L’eucalyptus citronné (Corymbia citriodora)

La composition biochimique de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné est si distincte de celles issues des grands cousins de cet arbre (eucalyptus globuleux et eucalyptus radié), qu’on ne peut assurément pas la mettre dans le même panier. D’ailleurs, pour marquer cette différence, l’eucalyptus citronné a changé de genre, passant d’Eucalyptus à Corymbia, qui regroupe des arbres quasiment tous endémiques à l’Australie.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Si les eucalyptus sont des arbres typiques de l’Australie et de la Tasmanie, l’eucalyptus citronné est originaire du Queensland, zone située au nord-est de l’Australie. Il a été, comme tant d’autres espèces végétales, « découvert » par les colons au XVIIIe siècle. En 1768-1771, eut lieu le premier voyage de James Cook dans l’océan Pacifique. Le naturaliste Joseph Banks, qui faisait partie de l’équipage, préleva des échantillons. Un botaniste français, Charles Louis L’Héritier de Brutelle, avec lequel Banks correspondait, décida de le nommer eucalyptus en 1789, c’est-à-dire le « bien caché ». Cela ne saurait pourtant pas faire oublier les usages aborigènes ancestraux de cet arbre et de ses cousins.

Moins grand par la taille que l’eucalyptus globuleux, l’eucalyptus citronné peut tout de même atteindre vingt bons mètres de hauteur. Sans doute que sa silhouette élancée le fait paraître plus grand qu’il ne l’est en réalité. Son fût bien droit est dominé par une couronne aérienne constituée de branches à l’écorce blanche mouchetée de rose. Le tronc principal est l’objet de desquamations importantes (cf. niaouli, platane, etc.) : de longs rubans typiques se détachent en lambeaux papyracés. L’eucalyptus citronné pèle comme un serpent à la peau psoriasique.

Les rameaux rougeâtres de l’eucalyptus citronné portent au moins trois stades différents de feuillage :

  • Tout d’abord les feuilles juvéniles couvertes de trichomes résineux : elles sont fines et opposées.
  • Puis les feuilles intermédiaires : devenant alternes, elles s’allongent et s’épaississent, mais restent moins élancées que celles qui leur succèdent.
  • Les feuilles adultes : nues et glabres, elles sont encore plus effilées que les précédentes (15 cm de long sur 2 cm de large). De couleur vert franc, elles sont attachées aux rameaux à l’aide de pétioles orangés du plus bel effet.

Les fleurs sans pétales de l’eucalyptus citronné sont en revanche bourrées d’étamines de couleur blanc crémeux. Elles génèrent par la suite de petits bouquets de fruits, capsules ligneuses qui forment comme des urnes brunes.

En cas d’incendie ou de tempête, l’arbre se régénère facilement à partir du sol grâce à ses lignotubers : il s’agit de réserves nutritives enterrées qui assurent la régénération de nouvelles pousses basales (et donc de futurs arbres) si jamais l’arbre d’origine venait à subir quelque avarie grave.

Aujourd’hui, cet arbre est naturalisé et cultivé en bien des endroits du monde : Asie (Chine, Inde, Vietnam), Amérique du Sud (Brésil, Chili), Afrique (Madagascar, Tunisie, Algérie), etc.

L’eucalyptus citronné en aromathérapie

Comme nous l’indique aisément son nom latin, cet eucalyptus se singularise par l’odeur citronnée qu’il propage : elle devient particulièrement marquée lorsqu’une de ses feuilles vient à être froissée. On la perçoit même en caressant seulement le limbe d’une feuille du bout du doigt (j’ai récemment rencontré un petit spécimen de cet arbre chez un pépiniériste, alors j’ai fait l’essai de la caresse). Sans trop grand risque d’erreur, dire de cette huile essentielle qu’elle sent le citron nous rapproche plus de la réalité que cela nous en éloigne. Mais, alors, il s’agirait d’un drôle de citron !… Acidulé, certes, mais, pour peu qu’on insiste, l’odeur tourne au liquoreux et au sirupeux, limite écœurante avec ses notes « rosées » à l’arrière-plan. C’est cela qui fait que le parfum de cette huile essentielle n’est pas aussi « frais » qu’on le voudrait, comme si il était plombé par une touche terreuse que l’on ne trouve pas dans l’essence de citron. Comme si le citron, auquel on s’est référé pour la nommer, se trouvait enfermé dans une gangue terreuse qui en emprisonnerait les effluves. Effectivement, il est impossible de découvrir dans cette huile essentielle la légèreté qui transparaît dans l’essence de citron. Sans doute parce que la composition biochimique de cette huile essentielle (aldéhydes terpéniques dominants) la rattache à l’élément Terre, tandis que le citron est, quant à lui, d’essence aérienne. Simon Lemesle, le patron d’Astérale, a parfaitement conscience de cette lourdeur olfactive, qu’il explique en ce sens : « On lui reproche souvent son odeur, ce qui est généralement dû à la faible qualité des productions disponibles sur le marché. » Généralement, on récolte l’eucalyptus citronné par temps clair, et l’on s’abstient de le faire les jours pluvieux et nuageux. Avant toute distillation, on écarte les trop gros rameaux, ne conservant que ceux dont le diamètre est inférieur à celui d’un crayon à papier, dans un rapport feuilles/rameaux de 7:3. Puis, sans plus tarder on distille ces rameaux porteurs de feuilles adultes (elles concentrent une plus forte teneur en essence). Procéder immédiatement, évite une trop forte évapotranspiration de l’essence, de même que la dégradation de sa qualité par un préfanage préalable trop long et contre-productif. Tout au contraire, Simon Lemesle a décidé de distiller uniquement les seules feuilles sans rameaux et en leur imposant un temps de distillation plus long. Selon les méthodes, on obtient 150 à 250 litres d’huile essentielle à l’hectare, soit un rendement qui varie de 0,5 à 4 % (parfois jusqu’à 7 % !). Incolore à jaune pâle (avec, parfois, des reflets verdâtres), l’huile essentielle d’eucalyptus citronné possède une densité assez basse, de l’ordre de 0,86 à 0,88. Quand on en observe d’un peu plus près la composition biochimique générale, on constate que certaines molécules ont emprunté leur nom au citron :

  • Aldéhydes terpéniques : 65 à 85 % dont citronnellal (70 %) ;
  • Monoterpénols : 15 à 20 % dont citronnellol (7 %), isopulégol (6 %), néo-isopulégol (3 %) ;
  • Esters : 5 % ;
  • Monoterpènes : 3 % ;
  • Sesquiterpènes : 2 %.

Concernant la molécule majoritaire, sa proportion varie principalement selon le terroir : 85 % en Chine, 80 % au Brésil contre « seulement » 65 % à Madagascar. On la rencontre aussi en masse dans l’huile essentielle de citronnelle de Java (30 %). Quant au citronnellol, on en trouve également dans l’huile essentielle de géranium bourbon (33 %). En revanche, du côté de l’eucalyptol, alias 1.8-cinéole, on n’en trouve pas trace.

J’ai estimé le prix moyen de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné biologique à 7 € les 10 ml. Mais cela étant très variable, il peut lui arriver d’osciller de 4 à 14 €. On voit trop d’huiles essentielles d’eucalyptus citronné sur le marché à moins de 5 € les 10 ml. Ce ne sont pas celles qui sont de meilleure qualité, même d’origine biologique. Payer le double de cette somme pour une qualité supérieure ne me semble pas exagéré.

Propriétés thérapeutiques

L’eucalyptus citronné, contrairement au globuleux et au radié, est un eucalyptus sans eucalyptol, autrement dit 1.8-cinéole de nos jours. 1 % à la rigueur qui se balade par-ci par-là. Et encore. Il ne faudra pas s’attendre à en faire une huile essentielle à visée respiratoire comme c’est le cas des deux autres eucalyptus cités ci-dessus et du ravintsara, entre autres. Du moins sur les voies respiratoires inférieures sur lesquelles elle est quasiment inopérante, au contraire des voies respiratoires supérieures où elle tire davantage son épingle du jeu. Cependant, il faut s’en faire l’aveu : le domaine de prédilection de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné, ce sont les muscles, les tendons, les os, etc., et particulièrement les douleurs qui les affligent. C’est donc une huile locomotrice.

  • Anti-infectieuse : antivirale légère, antibactérienne (Staphylococcus aureus, Bacillus subtilis, Escherichia coli, Rhizopus solani), antifongique (Aspergillus niger, A. terreus, A. nidulans, A. flavus, A. fumigatus, Malassezia furfur, champignon responsable de mycoses dont pityriasis versicolor), antiseptique atmosphérique ; antiparasitaire, anthelminthique, acaricide, insectifuge, larvicide (Aedes aegypti)
  • Anti-inflammatoire puissante, antalgique, analgésique, anti-rhumatismale
  • Antispasmodique légère
  • Expectorante, décongestionnante du nez et des sinus
  • Régulatrice pancréatique
  • Sédative, calmante, aide à la concentration, rafraîchit l’esprit (clarté mentale), relaxante, anxiolytique, hypotensive, régulatrice du système nerveux central, négativante
  • Cicatrisante puissante, décongestionnante cutanée, apaisante cutanée
  • Antiradicalaire (superoxydes, radicaux peroxyles, ABTS), inhibe l’oxydation de l’acide linoléique

Usages thérapeutiques

  • Troubles locomoteurs : douleurs articulaires (arthrite cervicodorsale, arthrose, polyarthrite rhumatoïde), rhumatismales, musculaires (tension, élongation, déchirure, contracture, courbature liée à l’effort ou par infection : covid-19, grippe, etc.), tendineuses (tendinite aiguë et chronique, inflammation du tendon d’Achille), névralgiques (sciatique), torticolis, dorsalgie, fibromyalgie, entorse, lumbago, épicondylite latérale du coude, algodystrophie de la cheville, inflammation des fascias plantaires ; pour les sportifs et les marcheurs au long cours : application sur les jambes et les fascias plantaires avant et/ou après effort
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, coronarite, péricardite, jambes lourdes, phlébite
  • Troubles de la sphère respiratoire : sinusite chronique, toux, rhume, congestion nasale, bronchite
  • Affections cutanées : démangeaison, mycose (pied d’athlète), zona, prurit, piqûres d’insecte, acné
  • Troubles de la sphère gynécologique : vaginite, leucorrhée
  • Troubles du système nerveux : trouble du sommeil, stress, anxiété, agitation, énervement
  • Moustiques, poux des volailles, tiques, acariens des maisons, ascarides
  • Diabète
  • Cystite

Propriétés énergétiques et psycho-émotionnelles

Ne contenant pas d’oxydes (1.8-cinéole en l’occurrence), l’eucalyptus citronné est donc largement moins asséchant que ses cousins myrtacés que sont E. globulus et E. radiata, autres ravintsara (Cinnamomum camphora) et saro (Cinnamosma fragrans), pour n’en citer que quelques-uns, chez qui la grosse proportion d’eucalyptol absorbe les excédents d’eau pulmonaire. Comme nous l’avons vu, la composition biochimique de l’huile essentielle d’eucalyptus citronné ne lui permet pas de les égaler à ce propos. Mais il est en revanche excellent sur d’autres points vis-à-vis desquels les quatre autres sus-nommés peinent à offrir une quelconque satisfaction.

J’ai lu quelque part (sur le site d’Herbes & Traditions), que l’huile essentielle d’eucalyptus citronné permet de « calmer les tempéraments sanguins ». Cela peut paraître banal comme ça, mais je vais expliquer ici pourquoi je suis d’accord avec ce constat. Sanguin, cela correspond à l’une des quatre humeurs telles que définies comme suit depuis le temps d’Hippocrate :

  • Quatre éléments : Terre, Eau, Feu, Air
  • Quatre natures : froid, sec, humide, chaud

Les quatre humeurs s’obtiennent en unissant deux natures entre elles :

  • Froid et sec : atrabilaire
  • Froid et humide : lymphatique
  • Chaud et sec : colérique
  • Chaud et humide : sanguin

Une évidence : l’huile essentielle d’eucalyptus citronné, attachée à l’élément Terre, considérée comme froide et sèche, compense et réduit les excès du tempérament diamétralement opposé à l’humeur atrabilaire, c’est-à-dire les sanguins, parmi lesquels nous trouvons les trois signes astrologiques pilotés par l’Air que sont les Gémeaux, la Balance et le Verseau. Dans le cas où une personne, appartenant à l’un de ces trois signes, devient exagérément volatile et bouillonnante, il est bien probable que l’eucalyptus citronné viendra mitiger ses ardeurs. Ces excès dans le tempérament peuvent s’exprimer à travers une animosité soudaine qui dénote un manque de contrôle de soi, un sursaut émotionnel incoercible, ou bien sont visibles par le biais de décisions prises à la va-vite et de façon souvent irréfléchie.

Ainsi peut-on affirmer que cette huile essentielle est favorable à la réflexion détendue, à l’instauration d’un sentiment qui permette de relativiser en toute quiétude, comme si elle repoussait des frontières illusoires placées trop près de nous, des restrictions opprimantes qui nous garrotteraient dans nos actions, ce qui, in fine, deviendrait source d’agacerie et d’agitation, deux effets indésirables beaucoup plus prompts à se manifester chez le sanguin pour lequel, généralement, le sang, comme le veut l’expression, ne fait qu’un tour. Mais celui-ci doit apprendre à se dominer : la Balance doit demeurée équilibrée, de même que les Gémeaux qui ne sont pas un signe double pour rien. Quant à l’échanson céleste… qu’adviendrait-il s’il ne parvenait pas à réguler le débit de son amphore le plus justement possible ? On observerait le même genre de désastres tels que relatés dans certains épisodes célèbres de la mythologie grecque : des divinités revanchardes détruisant tout sur leur passage (signe d’un excès manifeste d’Uranus dont les Verseaux sont tributaires : quand dans un signe quel qu’il soit une planète s’exprime en trop mauvaise part, on voit surgir des perturbations graves).

Modes d’emploi

  • La diffusion est souvent donnée comme la voie royale par laquelle utiliser l’huile essentielle d’eucalyptus citronné. C’est vrai, mais à condition de ne pas en abuser, de même que son olfaction directement au flacon (elle reste assez longtemps « dans le nez »).
  • Par voie externe, l’application pure en geste d’urgence est possible. Mais, généralement, prévaut la dilution de l’huile essentielle dans une huile végétale (5 %), car elle présente l’inconvénient de tous les aldéhydes terpéniques sur ce point, c’est-à-dire une dermocausticité, certes limitée par rapport aux phénols par exemple, mais qui peut causer des échauffements et de vives sensations d’irritation.
  • La voie orale est celle qui demeure la moins recommandée. Quand je vois des posologies journalières de deux gouttes trois fois par jour… je me demande ce qui passe par la tête des gens. L’huile essentielle d’eucalyptus citronné, c’est comme celle de lavande fine, elle gagne à s’employer par voie externe (je pense aussi qu’il faut cesser de décrédibiliser les remèdes externes par rapport à ceux que l’on absorbe per os, comme si ces derniers pouvaient s’enorgueillir de cela pour une raison qu’il reste à déterminer. De cette opposition dedans-dehors, il y en aurait nécessairement un plus « noble » et plus sérieux que l’autre ?).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Bien qu’il n’en existe aucune connue, certains aromathérapeutes demandent d’être prudent durant les trois premiers mois de la grossesse.
  • L’essence d’eucalyptus citronnée, découverte dès 1882, s’orienta premièrement en direction de la parfumerie. Elle fut si demandée par cette industrie que durant les années 1970 elle comptait encore au nombre des huiles essentielles très prisées, à condition qu’elle présentât des taux de citronnellal et de citronnellol acceptables. Avant même de s’arrêter à la case médecine, l’huile essentielle d’eucalyptus citronné fut accaparée par la cosmétique et la savonnerie.
  • Le bois qu’offre l’eucalyptus citronné est de grande utilité pour la construction, tant des bateaux, des habitations, que des ouvrages d’art (ponts). Il servit aussi pour façonner des étais de mine et des traverses de voies de chemin de fer. De plus, il offre une excellente pâte de fabrication du papier.

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Du patchouli en Espagne !


Le flacon découvert dans le mausolée de Carmona en 2019.


Dans la province de Séville, près de la ville de Carmona, une découverte archéologique a eu lieu en août 2019 : un mausolée collectif du 1er siècle apr. J.-C. Prévu pour huit personnes, il n’était occupé par les restes que de trois hommes et trois femmes. Parmi elles, l’une a attiré l’attention des archéologues : dans un boîtier en plomb en forme d’œuf, était enfermée une urne funéraire en verre munie de poignées latérales. A l’intérieur de cette urne se trouvaient divers objets, outre les restes incinérés d’une femme de 40 ans : trois perles plates et rondes en ambre, des fragments de tissu et… un joli petit flacon de 7 cm de longueur. L’analyse a démontré qu’il est façonné en cristal de roche, ce qui est extrêmement rare dans l’empire romain, les objets de ce type étant surtout conçus avec du métal, du verre ou de la céramique. Les chercheurs ont constaté que le flacon était hermétiquement bouché par un fragment de dolomite enrobé d’une substance bitumineuse noirâtre jouant un rôle imperméabilisant. Au fond du flacon demeurait un reliquat dont les chercheurs sont parvenus à déterminer la composition, ce qui n’eut pas été possible sans la coexistence de plusieurs facteurs : le mausolée, non pillé, est resté à l’abri de la lumière durant des siècles. On sait aussi que le plomb est un bon protecteur. Enfin, le sceau bitumineux a soustrait le contenu du flacon à l’attaque oxydative de l’air. Ainsi, l’état de conservation exceptionnel de ce flacon en quartz l’a autorisé à voyager sans encombre par delà les siècles. Par l’intermédiaire d’analyses (chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse entre autres), les chercheurs sont arrivés à dessiner précisément le contour biochimique de ce qui résidait au fond de cet unguentarium. A une huile végétale (peut-être d’olive) étaient mêlées plusieurs molécules aromatiques qui ont fait pencher, durant un temps, les chercheurs du côté du nard de l’Himalaya (Nardostachys jatamensi). Une grosse fraction de sesquiterpènes (aromadendrène, seychellène, α-guaiène, α-cubébène, etc.) a été à l’origine de cette hypothèse. Mais quand ils ont vu surgir du patchoulénol, le doute n’a plus été permis, puisque ce sesquiterpénol est absent de l’huile essentielle de nard de l’Himalaya. Bien qu’on soit certain qu’il s’agisse de patchouli, l’on n’est en revanche pas parvenu à déterminer si c’était là le patchouli bien connu des aromathérapeutes et autres amateurs d’huiles essentielles, c’est-à-dire Pogostemon cablin. Mais la découverte est suffisamment ahurissante pour qu’on n’ait pas à s’appesantir plus longtemps sur ce type de question. Cependant, l’on ne peut pas affirmer que ce flacon contient de l’huile essentielle de patchouli : en effet, le procédé de l’hydrodistillation était inconnu à cette époque, qui faisait davantage intervenir l’extraction à froid de substances odoriférantes diverses dans l’huile végétale, ainsi que l’enfleurage, technique longue et coûteuse que la parfumerie moderne connaît encore bien de nos jours.

On trouvait donc du patchouli en Espagne romaine ? Pourquoi pas ? L’on a bien découvert des monnaies romaines dans la vallée de l’Indus, ce qui est la preuve éclatante de la circulation des hommes et des marchandises d’est en ouest, et inversement. Ce qui rend cette découverte encore plus exceptionnelle, c’est que, jusqu’à ce jour, l’on ignorait que les Romains pussent apprécier le parfum lourd, terreux et boisé du patchouli. Doit-on, dès lors, en conclure que l’empire romain cocotait le patchouli à tout-va ? Certes non ! Le flacon de cristal de roche est un marqueur de richesse, tout comme le patchouli de par sa provenance exotique. Et vu l’usage social qui en fut fait en l’occurrence, il ne s’agissait clairement pas d’étaler son goût du luxe. Aussi, une question reste entière : quelle fonction put jouer ce parfum au patchouli pour cette défunte ?

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Divers unguentarium romains (musée archéologique d’Antalya, Turquie).


Kunzéa+fragonia

Un peu d’aromathérapie, pour changer. Voici un drôle d’article, comme je n’aime pas trop en écrire. Mais je ne fais qu’y donner mon avis, après tout. Sans cela, la devise du blog ne serait pas ce qu’elle est.

Un beau week-end à toutes et à tous,

Gilles

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Les huiles essentielles de kunzéa (Kunzea ambigua) et de fragonia (Taxandria fragrans) en aromathérapie

Synonymes (pour kunzéa) : white cloud, tick bush, tasmanian spring flower.

Synonymes (pour fragonia) : fragrant agonis, coarse agonis, coarse tea tree.

Toutes deux issues des rameaux feuillés et fleuris des plantes respectives dont on les tire, les huiles essentielles de kunzéa et de fragonia sont le résultat de l’hydrodistillation à la vapeur des parties récoltées pour une durée variable selon la plante considérée : si le fragonia se contente généralement d’1h30, le kunzéa exige davantage de temps : 30 à 60 mn suffisent tout juste à extirper les molécules les plus volatiles parmi lesquelles l’α-pinène. Mais si l’on souhaite faire remonter la fraction la plus dense (en l’occurrence, ces sesquiterpénols que sont le globulol et le viridiflorol entre autres), il faut s’obliger à prolonger la distillation pendant au moins trois heures, parfois quatre ou cinq. La technique de l’hydrodistillation à basse pression élabore, dans un cas comme dans l’autre, des huiles essentielles incolores (voire colorées d’un jaune très pâle), fluides, mobiles, transparentes, de densité équivalente : 0,9 pour kunzéa, 0,89 pour fragonia. La seule différence très nette d’un point de vue physico-chimique tient dans le parfum de ces deux huiles essentielles : si elles possèdent en commun une odeur décrite comme douce et florale, celle de fragonia l’est davantage encore selon la littérature, s’ouvrant en direction d’une fraîcheur « cinéolée » qui se mêle à une note légèrement citronnée et balsamique très aérienne. Quant à l’huile essentielle de kunzéa, elle est moins expansive, m’apparaît plus épicée et résineuse, alourdie par ses sesquiterpénols, au contraire du fragonia qui bénéficie de la volatilité bien plus prononcée de ses oxydes et de ses monoterpènes. Une autre façon de distinguer ces deux huiles essentielles, c’est encore d’observer leur composition biochimique respective :

Note : concernant l’huile essentielle de kunzéa, ces proportions aromatiques peuvent drastiquement évoluer d’un lot à l’autre, en particulier au sujet des molécules suivantes : α-pinène (0,6 à 62,5 %), viridiflorol (0,3 à 38 %), globulol (0,5 à 22,6 %) et 1,8-cinéol (0 à 12,5 %).

Propriétés thérapeutiques

Kunzéa :

  • Anti-infectieuse : antifongique, antivirale, antibactérienne (Klebsellia sp., Staphylococcus aureus, Enterobacter sp.), antiparasitaire, insectifuge (punaise, tique, moustique)
  • Immunostimulante, positivante
  • Antiseptique des voies respiratoires
  • Antispasmodique
  • Anti-oxydante, anti-inflammatoire
  • Anti-rhumatismale, anti-arthritique
  • Stimulante, « rajeunissante », tonique cérébrale, anxiolytique
  • Analgésique

Fragonia :

  • Anti-infectieuse : antifongique (Candida albicans), antivirale, antibactérienne (Klebsellia sp., Proteus mirabilis, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baylyi)
  • Immunostimulante, positivante
  • Anti-asthmatique, expectorante, décongestionnante nasale
  • Antispasmodique
  • Anti-oxydante, anti-inflammatoire
  • Inductrice du sommeil, en améliore la qualité, revitalisante, endigue les élans dépressifs

Usages thérapeutiques

Kunzéa :

  • Troubles locomoteurs : douleurs musculaires et articulaires, affections neuromusculaires
  • Troubles de la sphère circulatoire : varice, hémorroïde, maux de tête
  • Affections cutanées : ulcère, brûlure, parasitose cutanée (gale, teigne), piqûre d’insecte
  • Troubles du système nerveux : agitation, problème de concentration, stress, tension nerveuse, état dépressif (dépression saisonnière surtout)
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inflammation intestinale, maladie de Crohn (dans ce dernier cas, je ne crois vraiment pas que ce soit très pertinent, la flore de Crohn étant déjà très pauvre… Or, l’on vient de dire, il y a seulement quelques lignes, que l’huile essentielle de kunzéa était un parfait antibactérien…)
  • Fatigue chronique
  • Dépendance et sevrage (drogues, tabac, aliments)

Fragonia :

  • Troubles locomoteurs : douleurs musculaires et articulaires, tension musculaire, étirement douloureux, arthrite, arthrose, rhumatisme, crampe, entorse
  • Affections cutanées : acné, impétigo, mycose, herpès, lichen, peaux irritées, grasses, enflammées, fatiguées, aux pores dilatés
  • Troubles du système nerveux : agitation, anxiété, angoisse, sentiment de négativité, état dépressif, insomnie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : ballonnements
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, catarrhe bronchique, congestion des sinus, rhume, pneumonie, amygdalite
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, vaginite, inconfort lié aux menstruations (migraine, aménorrhée, troubles hormonaux)

Note : il paraît que l’huile essentielle de fragonia pourrait être de quelque utilité face à la maladie de Lyme. Je n’en dirai pas davantage.

Modes d’emploi

  • Utilisation en interne : on préconise un usage limité (une goutte par prise, trois fois pas jour, pendant une semaine) de ces deux huiles essentielles, qui sont encore peu protocolarisées sous nos latitudes. Elles s’absorbent per os dans les substrats habituels (huile d’olive, miel, etc.).
  • Massage : on s’y soumettra ou pas selon l’état général de la peau, en l’occurrence pour tout ce qui concerne les lésions et douleurs locomotrices profondes. Il est nécessaire, dans tous les cas, de diluer convenablement ces huiles essentielles dans une huile végétale adaptée au besoin qui s’impose. L’huile essentielle de fragonia peut éventuellement s’appliquer pure ou diluée à 50 % sur la peau dans certains cas.
  • Dispersion atmosphérique.
  • Inhalation humide, olfaction directement au flacon, inhalation radiale.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Ni pour l’une, ni pour l’autre, la littérature spécialisée n’a retenu de précaution particulière à prendre, hormis celle, dictée par l’habitude, de ne pas en faire usage durant les trois premiers mois de grossesse.
  • Ces deux huiles essentielles sont riches en monoterpènes (surtout celle de kunzéa), ce qui les expose à un phénomène contraignant mais naturel : l’oxydation. Il est donc impératif de soigneusement stocker ces huiles essentielles dans un lieu qui minimise les pertes, au réfrigérateur, par exemple (à l’instar des huiles végétales dites fragiles, si fragiles en fait qu’elles sont déjà oxydées avant d’arriver à cette étape où, soigneusement, vous pensez les affranchir de la vilaine méchante oxydation en les réservant soigneusement au réfrigérateur, ah ah ! ^.^ On se demande alors pourquoi il n’en serait pas de même de kunzéa et de fragonia…).
  • Autres espèces : on doit s’en douter, Kunzea ambigua et Taxandria fragrans ne sont pas seules dans leur genre, puisqu’il existe bien d’autres plantes de ce type : – Pour les Kunzea : rawinuiri ou kanuka (K. robusta, à ne pas confondre avec le manuka qui est une autre espèce), makahikatoa (K. serotina), rawinitoa (K. amathicola), arbre à thé blanc (K. ericoides) ; – Pour les Taxandria : taxandrie à feuilles étroites (T. angustifolia), taxandrie à floraison abondante (T. floribunda), taxandrie à feuilles de genévrier (T. junipera).

