Comment une fleur a été à l’origine du premier krach boursier de l’histoire…

Laissez-moi vous compter l’histoire d’une fleur qui tapisse les plates-bandes au printemps, qu’aucun fleuriste digne de ce nom ne ferait l’affront de ne pas exposer dans son échoppe, tant elle est devenue depuis un élément incontournable du panorama floral de nos sociétés occidentales.

Endémique de l’Asie, la tulipe fut tout d’abord domestiquée par les Turcs. Au XVI ème siècle, le Flamand Ghislain Busbecq se rend à la cour de l’empire ottoman en sa qualité de diplomate. Également grand amateur de plantes, c’est là qu’il fait la rencontre de la tulipe dont il adresse quelques bulbes à un autre Flamand de ses amis, Charles de l’Escluse à la fin du XVI ème siècle. Dès le début du siècle suivant, l’on peut dire que la Hollande s’embrase littéralement pour la plante au bulbe précieux, d’autant qu’elle est sujette à un polymorphisme floral : l’on est friand des tulipes « cassées », « marbrées » ou encore « flammées », perturbations dues à un virus.
Cette effervescence prend place au sein de l’âge d’or d’Amsterdam (1600-1750). En plus de la culture du lilas, du jasmin et de l’anémone, on se prend de passion pour cette nouvelle venue, un engouement tel qu’il donnera lieu au premier krach boursier de l’histoire – la tulipomania – en raison d’un marché non organisé laissant libre court aux abus les plus éhontés. C’est exactement en 1634 qu’explose le « délire d’Amsterdam » : de cette date à 1637, non seulement le volume des transactions prend des dimensions dantesques et vertigineuses, mais les prix progressent de près de 6000 % en l’espace de trois années. Mais comme c’est le cas de toute bulle, celle-ci finira par éclater et entraîner la ruine de beaucoup. Un siècle plus tard, oublieuse de ce drame financier et économique, la Hollande récidivera avec une autre fleur, la hyacinthe, jouant avec le feu en 1734 pour finir par s’y brûler en 1739.

Quand on dit que la tulipe peut présenter quelque danger, on ne s’attend pas forcément à ce qu’elle jette les hommes dans la fièvre et la folie. On pense plutôt, du fait de son appartenance à la famille des Liliacées, à un potentiel toxique : en effet, son bulbe contient plusieurs glucosides (tulipaline A, tulipaline B, etc.) et sa consommation entraîne désordres gastro-intestinaux, hypersalivation, convulsions, coma et, parfois, décès. La simple manipulation de bulbes ou de fleurs coupées peut provoquer, lorsqu’elle est chronique, des dermatites de contact se caractérisant par des érythèmes, des sensations de brûlure, des rougeurs, des cloques, le tout additionné de démangeaisons rappelant celles de l’eczéma ou de l’urticaire. Ces deux modes d’intoxication furent à l’origine de deux autres drames : durant la Seconde Guerre mondiale, la famine qui avait ravi à chacun son pain quotidien, poussa les plus pauvres aux dernières extrémités : à défaut de pommes de terre, ils consommèrent des bulbes de tulipe. Quant à la toxicité par voie cutanée dont est cause la tulipe – surnommée « gale de tulipe » –, elle est devenue maladie professionnelle ! Sachez que ces deux revers de l’histoire, qui font pendant à la démesure qui inonda la Hollande aux XVII ème et XVIII ème siècles, concernent bien évidemment les Pays-Bas…

Pourtant, cette fleur sans parfum mais portant belle robe, devrait nous interroger. Dans un vieux conte hindoustani intitulé La rose de Bakawali, la tulipe incarne la jalousie à la vue d’une jeune fille, « fée délicate, sans autre ornement que sa ravissante beauté » (1), que découvre, nuitamment, le héros Taj-ulmuluk, lequel en tombe amoureux éperdument. « Je quitte ce jardin, se dit-il, en emportant dans mon cœur, comme la tulipe, la blessure de l’amour malheureux. Je me retire, la tête couverte de poussière, le cœur saignant, la poitrine brûlée » (2). Dans le langage des fleurs, la tulipe rouge est une déclaration d’amour, la jaune le gage d’un amour impossible. Je vous laisse deviner de quelle couleur était la tulipe de ce conte.
Il y a trois siècles, la Hollande ignorait très certainement que la tulipe est le témoin du tourment. Toute extravagance se paie un jour, tôt ou tard…


  1. La rose de Bakawali, p. 55.
  2. Ibidem, p. 57.

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La scabieuse des prés (Scabiosa succisa ou Succisa pratensis)

Synonymes : succise, scabieuse des bois, mors du diable, racine du diable, herbe du diable, scabieuse tronquée, tête-de-loup, hérisson, charbon, herbe de saint Joseph, fleur de tonnerre, bouquet de monsieur, Marie-Louise, etc.

Avec la scabieuse, inutile de remonter très loin dans le temps, l’Antiquité n’ayant jamais porté aucun intérêt à cette plante. Tout semble démarrer pour elle au Moyen-Âge : « Mais à quoi ne sert point l’utile scabieuse !, s’exclame-t-on à l’école de Salerne. Elle est bonne aux vieillards, adoucit les poumons, corrige l’estomac, conforte la poitrine, apaise du côté la douleur intestine ; son jus pris dans du vin dissipe les poisons ». Bien vaste mot que celui de « poison ». A une époque où bactéries et virus sont inconnus, on n’hésite pas à mettre sur le compte de venins mortifères et de miasmes méphitiques des maladies graves comme la peste, c’est pourquoi la pharmacopée médiévale fit de la scabieuse un préservatif contre ce fléau. Ainsi, brûler de la scabieuse sur des charbons ardents, en avaler la décoction, représentaient-ils des moyens de s’assurer une immunité face à cette maladie meurtrière. Non moins dangereux que la peste, l’anthrax, autre maladie infectieuse également connue sous le nom de « charbon » et provoquée par Bacillus anthracis, faisait intervenir la scabieuse comme le relate le Grand Albert : « la scabieuse et l’oseille, cuites sous la cendre et en forme de cataplasme avec des jaunes d’œufs et du beurre frais, les renouvelant souvent, y sont admirables » (1). Mais soyons circonspects : les mots lèpre, peste, charbon, etc. pouvaient être attribués à des affections qui n’avaient que peu de rapport, de même que bien des hémoptysies furent jugées comme symptôme tuberculeux.

