les habitats riverains, qu’elle maintient un couvert forestier dense et qu’elle est à feuille persistante, sa disparition devrait avoir une incidence majeure sur les processus forestiers, y compris la transpiration »3, amenant également une probable perturbation du débit des flux hydrologiques hivernaux, impliquant in fine la disparition d’espèces étroitement liées à l’écosystème dans lequel évolue la pruche, tout en majorant l’espace à d’autres espèces d’arbres venant occuper la place laissée vacante par la pruche. Parmi ceux-ci, l’on dénombre l’érable rouge, le bouleau flexible et le tulipier de Virginie. L’huile essentielle de pruche devenant, de fait, de plus en plus rare, je vous enjoints donc à l’écoresponsabilité et à la plus grande réserve en ce qui la concerne. Elle doit se concevoir uniquement dans un cadre thérapeutique et non comme un bête additif dans les produits ménagers comme j’ai pu m’en rendre compte au cours de lectures menées ici et là (de toute façon, les huiles essentielles – quelles qu’elles soient – dans les produits ménagers, c’est parfaitement absurde, puisque, à terme, ces substances se retrouvent dans la nature, où elles n’ont rien à y faire, intoxiquant les milieux aquatiques entre autres, etc.). Autant donner des perles à un pourceau. Ce n’est pas parce que c’est « naturel » que la ressource est illimitée et qu’on en peut faire un usage irraisonné. Tout au contraire, il importe de conserver un œil méticuleux sur les stocks disponibles écologiquement soutenables, et s’inciter soi-même à substituer la pruche par une autre espèce proche moins en danger. Il faut dire que le prix moyen de cette huile essentielle – 16 € les 5 ml – y encourage grandement.

Comme nous l’avons dit, la pruche est remarquable en tant qu’unique conifère présent dans les forêts d’arbres à feuilles caduques du Canada et des États-Unis, où elle occupe la fraction orientale de ces deux grands pays, se tenant en lisière de forêt, à proximité des lieux humides et frais, abondamment pourvus par les pluies estivales, voire les sols marécageux ou ceux carrément détrempés par les précipitations en provenance de l’océan Atlantique (raison pour laquelle on trouve des pruches uniquement dans les zones côtières, comme, par exemple, la pruche de l’Ouest qui borde l’océan Pacifique, de l’autre côté des deux mêmes pays). Capable de s’élever en altitude pour y conquérir la fraîcheur, la pruche apprécie grandement l’ombre.

Cet arbre à la croissance lente (il lui faut un siècle pour atteindre une taille de 25 m), ne dépasse guère les 30 m au plus fort de son âge (600 à 800 ans), bien que certains sujets parviennent à s’élever exceptionnellement beaucoup plus haut (53 à 55 m), ce qui est surtout le fait de spécimens isolés dont les branches poussent dès la base du tronc de l’arbre, alors qu’en cas de peuplement dense, seules les plus hautes branches sont maintenues sur le tronc. Mais, dans un cas comme dans l’autre, les racines de la pruche étant peu profondes, cela rend l’arbre vulnérable à la sécheresse (on comprend pourquoi elle fuit les sols secs trop ensoleillés) et aux coups de vent. Étonnante dans son allure, la pruche possède une cime qui s’affaisse et toujours s’oriente à l’Est, tandis qu’elle surplombe les branches latérales de l’arbre, pratiquement horizontales et même légèrement pendantes ou nettement réclinées. Grêles et flexibles, les rameaux de la pruche portent de toutes petites aiguilles étroites, plates et courbes (taille comprise entre 5 et 25 mm), au revers desquelles se dessinent deux lignes blanches qui ne sont autre que les stomates de l’arbre, c’est-à-dire ce par quoi se déroulent les échanges gazeux. La floraison printanière de la pruche donne lieu à de petits cônes pendants de 15 à 25 mm, tout d’abord verdâtres quand ils sont immatures, puis devenant bruns au fur et à mesure que les écailles unguiformes s’ouvrent sur les minuscules graines de la pruche.

