La stévia (Stevia rebaudiana)

Synonymes : feuille de sucre, feuille de miel, miel-yerba, herbe douce, feuille sucrée du Paraguay, plante sucrée du Paraguay, stévia de Rebaudi, chanvre d’eau. En anglais : candy leaf, sweet leaf, honey leaf. En chinois : 甜菊.

Pendant près d’un millénaire, les Indiens Guarani côtoyèrent une plante avant que le reste du monde soit informé de son existence. Cette plante, si jalousement gardée durant des siècles, parvint tout de même en Europe dès le XVIe siècle en compagnie de tout un contingent d’autres plantes sud-américaines. Mais il semble qu’on s’y soit peu intéressé pendant tout ce temps, malgré sa propriété de goûter sucré sans en comporter les désavantages. C’est au Paraguay que revint l’honneur de faire publiquement émerger cette plante jusqu’alors connue uniquement des Guarani qui l’employaient couramment afin de corriger l’amertume du maté (de même qu’on met du sucre dans le café). Elle était vue par eux comme une plante miraculeuse, sorte de panacée comme la plupart des yuyos et pour nous autres la sauge officinale par exemple. Mais méprisée, la culture de cette plante resta longtemps marginale et peu remarquée. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, s’amorça un mouvement de reconnaissance de celle à qui Antonio José de Cavanilles donna en 1797 le nom de Stevia en l’honneur du botaniste espagnol de la Renaissance Pedro Jaime Esteve, latinisé en Petrus Jacobus Stevus (1500-1556).

Après que les Indiens Guarani lui en eurent confié des plants, le botaniste Moïse Bertoni (né en Suisse en 1857, parvenu au Paraguay en 1887, décédé au Brésil en 1929) étudia longuement cette plante que les autochtones nommaient ka’a heê (l’herbe douce) ou encore ka’a eirete (l’herbe à miel). Le sage, comme on surnommait Bertoni, ne se contenta pas que de la stévia, puisqu’il étudia également le maté entre autres. Il est reconnu comme étant le « découvreur » non autochtone de la stévia en 1887. En 1900, un chimiste paraguayen, Ovidio Rebaudi (1860-1931), se pencha sur les propriétés physico-chimiques de la stévia. A cette occasion, il découvrit que le goût sucré de la plante était causé par quelque chose d’autre que le saccharose. En 1908, Rasenack isola l’un des principes sucrés, le stévioside, tandis que l’année suivante, un autre chimiste-pharmacien fit la remarque que la culture de la stévia au Paraguay connaissait un succès grandissant. En 1931, ce fut au tour de deux chimistes français, M. Bridel et R. Lavieille, de partir à la recherche du principe sucrant de la stévia. Ils tirèrent des feuilles 6 % d’une substance cristallisée de couleur blanche, le stévioside.

En 1941, le blocus allemand de la Grande-Bretagne contraignit les Anglais, qui rencontraient des difficultés d’approvisionnement, à rechercher un substitut au sucre qui ne leur parvenait plus. En réaction aux entraves économiques, ils entreprirent la mise en culture de la stévia, ce qui n’est pas complètement idiot, le climat britannique convenant mieux à la stévia qu’à la canne à sucre ! Comme les Européens continentaux avec la betterave, à l’époque des blocus napoléoniens du XIXe siècle, les Anglais rencontrèrent peu de succès avec ces cultures de stévia, au contraire des Japonais qui tentèrent de premiers essais sous serre en 1954. Les bons résultats qu’ils en obtinrent les autorisèrent, dès la fin des années 1960, à interdire la totalité des édulcorants de synthèse sur l’ensemble du territoire japonais dont le diaboliquement célèbre aspartame. Cette superbe opportunité pour la stévia explique qu’actuellement 40 % du marché japonais des édulcorants soient occupés par cette plante, ce qui n’est pas qu’un emploi anecdotique, comme on peut le voir en Occident1. Cet emploi s’explique aussi pour des raisons qui poussèrent de plus en plus de Japonais à abandonner le sucre, facteur d’obésité, de diabète et de carie dentaire. Cela en fait une plante impliquée dans bien des préparations alimentaires au Japon, d’autant plus que sa qualité dulcorante se double d’une totale absence de toxicité.

Par manque de place, la culture de la stévia s’est orientée en direction de la Chine qui fournissait en 2012 plus des ¾ du marché mondial de stévia, approvisionnant largement une bonne part de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Corée du Sud, Taïwan, Malaisie, etc.), formant là l’une des trois zones mondiales d’utilisation de la stévia, qui se distingue très bien de celle formée par l’Amérique du Sud (Paraguay, Brésil, Argentine, Colombie, Pérou, Bolivie), l’Amérique centrale (Mexique) et le sous-continent indien, où l’on fait, en plus de la cultiver, un usage coutumier de la plante, au contraire de la troisième grande zone géographique qui ne comprend aucun grand pays producteur et qui ne fait de la stévia qu’un usage « moderne » au travers des seuls glycosides de stéviol, négligeant la plante entière qu’en ces pays (Amérique du Nord, Russie, Europe, Océanie) l’on connaît peu ou pas du tout. Le fort potentiel biologique de la stévia a fait que cette plante est cultivée aussi bien au Kenya qu’en Europe méridionale (Espagne, Italie, Grèce), ce qui est louable dans la perspective de faire connaître ce trésor végétal et non de faire preuve de biopiraterie qui ne profite jamais aux populations de la zone géographique d’origine de la stévia, c’est-à-dire les paysans de la cordillère paraguayenne d’Amambay, au nord-est du pays. Pas sûr, en effet, qu’on pense aux Guarani quand l’on a face à soi une petite boîte, le plus souvent blanche et verte, remplie de comprimés où l’on a dilué, à la manière des comprimés neutres dont on use en aromathérapie, un peu des principes sucrés dissimulés sous l’appellation « glycosides de stéviol ». Le sucre, surtout, a toujours autant de poids : en 2011, au Paraguay, on produisait 2000 fois plus de sucre que de stévia (pour une production annuelle estimée à 2640 tonnes, largement dérisoire par rapport aux 90 000 tonnes produites annuellement par les Chinois).

La stévia est une plante vivace peu ligneuse hormis à sa base. De fait, son allure élancée – les pieds peuvent atteindre 0,80 à 1 m de hauteur (en particulier ceux qui sont cultivés) – expose ses rameaux cassants au vent dont on se méfiera. Sur ses tiges pubescentes, l’on voit s’empiler des paires de feuilles opposées, à texture un peu épaisse, en gouttière, crénelées de part et d’autre de huit à neuf crans arrondis et non piquants, et dont le limbe légèrement rugueux est couvert d’un réseau de nervures très nettement visibles. Dans les parties hautes de la plante, l’on voit émerger au moment de la floraison des hampes florales à partir de l’aisselle des feuilles : les petites fleurs blanches à cinq pétales de la stévia sont généralement groupées par petits panicules de cinq. Cela, c’est ce qu’on observe si l’on a chez soi une stévia à but essentiellement ornemental. Mais si l’on souhaite la cultiver pour ses feuilles, l’on ne voit habituellement jamais les fleurs, puisque la stévia se récolte avant floraison. De plus, l’on voit d’autant moins les fleurs que, afin d’encourager la ramification latérale et subséquemment l’obtention d’une plante buissonnante, l’on conseille de pincer la plante toutes les trois semaines pendant environ deux mois.

La stévia se sème au printemps sous abri et à une chaleur assez élevée. Elle se repique deux mois plus tard. Alors, elle demande une exposition ensoleillée (mais pas caniculaire non plus), un sol humide, mais sablonneux et bien drainé (en cas de culture en pot, prévoir une couche de billes d’argile au fond). Durant la croissance de la plante, éviter l’adjonction d’engrais abondamment azotés : s’ils produisent de grandes feuilles, elles ont néanmoins peu de saveur. A l’été, afin de conserver la fraîcheur souterraine nécessaire aux racines, l’on pourra pailler les pieds. A l’hiver, les parties aériennes disparaissent et l’on peut protéger la plante à l’aide d’un voile d’hivernage si l’on craint que le gel ne fasse subir à la plante quelque avarie.

La stévia en phytothérapie

Par le mot stévia, on entend généralement les feuilles séchées de la plante ainsi que la poudre verte qu’on en tire, aussi bien que ces préparations du type édulcorant de table composés d’un agent de charge auquel sont mêlés des extraits de la plante qu’en France on libelle selon la formule peu précise de « glycosides de stéviol ». L’emploi de l’un ou de l’autre n’a pas la même portée, puisqu’on bénéficie du totum d’une part, mais pas de l’autre. Ainsi, la plupart des informations qui suivent concernent essentiellement la stévia en tant que plante médicinale, non comme l’additif alimentaire estampillé E960.

Que l’on considère 100 g de feuilles de stévia séchées, l’on y trouvera :

  • Hydrates de carbone : 60 g (quand on dit que la stévia ne contient aucun glucide, on parle bien évidemment de son extrait)
  • Fibres : 10 g
  • Protéines : 9 g
  • Cendres : 8 g
  • Lipides : 4,50 g

Élargissons notre regard. L’importante richesse de la stévia en phytonutriments explique en quoi ses extraits présentent des avantages négligeables sur ce point. Dans la stévia, sont présents l’ensemble des substances suivantes :

  • des vitamines : B1, B2, B3, C ; du β-carotène ;
  • des sels minéraux et oligo-éléments : potassium, magnésium, calcium, phosphore, sodium, manganèse, sélénium, silicium, zinc, cobalt, chrome, aluminium, fer ;
  • des phytostérols : stigmastérol, β-sitostérol, campestérol (le même trio que dans le cacao) ;
  • des flavonoïdes (quercétine) ;
  • des diterpènes et des triterpènes ;
  • une essence aromatique (l’on croise parfois une huile essentielle de stévia, rarissime) ;
  • enfin les fameux glycosides : on retient surtout le stévioside et le rébaudioside A parce qu’ils sont proportionnellement les plus représentés. Chez l’un et l’autre, le goût sucré apparaît bien après qu’il ne se manifeste chez le sucre et s’accompagne, surtout chez le stévioside, d’un soupçon de saveur de réglisse qui n’est pas toujours apprécié, tandis que le goût sucré du rébaudioside est jugé beaucoup plus fin. D’autres glycosides les accompagnent : les rébaudiosides B, C, D, E et F, le dulcoside A, le stéviolbioside, l’isostéviol et le rubusoside.

Propriétés thérapeutiques

  • Antihyperglycémiante (maintient les niveaux de cholestérol total, de triglycérides, de lipoprotéines de très faible densité (VLDL), de lipoprotéines de faible densité (LDL), de lipoprotéines de haute densité (HDL), assure un bon ratio HDL/LDL), hypolipidémique, maintient le taux de glucose sanguin à jeun et en phase post-prandiale, diminue l’absorption intestinale du glucose, soutient le bon fonctionnement du pancréas et encadre le taux d’insuline et de glucagon, maintient un niveau sain de glycogènes musculaires et hépatiques, antidiabétique, soutient la bonne santé de la cellule hépatique, hépatoprotectrice
  • Diurétique, natriurétique
  • Apéritive, digestive
  • Anti-infectieuse : antifongique à large spectre (candida, aspergillus, cryptococcus), antivirale (herpès, rotavirus), antibactérienne (Borrelia burgdoferi)
  • Hypotensive, vasodilatatrice, maintient le taux d’angiotensine II
  • Anti-inflammatoire
  • Anti-oxydante, lutte contre le stress oxydatif
  • Anticancéreuse (utérus, pancréas, côlon)
  • Édulcorante non fermentescible ne causant pas de réaction de Maillard à la cuisson
  • Anti-ostéoporotique
  • Pro-énergétique
  • Augmente la vigilance mentale

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatopancréatique : hyperinsulinisme, résistance à l’insuline, diabète de type II, diabète sucré non-insulinodépendant, amélioration des lésions hépatiques aiguës et chroniques, phénylcétonurie
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : insuffisance rénale chronique du diabétique, cystite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée d’origine virale, dyspepsie, brûlure d’estomac
  • Affections bucco-dentaires : gingivite, saignement des gencives, empêche le développement de la plaque dentaire et la formation des caries, bouton de fièvre (herpès labial), maux de gorge
  • Affections cutanées : dermatite, acné, pellicules
  • Obésité
  • Hypertension artérielle
  • Maladie de Lyme

En conclusion, « la plante est donc à la fois un substitut à l’usage du sucre et une médecine à ses conséquences néfastes comme le diabète ou l’obésité »2.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles sèches ou fraîches : une cuillerée à café de feuilles sèches ou fraîches hachées dans une tasse d’eau bouillante pendant 5 mn. Il est possible de boire cette infusion tel quel après l’avoir passée et exprimée, ou bien la laisser refroidir pour en faire un édulcorant liquide stockable au frigo pour quelques jours. Notons ici que le stévioside ainsi que les autres glycosides de stévia sont parfaitement solubles dans l’eau.
  • Sucrer une boisson : ajouter quelques feuilles ou la valeur d’une pointe de couteau de poudre de feuilles à un verre ou une tasse de 15 cl.
  • Poudre de feuilles : pour « sucrer » une boisson froide ou chaude, par exemple. Son avantage sur les feuilles, c’est qu’on absorbe la totalité de la stévia par ce biais et qu’on ne profite pas que des seuls principes édulcorants tout en rejetant les feuilles une fois infusées.
  • Extrait hydro-alcoolique : suspension hydro-alcoolique d’extraits de feuille de stévia (très souvent, il s’agit des deux principaux glycosides, le stévioside et le rébaudioside A). Conditionné en flacon de verre ambré muni d’une pipette, cette préparation est fort pratique et s’utilise à raison de deux gouttes par jour diluées dans un verre d’eau. L’on augmente la dose de deux gouttes par jour, jusqu’à atteindre trente gouttes, puis l’on entame une phase décroissante. Attention pour les malades de Lyme : sous cette forme, les extraits de stévia sont susceptibles de provoquer une réaction de Jarisch-Herxheimer.
  • Masque pour le visage : macération huileuse (huile d’olive) de poudre de feuilles de stévia (à conserver au réfrigérateur).