A la Renaissance, l’on est plus mesuré dans ses propos, ce qui fait que cela positionne la scabieuse à sa juste place. Matthiole a beau faire de cette plante un remède encore employé contre l’anthrax et les morsures de serpents, il lui fait correspondre des affections pour lesquelles elle est tout à fait appropriée, à savoir celles des voies respiratoires et de la peau, comme les furoncles par exemple. D’ailleurs, le nom de la scabieuse fait en partie référence à ses propriétés cutanées : il est issu du latin scabies signifiant « gale », et aujourd’hui encore, bien que rarement, on emploie les adjectifs scabieuse et scabieux pour désigner, en pathologie, une affection galeuse. Quant à succisa, lui aussi raconte une histoire : il provient du latin succido qui, au XVI ème siècle, concernait la racine de la scabieuse qui présente une échancrure la faisant paraître comme mordue. Ainsi succido, « couper en dessous », vaut-il l’autre adjectif qu’on utilisait autrefois pour appeler cette plante, praemorsa. « On racontait que le diable, furieux de lui savoir tant de propriétés médicinales, lui avait tranché la racine d’un coup de dent » (2), ce qui explique son surnom vernaculaire de mors (pour morsure) du diable, locution que l’on croise dans d’autres langues européennes : l’italien morso del diavolo, l’anglais devil’s bit et l’allemand teufelsabbiss rendent compte d’une unité autour de cette anecdote.
Mais revenons-en à nos moutons. Boerhaave (1668-1738) vantait la scabieuse dans la pleurésie et la pneumonie, établissant après Matthiole la réputation de cette plante dans les troubles de la sphère respiratoire. Mais il apparaît que cette plante a complètement fait défaut à Cazin. Non seulement avant lui on traite des affections respiratoires grâce à son aide, mais après lui, c’est aussi le cas (cf. les travaux d’Henri Leclerc). La scabieuse aurait-elle joué un tour malicieux au médecin calaisien ? Ne dit-on pas, puisque nous avons parlé de lui, que le diable se cache dans les détails ? Au grand dam de Cazin, la scabieuse qu’il lui est arrivé d’employer dans sa pratique médicale n’est pas la scabieuse des prés mais celle des champs, dont il dit qu’elle « a les mêmes propriétés que la scabieuse des champs, mais à un plus haut degré si l’on en juge par son astringence et son amertume » (3). Tout s’explique : Cazin ne s’est pas servi de la même plante que ses collègues, aussi comment pourrait-on bien obtenir les mêmes résultats qu’eux ? Il faut dire que la botanique des scabieuses et autres plantes apparentées est particulièrement complexe, pour ne pas dire scabreux, à l’image de celle des ex Ombellifères, et qu’elle a fait s’arracher les cheveux à des générations de botanistes, jusqu’à récemment encore. Qu’attendre de plus d’une planté née sous le sceau du diable ?

Il est bien évident qu’il y a un peu de magie dans cette plante, sans quoi l’on n’aurait jamais fait appel à elle pour lui faire jouer le rôle d’oracle sentimental : saviez-vous que si jamais une jeune fille ne réussit pas à ôter le cœur d’une de ces fleurs en un seul coup de couteau, cela signifie que ses parents s’opposent au mariage qu’elle a en vue avec tel ou tel ? Et que si elle y parvient, cela peut être le gage de beaucoup d’enfants ? En Belgique, on se sert de cette fleur comme on le fait ailleurs de la joubarbe : on attribue autant de noms de prétendant(e)s que la plante a de boutons. Le premier qui vient à éclore désigne la personne qui viendra se marier avec celle qui se livre à cette étonnante interrogation florale. Mais gare au diable, la scabieuse pourrait bien désigner la mauvaise personne ! En Vendée, au cas où un futur mariage se verrait contrarié par quelque volonté parentale, les deux amoureux coupent en deux une fleur de scabieuse, chacun devant conserver sur soi sa moitié neuf mois durant. Passé ce délai, les épousailles sont censées être possibles. Mais cette maline scabieuse, pour en terminer avec cette rubrique, ne dit pas toujours ce que l’on souhaite entendre : en Bourgogne, si une jeune fille découvre un bouquet de scabieuses à sa fenêtre, ça n’est pas bon signe : elle est assurée de finir « catherinette ».

La scabieuse est une plante vivace possédant une forte souche souterraine de laquelle émergent des tiges de hauteur variable (30 à 100 cm), généralement assez peu ramifiées. Comme bien des plantes, en particulier celles appartenant à la famille des Astéracées, la scabieuse est dotée, à sa base, d’une rosette de feuilles radicales de couleur glauque. Quelques étages plus haut, nous voyons d’autres feuilles lobées et très découpées, surmontées de longs pédoncules au bout desquels se juche une fleur solitaire, que dis-je, un capitule globuleux de fleurs serrées les unes contre les autres comme des manchots empereurs sur la banquise. Ces capitules de 2 à 4 cm de diamètre arborent une jolie couleur allant du mauve au lilas et fleurissent généralement entre juin et octobre. Après floraison, quand on observe un capitule fructifié, on remarque un dense réseau de fruits – des akènes de 5 mm de longueur – dessinant des hexagones quasi réguliers (4), un capitule dont la forme générale aura fait surnommer la plante tête-de-loup, d’après sa ressemblance avec cet instrument télescopique permettant de nettoyer des endroits inaccessibles au seul bras, ou hérisson en référence à l’outil du ramoneur. De plus, certaines scabieuses, aux fruits particulièrement noirâtres, ont fait qu’on a quelquefois employé l’expression « des yeux de scabieuse » pour désigner le propriétaire d’yeux d’un noir velouté.
Très commune, vivant généralement en colonies couvrant de vastes surfaces, la scabieuse est une herbe de plein air, là où le soleil lui est nécessaire, mais ne négligeant pas quelque humidité au niveau de ses racines. C’est pourquoi des lieux tels que champs cultivés ou non, prés, prairies, clairières, bordures de chemins, en plaine comme en moyenne montagne (2000 m), lui sont favorables.

La scabieuse des prés en phytothérapie

Voici encore un remède phytothérapeutique oublié des modernes, pourtant la scabieuse sait pourvoir la matière médicale de ses feuilles, fleurs et racine. Les fleurs contiennent une saponine et les feuilles du saccharose, deux substances également présentes dans la racine, laquelle recèle tanin, principe amer, amidon, sels minéraux (calcium, sodium, potassium, soufre, fer, phosphore) et un hétéroside auquel la scabieuse a donné son nom : la scabiosine.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique amère légère, apéritive, digestive, stomachique, sialagogue
  • Expectorante, fluidifiante des sécrétions bronchiques
  • Dépurative, sudorifique
  • Détersive, astringente
  • Ophtalmique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : congestion pulmonaire, bronchite, broncho-pneumonie, pneumonie, asthme, toux, maux de gorge, enrouement, laryngite, trachéite, ulcération de la gorge
  • Adjuvant dans les maladies infectieuses (rougeole, varicelle, grippe, oreillons)
  • Fièvre légère
  • Douleur utérine, leucorrhée
  • Diarrhée, vers intestinaux
  • Affections cutanées : dartre, dermatose, eczéma suintant, ecchymose, ulcère, teigne, gale, démangeaisons
  • Affections buccales : ulcération de la bouche, aphte

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles
  • Décoction de racine
  • Décoction de la plante entière (rafraîchissement du teint, lotion oculaire)
  • Cataplasme de feuilles fraîches hachées
  • Cataplasme de racine fraîche hachée
  • Macération vineuse ou alcoolique de racine
  • Teinture-mère
  • Pommade (scabieuse, sanicle et bugle mêlées à un corps gras)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : fleurs et feuilles se récoltent au début de l’été, la racine en automne.
  • Autres espèces : scabieuse des champs (S. arvensis), scabieuse colombaire (S. columbaria), scabieuse des bois (S. sylvatica), scabieuse jaune (S. ochroleuca), scabieuse knautia (Knautia arvensis), etc.
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    1. Grand Albert, p. 252.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 876.
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 870.
    4. L’hexagone est la figure géométrique la moins encombrante pour remplir un espace limité ; considérez les alvéoles d’une ruche.

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Les bézoards

Objet typique des cabinets de curiosités, le bézoard était usité comme matière médicale il y a encore trois siècles. Par exemple, en Allemagne, un médecin du nom de Samuel Ledelius fait figurer parmi l’arsenal thérapeutique les bézoards entre autres choses, dans un cas qu’il juge désespéré et qui s’avéra être, en réalité, une scarlatine affectant une fillette de six ans. Bien entendu, l’on mit sa guérison sur le compte des bézoards et autres procédés qui nous paraissent aujourd’hui farfelus. C’est qu’il fallait bien perpétuer au bézoard sa qualité première, celle d’antidote, puisque son nom même explique sa fonction : l’arabe bad-zahr est explicite : « qui protège du poison ».