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Une fois n’est pas coutume, j’entame la rédaction de cet article par la fin. Mais pourquoi donc ? Parce que j’ai besoin de certaines informations libellées ci-dessus afin d’alimenter le propos qui attend d’être partagé ci-après. Dans le cas contraire, je me serais confronté à des allers-retours disgracieux ^.^ Parfois, pour y voir plus clair, il importe d’inverser les perspectives, et de se positionner à la façon du Pendu du tarot de Marseille. Aussi, cul par-dessus tête, zou !…

Commençons tout d’abord par dire qu’il ne s’agit pas là, malgré l’architecture classique de ce que vous venez de lire, d’un article « habituel et conventionnel », sans quoi je n’aurais jamais associé, au sein d’un même texte, deux plantes dont le principal point commun est d’appartenir à la même famille, celle des Myrtacées. Aurait-on idée, par exemple, de rédiger un article de même facture entremêlant des données concernant la menthe poivrée et cette autre lamiacée qu’est le romarin officinal ? Certainement que non. Alors, pourquoi donc s’aventurer sur un terrain si délicat ? Je m’en vais vous expliquer tout ça.

La première fois qu’il m’a été donné de prendre connaissance de l’existence du kunzéa et du fragonia, il y a une quinzaine d’années, ces deux huiles essentielles se présentèrent simultanément à moi, comme s’il s’agissait là de deux sœurs jumelles, qui plus est siamoises. Je me rappelle qu’il n’était pas même possible d’évoquer l’une sans que l’autre ne se radine ! Cela peut paraître exagéré, mais c’est bien comme cela qu’elles nous furent présentées. C’est à peine si l’on s’interrogea sur l’allure de ces plantes, par exemple : les quelques rares photos disponibles en ce temps-là étaient-elles dignes de confiance ? Non, il n’était question que de leurs huiles essentielles et c’est tout, propulsées par un mouvement qui me rappelle beaucoup ce que nous voyions dans l’ancien temps, c’est-à-dire cette appétence pour les produits d’origine « exotique » dont on ne sait pas même qui ou quoi les fabrique. A cette époque, je trouvais cela fort inconfortable, c’est pour cette raison que je n’ai pas pris l’initiative d’écrire quoi que ce soit (de manière publique) à propos de ces deux huiles essentielles (pour en dire quoi ?), tant le peu que je découvrais se révélait, d’un site à l’autre, de la même mouture. Quand tous les sites jargonnent les mêmes informations, ça n’est pas nécessairement la preuve que l’on peut leur faire confiance… Dans toute cette littérature, je fus confronté à quelque chose face auquel j’ai toujours buté, et qui devait nous expliquer, à tous, le pourquoi de l’union gémellaire de ces deux huiles essentielles. Voici la chose : « Kunzéa est l’expression du principe masculin alors que fragonia manifeste l’énergie féminine. Associées l’une à l’autre elles représentent l’équilibre parfait à l’image du symbole chinois du Tao : yin et yang. Une personne en excès de yin sera naturellement plus attirée par fragonia, alors qu’une personne yang manifestera plus d’affinité aromatique pour kunzéa ». Tout d’abord, n’est-ce point illogique d’ajouter du yin au yin, du yang au yang ? Ne risque-t-on pas ainsi d’accroître les déséquilibres ? Quand je me sens carencé en yang, que mon yin est excessif par rapport à lui, je n’ajoute pas, par-dessus le marché, des trucs yin ! De plus, qu’il me soit permis de dire ici que ce truc me rebute toujours et que, distance prise, je peux, parce que j’en ai envie aujourd’hui (chose qui n’était pas vraie hier) expliquer pourquoi je ne puis être d’accord avec cette pseudo-évidence ainsi résumée : « kunzéa est yang, fragonia est yin ». Dit comme ça, ça claque, ça en impose. On n’ose pas – nous qui ignorons tout de ces deux huiles essentielles de provenance lointaine – émettre la moindre objection, susurrer le plus petit doute. Pire, on répète de-ci de-là cette information comme si elle émanait de la cuisse de Jupiter ! De fait, d’autres s’engouffrèrent avec facilité et, semblerait-il, volupté dans cette brèche béante, prêts à convenir sans résistance de l’aptitude de l’huile essentielle de kunzéa à s’appliquer à merveille le long du méridien Gouverneur, d’essence yang. Bien que la ficelle soit trop grosse, on n’hésita pas à faire entrer en résonance sa copine fragonia avec le second grand méridien, le méridien Conception, qui obéit, lui, à une essence de nature strictement yin. Pourquoi se gêner ? Et voilà, le tour était joué. Sans davantage se poser de question, vraisemblablement, on libéra cette information un peu partout sur la toile. Mais sur quoi se base-t-on pour proférer puis établir de telles assertions ? Les fleurs des deux espèces, nous dit-on, peuvent faire l’objet d’une comparaison : celles du kunzéa possèdent des étamines profuses qui dépassent de beaucoup en longueur les pétales, comparativement aux fleurs beaucoup plus discrètes et ramassées du fragonia. De fait, on a conclu que kunzéa = yang, fragonia = yin. Continuons. Il paraît que lorsqu’on abaisse un rameau de fragonia, il se relève moins vigoureusement qu’un rameau de kunzéa auquel on fait subir le même type d’exercice. La mollesse érectile du fragonia le cantonne donc nécessairement au domaine du yin, tandis que le kunzéa, plus prompt à redresser ses fringantes baguettes, ne peut qu’obéir à une puissante impulsion yang par nature. Il semble même que l’on puisse opérer une partition yin/yang de ces huiles essentielles grâce à leur parfum. On nous dit ceci : « Fragonia délivre son parfum beaucoup plus aisément que Kunzea ambigua ». N’y voit-on pas là une contradiction ? Comment une huile essentielle qui « délivre son parfum beaucoup plus aisément » pourrait-elle bien être de nature yin ? Le yang n’est-il pas le déploiement et l’expression excessive, le yin l’introversion et la contention ? Partant de là, on peut légitimement se demander dans quelle mesure les « équations » kunzéa = yang et fragonia = yin sont tenables. On ne peut pas dire d’une personne (ou de n’importe quoi d’autre) qu’elle est yin ou yang. Pourquoi donc – suis-je tenté de m’interrompre ? Parce qu’il en va du yin et du yang, tout comme des éléments (Eau, Feu, Terre et Air) : un être humain quelconque ne peut, à lui seul, être constitutif d’un seul élément à l’exclusion des autres. Même chose pour les deux aspects du Tao, qui, rappelons-le, ne s’opposent pas mais se complètent. D’ailleurs, si tel n’avait pas été le cas, pourquoi donc se serait-on ingénié à faire figurer dans chaque partie un petit point de la couleur qui lui fait face, hum ? D’autant plus que le yin et le yang n’existent pas dans la nature. Par exemple, aucune espèce vivante sur la planète, qu’elle soit d’origine animale ou végétale, ne peut se targuer de porter un noir ou un blanc qui soient parfaits : le blanc 100 % blanc ou le noir 100 % noir, ça n’existe tout bonnement pas. Ce ne sont que deux illusions, du blanc et du noir nuancés par un petit quelque chose qui n’est ni du blanc ni du noir. Aussi, comment prétendre que cela pourrait s’appliquer aux huiles essentielles de deux plantes issues de la Nature ? N’a-t-on pas compris que le yin et le yang étaient une abstraction ? Que le pur yang aveugle quiconque le contemple d’assez près ? Que le yin disparaît à peine on l’évoque ? Pour en revenir au faux couple kunzéa/fragonia, qu’est-ce qui permet d’affirmer que l’une est solaire, l’autre lunaire ? Pas grand-chose à vrai dire. Pour cela, il eut au moins fallu que l’une fût hypothermisante, l’autre hyperthemisante, par exemple. Voyons d’autres critères d’opposition complémentaire :

  • La couleur physique de ces huiles essentielles : l’un est-elle claire et l’autre foncée ? Non, elles sont toutes les deux incolores (voire jaune très pâle).
  • La texture de ces huiles essentielles : l’une est-elle ultra mobile et l’autre visqueuse comme le vétiver ? Non, elles sont toutes les deux très fluides.
  • La densité de ces huiles essentielles : l’une est-elle inférieure à 1, l’autre supérieure à 1 comme peuvent l’être les huiles essentielles de gaulthérie ou encore de clou de girofle ? Que nenni ! Kunzéa est donnée à 0,9, fragonia à 0,89 (en moyenne).
  • La capacité de ces huiles essentielles à s’oxyder : l’une est-elle bourrée de terpènes qui s’oxydent facilement lorsqu’ils prennent un coup de chaud et l’autre non ? Bien que kunzéa contienne davantage de monoterpènes que fragonia (60 % contre 45 %), ces deux huiles essentielles restent très exposées au phénomène d’oxydation.
  • Le caractère positivant ou négativant de ces huiles essentielles : l’une est-elle positivante (donc yang) et l’autre négativante (donc yin) ? Non, pour cela il aurait fallu qu’elles affichent une composition biochimique diamétralement opposée l’une de l’autre, que l’une des deux, fragonia par exemple, se constitue d’esters, de cétones et/ou d’aldéhydes terpéniques. Or, l’on constate que ce n’est pas le cas. Lorsqu’on observe le référentiel électrique de Pierre Franchomme, il est très aisé de remarquer que les molécules constitutives des huiles essentielles de kunzéa et de fragonia, c’est-à-dire les monoterpènes, les oxydes, les monoterpénols et les sesquiterpénols, apparaissent toutes en bas du référentiel (donc en zone positivante).
  • Le profil thérapeutique de nos deux huiles essentielles est-il, de l’une à l’autre, si différent, qu’on puisse, à leur endroit, parler de yin et de yang ? Non, pour cela, je vous renvoie aux propriétés thérapeutiques principales : toutes les deux sont anti-infectieuses, immunostimulantes, antispasmodiques, anti-inflammatoires, anti-oxydantes, etc. Seule la propension de l’huile essentielle de fragonia à agir sur la sphère gynécologique peut laisser entrevoir une accointance yin, mais c’est bien peu au regard des nombreux points trop communs que nous avons listés jusque-là. Sans l’apparition très nette de caractéristiques éminemment yin ou yang, l’on ne peut que révoquer en doute l’idée initiale qui souhaite faire de kunzéa une huile essentielle yang et de fragonia une huile essentielle yin.

Poursuivons en corsant davantage notre affaire : la médecine traditionnelle chinoise considère six couples de méridiens principaux : ceux liés aux organes yin et les autres rattachés aux entrailles yang. Les méridiens yin (ils sont ascendants, ce qui est un bel exemple de complémentarité) sont les suivants : Gros intestin, Estomac, Intestin grêle, Triple foyer, Vessie et Vésicule biliaire. Quant à ceux du Poumon, de la Rate/pancréas, du Cœur, du Maître-cœur, des Reins et du Foie, ils obéissent au principe yang (ils sont descendants, autre bel exemple de complémentarité). Tous ces méridiens peuvent, chacun, connaître des faiblesses et des perturbations. Regroupons donc sous la même bannière celles qui relèvent des méridiens yang, avant de faire de même pour les méridiens yin :

  • Faiblesses des méridiens yang : doute, regret, ressassement, obsession, subjectivité, influençabilité, soumission, humiliation, inquiétude, panique, susceptibilité, jugement. Question : l’huile essentielle de kunzéa est-elle à même – elle qu’on prétend de nature yang – de prendre en charge tout ou partie de ces défaillances ?
  • Faiblesses des méridiens yin : tristesse, arrogance, rumination, contrariété, violence émotionnelle, émotivité, pulsion passionnelle, désir d’imposer son pouvoir, peur, passivité, témérité, colère, désarroi. Question : l’huile essentielle de fragonia est-elle à même – elle qu’on prétend de nature yin – de prendre en charge tout ou partie de ces défaillances ?

Je ne possède les réponses à aucune de ces deux questions, n’ayant pas réfléchi sur ce point. Mais si tel avait été le cas, cela permettrait de remettre encore un peu plus d’ordre au sein de cette soi-disant partition entre le yin et le yang que fragonia et kunzéa se partageraient. Je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet. En revanche, je m’autoriserai à mettre en doute les propriétés psycho-émotionnelles des huiles essentielles de kunzéa et de fragonia, surtout celles qui ont été construites selon le prédicat de leur supposée nature yang et yin (elles seraient alors peu fiables), en particulier celles que l’on rattache à fragonia qui, pour moi, n’a rien de strictement yin, alors que, en revanche, en affirmant que kunzéa est yang (plus yang que yin, en fait), l’on se trompe moins (j’ai compilé dans une note de bas de page quelques-unes de ces propriétés et usages que j’avais glanés il y a une douzaine d’années sans trop savoir qu’en faire). En tous les cas, cette nuance n’enlève en rien à ce « fameux » couple kunzéa-yang/fragonia-yin sa bizarrerie et son caractère fantasmatique.

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  1. Concernant kunzéa, j’avais relevé des choses de ce style : « Joue un rôle prépondérant dans l’acceptation de la douleur : permet d’accepter et de supporter la douleur physique et de l’utiliser comme un moteur de guérison » ; « Capable de lever le réflexe de procrastination » ; « En libérant les nœuds psychiques, kunzéa apaise et relâche les tensions et les douleurs corporelles ». Voici maintenant pour fragonia : « Favorise la réconciliation entre des personnes en conflit ou qui ne raisonnent qu’en terme de domination ou de soumission » ; « Fragonia est capable de recréer des conditions de paix et d’harmonie envers soi-même, elle facilite la réconciliation avec son propre ‘moi’ » ; « En facilitant l’introspection, elle permet d’améliorer la qualité des séances de psychanalyse et favorise le rêve », etc. Qu’est-ce qu’on s’amuse, c’est fou.

© Une publication Books of Dante garantie 100 % intelligence naturelle – 2023

Voici une photo pas très jolie du fragonia (il existe très peu de chose parmi les images libres de droit). Mais bon, ça vous donne une petite idée de ce à quoi ressemble cette plante…

L’agastache anisée (Agastache foeniculum)

Un peu d’aromathérapie (ça faisait longtemps ^.^) pour ce 700e article (si, si !)

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles

Synonymes : hysope anisée, fenouil géant, agastache réglisse, agastache fenouil.

Parce qu’originaire d’Amérique du Nord (grandes plaines et grands lacs des États-Unis – Wisconsin, Illinois, Iowa, Dakota, Minnesota, Colorado – et du Canada – Alberta et Ontario), il n’est pas très difficile d’imaginer l’agastache anisée comme faisant partie de la pharmacopée amérindienne. A ce titre, j’ai déniché de nombreuses informations que je vais vous dévoiler ci-après, en m’efforçant de dépasser le stade des quelques lignes toutes semblables que l’on répète ici et là à l’infini dès lors qu’il s’agit d’aborder l’agastache sous ce rapport. Ce qui revient fréquemment dans la littérature ethnobotanique amérindienne, c’est l’emploi de cette agastache pour ouvrir l’appétit juste avant la prise des repas : pour ce faire, on absorbe une infusion chaude de cette plante (Lakota, Dakota, Pawnee, Ponca, Winnebago). Perçue comme une plante réchauffante, l’agastache anisée était aussi conviée au cours des refroidissements (Chippewa) et des rhumes (Cheyenne), et à toutes les occasions de douleurs pectorales consécutives à la toux et à la suite d’une affection bronchique qui amène l’organisme a beaucoup expectorer et/ou, dans certains cas, à cracher du sang (Cree). De plus, comme elle est aussi fébrifuge, elle active la transpiration, facilitant le retour à la santé par une abondante sudation. Les Cheyennes avaient, semble-t-il, repéré la valeur cardiotonique de cette plante, puisqu’ils l’invitaient au sein de leurs remèdes en cas de faiblesse cardiaque et de troubles suggérant une fatigue du cœur. Parce que l’agastache anisée améliore les infusions comme le thé, elle était ajoutée pour sophistiquer la saveur des tisanes de confort, pour lesquelles elle entrait souvent pour elle-même (Lakota, Dakota, Pawnee, Ponca, Winnebago). En outre, comme elle fut plébiscitée pour ses qualités aromatiques et gustatives, on en fit un large usage condimentaire en cuisine. Habituellement réduite à l’infusion de ses feuilles, l’agastache était usitée selon d’autres modes opératoires par les Amérindiens : infusion de racines, cataplasme simple ou composé, poudre de feuilles, etc. Les Chippewa eurent beau classer l’agastache anisée parmi les charmes magiques, l’on remarque peu de diffusion des savoirs amérindiens auprès de la pharmacopée officielle des États-Unis en ce qui concerne cette plante. En vérité, son destin se décida de l’autre côté de l’océan Atlantique : par exemple, on dit que ce sont des apiculteurs européens qui l’importèrent sur le Vieux Continent, en raison de son caractère puissamment mellifère. On cloisonna donc cette plante dans ce domaine et dans d’autres rôles non expressément médicinaux, ce que facilitèrent sa propension ornementale (il existe des cultivars aux floraisons spectaculaires) et ses aptitudes condimentaires. La recherche scientifique fit elle-même ce constat : « L’utilisation ornementale de l’agastache est en fait la plus courante, faisant d’elle l’un des rares exemples de plantes de la famille de la menthe pour lequel la valeur décorative semble éclipser ses potentialités en tant que plante médicinale »1. Conséquemment, peu d’études furent consacrées à l’agastache médicinale, jusqu’à ce qu’une seconde vague d’importation de la plante en Europe ne conduise différents pays à initier de nouvelles recherches, en particulier à propos de son huile essentielle qu’aujourd’hui l’on produit dans plusieurs pays (Ukraine, Russie, Moldavie, Roumanie, sud de la Finlande), mais également dans quelques régions françaises comme les Vosges ou la Bretagne.

Appartenant à un petit genre composé de seulement vingt-neuf taxons (dont Agastache rugosa, étudiée naguère), l’agastache anisée est une plante vivace à vie brève (environ trois ans), dont la racine pivotante s’agrémente de racines rhizomateuses traçantes. Typiques des Lamaciées puisqu’elles sont quadrangulaires, ses tiges lisses et ramifiées portent des feuilles à morphologie variable : parfois, on leur voit adopter l’allure d’une feuille d’ortie, à d’autres se conformer selon la silhouette d’une feuille de lierre terrestre. Qu’elles soient rhomboïdales ou bien achevées par une pointe acuminée, elles dessinent en bordure un feston de grosses dents arrondies qui démontrent bien que ces feuilles duveteuses serties au bout d’un court pétiole sont parfaitement inoffensives, contrairement à l’urticacée sus-citée. La couleur verte, assez claire et tendre, de la face supérieure du limbe contraste avec sa face inférieure blanchâtre parce que pubescente. A bien observer chaque feuille, l’on voit apparaître à l’angle que son pétiole forme avec la partie supérieure de la tige, de petits rameaux composés de deux minuscules feuilles un peu chiffonnées, qui, lorsqu’elles auront grandi et été rejointes par d’autres, verront se former, tout comme les tiges principales qui les surplombent, des épis floraux un peu plus petits que ceux d’Agastache rugosa, puisqu’ils ne mesurent guère que 4 à 8 cm de hauteur. Semblable à une petite massue allongée, le capitule floral de l’agastache anisée porte quantité de petites fleurs tubulaires (bleues, pourpres, mauves, plus rarement blanches) qui s’épanouissent durant de longs mois (presque la moitié de l’année parfois), donnant aux insectes butineurs de passage du pain sur la planche, tant s’accumule le nectar au sein de ces fleurs, également convoité par les papillons, les syrphes et même les colibris ! (En revanche, la plante est répulsive auprès des cerfs et des lapins.)

L’agastache anisée est une solide plante rustique qui tolère sans trop de difficulté des températures qui peuvent descendre jusqu’à – 15° C. Bien qu’elle élise domicile sur des prairies et des friches au sol caillouteux et sec, elle est tout à fait en mesure de vivre sur des sols plus pauvres. Mais sa préférence va tout de même aux terrains correctement exposés à la lumière du soleil, à mi-ombre à la rigueur, aussi bien calcaires qu’argileux, mais à l’extrême condition qu’ils soient bien drainés (dans le cas contraire, c’est l’assurance de faire pourrir la plante).

L’agastache anisée en phyto-aromathérapie

Il y a quelques semaines, le travail entrepris à propos de l’agastache dite « rugueuse » nous avait amené à évoquer le cas de son huile essentielle sur laquelle nous ne nous étions pas attardé. A cette époque, j’avais en revanche fait mention de celle que l’on retire de l’agastache anisée. Or, comme nous voici très justement à l’étude de cette nouvelle plante et que, qui plus est, son huile essentielle est produite et disponible en France en quelques points de vente, il m’apparaît bien plus judicieux de la traiter avec plus d’égard que je n’en ai observé vis-à-vis de celle d’agastache rugueuse (à peu près introuvable sur le territoire national). Entamons donc ce compte-rendu moléculaire par la fraction aromatique. Aux parties aériennes fleuries, qui dégagent une forte odeur mentholée/anisée ou de réglisse (ou bien un mélange des trois, avec parfois une touche citronnée), l’on fait subir une hydrodistillation, ce qui permet à la plante d’offrir une huile essentielle jaune pâle, liquide et mobile, dont le rendement – s’il est maximal aux environs de 3 % – peut s’avérer bien moins important, de l’ordre de 1,6 à 2,3 %. C’est que certains facteurs, comme, par exemple, le déficit hydrique, prédisposent la plante à la formation d’essence aromatique, tandis que des plants trop arrosés produisent une moindre quantité d’huile essentielle, au contraire de ceux qui endurent un stress hydrique modéré. De plus, « le transfert vers des zones ayant des climats différents peut cependant modifier considérablement les rendements et la composition des huiles volatiles produites par la plante, car les facteurs environnementaux peuvent modifier les processus métaboliques »2. On le voit en Ukraine, par exemple : l’huile essentielle qui y est produite contient jusqu’à 60 % de pulégone. Ainsi observe-t-on plusieurs chémotypes en plus de celui-ci : menthone, menthone/pulégone, méthyleugénol, méthyleugénol/limonène, enfin estragole (ou méthylchavicol). C’est ce dernier chémotype, parce que le plus commun en France, qui va être l’objet de notre intérêt. « La composition de l’huile volatile dépend de la partie de la plante utilisée. Ainsi, l’estragole a été trouvé à des concentrations plus élevées dans l’huile volatile des parties aériennes fleuries (80 à 93 %) et moins dans l’huile essentielle extraite des feuilles (18 à 30 %). De plus, la teneur en estragole était la plus élevée lorsque les parties aériennes étaient récoltées à pleine floraison. Le régime d’irrigation, le type d’engrais utilisé et le type de procédure d’extraction ont également influencé la composition de l’huile volatile d’Agastache foeniculum »3. Il est donc clair que les fleurs de l’agastache participent très nettement au taux d’estragole contenu dans le produit final, malgré la couverture capillaire très dense des feuilles de l’agastache anisée, qui abritent quantité de trichomes glandulaires contenant une partie de l’essence aromatique de la plante, mais pas toute. Bref, ce sont donc plus précisément les sommités fleuries des plantes semées au mois de mars que l’on cueille dès le début de la floraison et ce jusqu’à pleine floraison, c’est-à-dire de juin à août. La chaleur estivale n’est pas non plus étrangère à la formation d’essence aromatique dans les tissus de la plante : un climat chaud garantit une belle floraison et donc une meilleure production d’huile essentielle. On observe que la jeunesse et la sénescence de la plante ne sont pas les meilleurs moments pour la récolter, mieux vaut s’y livrer au midi de son existence, car c’est là le moment optimal durant lequel la plante est la plus saturée d’essence aromatique. Il a été également remarqué que l’agastache anisée se cueille préférablement en milieu de journée, la matinée et la soirée étant peu favorables à la concentration de ses tissus en essence aromatique. L’on peut donc affirmer que le meilleur moment, c’est l’apex solaire d’une série de journées situées sur l’apex solaire d’une année (selon le principe des fractales).

Sur la question de la composition biochimique de l’huile essentielle d’agastache anisée, comme j’ai sous les yeux des bulletins d’analyse émanant tout droit de la Ferme du bien-être (Gérardmer, Vosges), j’aurais bien tort de ne pas en faire usage. Voici donc de quoi il retourne :

  • Phénols méthyl-éthers dont estragole (86 à 97 %),
  • Monoterpènes : 7 % dont limonène (2,9 à 6,7 %),
  • Sesquiterpènes : 1,2 à 3,7 % dont β-caryophyllène (0,7 %), germacrène D (0,25 %),
  • Sesquiterpénols : 0,2 à 0,5 %.

Comme il est aisé de le remarquer, c’est une seule molécule, l’estragole, qui domine et s’empare de presque tous le terrain aromatique de cette huile essentielle. Conférant son parfum anisé à l’huile essentielle d’agastache, l’estragole, pris isolément, est une molécule antifongique remarquable, anti-inflammatoire et cytotoxique, mais sa nature fait d’elle une substance génotoxique et cancérigène à doses inadaptées.

Si l’on compare cette huile essentielle à d’autres qui contiennent de fortes proportions d’estragole comme l’estragon (76 %) et le basilic tropical (84 %), l’on peut remarquer que celle d’agastache, au contraire des deux sus-citées, ne produit pas de sentiment d’« écrasement », aspect qui peut rebuter des personnes qui, tout comme moi, ne sont guère à l’aise et ne courent pas après le basilic et l’estragon, puisque ces huiles essentielles ont tendance à les « assommer » et à les étourdir.

L’huile essentielle d’agastache, assez onéreuse, connaît un coût moyen de 12 € pour la valeur d’un flacon de 5 ml en qualité biologique.

Passons maintenant à la fraction non aromatique de la composition biochimique de l’agastache anisée. Face à une telle richesse, on peut regretter de ne pouvoir disposer au moins de la plante sèche dans le commerce de détail (on la trouve parfois, ici ou là, en mélange dans des infusions de confort toutes prêtes : Les jardins de Gaïa, par exemple). L’approvisionnement passera donc nécessairement par l’importation ou par le choix, plus sûr, de pratiquer la culture de cette plante pour consommation personnelle (chose d’autant plus aisée que cette plante est beaucoup plus fréquente en magasin spécialisé : non loin de chez moi, un pépiniériste propose à la vente des semences bio d’agastache anisée, qu’il faut savoir débusquer sous ses autres noms, tels que grande hysope, anis hysope, etc.). De même qu’on observait un pic de production d’essence aromatique au mi-temps de l’existence de la plante, on constate un mouvement similaire concernant ces polyphénols que sont les flavonoïdes, ce qui indique que le moment de cueillette souhaitable se situe au même instant que celui qui voit l’essence aromatique être convoitée, à la différence que les polyphénols se concentrent surtout dans les feuilles, bien moins dans les fleurs. Ainsi, si l’on souhaite un produit fini contenant le plus fort taux de polyphénols, on évitera de cueillir la plante entière. Il est également remarquable que c’est au cours de l’après-midi que le taux de flavonoïdes (et de polyphénols totaux) est le plus élevé dans la plante. Mais, avant d’y arriver, il aura fallu faire connaître à la plante les meilleures conditions d’existence et de culture. « Les composés phénoliques s’accumulent dans divers tissus végétaux et cellules au cours de l’ontogenèse et, respectivement, sous l’influence de divers stimuli environnementaux, étant impliqués dans de nombreuses interactions des plantes avec leur environnement biotique et abiotique » entre autres4. Parmi le vaste clan des polyphénols, remarquons que l’agastache anisée en abrite un grand nombre : des flavonoïdes donc (hespéritine, quercétine, tilianine, génistéine, glucosides de lutéoline, rutine5, hyperoside, apigénine-7-glucoside, naringénine, myricétine, acacétine, agastachine, agastachoside), des acides phénoliques (acides caféique, chlorogénique, rosmarinique, p-coumarique) et des caroténoïdes. Ne reste plus qu’à faire l’énoncé de quelques autres classes moléculaires, et nous aurons fait le tour du sujet : des triterpénoïdes pentacycliques (acide ursolique, acide corosolique, acide maslinique, acide bétulique, bétuline, α-amyrine, β-amyrine), des diterpènes (agastaquinone, agastol), des lignanes (agasténol, agastinol) et enfin des acides organiques (acides malique, butanoïque, hexadécanoïque, férulique).