Note : penchons-nous sur la délicate question des équivalence, chose bien nécessaire quand on voit la profusion d’informations qui fleurissent sur les emballages des produits qui touchent de près ou de loin à la stévia. Par exemple, quand vous lisez sur une boîte en plastique pas plus grosse que celles dans lesquelles on empile les Tic Tac, que 15 g de poudre équivalent au pouvoir sucrant de 3,38 kg de sucre blanc, il ne s’agit assurément pas du même produit que celui que propose la firme Biovia qui signale à notre attention qu’une cuillerée à café (apparemment bombée) de poudre de feuilles de stévia équivaut à trois morceaux de sucre (si morceau standard : 18 g). A partir de données chiffrés que j’ai pu recueillir après ma récente tournée d’inspection auprès des magasins spécialisés qui fournissent ce type de produits, je puis dire que :

  • les feuilles possèdent une intensité sucrée quinze fois plus importante que leur même poids de sucre ;
  • pour le stévioside, elle est multipliée par 300 ;
  • ½ cuillerée à café d’extrait de stévia en poudre = 1 ½ à 2 cuillerées à café de poudre de feuilles de stévia = 1 tasse de sucre blanc (style tasse à café de taille moyenne, pas le mug géant de 60 cl !) ;
  • du côté de l’extrait hydro-alcoolique, le pouvoir sucrant de seulement deux gouttes représente une cuillerée à café de sucre blanc (cela peut varier : l’important est de déterminer combien de gouttes sont nécessaires pour se rapprocher de la saveur sucrée d’une valeur étalon de sucre blanc en poudre et qui sera satisfaisante à chacun selon son goût).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : oscillant de juillet à début octobre, nous nous contenterons de spécifier qu’elle doit impérativement s’opérer en sectionnant la plante à la base juste avant l’apparition des boutons floraux et préférablement le matin, période de la journée où la teneur en glycosides est la plus élevée. Cela doit être obligatoirement respecté, car une floraison trop avancée transfert au feuillage un goût amer peu agréable.
  • Séchage : éviter les déshydrateurs électriques ainsi que le séchage à la bouche du four, car tout cela promeut la formation d’amertume dans la plante. Bref, on suspend les tiges tête en bas sur une ficelle, on laisse sécher à l’ombre, au chaud, dans un local assez ventilé, jusqu’à ce que les feuilles craquent sous les doigts. Puis on monde les feuilles, on rejette les tiges, l’on ensache ou l’on moud les feuilles sèches à l’aide d’un moulin à café. La stévia, qu’elle soit sous forme de poudre ou de feuilles sèches, se conserve bien d’une récolte à la suivante.
  • La stévia est généralement bien tolérée par la plupart des personnes qui l’utilisent. Les possibles nausées et l’étourdissement qui se manifestent parfois au début de la prise disparaissent généralement rapidement. Elle ne provoque pas d’allergie (du moins, rien de connu dans ce sens à ce jour) et présente une parfaite innocuité aux doses usuelles. Comme elle n’entraîne aucun pic glycémique après ingestion, elle n’est pas addictive comme le sucre et ne provoque donc aucun phénomène d’accoutumance. Elle peut à la rigueur augmenter le taux de lithium par effet diurétique accru et chute de l’excrétion naturelle de lithium.
  • La consommation de saccharose, véritable problème de salubrité publique de par la pléthore de maux dont elle afflige celui qui tombe dans son piège doucereux, est responsable de statistiques plus qu’alarmantes : outre l’obésité (qui n’est pas seulement le fait « d’être gros » mais qui implique un facteur morbide grave), le saccharose provoque bien des cas de diabète de type II dans des pays où l’on peut parler d’épidémie, tant cette affection se répand à la vitesse d’une traînée de poudre : on pense aux États-Unis et à leur voisin mexicain (les policiers, du genre sergent Garcia, sont si gros qu’ils ne parviennent plus à courir après les voleurs !) avec des dizaines de millions de personnes qui forment des contingents d’obèses diabétiques. Mais sur ce point, la palme revient à la Chine, premier pays au monde comptant la plus grande population diabétique (400 millions, soit pas loin de 30 % de la population chinoise !), puis vient l’Inde à sa suite (50 millions de malades « seulement », mais le diabète y galope de plus en plus vite ; payer les travailleurs pauvres avec du coca-cola n’a sans doute pas amélioré la situation…). Ce mal tourmente aussi des pays auxquels on s’attend moins, comme le Maroc par exemple. L’avantage de la stévia dans ces cas-là, c’est qu’elle est déjà meilleure que la plupart des édulcorants de synthèse, cela va de soi. Ensuite, c’est que l’extrait hydro-alcoolique de même que l’extrait solide (c’est-à-dire les glycosides de stéviol mêlés à quantité suffisante d’excipient, ce qu’on appelle les agents de charge, à l’instar de l’érythritol principalement) possèdent un indice glycémique nul, car ces produits ne contiennent pas une once de glucides, en l’occurrence ni saccharose ni fructose. Ils ne sont donc pourvoyeurs d’aucune calorie. Par leur goût sucré, ils se substituent donc au sucre sans apporter avec eux les inconvénients nombreux de celui-ci. La poudre de feuilles de stévia, bien qu’elle soit composée à hauteur de 60 % d’hydrates de carbone, ne peut, en raison des quantités infimes absorbées à chaque prise, occasionner un massif apport de glucides. Il est clair que l’on peut réduire une partie de sa consommation de sucre par l’usage des extraits ou de la poudre de feuilles. Par exemple, si l’on souhaite faire un gâteau nécessitant deux tasses de sucre3, l’on peut remplacer l’une d’elles par une cuillerée à soupe de poudre de feuilles de stévia (selon la quantité, cela verdit forcément le mélange, donc le gâteau, à la façon du macha) ou l’extrait selon les équivalences fournies par le fabricant ou celles que vous aurez déterminées à la suite de fastidieux calculs que je vous abandonne bien volontiers. Remplacer ici une tasse de sucre par le pouvoir sucrant d’x gouttes d’extrait hydro-alcoolique est possible, la seule différence consistant en une perte de volume que l’on peut compenser avec de la poudre d’amande, par exemple. L’inconvénient de la stévia, entend-on parfois, c’est que comme cela goûte sucré, cela peut entretenir le besoin de manger sucré (bien que cette plante ne soit aucunement addictive comme nous l’avons dit plus haut). Cela est variable selon les personnes : les vrais accrocs au sucre, je ne les invite pas à utiliser la stévia sous quelque forme que ce soit, à moins de pouvoir s’en tenir strictement à elle, sans nécessité de lorgner avec insistance du côté du sucrier ^.^ Quant à moi, j’ai stoppé ma consommation de sucre en mai 2020, ce qui n’a pas été très compliqué, n’étant pas à la base un fana du sucré. Je ne parle pas uniquement du sucre blanc ou brun de table que l’on rajoute dans le café, mais des trois principaux oses – saccharose, fructose, glucose – que l’industrie agro-alimentaire saupoudre généreusement un peu partout dans les produits dont elle inonde le marché à disposition du public. Exit donc le miel. Ainsi que les confitures et tout ce que j’avais l’habitude de manger qui contenait du sucre (ce qui se chiffrait à pas grand-chose). Quand j’ai besoin de sucré, ce qui est rare, je m’en remets à la poudre de feuilles de stévia à laquelle va ma préférence et dont je fais un usage mesuré : sans nécessité, ça se résume à trois ou quatre fois par semaine, davantage l’été où l’ajouter à une eau citronnée permet de profiter de l’effet de fraîcheur qu’on peut lui trouver.
  • La stévia et la législation : avant le mois de décembre 2011, les glycosides de stéviol étaient interdits comme édulcorants à travers une application industrielle (cf. l’arrêté du 26 août 2009). Depuis, une certaine catégorie d’aliments (boissons sans alcool, desserts industriels, confiseries, etc., en réalité, toutes choses qui, d’une façon ou d’une autre, demeurent néfastes pour la santé ; ce n’est pas la seule stévia qui va en amender la nocivité) peuvent faire entrer dans leur recette ces agents édulcorants, à l’exclusion de la poudre de feuilles de stévia qui est interdite à cet usage en France, c’est-à-dire qu’on ne trouve aucune préparation alimentaire dans laquelle la liste des ingrédients ferait figurer la poudre de feuilles, hormis, bien entendu, les gâteaux que vous fabriqueriez avec elle à la maison. D’ailleurs, le commerce de la plante comme denrée alimentaire est interdit par l’union européenne, sans rapport aucun avec les pressions du puissant lobby sucrier, on s’en doute bien ^.^. Mais qu’on se rassure, car, dans le commerce, on trouve aujourd’hui en France la stévia sous les formes suivantes : – les feuilles sèches entières (bio et non bio) ; – la poudre de feuilles (bio et non bio) ; – les glycosides de stéviol (stévioside et rébaudioside A essentiellement) mêlés à un agent de charge ayant l’aspect du sucre pour former un produit qui, à quantité équivalente, possède le même pouvoir sucrant que son poids en sucre ; tout cela se décline en paquet de poudre, bûchette, comprimé et sucre cubique de volume variable. Faisons la remarque que l’érythritol qu’on utilise fréquemment comme agent de charge est issu de la fermentation du glucose du maïs et du blé. C’est donc un sucre, certes moins calorique, mais un glucide quand même et qui ne parvient pas à me convaincre de sa soi-disant bonne réputation. C’est d’ailleurs pour cela que je préfère le délaisser au profit du xylitol que l’on retire de l’écorce du bouleau. Si l’on excepte l’effet rafraîchissant plus marqué de celui-ci (qui n’est pas toujours des plus intéressants), le xylitol possède au moins l’avantage d’être non fermentescible. En définitive, me passer de sucre (saccharose) ne m’a pas amené à vouloir coûte que coûte le remplacer par je ne sais quel substitut. Ainsi, sur la table de la cuisine, il n’y a rien de tout cela hormis un petit pot de poudre de feuilles de stévia : c’est économique, ça ne prend pas de place, ça dure longtemps, comme ça je suis tranquille.
  • Comment et où se procurer de la stévia ? On trouve cette plante disponible chez la plupart des pépiniéristes aujourd’hui. Les semences sont aussi en vente libre. J’en ai reçu un échantillon gratuit lors de ma dernière commande chez Kokopelli, que je remercie au passage :) Semées selon les instructions le 13 mars dernier, elles sont en plein développement. Vivement la suite ! Si vous connaissez quelqu’un de votre entourage qui possède cette plante, faites-vous offrir quelques graines ou demandez-lui de vous fournir des boutures.
  • Autres espèces : on estime à environ 200 le nombre d’espèces de stévias dont Stevia ovata, Stevia micrantha, Stevia serrata, Stevia salicifolia ou encore Stevia eupatoria. D’aucuns prétendent que seule Stevia rebaudiana comprend des composés sucrés, mais je ne suis pas du tout certain de cette assertion, puisqu’on compte plusieurs espèces qui se font elles aussi appeler par le nom vernaculaire de candy leaf.
  • Autre plante à sucre : la verveine sucrée des Aztèques (Lippia dulcis).