La pruche en aromathérapie

Une fois la récolte des rameaux aiguillés achevée, l’on procède à la distillation de cette matière végétale par le biais de la vapeur d’eau. On obtient un liquide limpide et mobile, de couleur jaune très pâle ou bien parfaitement incolore, dont la densité oscille entre 0,902 et 0,938.

Voici de quelle manière est elle biochimiquement constituée :

  • Monoterpènes : 57,30 % (dont α-pinène : 18,20 % ; dont camphène : 7 à 16 % ; dont limonène : 3,80 à 7,20 %)
  • Esters : 37 % (dont acétate de bornyle : 36,20 %. C’est une molécule que l’on trouve aussi dans le sapin de Sibérie, l’épinette noire, la tanaisie commune, le romarin officinal, etc.).
  • Cétones : 2,30 à 4 % (dont pipéritone : 2 %)
  • Sesquiterpènes : 2,40 %
  • Monoterpénols : 2 %

Sur l’ultime question du « qu’est-ce que ça sent ? », on pourrait être bêtement tenté de répondre par une odeur de pin ou de sapin, mais ce serait alors une injure. (Pour se convaincre du contraire, il faut, au moins un fois dans son existence, s’approcher olfactivement de cette merveille qu’est l’absolu de pruche de chez Hermitage Oils. A découvrir à Maison Néroli, Paris.) Afin de brasser largement la question olfactive, j’ai recueilli, parmi des témoignages de clients publiés sur plusieurs sites différents, des mots et impressions qui cherchent à définir l’identité olfactive de l’huile essentielle de pruche. En voici quelques-uns : boisé, odeur de bois vernis, balsamique, résineux, chaud sans excès, note de fumée, épicé, richesse poivrée, frais, mousse, vert, verdoyant, vif, piquant, pétillant, croustillant, terreux, légèrement doux, fruité (agrumes). Etc. Pas mal, pour un « sapin », non ?

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse (antibactérienne, antivirale, antifongique), antiseptique atmosphérique
  • Stimulante du système immunitaire, permet d’assurer une activité surrénalienne saine
  • Revigorante, ré-énergisante
  • Tonique respiratoire, soutient du système respiratoire, anticatarrhale, mucolytique, expectorante, balsamique, antiseptique des voies respiratoires, bronchodilatatrice puissante, décongestionnante respiratoire, oxygénante4
  • Analgésique, anti-inflammatoire
  • Antispasmodique
  • Vasoconstrictrice
  • Anti-oxydante, antiradicalaire, préventive du vieillissement cellulaire
  • Préventive des cancers (sein, peau, foie, poumon, côlon, estomac) et lymphomes
  • Tonique nerveuse puissante, apaisante, équilibrante, réconfortante, rassurante, réchauffante, stimulante des pensées positives, antidépressive

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux spasmodique, maux de gorge, bronchite, bronchite chronique, MPOC, pneumonie, faiblesse respiratoire, congestion pulmonaire, mucus surabondant, asthme, asthme nerveux, grippe, états fébriles, otite, sinusite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : prévention des ulcères gastrique, diarrhée, dysenterie
  • Affections buccales : aphte, inflammation buccopharyngée, difficulté de déglutition par congestion de la gorge provoquée par une pharyngite, par exemple
  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires, douleurs et tensions musculaires, rhumatisme
  • Troubles de la sphère circulatoire : circulation sanguine difficile, hémorroïde
  • Affections cutanées : peau sèche, plaie, écorchure, ulcère cutané
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse, dépression, fatigue psychique, léthargie, se libérer des dépendances (alcool, tabac)

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Il y a une sorte de puissance sacrée dans la pruche, visible dès l’abord de cette évocation : Claude Lévi-Strauss, dans La pensée magique, relatait le fait que les Ojibwa de l’île Parry considéraient cet arbre comme intercesseur de l’aigle, et qu’à cet emblème animal la pruche faisait pendant, elle dont la clarté aiguise le chakra du troisième œil, alors capable, sous son influence, d’observer les choses sous une perspective nouvelle, en même temps qu’elle rafraîchit le mental et qu’elle le calme.