On rangeait les bézoards auprès d’autres objets médico-magiques du même acabit : cornes de licorne, pierres de crapaud, fossiles, pierres de langue, etc. Mais qu’est-ce donc au juste qu’un bézoard ? Contrairement aux divers objets que nous venons de citer qui sont, au pire une mystification, au mieux une mauvaise interprétation de leur réelle identité, le bézoard est une concrétion minérale, agglomérat de corps étrangers, mais en grande partie composée de carbonate de calcium, qui se développe dans l’estomac de certains animaux comme les antilopes et les chèvres. Sous l’aspect d’une masse dure, ronde ou oblongue, le bézoard se pare de différentes couleurs (jaune, brun, beige, verdâtre, noirâtre).

On a expliqué que le bézoard était un remède souverain parce que les animaux qui le portent l’imprègnent du suc des plantes médicinales qu’ils choisissent, avec le plus grand soin, d’absorber. De doctes compilateurs sont même allés jusqu’à prétendre que les bézoards parmi les meilleurs étaient ceux provenant de lointains pays (Perse, Siam, Pérou…) et d’animaux pour la plupart inconnus des Européens, pratique similaire à celle d’aujourd’hui, où l’on frétille à l’idée d’une quelconque drogue issue de pratiques soi-disant millénaires et pour laquelle on érige – marketing oblige – un portrait pour le moins flatteur…

Ainsi, il y a encore trois siècles, on croyait dur comme fer aux supra-pouvoirs du bézoard, et ceux qui en affirmaient la puissance n’étaient pas des rebouteux du fin fond de la brousse, mais des lettrés s’adressant à ceux qui savaient lire, c’est-à-dire assez souvent des nantis, raison de plus pour que le bézoard se monnaye à prix d’or. Une fois acquis, le bézoard s’utilisait de multiples manières : on le râpait finement, on le pulvérisait, puis on le mêlait à quelque potion ou à ses aliments. De même que cela se pratique en lithothérapie, on faisait tremper le bézoard dans un quelconque remède afin de lui ajouter ses propres forces qui, si l’on en croit ce qui se disait à cette époque, permettait de guérir une pléthore de maux parmi lesquels nous trouvons la peste, la petite vérole, l’épilepsie, la mélancolie, les morsures de serpents venimeux, toutes choses qui ne font pas exactement partie des bobos du quotidien. Selon les moyens qui étaient les siens, on « magnifiait » le bézoard en le montant en pendentif, enchâssé d’or et serti de pierres précieuses. Certaines cours royales s’y adonnèrent. Seulement, cette « pierre de fiel » ou « perle d’estomac » comme on la surnomme parfois, est composée, comme nous l’avons dit, de carbonate de calcium, constituant craie, marbre, calcite, aragonite, substance minérale très peu soluble dans l’eau. Autant dire que les infusions et autres macérations des Anciens devaient être bien peu pourvues d’effets et qu’il fallait sans doute mettre sur le compte de ses succès son pouvoir talismanique.

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Le troène (Ligustrum vulgare)

Synonymes : petit fusain gris, frézillon, trouille, trogne, raisin de chien, puin, puine, truffetier, meuron, fragion, sauveignot, sauvillot, purlin, etc.

Ligustrum. Encore un nom affublé à une plante et dont on ne saurait rien dire. De même que l’étrange troène (autrefois troëne) que le vieux français orthographiait troine après l’avoir emprunté au germanique turgil (l’allemand actuel hartriegel me semble être une dérivation de ce terme).
Abondant en Grèce et en Italie, ainsi le troène fut-il connu des Anciens. Bien avant que l’on ne s’occupe de classer les espèces végétales selon les clés de la botanique moderne, Dioscoride avait déjà repéré une parenté entre le troène et l’olivier : « le troène est un arbre qui produit à l’entour des branches des feuilles qui ressemblent à celles de l’olivier, mais plus larges, plus tendres et plus vertes », ainsi que la confusion, toujours actuelle en ce qui concerne les troènes sauvages, que l’on peut faire entre ses fruits et ceux du sureau : « le fruit est noir, semblable à celui du sureau » (1). Si, effectivement, le troène n’a rien à voir avec le sureau, il est aujourd’hui rangé dans la famille botanique des Oléacées à laquelle l’olivier à donné son nom. Pour le médecin grec, le troène est recommandable dans des affections qui ont perduré à travers les siècles : brûlures, inflammations cutanées, ulcères buccaux. Virgile, poète sensible, remarquait dans ses Bucoliques que « alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur » (= les blanches fleurs du troène tombent au sol, ses baies noires se ramassent).

Au Moyen-Âge, que dit-on à propos du troène ? En vérité, peu de chose. Et en mal, comme le relate Hildegarde de Bingen au XII ème siècle. D’après elle, De schulbaum « est froid ; il est comme l’ivraie et ne vaut rien pour les médicaments. Sa sève et ses fruits sont inutiles pour l’homme. Si quelqu’un mangeait de sa graine ou de son fruit, ce serait pour lui comme une sorte de poison » (2). Fort heureusement, quelques siècles plus tard, Matthiole est bien plus inspiré : en 1554, il écrit à propos « de l’huile où ont macéré ses fleurs et qui, après insolation, est de grande efficacité sur les plaies enflammées et contre les maux de tête d’origine biliaire. Il ajoute que l’eau préparée avec ces mêmes fleurs est très utile contre l’entérite, la dysenterie, la diarrhée, l’hémoptysie et les pertes utérines » (3). Puis, après, c’est le trou noir en ce qui concerne le troène, l’arrivée massive de substances étrangères n’y étant très certainement pas pour peu.

Qui ne connaît pas le troène ? Même si son nom ne vous dit rien, vous êtes forcément passé, un jour ou l’autre, auprès de l’un de ses représentants. Il s’agit d’un arbuste atteignant cinq mètres de haut dans la nature, bien plus fréquent comme espèce domestique et donc moins haut parce que taillé pour former des haies. Ses rameaux glabres, de couleur brun verdâtre, portent des feuilles opposées une à une, courtement pétiolées, qui tombent tôt dans la saison ou bien persistent durant tout l’hiver. Ses fleurs, constituant de blanchâtres panicules aux relents aromatiques quelque peu âcres, fleurissent en juin et juillet, puis, fanant, donnent naissance à des baies en forme de bille, tout d’abord vertes, puis noires et luisantes à parfaite maturité.
Le troène, espèce thermophile, se cantonne en basse altitude où il trouve la majeure partie de ses lieux de vie favoris : bois, broussailles, fourrés, lisières de forêts, à condition qu’il s’agisse de lieux frais et assez ombragés.

Le troène en phytothérapie

Dire du troène qu’il fut précieux pour les Anciens (Antiquité, Renaissance) serait exagéré. Disons simplement qu’à l’instar de beaucoup d’autres plantes, il eut un rôle à jouer et qu’un jour il fut dédaigné de la médecine officielle sans pour autant disparaître des usages populaires européens. Par ailleurs, dans d’autres contrées comme la Chine, il poursuit tranquillement sa carrière thérapeutique dont le profil est fort différent de celui qu’on lui attribua en Europe occidentale. Par exemple, en Europe on utilise exclusivement les feuilles et les fleurs alors qu’en Chine on se concentre surtout sur les graines, puis les feuilles, enfin l’écorce. Deux visions très différentes expliquent qu’on ne puisse pas faire appel partout aux mêmes produits végétaux, car elles sont la résultante d’un cheminement séculaire. La graine, en Europe, on se contente simplement de dire qu’elle contient de 15 à 20 % d’une huile dont on n’a jamais fait aucun usage, tandis qu’en Chine c’est la matière médicale principale offerte par le troène. Nous pouvons néanmoins partager quelques données biochimiques : l’écorce et les feuilles du troène présentent à l’analyse une substance amère du nom de ligustron, du tanin, de la résine, du saccharose, du sucrase et de l’émulsine. En revanche l’écorce contient de la syringine absente des feuilles, une molécule hypotensive tout d’abord extraite du lilas, Syringa vulgaris.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringent léger (interne comme externe), vulnéraire, détersif, cicatrisant
  • Fébrifuge
  • Antidiarrhéique
  • Pectoral
  • Probablement antihémorragique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée chronique, dysenterie, ulcération de l’estomac et des intestins
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, stomatite, aphte, ulcération, ulcération scorbutique
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, bronchite chronique, angine, refroidissement, maux de gorge
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrorragie, métrorrhée, ménorragie, leucorrhée, sclérose atrophique de la vulve (kraurosis)
  • Affections cutanées : dermatite, brûlure légère, coup de soleil, escarre