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  1. C’est seulement dans les années 1990 que la firme Guayapi, dans une volonté de valorisation des simples autochtones et de commerce équitable, proposa à la vente en France des feuilles de stévia.
  2. Bastien Beaufort, Géohistoire de la diffusion globale de la plante stévia (ka’a heê), p. 5.
  3. Déjà on bannit le sucre blanc (qui ne vaut pas mieux que le sel raffiné) au profit du sucre brun un peu meilleur mais toujours en quantité modérée.

© Books of Dante – 2022

Le coq et ses symboles

Katsushika Hokusai (1760-1849), Coq, poule et poussin, avec décor de misère (Tradescantia). Vers 1830-1833.

Il y a quelques semaines, le chant de la grenouille nous avait ramenés auprès des contes de notre enfance. De la mare située là-bas, au-delà du chemin, s’élevaient encore ce matin les voix cacophoniques de ces animaux dont nous avons montré l’évidente relation à l’astre diurne. Non loin de là, un autre chant – faut-il parler de cri ? – plus sporadique, fait entendre ses quatre syllabes, onomatopée fort célèbre, plus encore que le brekekekex koax koax d’Aristophane : coco, coco, cocorico (dont est issu le mot coq, apocope si l’on veut, du cri de l’animal, comme si, chez lui, tout ne se résumait qu’à cela). C’est là une forme écrite issue du bas latin coccus attesté dès le VIe siècle après J.-C. Un coup d’œil au clocher de l’église visible depuis le lieu où j’écris ces lignes me confirme qu’à son sommet ne s’y trouve pas le coq métallique que, parfois, l’on y voit juché (c’est surtout l’apanage des églises dédiées à saint Pierre). Ce symbole fort rappelle que le coq a autant à voir avec le temps – il joue le rôle d’horloge de par sa fonction de marqueur temporel (tout en tenant compagnie à celle qu’on voit souvent en haut des clochers), mais aussi avec l’espace : sa position élevée (qui semble être le reflet de la supériorité du spirituel sur le temporel) oscille au gré des vents : on peut le croire jouet des vents facétieux, ce qui ferait du coq un animal inconstant, mais cela ne lui permet-il pas d’embrasser le paysage d’un seul coup d’œil circulaire ? Le coq du clocher et celui qui projette son puissant cri dans la basse-cour (au contraire du sempiternel caquetage des poules) sont aussi les témoins de lieux particuliers, à dominante campagnarde, que d’un temps qui ne fonctionne pas de la même façon qu’en ces endroits où rugissent les klaxons et le vacarme de la Grande Cité.

La girouette (le weathercock anglais souligne bien le rapport que possède cet instrument avec la météo) surmontée d’un coq, permet donc à ce dernier de diriger son regard perçant dans toutes les directions. En tous les cas, il est de bonne compagnie avec la cloche dont l’airain sonore joue peu ou prou le même rôle que lui : depuis un peu avant l’an 1000, l’on considère que cette association chasse les démons, les mauvais esprits et tout un tas d’autres calamités (tonnerre, brouillard, maladies et fièvre, animaux « malfaisants » : souris, serpent, etc.). Le principal pouvoir du coq, c’est bien celui-ci : écarter les puissances infernales, les faire même disparaître, grâce à son chant qui est la manifestation de la diurnité divine et solaire qui va bientôt éblouir le monde de toute sa splendeur. L’ombre s’efface devant la lumière et ne se projette jamais en elle : il n’existe pas de rayon d’ombre. Annonciateur de l’initiation salvifique, le coq propulse son cri au point du jour, héraut du soleil qui annonce la fin de la nuit et le début de l’aube. Ce salut adressé au soleil, évident signe de joie, est censé marquer l’instant où l’ardeur et la foi doivent se ranimer. Il faut reprendre l’ouvrage, appeler le juste à la prière, secouer les dieux, réveiller l’humanité en la libérant des rets du sommeil. Le cri du coq, c’est la constante « vigilance de l’âme attentive à percevoir dans les ténèbres finissantes de la nuit les premières clartés de l’esprit qui se lève »1. Parce que lumière, le coq est aussi intelligence comme le souligne le livre de Job2. A cette clarté de l’esprit s’allie la blancheur du jour. Sans qu’on s’explique bien pourquoi cette prodigieuse capacité, le coq blanc est capable de mettre en fuite cet autre symbole solaire qu’est le lion. On a associé à la crête du coq le même symbolisme que celui de la crinière du lion : dans les deux cas, il est question de couronne, d’un attribut qui marque la primauté et la royauté. Les chroniqueurs médiévaux expliquaient ce pouvoir par le fait que le coq blanc mettrait en fuite des démons à l’allure de lion (à la suite, cela aurait concerné tous les lions, quels qu’ils soient). « Au crépuscule, quand le coq se tait, vient la nuit et son cortège de démons malfaisants : la nuit est noire, le coq est blanc »3. Peut-on voir dans cette image la persistance d’une infime fraction lumineuse dans le plus sombre des abymes ? Quand tout paraît inextricablement compliqué, ne subsiste-t-il pas une once d’espoir et de courage ? Maints lieux et époques reconnurent dans le coq un symbole solaire : par exemple, le dieu crétois Velchanos, apparenté à Zeus, possède un coq comme emblème. Lorsque Léto, enceinte des œuvres du même Zeus, accouche d’Artémis et d’Apollon (qui est un symbole de la lumière naissante), un coq se tient non loin. Au Japon, des offrandes, des incantations, le chant d’un coq sont censés rappeler la déesse du soleil Amaterasu qui est allée se terrer dans la grotte céleste Ame no Iwato. Cela assurerait le moyen de ré-insuffler de l’énergie au soleil au moment crucial du solstice hivernal (en quelque sorte, un sol invectus extrême-oriental). Associer le soleil au coq, c’est assurément faire entrer la protection dans toutes les maisons : on disait de bon présage le fait de voir un coq se promener dans la salle commune des fermes, plus sûr garant de la joie et du bonheur des habitants. Et si pas de coq en chair et en os, l’image de cet animal dessinée sur la porte d’une maison la protège des énergies pernicieuses.

Boîte en bouleau à décor de coq et de soleil.

Si jamais l’on doit quitter le domicile, voici comment l’on procède dans les pays slaves : on fabrique de petites boîtes en écorce de bouleau, que l’on remplit de pois secs ou de graines de pin, et dont on orne ensuite le couvercle d’un coq. La fonction de cet objet, une fois passé au cou, est très simple : on l’agite dès qu’on se sent en proie à une émotion un peu trop pénible, le bruit provoqué par la boîte permettant de mettre en fuite les esprits malicieux. Il va sans dire que les principaux symboles – coq et bouleau – n’ont pas été choisis au hasard : l’arbre tout comme l’animal sont des emblèmes de la lumière solaire. Aux deux symboles présents sur cet objet, l’on peut rajouter les deux couleurs que sont le rouge et le doré qui viennent davantage renforcer la valeur de protection de ce talisman. Pas étonnant qu’en Perse l’on ait laissé les coqs se balader en liberté dans les cimetières (pour briser la nuque à quelque démon en goguette) ou pour en chasser les vampires (Roumanie). Dans la Materia medica, Dioscoride écrivait que « la décoction de coq dissout les humeurs noires, crues, grosses, visqueuses »4. Que disais-je ? Que le coq est un repoussoir à ordures, un débordoir à saletés louches et malsaines ! Cela explique son caractère sacré dans bien des endroits du monde (que nous avons déjà nommés et quelques autres : Inde, Italie, etc.).

Poursuivons donc l’inventaire des aspects favorables qu’on a associés au coq au fil du temps (en Chine, l’idéogramme ki signifie tout à la fois « coq » et « de bon augure »). Bien qu’il soit parfois considéré comme ridicule lorsqu’il grattelle son tas de fumier, ce n’est pas toujours qu’une bête occupation : en effet, on prétend que le coq y enterre ses perles, c’est-à-dire les œufs qu’il pond. C’est à son jabot et à sa crête rouge qu’on reconnaît cet animal si hardi qu’il est admirable pour protéger ses poules – « dormez tranquilles ; après tout, je suis là pour vous défendre », les rassure Chantecler5 – en particulier contre plus fort que lui : les chroniques médiévales le croyaient assez puissant pour mettre en déroute le lion comme on l’a vu, mais aussi le loup. En vrai, un coq peut parfaitement réussir à mettre en fuite un renard ou un faucon. Courageux comme un coq, à l’inverse de la poule (mouillée) symbole de couardise (mais qui n’a jamais vu une maman poule, « mère Courage et ses enfants » ?). Si le coq agit ainsi, c’est non seulement en raison de l’affection qu’il porte à ses poules, sa largesse généreuse en faisant un symbole de la bonté. Non, c’est qu’il a aussi un rang à tenir : la poltronnerie ne peut se combiner à une crête arrogante irriguée de sang, des barbillons tout aussi écarlates, des ergots acérés (pour monter sur ses grands chevaux, c’est mieux), un plumage caudal qui ne manque pas de panache ! Sans cela, comment donc le coq pourrait-il être fier comme un pou6 ? Attirer tous les regards, les jeunes coqs savent faire, les vieux (beaux) un peu moins. Et il est vrai qu’à cette fierté s’associe souvent la séduction, parce que plus que la concupiscence, ce que recherche le coq, c’est surtout la convoitise qui peut dégénérer en jalousie en cas de concurrence : le coq, généralement non partageur, est prêt à défendre bec et ongles son harem face à la prétention d’un autre coq, d’où les combats fréquents, humiliants quelquefois, mortels de temps en temps. Quand le coq voit rouge, il développe effectivement une énergie de feu ! Normal, puisque le coq ardent qu’on livre aux combats est fort souvent dédié au dieu Mars (Arêos neottos). Ainsi sacrifiait-on un coq au dieu de la guerre afin de s’assurer la victoire dans la bataille. Les Lacédémoniens procédaient de la sorte. Peu avant la victoire de Marathon remportée par les Athéniens en 490 avant J.-C., Miltiade le Jeune fit assister les soldats à des combats de coqs afin d’en enflammer l’ardeur. Selon Johannes Goropius (1519-1573), les Danois emportaient deux coqs à la guerre, dont l’un d’eux avait pour fonction préliminaire d’exciter les hommes au combat. Parce qu’ils étaient particulièrement farouches à la bataille, les Cariens, ancien peuple d’Anatolie, étaient surnommés « coqs » par les Perses. Enfin, dans la mythologie grecque, on croise un personnage, Idoménée, qui, parce que descendant d’Hélios, portait un coq sur son bouclier, symbole guerrier que Pallas Athéna arborait sur son casque.

Les combats de coqs, dont l’Angleterre, l’Inde, l’Extrême-Orient sont très friands, étaient fort prisés également en France durant le XVIIe siècle, ce qui n’est pas rien à l’époque du Grand Siècle, où régna pour une bonne part pas moins que le Roi Soleil. Le jeu de mots aisé entre gallus (le coq) et Gallia (la Gaule) était facile et remonte à l’époque des Romains, mais ce n’est que plus tardivement, à la fin du Moyen âge, que le coq devint un des emblèmes des rois de France (et plus largement de la France elle-même). Plusieurs rois de France furent surnommés gallus : Charles VII (1403-1461), né à l’Hôtel Saint-Pol (!) à Paris, puis Louis XII (1462-1515) et Charles VIII (1470-1498). Au début du XVIe siècle, le coq se place, emblématiquement parlant, aux côtés de la couronne et de la fleur de lys. « Lucide, fier, courageux, attribut du Soleil, de Mars et de Mercure, emblème générique des anciens Gaulois, le coq est l’image même du roi de France »7.

Marc Chagall, En écoutant le coq (1944).