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Staphylococcus aureus, Curtobacterium flaccumfaciens, Listeria monocytogenes, Bacillus subtilis, Salmonella sp., Escherichia coli, Pneumonia vulicans), antifongique (Aspergillus niger, A. flavus, Trichoderma viride, Candida albicans, C. utilis, C. tropicalis, Cryptococcus neoformans, Trichophyton mucoides, T. tonsurans, Blastoschimyces capitatus), insecticide (Oryzaephilus surinamensis, Lasioderma serricorne)
  • Anti-oxydante, antiradicalaire, réductrice du stress oxydatif6, inhibitrice de la xanthine oxydase, anti-inflammatoire
  • Anticancéreuse, cytotoxique (cellules du cancer du sein)
  • Régulatrice et tonique du système nerveux, sédative, antispasmodique, anxiolytique
  • Tonique cardiaque
  • Expectorante
  • Permet d’assurer un meilleur confort digestif, anti-vomitive
  • Diaphorétique
  • Antalgique
  • Antihyperglycémique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : tension et douleur digestives, spasmes gastro-intestinaux, aérophagie, mal des transports
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, toux sèche, angine, rhume et autres infections virales, refroidissement, fièvre
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, prostatite
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : troubles circulatoires veineux, faiblesse cardiaque, angor, artériosclérose, hypertension artérielle, hyperglycémie sanguine
  • Troubles du système nerveux : difficulté d’endormissement, insomnie, stress, anxiété, nervosité, fébrilité
  • Affections cutanées : plaie, piqûre d’insecte, blessure, brûlure
  • Asthénie et fatigue mentale après épisode infectieux
  • Troubles de la sphère gynécologique : douleur menstruelle, tension pelvienne
  • Troubles locomoteurs : tension musculaire, spasmophilie
  • Transpiration excessive
  • Diabète

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches d’agastache anisée : comptez quatre à cinq sommités fleuries en infusion dans un demi-litre d’eau pendant 10 mn.
  • Poudre de feuilles sèches : comptez 3 à 4 g quotidiens délayés dans un véhicule convenable (huile d’olive, huile vierge de coco, miel).
  • Feuilles fraîches froissées et appliquées localement (piqûre d’insecte) ou broyées à la façon d’un cataplasme : dans un mortier, placez suffisamment de feuilles fraîches d’agastache anisée, broyez-les consciencieusement jusqu’à l’obtention d’une pâte lisse et molle qu’on pourra assouplir à l’aide de quelques cuillerées à café d’huile d’olive.
  • Huile essentielle : elle peut s’utiliser en diffusion atmosphérique, en inhalation, ainsi que par le biais d’une olfaction opérée directement au flacon. En la mêlant à un corps gras, il est possible de l’appliquer sur la peau. Quant à l’administration per os, il n’existe guère de recommandation allant dans ce sens. Sans doute faut-il s’inspirer de ce que l’on préconise pour les huiles essentielles de basilic tropical et d’estragon…

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Puisque nous soulignons quelque peu le caractère problématique de l’huile essentielle d’agastache anisée par voie interne, permettons-nous de signaler que son important taux d’estragole (jusqu’à 97 % parfois) peut suffire à la classer parmi les substances potentiellement épileptisantes, que l’on interdira de fait aux femmes enceintes et à celles qui allaitent.
  • Plante condimentaire agréable, l’agastache anisée prête ses feuilles fraîches à bien des usages culinaires : salade composée, salade de fruits, gratins, préparation de boissons fraîches, etc.
  • Cultivars : l’agastache anisée a passionné le monde de la jardinerie, si l’on en croît les nombreux cultivars ornementaux de cette plante comme, par exemple, Golden Jubilee au feuillage jaune vert, Black Adder (aux fleurs bleu électrique piquetées sur un épi de couleur sombre), Blue Spike (épis mauves), Blue Fortune (hybride de A. foeniculum et A. rugosa), etc.

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  1. Source.
  2. Source.
  3. Source.
  4. Source.
  5. « La lutéoline est un flavonoïde (métabolite polyphénolique secondaire de la plante) qui a été utilisé comme colorant jaune naturel, mais maintenant il est valorisé pour son activité contre l’hypertension, l’inflammation, les troubles neurologiques et le cancer, tandis que la rutine est un flavonoïde antioxydant, antihypertenseur, antidiabétique, anti-inflammatoire et doué d’activités cardioprotectrices » (Source).
  6. « Les radicaux libres sont […] connus pour influencer diverses maladies dégénératives chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, les maladies inflammatoires, le vieillissement, la cancérogenèse ou l’arthrite. Les composés antioxydants protègent les cellules contre le stress oxydatif par un mécanisme d’intervention sur l’une des trois grandes étapes du processus oxydatif médié par les radicaux libres, à savoir l’initiation, la propagation et l’arrêt. Ces antioxydants se trouvent naturellement dans de nombreux aliments, et l’équilibre entre les oxydants et les antioxydants dans le corps peut avoir un effet significatif sur la santé humaine » (Source).

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L’ambroisine (Dysphania ambrosioides)

Beau week-end à toutes et à tous, bonne lecture :)

Gilles

Synonymes : ambroisie, chénopode vermifuge, ansérine anthelminthique, botrys du Mexique, thé du Mexique, thé des jésuites, thé d’Espagne, parote, épazote (du nahuatl epazōtl), mastruz, herbe de sainte Marie, orkko paikko (nom quechua), paico, payqu, aritasou.

L’ambroisine ne porte pas pour rien le surnom de thé des jésuites, car ceux-ci furent à l’origine de l’introduction de la plante tout d’abord en Espagne et au Portugal. Puis, il y a environ deux siècles de cela, cette plante entama sa naturalisation en plusieurs départements du Midi de la France ainsi qu’en Bretagne. Si l’on sait où elle atterrit en l’occurrence, nous n’avons encore rien dit de son point de départ : l’autre appellation de thé du Mexique nous renseigne sur ce point, quand bien même cette plante ne se cantonne pas qu’à ce seul pays (sa partie sud essentiellement), mais occupe également une bonne partie de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud. Si l’on s’imagine que l’ambroisine n’a suivi qu’une seule voie (qu’on pourrait ainsi résumer Mexique => Espagne), eh bien l’on se trompe lourdement, puisqu’un simple coup d’œil aux publications scientifiques internationales rend bien compte de la forte émulation dont elle fait aujourd’hui l’objet, bien des continents l’ayant intégrée dans les pharmacopées locales : c’est le cas en Asie (Japon, Corée du Sud, Chine), quoi que dans une proportion moindre qu’en Afrique (Maroc, Tunisie, Égypte, Éthiopie, Ghana, Cameroun, Bénin, Nigeria, Angola, etc.) et qu’en Amérique du Sud (Brésil, Pérou, Argentine). On peut saluer, au passage, le geste d’ouverture en direction de cette plante non indigène dans la plupart des pays que nous venons de citer. Lorsque dans bon nombre d’entre eux l’on se collette avec des maladies comme la malaria ou la leishmaniose, l’on est un peu heureux de voir s’installer une plante particulièrement active face aux parasites responsables de ces deux affections qui peuvent conduire à la mort. Telle plante face à un nouvel environnement permet d’élargir son profil thérapeutique. C’est pourquoi, si l’on compare ce qu’il est devenu avec ce qu’il était auprès des populations autochtones d’Amérique Centrale il y a quelques cinq siècles par exemple, on note nécessairement quelques différences, chaque période historique, chaque civilisation connaissant ses propres préoccupations d’ordre médical. Par exemple, cet ancien médicament des Mayas d’Amérique Centrale était utilisé dans la péninsule du Yucatán contre les affections respiratoires (asthme, excès de mucus pulmonaire), gastro-intestinales (ballonnement, flatulences) et nerveuses, ce que l’on retrouve dans le portrait thérapeutique actuel de l’ambroisine. Maintenant, si l’on regarde en direction de l’Amérique du Sud, l’on constate que bien des tribus amazoniennes (Secoya,Wayãpi) et du nord-ouest de l’Amérique du Sud (Cofan, Ticuna) adoptèrent la plante pour ses vertus efficaces sur la sphère gastrique, résolvant autant les maux d’estomac par ses qualités laxatives, que réalisant l’éviction des vers intestinaux par ses évidentes vertus vermifuges. Tout cela cadre encore fort bien avec ce que l’on connaît de cette plante. En revanche, l’on constate parfois quelques « étrangetés ». Par exemple, au Mexique, curenderos, herboristes et brujos faisaient couramment usage de cette plante non seulement comme emménagogue mais aussi comme abortif. D’ailleurs, « les descendantes espagnoles et mexicaines du Nouveau-Mexique ont utilisé cette plante comme tel pour leurs règles au cas où une grossesse aurait été suspectée » car « l’absence de règles chez une femme doit être traitée comme une maladie car on pense que les règles sont l’élimination du mauvais sang »1, conception ethno-médicale qui n’a, on s’en doute bien, aucun rapport avec la réalité. De même peut-on s’interroger quant à la relation de cette plante avec l’ambroisie divine et du choix qui a présidé à cette décision. Qu’est-ce que l’ambroisie des dieux ? « Aliment d’immortalité [NdA : de ambrósios, « immortel »], elle est, avec le nectar, un privilège de l’Olympe. Dieux, déesses et héros s’en nourrissent, ils vont jusqu’à en offrir à leurs chevaux. Ses qualités merveilleuses en font aussi un baume qui panse toute plaie, et appliqué sur le corps des morts protège ceux-ci de la corruption. Mais malheur à l’humain qui goûterait à l’ambroisie sans y être invité : il risque le châtiment de Tantale », c’est-à-dire l’inassouvissement et l’insatisfaction du désir2. « Mais ce nom lui convient-il, le nom de cette essence illustre que les livres antiques mentionnent si souvent ? Voilà ce que beaucoup mettent en doute »3. Cependant, sans être pour autant une panacée capable de garder l’homme de la décrépitude mortelle, l’ambroisine est l’une de ces plantes dont il faut très sérieusement se préoccuper, tant ses capacités médicales sont étendues.

Plante annuelle ou vivace éphémère, l’ambroisine est une plante qui adopte, à la manière du chénopode blanc, une allure plus ou moins changeante, ce qui n’en facilite pas l’identification botanique exacte dans la nature. Ses tiges rameuses, cannelées, anguleuses, striées de traînées rougeâtres, lui permettent d’atteindre une taille variant de 60 cm à 1,2 m. Ses feuilles alternes adoptent une allure lancéolée et amincies à leurs deux extrémités, bordées d’arêtes grossièrement dentelées. Les limbes verts et velus, d’odeur forte, sont ponctués, sur le dessous, de glandes à essence jaune d’or. Quand la floraison est sur le point de se déployer, l’on voit, à l’aisselle des feuilles sommitales, des racèmes réunissant des paquets sessiles de petites fleurs a-pétales, comptant seulement trois à cinq sépales et à peu près le même nombre d’étamines. Elles produisent à l’automne de nombreux petits akènes noirâtres.

L’ambroisine est une plante aux effets allélopathiques puissants sur les plantes environnantes : c’est ainsi qu’elle se fait détester lorsqu’elle s’invite, comme invasive ou adventice, dans les champs de plantes cultivées par l’agriculture intensive.

L’ambroisine en phyto-aromathérapie

L’ambroisine est une plante très parfumée à l’agréable odeur de citronnelle que la phytothérapie utilise surtout sur les affections nerveuses et les pathologies respiratoires. Son odeur est si persistante à vrai dire que les spécimens d’herbier la conservent durant des années. De saveur fraîche et piquante, les feuilles de l’ambroisine dégagent aussi une âcreté résineuse, mélange d’origan et d’estragon, mais de manière plus prononcée encore.

Cette plante contient une essence aromatique qui, si l’on distille ses sommités fleuries, forme une petite quantité (0,35 à 2 %) d’huile essentielle incolore à jaune pâle dont l’odeur est parfois comparée à celle de la sueur du putois (je vous laisse imaginer… ^.^), d’où le surnom anglais de skunk weed attribué à cette plante. Mais la non-commercialisation de cette huile essentielle en France n’en facilite pas l’étude car, de fait, les informations la concernant sont parcellaires et quasiment indisponibles en langue française. Il faut donc s’adresser à l’étranger. Sauf que face à une pléthore de données apparemment contradictoires, l’on peut avoir l’impression de ne plus savoir où donner de la tête, en particulier sur la question de la composition biochimique de cette huile essentielle. Si jamais l’on ne va pas voir plus loin que le bout de son nez, l’on se contente d’écrire que l’on trouve essentiellement un terpène peroxydé dans cette huile essentielle, une molécule antiparasitaire du nom d’ascaridole. On ajoute encore que c’est cela qui lui vaut sa vertu vermifuge (ascaridole tire son nom de l’ascaride ou ascaris, ver parasite de l’intestin grêle) bien qu’elle soit plus marquée encore dans l’huile essentielle d’une variété de l’ambroisine, le chénopode anthelminthique (Dysphania anthelmintica,ex Chenopodium ambrosioides var. anthelminticum) auquel j’accorderai un paragraphe en fin d’article. Au delà de cette évidence banale, il existe une autre réalité. Quand on accoste sur ses rives, l’on est bienheureux d’apprendre qu’il existe, pour cette huile essentielle, au moins sept chémotypes repérés comme tels : α-pinène, α-terpinène, p-cymène, limonène, carvacrol, acétate d’α-terpinyl et enfin ascaridole. Voilà qui permet d’expliquer la discordance entre les chiffres et cette « labilité » aromatique. L’on sait aussi que de toute façon « de nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques, tels que les facteurs environnementaux, affectent le rendement et les composants des huiles essentielles de Dysphania ambrosioides. Les plantes peuvent être stressées en raison de la salinité élevée ou faible, ce qui entraîne un changement du contenu de l’huile essentielle. Selon plusieurs auteurs, la quantité des quatre principaux constituants volatils (α-terpinène, p-cymène, (E)-ascaridole et (Z)-ascaridole) est affectée par les concentrations de sel »4. Concernant les seuls monoterpènes, l’on trouve, pour le p-cymène, des taux variant de 2 à 47 %, et de moins de 1 % à plus de 60 % pour l’α-terpinène. Quand on y trouve beaucoup de monoterpènes, l’ascaridole au contraire s’y fait plus rare, et inversement (10 à 62 %). On trouve même une huile essentielle d’ambroisine dont la molécule principale se trouve être une cétone, la pipérinone (parfois présente à plus de 35 %, dans d’autres lots elle figure de façon anecdotique à moins d’1 %). Tout cela a bien évidemment son importance, qu’on se rappelle les différents chémotypes de Rosmarinus officinalis ou encore de Thymus vulgaris. On n’aurait pas l’idée d’utiliser un thym à thymol en lieu et place d’un thym à géraniol. Eh bien, il en va de même en ce qui concerne l’ambroisine : par exemple, le chémotype riche en α-terpinène est beaucoup moins actif que celui à ascaridole sur certaines souches bactériennes (Escherichia coli, Bacillus cereus, Staphylococcus aureus), etc.

L’ambroisine ne se résume heureusement pas qu’à ses seules huiles essentielles, ce qui nous arrange fort, vu l’impossibilité de s’en procurer sur le territoire national. En revanche, comme l’ambroisine s’est installée partout ou presque, il est possible de la trouver chez soi (j’ai aperçu un pied isolé au printemps non loin de chez moi). Si ce n’est pas le cas, sachez que de sympathiques semenciers en proposent les graines à la vente, ici, par exemple. Cela permet d’envisager un usage phytothérapeutique de cette plante cosmopolite. A condition, bien entendu de savoir un peu ce qu’elle a d’autre dans le ventre qu’une huile essentielle à l’odeur bizarre ^.^ C’est ce à quoi nous allons maintenant nous attacher. Voici donc quelques-uns des corps chimiques les plus évoqués dans la littérature dès qu’il est propos de l’ambroisine : des flavonoïdes (rutine, quercétine, kaempférol, myricétine, chrysine, nicotiflorine, patulétine…) et autres acides phénols, des phytostérols (stigmastérol, β-sitostérol), des acides aminés (leucine), des acides gras (acide stéarique). Elle accueille encore du phytol, précurseur de la vitamine E, des lignanes dont le syringarésinol qu’on trouve aussi dans l’éleuthérocoque et la scutellaire de Virginie, enfin des saponosides triterpéniques et une coumarine, la scopolétine.

Propriétés thérapeutiques

  • Vermifuge très sûre (ankylostome, ascaride, trichuris, schistosome et autres nématodes), insecticide (larve de la mouche domestique, larve de troisième stade et adulte de Culex quinquefasciatus, Aedes aegypti, Prostephanus truncatus, Trogoderma granarium, Sitophilus zeamais, Blattella germanica, Callosobruchus chinensis, C. maculatus, Rhipicephalus lunulatus), insectifuge, molluscicide, cercaricide, antibactérienne à large spectre d’action (Helicobacter pylori, Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis, Pseudomonas aeruginosa, Paenibacillus apiarus, P. thiaminolyticus, Escherichia coli, Salmonella typhimurium), potentialise les effets des antibiotiques et permet d’abaisser la concentration minimale inhibitrice, antifongique (Candida albicans, C. krusei, Aspergillus niger, A. fumigatus, A. flavus, A. glaucus, A. ochraceous, Botryodiplodia theobromae, Fusarium oxysporum, F. semitectum, Sclerotium rolfsii, Macrophomina phaseolina, Cladosporium cladosporioides, Helminthosporium oryzae, Pythium debaryanum, Colletotrichum gloesporioides, C. musae), antivirale, antiprotozoaire (Plasmodium falciparum, Trypanosoma brucei, Leishmania tropicalis, L. amazonensis, L. donovani, Entamoeba histolytica)
  • Immunomodulatrice
  • Antispasmodique des voies respiratoires, expectorante, anti-asthmatique, béchique
  • Cicatrisante
  • Hypotensive
  • Stomachique, carminative, digestive
  • Tonique, stimulante
  • Emménagogue
  • Favorable à la fertilité (chez le rat, mais quand même !5)
  • Favoriserait la mémoire (?), sédative du système nerveux central, anxiolytique
  • Anti-oxydante6
  • Anticancéreuse, cytotoxique, antiproliférative sur un large spectre de cellules cancéreuses
  • Antidiabétique
  • Analgésique, anti-inflammatoire, antinociceptive
  • Antipyrétique, sudorifique
  • Anti-arthritique, stimulante musculo-squelettique, myorelaxante, régénératrice osseuse7, 8

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : parasitose intestinale (ascaride, ankylostome, oxyure, anguillule, petit ténia), diarrhée, dysenterie, colique, dyspepsie, digestion laborieuse et indigestion (suite à une absorption trop importante de nourriture), spasmes gastro-intestinaux, flatulences, typhoïde
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux spasmodique, asthme, asthme humide, catarrhe pulmonaire chronique, coqueluche, gêne respiratoire (orthopnée), angine, infection pulmonaire
  • Troubles de la sphère hépatique : diabète, carcinome hépatocellulaire
  • Affections cutanées : dermatophyte, teigne, plaie, plaie douloureuse et de guérison difficile, plaie purulente, ulcère, ecchymose, contusion
  • Affections bucco-dentaires : abcès, stomatite dentaire associée à C. albicans
  • Troubles locomoteurs : arthrose, inflammation synoviale
  • Troubles du système nerveux : insomnie, anxiété, agitation, asthénie nerveuse
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, hémorroïdes
  • Troubles de la sphère gynécologique : atonie utérine, aménorrhée atonique, dysménorrhée, douleur menstruelle, cancer du sein
  • Maladies infectieuses : paludisme, leishmaniose, bilharziose, maladie de Chagas, amibiase

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries fraîches ou sèches : comptez 20 à 25 g par litre d’eau en infusion pendant 10 à 12 mn.
  • Décoction de feuilles : trois bonnes poignées en décoction dans un litre d’eau pendant 10 mn. Pour lotion et compresse.
  • Infusion des semences : comptez 8 à 10 g par litre d’eau en infusion durant 10 mn.
  • Poudre de semences : comptez 1 à 4 g par jour, accompagnés d’un purgatif (séné, rhubarbe, cascara…).
  • Suc frais pur ou dilué en application locale.
  • Extrait hydro-alcoolique : dans une part d’alcool à 50° placez une part de la plante fraîche. Laissez en contact durant trois bonnes semaines, à l’issue filtrez, exprimez et embouteillez en bouteilles ambrées.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles se prélèvent de mai à octobre, dans tous les cas avant granification. Le séchage devra être soigneux et la plante sèche préservée de l’humidité
  • Risque de confusion : par le nom, avec l’ansérine (Potentilla anserina), qui est une plante de la famille des Rosacées.
  • L’ambroisine est incompatible avec l’huile de ricin lorsqu’il est question d’utiliser cette plante comme vermifuge. De l’association des deux peut résulter des maux de tête, des vomissements.
  • Faisant l’objet de restriction légale dans plusieurs pays (par exemple, en France, elle n’est pas commercialisée librement), l’ambroisine ne doit pas être employée durant la grossesse et l’allaitement, auprès de l’enfant de moins de trois ans, chez les personnes sujettes à des affections rénales et hépatiques. Au Maroc, des cas d’encéphalites toxiques potentiellement mortelles ont été remarqués chez l’enfant et l’adulte après usage de cette plante.
  • L’huile essentielle de chénopode anthelminthique est interdite à la vente libre en France, placée sous le monopole pharmaceutique comme cela est notifié dans le JO n° 182 du 8 août 2007. Non seulement elle est allergisante (à hautes doses), irritante pour le tube digestif, mais également neurotoxique. Dans les années 1940, Fournier notait déjà que son essence avait « produit une série d’empoisonnements mortels, de sorte que l’on a renoncé à l’employer sous ses formes actuelles »9. Ces « formes actuelles » étaient-elles similaires à celles qui valurent à cette huile d’être classée comme toxique (tableau C), estampillée d’une DL50 d’un gramme par kilo de poids corporel, ce qui est énorme : un adulte de 60 kg devrait en avaler pas moins de six flacons (de 10 ml chacun) avant de passer l’arme à gauche ! Bref, tout ceci permet d’avancer sans trop de risque que cette huile essentielle est déconseillée à la femme enceinte, à l’enfant de moins de quatre ans, en cas d’affections rénales, d’arthritisme et de tuberculose. Sans aller jusqu’à la mise en garde de Fournier, notons néanmoins que l’huile essentielle de chénopode anthelminthique peut amener une dépression cardiaque et respiratoire, des accidents nerveux (ataxie, vertiges), des troubles gastriques (nausée, vomissement), visuels et auriculaires (on a remarqué parfois qu’une surdité totale survenait). L’on a aussi noté que cette huile essentielle était plus toxique chez les personnes à jeun. « Aussi recommande-t-on un régime riche en glucides et pauvre en matières grasses pendant quelques jours avant le traitement, rappelle Valnet. L’organisme devient ainsi plus résistant à la toxicité »10. Bon. Pour finir, mentionnons tout de même en quoi l’huile essentielle de chénopode anthelminthique peut être utile pour l’aromathérapeute chevronné. Cette huile essentielle est une mécanique de précision, une arme lourde, raison pour laquelle les adeptes mous de l’aromathérapie soi-disant « douce » ne l’approchent jamais, préférant la conjurer de loin comme ils savent si bien le faire dès lors que ça devient un tantinet compliqué. Des semences et des feuilles (voire de la plante entière fructifiée sans racines), l’on extrait jusqu’à 1 % d’une huile essentielle dont l’odeur n’est pas, à proprement parler, l’un des plus subtils parfums que peut offrir le monde des arômes ; si l’on pense au jasmin, à la rose, au néroli, au ciste, que sais-je encore ?, on est loin du compte. En fait, elle possède une odeur propre à faire fuir loin d’elle les béni-oui-oui de l’aromathérapie douce et gentille. Si l’huile essentielle d’ambroisine est d’un naturel suave, rappelant certaines lamiacées et agrumes, la très forte proportion de ce peroxyde qu’on nomme ascaridole (50 % en moyenne et jusqu’à 90 %) procure à l’huile essentielle de chénopode anthelminthique une personnalité bien trempée. De plus, l’ascaridole a si peu bon caractère qu’il peut exploser lorsqu’il est soumis à la chaleur. Il s’agit là d’un trait particulier similaire à celui qui affecte le botrys et que rappelle Cazin en ces termes : cette plante est « remarquable par son odeur forte, balsamique, et sa saveur chaude, piquante et un peu amère. Son arôme approche beaucoup celui du ciste ladanifère. Frappés des rayons du soleil, ses feuilles secrètent abondamment le suc balsamique qui les rend visqueuses, brillantes, aromatiques. Il se forme en outre à leur surface de petits cristaux blancs comme le nitre, et qui, comme lui, fusent, s’enflamment et détonnent sur les charbons ardents »11.
  • Au Mexique, cette plante est aussi un condiment qu’on ajoute aux plats de haricots noirs afin d’en augmenter la digestibilité, mais toujours en petite quantité afin de ne pas conférer trop d’amertume, ce qui ne manquerait pas de se produire si jamais on l’adjoignait en trop grande quantité. On l’emploie comme épice également dans diverses spécialités mexicaines (quesadillas, picadata, enchiladas, tamales), dans les plats à base d’œuf et de pommes de terre, etc.
  • En tant que superaccumulatrice, l’ambroisine s’avère très utile pour extraire des sols pollués des métaux lourds tels que le plomb, le zinc, le cadmium ou encore le manganèse.
  • Autres espèces : Dysphania botrys, D. multifida, D. pumilio, D. schraderiana, etc.

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  1. Source.
  2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 29.
  3. Walafrid Strabo, Hortulus, p. 45.
  4. Source.
  5. «  Il est conclu que l’extrait de feuille méthanolique de Dysphania ambrosioides est très efficace dans la suppression réversible de la fertilité masculine » (Source).
  6. « Régulation ou protection des défenses antioxydantes, récupération des espèces réactives de l’oxygène et suppression de leur formation par inhibition enzymatique et chélation des oligo-éléments impliqués dans la génération de radicaux libres » (Source).
  7. « L’extrait hydroalcoolique d’ambroisine a des effets sur le métabolisme osseux en modifiant les protéines et les enzymes du sang et en empêchant la perte osseuse » (Source).
  8. « L’extrait aqueux d’ambroisine a stimulé la néoformation osseuse, présentant une fermeture de la plaie avec du tissu osseux au bout de dix jours » (Source).
  9. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 261.
  10. Jean Valnet, L’aromathérapie, p. 217.
  11. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 189.