La pruche est parfaite quand on craint de passer l’hiver dans son corps, mais aussi dans sa tête, même si ce n’est pas en vrai l’hiver, parce qu’un refroidissement n’a pas besoin d’une saison spécifique pour se faire sentir, et qu’à tout moment dans l’année, l’on peut manquer de luminosité, de chaleur et de tendresse. Ainsi, lorsqu’on a besoin de sécurité, d’équilibre, d’harmonie et de force, la pruche fait merveille pour encourager à l’optimisme, pour apporter le positif qui fait défaut car, de toute façon, la pruche ne cautionne en aucun cas le désespoir. De plus, on peut dire que la pruche, plus que de dénouer, dilue les crispations et fixations mentales, dissout les pensées encombrantes et répétitives, ainsi que les cristallisations énergétiques qui prennent place dans l’individu, au risque qu’il ne s’étouffe et qu’il ne se racornisse. Quand l’idée fixe occupe un trop large espace, la relaxation n’est plus même possible, la méditation se fait plus difficile, la concentration défaillante, la mémoire joueuse de tour. Parfois, ces empêchements puissants qui ont tout l’air d’une marotte, évitent justement de lâcher la prise qu’on tient fermement, parce que la difficulté que l’on éprouve au passage d’un gué (qu’on s’imagine périlleux) est telle qu’on se prive du loisir d’opérer sans filet. Alors, il importe de faire appel à la pruche, ne serait-ce que pour se prouver qu’il est encore possible de faire confiance à quelqu’un : « les pruches, de par leur nature même, sont des êtres matures et gracieux. Leurs branches tombantes et leurs aiguilles fines et douces les définissent comme des aînées élégantes et sages qui nous apprennent à embrasser le changement avec grâce »5. C’est pourquoi l’on peut voir en elles une mère, voire une grand-mère, féminité renforcée par un nom qui ne l’est pas moins (très rares sont les arbres à porter un nom féminin), figures matriarcales qui conservent longtemps leurs branches mortes sur leur tronc, en guise de poids accumulé des expériences acquises au fil des âges. Autre signature merveilleuse et magistrale : tandis que le pin (noir ou sylvestre, c’est comme l’on voudra) meurt quand on l’étête (cf. le mythe d’Adonis), la pruche est capable du tour de force – admirable chez un conifère – de « repartir » dès la base si jamais elle vient à être coupée, même à vif. Par elle, on peut, de nouveau, libérer les énergies de création, nouer et entretenir (avec les chakras du cœur et de la gorge) des relations. A travers elles, avouer une vérité est rendu possible, de même qu’aimer, sans condition aucune. Sois. Aime. Dis-le.

Modes d’emploi

  • Voie interne : possible dans du miel, une huile végétale. Peu fréquente.
  • Diffusion atmosphérique, olfaction, inhalation humide.
  • Voix externe : massage lent et profond au niveau du plexus solaire et des surrénales, au niveau de la plante des pieds et du haut de la poitrine (omoplates, épaules). Massage radial.
  • Bain.

Quelques exemples de synergies :

  • Verte et respiratoire : pruche, sapin baumier, pin sylvestre, épinette bleue.
  • Calme intérieur : pruche, camomille romaine, lavande fine.
  • Purificatrice et rafraîchissante : pruche, cèdre de l’Himalaya, ylang-ylang.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Bien qu’on assure que l’huile essentielle de pruche est non toxique, non irritante et non sensibilisante, il importe de la diluer dans une huile végétale avant toute application, puisque des cas d’irritation cutanée ont été recensés (cf. une majorité de monoterpènes). Durant la grossesse, on contre-indique généralement la pruche durant les trois premiers mois.
  • Bon à savoir : pour accroître le pouvoir d’action de la pruche, il est profitable de la mêler à une autre huile essentielle riche en limonène (l’essence de citron peut parfaitement convenir).
  • Autres espèces : on remarque les pruches uniquement dans l’hémisphère nord, sur deux continents seulement : l’Amérique du Nord et l’Asie. Dans le premier, on observe deux pruches orientales, la pruche du Canada et la pruche de Caroline (T. caroliniana), faisant pendant à deux autres pruches, occidentales celles-là : la pruche de Mertens (T. mertensiana) et l’hemlock de l’Ouest (T. heterophylla). En Asie, l’on trouve deux pruches au Japon (T. diversifolia, T. sieboldii), de même qu’en Chine (T. chinensis, T. forrestii), une en Corée (T. ulleungensis), enfin une dernière en région himalayenne (T. dumosa).