Sur une toile du peintre Marc Chagall (1887-1985), l’on voit un motif crucial et récurrent dans son œuvre : un coq. Cette toile de 1944 nous le montre rouge vif et flamboyant, en train de pondre un œuf. Or, ignore-t-on que lorsqu’il arrive à un coq de pondre un œuf… hum… il peut, si jamais cet œuf vient à être couvé par un crapaud ou un dragon, en naître un basilic, c’est-à-dire une terrifiante bestiole chimérique, coq serpentiforme à crête blanche (est-ce de ce « coq »-là que le lion s’effraie tant ?). Le basilic, qui n’est jamais que l’antithèse du coq, est une redoutable créature à côté de laquelle il est préférable d’avoir affaire à la coquecigrue, créature burlesque forgée par Rabelais à partir de morceaux de coq, de grue et probablement de cigogne. Le coq de Chagall n’a pas de rapport avec le basilic, tout au contraire il est la représentation de l’énergie universelle, celle-là même que la médecine traditionnelle chinoise fait circuler en partie dans le méridien du Rein, canal à la base de la force vitale et de l’énergie reproductrice. A ce méridien, régi par le principe de l’Eau, les Chinois ont fait correspondre le coq de l’astrologie chinoise. Ainsi, le coq astrologique et le méridien énergétique véhiculent-ils une commune énergie yang, l’autorité, le courage, le plein d’assurance (l’individu se transforme en véritable poule mouillée si l’énergie yin vient à sur-dominer). Selon l’astrologie chinoise, le type coq est doué de franchise (on n’imagine pas un coq timoré, le matin, au moment de sonner le réveil) et donc à une certaine forme de liberté (qui confine, il faut le dire, à la témérité parfois). Très intelligent, capable de beaucoup de vivacité pour se tirer d’affaire8, le coq chinois est reconnu pour son aptitude à la mémoire (sauf lorsque, vieillissant, affublé d’une mémoire de vieux coq, il devient oublieux au point de sauter du coq à l’âne). Comme il aime l’apparat, il étale sa vanité en faisant son coq. Par son caractère changeant (girouette, tiens !), il passe pour inconséquent. Par exemple, « prendre l’image du coq, qui manifeste sa superbe et vit au milieu d’un harem, est une façon de souligner qu’une fois l’hommage rendu à l’une de ses poules il se désintéresse totalement des conséquences de ses actes »9. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait fait du coq un animal guerrier, car « notre agressivité, notre réactivité, notre fuite (adrénaline) ou bien notre calme [NdA : toutes qualités requises au combat] sont gérés par le Rein »10. Et quand le coq ne se bat pas, il met tout son caractère fougueux au service de sa grande ardeur sexuelle, cet animal polygame étant vu comme largement sensuel, au point, parfois, d’en devenir lubrique (certains auteurs médiévaux allèrent jusqu’à imaginer que, à l’issue d’un combat, le vainqueur s’autorisait à « couvrir » le vaincu pour finir d’asseoir sur lui sa domination). Mais ce que l’on retient, c’est avant tout la fécondité et la fertilité dont il est capable de faire preuve (d’ailleurs, par magie sympathique, les testicules de coq ont pour vocation, quand on les invite dans la confection d’une recette aphrodisiaque, de rendre à l’homme sa prime vigueur). Mais qu’il fasse chou blanc, et c’est l’explosion : ce non assouvissement du désir peut mener à une colère agressive et frustrée. C’est pourquoi, au Tibet, le coq, en particulier lorsqu’il est rouge, représente avec le serpent et le porc, l’un des trois poisons : ce coq rouge désigne l’excessif attachement, l’entrave du désir et de la convoitise, la soif inextinguible. A ces véritables détraquements symboliques, l’on peut ajouter les autres suivants : la poule qui chante comme un coq est de très mauvais présage, tandis que le coq qui pousse son cri, non pas à l’aube mais au crépuscule, annonce le décès d’une personne du voisinage, quand il ne se fait pas le relais de phénomènes météorologiques désastreux (grêle, tempête, etc.). C’est un coq tout pareil que décrit la mythologie nordique : Gullinkambi (= « Crête d’or ») chante à une seule occasion : pour avertir de l’imminence du désastre, c’est-à-dire le Ragnarök. Symbole de vigilance guerrière, il est juché sur les plus hautes branches d’Yggdrasil et observe, au loin, d’où viendront les géants. Un coq au fait de l’arbre cosmique alertant des dangers est une représentation assez similaire à celui que l’on fiche au sommet des églises : c’est un symbole de protection de la vie, ce qui apparaît de même dans ce conte des pays slaves, Le coq d’or, sentinelle vigilante : « Aussi longtemps que tout sera tranquille alentour, il restera coi ; mais dès qu’une menace de guerre se fera sentir, d’où qu’elle vienne, qu’il s’agisse d’une invasion ou de tout autre péril, mon petit coq aussitôt dressera sa crête, jettera un cri, et, battant des ailes, se tournera du côté d’où menace le danger »11. Dans la mythologie grecque, on voit aussi au coq cette fonction de guetteur : Alectryon, compagnon d’Arès, faisait le guet à chaque fois que le dieu de la guerre désirait passer la nuit avec son amante Aphrodite. Pourtant, une nuit, il céda au sommeil. Héphaïstos surprit les deux amants et, de colère, Arès métamorphosa Alectryon en coq. Le coq permettant d’écarter un péril, c’est une force qu’on nommait alké, d’où le terme aléktryon qu’utilise Homère : c’est le « protecteur », le « défenseur » (ce mythe n’est pas circonscrit qu’à la Grèce, un motif similaire s’observe pareillement en Inde).

Maintenant, nous avons le loisir de poser cette question : toute cette force ne confine-t-elle pas à la magie, en quelque sorte ? Parce qu’enfin, un animal qui possède la prescience du jour, capable de voir la lumière à l’intérieur de lui-même, n’est-il pas un peu sorcier ? Les amateurs de sciences occultes connaissent très certainement ces très singuliers grimoires que sont Le dragon rouge et La poule noire : un coq n’y déparerait pas, même s’il est vrai que la poule noire se prête plus volontiers comme accessoire de la sorcellerie (davantage qu’un coq, fût-il noir). Le coq noir n’est pas tant l’instrument par lequel la sorcière opère, qu’une image animalière d’elle-même, en particulier si on le surprend à chanter en pleine nuit. Il apparaît comme beaucoup plus redoutable quand la lune surgit, car, alors, « le coq se met à sauter comme un possédé », confessait le théologien Thomas de Cantimpré (1201-1272). Cette relation à l’obscure s’entrevoit encore dans le sacrifice d’un coq noir que la sorcière entreprend afin de métamorphoser les morts en ces créatures mort-vivantes du folklore roumain que sont les strigoï. D’ailleurs, si vous souhaitez apaiser le diable, il faut lui sacrifier un coq noir ou rouge lorsqu’on désire écarter les zar en Éthiopie. Mais ce coq démoniaque de la nuit, noir de ramure et rouge de crête, est surtout une figuration du soleil absent : en effet, s’il est rouge matin et soir, il devient intégralement noir la nuit, à l’exception de cette crête sommitale écarlate, reliquat de la lointaine flamboyance solaire qui n’est plus capable d’éclairer la nuit aux sombres tentures d’encre noire…

Pourtant, comme l’on sait, la lumière apparaît toujours, même minime, au bout du tunnel. Dans un conte rapporté par Giambattista Basile au début du XVIIe siècle, l’auteur raconte l’histoire de Mineco Aniello qui débute dans la ville de Grotte Noire. Cette obscurité, c’est, pour lui, le monde de la nuit et de la vieillesse. Cet infortuné vieillard ne possède en tout et pour tout qu’un coq nain, qu’un jour il décide d’aller vendre au marché afin d’en tirer la menue monnaie capable de faire taire sa faim lancinante pour quelques jours. Voilà que deux nécromants s’approchent. L’un d’eux s’exprime auprès de l’autre dans une langue qu’il croit inconnue de Mineco Aniello : « Ce coq est vraiment notre chance, avec cette pierre qu’il a dans le citron ; nous la ferons sertir sur un anneau et elle exaucera tous nos vœux »12. Mais l’autre, pas né de la dernière pluie, entend bien ce qui se jargonne et fausse compagnie aux deux larrons alors qu’il est encore temps. Il prend néanmoins celui de casser la tête à son coq, en extirpe la pierre – lapillus alectorius, la prodigieuse pierre de coq – la fait monter sur un anneau de laiton et prononce le vœu de jeunesse, mais aussi celui de posséder un palais si luxueusement garni que le roi, ébahi par tant de richesses, lui accorderait la main de sa fille sans barguigner. Mais les deux nécromants parviennent à lui dérober la bague, ce qui condamne Mineco Aniello à revenir à son état initial : mauvaise fortune et pas bon cœur ! Malgré sa condition nouvellement diminuée, il s’aventure à la reconquête de sa bague magique et parvient jusqu’au royaume de Sombre Cave. Après force péripéties, il atteint au but. La perte de la bague le prive de soleil et le plonge dans la nuit. Un fait est notable : dans le conte, c’est à la faveur d’une noire nuit d’encre qu’il se réapproprie sa bague, donc le soleil. Il y a donc bien, même dans les situations les plus désespérées, un rayon de lumière qui guide un tant soit peu ceux qui sont égarés dans les ténèbres.

Pour conforter cette note positive, précisons les fonctions psychopompes du coq : il était vu ainsi par les anciens Germains, mais aussi par les Grecs, puisqu’il tient parfois compagnie à Hermès dont la fonction de transporteur d’âme est parfaitement identifiée. C’est pour faire prévaloir les qualités psychopompes du coq que Socrate, au moment de son exécution, formule auprès de Criton une requête bien particulière : celle de sacrifier un coq à Asclépios. Le dieu de la médecine, fils d’Apollon, qui guérit grâce aux serpents, « était précisément ce dieu qui, par ses médecines, avait opéré des résurrections sur terre, préfiguration des renaissances célestes »13. Ainsi le coq est-il, à l’instar du serpent, un guérisseur. De plus, « dans l’analyse des rêves, le serpent et le coq sont tous les deux interprétés comme des symboles du temps »14. La fabuleuse union des deux, tout au contraire, méduse : du basilic, l’on peut dire qu’il rend le temps éternel, tuant instantanément au premier regard.

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  1. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 283.
  2. Le Livre de Job, XXXIX, 36.
  3. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen âge, p. 69.
  4. Dioscoride, Materia medica, Livre II, chapitre 41.
  5. Le Roman de Renart, p. 31.
  6. Ce mot n’a ici aucun rapport avec la p’tite bébête qui court. Pou, poul ou pol encore sont d’anciens noms désignant le coq. Ainsi, 1 poul + 1 poule = 1 poulet ! Ils prêtaient autrefois le dos à la concurrence de gal/jal, termes d’ancien français issus du latin gallus.
  7. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen âge, pp. 197-198.
  8. C’est sa vanité qui faillit bien perdre Chantecler lors de sa confrontation avec Renart. Mais son intelligence le sauva d’un méchant péril, à la barbe de Renart, le gabeur gabé pour l’occasion !
  9. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 224.
  10. Michel Odoul, Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, p. 106.
  11. Contes de Pouchkine et des pays slaves, p. 153.
  12. Giambattista Basile, Le conte des contes, IVe journée, 1er conte, p. 318.
  13. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 282.
  14. Ibidem, p. 283.

© Books of Dante – 2022

Le cacaoyer (Theobroma cacao)

Synonymes : cacaotier, théobrome, cacavate, caraquier, cacaohyer, chocolayer, chocolatier.