© Books of Dante – 2023

La mélisse de calme (Lippia alba)

En langue créole, la verveine blanche porte le nom de mélisse de calme. Le premier de ces mots est trompeur, car cette plante est apparentée à une verveine, portant le nom latin de Lippia alba, et non à la Melissa officinalis, membre du vaste clan des Lamiacées. Le second mot l’est tout autant, car il ne traduit pas cet état de béatitude intérieure infinie que le moindre vol d’une mouche est incapable de briser. Il est la translation du mot « carme » que l’on connaît à travers la célèbre eau de mélisse des Carmes. Ce que l’on peut remarquer, c’est que par ces deux « erreurs » on peut renvoyer la verveine blanche à une certaine parenté qu’elle partagerait avec la mélisse officinale. Cette volonté unioniste semble sceller une certaine communauté thérapeutique, sachant que la mélisse de calme agit sur la sphère cardiovasculaire (elle traite l’hypertension, la tachycardie, ainsi que d’autres troubles cardiovasculaires), les perturbations gastro-intestinales, ainsi que les affections du système nerveux comme l’anxiété, étant considérée comme sédative et antidépressive. A peu de chose près, elle se rapproche donc de ce que la mélisse officinale prend en charge. L’on n’a donc pas eu tort de la surnommer « mélisse », qui plus est de « calme », terme qui, s’il renvoie à la manière erronée d’écrire le mot « carme », convient aussi très bien, car il souligne la capacité remarquable de cette plante à restaurer la tempérance dans le cœur et dans les émotions, aspect tout à fait visible encore dans son aptitude à endormir les enfants et à en calmer les pleurs.

Cette plante, parfois prônée pour ses qualités ornementales et condimentaires, fait l’objet, dans son aire d’origine, d’une pratique phytothérapeutique que l’on retrouve jusqu’en Guyane, Martinique et Guadeloupe où, à l’instar de la verveine citronnée des tisanes de grand-mère, la mélisse de calme est cultivée. Il est vrai que cet élégant sous-arbrisseau qui porte de jolis cônes de fleurs verticillées à l’aisselle de ses feuilles, ne manque pas d’un charme que l’hydrodistillation cherche à lui ravir afin de l’enfermer dans de petites bouteilles de verre opaque. Rare, peu accessible en terme de prix (Oshadhi la propose à pas loin de 26 € le flacon de seulement 3 ml !), on optera sans doute pour l’acquisition d’une huile essentielle plus commune et polyfonctionnelle avant de se jeter sur celle de verveine blanche pour laquelle il faut observer, je pense, la même retenue que vis-à-vis de cet autre produit précieux qu’est l’huile essentielle de mélisse officinale. De couleur jaune à brun clair, l’huile essentielle de mélisse de calme se compose de la façon suivante :

  • Sesquiterpènes (60 %) dont bicyclogermacrène (22,5 %), β-caryophyllène (16,7 %)
  • Oxydes dont 1,8 cinéole (17 %)
  • Monoterpènes (7,5 %)
  • Monoterpénols (2 %)

© Books of Dante – 5 juin 2023

L’huile essentielle de patchouli (Pogostemon cablin)

Dans le cadre de cet article, je mettrai plus particulièrement l’accent sur le versant aromathérapie du patchouli, mais je me permettrai aussi d’apporter des éléments supplémentaires quant aux usages phytothérapeutiques du patchouli tels qu’ils se pratiquent, par exemple, en Inde et en Chine. C’est donc une vision élargie du patchouli qui vous attend dans cet article revisité auquel j’ai ajouté un tas de trucs tout neufs :)

Je vous souhaite une bonne lecture ainsi qu’un beau week-end :)

Gilles



Synonymes : patchouly, puchaput (nom indien).

Quelques rares allégations médiévales semblent vouloir attester l’introduction du patchouli en Europe au temps des croisades (pourquoi, toujours, les croisades ?). Peu remarqué, il trouva refuge dans quelques jardins, où il périclita sans doute, parce que aujourd’hui l’on ne l’y retrouve plus, d’autant que le climat européen n’est guère profitable à cette plante tropicale/subtropicale. Bien que j’ai découvert une mention (une seule !) à son sujet dans les sources médiévales que je consulte régulièrement, tout ceci reste néanmoins fort étrange. Bref. Il est exact que cette plante assez discrète et peu odorante (à l’exclusion de ses sommités fleuries) n’est pas très encourageante et enviable au premier abord, contrairement à nombre de ses cousines de la famille des Lamiacées qui exhalent leur parfum pour peu qu’on les frôle ou les froisse entre les doigts (sauge, lavande, romarin, etc.). En réalité, il est plus probable d’en imaginer l’importation à une époque plus tardive puisque certaines sources avancent que Napoléon Bonaparte l’aurait rapporté (sous quelle forme ?) d’Égypte après les campagnes des pyramides, soit au tout début du XIXe siècle. Un peu plus tard, en 1826, on le retrouve mentionné dans une revue de pharmacie sous le nom de patchouly, un mot qui s’inspire de la façon dont on désigne cette plante en Inde et qui veut tout simplement dire « feuille verte » (de patchai, « vert » et ilai « feuille »). On l’appela aussi pogostémon, en référence à ses étamines barbues (sous l’apparence scientifique impénétrable du latin se dissimule très souvent une évidence triviale). Mais plutôt que de s’égarer, il est préférable de se renseigner sur la manière dont le patchouli était initialement considéré dans sa patrie d’origine, si tant est qu’on parvienne à la déterminer avec précision (le patchouli proviendrait d’Indonésie et de Malaisie). Savoir qu’il a été incorporé à la médecine ayurvédique et aux médecines traditionnelles chinoise et coréenne devrait donner une petite idée de l’étendue de sa sphère d’influence.

Depuis combien de temps cultive-t-on le patchouli en Inde ? Je n’en sais rien, mais cette activité agricole est datée, pour la Chine, de l’époque de la dynastie Liang (502-557) et pourrait même remonter bien auparavant. Ce qui n’est pas très important s’il s’agit de démontrer que le patchouli reste très apprécié des Chinois depuis des siècles. Afin de le distinguer de la menthe coréenne ou hysope géante (Agastache rugosa, Huo Xiang), on lui a attribué le nom de Guang Huo Xiang au sein de la pharmacopée chinoise. Tout cela peut vous paraître bien lointain et parfaitement désuet, mais il est à signaler que le patchouli est présent dans une recette composée de 16 à 21 ingrédients végétaux (qui s’appelle Qing fei pai du tang) dont l’efficience a été testée sur des cas précoces d’infection au SARS-CoV-2, sachant que c’est avant tout une formulation initialement destinée à soulager les inconforts respiratoires tout en soutenant l’immunité. Du côté de l’Inde, le patchouli revêtit une grande importance, tant et si bien qu’il était interdit aux castes inférieures d’en faire usage. Chasse-gardée des brahmanes, il demeura pendant longtemps l’apanage du domaine religieux. Très souvent, les épouses des brahmanes se livraient au mehndi, c’est-à-dire à la peinture rituelle au henné, traçant à l’ensemble de la peau du corps et surtout des pieds et des mains, des dessins d’une exquise finesse, et, ce faisant, propageaient tout autour d’elles l’odeur du patchouli dont elles s’étaient parfumées. D’un point de vue liturgique, c’était là une manière de signifier l’enfantement. En effet, le patchouli porte en lui des symboliques d’amour, de fertilité et de prospérité. C’est ce qui semble encore apparaître à travers la poudre chiksa. De même que celle de curry, il ne paraît pas exister de recette « officielle » de cette poudre, mais seulement une infinité de variantes dont, selon Eugène Rimmel, la base est composée de farines de moutarde et de fenugrec, henné, santal, patchouli, vétiver, benjoin, anis, camphre, etc., auxquels on peut ajouter ces oubliés que sont le curcuma et les pétales de rose. A quoi cela sert-il ? Il s’agit d’une poudre de bain préparatrice au mariage, qui procure à la peau d’évidents bienfaits thérapeutiques, du moins cosmétiques. Elle lui redonne éclat et souplesse, tout en l’adoucissant et en amoindrissant les marques et taches cutanées éventuelles, l’objectif étant de faire resplendir, c’est-à-dire littéralement « faire briller » le corps et le visage de la future mariée (cette poudre peut effectivement être employée comme masque pour le visage en mélangeant la valeur d’une cuillerée à café à suffisamment d’eau de rose pour former une pâte lisse, souple mais ferme. Les adeptes du masque à l’argile n’y trouveront rien de surprenant). On peut aisément comprendre qu’une Vénus latine, qu’on imagine poudrée et alanguie, ait désiré jeter son dévolu sur une telle drogue de séduction, au point que dans certains grimoires magiques on peut dénicher des recettes d’encens composés destinés, lorsqu’on les brûle au jour et à l’heure de Vénus, à attirer mais aussi à repousser (ce qui est toujours la seconde face de la même monnaie). Voici un de ces mélanges : myrrhe, mimosa, jasmin et patchouli. Un quart de chaque. A faire brûler sur un charbon ardent. Il s’avère bien utile pour écarter les ennemi(e)s (le patchouli s’y entend à merveille pour évincer la vermine, c’est-à-dire aussi bien le ver qui creuse le fruit que la rivale amoureuse), mais aussi, une fois que la place nette a été faite, pour attirer le chaland : dans les préconisations de cette recette d’encens, l’on parle de clientèle. On comprendra de quel type il peut être ici question si, sous l’égide d’une quelconque Aphrodite des carrefours, c’est une demi-mondaine qui fait usage de cette drogue parfumée… D’ailleurs, venons au plus près de cet aspect qui colle aux guêtres du patchouli depuis environ le milieu du XIXe siècle en Europe. En ce siècle, les comptoirs commerciaux anglais des Indes faisaient transiter jusqu’en Europe les soies et lainages du Cachemire que les producteurs locaux emballaient accompagnés de feuilles de patchouli parce qu’ils savaient que cela les garantissaient de l’attaque des mites durant le voyage. Le parfum des feuilles séchées du patchouli ne laissa vraisemblablement pas les Anglaises indifférentes, puisqu’elles finirent par les utiliser elles aussi pour parfumer le linge dans les armoires, sous forme de pots-pourris. Où l’on voit que le patchouli passa du statut d’insectifuge à celui de déodorant (puisque l’on peut vouloir lier l’agréable à l’utile sans avoir besoin de subir le désagréable). En France, le patchouli connut un destin quelque peu différent. En effet, il fut rapidement adopté comme parfum par les demi-mondaines parisiennes, c’est-à-dire ces femmes appartenant au demi-monde, autrement dit les marges de la bonne société où celle-ci allait parfois s’encanailler. Ces femmes aux mœurs « légères », courtisanes ou poules (cocottes parfois) de luxe, étaient entretenues par de riches bourgeois des boulevards de Paris afin qu’ils en assurassent les frais matériels. C’est de ce patchouli-là dont il est question dans le Madame Bovary (1857) de Flaubert. Un peu plus tard, sous la plume de Zola, on croise dans le roman intitulé Nana (1880), le personnage de la lorette parisienne, qui tient le milieu entre la femme entretenue et celle qu’on appelle une grisette, plus péjorativement une gourgandine, c’est-à-dire une courtisane de petite condition et de médiocre extraction. Auprès d’elle, on sent encore distinctement les lourds effluves du patchouli : une odeur fauve, musquée, au point qu’on croirait parfois celle d’un animal quittant son terrier. Nul doute que la femme du grand monde ne put agréer le patchouli, résolument trop canaille et vulgaire, disant toute la basse condition et les expédients allant à l’avenant de celles qui s’en aspergeaient. Le patchouli, qui avait une valeur sacerdotale en Inde, devint, en cette Europe occidentale de la fin du XIXe siècle, le marqueur olfactif social des bas quartiers interlopes1 où vivotaient tant bien que mal les pauvresses qui cherchaient vainement à se hisser au niveau de la belle grande dame qui ne devait leur accorder aucun regard, hormis, peut-être, celui, écœuré, quand elle sentait les bestiales émanations du patchouli provenir jusqu’à elle et lui serrer le cœur. Peut-être ne s’y risquait-elle même pas de crainte de s’émouvoir d’y surprendre un spectacle interdit… Parce que le patchouli de cette fin de siècle, ça sent l’adultère de seconde zone, le sexe pas cher et contagieux, l’étreinte jamais sincère à trois francs six sous. Le patchouli est surtout le symbole de cette femme, de la courtisane, dont tirait parti le bourgeois qui s’attristait de son sort conjugal, peut-être même – qui sait ? – le mari de cette dame-là ! Ces femmes qui se parfumaient au patchouli, de même que les lorettes et autres grisettes, que l’on réprouvait comme femmes de rien, on peut dire qu’elles étaient juste en avance sur les soi-disant bonnes mœurs de leur temps, et donc en décalage avec le reste de la société sur ce point. C’est pourquoi le patchouli eut dès lors une mauvaise réputation qui perdura durant une bonne partie du XXe siècle en Europe, avant de tomber sous la houlette des mouvements hippie et Flower power des années 1960-70. L’aura licencieuse que le patchouli se traînait jusque-là sut plaire et devint la signature parfumée d’une certaine libération des mœurs, tout à fait adapté à un public non violent qui recherchait non seulement l’insouciance mais également la quiétude d’esprit et la paix. Et puisque l’on évoque le « pouvoir des fleurs »… Si ça en est une, alors on peut dire qu’elle est de la tribu de celles qui savent prendre leur temps et le font savoir tout autour d’elles : « Tu ne me cueilleras pas tant que je ne serais pas prête, tant que je n’y consentirais pas ! » Pensez donc ! J’anticipe un peu sur la prochaine partie, mais sachez que le profond arôme du patchouli ne se manifeste jamais qu’une fois cette plante complètement sèche. Ce laps de temps, durant lequel s’opère la dessiccation, est l’indice d’une certaine forme de retenue, de concentration. La perte aqueuse dont il est l’objet lui permet de mieux se condenser sur l’essentiel, ce qui fait écho à l’un des effets que son huile essentielle peut avoir sur notre psychisme : nous aider au rassemblement de nos pensées, chose tout indiquée aux esprits volatils et pressés qu’elle saura débarrasser d’un sentiment d’urgence qui n’a pas lieu d’être. Je pourrai encore jeter sur le papier que cette huile essentielle apporte la détente nécessaire pour mieux se préparer à la relaxation et à la méditation, qu’elle autorise une meilleure stabilité, un enracinement plus prononcé ou encore qu’elle lutte contre les sensations d’incertitude ou de manque de confiance en soi, etc. Mais ainsi j’ai l’impression de ne rien dire du tout et surtout de me faire le jalon d’une pensée étrécie et peu originale. C’est pourquoi je préfère opter pour le personnel particulier plutôt que pour le général anonyme.

L’huile essentielle de patchouli est l’huile de la réconciliation. Je me rappelle il y a 15 ans ou à peu près : que fut longue et harassante la réflexion qu’il me fallut mener au sujet de l’huile essentielle qui m’était alors la plus capitale !… Dis-toi ceci : tu n’as plus qu’un seul billet de 20 à craquer, vers quelle huile essentielle ton choix va-t-il se porter ? C’est particulièrement compliqué lorsque tu parviens difficilement à estimer – le manque de concentration et l’excès de confusion aidant – que cette perte de repères est telle que tu serais tout à fait capable de taper à côté, de faire le mauvais choix qui renforcerait la spirale de ta mélancolie grandissante. Savoir si c’est, en l’occurrence, en cet instant T, du patchouli dont tu as besoin, tu ne peux pas encore le savoir, tu ne peux pas l’« essayer » comme tu le ferais d’un jean dans une boutique de fringues.

A la fin du XIXe siècle en Europe, on considérait encore ce qu’on nommait le « fluide » comme une réalité et l’on parvenait à déterminer et à faire entrer en action l’efficacité d’une substance médicinale en la plaçant entre les mains d’un patient que l’on avait préalablement amené dans un état d’hypnose. Les docteurs Henri Bourru (1840-1914) et Prosper Ferdinand Burot (1849-1921) rendirent parfaitement compte des expérimentations qu’ils accomplirent en ce sens dans un ouvrage qu’ils rédigèrent en commun et firent publier en 1887, La suggestion mentale et l’action à distance des substances toxiques et médicamenteuses. Loin de moi l’idée de douter qu’il soit impossible d’entrer dans une forme d’auto-hypnose, même légère mais suffisante, dans une boutique dont la spécialité est de vendre tous le nécessaire en aromathérapie ! Cela fut pourtant essentiel afin de mieux capter les radiations de la plante en question.

Le patchouli, c’est comme un grand-père assis au bord de la route qui regarde passer la vie devant lui. Tu sais, à ce moment précis, que c’est à lui seul qu’il faut demander ta route. Tu l’identifies clairement comme tel mais tu n’oses pourtant pas t’adresser à lui en raison d’une puissante force de rétorsion assez incompréhensible. Je ne sais pas trop ce qui s’est déroulé entre mon intention initiale et le moment où j’ai quitté le magasin avec mon petit flacon d’huile essentielle de patchouli (un trésor de chez Ladrôme, je me souviens ; mon premier patchouli ^.^), mais la suite des événements a parfaitement justifié cette acquisition. Avant même que je me le procure, le patchouli « enfermé » dans cette bouteille a pu s’adresser à moi de telle façon qu’il a répondu affirmativement à ma requête, d’où l’acte d’achat sensé subséquent qui me l’a fait emporter au creux de la main, comme si c’était à moi de le protéger, alors que c’était tout le contraire.

Réconciliation ? Oui, l’on peut affirmer que le bienveillant patchouli ré-unit en l’être même deux sphères disjointes et, de fait, non disposées à bien fonctionner ensemble. On se sent raccommodé, remit en ordre, réparé grâce au patchouli (j’ai bien conscience de ce que ces affirmations peuvent avoir de vague…). Plus précisément, on se sent réconcilié, c’est-à-dire que l’on parvient, de nouveau, à se concilier cette partie de soi auquel l’accès est devenu plus difficile, ce qui, par conséquent, nous fait nous sentir difficilement intègres. Ainsi, à l’aide du patchouli, on retrouve des repères que l’on n’avait jamais vraiment perdus. On dit encore qu’il consolide la psyché. Pourquoi pas ? Puisqu’il régénère la peau, pourquoi ne serait-il pas capable d’en faire de même avec notre entendement profond ? Il élimine les inhibitions, les pensées anxieuses et les sautes d’humeur (il arase les dents de scie en vagues douces et moutonnantes ; c’est un adoucissant, ne l’oublions pas) grâce à sa capacité de réduire l’écart et le décalage que l’on peut percevoir entre le spirituel et le corporel, grâce, entre autres, au grounding, c’est-à-dire la mise à la terre (note de base en parfumerie, l’on saisira avec aisance dans quelle mesure le patchouli est un parfum d’ancrage, qui n’a cependant rien de forcené !). Un autre mot me vient à l’esprit quand il est question des vertus que, tel un baume, le patchouli applique sur l’âme et l’esprit : introspection, ce qui, littéralement, veut dire « regarder à l’intérieur de soi ». On peut pratiquement parler d’observation spéculaire, comme si le patchouli nous tendait un miroir (pas pour s’y mirer en faisant preuve de coquetterie, à l’image de la courtisane, non), mais pour nous permettre, en toute tranquille clarté, de prendre connaissance de certains aspect de nous-mêmes inconnus ou non-sus. Décaper un mot des sens successifs qu’on lui a octroyés, c’est revenir au sens primordial du bourgeon d’origine. Surgissent alors des visions que tous ces oripeaux empêchaient d’atteindre. Ainsi en est-il du mot considérer : « regarder l’ensemble des étoiles ». Ou spéculer : « interroger le miroir pour y lire le présent ou l’avenir ». Ce dernier va maintenant nous inviter à prendre en compte le patchouli selon un regard que nous voulons botanique.

Le patchouli est un sous-arbrisseau vivace semper virens d’un bon mètre de hauteur et dont les tiges quadrangulaires sont duveteuses et ramifiées. Les garnissent une profusion de grandes feuilles à forte nervure centrale, opposées, plus ou moins ovales, vert brillant, découpées en bordure par de grosses dents irrégulières et enchâssées sur les tiges par de longs pétioles. Quand le patchouli évolue sous un climat qui lui est propice, on lui voit porter des épis de fleurs verticillées à odeur prononcée et dont la couleur est variable (blanc, mauve pâle, bleuté, pourpre). Le patchouli apprécie les expositions ensoleillées sur terrains humides, sur sols riches et fertiles. S’étant aventuré en dehors de son fief asiatique originel, on le trouve aujourd’hui cultivé dans beaucoup de régions tropicales et subtropicales du globe : en Asie (Philippines, Chine, Sri Lanka, Inde), en Afrique, en Amérique du Sud (Guyane), aux Antilles, sur l’île de la Réunion, etc.



Le patchouli en phyto-aromathérapie

Le patchouli est une plante de culture facile et de production quasi immédiate que l’on peut couper jusqu’à trois fois dans l’année, pourvu qu’elle pousse sous climat qui lui est favorable. Les usages phytothérapeutiques propres aux zones tropicales et subtropicales où cette plante s’épanouit, expliquent que les feuilles, qu’elles soient fraîches ou sèches, sont conviées à des pratiques qui nous mènent à faire le constat suivant : les jeunes feuilles et jeunes pousses de cette plante, que l’on préfère pour cela, possèdent des constituants biochimiques dont on ne parle généralement pas, puisque, à notre niveau, nous ne connaissons du patchouli que son huile essentielle qui n’est en rien concernée par ce que nous allons maintenant révéler. Si les tiges fibreuses du patchouli concentrent une grande part de composés glucidiques (normal, fibres = glucides), les épillets floraux abritent quant à eux des lipides et des acides aminés comme la proline, la lysine ou encore le tryptophane. Mais le gros des troupes, si je puis ainsi dire, est logé dans les feuilles du patchouli puisqu’elles ne recèlent pas moins que les éléments suivants : des phytostérols (β-sitostérol, daucostérol), des flavonoïdes et flavones (pachypodol), des triterpénoïdes (friedéline, épifriedélinol), des glycosides phényléthanoïdes (crénatoside, isocrénatoside), des alcaloïdes sesquiterpéniques (patchoulipyridine, gaïapyridine), des acides organiques (acide succinique : le même que l’on trouve dans l’ambre ; on comprend d’où le patchouli peut bien trouver une partie de son identité orientale), des vitamines, enfin une essence aromatique qui fournit une huile essentielle dont tous les éléments moléculaires ne préexistent pas dans la plante fraîche, ce qui explique la différence d’odeur entre les feuilles de patchouli fraîches et l’huile essentielle de patchouli issue de feuilles qui ont subi une coction et un traitement thermique au sein de l’alambic. En poussant au delà de ce seul constat, l’on pourrait même affirmer que, selon la partie de la plante considérée, outre qu’elles fournissent des rendements plus ou moins disparates (importants dans les feuilles, plus faibles dans les tiges et les sommités fleuries), le parfum respectif de chacune d’elles évolue. Il en va de même quand on fait sécher ces feuilles ou qu’on les fait fermenter à la manière de celles du théier. Si l’on cherche à obtenir une huile essentielle riche en ce sesquiterpénol que l’on appelle patchoulol, il faudra prioritairement se concentrer sur les feuilles, qui plus est récoltées et distillées en juin et en juillet (elles fournissent une plus grande proportion – 40 à 45 % – de patchoulol, contre celles récoltées durant le mois d’août, moins avantageuses sur ce point : 30 %). Il a été remarqué que si l’on distillait les tiges, c’était une autre molécule qui se formait en priorité, la pogostone, ce qui explique que, selon le lieu où l’on se situe, l’on ait affaire à un chémotype patchoulol ou à un chémotype pogostone. Nous ne parlerons que du premier, le plus courant en France et en Europe, contenant essentiellement du patchoulol et des quantités négligeables de pogostone (inférieures à 1 %).