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  1. Tsuga, du japonaisツガ : nom donné au Tsuga sieboldii.
  2. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes d’identification, sachant que ce terme désigne en anglais la grande ciguë, Conium maculatum. Mais bon, d’un côté l’on a un arbre, de l’autre une herbe dont on ne tire aucune huile essentielle.
  3. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23865229/
  4. Par son action oxygénante accrue, l’huile essentielle de pruche est bénéfique pour le cerveau, le cœur et l’ensemble des autres organes vitaux.
  5. https://treespiritwisdom.com/tree-spirit-wisdom/hemlock-tree-symbolism/

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La verge d’or (Solidago virga aurea)

Synonymes : solidago, solidage, verge dorée, verja daurada, gerbe d’or, canne d’or, herbe des juifs, baguette d’Aaron, bâton d’Aaron.

Bien qu’étant originaire d’Europe et d’Asie, la verge d’or est passée complètement inaperçue des Anciens. Le premier à l’évoquer comme simple médicinal fut un médecin catalan officiant à l’école de Montpellier, Arnaud de Villeneuve (1240-1311). Si l’on en croit ce qu’on dit de lui, il employa cette plante et en consigna les effets les plus évidents : « Arnault de Villeneuve dit qu’un gros [NdA : environ 4 g] de poudre de verge d’or, infusé du soir au matin dans un petit verre de vin blanc, continué douze ou quinze jours, brise la pierre dans la vessie !… », raconte Cazin en 1858. Cette prouesse le laisse pour le moins dubitatif, et il s’empresse d’ajouter que « l’oubli dans lequel est tombée cette plante s’explique par de telles exagérations »1. Pour preuve, à son époque la verge d’or était parfaitement inemployée. Pourtant, Joseph Roques, que Cazin cite dans la brève monographie qu’il consacre à cette plante, n’en disait pas moins qu’Arnaud de Villeneuve. Par ailleurs, ce même médecin catalan employait la verge d’or en cataplasme sur les ulcères de jambe. Perspicace, Arnaud de Villeneuve mit en évidence les deux principales propriétés de la verge d’or : son action astringente d’une part, et diurétique d’autre part. C’est dire si elle ne porte pas le nom de solidage par hasard. Ce mot est issu du verbe latin solidare, autrement dit : « affermir, consolider ». En raison de ses propriétés vulnéraires, elle consolide, elle rend entier. C’est une référence explicite à son pouvoir de guérison des plaies. Solidago, terme forgé par Otto Brunfels au XVIe siècle se destina un temps à la pâquerette avant d’échoir à la verge d’or. Avec raison !

Aux XVe et XVIe siècles, les médecins allemands (Solenander, Grulling, etc.) prisèrent fort la verge d’or et ne tarirent point d’éloges sur la capacité de cette plante à refermer les plaies, mêmes internes, ainsi que son pouvoir lithontriptique (= « briseur de pierre »). Alors qu’en 1554 Matthiole ne la décrivit que brièvement, en 1546 l’Alsacien Jérôme Bock plaçait la verge d’or et la sanicle (qui était alors une panacée) sur le même pied d’égalité. La sanicle, très réputée dans les contrées germaniques bien avant Jérôme Bock, présente, en effet, un portrait thérapeutique presque identique à celui de la verge d’or, à l’exception de ses actions curatives sur la sphère vésicale et rénale. En France, au tout début du XVIIe siècle, Olivier de Serres fit de la verge d’or une jolie description dans son Théâtre d’agriculture. Au XVIIIe siècle, le Dictionnaire de Trévoux n’oublia pas la verge d’or, « tout à la fois vulnéraire et diurétique, propre pour le calcul et pour la dysenterie », non plus que les illustres Carl von Linné et Jean-Baptiste Chomel qui la décrivirent comme l’un des plus utiles végétaux. En 1731, le médecin allemand Johann Christoph Lischwitz fit valoir la valeur hémostyptique de la verge d’or sur l’hémoptysie et l’ulcère de l’urètre. Puis, peu à peu, on se désintéressa de cette plante presque inusitée. Une longue traversée du désert attendait la verge d’or, malgré son indéniable réputation d’astringente, de vulnéraire et de diurétique qui mena les hommes à l’utiliser à travers une foule de maux (hémorragie utérine, néphrite, hydropisie, catarrhe vésical, gravelle, etc.). Pourtant, elle n’entrait pas dans la composition du faltrank (ou vulnéraire suisse) pour rien. Mais bon, non, la verge d’or ne déchaîna plus les passions, enfin, jusqu’à ce que… « Beaucoup de choses renaîtront, qui étaient depuis longtemps oubliées », proclamait le poète Horace… jusqu’à ce que Duché, en 1886, la prescrive dans l’anurie et la dysurie, et surtout Leclerc qui rapprochait la verge d’or de la bruyère, ce qui n’est pas rien !