J’ignore bien ce que Linné avait précisément en tête quand il décida en 1753 d’attribuer au cacaoyer le nom latin de Theobroma cacao, qui nous assure tout d’abord sur le caractère alimentaire du cacao, au contraire du café, qui n’était alors qu’article de luxe et de curiosité. Et encore ne parle-t-on pas, à son endroit, de n’importe quel type de nourriture (brômé) : pas moins que celle des dieux (théos) ! « On a cherché une cause à cette qualification emphatique, expliquait Brillat-Savarin : les uns l’attribuent à ce que ce savant aimait passionnément le chocolat ; les autres, à l’envie qu’il avait de plaire à son confesseur ; d’autres, enfin, à sa galanterie, en ce que c’est une reine qui en avait la première introduit l’usage »1, ce qui est vrai si l’on se cantonne à la seule histoire européenne du cacao. Or il convient de ne pas négliger le fait que cet arbre, apprécié des Mayas et des Aztèques, est domestiqué en Amérique depuis 5000 ans. Et pour ces civilisations, il était déjà pourvoyeur d’un produit luxueux au compte des riches et des dignitaires. Les fèves de cacao avaient même pour fonction monnaie d’échange, ce qui sous-entend que le cacao possédait bel et bien de la valeur et que celle-ci – pour ne pas risquer une crise – se devait d’être constante. D’ailleurs, les peuples soumis à la domination des Aztèques s’acquittaient de leurs tributs sous forme de caisses remplies de fèves de cacao. Cet « or brun » servait même, selon Pierre Pomet, à « donner l’aumône aux pauvres ». Mais sa principale fonction était donc de favoriser les échanges. Dans les civilisations maya (entre 300 et 900 après J.-C.) et aztèque (1325-1521), les plus belles fèves se réservaient à l’élaboration de boissons sacrées que l’on consommait uniquement lors de cérémonies rituelles d’importance, d’autant que le cacaoyer, alors non cultivé, était bien moins disponible qu’aujourd’hui. Quant aux fèves les plus banales, parce qu’elles se manipulent facilement et ne se détériorent que lentement, elles devinrent donc monnaie d’échange, que les Aztèques placèrent au cœur d’un système numérique en base 20. C’est donc d’elles dont on se servait sur le gigantesque marché de Tlatelolco, près de Mexico. On les échangeait contre de l’or, du jade et de l’obsidienne, mais également contre des produits de consommation plus courante : pour obtenir une tomate, il fallait débourser une fève, trois pour un lapin, 100 à 500 pour un esclave. Ce système se maintint jusqu’au moment où le cacaoyer fut cultivé par les colons : les fèves devenues moins rares virent leur valeur se diluer. Cette dévaluation sonna le glas de la fève de cacao comme monnaie à la fin du XVIe siècle.

En nahuatl, c’est-à-dire la langue des Aztèques, on désignait par le mot xoco-atl une boisson froide (atl : « eau »), non sucrée, relevée au piment, agrémentée de vanille et de fleurs d’agave (on pense aussi que du mot tlacacahuatl – « cacao de terre » (ce qui désigne l’arachide) – dériverait le terme même de chocolat). Ce qui est certain, c’est que le tchocolatl est une sorte de bouillie brune constituée de fèves grillées puis broyées en une pâte huileuse à laquelle on ajoutait de la farine de maïs, du piment (ou du poivre long). Les premiers goûteurs extra-américains en trouvèrent la saveur exécrable. Sans doute auraient-ils préféré ce que l’on servait au Mexique et que nous rapporte Bernardino de Sahagun en 1529 : « Il raconte qu’après les repas on avait coutume de servir de délicieuses boissons de cacao, sucrées avec du miel »2.

Le cacaoyer est un arbre qui a autant de mérite pour les populations d’Amérique centrale et du Sud que, par chez nous, le sureau en eut pour les Européens de l’ancien temps, c’est-à-dire qu’on le considère véritablement comme un arbre à tout faire, comme le fit remarquer le naturaliste nord-américain Cotton Mather (1663-1728). En effet, cette « plante alimente les Indiens en pain, en eau, en vin, en vinaigre, en alcool, en lait, en huile, en miel, en sucre, en aiguilles, en fil, en toile, en vêtements, en bonnets, en cuillères, en balais, en paniers, en papier et en clous ; en bois pour couvrir les maisons, en mâts, en voiles, en cordages pour leurs vaisseaux ». C’est peut-être en cela qu’on peut le qualifier de « divin ».

Cacao, qui n’est jamais que la corruption du mot cacahuatl opérée par les Espagnols, gagna aussi à ce qu’on lui retranche quelques éléments constitutifs de sa composition : « Des Espagnols à l’estomac délicat ont proposé de retirer de cette mixture incendiaire la farine de maïs et le piment pour les remplacer par du sucre »3 ou, parfois, du jus d’agave fermenté. Malgré cette modification, toujours souhaitable selon son goût, le cacao demeura, durant un temps, un article de luxe d’un côté et de l’autre de l’océan Atlantique. Le premier contact de l’Europe avec le cacao s’est incarné en la personne de Christophe Colomb qui, avant de ramener des fèves de cacao en Espagne à l’occasion de son quatrième et dernier voyage en 1502, en fit connaissance sur l’île de Carate : « Christophe Colomb étant arrivé dans cette île apprit que les habitants y vivaient ordinairement plus de 100 ans, parce qu’ils ne mangeaient que du pain de cacao ; qu’ils y mêlaient quelquefois pour le rendre plus agréable, un peu de vanille, de girofle (sic), de cannelle (re-sic), ou de quelque autre drogue aromatique semblable, mais sans sucre ; que les Espagnols en goûtèrent : qu’ils en prirent pour leurs malades, et qu’ils s’en trouvèrent bien »4. Cette description, qui semble vouloir faire du cacao une drogue d’immortalité, explique qu’on ait souhaité comparer ce breuvage à l’ambroisie olympienne (ce qui est bien plus intéressant que les raisons soi-disant justifiées par Brillat-Savarin…). Cortès, en 1528, ne fera pas moins, apportant du cacao à la cour du roi d’Espagne, boisson tonique, vantée comme adaptogène et permettant la marche quotidienne d’un homme sans qu’il ait besoin de se reposer. De ce revigorant, on eut tôt fait de l’établir comme aphrodisiaque. On le crut comme tel. Et pourquoi pas fécondant, tant qu’on y est ? Certains n’hésitèrent pas à l’affirmer malgré les protestations de quelques grincheux, à l’exemple de José de Acosta qui décrivit le cacao comme un horrible breuvage dans son Historia natural y moral de las Indias en 1590. Mais, globalement, l’attraction resta plus forte que le rejet, tant auprès de la noblesse espagnole que de celle installée dans les nouveaux pays d’Amérique centrale et du Sud : par exemple, au Guatemala, aux environs de 1625, la tentation du chocolat était si forte que les dames se le faisaient apporter durant la messe jusque dans l’église ! Ce à quoi certains ecclésiastiques rétorquèrent par des menaces d’excommunication, tandis que d’autres, plus avisés, déclarèrent que « liquidum non frangit jejunium ». A peu près à la même époque, le cacao, sous forme de boisson toujours, était très en vogue en Espagne, avant de glisser progressivement à l’Italie, à la Grande-Bretagne et à la France enfin. Il faut dire que cet aliment/boisson, réservé à une élite, se popularisa tout d’abord de cour en cour. Rien de tel qu’une figure princière pour jouer le rôle de parfait ambassadeur du cacao : c’est ce qui s’est passé en France. En 1615, la fille du roi d’Espagne Anne d’Autriche arrive en France avec, en plus d’une promesse de mariage, du cacao. Ce qui, on peut le penser, plut à son mari Louis XIII, faisant de la reine la future mère du Roi Soleil. Et les faits se télescopent, puisqu’il est prétendu que la première apparition publique du cacao eut lieu au mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Autriche en 1660. Ce qui ne cadre pas avec une anecdote que narre Jacques Brosse, mais dans laquelle transparaît encore cette aristocratie du chocolat : « La reine, qui en raffolait, en gardait des stocks sous clef et s’en faisait préparer en secret par une servante espagnole, mais cela se sut et aussitôt la mode s’en répandit dans le grand monde »5. Après avoir été contingenté, le cacao se vulgarisa, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Mais il fallut attendre plusieurs décennies avant qu’il ne se démocratise. C’est peut-être cette prééminence princière et royale qui lui fit mériter son nom de « nourriture » des dieux par l’intermédiaire de Linné, attendu que le roi détient son pouvoir de la main de Dieu : quoi de mieux, pour asseoir cette idée, qu’une boisson qui proviendrait des mêmes sphères ? C’est une bonne question, mais cette thèse ne parvient pas à me convaincre, car le cacao demeure un théobrome malgré les Louis XIII ou XIV. Non, je pense que s’il est en relation avec le divin, c’est pour une raison beaucoup plus intéressante que celle d’avoir frayé dans plusieurs cours d’Europe durant quelques siècles. La raison en est ailleurs, c’est évident. Avec toute vraisemblance du côté de l’Amérique centrale : de même qu’il y eut des divinités du maïs dans l’Amérique précolombienne, il y en eut sans doute certaines liées au cacao : c’est le cas de Yacatecutli pour les Aztèques et d’Ek Chuak, seigneur divin du cacao des Mayas, « dieu tutélaire des marchands ambulants et de la prospérité », espèce d’Hermès auquel on peut accorder un peu d’Arès, puisque cette divinité méso-américaine était aussi surnommée le « chef de guerre noir » ou « scorpion noir » (à moins qu’il n’ait été identifié, sous cette appellation, à une autre divinité, Ek Ahau…). Ces divinités veillaient donc à ce qu’il n’arrive rien à ceux qui acheminaient le cacao par des voies parfois fort dangereuses, l’approvisionnement en fèves de cacao et ses conséquences dépendant essentiellement d’eux. C’est pourquoi, tant chez les Mayas que chez les Aztèques, ces transporteurs longue distance et commerçants tout à la fois possédaient un statut qui leur valait d’être inclus parmi l’élite, du fait de l’aspect très respectable de leurs activités.

Au XVIIe siècle, alors qu’il se popularisait, le cacao, qui n’était pas encore du chocolat à proprement parler, demeurait sous forme liquide. C’est au siècle suivant, accédant à la forme solide comme on le connaît (presque) encore aujourd’hui, qu’il devint bel et bien du chocolat dont l’exquisité passait absolument par la résolution « d’équations très subtiles », comme le faisait très justement remarquer Brillat-Savarin. Que d’hésitations n’infligea-t-on pas au chocolat, de même qu’une audace qui passerait aujourd’hui pour parfaitement criminelle. Voici, par exemple, du temps de Lémery (fin XVIIe siècle), la liste des ingrédients retenus et la quantité nécessaire pour chacun : pour deux kilogrammes de pâte de cacao, ajouter 1,5 kg de sucre, ainsi qu’une poudre aromatique composée de 18 gouttes d’extrait de vanille, huit clous de girofle, 6 g de cannelle, 10 cg d’ambre gris et la moitié moins de musc. Mais, comme on le voit, aucun de ces ingrédients barbares, instruments de l’incendie capable d’affecter la délicatesse du palais, comme le poivre et le gingembre, jugés trop âcres, ou encore de ces substances dont on s’étonne que les Anciens aient, un jour, eu l’idée de les mêler au chocolat : la poudre de rocou (Bixa orellana), les graines d’anis, le cachou, le baume de copahu ou, mieux, le baume du Pérou avec ses notes vanillées bienvenues. Le bon goût français réfutait toutes ces choses-là, et l’on savait très bien qu’il n’appréciait que le chocolat que l’on fabriquait alors à Paris (ce qui passerait aujourd’hui pour une vaste blague ^.^). C’est du moins ce qu’affirmait, dur comme fer, Joseph Roques : « Nous croyons que ceux de Paris l’emportent sur tous les chocolats du monde quand le charlatanisme n’y met point la main »6. Reprenant point par point le propos de Brillat-Savarin, il partageait avec lui l’admiration que l’on vouait à ce maître chocolatier parisien des plus renommées, c’est-à-dire le fournisseur de chocolat des rois, Sulpice Debauve (1757-1836) qui, avec son neveu Jean-Baptiste Auguste Gallais (1787-1838), fit briller la chocolaterie parisienne, sise au 30 rue des Saints-Pères (où elle existe toujours au reste plus de deux siècles après sa fondation), face à la faculté de médecine (il faut dire que Debauve était initialement pharmacien), tandis que Gallais condensa dans un bref ouvrage ce qui représenta le cœur du métier des deux hommes pendant des décennies (Monographie du cacao ou Manuel de l’amateur de chocolat édité en 1827). Ces précurseurs favorisèrent le fait qu’au milieu du XIXe siècle, on observa une production de chocolat de grande consommation (ce qui est à relativiser par rapport à ce qu’elle put être par la suite), l’année 1856 voyant la première tablette de chocolat être produite. D’autres entrepreneurs firent entrer le chocolat dans l’ère industrielle : c’est le cas du chocolatier Menier (qui existe toujours, même si c’est sous la houlette de N*stlé…), œuvre d’Antoine Brutus Menier à Noisiel (Seine-et-Marne) en 1816, concurrent direct du Hollandais Coenraad Joahnnes Van Houten (1801-1887) et des Suisses qui innovèrent en 1876 en proposant au public le premier chocolat au lait.