Avant même d’être distillées, les sommités fleuries et les feuilles fraîches de Pogostemon cablin sont préfanées, puis séchées à l’ombre et enfin fermentées en gros tas. Une fois la distillation achevée, l’huile essentielle obtenue est vieillie en fût afin qu’elle perde de son amertume (cela ne lui disconvient en rien puisqu’elle est de ces huiles essentielles qui se bonifient avec le temps). A quoi donc ressemble cette huile essentielle ? Limpide la plupart du temps, elle n’est pas liquide comme on pourrait s’y attendre mais légèrement visqueuse, de consistance épaisse et dense (0,96 à 20° C). Selon la nature de l’alambic utilisé au cours de la distillation, la couleur finale de l’huile essentielle de patchouli est amenée à changer : quand l’opération se déroule au sein d’une cuve en acier inoxydable, elle opte pour des teintes oscillant du jaune à l’orange clair, du doré à l’ambré. Alors que des alambics ferreux produisent des huiles davantage sombres, tendant vers le brun mâtiné de jaune ou de rouge, le vert brunâtre, etc. Au sujet du parfum, on s’expose, là aussi, à de très nettes différences selon la provenance, le cultivar, le climat, etc. (comme toujours ^.^). On rencontre donc des huiles essentielles de patchouli un peu « femelles », aux notes douces toute empreintes de souterraine humidité. Et d’autres plus sèches, fumées, chaudes, dénuées des aspects froids et humides de la Terre et de l’Eau. En général, le parfum puissant et persistant (note de fond en parfumerie) peut répondre aux adjectifs suivants : épicé, ambré, boisé, résineux, exotique, capiteux, herbacé, camphré2, musqué, âcre, terreux, tourbeux. Y transparaissent également des notes de bois fumé et de mousses en décomposition. Le rendement est assez généreux puisqu’à partir de 40 à 45 kg de feuilles de patchouli, l’on peut produire 1 kg de son huile essentielle (les rendements varient de 1,5 à 4 %). De composition biochimique peu commune pour nous autres Européens, l’huile essentielle de patchouli regroupe ses molécules pour un tiers au sein des sesquiterpénols et pour les deux autres tiers auprès des sesquiterpènes. Observons plus en détail la composition biochimique moyenne de l’huile essentielle de patchouli que l’on peut se procurer en France :

  • Sesquiterpènes (60 %) dont : α-bulnesène (18,4 %), α-guaiène (15,2 %), α-patchoulène (7,5 %), seychellène (6,4 %), β-caryophyllène (3,15 %), β-patchoulène (3,1 %), aciphyllène (2,75 %)3
  • Sesquiterpénols (32 %) dont : patchoulol (28,4 %), pogostol (1,9 %)
  • Sesquiterpénones : pocahémicétones A et B

En moyenne, il faut débourser environ 15 € pour se procurer un flacon de 10 ml d’huile essentielle de patchouli bio de très bonne qualité.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux : antibactérien sur germes Gram + et Gram – (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, SARM), antiviral, antifongique puissant (Candida albicans, Aspergillus flavus, A. oryzae), antiparasitaire, immunomodulant (attention : le chémotype à pogostone est immunosuppresseur par la pogostone qu’il contient, ce qui n’est pas le cas du chémotype à patchoulol)
  • Acaricide (Dermatophagoides farinae), répulsif des insectes (mite, mouche, termite, fourmi, blatte, noctuelle, puce du chat, foreur du caféier, moustique ; dans ce dernier cas, plus l’huile essentielle de patchouli est diluée, et plus la protection qu’elle offre s’évapore), des vers (nématodes) et des sangsues4
  • Apéritif, contrôle l’appétit, stomachique, carminatif, modulateur du microbiote intestinal, protecteur de la muqueuse intestinale (c’est pourquoi le patchouli est profitable aux personnes affectées de MICI), améliore et protège les fonctions de la barrière épithéliale intestinale (tout en favorisant les bactéries productrices d’acides gras à chaîne courte : Clostridium jejuense, Eubacterium uniforme, Anareostipes butyraticus, Butyrivibrio fibrisolvens…), anti-émétique
  • Actif favorablement sur la sphère hépatique (par ses effets anti-oxydants, analgésiques et anti-inflammatoires)
  • Diurétique, décongestionnant prostatique
  • Tonique et décongestionnant veineux et lymphatique, antiplaquettaire, anti-thrombotique, phlébotonique, favorise le retour veineux, fibrinolytique, hypotenseur
  • Aphrodisiaque, améliore l’intérêt sexuel, euphorisant
  • Calmant, sédatif
  • Tonique, stimulant
  • Antidépresseur (par augmentation de la sécrétion de dopamine), neuroprotecteur
  • Anti-mutagène, cytotoxique
  • Cicatrisant, régénérateur cutané (stimule la croissance de nouvelles cellules cutanées), régulateur des excès de sébum, réduit l’élasticité de la peau, augmente la teneur de la peau en collagène

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inconfort gastro-intestinal, inflammation des muqueuses, ulcère gastrique5, entérocolite infectieuse, infection intestinale (candidose), diarrhée, constipation, nausée, flatulences, ballonnement
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : stéatose hépatique non alcoolique (par l’inhibition d’accumulation de lipides hépatiques)
  • Obésité et maladies métaboliques connexes (par effet anti-inflammatoire sur les tissus adipeux)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : insuffisance veineuse et lymphatique, jambes lourdes, varice, hémorroïde, fragilité capillaire, congestion du petit bassin, rétention d’eau, œdème, cellulite
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses ou tardives, candidose vaginale, sevrage du nourrisson (par inhibition de la lactation)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : congestion et adénome prostatiques, prostatite
  • Troubles de la sphère sexuelle : frigidité, impuissance
  • Troubles du système nerveux : asthénie, manque de tonus et de vitalité, épuisement nerveux, psychologique et/ou intellectuel, dépression et états dépressifs, mélancolie légère, stress, anxiété, peur, agitation mentale, manque de concentration
  • Maladie d’Alzheimer (?) par réduction du stress oxydatif et de la pyroptose
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, lésion pulmonaire aiguë
  • Affections cutanées : acné, herpès labial, mycose, parasitose (gale), psoriasis, eczéma, impétigo, dermatose inflammatoire, plaie, ulcère, crevasse, gerçure, escarre, cicatrice, vieillissement cutané (photo-vieillissement, rides et ridules), peau grasse, sèche, asphyxiée, dévitalisée, coup de soleil, piqûre d’insecte
  • Soins capillaires : soin du cuir chevelu, chute de cheveux

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches (il est possible de s’en procurer dans diverses herboristeries asiatiques : quid de la provenance, de la qualité, de la traçabilité ?) : comptez une cuillerée à café de patchouli pour une tasse d’eau bouillante en infusion à couvert pendant 10 mn.
  • Décoction de feuilles sèches : comptez 20 g par litre d’eau en décoction à couvert à petits bouillons pendant 10 mn.
  • Poudre : 3 g dans une petite quantité d’eau tiède pour bien la diluer, de préférence en dehors des repas.
  • Extrait glycériné.
  • Huile essentielle : par voie externe, l’huile essentielle de patchouli, fabuleusement riche de nombreux sesquiterpènes, bénéficie du même privilège que les huiles essentielles de nard de l’Himalaya et de myrrhe : une excellente tolérance cutanée qui permet, quand les usages s’y prêtent, des applications pures. Mais dans l’ensemble, mieux vaut la diluer, c’est la garantie d’être plus économe de cette précieuse substance. Sous nos longitudes calées à l’heure européenne, la voie orale, rare, appelle à un usage raisonné (là où en Asie la prise per os de cette huile essentielle n’est pas l’occasion d’une aussi scrupuleuse frilosité). Ensuite, par l’olfaction directe au flacon, l’huile essentielle de patchouli offre bien des services (que ce soit pour calmer le mental quand on se trouve dans les transports en commun par exemple ou bien pour préparer comme il se doit une séance de méditation dans le calme feutré du domicile). Enfin, sa diffusion atmosphérique est tout à fait possible, à la condition de la diluer un peu si elle s’avère trop épaisse, ou la mêler à d’autres huiles essentielles et/ou essences plus fluides (qui jouent alors un rôle de solvant), ce qui évite non seulement d’encrasser les appareillages de dispersion atmosphérique, mais aussi d’entêter les esprits !

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Si cette huile essentielle est tonique à faibles doses, elle devient sédative à doses plus appuyées. Il importe donc de se méfier des quantités et du moment de leur absorption (tonique le matin et sédatif le soir, c’est plus conforme à la nature de notre espèce diurne).
  • Attention de pas employer cette huile essentielle (en raison de sa forte teneur en patchoulol) en cas de cancers hormono-dépendants. Faire aussi attention aux interactions médicamenteuses, en particulier avec les anticoagulants (l’huile essentielle de patchouli est capable d’inhiber la coagulation du sang).
  • Connue en parfumerie, l’huile essentielle de patchouli est de plus en plus utilisée en cosmétique (gel douche, shampooing, hygiène bucco-dentaire, déodorant) et en savonnerie. On en peut confectionner des baumes, des parfums d’ambiance et autres brumes d’oreiller. Le patchouli, à l’état de plante brute, est abondamment employé en Asie, comme chez nous la lavande : comme substance à brûler (encens en bâton et en cône, poudre à brûler du type cade, buvard d’encens du genre « papier d’Arménie »), à stocker dans les armoires dans de petits sachets qui ont pour objectif double de parfumer le linge et de repousser les mites, astuce efficace déjà connue des marchands indiens qui protégeaient ainsi les pièces de soie et autres précieuses étoffes.
  • Autres espèces : voici quelques spécimens choisis parmi la centaine d’espèces de Pogostemon qui existent de par le monde (Asie, Afrique et Océanie) : le pogostémon paniculé (P. paniculatus), le pogostémon de Heyne (P. heyneanus), le pogostémon hirsute (P. hirsutus), le pogostémon pourpre (P. purpurascens), l’origan bengalais (P. benghalensis), le pogostémon faux-plectranthe (P. plectranthoides) ou encore P. tranvacoricus, P. elsholtzioides, etc.

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  1. C’est souvent ce qui arrive aux objets sacrés : quand ils tombent dans le monde profane, leur symbolique s’en trouve souvent retournée.
  2. Abandonnée à elle-même, l’huile essentielle de patchouli « laisse déposer un corps cristallin, dit camphre de patchouly, fusible entre 54 et 55°, qui est un homologue du camphre de Bornéo » (François Dorvault, L’officine, p. 1021).
  3. A cela, près d’une vingtaine d’autres sesquiterpènes s’agrègent à ce premier groupe pour former une véritable grappe sesquiterpénique.
  4. L’huile essentielle de patchouli est un biopesticide intéressant dont des études ont montré les effets larvicides, pupicides et inhibiteurs de croissance chez plusieurs espèces d’insectes « ravageurs » des cultures.
  5. « Le mélange de patchouli et de peau de mandarine peut réduire la formation d’ulcères muqueux gastriques, réduire les lésions des muqueuses gastriques, améliorer l’expansion du réticulum endoplasmique des cellules principales, réparer les dommages mitochondriaux et inhiber la sécrétion d’acide gastrique par les cellules pariétales » (Sources).

© Books of Dante – 2023


L’huile essentielle d’origan vulgaire (Origanum vulgare)

Afin de compléter l’article que j’avais écrit au sujet de l’origan vulgaire en phytothérapie il y a 5 ans, voici celui que je puis accorder au versant aromathérapeutique de cette plante. Ce sera pour moi l’occasion de rappeler certains points qui me tiennent à cœur et qui ne sont pas l’apanage de la seule huile essentielle d’origan vulgaire, puisqu’ils s’appliquent à toutes les huiles essentielles : faire attention aux dosages, s’interroger aux raisons qui nous poussent à utiliser bien souvent trop d’huiles essentielles, respecter l’environnement et les ressources, etc. Bien des huiles essentielles devraient être abandonnées tant la pression écologique qu’on fait peser sur elles est lourde : si ce n’est pas le cas de l’origan vulgaire de base, c’est celui de ses deux variétés connues sous les noms d’origan compact et d’origan kaliteri, deux vraies mauvaises idées.

Voilà donc un article qui grince aux entournures, mais il est nécessaire de dire les choses, même si elles déplaisent.

Bonne lecture et beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Synonymes : origan commun, grand origan, thym de berger, grande marjolaine, marjolaine commune, marjolaine sauvage, marjolaine vivace, marjolaine bâtarde, marjolaine d’Angleterre, thé rouge.

L’emploi actuel des huiles essentielles est sans commune mesure avec ce qu’il était il y a un siècle. Pourtant, une petite musique, particulièrement lancinante et pénible, semble sous-entendre, non pas qu’il en a toujours été ainsi, mais que les huiles essentielles accompagnent l’être humain depuis des millénaires. Certes, il existe bien d’antiques tentatives d’obtention d’huiles essentielles par le biais d’alambics archaïques, mais ils ne fournissaient ni en qualité, ni en quantité comparables avec ce qui se produit et s’écoule en un pays donné (en France, tiens !) en l’espace d’un an aujourd’hui. Dire qu’on a toujours fait ainsi relève donc du mensonge. Cet engouement pour l’aromathérapie n’est donc que chose récente eu égard à l’histoire connue de la médecine humaine par les plantes. Ainsi, par nos modes de consommation actuels des huiles essentielles, nous expérimentons, nous autres êtres humains du XXe et du XXe siècles, quelque chose qui n’a jamais été réalisé auparavant. Il n’existe donc aucune histoire millénaire de l’aromathérapie. C’est, peut-être, en l’absence de toute sagesse ancestrale que l’on voit l’aromathérapie dériver comme jamais auparavant, de fausses croyances entraînant bien des abus. Deux d’entre eux me semblent étroitement liés : le surdosage pratiqué par certaines « officines » et la surexploitation des plantes destinées à la production d’huiles essentielles. L’emballement pour quelques espèces précises soulève un intérêt pour d’autres qui leur sont proches et entraîne, bien souvent, des destructions parfois irréversibles dans des pays où l’on exploite sans vergogne, non seulement la matière végétale locale disponible, mais également une main d’œuvre pauvre et non qualifiée, c’est-à-dire pas moins que ce qui se faisait en France il y a encore moins d’un siècle : quand on allait cueillir quelque espèce sauvage dans son milieu naturel, on s’enorgueillissait de n’en pas avoir laissé un seul brin, signe que l’on avait été méticuleux et consciencieux dans sa cueillette. Aujourd’hui, l’on sait bien que de telles pratiques sont néfastes, car une cueillette trop large peut menacer la granification des plantes (et, partant, leur diversité génétique), mais aussi les apports nutritifs auprès des insectes pollinisateurs. Tout cela peut donc mener à faire disparaître, in fine, une plante que l’aromathérapie souhaitait mettre en valeur ! Sur la question des origans, l’on peut avoir une pensée émue pour deux variétés d’Origanum vulgare : tout d’abord la variété compactum, victime marocaine de l’obnubilation des acheteurs d’une part et des méthodes digne d’un Attila des temps modernes d’autre part. Dans la vallée du Rif, femmes et enfants récoltent cet origan pour le compte de grossistes peu soucieux de pérenniser la ressource et d’en intégrer durablement la récolte afin qu’elle profite aux populations locales. Au contraire, on préfère généralement passer sous silence le bilan désastreux de telles pratiques auprès de ceux à qui l’on vante la dernière nouveauté aromathérapeutique à la mode. Autre variété : le kaliteri, dont on parle encore assez peu et qui est quasiment – quelle chance pour lui ! – à peu près indisponible en France (hormis chez quelques-uns, dont une grande « enseigne » que je ne nommerais pas et qui pratique des tarifs tout à fait suspects…). On glose sur ces deux variétés, alors que l’on fait complètement l’impasse sur l’huile essentielle d’origan vulgaire dans la littérature. Il faut dire que c’est du « local » et que la ressource végétale n’est pas rare, contrairement au compactum qui se réduit comme peau de chagrin dans son aire d’origine (où l’arganier subit le même triste sort d’ailleurs…). Côté kaliteri, je ne sais pas trop s’il faut déjà se faire du souci, mais s’enticher de ce nouveau produit me semble tout à fait inutile (en plus d’être une mauvaise nouvelle), sachant la rareté de la ressource. Non seulement elle est limitée, mais elle est lointaine, vue depuis la France : en effet, cet origan n’existe qu’en Bolivie et vit dans des circonstances climatiques (à 2500 m d’altitude) pour lesquelles on ne peut pas exiger la même « productivité » ni la même « rentabilité ». J’espère donc bien que cet origan saura se tenir en dehors de toute notoriété tapageuse dont on connaît parfaitement les effets pervers, qui s’appliquent déjà à d’autres plantes en situation critique d’extinction. Ne pas se jeter inconsidérément sur les dernières nouveautés, permet donc de lever un peu la pression écologique qui pèse sur les plantes qui les produisent, car agir ainsi, quand bien même le produit – ici une huile essentielle – est dit naturel, n’est jamais moins qu’un acte de consommation comme un autre. Cela signifie-t-il que l’emploi de l’origan vulgaire – sous sa forme d’huile essentielle – est sans danger (pour lui) ? Je ne dirai pas cela de façon aussi peu assurée et nuancée. Oui, j’ai parfaitement le souvenir d’avoir dit que la ressource en Europe était loin d’être digne de la plus sévère des pénuries. D’après le site de l’IUCN, cette plante n’est pas inscrite parmi les vulnérables, comme ses cousins Origanum libanoticum et O. dictamnus. Doit-on imputer cette singularité à son caractère ? Le premier terme qu’utilise Maison Néroli sur son site pour qualifier l’origan, c’est le mot mitraillette ! C’est vrai que son odeur agressive le rend difficile d’approche… et « il ne prend pas de gants pour faire connaître sa façon de penser »1. C’est cela donc qui le tiendrait en dehors de toute convoitise ? Hum, non, pas vraiment, puisqu’en l’état de plante fraîche (ou sèche), l’origan ne transmet pas du tout ce type de désagrément (sauf à doses inconsidérées) qui s’applique, prioritairement, à l’huile essentielle qu’on en tire. Bien que cet origan ne soit absolument pas menacé dans la nature, il importe d’attirer l’attention spécifiquement sur son huile essentielle, dont le très faible rendement se situe aux alentours de 0,60 %, c’est-à-dire que pour n’en obtenir qu’un petit flacon de 10 ml, il faut distiller pas loin de 20 kg de cette plante. Or, comme l’origan pousse à profusion, on aurait tendance à en récolter plus que de mesure, menaçant, de fait, un filon prolifique. Mais, plus que cela, il ressort que l’adéquation des dosages représente un moyen efficace d’utiliser moins d’huiles essentielles, de même que prendre en compte les affections auxquelles on les destine. Est-il nécessairement besoin d’invoquer un dragon à grande langue pour lécher un timbre-poste ? « Avons-nous besoin d’un bazooka pour tirer sur une mouche ? »2. Certainement que non. Pourtant… quand on observe des posologies assez ahurissantes il est permis d’en douter. Il faut savoir qu’une seule goutte d’huile essentielle d’origan vulgaire représente l’équivalent de 50 g d’origan frais, soit bien plus que ce qu’on peut et doit consommer dans une journée pour s’en faire une infusion. Fournier indiquait 10 à 20 g par litre d’eau. Aussi, pour avaler, sous forme d’infusion, en une journée, l’équivalent d’une seule goutte d’huile essentielle d’origan vulgaire, ce ne sont pas moins que 2,5 à 5 litres d’infusion qu’il faudrait préparer et ingurgiter dans le courant du jour, ce qui est proprement délirant ! Alors, convertissez maintenant des dosages comme deux gouttes trois fois pas jour !… En plus de ce point qui concerne le dosage, se pose donc aussi toute la question des raisons qui amènent à le mettre en place. Rappelez-vous du dragon tenant un bazooka ^.^ Bien que cette huile essentielle fût évoquée dans les œuvres de Nicolas Lémery, Jean-Baptiste Chomel, Louis Desbois de Rochefort et d’autres auteurs encore, il apparaît que durant les XVIIIe et XIXe siècles, cette huile essentielle n’était quasiment jamais plébiscitée (pas davantage que les autres, au reste). Bien après, puisque Fournier écrit cela dans son Dictionnaire paru en 1947, on se gardait bien de faire appel massivement à cette huile essentielle, produit « excito-stupéfiant qui, dans une première phase, produit de l’excitation accompagnée d’agitation et d’hyperesthésie sensitivo-sensorielle, puis, dans une deuxième phase, provoque la dépression avec anesthésie, engourdissement et somnolence »3. C’est donc ce bazooka que certaines personnes utilisent aujourd’hui pour dézinguer un banal rhume ? Il faudrait s’en abstenir car « médicalement, l’essence est toujours violente et demande à être dosée dans son emploi ; beaucoup d’essences sont dangereuses pour la santé, même quand elles proviennent de plantes inoffensives à l’état naturel [NdA : ce qui n’est pas le cas de l’origan vulgaire]. C’est pour cette raison que les remèdes les meilleurs ne sont pas les essences, car, en réalité, ce principe séparé de ses éléments concomitants est loin de posséder toutes les propriétés que l’on peut attribuer au végétal complet. La meilleure preuve, c’est que l’homme, qui a séparé ainsi ce principe volatil et pénétrant d’une plante quelconque, s’empresse souvent, dans la pratique pharmaceutique, à l’associer, soit à d’autres essences, soit à d’autres corps pour reformer ainsi un nouveau composé quelquefois plus complexe et moins harmonieux »4. Je parie que vous ne vous attendiez pas à une charge pareille dans un article dévolu à une huile essentielle, fut-elle d’origan vulgaire ! Mais j’en appelle à une aromathérapie responsable et mesurée, sachant que, à l’heure actuelle, on utilise beaucoup trop d’huiles essentielles et pas toujours pour des raisons qui le nécessitent. En prenant en compte de manière dépassionnée la réalité, il est bien difficile de donner tort à Botan, l’auteur des lignes ci-dessus citées. Effectivement, se pose la question de savoir pour quelle raison une plante comme l’origan ne séquestre qu’une toute petite fraction d’essence aromatique dans les tissus qui composent ses sommités fleuries, ses feuilles ou encore ses tiges. Réponse possible : si elle en fabriquait davantage, on observerait peut-être des phénomènes de phytotoxicité du même ordre que ceux qui surviennent lorsqu’une remédiation phytosanitaire tourne à l’aigre en utilisant des doses un peu trop appuyées. De plus, ce que la Nature a saupoudré de-ci de-là avec parcimonie, l’être humain s’enquiquine à l’extirper d’une plante entière. De ce totum, on ne prélève que quelques parcelles dont l’unique point commun est d’être aromatiques (parfois, on lit la bêtise qui consiste à dire que l’huile essentielle contient le totum de la plante alors qu’elle n’en est qu’un extrait, le génie complet de la plante ne se dissimulant pas à l’intérieur d’un seul flacon d’huile essentielle !). C’est pour toutes ces raisons que je fais de moins en moins appel aux huiles essentielles en général et que je leur préfère, et de loin, les extraits de plantes fraîches qui se soucient d’une plus grande représentativité biochimique. La dernière remarque de Botan, je la trouve pleine de bon sens, bien que, j’en suis assuré, elle fera grincer quelques dents : on retire de plusieurs plantes des extraits aromatiques que l’on isole pour mieux les réunir. Les mélanges concoctés par l’humain seraient-ils à même de surpasser ce que sait faire la Nature, grande initiatrice dont nous n’avons pas percé la plupart des messages, quelques-uns seulement ? Ainsi, savons-nous un peu que la quantité d’essence dans une plante, sa localisation dans son économie selon les saisons, les conditions qu’offre ou impose le climat, etc., font que d’un lieu à l’autre, la même plante botaniquement déterminée propose plusieurs profils aromatiques en réponse à des facteurs qui, pour la plupart, nous échappent complètement. Pourquoi, en tels lieux et telles circonstances un origan fabrique-t-il plus de β-caryophyllène, tandis que chez un autre, où cette molécule est quasiment absente, c’est le carvacrol (ou cymophénol) qui domine ? Savez-vous répondre à cette question ? Pas plus que moi, qui m’en pose une autre : la destination des essences dans les plantes a-t-elle un rapport avec celle des huiles essentielles chez l’homme ? Bref, passons à la suite pour en apprendre davantage et ne pas succomber à ce que disait Diderot : « L’ignorance et l’incuriosité sont des oreillers fort doux ».



Matthiole, De Materia medica (1564-1584).


L’origan vulgaire en aromathérapie

Comme bien des plantes, l’origan est soumis à des conditions qui influent sur la nature et la quantité d’essence aromatique que cette plante est capable de produire. On sait, par exemple, que l’altitude a une incidence sur cette quantité : selon qu’elle est basse, moyenne ou haute, la teneur en essence est différente et tend à chuter plus on grimpe. A cela s’ajoute le moment de la cueillette. On distingue généralement six phénophases : stade végétatif précoce, stade végétatif tardif, stade de floraison précoce, stade de pleine floraison, stade de floraison tardive et stade de rupture des graines. Si une seule de ces étapes intéresse le distillateur (le stade de pleine floraison), il faut savoir que chaque stade a un effet significatif sur la teneur en essence et sur sa composition : l’origan d’hier n’a donc pas de rapport avec l’origan de demain ! Par exemple, c’est dans l’origan cueilli en période optimale que l’on trouve le plus de phénols, tandis que la période végétative peut considérablement faire varier le rendement (par exemple, estimé à pas loin de 2 % dans un origan cueilli en plein stade végétatif tardif, il s’abaisse à 0,60 % au stade de la pleine floraison !). Même le mode de culture semble influer sur la composition générale d’une huile essentielle extraite pourtant d’origans similaires : il a été observé que selon la densité (nombre de pieds au m²), la composition générale des huiles essentielles évoluent en conséquence ! D’autres facteurs mettent en évidence des disparités en terme de composition biochimique : une étude menée sur des origans iraniens a montré que des plantes récoltées à la même période fabriquaient des huiles essentielles dissemblables selon que l’on ramassait les sommités fleuries (β-caryophyllène : 48 à 60 %), les feuilles (1-octen-3-ol : 24 %) ou les tiges (bicyclogermacrène : 10 % ; 1.8 cinéole : 6,50 % ; bornéol : 5 % ; pinocarvone : 4,50 %). Une autre étude portant sur des origans du nord de l’Inde (état d’Uttarakhand, jouxtant le Népal) prélevés dans des localités distantes de peu de kilomètres, a montré des profils bien différents : l’un à phénols (thymol : 30 à 35 % ; carvacrol : 12 à 21 %), l’autre à esters (acétate de bornyle : 12 à 17 %) et à sesquiterpènes (β-caryophyllène : 10 à 14 % ; germacrène D : 6 à 11 %). Il est bien évident que, dans un souci de « standardisation », l’huile essentielle d’origan vulgaire commercialisée en France se doit d’être issue d’une distillation à la vapeur d’eau des sommités fleuries récoltées à pleine floraison aux mois de juillet et d’août. Ainsi obtient-on un liquide limpide de saveur chaude, épicée, herbacée, très piquant à brûlant, de couleur jaune pâle à ambré (on observe une variation chromatique plus étendue chez compactum : du jaune clair, du jaune d’or, du rouge et du brun foncé), de densité élevée (0,945 contre 0,93 pour compactum) et à la composition biochimique que résume le tableau suivant (en guise de données comparatives, j’ai placé côte à côte le vulgare et le compactum) :

Prix moyen constaté (pour un flacon de 10 ml en bio) : 17 € (contre 14 € pour le compactum).



Cette goutte d’eau, qui joue le rôle de loupe naturelle, nous permet de discerner correctement les poches à essence qui tapissent le limbe de cette feuille d’origan vulgaire.


Propriétés thérapeutiques

En tant qu’arme lourde, l’huile essentielle d’origan vulgaire ne saurait être maniée par des mains trop inexpérimentées, voire folâtres. Dans l’idéal, il ne faudrait la réserver qu’au spécialiste.