Note : en médecine traditionnelle chinoise, le nuzhenzi, de saveur douce et amère, est considéré comme un tonifiant de l’énergie des méridiens du Foie et des Reins. Les graines du troène s’administrent contre les douleurs osseuses et tendineuses des genoux et du dos. Diverses préparations luttent contre la nervosité, la dépression ainsi que l’insomnie.

Modes d’emploi

  • Infusion de fleurs et de feuilles
  • Décoction de feuilles
  • Décoction de graines
  • Macération vineuse de feuilles
  • Macération vineuse de graines

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : fleurs et feuilles à l’été, fruits (pour l’obtention des graines) en fin d’automne.
  • Toxicité : elle apparaît incertaine, du moins aléatoire. Les baies, autrefois employées comme purgatif, doivent nécessairement avoir quelque effet, mais les avis sur cette question divergent : on dispose de descriptions d’empoisonnements mortels et de témoignages démontrant l’innocuité de ces baies. Les animaux, quant à eux, ne semblent point incommodés par ces baies (merle, grive, perdrix, chèvre) ni par les feuilles de troène (vache, chèvre, brebis).
  • Le bois du troène, très résistant face aux insectes et à la vermine, permet lorsqu’il est jeune, sous forme de rameaux flexibles, des travaux de vannerie. Quant aux baies, noir violacé, elles contiennent un pigment qui fut autrefois utilisé pour donner de la couleur à certains vins qui en manquaient, ainsi que dans l’art de l’enluminure.
  • Cazin nous apprend que « les morilles se plaisent au pied du troène » (4). Aussi, si jamais vous avez chez vous une haie de ces arbustes, surveillez-les, sait-on jamais :)
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    1. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 106.
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 182.
    3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 940.
    4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 957.

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L’essence de bergamote (Citrus bergamia)

Dans la tribu des agrumes, la bergamote se distingue, non seulement parce que c’est un drôle de phénomène plein de pétillant et de charme, mais aussi parce qu’on a voulu lui attribuer plusieurs lieux de naissance et des parents tout aussi nombreux. En effet, certains disent qu’elle vient de l’ouest : ils affirment que c’est Christophe Colomb qui aurait découvert le bergamotier dans les îles Canaries, puis ramené en Espagne où, une fois cultivé, il expliquerait le nom de la ville de Berga située au nord de Barcelone. Sauf que les Italiens ne l’entendent pas de cette oreille. Ils rétorquent donc qu’il n’est qu’à considéré une ville lombarde du nord de l’Italie, Bergame, pour se convaincre que la bergamote en est bien originaire. Aujourd’hui encore le plus gros de la production mondiale (95 %) se situe, certes, en Italie, mais pas au nord, le bergamotier étant particulièrement frileux, mais au sud, en Calabre, c’est-à-dire au niveau de la pointe de la « botte ». Plus à l’est, émane un écho qui nous répète que non, ça n’est ni d’Italie ni d’Espagne que provient le bergamotier. Jugez-en par vous même, la Turquie ne possède-t-elle pas une ville du nom de Pergame n’entretenant-elle pas quelques consonances phonétiques avec la bergamote, par hasard ? C’est du moins ce qu’affirment les Turcs, lesquels font remonter son origine bien avant Christophe Colomb, parce que oui, tout cela serait aussi ancien que le temps des Croisades. Là, je dis : je vois pas l’rapport. On a même fait l’hypothèse que le nom même de la bergamote serait issu du turc beg-armadê, ce qui signifie « poire du seigneur », comme sa forme semble (vaguement) l’indiquer. Comme je dis, l’étymologie, c’est bien, mais pas d’usage prolongé sans avis médical, parce que, à force, on réussirait à mettre des ronds dans des carrés ou, plus fort encore, Paris en bouteille. Bref. Trêve de palabres. Ce mot a-t-il un rapport avec la Calabre ? Si ! Non ? Pourtant, ça sonne pareil… Dire de la bergamote qu’elle rend quelque peu euphorique, ça, en revanche, ça n’est pas de la blague. Bon, donc ? Où en étions-nous ? Ah oui ! Que l’on cesse de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Plutôt que de chercher vainement à tirer la couverture à soi, soyons honnêtes et reconnaissons humblement qu’on ne sait d’où sort cet arbre qui fait couler beaucoup d’encre pour pas grand-chose. Non seulement on ne sait pas d’où il vient, mais on ignore (presque) comment il est arrivé sur terre. Il paraît qu’il ne vit pas à l’état sauvage, ce qui est ridicule si l’on considère qu’il serait naturellement né d’une hybridation entre x et y. Par ailleurs, on soutient que la bergamote serait le fruit de la greffe d’un citronnier sur un oranger sauvage, d’un bigaradier avec un limettier, etc. Bien sûr qu’il se rapproche de tous ceux-là par son caractère semper virens s’exprimant à travers des feuilles vert foncé, luisantes et coriaces, et des fleurs blanches extrêmement parfumées. L’on peut avancer que l’aspect grumeleux de l’écorce de son fruit offre quelque ressemblance avec celle du cédrat, que l’incomestibilité de ses quartiers acides et amers rappelle l’orange amère ou bigarade, que la couleur de son péricarpe fait penser à celle d’un citron anémique, etc. Tous cela fait que la bergamote, l’on sait davantage ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est ^_^

L’essence de bergamote en aromathérapie

La bergamote en tant que tel n’ayant jamais suscité l’adhésion de la pratique médicale que l’on nomme phytothérapie, c’est l’aromathérapie qui s’est emparée d’elle avec succès. Caractérisée par un parfum hespéridé – terme idoine dès lors qu’on évoque les essences d’agrumes – la bergamote, dont on exprime les zestes à froid, permet d’obtenir une essence de couleur vert pâle, parfois vert brunâtre quand elle n’est pas émeraude. D’odeur fraîche, autant fleurie que fruitée, un tantinet piquante et acide, poudrée comme disent les parfumeurs, l’essence de bergamote s’obtient en petites quantités : il faut compter un rendement n’excédant pas 0,5 %. Contrairement à d’autres essences (citron, orange douce), elle ne fait pas la part belle aux seuls monoterpènes, bien qu’ils restent majoritaires (50 %, dont limonène, gamma-terpinène, bêta-pinène) et s’en démarque par ses esters, dont l’acétate de linalyle (22 à 35 %) qui la rapproche de l’huile essentielle de petit grain bigarade et de lavande fine, de même que par le linalol (3 à 15 %), également présent dans les deux huiles essentielles que nous venons de citer. Point commun à toutes les essences d’agrumes, la bergamote contient des furanocoumarines (bergaptène : 0,2 à 0,4 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Sédative du système nerveux central, équilibrante du système nerveux autonome, calmante, relaxante, anxiolytique, antispasmodique
  • Anti-infectieuse (antifongique, antibactérienne), antiparasitaire, antiseptique atmosphérique
  • Digestive, stimulante stomacale, régulatrice de l’appétit
  • Hypotensive, régulatrice cardiaque, anticoagulante
  • Hépatostimulante, cholagogue
  • Antiseptique, cicatrisante, raffermissante et régénératrice cutanée