A la fin du XVIIe siècle, Pierre Pomet faisait observer que l’irruption du café et du cacao en France en avait chassé le thé qui, jusqu’alors, n’avait été prisé que par « fort peu de gens de qualité ou de bons bourgeois »7. Un siècle plus tard, ces trois drogues furent rangées dans un seul et même sac par le médecin parisien Desbois de Rochefort en raison du fait qu’« on en abuse fréquemment, et non moins désavantageusement pour la santé »8. Mais le chocolat eut également son aréopage de prescripteurs zélés, tel médecin ne concevant pas de soigner un rhume sans le concours assidu du cacao. En clair, en faveur du chocolat, on découvre des noms célèbres dans l’histoire médicale : Cartheuser, Tissot, Van Swieten, Hufeland et jusqu’à Cullen lui-même, c’est tout dire ! Il était l’objet des plus élogieuses flatteries de la part des uns et des pires descentes en flammes par les autres. « Le chocolat a été tour à tour prôné et déprécié par les médecins. Ceux qui en on fait un pompeux éloge l’aimaient sans aucun doute ; ceux qui l’ont décrié avaient peut-être pris du chocolat de mauvaise qualité, tant le plaisir ou la peine influe sur notre jugement »9. En effet, le degré d’appréciation du corps médical à l’endroit du chocolat oscillait du nectar indien à l’aliment visqueux et colliquatif ! Parfois on changeait même d’avis comme de chemise : par exemple, sans être médecin, Madame de Sévigné, dans une lettre rédigée à l’adresse de sa fille en 1671, lui recommandait le cacao comme roboratif avant de le vouer aux gémonies, l’accusant deux mois plus tard de mener sûrement à la mort ! Desbois de Rochefort, malgré son titre de médecin, n’était pas à l’abri de proférer de telles « énormités », en particulier lorsqu’il écrit ceci dans son Cours élémentaire de matière médicale : « Le cacao est très peu nourrissant, parce que le principe nutritif y est en très petite quantité, et que le principe butyreux [NdA : relatif au beurre ; ici prend le sens de « gras »] domine »10. Il n’était cependant pas du genre à cracher dans la soupe, avouant son penchant pour le chocolat à la vanille, au contraire du chocolat dit de santé qui, selon lui, n’avait de santé que le nom, le préférant encore au chocolat royal empêtré de tout un tas d’ingrédients superflus (gingembre, cannelle, poivre, etc.), beaucoup trop fort et échauffant pour être d’un quelconque intérêt dans l’usage de la médecine. Le chocolat de santé, obtenu par broyage des fèves de cacao grillées en une pâte à laquelle on additionnait un peu de sucre, portait encore le nom de chocolat analeptique ou de chocolat des convalescents. Ça n’était donc pas un chocolat de dégustation, mais un chocolat médicinal, comme tous ceux qui lui firent suite : chocolat analeptique au salep, chocolat antispasmodique à la fleur d’oranger, chocolat au lait d’amande pour les tempéraments irritables, chocolat ambré, etc.

Comme d’après Joseph Roques Brillat-Savarin était un peu médecin, laissons donc libre court à la verve du célèbre gastrolâtre de la première moitié du XIXe siècle : « Avec le temps et l’expérience, ces deux grands maîtres, il est resté pour démontré que le chocolat, préparé avec soin, est un aliment aussi salutaire qu’agréable ; qu’il est nourrissant, de facile digestion ; qu’il n’a pas pour la beauté les inconvénients qu’on reproche au café, dont il est au contraire le remède ; qu’il est très convenable aux personnes qui se livrent à une grande contention d’esprit, aux travaux de la chaire [NdA : et non de la chair !] ou du barreau, et surtout aux voyageurs ; qu’enfin il convient aux estomacs les plus faibles ; qu’on en a eu de bons effets dans les maladies chroniques, et qu’il devient la dernière ressource dans les affections du pylore »11. En jetant un œil par ailleurs, l’on y trouve la confirmation de l’ensemble du point de vue de Brillat-Savarin, c’est-à-dire que le chocolat est favorable aux travailleurs intellectuels, aux personnes de constitution nerveuse, aux tempéraments ardents, bilieux et sanguins, aux spasmés, etc. On en fit même la consolation des hypocondriaques, raison qui explique que le Cardinal de Richelieu affecté par ce mal valut au chocolat une renommé qui s’appuya sur le fait que cet aliment exclusif parvint à remettre complètement sur pieds le ministre de Louis XIII. D’autres mal-en-point tirèrent encore profit des bons offices du chocolat : à ceux-là, on administrait le chocolat des affligés que Brillat-Savarin conseillait, assurant qu’il leur fallait absorber « un bon demi-litre de chocolat ambré, à raison de soixante-douze grains [NdA : environ 4 g] d’ambre par demi-kilogramme, et ils verront merveilles »12. Tout cela n’étant rendu possible qu’à partir du moment où l’on avait écarté ses pas des chausse-trapes tendues par les faussaires, car le chocolat, comme tout autre chose un tant soit peu convoitée, connut également ses sophistications et approximations dont l’énoncé laisse parfois pantois : il n’aurait pas été question, par exemple, de faire passer le premier racahout venu13 pour un chocolat d’excellence, sans que cela n’eut des conséquences fâcheuses, d’autant lorsqu’il est question de la santé des hommes, dont certains ne sont pas nécessairement en bon terme avec le chocolat, sachant qu’il ne sied guère aux tempéraments lymphatiques, froids, inertes, manifestant une faible volonté à l’exercice. En tous les cas, et pour en terminer là, nous pouvons affirmer, avec Jean-Marie Pelt, « qu’en devenant chocolat et médicament, le cacao a bien tourné. C’est un rare exemple d’une drogue qui a parfaitement réussi sa reconversion ! »14.

Le cacaoyer est un assez petit arbre, ne dépassant pas 15 m au naturel, la moitié moins lorsqu’il est cultivé. Originaire d’Amérique centrale et répandu maintenant à l’ensemble des régions chaudes et humides du globe, cet arbre « allergique » à la lumière se développe préférablement dans les sous-bois aux sols fertiles et drainés, à une température annuelle moyenne de 16° C. On le trouve dans les pays suivants :

  • Amérique centrale : Équateur, Honduras, Nicaragua, Guatemala, Mexique
  • Amérique du Sud : Brésil, Pérou, Guyane
  • Antilles : Jamaïque, Martinique, République dominicaine, Haïti
  • Afrique : occidentale (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Burkina Faso, Nigeria), équatoriale (Kenya, Congo, Cameroun, Ouganda), Madagascar
  • Asie : Indonésie, Sri Lanka

Le cacaotier possède un bois à l’écorce brune et gercée, des branches garnies de grandes feuilles pendantes, alternes, plus ou moins ovales, de nature coriace et nervurées en talons. La floraison, constituée de grappes de petites fleurs, est étonnante en ce qu’elles peuvent émerger à même le tronc (mais aussi sur les plus grosses branches), ce qui est un bien curieux spectacle que ces fleurs fragiles qui fanent dans la journée de leur éclosion, sans parler de celles, nombreuses, qui avortent et tombent avant d’y parvenir. Cinq sépales, cinq pétales, une vraie « star », au centre de laquelle se déploient en faisceau dix étamines et cinq filaments stériles dont la couleur pourpre contraste très nettement avec celle des pétales, qui arborent une couleur pareille à celle du chocolat blanc, semblant même être taillés dans cette matière ! Puis vient la cabosse (la tête bosselée), c’est-à-dire le fruit du cacaotier, espèce de fuseau ventru côtelé dans le sens de la longueur par dix crêtes raboteuses. Mesurant généralement une vingtaine de centimètres pour un poids compris entre 300 et 500 g, chaque cabosse, initialement verte, s’oriente vers le jaune, puis un rouge tacheté de jaune15. Quand on vient à l’ouvrir, on constate que l’intérieur d’une cabosse abrite cinq loges contenant plusieurs rangées de grosses graines plates comprimées comme les grains d’une grenade prête à exploser, cernées par une pulpe gélatineuse et fondante, et attachées à un placenta central. On compte entre vingt et trente de ces amandes par cabosse (et parfois jusqu’à quatre-vingt). Grosses comme des olives, plus ou moins piriformes parfois, taillées encore en forme de cœur allongé, ces graines sont luisantes, polies, d’un beau violet clair en dehors, blanches en dedans.

Le cacaoyer en phytothérapie

Les voies divines sont impénétrables dit-on. Pourtant, sur l’unique question du cacaoyer, il aura fallu une succession d’étapes qu’il n’est pas possible d’imputer toutes au seul hasard afin que, de la fève contenue dans la cabosse grumeleuse, on parvienne à l’onctueuse finesse du chocolat. Mais la trajectoire qui s’est dessinée entre les deux n’est pas en droite ligne et ne trace par un trajet unilatéral, car c’est bien plus que du seul chocolat que le cacaotier a accouché. C’est cette évidence que nous souhaitons aborder dans cette seconde partie : rendre compte de toutes ces substances issues de la fève du cacaotier en dehors du chocolat auquel nous réserverons bien entendu les lignes qu’il mérite en fin d’article.

Une fois ouverte, l’on voit se dessiner dans la cabosse des empilements de fèves tassées au creux d’une substance mucilagineuse et visqueuse, un peu à la manière des graines de courge, parfois inextirpables en raison du caractère gluant de la matrice qui les héberge. Ces fèves sont protégées par un tégument, pellicule jaunâtre, qui sépare l’intérieur de la fève prenant l’aspect d’une substance tendre, pulpe blanche qui se divise en plusieurs particules inégales, et comme mousseuse, amère et un peu acide, abandonnant en bouche de l’âcreté et, détail cocasse, parfaitement inodore. L’on fait fermenter ces graines, on les terre16, puis on les rôtit (parfois on les sèche au soleil : ainsi fait-on lorsqu’on destine les fèves – entières, en poudre, en éclats – à demeurer crues), on les laisse refroidir puis, par le biais d’un mécanisme on les presse à froid, ce qui permet d’obtenir la masse de cacao de laquelle on retire l’huile végétale du cacaoyer, plus connue sous l’appellation de beurre de cacao, représentant la moitié du poids d’une fève de cacao. C’est par le biais de la fermentation et du séchage que la fève développe arômes et parfum, c’est pourquoi cette huile fixe de couleur jaune pâle crémeux qu’est le beurre de cacao possède des notes chocolatées très marquées. Peu sensible à l’oxydation, le beurre de cacao demeure, à température ambiante, à l’état solide et se liquéfie à partir de 35° C. Quel que soit le lieu de provenance (j’ai décortiqué des bulletins d’analyse de beurres de cacao issus de République dominicaine, du Congo et d’Ouganda), sa composition biochimique demeure relativement stable. Voici des chiffres moyens :

  • Acides gras saturés (62 %) dont : acide stéarique (34,80 %), acide palmitique (25,50 %), acide arachidique (1 %), acide béhénique (0,20 %), acide margarique (0,20 %), acide myristique (0,10 %), acide lignocérique (0,10 %) ;
  • Acides mono-insaturés (34,30 %) dont : acide oléique (34 %), acide palmitoléique (0,25 %), acide érucique (0,05 %) ;
  • Acides polyinsaturés (3,30 %) dont : acide linoléique (3,10 %), acide linolénique (0,20 %).

Tout cela représente le gros des troupes bien entendu, car il est des substances qui se cachent dans le détail. C’est, par exemple, le cas de la vitamine E, assez souvent associée aux acides gras. On y débusque encore des flavonoïdes comme la catéchine et l’épicatéchine, ce qui est bien normal puisque la fève de cacao est généralement riche de ces polyphénols comme la procyanidine. Dans le beurre de cacao se cachent encore des phytostérols, à l’image du β-sitostérol, du stigmastérol et du campestérol. Enfin, remarquons la présence d’une substance également constitutive du sébum humain : le squalène.