  • Anti-infectieuse à large spectre d’action : – antibactérienne active sur germes Gram + et Gram – : Campylobacter jejuni, Helicobacter pylori, Salmonella enterica, S. tuphemurium, Escherichia coli, Listeria monocytogenes, L. innocua, Staphylococcus aureus, S. epidermis, Pseudomonas aeruginosa (le carvacrol provoque des lésions de la membrane cellulaire de cette bactérie), Enterococcus faecalis, Bacillus subtilis, Klebsellia pneumoniae, Proteus mirabilis, Micrococcus flavus, Enterobacter cloacae, etc. Si l’on aligne, face aux mêmes germes, les huiles essentielles et essences de citron, de lavande fine, de camomille matricaire, d’origan vulgaire, de menthe poivrée, de basilic tropical et de sauge officinale, devenez qui gagne ? ^.^ – mycobactéricideantivirale : HSV1, HSV2 – antifongique : Dermatophytes sp., Aspergillus niger, A. flavus, A. fumigatus, Penicillium digitatum, P. verrocosum, Trichophyton mentagrophytes, Saccharomyces cerevisiae, Candida albicans, C. glabrata, C. krusei, C. lusitaniae, C. dubliniensis, C. parapsilosisparasiticide : Tribolium castaneum (ver de farine) – larvicide sur les larves de moustiques vecteurs du paludisme, sur les parasites responsables de la filariose et de l’encéphalite japonaise – vermifuge : ascaride, ankylostome, oxyure, ténia
  • Immunomodulante (la principale molécule, le carvacrol, agit sur la modulation de la réponse immunitaire par l’intermédiaire de diverses actions intracellulaires)
  • Anti-oxydante (effet protecteur sur l’ADN), antiradicalaire
  • Apéritive, stomachique, antiseptique gastro-intestinale, carminative, augmente la sécrétion des sucs biliaires
  • Analgésique
  • Antispasmodique
  • Tonique générale, neurotonique, stimulante physique, mentale, intellectuelle et sexuelle, sédative du système nerveux central, énergisante, réchauffante
  • Emménagogue, freine l’hyperfolliculinie
  • Expectorante
  • Diaphorétique
  • Chimio-préventive, antiproliférante, cytotoxique (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : infections bactériennes des voies respiratoires, bronchite, bronchite chronique, asthme, angine, toux, toux irritative, trachéite, laryngite, pharyngite, coqueluche, rhume, grippe
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, amibiase, gastro-entérite, entérocolite, candidose intestinale, colite, fièvre typhoïde, inappétence, digestion lente, dyspepsie, aérophagie, syndrome de l’intestin irritable, intoxication alimentaire7
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infections bactériennes des voies urinaires, cystite, prostatite, néphrite
  • Troubles locomoteurs : affections rhumatismales aiguës et chroniques, rhumatisme musculaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : absence ou retard des règles, aménorrhée
  • Affections cutanées : dermatoses infectieuses et parasitaires (gale, teigne, acné, mycose), abcès
  • Asthénie profonde, faiblesse immunitaire, fatigue et épuisement nerveux, convalescence
  • Maladie de Lyme (?), paludisme (in vitro, seulement : des cas de neuropaludisme mortels ont été décrits sous origan !)
  • Maladie d’Alzheimer (le carvacrol inhibe l’acétylcholinestérase ; plus largement, l’on connaît l’implication de l’acétylcholine dans les fonctions de la mémoire et de l’apprentissage)
  • Cancer : l’huile essentielle d’origan vulgaire permet l’inhibition de la croissance des cellules dans l’adénocarcinome du côlon (cette activité est un peu moins efficace auprès de l’adénocarcinome du sein)

Modes d’emploi

  • Voie cutanée diluée à hauteur de 1 à 5 %. Les préconisations tournent plus souvent autour du premier chiffre que du second.
  • Voie orale : délicate. Usage mesuré et raisonné nécessaire. Autant dire qu’on oubliera les « deux gouttes trois fois par jour » pour les motifs exposés plus haut. Même à raison de 100 à 150 mg par jour pour un adulte, on multiplie les doses souhaitables par deux ou trois. En tout état de cause, un traitement interne ne durera pas plus d’une semaine8.
  • En bain : jamais, même diluée.
  • En diffusion atmosphérique : déconseillée, ou seulement à très petites doses, durant un laps de temps très bref, en synergie avec d’autres huiles essentielles et essences moins agressives. Jamais en présence d’animaux, de jeunes enfants, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Dangerosité des phénols : dans cet article nous avons rencontré le carvacrol surtout et le thymol dans une moindre mesure. Toutes les huiles essentielles qui en contiennent un pourcentage significatif doivent être utilisées de manière rigoureuse, que ce soit par voie orale ou cutanée. A doses élevées et trop souvent répétées sur une période prolongée, ces huiles essentielles sont susceptibles de provoquer des dommages hépatiques : on les dit hépatotoxiques. On les écartera donc en cas de maladies chroniques du foie comme l’hépatite. Comme, de plus, elles présentent un caractère irritant et caustique, il faut se garder d’un usage interne en cas d’ulcère ou de gastrite. Attaquant la peau et les muqueuses lorsqu’elles sont utilisées pures ou improprement diluées, les huiles phénolées ne doivent pas être appliquées sur les peaux hypersensibles, allergiques, malades ou endommagées. Dans quelles autres circonstances faut-il éviter d’employer l’huile essentielle d’origan vulgaire ? Durant la grossesse (parce qu’elle est embryotoxique) et l’allaitement, chez l’enfant, en cas d’antécédents convulsifs, en cas de traitement anticoagulant, de maladies auto-immunes avérées (sclérose en plaques), etc.
  • Impliquée dans les soins vétérinaires, l’huile essentielle d’origan vulgaire a également démontré ses pouvoirs dans d’autres domaines : en tant qu’herbicide (elle est capable d’inhiber la germination de plusieurs espèces de graines : moutarde, radis, cresson alénois, alpiste des Canaries, etc.), ainsi que plusieurs champignons ascomycètes affectant les fruits tels que l’abricot, la prune et la nectarine (Monilinia laxa, M. fruticola, M. fructigena, etc.). Encore faut-il bien doser cet origan antifongique : par exemple, une solution à 1 % d’huile essentielle d’origan vulgaire s’avère toxique pour les nectarines. Quand on élève le taux d’huile essentielle dans cette solution à 10 %, l’efficacité est meilleure contre les champignons, mais devient phytotoxique pour les trois fruits…
  • Autres espèces : le dictame de Crète (O. dictamnus), l’origan grec (O. creticum), l’origan de Syrie (O. syriacum), l’onite (O. onites), l’origan de Tournefort (O. tournefortii), etc.
  • Terminons-en avec cette variété, le kaliteri, dont voici quelques données chiffrées permettant de présenter son profil biochimique : monoterpénols (40 %) dont : trans-4-thujanol (19,25 %), terpinène-4-ol (12,10 %), cis-4-thujanol (5,65 %) ; monoterpènes (40 %) dont : γ-terpinène (11,30 %), paracymène (8 %), α-terpinène (6 %), sabinène (5 %), terpinolène (3 %) ; phénols (10 %) dont : carvacrol (8 %). On lui attribue les propriétés thérapeutiques suivantes : anti-infectieux à large spectre d’action (antibactérien, antiviral, antifongique, antiparasitaire), décongestionnant des voies respiratoires, expectorant, anti-inflammatoire, équilibrant de la flore intestinale. Voici en quels cas répertoriés il est possible de l’utiliser : troubles de la sphère respiratoire (angine, bronchite, grippe, fièvre), troubles de la sphère gastro-intestinale (diarrhée, gastro-entérite, mycose intestinale), infections urinaires, maladies infectieuses (borréliose ? maladie de Lyme ?), convalescence, etc. Bon. Est-ce que ça vaut bien la peine d’aller dévaster les montagnes boliviennes pour si peu ? On me rétorquera que le formidable taux de thujanol de cette huile essentielle en justifie davantage l’emploi que celle d’origan vulgaire qui, rappelons-le, est hépatotoxique, tout au contraire du kaliteri dont on loue les qualités hépatoprotectrices. Il posséderait les avantages du vulgare sans ses inconvénients. Dites, une essence pas chère et qu’on trouve partout, est dotée de la même propriété de protection du foie : celle de citron. Donc, bye-bye kaliteri, parce que vanter une huile essentielle pareille, à ce stade-là, ça n’est plus de l’aromathérapie, c’est tout bonnement du commerce.

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  1. Bernard Vial, Affectif et plantes d’Amazonie, p. 90.
  2. Aline Mercan, Manuel de phytothérapie écoresponsable, p. 88.
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 702.
  4. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles, pp. 211-212.
  5. Étymologiquement, ce mot possède un rapport avec l’idée de brillance (quelque chose de blanc qui luit au soleil, par exemple), mais aussi celle de chaleur (du latin foueo, « chauffer »).
  6. Le carvacrol, isomère du thymol, tire son nom de celui du carvi, peut-être en souvenir du fait que le karwita était du nombre des quatre semences chaudes.
  7. Outre qu’il lutte contre le staphylocoque doré, l’origan est aussi capable d’inhiber la formation des entérotoxines staphylococciques que ces bactéries produisent, ce qui permet de réduire le phénomène d’intoxination qui, autrement, se solderait par les traits habituels de l’intoxication alimentaire (nausées suivies de vomissement, douleurs abdominales, diarrhée, vertige, frissons, faiblesse générale parfois accompagnée d’une légère fièvre). Comme beaucoup d’autres toxines produites par des micro-organismes (mycotoxines, etc.), les entérotoxines sont thermostables, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas détruites par la chaleur d’une cuisson. Cela signifie qu’il faut prêter attention au préalable : se laver les mains avant de manger, respecter la chaîne du froid, ne pas attendre trop longtemps avant de ranger un plat cuit et refroidi au réfrigérateur, etc. On se rappellera de l’emploi de la sarriette, autre plante à phénols, pour « corriger » les gibiers faisandés…
  8. Tout simplement parce que du premier au sixième jour d’utilisation, elle se montre immunostimulante, mais devient immunodéprimante dès le jour suivant. On observe deux phases similaires quand l’origan est accidentellement absorbé à hautes doses : 2 g per os en une seule dose occasionnent une cuisson de l’estomac, des nausées, etc. Au delà : diarrhée, surdité et bourdonnements d’oreilles, ralentissement de la respiration, accélération puis ralentissement du pouls, enfin refroidissement général.

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L’angélique des jardins (Angelica archangelica)

Voici une présentation rénovée de cette grande dame autrefois fort prisée, mais en perte de vitesse dans le milieu de la thérapeutique par les plantes médicinales, ce qui est fort dommage vu ce que l’on sait assurément à son sujet. Plutôt que de partir à la conquête du monde végétal à la recherche d’un hypothétique Graal (qui n’existe pas ^.^), mieux vaut déjà regarder ce qu’on a dans les placards !

Bonne lecture (prenez le temps, c’est un gros article) et beau week-end à toutes et tous :)

Gilles



Synonymes : angélique officinale, angélique vraie, angélique cultivée, archangélique, herbe des anges, herbe aux fées, racine du saint Esprit, angélique de Bohème, racine de longue vie, ginseng d’Europe, angélique des confiseurs.

Une chose curieuse demeure à l’endroit de l’angélique officinale : quand elle fit irruption, on ne sait plus trop quand ni comment, elle ne concurrença d’aucune manière l’angélique sylvestre autochtone dont les textes plus anciens ne parlent pas. C’est-à-dire que l’on ne s’est soucié des angéliques quand et seulement quand celle qu’on surnomme archangélique a débarqué sur le sol d’Europe centrale. (Comme si l’on réservait un meilleur accueil à la berce du Caucase plus qu’à notre berce indigène, la commune grande berce.) Faut-il la survenue d’un archange pour prendre conscience de l’armée angélique déjà présente ? Des fois, on se le demande… Une chose est certaine : avant même qu’elle ne fasse une apparition remarquée et durable plus au sud de son aire d’origine (que nous rappelons : Scandinavie, Groenland, Russie), l’angélique dite des jardins était cultivée en grand en Europe du Nord au moins depuis le XIIe siècle, des documents de l’époque en attestent (il ne faut donc pas se casser la tête à chercher dans les vieux textes grecs – Dioscoride et consorts – la moindre trace de cette angélique qui n’existe pas dans ces localités méridionales et qui, de toute façon, n’y survivrait pas). Bien que le climat de l’Europe du Nord lui soit plus adapté, la culture de cette angélique septentrionale se développa d’abord au sein des monastères d’Europe centrale dès le XIVe siècle, puis à une plus large partie de l’Europe occidentale au XVIe siècle (par exemple, on la voit cultivée au monastère isérois de la Grande Chartreuse, près de Grenoble). Cette habitude à la culture explique que cette angélique, par chez nous, s’est toujours cantonnée au jardin et qu’elle ne s’est donc jamais implantée dans la nature pour y devenir spontanée comme a pu le faire efficacement la berce géante du Caucase après elle.

On lit partout (enfin, dès qu’il s’agit de l’histoire médicale de l’angélique), que le passé de cette plante serait étroitement lié à la personne de Paracelse, qui en aurait vanté les bons effets face à une épidémie de peste s’étant abattue sur la ville de Milan en 1510. C’est peut-être vrai. Mais il semblerait que les chroniques aient omis de retenir cet épisode épidémique lombard des premières heures de la Renaissance. Néanmoins, c’était suffisant pour faire acquérir à l’angélique le statut de plante protectrice, car elle « n’a pas été placée sans raison sous le parrainage des anges »1. Cela, c’est aisément lisible dans ses noms latin et français, ou bien dans nombre de ses surnoms. Qu’elle soit herbe aux anges ou Spiritus sancti radix (= racine du saint Esprit), elle touche au Ciel. Aussi lui accorda-t-on comme nom principal angelica (= « ange gardien »), doublé de l’adjectif archangelica qu’on dit faire expressément référence à l’un des sept archanges de la tradition biblique qui aurait révélé en songe l’usage de la plante contre la peste bubonique à un ermite. Tout comme l’unité « Paracelse+Milan+peste+1510 », il est presque toujours question de l’archange Raphaël quand on aborde cette légende, parfois de Gabriel, mais absolument jamais de l’archange saint Michel, ce qui aurait été beaucoup plus judicieux si l’on se souvient que c’est lui qui « terrasse » le dragon… Du moins, qui en maîtrise les forces. Effectivement, cette entité sauroctone, champion du bien, soumet, plus qu’elle ne détruit, la vouivre habilement métamorphosée en dragon démoniaque par le christianisme. Apprécions l’aisance, la vitesse et la puissance avec lesquelles on a dessiné un pedigree à cette plante venue d’ailleurs : c’est quand même balaise pour une primo-arrivante ! Afin de la légitimer, peut-être a-t-il fallu mettre les bouchées doubles, quitte à en faire un peu trop, comme on aura l’occasion de le constater un peu plus loin. Toujours est-il qu’il y a environ quatre siècles, en 1600 pour être précis, on établissait ainsi le portrait de cette super angélique venue du Nord : « Angélique, tel nom a été donné à cette plante, à cause des vertus qu’elle a contre les venins […]. Cette herbe contrarie à toutes les infections : est très utile en temps de pestes, tenant en la bouche de sa racine ; [elle] guérit les morsures des serpents et chiens enragés ; fait cracher les humeurs superflues, nettoyant l’estomac. L’eau qui en est distillée sert aux choses susdites, et à tenir la personne joyeusement. Ses feuilles appliquées au front chassent le mal de tête ». Ça n’est ni un médecin qui parle, encore moins un charlatan un peu mage sur les bords, mais un « simple » agronome : on doit ce portrait à Olivier de Serres (1539-1619) dont le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs connaîtra vingt-et-une éditions entre 1600 et 1807, donnant largement l’occasion de marteler la réputation faite à l’angélique au fil du temps. S’il s’était agi que du seul Olivier de Serres, peut-être bien que l’emballement enthousiaste en serait venu à s’émousser, mais même pas ! Les médecins – Renaissance et époque moderne – s’emparèrent bien évidemment d’elle ! Pourquoi laisser passer celle qu’on qualifie de panacée ? Peut-on raisonnablement se détourer d’une plante dont on prétend qu’elle détient des pouvoirs quasi divins ? C’est pourquoi l’on trouve de l’angélique dans bien des préparations médicinales que l’histoire a retenues pour certaines d’entre elles, d’autres pas. Florilège : le vin diurétique amer de l’hôpital de la Charité, l’emplâtre diabotanum, l’élixir du Suédois, l’eau générale, l’eau vulnéraire (ou d’arquebusade), le baume du Commandeur, le baume d’angélique de Brandes et Bucholz, etc. Je pense que l’on peut en remplir des pages entières. Elle est encore présente dans de nombreux élixirs dont certains sont qualifiés de « longue vie ». Il est vrai que, à l’instar de sa robuste racine qui maintient une tige solide, l’angélique est une plante tout en force dont le surnom de « racine de longue vie » lui a été octroyé en raison du cas du Niçois Annibal Camoux mort en 1759 à l’âge de 121 ans et 3 mois. Cette exceptionnelle longévité tiendrait au fait qu’il avait l’habitude de mastiquer régulièrement de la racine d’angélique. Que cela sente le mythe ou s’approche de la vérité, on comprend que, sans avoir besoin d’en faire un remède miracle, l’angélique est loin d’être une herbe anodine parfaitement inerte dans le domaine médical. Une autre de ses spécificités pourrait se solder par l’énumération, une fois de plus, d’une longue liste de compositions magistrales. En voici compilées quelques-unes : l’orviétan, la thériaque, l’eau thériacale, la confection thériacale d’Adrian von Mynsicht, l’antidote et l’élixir de vie de Matthiole, l’eau céleste et prophylactique de Franciscus de le Boë, l’élixir anti-pestilentiel d’Oswald Crollius, l’eau cordiale de Gilbert, l’opiat cordial de la pharmacopée de Lyon, l’élixir de vie de Joseph du Chesne, l’eau épidémique, le lait alexitère distillé, etc. Toutes ces préparations devaient faire savoir les vertus surnaturelles, fastueuses, bienfaisantes, supra-puissantes, miraculeuses, précieuses, merveilleuses, extraordinaires, en un mot, angéliques, de cette plante iconique. C’est-à-dire que, tout à fait héroïques, ces médicaments étaient présentés comme devant sauver l’homme du péril dans la plupart des circonstances : peste et autres épidémies, morsures envenimées ou rabiques, gangrène, poisons divers et variés, etc. Précisons qu’en ces temps anciens, c’étaient de véritables phobies qui trouvaient leur raison d’être à travers les morts nombreuses qu’elles occasionnaient. On peut donc saisir que l’angélique porte les noms d’herbe du saint Esprit, d’herbe aux anges, etc., vu ses éminentes qualités (à moins que ces valeureuses appellations aient donné des idées à plus d’un, afin d’exploiter la croyance aux dépens de la réalité thérapeutique…). Comment, encore, ne pas comprendre que cette plante soit allée draguer du côté de la magie et qu’on en ait fait une arme anti-maléficieuse ? Ainsi la vit-on tenir une fonction de protection non seulement face aux causes médicales, mais également à toutes celles ayant un rapport à la magie de malédiction. Elle devint donc, en plus de son statut de plante angélique, une plante talismanique dont on jonchait, en guise de purification et de préservatif, le sol des églises et des riches demeures, en compagnie de rue, de menthe et d’hysope. La feuille d’angélique, réputée pour contrer la sorcellerie et les enchantements, était portée autour du cou afin de procurer la chance, tandis que la graine de la plante annihilait les influences néfastes ainsi que les pouvoirs de la fascination. Après bien des utilisations plus médico-magiques qu’autre chose, l’angélique abandonna le versant magique pour se consacrer davantage au seul aspect médical. On vit poindre ce changement à partir de la fin du XVIIe siècle, avec Nicolas Lémery et s’étendre jusqu’à Desbois de Rochefort, un siècle plus tard. Que dit-on d’elle durant ce temps ? Ceci : « Elle est cordiale, stomachique, céphalique, apéritive, sudorifique, vulnéraire », expliquait Lémery, à quoi Morelot ajoutait : stimulante, carminative et sialagogue. L’on vit, en l’espace d’un siècle, l’angélique revenir à des prérogatives « plus réalistes » que tout ce qu’on avait pu lui conférer jusque-là. Pourtant, bien que Chomel insistât sur les qualités stomachique de l’angélique (indigestion, colique venteuse, flatulences, faiblesse et aigreur d’estomac), transparaissent encore dans ses dires, ainsi que dans ceux de Lémery, des attributions qui concernent davantage des pouvoirs « magiques » alors peu différenciés des propriétés thérapeutiques au sens où l’entend la médecine. Ainsi Lémery disait-il de l’angélique que « l’on en mange pour se préserver du mauvais air. […] elle résiste au venin ; on l’emploie pour la peste, pour les fièvres malignes, pour la morsure des chiens enragés »2. Enfin, à la lecture de Desbois de Rochefort (1786), on ne trouve plus trace des références archangéliques de l’angélique : « Ce médicament est un des meilleurs qu’on puisse employer quand il faut donner du tonus à l’estomac, et il ne le cède pas aux racines toniques exotiques »3. Il précisait aussi que l’infusion vineuse était préférable à celle que l’on prépare à l’eau. Pour l’obtenir, on faisait macérer 15 g de racine d’angélique dans un demi litre de vin rouge pendant 36 à 48 heures.



Durant tout ce siècle, l’angélique thérapeutique fut abondamment concurrencée par la même plante dont s’empara la confiserie. Parce que, oui, à l’instar de nombreux autres végétaux curatifs, l’angélique se mange. C’est aux environs de Niort que les sœurs du couvent de la Visitation de Sainte-Marie eurent pour la première fois l’idée de confire les tiges (les pétioles, en fait) d’angélique (auparavant, seules les racines et les feuilles étaient confites, sans que cela n’atteigne néanmoins la dimension de l’entreprise initiée par les religieuses niortaises). Au XIXe siècle, on moulait des tiges d’angélique confite aux formes des animaux et des fleurs emblématiques du marais poitevin. Puis vinrent liqueurs, gelées et autres confitures (regardez un peu sur ce site : l’angélique suscite bel et bien l’inspiration ! ^.^). Victime de son succès, l’angélique confite de Niort est parfois concurrencée par de fausses angéliques bien moins onéreuses à produire, obtenues en confisant du céleri, de la pastèque à chair blanche ou encore des navets. Du sucre, un chouïa de colorant et le tour est joué ! La belle carrière opérée par l’angélique au sein de l’industrie de la confiserie fit dire à Fournier qu’« il est regrettable qu’elle ne soit plus guère usitée que des confiseurs »4. Comment aurait-il pu en être autrement, sachant qu’un siècle avant Fournier, il en était déjà ainsi ? Roques reprochait à la pharmacie de son temps d’avoir abandonné l’angélique, que le médecin devait aller se procurer chez « les confiseurs qui préparent, avec les jeunes tiges d’angélique, un condiment délicieux, et qui, mangé lorsqu’il est récent, peut remplacer dans beaucoup de cas tous les autres modes d’administration de cette plante »5. C’est peut-être une opinion un peu excessive de la part de Cazin, puisque les bâtons d’angélique « ne sont pas les plus aptes à nous faire profiter pleinement des vertus de la plante, les bains de sucre successifs dénaturant quelque peu ses qualités diététiques » et médicinales6. L’angélique confite médicale est d’autant moins pertinente que les préparations sucrées – sirops et pastilles – ne sont pas les meilleures alliées pharmaceutiques pour ce qui est de lutter contre les infections, par exemple. Qu’un médecin ait dû aller se fournir en angélique chez le confiseur en dit tout de même long sur l’état dans lequel on relégua cette pauvre vieille fée oubliée et négligée. Hélas, « tous ces noms émanés du Ciel, n’ont pu sauver l’angélique de l’indifférence des médecins »7. Comment se fait-il qu’une plante pareille, vantée – rappelez-vous ! – contre la peste et dont on a fait l’antidote de la belladone, de la ciguë et du colchique, ait pu tomber si bas dans l’échelle des valeurs thérapeutiques ? En 1810, Bodart écrivait une phrase qui disait toute la réalité de l’angélique d’alors : « Si cette plante avait le mérite d’être étrangère, elle serait aussi précieuse pour nous que le ginseng l’est chez les Chinois ; elle se vendrait au poids de l’or »8. La comparaison avec le ginseng, autre racine de longue vie, est intéressante et fort pertinente, puisqu’en réalité l’angélique ne le cède en rien à certaines substances non indigènes, dont le ginseng, étant tonique et très énergique, valable dans la plupart des maladies et affections mettant en cause une faiblesse constitutionnelle ou adynamique (digestion pénible, flatulences, ranimer les forces de l’estomac, convalescence, épuisement des forces, maladies de langueur…). Le ginseng possède un nom latin (Panax ginseng) qui contient en lui-même la haute idée que l’on se fait de lui : une panacée. Autrement dit, une substance propre à guérir tous les maux. Est-ce le caractère exagérément prétentieux avec lequel on a alloué mille vertus à l’angélique qui a fait que, aujourd’hui, elle a sombré dans un relatif anonymat ? Ça n’est pas impossible. D’autres plantes ont subi un sort assez identique, la sauge par exemple, bien que dans une moindre mesure. Cette mésestime semble être le corollaire d’une extranéité magico-thérapeutique abusive. Ayant été naturalisée, l’angélique a quelque peu perdu de son lustre d’antan. Tout comme les palmiers de la Côte d’Azur qui n’étonnent plus personne ou presque, elle ne présente plus rien d’exotique contrairement au ginseng qui, lui, se vend toujours à prix d’or, puisqu’il vous en coûtera 10 000 € pour acquérir une racine âgée de 25 à 35 ans. Pourtant, tout est à portée de main, où qu’on soit. Mère Nature a si bien pensé et fait le Monde, qu’elle a placé ici et là différentes plantes aux pouvoirs identiques. Pourquoi s’émoustiller devant des baies de goji alors que nous disposons de ce brave cynorhodon que nous offre notre bon vieil églantier rustique ? Inutile d’aller envahir de lointains pays à la recherche d’un précieux Graal végétal. Quel besoin y a-t-il d’essorer ainsi la planète, malheureuse habitude qui n’empêche pas, bien au contraire, la biopiraterie de sévir encore, plus particulièrement en Afrique et en Asie ? Pourquoi donc ne pas réhabiliter l’angélique ? En ce siècle de désenchantement et de de-spiritualisation du monde, il serait pertinent et salutaire de se tourner, de nouveau, en direction de l’angélique solaire et victorieuse. Mais aujourd’hui, l’angélique est quasi muette. Ce qui ne manque pas de sel, quand l’on sait ce qu’en firent les Amérindiens : une décoction de tiges d’angélique leur servait de gargarisme afin de permettre aux chanteurs et aux orateurs de tenir leur voix durant les cérémonies et autres célébrations… Ce n’est pas sans quelque mélancolie que… D’ailleurs l’angélique est assez souvent désignée comme l’emblème de ce sentiment. Parce qu’elle la leur inspirait, les anciens poètes se couronnaient de feuilles d’angélique (plus probablement de feuilles d’ache). Écoutons l’un d’eux : « Qu’elle est douce la mélancolie à laquelle on s’abandonne au déclin d’un beau jour ! Les coteaux qui m’entourent réfléchissent la pourpre du couchant ; les fleurs de la prairie, négligemment penchées, confient leurs parfums aux brises du soir qu’ils répandent dans toute la vallée. Que de belles plantes sauvages au bord de ce ruisseau ! C’est l’angélique sauvage, déployant sur sa haute et vigoureuse tige une vaste ombelle ornée de fleurs d’un blanc mêlé de rose. Comme cette nuance délicate contraste harmonieusement avec la douce verdure des feuilles et des rameaux ! »9.

Une volumineuse racine, parfois forte comme le bras, secondée de racines périphériques moins massives, dessinent un ensemble d’aspect ridé, de couleur brun gris extérieurement, laissant découvrir une chair blanchâtre gorgée d’un suc laiteux jaunâtre quand on vient à la rompre. C’est de cette masse souterraine fusiforme qu’émerge une tige verte effilochée de traînées rougeâtres qui, bien qu’épaisse, est intérieurement creuse. Intégralement glabre, l’angélique des jardins, plante très ramifiée, porte, sur près de deux mètres de hauteur (parfois davantage), trois rangées de feuilles composées, largement découpées et dentées en scie. Leurs pétioles sont cylindriquement sectionnés, et non en forme de gouttière comme on peut l’observer chez l’angélique sauvage. Très amples, puisqu’elles peuvent atteindre un mètre de longueur, les feuilles de l’angélique sont deux à trois fois ailées de folioles ovales, vert clair sur le dessous. Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’angélique n’est pas une plante vivace à vie brève : elle est monocarpique, c’est-à-dire qu’elle ne fleurit qu’une seule fois dans sa vie, quelle que soit la durée de son cycle végétatif qui peut s’étaler de deux à quatre ans. Lors de sa dernière année, elle donne de larges ombelles presque globuleuses de 15 à 20 cm de diamètre, composées de 20 à 40 rayons portant de petites fleurs verdâtres, jaunâtres ou légèrement rosées (mais jamais intégralement blanches), puis des fruits, diakènes bordés d’une aile membraneuse et marqués de cinq côtés latérales.

Plante peu exigeante, l’angélique est une géante qui aime l’humidité et la fraîcheur, sans avoir à endurer un excès de chaleur, bien qu’elle éprouve une grande attraction pour le soleil, surtout lorsqu’elle est située sur les sols riches en humus et bien drainés des différents pays d’Europe où son caractère non spontané oblige donc à la cultiver : en France, elle se localise surtout à l’Île-de-France, en Auvergne, ainsi que dans les régions de Niort et de Nantes. Ailleurs en Europe, elle est (a été) cultivée, parfois en grand, dans les pays suivants : Norvège, Suède, Écosse, Angleterre, Hollande, Belgique, Allemagne, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, etc.

L’angélique apprécie à ses côtés la présence de l’ortie qui aurait une influence significative sur sa production d’essence aromatique.