« Je ne sais pas par quel endroit les alchimistes ou chercheurs de pierre philosophale font tant d’estime de cette plante », s’interrogeait Jean-Baptiste Chomel au siècle des Lumières2. Le seul fait qu’elle soit une plante médicinale majeure ne nous autorise pas à expliquer cet engouement. Je ne sais pas si elle permet de dénicher la pierre philosophale, mais on lui accorde la réputation de briser celle qui se trouve dans les reins et dans la vessie. Il faut dire qu’elle est diurétique, qu’elle pousse donc les urines dans les voies qui leur sont imparties, et plausiblement ce qui les encombre jusqu’à la sortie, empruntant le trajet de la verge d’or jusqu’au dehors. D’où ce virga aurea qui sonne si bien et dont la transcription française – verge d’or – fait bien évidemment référence à sa gerbe de fleurs dorées plus qu’à ses pouvoirs de fontaine diurétique. Mais plus que cela, la verge d’or s’appelle surtout ainsi tout d’abord parce qu’elle est virga, initialement « branche verte », puis canne, baguette (destinée à battre, soumettre, donc à placer sous une férule autoritaire et rigoureuse). Par exemple, une volée de bois vert ne saurait se passer de verge, un mot qui dénote une forte activité, bien plus que celle qui consiste à se faire simplement taper sur les doigts ! Animée d’une force agissante et d’un pouvoir de transformation – la verge ou baguette est tout autant la batte de la baratte que la drille du trépan –, il est tout naturel qu’elle soit devenue une « arme » magique et qu’elle ait été employée comme baguette magique : « C’est avec une verge ou une flèche semblable, c’est-à-dire avec la foudre d’or, qu’Indra, dans les hymnes védiques, ouvre la caverne où les démons, les voleurs, ont caché les vaches, les trésors, les eaux du ciel, l’ambroisie, les épouses divines »3. Par cette capacité à déceler les trésors, qui s’est transposée à la verge d’or, l’on peut plus aisément expliquer l’accointance que cette plante posséderait vis-à-vis de la pierre philosophale, elle-même trésor et moyen de le découvrir. Étant employée dans les charmes d’argent, c’est sans doute grâce à cela qu’elle a la réputation d’attirer à soi la bonne fortune (tout en repoussant les démons, les serpents, les vers, les ténèbres vénéneuses). Ainsi, lorsqu’elle pousse à proximité de la porte d’une maison, c’est bon signe. Mais comme les trésors ne se comptent pas qu’en pièces sonnantes et trébuchantes, sachez encore que « la verge d’or […] a aussi le pouvoir de procurer une épouse à qui la désire »4. Enfin, pour savoir qui sera votre futur(e) amoureux(se), portez donc sur vous un peu de verge d’or. Goldrute, mein schatze !