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : anxiété, angoisse, agitation, irritabilité, stress, nervosité, trac, insomnie (y compris celle des enfants), déprime
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion difficile, inappétence, aérophagie, ballonnement, colite infectieuse, parasites intestinaux (oxyures, ascaris)
  • Troubles de la circulation sanguine : varice, hémorroïde, hématome, couperose
  • Troubles locomoteurs : rhumatismes, arthrose, courbature
  • Affections buccales : inflammation, gingivite, herpès labial, halitose
  • Affections cutanées : peau fatiguée, vergeture, psoriasis, eczéma, vitiligo, soin des cheveux gras, séborrhée
  • Asthénie profonde
  • Mycoses : candidose, aspergillose

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Outre les usages cités ci-dessus, l’essence de bergamote apporte un apaisement aux personnes agitées, nerveuses, inquiètes, soucieuses et tourmentées. Elle intervient, à la manière du néroli lors de chocs brutaux, qu’ils soient d’origine physique ou psychique ; de même, elle gomme les bobos occasionnés par l’existence. Elle redonne confiance et assurance. Elle offre la possibilité à des personnes qui ont honte d’elle-même de retrouver le goût de s’apprécier à nouveau. Elle commande l’affirmation de soi, que ce soit en donnant courage et désir d’entreprendre, qu’en dissolvant les peurs et les angoisses qui empêchent d’oser. Elle sera donc parfaite pour asseoir créativité et communication, lesquelles sont nécessaires aux personnes qui ont le trac à la veille d’un événement, d’une intervention en public. Elle apporte joie et bonne humeur, à l’instar de sa copine, l’orange douce. Elle aide les personnes dont les comportements sont marqués par la dépendance : tabac, alcool, nourriture.

Pour les enfants : en compagnie d’une autre de ses copines, l’huile essentielle de bois de rose, et lorsque mandarine et orange douce font défaut, on peut très bien employer l’essence de bergamote lors de la séparation du coucher, lors du passage à l’endormissement ainsi que pour les réveils nocturnes, les pleurs et les chagrins, les cauchemars. Un massage doux des pieds et des mains devrait aider bébé à retrouver toute sa quiétude :)

Enfin, cerise sur le gâteau, citons un court passage du Guide de l’olfactothérapie : « D’une sensualité veloutée, chaude et à l’odeur poudrée […], bergamote est idéale lors des moments de déprime ; cette apparente farceuse, tranquille, surprenante, est quand même une sérieuse… qui ne sait pas toujours le rester : elle s’amuse à révéler chez qui se tourne vers elle cette part d’enfance qui a encore et toujours envie de découvrir et de se découvrir. Car il y a de l’espiègle dans ce petit fruit qui ressemble tant au rejeton d’une orange qui aurait fauté avec un citron ; un pétillant que l’on retrouve dans ses fragrances et qui nous guide vers ce que nous avons de plus raisonnablement juvénile » (1).

Modes d’emploi

  • Diffusion atmosphérique
  • Inhalation sèche et humide
  • Voie interne
  • Voie cutanée avec beaucoup de précaution (cf. infra)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • A éviter en cas de lithiases biliaires.
  • A ne jamais appliquer pure sur la peau pour au moins deux raisons :
    – D’une part, elle est photosensibilisante. L’une des molécules que l’essence de bergamote contient, le bergaptène, en s’alliant avec les UV peut provoquer une mélanogénèse ainsi qu’une carcinogénicité. Ainsi pas d’exposition au soleil après s’être appliqué de l’essence de bergamote sur la peau. Les utilisateurs d’un célèbre produit de protection solaire des années 1960 en ont été pour leurs frais : ce produit contenait de l’essence de bergamote qui a provoqué sur la peau de ses utilisateurs des tâches cutanées indélébiles.
    Il existe de l’essence de bergamote sans bergaptène. C’est plus cher et c’est moins bien, donc… ^^
    – D’autre part, elle est allergisante. Une allergie est une réaction de l’organisme qui est liée à la libération d’histamine à la suite d’un contact avec un allergène. Quand l’organisme rentre en contact avec cet allergène, ce dernier est identifié. Lors d’un second ou d’un pénultième contact avec le même allergène, ce dernier est reconnu. C’est alors qu’une réaction inflammatoire se produit le plus souvent à travers une lésion cutanée (érythème avec sensation de chaleur, prurit, urticaire, etc.).
    Ainsi donc, la bergamote est un révélateur. Elle permet d’exprimer physiquement ce qui sommeille en nous alors qu’une allergie indique une sur-activité du système immunitaire qui réagit violemment à une menace qui n’existe pas toujours. Comme l’indique si bien Jacques Martel dans son Grand dictionnaire des malaises et des maladies, « l’allergie fait référence au passé qui contrarie ou agace mon présent » (2). Tout ceci n’est pas si éloigné de ce que j’indique dans le point Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques. Il y a de sacrés parallèles à mettre en évidence ce me semble ^^
  • Outre l’aromathérapie, les deux autres grands domaines où excelle la bergamote sont l’industrie alimentaire et la parfumerie. Les amateurs d’Earl grey ou de confiseries nancéiennes devraient comprendre de quoi je parle, de même ceux appréciant l’eau de Cologne (dont la formule contient non seulement de la bergamote, mais aussi du néroli et de la lavande) ou bien encore un parfum comme Shalimar de Guerlain
    _______________
    1. Collectif, Le guide de l’olfactothérapie, p. 135.
    2. Jacques Martel, Le grand dictionnaire des malaises et des maladies, p. 41.

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Les oxalis (Oxalis sp.)

Oxalis petite oseille

  • Oxalis petite oseille (Oxalis acetosella)
  • Oxalis corniculé (Oxalis corniculata)

Synonymes : oxalide, oxalis des bois, oseille de bûcheron, oseille de lièvre, oseille de brebis, oseille de bique, oseille à trois feuilles, oseille de Pâques, alléluia, vinaigrette, trèfle aigre, surelle, pain de coucou, herbe au coucou, etc.

Les oxalis sont de petites plantes vivaces qui ne dépassent pas 15 cm de hauteur. Rampantes, elles se propagent grâce à un rhizome grêle et peuvent rapidement devenir envahissantes. Ne possédant aucune tige, pédoncules floraux et pétioles foliaires naissent directement de la souche du rhizome, comme le font la plupart des fougères. Des feuilles cordiformes groupées par trois augmentent la ressemblance avec le trèfle. L’oxalis petite oseille possède des fleurs blanches veinées de mauve alors que celles de l’oxalis corniculé sont de couleur jaune. Chez l’un et l’autre, les fleurs, qui s’ouvrent vers 9h00 du matin, se ferment à la tombée du jour (ou en cas de temps couvert ou pluvieux), les feuilles font de même la nuit, « protégeant par là la plante contre une perte excessive calorique » (1). Fleurissant dès le mois d’avril, ils apparaissent du temps de Pâques, ce qui leur a valu le surnom d’alléluia, car cette fleur « annonce comme un renouveau de la vie » (2). Les fruits formés ressemblent à des capsules qui explosent et libèrent leur contenu jusqu’à un mètre de distance au moindre frôlement.
Les oxalis, assez fréquents jusqu’à 1500 m d’altitude, affectionnent les terrains acides, les espaces boisés de feuillus comme de conifères, humides, ombrageux, mais également les prés et les jardins, surtout pour l’oxalis corniculé. Très communes dans toute l’Europe, ces plantes sont rares ou absentes dans les régions méditerranéennes.