L’angélique en phyto-aromathérapie

Nous avons un peu insisté sur ce point dans la première partie : à l’exclusion des racines et des semences, aucune autre fraction végétale fournie par l’angélique ne joue de rôle officinal. Commençons tout d’abord par la racine, prioritairement employée. D’odeur aromatique pénétrante, on y distingue souvent un relent musqué animal plus ou moins marqué. Quand on la goûte à l’état frais, elle propose une saveur premièrement douce, qui ne tarde pas à s’échauffer pour devenir plus âcre et piquante, amère même, tout en provoquant une abondante salivation. Contenant une grosse part d’amidon accompagné de sucres (saccharose surtout), la racine d’angélique laisse exsuder, quand on l’incise au collet comme on le fait du galbanum et de la férule, un suc gommo-résineux qui se fige finalement à l’air libre : il reflète, en partie, les composants résineux et aromatiques de la plante qui recèle bien des substances intéressantes : de l’acide angélique (dont la structure est proche de celle de l’acide valérianique), des acides organiques (acétique, pectique, malique), des acides phénoliques (caféique, chlorogénique), des acides gras, du tanin, des flavonoïdes et des phytostérols. Enfin, une essence aromatique dont les taux de rendement en huile essentielle rendent compte du caractère particulièrement chiche : déjà très faible dans les feuilles (environ 0,10 %), cette fraction aromatique grimpe un peu plus haut quand il s’agit des racines n’ayant jamais fructifié (0,30 à 1,30 %), s’établissant à un niveau plus élevé en ce qui concerne les semences (0,60 à 1,80 %). Malgré cela, l’huile essentielle de semences d’angélique est beaucoup plus rare que celle extraite des racines, au pris de revient plus élevé pourtant (tarifs moyens en bio, flacons de 5 ml : huile essentielle de racines d’angélique à 46,80 € contre 31,50 € pour l’huile essentielle de semences). Les données concernant l’huile essentielle de semences sont si faméliques et disparates que je n’ai pas été en mesure d’en dresser un portrait biochimique qui soit fidèle et complet (contrairement à l’autre). Au moins puis-je affirmer que ce liquide incolore, qui peut jaunir à force de lumière, paraît majoritairement composé de monoterpènes (α et β-pinène, α et β-phellandrène, etc.) et des très classiques furocoumarines typiques des apiacées. Quant à l’huile essentielle de racine, c’est un liquide mobile, jaune pâle à brun parfois, de densité comprise entre 0,85 et 0,875. Plusieurs adjectifs servent à en qualifier l’identité olfactive : chaude, épicée, poivrée, boisée, herbacée, tourbeuse, terreuse, sèche, cuirée, musquée, etc. Histoire de se donner une idée de la chose, qui me semble très variable, de même que sa composition biochimique, en fonction de sa provenance. Quelques chiffres et j’aborderai ultérieurement ce point :

  • Monoterpènes : 94 %. Dont α-pinène (25 %), δ-3-carène (15 %), β-phellandrène (10 %), α-phellandrène (9 %), limonène (7 %), etc.
  • Sesquiterpènes : 1 à 4 %. Dont β-caryophyllène (1 à 3 %)
  • Esters : 0,50 %
  • Coumarines : traces
  • Furocoumarines : 2 %. Dont angélicine, archangélicine, bergaptène, iso-impératorine, xanthotoxine (et plus d’une dizaine d’autres)

Ceci est un profil typique d’huile essentielle de racines d’angélique provenant de la partie centrale de l’Europe (France, Hongrie, etc.). Elle se remarque par un très fort taux de monoterpènes. Même si on lui trouve des coumarines et des furocoumarines en masse (2 %, c’est tout bonnement énorme !), elle se singularise par une quasi absence d’une classe moléculaire parfois répertoriée par la lecture spécialisée : les lactones macrocycliques. Comme ce sont eux qui confèrent à l’huile essentielle de racine d’angélique son amertume et son odeur musquée, on peut savoir si l’huile essentielle en contient ou pas selon son parfum et son goût. Il est parfois précisé que ces lactones (15-pentadécanolide, 1-3-tridécanolide, ambrettolide, etc.) représentent 7 à 20 % de la composition globale et semblent plus abondantes dans les huiles originaires des pays nordiques, ce qui s’explique par bien des facteurs dont ceux de nature géographique et climatique. On y trouve aussi, quoi que de manière fort inconstante, un taux non négligeable d’oxydes (1.8 cinéole : 15 %).

Propriétés thérapeutiques

Note : si l’on ne doit pas confondre l’angélique avec n’importe quelle berce (la grande, la caucasienne, etc.), il est bon de prendre en compte la réalité suivante : il existe donc une angélique domestique (Angelica archangelica) et une angélique sauvage particulièrement courante dans la nature en France, l’angélique des bois (Angelica sylvestris). On observe entre elles quelques différences morphologiques. Par exemple, l’angélique sauvage est plus petite et développe un parfum moins prononcé que sa sœur domestique. Concernant leurs vertus médicinales, elles sont similaires quoi que plus appuyées chez Angelica archangelica. Ce qui veut qu’en l’absence de toute source vous permettant de vous procurer de l’angélique des jardins, vous pourrez toujours jeter votre dévolu sur l’angélique sauvage.

En phytothérapie :

  • Apéritive, digestive, carminative, stomachique, fortifiante des vaisseaux intestinaux
  • Hépatoprotectrice
  • Tonique, stimulante, reconstituante et fortifiante générale (sujets nerveux, personnes âgées, affaiblies, convalescentes), cortison like
  • Sédative nerveuse puissante, antispasmodique, hypnotique légère, calmante sympathique et parasympathique du système nerveux autonome
  • Expectorante, béchique, fortifiante de la muqueuse pulmonaire et des vaisseaux bronchiques, ouvre la perspiration périphérique
  • Tonique circulatoire (micro-circulation sanguine), bénéfique aux systèmes lymphatique et vasculaire
  • Diurétique, sudorifique, dépurative
  • Emménagogue
  • Anti-rhumatismale
  • Céphalique, antinévralgique, anti-inflammatoire
  • Antibactérienne, préventive des maladies contagieuses
  • Cicatrisante, résolutive (feuille)
  • Fortifier la repousse des cheveux, en prévenir la chute

En aromathérapie :

  • Anti-infectieuse : antifongique, antibactérienne ; immunostimulante
  • Tonique, excitante (à dose idoine), lutte contre l’épuisement des forces physiques, reconstituante et équilibrante générale
  • Tonique circulatoire, augmente le nombre de globules rouges (comme l’ortie, tiens tiens…), stimulante du système lymphatique
  • Renforce le mental, lutte contre l’épuisement des forces psychiques, réconfortante, redonne confiance et courage en ses propres capacités, développe la capacité à prendre des décisions et à aller au bout des choses, renforce les capacités d’expression et de création
  • Sédative et protectrice du système nerveux (à forte dose ; au delà : dépression du système nerveux central), parasymphatolytique, antispasmodique, apaisante, calmante, relaxante
  • Carminative, digestive, protectrice du système digestif, stomachique
  • Dépurative, diurétique, sudorifique, optimise l’élimination saine des toxines
  • Expectorante, fébrifuge
  • Œstrogen like, emménagogue, freiner l’hyperfolliculinie
  • Anti-arthritique, anti-inflammatoire

Usages thérapeutiques

En phytothérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : asthénie fonctionnelle de l’appareil digestif, inappétence, indigestion, digestion difficile (en particulier celle des aliments gras), hyperacidité gastrique, pyrosis, aérophagie, ballonnement, flatulences, colique, crampe intestinale, spasmes gastro-intestinaux, vomissement spasmodique, entérite, dysenterie, dyspepsie, mauvaise haleine
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique, asthénie d’origine hépatique, insuffisance immunitaire d’origine hépatique, hépatisme
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthénie fonctionnelle de l’appareil respiratoire, bronchite aiguë et chronique, asthme nerveux, rhume, toux, angine, coup de froid, grippe, fièvre adynamique, muqueuse, typhoïde, utile aux chanteurs et aux orateurs ; en adjuvant dans : tuberculose, pneumonie, pleurésie
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, difficiles, insuffisantes ou absentes, leucorrhée, crampe et congestion utérines
  • Troubles de la sphère circulatoire et cardiovasculaire : mauvaise circulation périphérique (mains, pieds), stase sanguine, maladie de Buerger (?), palpitations
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, agitation, tension nerveuse, stress, peur, phobie, colère explosive, émotivité, surexcitation, instabilité psychologique, insomnie d’origine nerveuse, cauchemar (chez l’enfant) asthénie intellectuelle, nerveuse et psychique, baisse de la libido chez l’homme et la femme
  • Atonie et faiblesse générales, convalescence (à la suite d’une maladie ou d’une opération chirurgicale), anorexie, chlorose, anémie, surmenage
  • Troubles locomoteurs : algie rhumatismale, contusion, douleurs articulaires et musculaires
  • Migraine (d’origine nerveuse et digestive)
  • Vertige, syncope, défaillance
  • Rachitisme, scorbut
  • Plaie
  • Douleur dentaire

En aromathérapie :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dyspepsie, colite, entérite, crampe abdominale, gaz, ballonnement
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, sinusite
  • Troubles de la sphère gynécologique : crampe menstruelle
  • Troubles du système nerveux : angoisse, anxiété, stress, crainte, montagnes russes émotionnelles, insomnie, trouble du sommeil d’origine nerveuse, fatigue nerveuse, confusion mentale
  • Surmenage, épuisement, fatigue physique, convalescence
  • Rétention d’eau, goutte, arthrite
  • Affections cutanées : psoriasis, blessure

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

« On dit que l’angélique doit avoir les racines dans l’eau et la tête au soleil »10. C’est une remarque tout à fait pertinente, tant la vie de l’angélique est bornée entre un alpha – une vigoureuse racine – et un oméga – un capitule céleste qui produit des semences, gages d’une vie future. C’est d’ailleurs à cela que se résume toute la pratique médicale : on utilise la racine née d’une graine, qui va former elle-même d’autres semences, non sans être passée par de nécessaires étapes intermédiaires. Observons bien ces deux moments : l’angélique est convoitée pour son caractère souterrain au début de sa période de végétation. On tire d’ailleurs de cette racine, surtout quand elle provient du Nord, une huile essentielle riche en lactones, classe moléculaire que j’assimile à l’élément Terre. Puis du sous-sol et de la nuit nadirale, le continuum temporel mène l’angélique à une érection et un déplacement du potentiel des forces du bas vers le haut, accédant au ciel zénithal à la fin de sa période de végétation, chose très nettement visible au sein de l’huile essentielle tirée des semences d’angélique : bourrée de monoterpènes, elle s’associe donc à l’élément Air.

Par son système racinaire, l’angélique, tout empreinte d’un certain immobilisme (c’est l’ours qui hiberne), marque néanmoins son territoire. Puis, quittant ce domaine qui n’appartient qu’au temps de la jeunesse, elle se met en mouvement, irradie non seulement selon deux plans, mais trois (il suffit, pour cela, d’observer son ombelle quasi globuleuse). Cette vivacité aérienne acquise grâce à ses semences ailées lui fait gagner en maturité. De l’une à l’autre, ça n’est plus du tout du même profil dont on parle, puisque la racine initie le commencement et la naissance, tandis que la tête couronnée de semences de l’angélique marque son apex, l’achèvement de ses forces, ainsi que sa disparition imminente. D’ailleurs, l’élixir floral d’angélique officinale est destiné aux personnes proches de la mort, tant par leur propre état de santé (personnes gravement malades ou mourantes), que pour les personnes qui les entourent et les accompagnent. Les laboratoires Deva eux-mêmes disent que « l’élixir floral d’angélique est recommandé aux personnes qui se sentent isolées et abandonnées dans les périodes de grand changement ou face à l’inconnu. C’est un élixir dit ‘du seuil’ [NdA : le deuil n’en est-il pas un ?], conseillé dans les situations de crise et chaque fois que la vie est en jeu. Il aide à prendre de la hauteur face aux difficultés et renforce la confiance en la vie. Il apporte force bienveillante et vigueur morale lorsque l’avenir est incertain ». Abandon, isolement, deuil, dépression sont les maîtres-mots auxquels répond cet élixir tiré d’une plante qui autrefois, tout comme le ginseng, passait pour une panacée de longue vie capable d’apporter la vitalité et de retarder l’échéance de la vieillesse et de la mort.

L’angélique, postée tel un Soleil (la planète qui domine la plante, secondée par les influences équilibrantes de Mars et de Vénus), rythme son monde par une alternance continue de jours séminaux et de nuits racinaires. John Donne, le grand poète britannique de la Renaissance, n’avait pas tort d’écrire que « je suis un petit monde très finement fait, d’un esprit angélique ainsi que d’éléments »…11. Bien qu’on ait vu qu’elle comptait la Terre et l’Air comme éléments, l’angélique est aussi considérée comme une plante yang de Feu par la médecine traditionnelle chinoise, stimulant l’énergie du méridien du Cœur, ce qui vaut à cette plante une capacité « propre à recréer le cœur », comme le fit remarquer le Grand Albert.

Sur l’une de mes notes volantes, j’ai écrit la chose suivante : « L’angélique détient, potentiellement, le pouvoir de créer des ‘satellites’ [NdA : du latin satelles : « garde du corps » ; on n’est pas très éloigné de l’ange gardien…] : mots, pensées, postures partagées avec autrui ». Cela rappelle que les semences de l’angélique, si elles sont animées d’une grande puissance, ne possèdent pas une énergie excessivement pérenne, c’est pourquoi l’angélique invite à la ténacité et à la patience. Ces satellites ne sont sans doute pas passés dans le ciel clair de l’angélique tout à fait par hasard : si j’en juge l’aura que j’ai observée à l’huile essentielle d’angélique : de couleur majoritairement bleu cobalt, elle se connecte de fait au chakra de la gorge, le centre des créations subtiles et intellectuelles (et, donc, de manière filigranique, à cet autre chakra, complémentaire de celui de la gorge, le chakra sacré). Mais cette aura n’est pas seulement bleue, elle est aussi « pailletée » de touches argentées : les satellites qui nous convient aux hautes sphères, puisque la couleur argent est associée, communément, au chakra de la couronne (en correspondance avec la Lune).

Matthew Wood écrit quelque chose de très intéressant au sujet de l’angélique, plante à laquelle il entremêle la médecine de l’ours : « Tout comme l’ours entre en hibernation l’hiver, la médecine de l’ours détend l’esprit, ouvre l’imagination et amène vers le temps du rêve »12. Je pense qu’il en va de même de l’angélique, qu’elle nous guide vers l’inspiration, la respiration juste du cœur et ce même temps du rêve.

Modes d’emploi

L’emploi de la plante à l’état frais est de beaucoup préférable, en particulier lorsqu’on souhaite avoir affaire aux tiges et surtout à la racine.

  • Infusion de semences : comptez 8 à 15 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn. Infusion composée contre l’asthme : comptez autant de semences d’angélique que de mélisse et de sauge officinale. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn. Variante pour les crampes d’estomac et les douleurs gastriques : semences d’angélique, absinthe, mélisse à parts égales. Une cuillerée à café de ce mélange en infusion dans une tasse d’eau bouillante durant 10 mn.
  • Infusion de feuilles fraîches : comptez 10 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn à couvert.
  • Infusion de racines : comptez 20 à 50 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn.
  • Décoction de racines (pour bain) : comptez 120 g de racines par litre d’eau en décoction pendant un quart d’heure. On peut alléger cette décoction (40 à 60 g de racines par litre d’eau), y ajouter des feuilles d’ortie fraîche et mener la décoction pendant 10 mn : après filtrage, on obtient une eau de rinçage après-shampooing fort efficace.
  • Mâcher une tige d’angélique fraîche rafraîchit l’haleine et promeut une bonne santé bucco-dentaire.
  • Vin d’angélique : prenez 50 à 60 g de tiges et/ou de racines fraîches, placez-les dans un litre de vin blanc doux pour une semaine. A l’issue, filtrez. Autre : 60 g de racine fraîches et 8 g de cannelle dans un litre de vin rouge pour quatre jours. Filtrez.
  • Teinture alcoolique : faites macérer au chaud pendant quatre jours 100 g de racine fraîche dans 100 cl d’alcool. A l’issue, filtrer, pressez et réservez dans de petites bouteilles en verre (les plus idéales sont celles munies d’une pipette compte-goutte). Aujourd’hui, on s’en remettra plus sûrement à un extrait de plante fraîche (cf. Herbiolys, Ladrôme, etc.).
  • Ratafia d’angélique : dans un mélange composé d’eau (10 cl) et d’eau-de-vie à 40° (90 cl), placez 6 g de semences d’angélique, 4 g de semences de fenouil et 4 g de semences d’anis. Faites macérer le tout pendant 8 à 10 jours, puis, passé ce délai, ajoutez 500 g de sucre. Laissez reposer puis filtrez.
  • Recette de liqueur composée donnée par Anne Osmont : « On en fait aussi une liqueur stomachique suivant une recette que l’on peut appliquer aussi à l’hysope, à la mélisse et à la verveine et que voici : prenez une bonne poignée de tiges coupées en morceaux, (pour les autres plantes, prenez les sommités cueillies avant floraison), et placez dans un bocal que vous remplirez d’eau-de-vie de Montpellier. Laissez macérer quarante jours en exposant le bocal fermé au Soleil tous les jours où le Soleil brillera, aussi longtemps qu’il brillera. Rentrez le bocal pour la nuit. Au bout des quarante jours, filtrez et faites un sirop sucré selon votre goût. Cette liqueur est stomachique mais elle est de plus excellente, aussi faites-en beaucoup car bien de gens éprouveront sans cause des douleurs d’estomac – tant que les flacons ne seront pas vides »13 ^.^ Autre : dans 1,5 litre d’eau-de-vie à 40°, placez 25 g de tiges fraîches d’angélique et un gramme de noix de muscade râpée. Laissez macérer pendant deux semaines. Passé ce délai, ajoutez-y un sirop simple obtenu à partir d’un kilogramme de sucre et d’un demi litre d’eau.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses et appliqué localement (contusion, plaie, luxation, etc.).
  • Huile essentielle : en usage interne, il suffira de placer une à deux gouttes sur un comprimé neutre ou tout autre substrat à convenance et de répéter l’opération deux autres fois dans la journée, sur un total de sept jours consécutifs. Par voie externe, cette huile essentielle se dilue à hauteur de 0,75 % maximum, bien qu’elle puisse s’appliquer pure en geste d’urgence (sur le plexus, l’intérieur des poignets, la voûte plantaire). Dans tous les cas, son caractère photosensibilisant oblige à ne pas s’exposer durablement au soleil pendant environ douze heures après application cutanée (et même après ingestion).

Note : dans le commerce, il existe de nombreuses préparations contenant l’angélique comme ingrédient, en particulier pour lutter contre les problèmes digestifs, de sommeil, de stress (émotions), propres à la sphère féminine, etc.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il est évident qu’il est plus simple de ramasser des fleurs de coquelicot que d’extraire du sol une racine d’angélique ! Et dans ce cas, mieux vaut prendre des gants et porter des vêtements longs. En effet, de par un certain nombre de ses principes actifs, au simple contact de la racine fraîche avec la peau (et parfois même des feuilles !), celle-ci peut être facilement irritée (autrefois, les arracheurs de racines professionnels étaient affectés d’enflures et de dermatites sur les mains). On comprend que ce protocole quelque peu rébarbatif puisse être dissuasif pour qui souhaiterait employer l’angélique, qu’on ne trouve plus guère dans les jardins au reste, l’angélique sylvestre étant, quant à elle, beaucoup plus fréquente mais dotée de propriétés moindres. On pourrait néanmoins lui appliquer les mêmes précautions. Les feuilles de l’angélique, lorsqu’elles sont encore bien vertes, peuvent être récoltées sur les pieds en mai-juin (voire juin-juillet sous climat plus frais), puis utilisées immédiatement ou bien séchées, bien que ce ne soit clairement pas la destination idéale de cette partie végétale (peu d’usages thérapeutiques, perte de capacités par la dessiccation, etc.). Les fleurs sont à peu de choses près dans les mêmes dispositions. Les racines doivent être prélevées sur des pieds n’ayant fait l’objet d’aucune autre récolte que ce soit (ni fleur, ni pétioles, ni semences), puisque ce sont essentiellement les pieds d’angélique dans leur première année qui sont concernés par une récolte (c’est pourquoi, même si elle n’a pas fleuri, l’angélique ne peut être déchaussée dans sa deuxième ou troisième année (s’il y a lieu) : à ce stade, elle devient coriace et filandreuse, impropre à l’usage qu’on en veut faire, commençant à se vider des principes qui la font convoiter plus jeune). Il ne faut donc pas attendre que la plante fructifie pour l’arracher. A cette période, il est déjà trop tard, de même que durant la floraison. Ainsi, dès le mois de septembre (puis durant tous l’automne : novembre et décembre sont aussi deux mois de récolte), les racines d’angélique se déchaussent du sol. Ceci fait, on les lave, on les fend longitudinalement en quatre ou on les tronçonne en rondelles que l’on enfile sur une ficelle. Puis on les fait sécher au soleil (s’il est disponible à ce moment-là) ou dans un local dédié. C’est là une précaution indispensable, sachant que la racine d’angélique contient beaucoup d’eau de végétation (5 kg frais donnent 1 kg sec). Si le local de séchage est trop humide, la dessiccation peut s’en trouver entravée, les racines tronçonnées venant même à pourrir. Puis, même une fois bien sèches, les racines d’angélique se garderont dans un endroit sec, à l’abri de l’humidité, mais également des insectes qui pourraient venir y pondre. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, la racine d’angélique sèche perd (assez) rapidement ses pouvoirs thérapeutiques. Ainsi, une racine sèche doit-elle s’employer dans l’année, au maximum. Il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à utiliser celles ayant plus d’un an (d’où la nécessité de veiller attentivement sur les stocks constitués). Enfin, plus elles conservent longtemps un parfum le plus musqué possible, et mieux c’est. Concernant maintenant les semences, il y a beaucoup moins à dire car les opérations sont beaucoup plus simples. Les pieds d’angélique destinés à la cueillette des graines ne devront faire l’objet d’aucun prélèvement intermédiaire. Il ne faut pas attendre que l’angélique soit trop avancée dans sa fructification pour se soucier d’en recueillir les graines, puisque, comme l’on sait, quand elles sont trop mûres, les semences d’apiacées ont tendance à se perdre au sol. Aussi est-il primordial de rester attentif, quitte à étaler la cueillette sur plusieurs passages et visiter les ombelles pour y prélever uniquement les semences qui commencent à blanchir, puisque, sur une même ombelle, toutes les graines ne sèchent pas à la même cadence. Le séchage n’exige rien de bien particulier : on étale les semences sur un drap, sur du papier, etc., on les place à l’ombre, dans une pièce bien ventilée, et on les retourne de temps à autre. Malgré la relative rareté de l’angélique officinale dans les jardins aujourd’hui, ça n’est pas une plante totalement oubliée des herboristes : certaines bonnes adresses en France délivrent encore des racines sèches et des semences en qualité biologique. En vrac, pour 100 g, il faut compter 11 € pour la racine et 23 € pour les graines (moyennes établies auprès de plusieurs tarifs proposés par des enseignes bio). Quant aux tiges qui concernent la confiserie, elles sont récoltées durant la deuxième année de végétation de la plante, car elles sont alors plus grosses et plus tendres.
  • Culture : vous trouverez de judicieux conseils de culture de l’angélique dans l’ouvrage, certes un peu ancien, d’Antonin Rolet et de Désiré Bouret, Plantes médicinales, pp. 98-100.
  • Une curieuse façon d’utiliser cette plante avait lieu au sein de la Cour des Miracles, à Paris. Le suc de l’angélique est très irritant et les mendiants, le sachant, s’en badigeonnaient les membres afin de volontairement provoquer des ulcères et de se rendre ainsi encore plus pitoyables. Elle contient des substances photosensibilisantes plus connues sous le nom de furocoumarines dont l’une, le bergaptène, se retrouve dans l’essence de bergamote, elle-même photosensibilisante. Il serait possible de la « débergapténiser », comme cela se pratique déjà pour l’essence de bergamote. Mais, d’une, c’est plus cher, et de deux, ces fameuses furocoumarines sont responsables des effets sédatifs et calmants. Il s’agirait alors d’une huile essentielle amputée de certaines de ses propriétés. Quoi qu’il en soit, en cas d’utilisation de plantes aux vertus photosensibilisantes (millepertuis, essences d’agrumes, huiles essentielles d’apiacées, etc.) et que cela soit par usage interne ou externe, pas d’exposition solaire massive car les furocoumarines alliées aux UV créent souvent une réaction de ce type : aïe ! Donc, attention aux expositions solaires prolongées en tel cas. Les précautions à prendre eu égard à l’inconvénient de la phototoxicité de l’angélique portent avant tout sur l’emploi de l’huile essentielle d’angélique, beaucoup moins concernant une infusion de racines ou de semences d’angélique, les furocoumarines étant difficilement extraites par l’eau, même bouillante. En revanche, elles le sont davantage par des substances alcoolisées (vin, eau-de-vie surtout). Un usage inconséquent ou bien normal chez une personne sensible peut amener des cas d’irritation des reins et de l’estomac. On contre-indiquera l’utilisation de l’huile essentielle chez la femme enceinte, la femme qui allaite, les personnes diabétiques et celles affectées de troubles de la coagulation ou susceptibles de prendre des médicaments anticoagulants (du type warfarine, par exemple).
  • Botan avait beau dire que l’huile essentielle d’angélique comptait parmi « l’une des moins toxiques de toutes les plantes à parfum pénétrant »14, il n’en reste pas moins qu’à hautes doses (= deux grammes, ce qui est énorme !), cette huile essentielle provoque maux de tête, stupeur, dépression cérébrale, hématurie, néphrite et éventuellement décès.
  • La pratique de la confiserie française à base d’angélique ne saurait faire oublier les usages culinaires de l’angélique propres à d’autres contrées, très importants puisqu’on considère cette plante comme largement préférable au céleri d’un point de vue alimentaire. Très présente dans les cuisines en Chine et en Scandinavie, la plante y est utilisée des graines à la racine. En Norvège, on avait pour habitude de moudre la racine séchée et de la mêler à la farine de seigle, ce qui avait pour conséquence de rendre le pain obtenu par cuisson de cette pâte plus digestible. Au Groenland, elle est demeurée longtemps l’unique légume disponible. Les Lapons en consomment les feuilles cuites dans du lait de renne et conservent le poisson dans ces mêmes feuilles, alors qu’en Alaska, la racine est consommée après cuisson à l’eau. En Sibérie, on mange les tiges en compagnie de pain et de beurre. Par ailleurs, les usages sont multiples. On utilise la plante entière : feuilles (en compote avec des fruits acides, « thé » ; il est possible de les cuire, ce qui en renforce l’amertume. Afin d’obvier à cet inconvénient, il est préférable de les blanchir), jeunes pousses (en salade, potage, farce, sauce), racines (en légume, cuites à la vapeur ou à l’eau : à blanchir deux ou trois fois, ce qui n’est pas très économique), graines (en liquoristerie, brasserie et pâtisserie), fleurs (pour aromatiser les pâtisseries, les salades de fruits, les crèmes, etc.). On compte encore bien d’autres préparations faisant appel à l’angélique  : confitures, bonbons, sirops, vins aromatisés, etc.
  • Petit focus en ce qui concerne la liquoristerie. Avant même que de devenir une boisson que l’on prend en fin de repas, une liqueur est avant tout un élixir médicinal. Ainsi, il en va de la Chartreuse et de la Bénédictine qui sont deux élixirs qui s’invitent davantage sur nos tables que dans l’armoire à pharmacie aujourd’hui, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Cependant, passer du sacré au profane fait souvent tomber dans la vulgarité. Bien d’autres spécialités spiritueuses, liqueurs et alcools composèrent avec l’aromatique angélique : l’eau de mélisse des Carmes, la Suze, le Vermouth de Turin, le Raspail, le Vespetrò savoyard, la liqueur du Mont-d’Or (à proximité de Lyon), etc.
  • Autres industries nécessitant les bons services de l’angélique : la parfumerie, la cosmétique et la savonnerie.
  • Autres espèces d’angéliques européennes : l’angélique des bois (A. sylvestris), l’angélique de Bernard (A. sylvestris ssp. bernardiae), l’angélique des estuaires (A. heterocarpa), l’angélique de Razouls (A. razulii), l’angélique des Pyrénées (A. pyrenaea), l’angélique à feuilles de yèble (A. ebulifolia). Parmi les angéliques asiatiques, on cite souvent l’angélique chinoise (A. sinensis) dans la littérature (c’est le danggui de la médecine traditionnelle chinoise). Davantage plébiscitée que le ginseng en Chine, il pèse sur cette angélique une pression trop considérable pour qu’on choisisse de faire appel à son aide. Du côté de l’Amérique septentrionale, l’on constate l’existence de l’angélique noire pourpre (A. atropurpurea), également médicinale et comestible.