Pour Guy Fuinel, la verge d’or est la plante de la solitude assumée : « Alors que tant de gens s’agitent, s’insurgent, s’interrogent, proclament ou déclament, la verge d’or reste seule et silencieuse. Son chemin ne passe pas par l’agitation permanente »5. Exprimant assez vertement que « lâcher prise » n’est pas autre chose qu’un euphémisme de « laisser pisser », la verge d’or pourrait être l’emblème du neuvième arcane du Tarot de Marseille, l’Ermite, qui, en l’occurrence tient en main ce qui n’est pas qu’instrument de la marche du pèlerin mais plus encore celui de sa sage clairvoyance.

La verge d’or est une plante herbacée vivace possédant une racine traçante fibreuse pouvant s’enfoncer jusqu’à un mètre sous terre et de laquelle s’érige une dure et forte tige (mais moelleuse et au cœur d’aspect spongieux intérieurement), épaisse, cannelée, rougeâtre violacé à sa base (et parfois même beaucoup plus haut que ça), verte et pubescente à son sommet, lequel se situe 40 à 100 cm au-dessus du sol. Les larges feuilles basales ovales sont munies d’un pétiole alors que les supérieures, plus étroites, n’en possèdent jamais et se mêlent à une inflorescence peu dense, grappe de capitules jaune d’or apparaissant entre juillet et octobre, régalant les abeilles de leur abondant nectar durant une bonne partie de l’année. Astéracée oblige, les fleurs tubuleuses et centrales de la verge d’or sont groupées en capitules à allure de bouton de chemise (à la manière de ceux de la tanaisie vulgaire), et seuls ceux situés en périphérie de l’inflorescence sont équipés de ligules jaunes femelles peu nombreuses. La fructification donne lieu à de petits akènes velus surmontés d’une aigrette favorisant l’anémochorie.

La verge d’or est une plante assez courante, tant en plaine qu’en montagne. On la croise au soleil ou à mi-ombre, sur sols essentiellement secs, sablonneux et plutôt acides, tels que rocailles, zones rocheuses, landes, clairières, prés maigres, bois clairs, terrains vagues. « Elle deviendrait une plante d’ornement si elle était exotique et moins commune »6. Heureusement que l’on n’a pas attendu après ça pour porter intérêt à ses qualités thérapeutiques !

La verge d’or en phytothérapie

La racine de la verge d’or contient essentiellement beaucoup d’inuline (comme de nombreuses astéracées, elle constitue une substance de stockage ; il serait intéressant de savoir, si de cette racine, l’on peut extirper un ersatz de chicorée ou pas), ainsi que des saponines (virgaureasaponines). Mais celles-ci n’y sont jamais aussi nombreuses que dans les feuilles où elles atteignent un très haut niveau à l’automne (et qu’elles perdent en séchant). Mais, quoi qu’on en ait dit, la partie souterraine de la verge d’or n’est pas celle qui, de tous temps, a fait le plus d’émules. Pour s’en convaincre, un coup d’œil jeté aux recettaires nous renseigne sur ce point : ce sont les sommités fleuries qui représentent le gros des troupes, quelquefois les feuilles seules. La matière végétale aérienne est abondante et efficace. Pourquoi donc aller s’enquiquiner à extraire du sol une racine qui fait tout pour y rester, hum ? Inodores, les feuilles un peu amères se distinguent surtout par une saveur astringente et âpre, tandis qu’aux fleurs on peut trouver un vague parfum épicé. Les parties aériennes fleuries de la verge d’or nous offrent de quoi nous réjouir : une quantité non négligeable de tanin (10 à 15 %), divers acides (caféique, chlorogénique, acétique, quinique, salicylique), du mucilage, de la résine, de nombreux flavonoïdes (quercétine, quercitrine, isoquercitrine, hyperoside, rutine, kaempférol, nicotiflorine, afzéline, astragaline, narcissine et j’en oublie), des polysaccharides, divers sucres (glucose, galactose, rutinose, rhamnose), des hétérosides phénoliques (virgauréoside A, leiocarposide), enfin quelques traces d’essence aromatique à coumarines dont j’ignore si la composition biochimique de l’huile essentielle qu’on en tire est proche de celle de verge d’or du Canada, produit assez anodin au parfum un peu boisé et balsamique (désolé, je ne parviens pas à déceler le « fleuri » et le « citronné » qu’on prête à cette huile essentielle), qui fait doublon (enfin, presque), avec la plupart des produits de phytothérapie à base de Solidago virga aurea (à choisir, mieux vaut un extrait de plante fraîche (EPF) de cette dernière qu’une huile essentielle de l’autre, car les huiles essentielles, c’est pas automatique et ça ne devrait pas l’être).