Le curieux nom d’oxalis provient du grec oxus qui veut tout à la fois dire pointu et piquant : « il peut avoir été donné à la plante à cause de l’extrémité pointue de ses feuilles ou bien à cause de sa saveur » (3). Sachant le goût aigrelet de l’oxalis, nous retiendrons cette seconde hypothèse, renforcée, dans le cas de l’Oxalis acetosella, par l’adjectif acetosa, « acide ».

Simplicité élégante, affection réconfortante, l’oxalis est aussi l’emblème de la Trinité du fait de ses feuilles trifoliolées. En Irlande, où elle porte le nom de shamrock, cette plante est insigne national. Le 17 mars, jour de la Saint-Patrice, la tradition veut qu’on accroche des feuilles d’oxalis à son chapeau et, dans certains bars, l’on sert du gin dans lequel trempent quelques feuilles. Quant à la confusion qui est souvent faite avec le trèfle, elle s’explique par le fait que l’oxalis « s’est raréfié avec le défrichement des forêts, le trèfle s’est souvent substitué à l’oxalide dans l’usage récent de l’Irlande » (4). Une espèce voisine, Oxalis griffithii, miyama-katabami en japonais, figure au sein de l’héraldique nippone.

Les oxalis en phytothérapie

Outre la grande quantité d’eau que contiennent les feuilles d’oxalis, nous notons la présence de mucilage dans leur tissu, mais surtout d’une substance baptisée oxalate de potasse, en relation avec le nom de ces plantes et surtout parce qu’elles en recèlent de 0,3 à 1,25 %. Parfois confusion est faite entre l’oxalate de potasse et l’aide oxalique. Ce dernier « s’obtient en décomposant l’oxalate de potasse par l’acétate de plomb ; on traite le précipité par l’acide hydrosulfurique, et on fait cristalliser la liqueur » (5). Ainsi l’on recueille de petits cristaux de couleur blanche, aigus, piquants et opaques, également connus sous le vocable de sel d’oseille.
Dans ce qui va maintenant suivre, nous entremêlerons propriétés et usages propres à deux oxalis : l’oxalis petite oseille (O. acetosella) et l’oxalis corniculé (O. corniculata). Si le premier se cantonne surtout à l’Occident, nous aurons l’occasion de constater que la phytothérapie chinoise aura, de beaucoup, su tirer davantage de profits de cette seconde espèce qui est pourtant tout aussi commune que la précédente, à tel point qu’elle fait le cauchemar des jardiniers devant le caractère invasif qu’il déploie face à leurs potagers. Nous signalerons chaque usage chinois par un *.

Propriétés thérapeutiques

  • Toniques, stimulants
  • Astringents légers, maturatifs, caustiques
  • Anti-infectieux, antiputrides
  • Désaltérants, rafraîchissants
  • Diurétiques, dépuratifs
  • Laxatifs légers, accroissent l’action des purgatifs
  • Anti-inflammatoires
  • Antiscorbutiques
  • Emménagogues (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée*, dysenterie*, embarras gastrique, constipation chronique
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite*, hématurie*, rétention urinaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée*, métrite, inflammation ovarienne, menstruations difficiles
  • Affections de la bouche et de la gorge : maux de gorge*, angine, stomatite, gingivite*, ulcération
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : affections bilieuses, ictère*, hépatite*
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux*, asthme*
  • Affections cutanées : furoncle, exanthème, abcès froid, tumeur scrofuleuse, contusion*, hématome*, brûlure (premier et deuxième degré)*
  • Scorbut
  • Saignement de nez*
  • Accès fébrile (adjuvant)

Modes d’emploi

  • Décoction de feuilles fraîches ou sèches
  • Suc frais
  • Sirop
  • Cataplasme de feuilles cuites
  • Feuilles fraîches mâchées

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut s’effectuer dès le printemps et se poursuivre durant toute la bonne saison.
  • Séchage : il amoindrit de beaucoup les propriétés de la plante. Le seul cas où l’oxalis requiert d’être sec, c’est pour élaborer une décoction antiscorbutique.
  • Toxicité : une consommation d’oxalis, que ce soit thérapeutique ou alimentaire, expose à certains risques dont l’effet cumulatif dans l’organisme de l’oxalate de potasse est responsable. Considérez que 100 g de feuilles fraîches représentent environ 1 g de cette substance : à ce stade, cette quantité est déjà toxique pour l’enfant. Donc, pas d’usage sporadique massif, mais encore moins d’usage limité au long cours, l’oxalis risquerait d’entartrer l’organisme, c’est pourquoi il est déconseillé aux rhumatisants, goutteux, arthritiques et lithiasiques. Sur les dangers de l’oxalate de potasse, je renvoie le lecteur à la monographie portant sur les oseilles.
  • Alimentation : de saveur plus fine et moins agressive que les petite et grande oseilles, l’oxalis s’emploie dans les mêmes cas qu’elles deux. Il est possible d’incorporer les feuilles à un potage, un bouillon, etc. Crues, elles se marient bien avec la laitue.
  • L’oxalis, ainsi que les oseilles, furent autrefois de grandes sources d’extraction d’oxalate de potasse, comme cela se fit en Suisse où cette plante est très courante. Ce sel d’oseille trouva différents rôles : détachant (taches d’encre), teinture de la soie et de la laine, ravivement du carthame des teinturiers, blanchissement de la paille, etc.
  • Autres espèces : on en compte de très nombreuses dont l’oxalis des jardins (O. stricta), l’oxalis florifère (O. floribunda), etc.
    _______________
    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 717.
    2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 721.
    3. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 580.
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 718.
    5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 44.

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Oxalis corniculé

Le symbolisme lunaire du lapin et du lièvre

Selon la légende populaire de création dualiste, il est dit que le lièvre est une créature divine tandis que le lapin fait son malin. Est-ce pour autant toujours ainsi ? Dans la Bible (Deutéronome, Lévitique), le lièvre est considéré comme une créature impure, et force est de constater qu’à certaines époques, avec son cousin le lapin, ils n’eurent pas bonne réputation, et cela pour des raisons dissemblables, bien que certaines autres les lient par les oreilles. Le « Lapin », surnom du diable en Grande-Bretagne, qui appelait parfois sous cette forme les sorcières au sabbat, apprécie de brouter les feuilles épineuses du chardon-marie, se montre assez peu sensible aux baies de la belladone, au feuillage du séneçon, plantes qui rendraient malades d’autres animaux que lui. Comment expliquer cette résistance au poison si ce n’est par son accointance avec le démon ? De plus, pour renforcer cette image diabolique, dans bien des folklores (Afrique, Asie, Amérique du Nord, Europe), le lapin prend l’habit du trickster, c’est-à-dire de celui qui trompe par ses farces et ses espiègleries, aspect s’additionnant à la lâcheté et à la poltronnerie du lapin. Mais c’est surtout sa lubricité – le lapin est fertile et particulièrement prolifique – qui est liée à une sexualité débridée confinant à la vulgarité : en effet, au Moyen-Âge, le lapin ne s’appelait pas encore ainsi et portait le nom de connin. Or, le con est l’un des très nombreux termes désignant le sexe féminin. « Dès le XV ème siècle, le pauvre petit quadrupède avait un nom imprononçable, et il fallut lui en trouver un autre » (1) afin de dissiper tout fâcheux malentendu. En effet, au XVI ème siècle, proposer à la table un boussac de connin, qui plus est aromatisé à la cannelle, eut été inconvenant. Cette réputation tenace va lui coller aux guêtres jusqu’à la fin du XIX ème siècle à travers une expression que nous connaissons et que nous utilisons encore : poser un lapin, où le « lapin » en question est le client indélicat d’une prostituée qui se sauve sans en avoir rétribué les faveurs. Le lapin a donc bien une relation étroite et fort trouble avec le sexe, que l’on retrouve assez bien atténuée à travers le lapin de Pâques qui, avant qu’il ne devienne de chocolat, était un symbole de fertilité fréquent en Europe médiévale. Mais « tout ce qui est lié aux idées d’abondance, d’exubérance, de multiplication des êtres et des biens porte aussi en soi des germes d’incontinence, de gaspillage, de luxure, de démesure » (2). Et le lièvre, bien qu’il ait été une créature sacrée, un esprit animal magique dans bien des civilisations européennes (Celtes, Scandinaves, Grecs…), n’est pas en reste sur ce point : consacré à Aphrodite, il est image de lascivité, et il faut être témoin de la folie qui s’empare de lui au printemps, époque du rut, d’où l’on tient aujourd’hui une expression – « fou comme un lièvre de mars » – qui nous permet de nous approcher de l’excentrique Lièvre de Mars dont le septième chapitre d’Alice au pays des merveillesUn thé extravagant – nous le montre non moins fou que le chapelier, trempant la montre de celui-ci dans sa tasse de thé, plongeant le loir dans la théière, proposant à Alice du vin qui n’existe pas, un liquide divin dont l’absence doit faire comprendre à Alice qu’elle ne tirera rien de ces énergumènes.