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  1. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 70.
  2. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 47.
  3. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 32.
  4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 86.
  5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 60.
  6. Annie-Jeanne & Bernard Bertrand, La cuisine sauvage des haies et des talus, p. 37.
  7. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 220.
  8. Pierre-Henri-Hippolyte Bodart, Cours de botanique médicale comparée, Tome 1, p. 199.
  9. Joseph Roques, Phytographie médicale, Tome 2, p. 405.
  10. Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales, p. 100.
  11. John Donne, Poèmes sacrés et profanes, p. 161.
  12. Matthew Wood, Traité d’herboristerie énergétique, p. 158.
  13. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 47.
  14. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 17.

© Books of Dante – 2023


L’huile essentielle de géranium rosat (Pelargonium graveolens)

Ce n’est pas mon huile essentielle favorite, mais comme j’avais tout un tas d’informations nouvelles à son propos, le géranium rosat est repassé sur le métier. Bienvenue dans cette version augmentée, détricotée, etc. de l’huile essentielle de géranium rosat.

Belle lecture à toutes et à tous, bon week-end et à bientôt :)

Gilles



Synonymes : géranium rose, mauve rose.

Si le géranium rosat a, grâce à la main de l’homme, diversifié ses parfums1, il était initialement cantonné au sud du continent africain, région où s’implantèrent de manière définitive plusieurs ressortissants de pays européens dans le courant du XVIIe siècle. C’est aux environs de 1690 que provinrent, de la région du cap de Bonne-Espérance, les premiers spécimens de géraniums africains en Europe. Ce n’est que bien plus tard, en 1819, que le pharmacien français César Auguste Recluz (1799-1873) obtint, par distillation de la plante, l’huile essentielle de géranium rosat, alors qu’il étudiait la pharmacie à Lyon. Il fallut attendre une trentaine d’années avant que ne soit décidé le début de la culture du géranium rosat dans une visée industrielle. Ainsi rejoignit-il orangers, violettes et narcisses dans la région de Grasse et de Pégomas, ainsi qu’en quelques points du Var et de la Provence. Sans être une échec, l’expérience rencontra des difficultés insolubles (investissements excessifs pour un rendement faible et incertain). C’est pourquoi on transposa cette culture à la Corse et aux colonies françaises d’alors toutes proches (Algérie, Tunisie, Maroc). Dans le cadre de la culture des plantes à parfums, on expédia le géranium sur l’île de la Réunion aux alentours des années 1865-1870. Cultivé en particulier dans la région de la Petite France à l’ouest de l’île, un travail patient de sélection permit d’accéder à une variété qu’on connaît depuis sous le nom de géranium Bourbon (en rapport avec le nom que porta l’île de 1649 à 1793, date à laquelle on déchut ce nom d’ancien régime au profit de celui plus révolutionnaire de Réunion). On peut dire que ce fut un succès, puisque la qualité de l’huile essentielle de géranium rosat type Bourbon produite sur le territoire réunionnais (ainsi que malgache, non loin de là) surpassait celle des huiles distillées dans le bassin méditerranéen. Également inspirés, des pays comme la Turquie, l’Italie et l’Espagne naturalisèrent le géranium rosat sur leur territoire. Il fut même cultivé dans des pays auxquels on ne pense pas dès lors qu’il est question de géranium rosat : l’Autriche et le sud de l’Allemagne (il faut se méfier des zones à tendance gélive, le géranium, peu rustique, ne supportant pas des températures inférieures à 5° C). Il s’écarta même plus à l’est, puisqu’on le retrouve encore aujourd’hui en Égypte, et bien plus loin, en Chine (Yunnan), où il produit une huile essentielle beaucoup plus riche en citronnellol, ce qui en fait un produit assez différent des huiles essentielles d’origine africaine.

Son parfum âcre, pas des plus agréables, lui a valu un dicton selon lequel quand le géranium est là, le serpent ne vient pas. Présomptueux ? Encore faudrait-il se renseigner sur la nature exacte dudit serpent. Quoi qu’il en soit, autrefois, dans les campagnes, on pensait fermement que les plantes à odeur forte permettaient de repousser les parasites. La langue de vipère n’en est-elle pas un ? Le jardinier Michel Lis nous apprend qu’en « Italie, les loquets des portes sont une fois par an frottés avec du géranium frais pour tenir à distance les voleurs »2. Peut-être parle-t-il du géranium qui fleurit au balcon et dont l’objectif – on l’oublie assez souvent – n’est pas qu’ornemental : il éloigne les indésirables moustiques voleurs de sang, de même que son cousin africain, Pelargonium graveolens, dont l’huile essentielle, diffusée près d’une porte d’entrée, en écarte généralement d’autres importuns : les voisins casse-pieds qui en font le siège, par exemple ^.^

Il était nécessaire, je pense, de faire le distinguo entre le géranium des fleuristes et le soi-disant « géranium » qui fait l’objet de cet article d’aromathérapie. Ce géranium rosat est une plante vivace qu’il faut imaginer vivre dans la nature, au sein de son biotope naturel (sud de l’Afrique). Grâce à une souche ligneuse (c’est-à-dire qui fabrique du « bois »), il peut atteindre plus d’un mètre de hauteur, ce qui lui donne l’allure d’un gros buisson, impression renforcée par une profusion de tiges rameuses très feuillues. Ses feuilles alternes sont généralement très découpées (selon cinq à sept lobes), dentelées, crépues et duveteuses. Si l’on y regarde de plus près, on peut constater que tiges et feuilles comportent deux façons de poils : les premiers, très fins, longs et effilés, en dissimulent d’autres plus courts, épais à la base, renflés à leur sommet : ce sont les véritables poils sécréteurs de la plante, c’est-à-dire abritant des poches d’essence aromatique que l’on brise quand on froisse la plante qui imprègne alors les doigts d’une douceâtre odeur de rose citronnée. Quant à la floraison, elle intervient diversement selon le climat et l’aire géographique : d’avril à octobre pour la plupart des pays tempérés, elle est par exemple plus précoce en Algérie (mars). Les ombelles capitulées du géranium rosat se composent de fleurs à cinq pétales dont les supérieurs sont le plus souvent roses ou pourpres et les trois inférieurs striés de lignes rouge sang. Très parfumées, elles participent à la renommée aromathérapeutique du géranium rosat.



Pelargonium graveolens par Pierre-Joseph Redouté paru dans le Geraniologia de Charles Louis l’Héritier de Brutelle (1787-1788).


L’huile essentielle de géranium en aromathérapie

La culture du géranium rosat, soumise à bien des facteurs décisifs et cruciaux, permet d’obtenir des produits dissemblables non seulement en raison de l’implantation géographique, même si l’on consent à accorder qu’elle compte pour beaucoup, mais également en fonction de caractères comme l’exposition solaire, la quantité de chaleur reçue dans l’année, l’altitude, la protection face aux vents, la sensibilité vis-à-vis d’un excès d’humidité hivernale ou d’une extrême sécheresse estivale, etc. Soit tout un panel de critères qui ne dépendent pas du bon vouloir du cultivateur. A cela, s’ajoute ce qui peut être de son propre ressort : l’installation du géranium rosat sur telle ou telle parcelle de sol (de préférence calcaire, profond et riche en humus), la qualité de la fumure (un sol trop engraissé risque de fabriquer beaucoup de feuilles proportionnellement peu riches en essence, contrairement aux sols légers et sablonneux), le contrôle de l’arrosage… Des facteurs climatiques, culturaux et anthropiques sont donc à l’origine de la naissance d’une huile essentielle de géranium rosat de qualité (ou pas). Il y a un siècle, on comptait encore la France (avec la Corse) et l’Espagne comme les principaux fournisseurs de l’industrie de luxe en huile essentielle de géranium rosat de haute qualité, alors que celles en provenance du Maghreb et de la Réunion étaient jugées « ordinaires ». Les choses ont depuis bien évolué, puisque nombreux sont ceux qui estiment l’huile essentielle de géranium rosat de la Réunion (voire de Madagascar) comme le nec plus ultra en matière de géranium rosat, qu’on dit alors spécifiquement « bourbon » dans ce cas (comme un cru de vanille). Il est fort probable que ce jugement métropolitain d’autrefois ait été motivé par un sentiment cocardier qui ne parvenait pas, alors, à compter la Réunion au nombre des possessions françaises (j’ai vu des auteurs parler de cette île comme de « l’étranger » !). Quant à la récolte, elle est inféodée, elle aussi, à des impératifs climato-météorologiques. Par exemple, à l’époque où la culture du géranium était encore d’actualité du côté de Grasse et dans un certain nombre de départements méridionaux, on procédait généralement à la récolte en août/septembre (avec parfois une seconde coupe en octobre/novembre). En Corse, où le climat est plus favorable au géranium, on le récoltait une première fois en mai, puis en août, et éventuellement une troisième fois en septembre/octobre. En cela, la Réunion se voit privilégiée, car les récoltes sont échelonnées toute l’année : printemps, été et automne. Selon la saison, le rendement varie, ainsi que la qualité globale du produit : proche de 0,10 % en avril, il double en été, pour revenir en automne à son niveau printanier. Malgré cela, on continue d’affirmer que la première récolte de l’année offre la meilleure qualité d’huile essentielle.

On fauche à la faucille le géranium par temps sec, le soir, ce qui permet d’éviter un début de dessiccation des feuilles, tout en prenant soin de ne pas trop bousculer le végétal dont les feuilles peuvent facilement se détacher. Sans plus attendre, on procède à la distillation, afin d’éviter à la matière verte de s’échauffer et de fermenter, ce qui lui ferait immanquablement perdre une partie de sa valeur. On privilégie uniquement les feuilles seules ou plutôt les rameaux fleuris, à l’exclusion des tiges ligneuses qui entravent plutôt le bon déroulement des opérations. Après une épreuve de distillation à basse pression dont la durée s’étale de 90 mn à 3 heures, l’on obtient une huile essentielle liquide et limpide, de densité comprise entre 0,885 et 0,905, en très faible quantité, le rendement oscillant entre 0,15 et 0,35 %3. Fréquemment jaune très pâle, elle peut faire porter à sa robe des couleurs plus soutenues allant du vert jaunâtre à des jaunes brunâtres plus prononcés. Puis l’huile essentielle est filtrée à l’abri de la lumière, serrée dans des flacons bien hermétiques placés dans un endroit frais et sombre, afin qu’elle y « mûrisse » Selon sa provenance, il est bien évident que l’huile essentielle de géranium rosat présente des variations biochimiques. Grâce à plusieurs chromatographies en phase gazeuse portant sur des lots d’huiles essentielles biologiques, je puis fournir un ensemble de données. Voici quelques-unes des principales molécules contenues dans l’huile essentielle de géranium rosat (on en compte, au total, de 170 à 190).

  • Monoterpénols (53,50 %) dont : citronnellol (33,15 %), géraniol (13,50 %), linalol (4,80 %)
  • Esters (15 %) dont : formiate de citronnellyle (8 %), formiate de géranyle (2,70 %)
  • Cétones (7,50 %) dont : menthone (2 %), isomenthone (5,20 %)
  • Sesquiterpènes : 7,30 %
  • Monoterpènes : 1,40 %

On observe un trait commun à cette huile essentielle et à celle de rose de Damas : elles contiennent chacune un tiers de leur masse de citronnellol (à ne pas confondre avec le citronnellal, un monoterpénal présent dans les huiles essentielles d’eucalyptus citronné, de citronnelle de Java, etc.), et à peu près la même quantité de géraniol (autour de 15 % en moyenne). Cependant, il reste un grand écart moléculaire de l’une à l’autre. Cela n’a pourtant pas dissuader les gens de percevoir dans le parfum de l’huile essentielle de géranium comme une odeur de rose, d’où l’adjectif rosat, c’est-à-dire « relatif à la rose ». Rosat est le terme générique qu’on associait à l’ensemble des préparations magistrales (huile, vin, vinaigre, miel, sucre, cérat, glycérolé, beurre, onguent…) qui comptaient pour ingrédient végétal exclusif (quoique pas toujours) la rose (peu importe laquelle, en vérité : rose rouge de Provins, rose pâle, etc.). Si c’est un adjectif bien pratique qui permet d’identifier facilement les produits dits « rosats », il est en revanche trompeur en ce qui concerne l’huile essentielle de géranium rosat qui, bien évidemment, ne contient absolument pas d’huile essentielle de rose, mais dont le parfum s’en approche un peu (quand on expose l’huile essentielle de géranium à l’air, elle gagne encore un peu en ressemblance avec celle de rose de Damas). Afin de marquer cette proximité, il a été décidé d’utiliser le mot rosat qui, sans doute, crée moins de confusion que le seul mot « rose », si jamais on devait l’associer au substantif « géranium ». Déjà que rien n’est simple dans le monde des géraniums/pélargoniums, n’ajoutons pas davantage de complexité et contentons-nous de ces quelques explications. Malheureusement, cette promiscuité olfactive a engagé des personnes peu scrupuleuses sur le chemin de la malhonnêteté : comment – même avec un rendement aussi chiche – est-il possible d’exploiter l’huile essentielle de géranium pour la faire passer pour de l’huile essentielle de rose, beaucoup plus onéreuse à l’achat ? Eh bien, en la falsifiant par divers moyens : essence de térébenthine, alcool phényléthylique, essence de gurjum (ce qui est très curieux, vu que cette huile essentielle ne contient pas une once de citronnellol et de géraniol…), géraniol synthétique, etc., chaque époque ayant ses méthodes. Aussi, voyons un peu comment les opérations se déroulaient en Turquie au XIXe siècle par exemple : on fraudait l’huile essentielle de rose avec de l’essence de géranium à laquelle on mêlait une certaine part de blanc de baleine (ou spermaceti, substance contenant divers triglycérides et cires), afin d’assurer à l’ensemble une cristallisation factice (on se rappellera que cette huile essentielle se « fige » en-dessous de 18° C). Vu que l’huile essentielle de géranium rosat coûtait alors huit à dix fois moins cher que celle de rose (ce qui, au reste, n’a guère changé de nos jours), on se livrait plus facilement qu’aujourd’hui à ce honteux commerce (à l’heure qu’il est, on dispose des chromatographies en phase gazeuse afin de se prémunir de telles ruses condamnables). Servant le faussaire, l’huile essentielle de géranium rosat est, elle aussi, l’objet de pratiques frauduleuses ! Le peu de géraniol qu’elle contient ne lui permet pas de tenir la comparaison avec les huiles essentielles de thym vulgaire CT géraniol (65 %), de palmarosa (ex « palma rosat » ; 80 %) ou encore de monarde (90 %). Ce n’est donc pas de là que provient le coupable. Pour la contrefaçon, compte tenu que l’on perçoit des notes citronnées dans l’huile essentielle de géranium rosat, qui appelle aussi un fond doux et sucré de litchi, quoi de plus simple que d’alimenter le marché par de fausses huiles essentielles de géranium rosat obtenues à partir de ces produits qui valent trois fois rien que sont les cymbopogons ? Lemongrass, gingergrass, citronnelles de Java et de Ceylan viennent donc au secours du contrefacteur !

Le géranium rosat subit parfois l’épreuve de l’enfleurage à froid, procédé permettant la fabrication d’un absolu spécifiquement réservé à la parfumerie. Ne nous étalons donc pas sur ce sujet et poursuivons en direction des propriétés et usages.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique majeure (cette huile essentielle est par exemple capable de lutter contre les moisissures allergisantes présentes dans les habitations), antiparasitaire (vermifuge), antiseptique
  • Tonique veineuse et lymphatique, décongestionnante hémorroïdaire
  • Diurétique, tonique urinaire
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Antispasmodique, relaxante, apaisante, calmante, régulatrice du système nerveux
  • Neurotonique, immunomodulante, stimulante des cortico-surrénales
  • Astringente cutanée, cicatrisante, régénérante et antiseptique cutanée, rééquilibrante de la sécrétion de sébum
  • Soutien du système reproducteur chez la femme, du cycle menstruel et de la ménopause
  • Stimulante hépatopancréatique, antidiabétique
  • Insectifuge (pou, puce, tique, moustique ; elle peut être secondée par l’une des nombreuses autres huiles essentielles qui œuvrent dans ce domaine : palmarosa, eucalyptus citronné, niaouli, citronnelles, etc.)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, spasmes gastro-intestinaux, gastro-entérite, ulcère gastrique, « brûlure » d’estomac, douleur gastrique, vers intestinaux chez l’enfant et l’adulte (ascaride, oxyure), colite, candidose intestinale
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hémorroïde et prurit hémorroïdaire, prévention des varices et des phlébites, jambes lourdes, œdème, lymphœdème, rétention d’eau, insuffisance lymphatique, hypertension, couperose, syndrome de Raynaud, saignement de nez
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : candidose urinaire , lithiase urinaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie utérine, ménorragie, dysménorrhée, vulvite, prurit vulvaire, mycose gynécologique (candidose vaginale), endométriose (ralentir l’hyperfolliculinie), syndrome prémenstruel, symptômes de la ménopause, douleur et engorgement des seins, mastite, mastose, infertilité, frigidité
  • Troubles de la sphère génitale masculine : impuissance, congestion et hypertrophie de la prostate
  • Troubles de la sphère respiratoire : sinusite, hémoptysie, angine
  • Troubles locomoteurs : douleur lombaire, tendineuse et musculaire, tendinite, névrite, arthrite, rhumatisme ostéo-articulaire, pieds fatigués et douloureux
  • Affections bucco-dentaires : aphte, stomatite, glossite, candidose
  • Affections cutanées : plaie, plaie de cicatrisation difficile, ulcère (y compris variqueux), dartre, eczéma sec, psoriasis, furoncle, mycose (cutanée, sous-unguéale), acné, impétigo, croûte de lait, coupure, brûlure, bleu, ecchymose, engelure, vergeture, vieillissement cutané (rides et ridules, peau fatiguée et dévitalisée), peau grasse, sèche et/ou déshydratée, transpiration excessive, piqûre d’insecte, coup de soleil, cheveux gras ou secs
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse, agitation, peur, phobie, trac, timidité, crise émotionnelle (avec état de choc), troubles du sommeil, insomnie, fatigue (nerveuse, psychique et intellectuelle), surmenage, manque de tonus psychique, apathie
  • Fatigue physique, asthénie
  • Diabète, atonie pancréatique
  • Utilité dans la désaccoutumance tabagique et alcoolique

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Dans cette huile essentielle, on peut remarquer deux éléments principaux : le Feu (en majorité, cf. les monoterpénols) et l’Eau (en minorité, cf. les esters et les sesquiterpènes). Ces deux éléments nous permettent de nous diriger vers deux méridiens : celui du Triple Foyer (Feu) et celui des Reins (Eau).

Commençons par le premier de ces méridiens afin de superposer médecine traditionnelle chinoise et aromathérapie à « l’européenne ». Tout d’abord, nous pouvons dire que ce méridien est un transporteur (de sang, d’énergie, de liquides organiques…), un régulateur et un éliminateur. Il s’oppose donc à la formation des « stases », c’est-à-dire des états d’immobilité, ce en quoi on retrouve bien l’huile essentielle de géranium rosat dans ce portrait. En effet, nous l’avons dit veinotonique et lymphotonique. Par exemple, dans ce cas, une « stase » serait un œdème, de la rétention d’eau, etc. Lorsqu’un dysfonctionnement affecte le méridien du Triple Foyer, apparaissent de l’apathie, une asthénie, de la fatigue, un manque d’entrain. Or l’huile essentielle de géranium rosat, neurotonique, stimulante des cortico-surrénales (elles sont en relation avec le méridien des Reins), immunomodulante, permet, justement, de contrecarrer ces manifestations.

D’un point de vue psycho-émotionnel, si ce méridien présente une insuffisance énergétique, on observe un manque de gaieté ainsi que des capacités intellectuelle plus faibles qu’à l’habitude. En revanche, si l’on distingue un excès, il peut alors être associé à de l’irritabilité, de l’excitation, de l’agitation, etc., chose que l’huile essentielle de géranium rosat est capable d’engourdir (elle est, rappelons-le, apaisante et calmante).

Enfin, se préoccuper de l’état de ce méridien peut trouver son utilité dès lors qu’on rencontre des difficultés à faire la part des choses entre préoccupations matérielles (yin) et spirituelles (yang). C’est peut-être ce qui a fait dire à certains que l’huile essentielle de géranium rosat était une harmonisante du yin et du yang… (Précisons, au passage, que ce méridien est yang et que le suivant est yin…)

Passons donc maintenant en revue le deuxième méridien qui s’impose à nous lorsqu’on évoque l’huile essentielle de géranium rosat. Parmi les pathologies associées au dysfonctionnement du méridien des Reins, nous en rencontrons un grand nombre déjà évoquées dans la section « Usages thérapeutiques » : lithiase, rétention d’eau, lombalgie, douleur articulaire et musculaire, fatigue générale, cortico-surrénales en berne. L’on voit donc, au travers de cet exemple, que l’huile essentielle de géranium rosat est susceptible de corriger les troubles physiques provoqués par une perturbation de ce méridien. Bien sûr, les troubles émotionnels ne sont pas oubliés. Ainsi, les peurs, angoisses, phobies, trac, effets d’une timidité excessive, etc. sont-ils justiciables de l’emploi de l’huile essentielle de géranium rosat.

En ce qui concerne les chakras auxquels cette huile essentielle peut s’appliquer, il s’en trouve un dont le mauvais fonctionnement peut entraîner des difficultés de perception visuelle : le chakra du troisième œil. Il fait directement référence à la couleur indigo, qui se trouve être la couleur de l’aura des deux huiles essentielles de géranium rosat que j’ai testées à l’occasion. La couleur opposée et complémentaire à l’indigo sur le disque chromatique est un mélange d’orange et de jaune. Au jaune, on lie le chakra du plexus solaire et au orange celui qu’on appelle sacré.

« Le parfum [de l’huile essentielle de géranium rosat] passe pour rendre ardent et aventureux »4, mais communique aussi une sorte de plénitude calme et confiante, ainsi qu’une présence généreuse.

Modes d’emploi

  • Voie orale : mode d’administration le moins souvent consenti, mais néanmoins envisageable : trois fois trois gouttes par jour sur une durée réduite à une semaine. On place les gouttes sur un comprimé neutre, dans une cuillerée d’huile d’olive, de miel, de purée d’amandes, etc.
  • Diffusion atmosphérique, olfaction.
  • Voie cutanée : pure en geste d’urgence, mais diluée le plus souvent à hauteur de 5 % pour le visage et 17,50 à 20 % maximum pour le reste du corps.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Huile essentielle à bonne tolérance cutanée en temps normal. Mais il existe quelques exceptions à cette « règle » : j’ai, par exemple, souvenir d’une pénible expérience avec cette huile essentielle. Bien que diluée, son application cutanée ne s’est alors pas fait sans mal. Surgirent sensation de chaleur, rougeur et érythème douloureux persistant sur une bonne partie du visage. Depuis, je n’utilise plus que l’hydrolat aromatique de géranium rosat en ce qui concerne le visage. Cette huile essentielle, que j’utilise très peu, ne m’occasionne par ailleurs aucun désagrément.
  • L’huile essentielle de géranium rosat, malgré tout les bons services qu’elle apporte à la femme, ne fait pas très bon ménage avec celle qui est enceinte. Elle est régulièrement présentée comme étant un produit à employer avec prudence dès le quatrième mois, mais jamais durant ceux qui précèdent.
  • L’huile essentielle de géranium rosat est déconseillée en cas de phlébite avérée.
  • Les feuilles fraîches de géranium rosat sont comestibles. Il est possible de les utiliser comme matière aromatique en cuisine.
  • Nombreux sont les produits de parfumerie, cosmétique, savonnerie et hygiène qui font appel au pouvoir odoriférant du géranium rosat. Gageons que de l’une aux autres on ne fasse pas intervenir les mêmes types d’huiles essentielles. Si elle peut s’avérer presque nécessaire à la parfumerie (qui est pour moi un luxe bien superflu), il est en revanche peu utile de faire intervenir cette huile essentielle (même de piètre qualité) dans les produits d’hygiène. Cela s’apparente plus à du gaspillage qu’à toute autre chose.
  • Le géranium rosat fait partie de ces plantes qu’on utilise exclusivement sous forme d’huile essentielle sous nos latitudes. N’étant pas une plante indigène, cela en explique la raison. Mais ce géranium ne se borne pas qu’à un seul usage aromathérapeutique. A l’instar du ravintsara malgache et de l’arbre à thé australien, le géranium rosat est utilisé par les pharmacopées locales, par le biais de ce que nous nommons phytothérapie. Son absence sur le sol français limite nécessairement cet usage. Cependant, l’on peut tout de même indiquer quelques données à ce sujet, qui concernent essentiellement des applications externes à base de feuilles de géranium rosat : infusion de feuilles (contre angine, stomatite, glossite), décoction de feuilles (névralgie faciale, douleur gastrique, douleur lombaire, engorgement des seins, dartre, eczéma, œdème des membres inférieurs…), feuilles écrasées et pilées (sur coupure, plaie, ophtalmie, engelure) ou mêlées à de l’huile d’olive comme pommade (sur inflammations des seins, en cas de pédiculose…).

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  1. Chez le pépiniériste, on peut le rencontrer, ainsi que ses nombreuses variétés : ces cultivars généralement annuels sont des espèces très parfumées, fruits d’un travail horticole et d’hybridations multiples et répétées. C’est ainsi que, d’une variété à l’autre, en en froissant très légèrement les feuilles, on perçoit un parfum différent : citron, orange, pomme, abricot, carotte, eucalyptus, pin, cèdre, noix de coco et même chocolat ! Le hic, c’est que sous nos latitudes, ils ne deviennent pas pérennes : on est dans l’obligation de s’en servir dans l’année et d’en faire sécher les feuilles avant que la plante entière ne fane et ne vienne à mourir.
  2. Michel Lis, Les miscellanées illustrées des plantes et des fleurs, p. 70.
  3. Autrefois, pour augmenter le rendement, on agitait l’hydrolat aromatique de géranium rosat obtenu en queue de distillation avec un extractif, l’éther de pétrole. Cela permettait, sur cent litres d’hydrolat, de retirer encore 20 g d’essence qui, s’ajoutant aux 160 obtenus par la distillation de 100 kg de géranium, portait le rendement à pas loin de 0,20 %, ce qui reste bien faible, à l’image de la rose qu’on cohobe de la même manière que le géranium rosat.
  4. Antonin Rolet, Plantes à parfums et plantes aromatiques, p. 207.

© Books of Dante – 2023