Voici néanmoins quelques chiffres qui permettent de savoir où on se situe avec cette huile essentielle de Solidago canadensis :

  • Monoterpènes : 48,80 % (dont α-pinène : 14,20 % ; dont limonène : 11,80 % ; dont β-myrcène : 10 % ; dont sabinène : 5,70 %)
  • Sesquiterpènes : 40,90 % (dont germacrène D : 29 %)
  • Esters : 3 % (dont acétate de bornyle : 2,90 %)
  • Sesquiterpénols : 1,30 %
  • Monoterpénols : 0,70 %

Nous dirons deux mots des propriétés et usages thérapeutiques de cette huile essentielle en fin d’article.

Propriétés thérapeutiques

  • Draineuse rénale, draineuse et assainissante des voies urinaires, diurétique puissante, éliminatrice des déchets (acide urique, urée), antiseptique et sédative des voies urinaires
  • Protectrice capillaire, favorise la circulation du sang, dépurative sanguine, hémostyptique
  • Draineuse hépatique, cholérétique
  • Apéritive, digestive, carminative, antidiarrhéique
  • Astringente, détersive, vulnéraire, cicatrisante, adoucissante
  • Anti-infectieuse : antifongique (anticandidosique)
  • Anti-oxydante
  • Diaphorétique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation de l’appareil urinaire (néphrite aiguë ou chronique, pyélonéphrite, cystite, urétrite), colique néphrétique, difficulté et douleur lors de la miction, catarrhe vésical, ulcère vésical, mal de Bright, lithiase (rénale et vésicale), urine sédimenteuse, albuminurie, phosphaturie, hématurie, excès d’urée, colibacillose, incontinence urinaire, troubles locomoteurs liés à un excès d’urée et d’acide urique (goutte, rhumatisme, arthrite), affections pléthoriques (collections liquidiennes : hydropisie naissante, œdème rénal, obésité), hypertrophie de la prostate (d’aucuns s’imaginent que cela pourrait avoir une incidence sur le bon fonctionnement des organes génitaux masculins, ce qu’explique, d’après eux, explicitement le nom de la plante… Il serait dès lors facile de conseiller la verge d’or contre les troubles principaux qui affectent la virilité. Mais ça serait un peu trop fort de café, n’est-ce pas ?)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : petite insuffisance hépatique, hépatisme, ictère, lithiase biliaire (?), diabète
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée (y compris celle des tuberculeux et des jeunes enfants), dysenterie, entérite (y compris chez le nourrisson), entérite mucomembraneuse, entérocolite, entéralgie, gastro-entérite (chez l’enfant), toute autre inflammation du tube digestif, hémorragie gastro-intestinale, constipation, gaz intestinaux
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : rhume, sécrétions nasales chroniques, rhinite allergique, maux de gorge, toux, catarrhe pulmonaire
  • Affections bucco-dentaires : ulcère buccal, stomatite, relâchement gingival, gencives saignantes, branlantes, enflées
  • Troubles de la sphère gynécologique : candidose vaginale, ménorragie
  • Affections cutanées : plaie, plaie de guérison difficile, ulcère, ulcère de jambe, brûlure, piqûre d’insecte, eczéma chronique, tumeur cutanée