Tout cela fait donc du lapin et du lièvre des créatures fort étranges, aux mœurs nocturnes, apparaissant et disparaissant dans le silence de la nuit : cela en a fait des êtres lunaires. D’ailleurs, cela ne tient pas du hasard si bon nombre de traditions de par le monde ont vu se dessiner un lapin sur le disque laiteux de la Lune, satellite mère des eaux et des herbes, source de vie ; et le lapin qu’on y voit, joue, en Asie et en Amérique, un rôle identique à celui qu’on octroie à l’homme de la Lune. « Cette association du lièvre ou du lapin à la lune a amplifié la signification sexuelle du symbole en le liant à la notion de fertilité, de prospérité et d’abondance » (3). Par exemple, au Cambodge, l’on pense que l’accouplement des lièvres, sous l’égide de la Lune, a vertu de faire tomber la pluie, et le triptyque lune-eau-végétation trouve, concentré en lui, le soma indien, le haoma iranien, etc., toutes boissons d’immortalité. Aussi, associer le lapin à la Lune, c’est le rendre possesseur du secret de la vie élémentaire, participant de l’inconnaissable et de l’insaisissable… Ainsi cet intercesseur est-il surnommé le lièvre précieux, le docteur ou, plus communément, le lièvre de jade, le jade étant lui aussi symbole d’immortalité. C’est donc au pied d’un laurier (ou d’un figuier) que le lièvre de la Lune broie les simples dont il tire une drogue, un élixir d’immortalité, et on le figure avec un mortier et un pilon, deux objets au sens loin d’être anodin, leur symbolisme sexuel étant évident. Le mortier, assimilable à la matrice, au yoni du tantrisme indien, est celui au creux duquel la vie se perpétue, alors que le phallique pilon renvoie au linga. Or le lapin de jade n’est-il pas censé broyer un élixir d’immortalité, nectar lunaire, par la rencontre répétée du mortier et du pilon ?


  1. Claude Duneton, La puce à l’oreille, p. 55.
  2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 573. A propos de démesure, l’on se rappellera cet épisode durant lequel un fermier australien lâcha quelques vingts lapins à la nuit de Noël 1859, afin que lui et ses amis en tirent quelques-uns au fusil. Si tous ne succombèrent pas, les survivants – qu’aucun prédateur direct ne menaçait – n’en finir pas de proliférer, jusqu’à ce que l’Australie soit envahie par des centaines de millions de ces lagomorphes une quarantaine d’années plus tard. L’on constate, dès lors, à travers ce fragment de l’histoire, cette démesure qui n’est pas tant le fait du seul lapin, mais également celui de l’homme du XIX ème siècle ignorant tout de ce que l’on appelle écologie : en effet, l’on introduisit, à la suite du lapin, le renard, dont on s’est alors dit que, en tant qu’ennemi héréditaire du lapin, il allait lui régler son compte. Mal en pris à ces hommes qui découvrirent un peu tard que le renard préféra se faire les crocs sur une espèce endémique, un marsupial du nom de wombat, bien peu apte à la course, beaucoup plus dodu et, hélas, contrairement au lapin, ne mettant au jour qu’un seul petit par an. Finalement, le troupeau de lapins australiens fut décimé grâce à un autre ennemi beaucoup plus petit que lui : la myxomatose.
  3. Jean-Paul Ronecker, Le symbolisme animal, p. 281.

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La raiponce (Campanula rapunculus)

Inscrite au sein de la famille botanique des Campanulacées, la raiponce est une plante bisannuelle discrète. Avec le contingent qu’elle forme avec ses nombreuses cousines (campanule gantelée, campanule cervicaire, campanule agglomérée, campanule à feuilles rondes, carillon, etc.), l’on aurait pu s’attendre à ce qu’une telle diversité soit à même d’offrir bien des vertus, mais le nombre ne fait pas forcément, ici, la qualité, et force est de constater que leur importance médicinale est pour le moins médiocre et insignifiante, sans doute parce que mal connue, mais certainement pas inexistante : aussi a-t-on attribué aux campanules des propriétés astringentes, détersives et vulnéraires. Campanula trachelium a été vue comme antitussive, Campanula rotundifolia anti-épileptique et la raiponce digestive, stomachique et galactogène. Or « tous ces emplois sont tombés en désuétude, ce qui ne prouve nullement qu’ils soient définitivement à rejeter » (1). Pourtant, cela a bien été le cas, à peine trouve-t-on deux ou trois bricoles au sujet de la raiponce dans l’œuvre de Jean Valnet, et la plupart des guides actuels l’ignorent. C’est certain : dire que le suc âcre, plus ou moins laiteux, des campanules peut provoquer des effets délétères, ça n’aide sans doute pas. Exit l’armoire à pharmacie pour la raiponce.

Sur la question de sa place dans l’assiette, là, c’est tout autre chose. En effet, raiponce, tiré du latin médiéval rapum, nous renvoie directement à la rave, en raison de sa racine charnue et comestible, au délicat et léger arôme de noisette, un tantinet sucrée. Dotée de tels atours, la raiponce ne laissa pas indifférentes les tables princières : c’est du moins ce que l’on constate dans l’œuvre de François Pierre de la Varenne (1618-1678), Le cuisinier français publié en 1651. La Varenne, cuisinier du marquis d’Uxelles, faisait figurer la raiponce dans les repas d’apparat. En Anjou, le roi René né à Angers en 1409 fait mention de la plante dans un poème intitulé Les amours du bergier et de la bergeronne : « du sel et aussi des noisetes, et foison sauvages pommetes, des responses et des herbetes ». Cet amoureux des arts fut suivi par de nombreux littérateurs et poètes au nombre desquels nous trouvons Eloy d’Amerval (1455-1508) qui décrit dans La grande diablerie « les peines qui attendent les gourmands au séjour des réprouvés ; il leur déclare que : serfueil n’y aura, ne cresson, ne lettue aussi, ne responce […] Sans doute les gastronomes furent-ils d’avis que, puisqu’on ne pouvait tâter, aux enfers, d’un légume si délectable, il était sage d’y faire le plus possible honneur en ce bas monde » (2). Ronsard quant à lui partait à la recherche de cette plante aux fleurs en forme de cloche (campanula = petite cloche) dans la campagne : « je cueilleray, compagne de la mousse, la responsette à la racine douce », écrit-il. Elle est également renommée pour Rabelais qui cite ses feuilles, assez proches de celles de la mâche, parmi une grande diversité de « sallades ». Elle charma aussi Olivier de Serres : « désirable avec raison, se mangeant avec appétit tout ce qu’elle produit et de racine et de fueille et crud et cuit, comme bonne viande ». Aussi, face à l’irrésistible désir qu’elle suscite, comment est-il possible que son usage alimentaire se soit perdu au fil du temps ?