Élargissons maintenant notre propos à l’autre moitié de la fève de cacao, celle-là même qui n’est pas composée de lipides. En effet, si nous savons que 50 % d’une fève est de nature lipidique, on y trouve tout de même 8 % d’eau, 12 % de matières amylacées (amidon), 14 % de matières azotées, de la cellulose, des fibres et du tanin. En ce qui concerne les plus petites unités, nous pouvons constater l’existence d’une petite fraction de caféine (0,05 à 0,30 %), bien inférieure à celle de cet autre alcaloïde, la théobromine, qui se localise surtout dans le tégument de la fève (1 à 3 %). Afin de marquer sa communauté avec le théier, le cacaoyer fabrique encore un tout petit peu de théophylline. Du domaine de l’infiniment plus petit, il est à signaler un grand nombre de sels minéraux et d’oligo-éléments (fer, potassium, calcium, magnésium, manganèse, phosphore, zinc, cuivre) et de vitamines (A, B3, B12, C), enfin diverses substances impliquées dans la sécrétion de neurotransmetteurs capitaux (tyramine, dopamine, sérotonine).

Par la méthode d’extraction au CO2 supercritique, on retire du beurre de cacao un extrait aux notes de chocolat dont il faudrait que je m’assure qu’il possède bien un parfum similaire à l’absolu que l’on soustrait des fèves par solvant, substance épaisse, voire visqueuse, très foncée, au délicieux parfum chocolaté, doux, chaud et vanillé.

Propriétés thérapeutique

Le cacao en général :

  • Restaurateur des forces, excite la vigueur, rappelle les forces abattues, tonique, réparateur, nutritif, renforce le système immunitaire
  • Anti-oxydant, antiradicalaire
  • Antiseptique, antibactérien
  • Stimulant du système nerveux, stimulant de la sécrétion d’hormones (dopamine, sérotonine), relaxant, sédatif, euphorisant
  • Protecteur cardiovasculaire, cardiotonique, favorise la circulation sanguine artérielle, normalise le taux de LDL
  • Diurétique, éliminateur des chlorures, tonique rénal
  • Digestif, fortifiant de l’estomac
  • Expectorant, fortifiant pectoral
  • Astringent
  • Antalgique
  • Emménagogue (?)

Le beurre de cacao en particulier :

  • Nourrissant, hydratant puissant (évite les pertes d’humidité excessives via la peau), protecteur cutané, renforce l’élasticité, la flexibilité et la douceur de la peau, réparateur cutané, régénérateur du film hydrolipidique, cicatrisant, résolutif, apaisant, émollient
  • Revitalisant et protecteur des cheveux secs, prévient la déshydratation capillaire
  • Anti-oxydant

Usages thérapeutiques

Le cacao en général :

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine, oligurie, œdème, ascite
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : artériosclérose, hypertension artérielle modérée, établir une circulation sanguine normale, hémorroïdes internes
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, débilité stomacale
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, calmer la toux convulsive des asthmatiques
  • Faiblesse générale, convalescence, humeur dépressive

Le beurre de cacao en particulier :

  • Affections cutanées : peau sèche à très sèche, peau déshydratée, rêche, irritée, peau mâture, ridée
  • Gerçure du nez et des lèvres, brûlure, dartre, furoncle
  • Prévention des vergetures durant la grossesse
  • Soin des cheveux secs et déshydratés

Modes d’emploi

  • Théobromine : par dose de 0,50 g à raison de deux à six fois par jour. Il y a très longtemps (j’ai repéré ce que je vais vous apprendre dans des magazines médicaux des années 1930), diverses spécialités utilisant la théobromine avaient cours, à l’image de la Théocardine Laleuf, une auxithérapie cardio-rénale qu’on absorbait au rythme de deux à huit dragées dans les 24 heures, ou de la Théobromose Dusménil, spécialité diurétique et cardiotonique. Tout ceci est bien désuet, mais si vous souhaitez profiter de la théobromine, peut-être que ce que j’ai à vous conter saura vous satisfaire : entamer ce travail sur le cacao m’aura fait souvenir que mon beau-frère m’avait naguère offert des écorces de fèves de cacao dont, jusqu’à présent, je n’avais pas trouver que faire. On peut les moudre très facilement avec un moulin à café, puis ajouter l’équivalent d’une petite cuillerée de cette poudre à votre café usuel au moment d’y faire passer l’eau. On peut encore, sans avoir à les moudre, s’en servir d’une autre manière : les faire infuser tel quel à raison d’une cuillère à café d’écorces pour 125 cl d’eau à 80° C pendant 5 mn maximum. Avec les doses de théobromine que cela fait absorber à l’organisme, il n’y a pas de risque d’un excès. En tous les cas, ce que je puis dire de mon expérience avec l’écorce de cacao, c’est qu’une prise régulière semble avoir les effets suivants : réveil matinal plus facile et qui survient plus tôt que prévu, meilleure résistance à la fatigue durant la journée, pas de sensation de piquer du nez, concentration accrue, moins de dispersion, etc. On pourrait presque parler de propriété adaptogène (?). A moins qu’il ne faille mettre cela sur le compte de l’action combinée de la théobromine du cacao à celle de la caféine du café…
  • Infusion aqueuse de poudre de cacao (plus ou moins concentrée selon les cas), additionnée de lait (si vous le digérez), de lait d’amande, etc.
  • Beurre de cacao : à la base de plusieurs pommades et cosmétiques (baumes, crèmes, sticks à lèvres, etc.). Autrefois, on se servait du beurre de cacao pour fabriquer les suppositoires sachant que cette substance lipidique demeure solide, ce qui est aisé pour en concevoir des médicaments qui fondent à partir de 35° C, soit un peu en-dessous de la température corporelle.
  • Absolu : à diluer dans une huile végétale. Parfait pour se livrer à des massages à visée tonique, euphorisante et/ou aphrodisiaque. Qui a dit érotique ? ^.^

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Le cacao est contre-indiqué chaque fois que l’organisme est sujet à une irritation et/ou une inflammation intestinale chronique. Son excès peut mener à des maux de tête, des vomissements, des vertiges. Quant à la tyramine seule, à son contact, une intolérance, voire une réaction allergique, sont possibles.
  • Le beurre de cacao, du fait de la forte proportion d’acides gras saturés qu’il contient, est une substance relativement stable dans des conditions normales de conservation (stockage à l’abri de l’air, de la lumière et de la chaleur). Au cours de son emploi, il faut veiller à ne pas le chauffer directement mais toujours à le fondre à feu doux, au bain-marie. Non irritant pour la peau et les yeux, le beurre de cacao est biodégradable et non écotoxique.
  • Après torréfaction des fèves de cacao, celles-ci sont broyées afin d’en obtenir une pâte de cacao que l’on convie ensuite au conchage. Concher le chocolat, c’est l’affiner par brassage à 80° C dans une conche, afin de l’harmoniser avant adjonction des principaux autres ingrédients que sont le beurre de cacao, le sucre et la vanille, coadjutrice du cacao, comme autrefois la cannelle. Quand on opère un mélange à partie à peu près égale de sucre et de chocolat, on obtient un produit final ainsi composé : sucre (57 %), lipides (24 %), protéines (12 %). Rien à voir avec les chocolats que je consomme habituellement (90 % au moins) : sucre (7 à 11 %), lipides (55 à 58 %), protéines (8 à 10 %). Il est selon moi dommage d’« abrutir » un tel produit avec des quantités de sucre telles qu’on peut se demander si elles ne cherchent pas à corriger l’extrême médiocrité du cacao initialement employé pour ce faire… Médiocrité ou pas, ces excès de sucre doivent interroger, car ce n’est pas tant la graisse du chocolat qui pose problème contrairement à ce qui est parfois avancé (pour preuve, ne disait-on pas que la poudre de cacao dégraissé serait beaucoup plus digestible que le chocolat usuel du commerce ?). Aujourd’hui, ceux que je considère comme immangeables, ne sont pas ceux riches en graisse saturées (il faut en revenir des graisses saturées soi-disant vectrices des pires maladies ?!), mais ces chocolats qui abritent de phénoménales quantités de sucre. Au-delà du chocolat noir (je vous fais grâce de cette abomination qu’est le chocolat au lait. Quelle idée ?!), il existe un nombre incalculable de spécialités, des plus attendues aux plus loufoques (chocolat à la noisette, aux zestes d’orange, aux noix de pécan, aux cranberries, etc.), autre manière de varier les plaisirs, toutes babioles dont savent parfaitement se passer les « grands crus » dont les « qualités varient suivant le climat, la nature du sol, l’exposition où croît le cacaoyer, et suivant les soins qu’on apporte à sa culture »17. D’autres préparations fort nombreuses requièrent l’indispensable présence du cacao (pâtisseries, confiseries, boissons…), sans doute parce que « vanille, café, cacao forment une triade où le soleil des tropiques semble avoir enclos, sous une livrée d’ébène ou de bure, les senteurs et les saveurs les plus alliciantes »18. Le chocolat noir, qui assure 600 calories aux 100 g en moyenne, se conserve longtemps (un an) à une température ambiante de 18° C. Un voile blanc se développe parfois à la surface des tablettes de chocolat ayant été exposées un tantinet à la chaleur. Certains disent que cela n’altèrent en rien sa qualité. Je ne suis pas exactement d’accord avec cela.

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  1. Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, p. 118.
  2. Henri Leclerc, Les épices, p. 40.
  3. André Soubiran & Jean de Kearney, Le petit journal de la médecine, p. 273.
  4. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 153.
  5. Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 187.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 331.
  7. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 144.
  8. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 305.
  9. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 331.
  10. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 261.
  11. Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, p. 119.
  12. Ibidem, p. 120.
  13. Il s’agit d’une poudre alimentaire d’origine nord-africaine à base de farines (riz, gland) et de fécules (pomme de terre, salep), agrémentée de cacao, de vanille et de sucre.
  14. Jean-Marie Pelt, Drogues et plantes magiques, p. 77.
  15. La couleur de la cabosse mûre (jaune, orangée, rouge, brun violacé) dépend de la variété. En effet, il existe plusieurs cultivars dont le criollo (de loin le plus rare et recherché : 5 % de la production mondiale), présent au Mexique, en Colombie, en Indonésie, au Sri Lanka ainsi qu’aux Caraïbes. Ensuite, vient le plus commun, le forastero (80 % de la production mondiale) du Brésil et d’Afrique occidentale et équatoriale. Le trinitario est quant à lui un hybride des deux précédents (10 % de la production mondiale). Enfin, on note l’existence du nacional, présent surtout en Équateur. Il est, tout comme le criollo, relativement rare.
  16. Cacao terré : il s’agit d’enfermer sous terre durant trente à quarante jours les amandes de cacao afin de leur faire perdre de leur âcreté.
  17. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 329.
  18. Henri Leclerc, Les épices, p. 43.

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Le papayer (Carica papaya)

Synonymes : arbre à melons, figuier des îles, mamara1.