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries et/ou de feuilles.
  • Décoction de sommités fleuries et/ou de feuilles : compter de 10 à 50 g pour un litre d’eau. Faire bouillir 2 à 5 mn, puis faire infuser durant 10 mn. Variante : jeter un litre d’eau bouillante sur 50 g de sommités fleuries. Faire bouillir pendant 10 mn et laisser en contact pendant une douzaine d’heures. Passer. Boire dans la journée.
  • Teinture alcoolique : faire macérer 20 parties de sommités fleuries dans 100 parties d’alcool. Variante : faire bouillir 100 g de sommités fleuries fraîches de verge d’or dans un litre d’eau jusqu’à réduction de moitié. Laisser infuser. Ajouter 250 g d’alcool. Passer et conserver en flacon ambré bouché. Aujourd’hui, l’on peut se contenter d’un EPF. Parmi les anciennes préparations magistrales unissant les principes actifs de la verge d’or (entre autres) à l’alcool, citons l’eau vulnéraire (ou d’arquebusade) et le vulnéraire suisse (faltrank).
  • Sirop : ½ litre de la décoction donnée plus haut mêlé à 750 g de sucre. A placer sur feu doux jusqu’à ce que l’ensemble prenne une consistance sirupeuse.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses en application locale. On peut se servir aussi de la poudre de feuilles que l’on saupoudre ou bien que l’on mélange à de l’argile verte afin d’en former une pâte applicable sur plaies et ulcères.
  • Bain de bouche : il se réalise à l’aide de la décoction (froide) évoquée plus haut.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule lors de la floraison, laquelle est bien évidemment fonction du climat et de l’altitude. La verge d’or pouvant pousser jusqu’à 2800 m, on comprend que la floraison des spécimens montagnards est plus tardive. Ceci dit, nous sommes bien peu nombreux à nous rendre auprès de sphères aussi élevées. Redescendons donc sur terre et signalons qu’en règle générale, les sommités fleuries de la verge d’or se sectionnent entre juillet et octobre, en particulier au moment précis où débute tout juste la floraison. En effet, cette plante poursuit son activité végétative même une fois coupée. Si on s’y prend trop tardivement, on risque de se retrouver avec une plante sèche fructifiée !
  • On préconise des cures d’une durée d’une semaine, suivie d’un même laps de temps d’arrêt, avant de reprendre pour une nouvelle semaine.
  • Des fleurs jaune d’or de la verge dorée l’on peut tirer une teinture jaune adaptée à la coloration de la laine et de la soie.
  • Autres espèces : elles sont nombreuses. Seul le Solidago virga aurea est indigène, mais aujourd’hui on rencontre sur le territoire français d’autres espèces. C’est le cas de la verge d’or du Canada (Solidago canadensis) en provenance d’Amérique septentrionale et introduite en France en 1648. Autre solidage américain, la verge d’or géante (Solidago gigantea). Débarquée en France dès 1758, elle s’est rapidement implantée, puis imposée comme espèce potentiellement invasive. Malgré son nom, cette plante possède une stature nettement inférieure à celle de la plante précédente. Citons encore la verge d’or toujours verte (Solidago sempervirens) et la verge d’or en zigzag (Solidago flexicaulis).
  • Huile essentielle de verge d’or du Canada : cette substance à peu près formée d’une moitié de monoterpènes et d’une moitié de sesquiterpènes, possède une action sur la sphère cardiovasculaire (hypotensive, anti-inflammatoire et antispasmodique cardiovasculaire). L’on s’en sert donc en cas d’hypertension artérielle, d’artérite, d’endocardite et de péricardite. Elle n’est pas non plus sans effet sur les sphères hépatique (petite insuffisance hépatique) et rénale (draineuse et diurétique, comme sa consœur virga aurea) sur lesquelles elle porte ses vertus anti-inflammatoires et analgésiques. On lui prête encore des capacités anti-oxydantes, expectorantes, mucolytiques et anti-allergéniques (elle abaisse et soulage notamment les réactions allergiques relatives aux pollens survenant à la fin de l’été). Cette huile essentielle non toxique peut en certains cas s’avérer capable d’induire irritation et sensibilisation. On recommande aux femmes enceintes de l’éviter durant les trois premiers mois de grossesse.

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  1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 976-977.
  2. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 505.
  3. Angelo de Gubernatis, La Mythologie des plantes, Tome 1, p. 52.
  4. Ibidem.
  5. Guy Fuinel, La sérénité et les plantes, p. 84.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, pp. 337-338.

© Books of Dante – 2022

La verge d’or du Canada se configure de manière bien différente.