En fait, la raiponce est une rebelle, une capricieuse dont la culture est très difficile, et elle s’amuse beaucoup plus à pousser aux lisières du potager qu’à l’intérieur. Ce caractère indomptable lui fera préférer une plante issue du Nouveau Monde et qui la supplantera largement : la pomme de terre que l’on cultivera en grand, alors que la raiponce est hostile à un tel traitement. Disséminée dans quelques potagers jusqu’au XIX ème siècle, aujourd’hui, qui veut goûter de la raiponce doit s’armer d’une pioche pour la déterrer, après en avoir repéré la présence dès le printemps, sous sa forme de rosette de feuilles basales touffue. Sa tige droite, simple ou un peu ramifiée dans le haut, porte de rares feuilles étroites et sessiles, et se termine par un épi de fleurs en clochette de couleur bleu violet ou lilas, qui s’épanouissent de mai en août. Par la suite, elles forment des capsules contenant des graine si minuscules qu’il est difficile de les distinguer à l’œil nu, et la raiponce sait être particulièrement prolifique : un seul gramme de ces graines en nécessite 25000 !
Plante des sols calcaires à tendance sèche, la raiponce demeure assez fréquente en France jusqu’à 1000 m d’altitude. Elle cantonne son habitat aux lisières des bois, haies, prairies, vignes, broussailles, bordures de chemins, etc.


  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 208.
  2. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 268.

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Le maceron (Smyrnium olusatrum)

Synonymes : grande ache, persil noir, gros persil de cheval, gros persil de Macédoine.

Le nom latin du maceron serait-il un indice quant à sa provenance ? En effet, Smyrnium n’est-il pas proche, par son orthographe, de l’ancienne ville de Smyrne, aujourd’hui Izmir en Turquie ? C’est bien peu probable. L’on y voit davantage un rapprochement avec la myrrhe, tant il est vrai que la racine du maceron en rappelle l’odeur et, de même que le fait l’arbre à myrrhe, elle exsude des « larmes » d’une résine odorante. Le maceron, que les Italiens appellent macerone, semble être une déformation de macedonicum, cette plante s’étant anciennement nommée petroselinum macedonium, soit persil de Macédoine. Mais le maceron a porté tant de noms qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Il fut non seulement Smyrnion pour Théophraste et Dioscoride, mais aussi Agrioselinon, Hipposelinon, Korinthion hipposelinion, etc. Malgré ces nombreuses dénominations, l’on en sait bien peu à son sujet d’un point de vue médical, sa racine et sa graine passeraient pour un remède de la matrice, Dioscoride en mentionne le caractère comestible (feuilles et racines).

Durant l’Antiquité, cette plante est en faveur chez les Romains qui en appréciaient les jeunes pousses et les feuilles. Pline et Columelle, au Ier siècle après J.-C., l’évoquent, et l’agronome romain en recommande la culture qui se propagera à une bonne partie de l’Europe sous l’impulsion des Romains, ce qui explique que, lors du haut Moyen-Âge, le maceron deviendra un légume d’usage courant, d’autant qu’il est consigné dans le Capitulaire de Villis sous le nom d’olusatrum : on en imposait donc la culture, ainsi que la consommation par voie de conséquence, à commencer par Charlemagne lui-même qui, dit-on, raffolait du maceron. En revanche, dès la fin du Moyen-Âge, ce légume de pot (plante à potage, à hochepot, etc.) ne fait plus guère d’émules alors qu’il était pourtant cultivé en grand (comme en Italie, par exemple). Cette désaffection semble être à mettre sur le compte de l’émergence d’un autre légume racine, le céleri-rave, dont Vilmorin, au début du XX ème siècle, expliquait le succès naissant et l’abandon concomitant du maceron que l’on ne regardera plus que sous l’étiquette de « légume ancien », de même que le chervis, le panais et la livèche. Ceci explique qu’en 1600 Olivier de Serres ne cultive pas cette racine, non plus que Jean-Baptiste de la Quintinie un siècle après lui. Après avoir été abondamment planté dans les jardins de nombreux pays européens (France, Italie, Allemagne, Angleterre) jusqu’à la fin du XVII ème siècle, le siècle suivant sonne le glas pour le maceron.

Redevenu sauvage, on le trouve sur les zones littorales, n’étant pas embarrassé par les sols salés, chose que nous pouvons constater sur la carte suivante. En France, on le trouvera donc sur les côtes méditerranéennes et atlantiques, comme sur l’île d’Oléron où il porte ne nom de cochu. Sa présence plus à l’intérieur des terres témoigne d’anciennes zones de culture, ainsi que de son passé féodal. Ainsi n’est-il pas rare d’en découvrir des pieds à proximité des ruines d’anciens bâtiments médiévaux, de même que le fenouil sauvage dont j’ai croisé des spécimens récemment près des remparts sud de la cité médiévale de Provins. Les éboulis, décombres, terrains vagues lui conviennent également, ainsi que lisières de bois, haies, bordures de chemins.

Plante aromatique bisannuelle, le maceron possède une forte racine pivotante, conique, charnue, marron foncé à l’extérieur, blanche à l’intérieur, accompagnée de racines latérales et de nombreuses radicelles, ce qui lui permet de maintenir en place de robustes tiges creuses, vertes et cannelées, de près d’1,50 m de hauteur. Ses feuilles luisantes un peu à la manière du persil et de la livèche, irrégulièrement lobées et dentées, sont le plus souvent vert foncé. Au printemps de la seconde année, des ombelles de fleurs blanc jaunâtre ou jaune verdâtre, très riches en nectar, se développent. Elles donneront naissance à des fruits (akènes) de couleur noire contenant chacun deux graines.

Le maceron en phytothérapie

Voici un nouveau mystère phytothérapeutique : répudié comme plante alimentaire, le maceron l’a également été sur le plan médicinal, d’où l’extrême faiblesse des informations concernant ses constituants et principes actifs. Probablement contient-il des vitamines, du moins de la vitamine C, des sels minéraux, etc. En revanche, ce qui est avéré, c’est que la racine, les feuilles et sommités fleuries, ainsi que les semences contiennent chacune une essence aromatique dont l’extraction à la vapeur d’eau forme des huiles essentielles riches en sesquiterpènes.

Propriétés thérapeutiques

  • La racine : nutritive, apéritive, dépurative, diurétique légère, tonique amère
  • La feuille : antiscorbutique
  • La semence : stomachique, anti-asthmatique
  • Les huiles essentielles : antifongiques, antibactériennes, anti-oxydantes

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • D’un point de vue culinaire, toutes les parties de la plante peuvent être utilisées. La racine, que l’on peut consommer crue, se cuit à la vapeur, se confit au sucre, etc. Elle est parfois amère, ce que l’on peut corriger en l’entreposant en cave comme les endives afin de l’adoucir. Des feuilles, l’on fait le même usage que les épinards, les tiges (les pétioles en fait) au léger goût citronné, se préparent à la vapeur, blanchies ou confites au sucre comme l’angélique. Quant aux fleurs, on prépare les boutons au vinaigre et les ombelles épanouies en beignet. Les semences, comme celles de nombreuses autres Apiacées, sont utilisées comme condiment, entières ou moulues, et se marient bien avec poissons, soupes, salades, plats mijotés, etc.

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