Dans ce qui s’appelle aujourd’hui le Mexique, les anciens Mayas employaient différentes fractions végétales du papayer en guise de matière médicale dont les pousses de la plante, le latex de la peau du fruit, ainsi que son jus. Au Brésil, les fleurs étaient utilisées en infusion pour traiter des problèmes de la sphère respiratoire comme la bronchite et la trachéite, mais également pour régler des soucis hépatiques et digestifs, les graines comme vermifuge. L’Amérique centrale et du Sud n’a visiblement pas attendu que les conquistadores débarquent pour savoir comment appareiller ce fruit à tout faire. Pour autant, la papaye n’est connue des Européens que depuis le XVIIe siècle : on voit Joseph Roques en parler dans les années 1830 comme s’il s’agissait d’un fruit à la réputation assez répandue, mais c’est, je crois, dans l’œuvre de Lémery qu’elle apparaît pour la toute première fois. Il dit de cet arbre d’Amérique qu’il est « haut de quinze à vingt pieds [NdA : soit 5 à 7 m], gros comme la cuisse d’un homme, creux et spongieux en dedans, si tendre qu’on peut le couper en travers entièrement d’un coup de sabre »2. Précisons, afin de ne pas tromper le lecteur, que malgré sa configuration, le papayer n’est pas un arbre mais, à l’instar des palmiers et autres bananiers, une herbe dont le gigantisme et l’archaïsme semblent le rapprocher des dinosaures : il est vrai qu’il se configure de telle manière qu’on peut aisément l’imaginer participer au décor d’une époque lointaine et reculée : la moitié de sa hauteur est occupée par un « tronc » nu couvert d’une écorce lisse couleur de cendres, alors que la moitié supérieure est organisée en « mode palmier », formant un ensemble rayonnant de pétioles nombreux, lisses comme le « tronc » et au bout desquels s’enchâssent le limbe des feuilles, comme pour faire remarquer qu’une feuille de papayer est à l’image réduite de l’herbe qui la porte. Pour rappeler davantage la filiation entre palmier et papayer, le tronc de ce dernier est marqué par les empreintes des feuilles tombées. Ces grandes feuilles peuvent mesurer près d’un demi mètre de largeur et comptent sept lobes inégaux. Plante parfois hermaphrodite, le papayer est le plus souvent dioïque. Les pieds femelles portent des fleurs groupées par deux ou trois sur la partie supérieure du tronc, faisant comme une ceinture à la plante. Fixés sur un pédoncule simple, court et pendant, les fleurs femelles possèdent cinq divisions par corolle, un ovaire ovale et cinq styles brefs. Quant aux fleurs mâles, à la suave odeur de lis des vallées (sans doute le muguet), elles sont insérées sous forme d’épillets pendants au bout d’un long pédoncule, fichées à l’aisselle des feuilles. Ces fleurs sont formées d’un petit calice à cinq dents et d’une corolle infundibuliforme, c’est-à-dire en forme d’entonnoir (un truc à rendre fou, des mots pareils ^.^). Si les fleurs hermaphrodites produisent des fruits allongés en forme de concombre, ce n’est pas vraiment ce standard qui nous vient à l’esprit quand on lui suggère l’idée même de papaye, fruit plus ou moins piriforme, mou et ovoïde, creusé de cinq sillons (en rapport avec les cinq divisions des fleurs femelles), à l’écorce fine, tout d’abord verte, renfermant une chair blanchâtre, dure et ferme. Puis, jaunissant à maturité, la chair épaisse et succulente (sans être dégoulinante) de la papaye lui fait mériter le surnom de « chair de melon », tant l’orangé du fruit mûr y fait songer. Les fruits parfois monumentaux du papayer peuvent atteindre jusqu’à 60 cm de longueur pour un poids de 5 à 10 kg. A la façon d’une citrouille, l’intérieur de la papaye est tapissé de graines noir grisâtre nombreuses, oblongues, bosselées et chagrinées. Ces semences renferment un petit grain blanc et visqueux, dont le goût est proche de celui du cresson, d’où la similitude avec la saveur « moutardée » évoquée par ailleurs.

Les fleurs mâles du papayer.

Originaire d’Amérique centrale (probablement du Mexique), le papayer est une plante à vie courte et à croissance très rapide (en six mois d’existence, il peut atteindre la taille d’un homme), qui exige une exposition ensoleillée et une température moyenne de 25° C, un sol profond et riche, ainsi qu’une abondante pluviométrie, ce qui explique son actuelle présence en tant qu’espèce cultivée à l’ensemble des zones tropicales et subtropicales du globe, où il est largement consommé : Brésil, États-Unis (Californie, Floride, Hawaï), Australie, Inde, Afrique, Antilles… Voyageant mal, on trouve rarement les papayes en Europe (même s’il m’arrive parfois d’en dénicher quelques-unes dans certains magasins de produits biologiques).

Du fait de sa relative rareté et du peu d’auteurs anciens qui ont pris la peine de se pencher sur le cas de la papaye, il existe donc très peu d’informations dignes d’intérêt dans l’œuvre de nos prédécesseurs, hormis ce que la science moderne a établi au sujet de ce fruit. Tout au plus pouvons-nous convoquer de nouveau Nicolas Lémery qui faisait remarquer que ce fruit « est avant qu’il soit mûr rempli d’un suc laiteux ; l’arbre en contient aussi un semblable, mais il est acerbe et de mauvais goût : on s’en sert pour effacer les taches de la peau qui viennent de la chaleur »3. Ces informations s’adressent à celui que Lémery nommait papayer mâle. J’aime voir dans son papayer femelle celui qui forme les fruits poussant très près du tronc et dont il dit ceci : « Le fruit du papayer fortifie l’estomac, ses semences sont bonnes pour le scorbut, pour exciter l’urine et les mois aux femmes »4.

Le papayer en phytothérapie

Cette grande herbe qu’autrefois l’on classa dans la même famille que la passiflore, possède quelque rapport avec une plante dont le nom latin entretient beaucoup de similitude orthographique avec celui du papayer : Papaver somniferum. A l’un on incise les capsules vertes, à l’autre l’écorce des fruits pas encore mûrs. Dans les deux cas, un liquide blanc et laiteux s’écoule des plaies jusqu’à ce que l’air ambiant le fige en une masse blanchâtre ou brune, que l’on récolte par raclage, ce qui permet d’en prélever environ dix grammes par fruit. Quand on brûle ce suc desséché, il répand une odeur animale, rappelant celle de la viande grillée et forme une cendre phosphorescente à la flamme du chalumeau.

En accordant au papayer le nom latin de Carica papaya, la taxinomie binominale a cherché à rapprocher ce végétal d’un autre par lequel il est uni par cette communauté laticifère, le figuier (Ficus carica).

Le latex brut, sec et épaissi du papayer se singularise par la présence de trois substances d’importance thérapeutique formant la papaïne brute, à savoir : deux enzymes protéolytiques tout d’abord, la papaïne et la chymopapaïne. A ces deux substances s’ajoutent la papayaprotéinase. On y décèle aussi un alcaloïde, la carpaïne.

Outre le latex que l’on retire majoritairement de la peau des fruits verts et des feuilles, la pulpe de la papaye est remarquable par ses glucides, ses vitamines nombreuses (A, B1, B2, B5, B9, C, E) et ses sels minéraux (fer, phosphore, potassium, calcium, magnésium…). Du carotène, des fibres et des flavonoïdes complètent ce portrait. Au cœur de la pulpe, les rangées de graines serrées, bien plus que les fleurs, participent de la thérapeutique du papayer : elles doivent leur goût « moutardé » à des glucosalinates qu’on trouve aussi dans les feuilles (tétraphylline, prunasine, glucosalinate de benzyle). Ces dernières recèlent encore de l’acétogénine, une substance anticancéreuse qui fait parler d’elle à travers un autre fruit tropical sud-américain peu connu, le corossol ou graviola (fruit du corossolier, Annona muricata).

Propriétés thérapeutiques

  • Latex : – Soutien du tube digestif (estomac, intestins, foie), digestif, protéolytique (digestif des protéines : transforme les matières albumineuses en peptones, à la manière de la pepsine animale présente dans le suc digestif ; action portée également sur les graisses et les hydrates de carbone), eupeptique, carminatif, laxatif léger, vermifuge – Soutien du système immunitaire – Éliminateur des toxines (il a été avancé que la papaye serait chélatrice des métaux lourds), anti-oxydant – Régulateur du système nerveux – Calme les contractions musculaires, soulage les douleurs tendineuses – Cicatrisant – Hypotenseur : abaisse la tension artérielle systolique, diastolique et artérielle
  • Semence : – Protectrice du système digestif, carminative, améliore le processus de digestion des sucres et des graisses, purgative, dépurative hépatique, vermifuge – Protectrice rénale – Anti-inflammatoire – Antibactérienne – Fébrifuge
  • Fleur : – Emménagogue
  • Feuille : – Hypotensive – Analgésique – Relaxante – Immunomodulante – Hypoglycémiante – Antitumorale (inhibitrice du développement tumoral dans les cancers du sein, du foie, des poumons, de la prostate et des cervicales)
  • Fruit frais : – Rafraîchissant, anti-inflammatoire – Laxatif – Galactogène

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, dysenterie, diarrhée chronique et/ou rebelle, insuffisance digestive et gastrique par insuffisance des sécrétions gastriques et duodénales, fermentation gastro-intestinale, entérite infantile, entérite, constipation, brûlure d’estomac, hypochlorhydrie, ballonnement, désordres post-prandiaux, parasites intestinaux, salmonellose, insuffisance pancréatique
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux (tuberculeuse), infection buccopharyngée
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension artérielle, hémorroïde
  • Insuffisance rénale
  • Troubles locomoteurs : contractures musculaires, foulure, lumbago, tendinite, sciatique rebelle, hernie discale (voir note ci-après)
  • Affections cutanées : plaie, ulcère, blessure, furoncle, verrue, cor et durillon, entretien de la beauté de la peau
  • Infection (par staphylocoque, dengue, etc.), immunodéficience
  • Cancer

Note : au sujet de la hernie discale, mentionnons que la papaïne a été utilisée depuis les années 1970 aux États-Unis puis en France afin de soigner cette douloureuse affection. Voici un extrait tiré d’un des ouvrages du docteur Valnet : « On sait que la papaïne est depuis longtemps utilisée comme attendrisseur des viandes coriaces et comme agent clarifiant de la bière. Selon le docteur Negri, la papaïne, ‘miracle commercial’, est en voie de prendre rang parmi les remèdes médicaux. En effet, en injectant la chymopapaïne, le principe purifié de la papaïne, dans le disque intervertébral responsable des douleurs, on agit de la même façon que pour attendrir la viande, en lysant (en dissolvant) le noyau qui comprime les nerfs. A son réveil, le malade peut être totalement guéri. L’expérience de Negri et de ses collaborateurs portait, en avril 1970, sur plus de 2000 cas. Il admet que l’intervention chirurgicale visant à décomprimer les nerfs en sectionnant les lames vertébrales, entraîne 70 % de succès. Les injections de chymopapaïne en ont 88 % »5. A l’usage, il s’avéra que cette technique, la chymonucléolyse, était beaucoup plus simple, rapide, moins traumatisante et surtout moins coûteuse que la laminectomie (suppression de lames vertébrales par intervention chirurgicale). Bien qu’abritant un potentiel pouvoir allergisant (pouvant induire jusqu’à l’accident anaphylactique), la chymopapaïne a vu l’arrêt de sa fabrication être décidé il y a une vingtaine d’années, non pas en raison de cette explication, mais parce que, d’après diverses sources, cette technique induisait un coût financier dérisoire… Or, « il convient de savoir que l’intervention chirurgicale, préconisée comme la seule attitude possible par certaines hautes sommités, fut refusée à de nombreuses reprises par les malades. Et ce sont des méthodes inconnues de ‘ces incomparables techniciens’ qui eurent raison de la maladie »6 et dont on ne peut rappeler que le souvenir, appartenant désormais aux archives de l’histoire médicale, ce qui est fort dommage. Chasser le remède peu cher mais efficace à l’avantage de celui qui est autrement plus onéreux et dont l’efficacité, parfois douteuse, se lit davantage dans les cours de la bourse que dans les comptes-rendus scientifiques (on a encore pu voir cela il y a peu de temps, pour preuve que ce phénomène reste, hélas, toujours d’actualité).

Modes d’emploi

  • Papaïne brute, séchée et réduite en poudre : 10 à 50 cg par jour. Ce suc sec est facile a délayé dans l’eau, mais comme il contient une substance non hydrosoluble, cela donne au mélange un aspect laiteux tout à fait normal.
  • Latex frais issu des fruits verts et/ou des feuilles.
  • Cataplasme de feuilles fraîches broyées.
  • Poudre de papaye sèche (dans un véhicule liquide adapté).
  • Décoction de papaye sèche dans l’eau ou le vin.
  • Cataplasme de pulpe de papaye fraîche (passée durant un temps au four pour la ramollir).
  • Graines : les broyer, les mélanger à du jus de citron ; à absorber tel quel (on peut tout aussi bien les mâcher sans chichi).
  • Décoction de poudre de graines de papaye (à édulcorer, c’est assez amer).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : le papayer est capable de produire du fruit pendant quelques années (trois à cinq), mais par la suite on observe une baisse du rendement ainsi qu’une dégénérescence des fruits, comme si, devenu trop vieux, le papayer ne savait plus se tenir et se répandait sous lui. Rappelons que ce n’est pas un arbre : sa durée de vie est donc beaucoup plus brève. En général, les papayes se récoltent de juillet en octobre (on en trouve parfois à la période de Noël).
  • Les allergies à la papaïne sont possibles dans 1 % des cas. Mieux vaut alors écarter les spécialités qui en contiennent si l’on se sait sensible. De même, on a observé le pouvoir irritant du latex sur l’estomac : il est capable d’endommager cet organe et de causer des gastrites ainsi que des ulcères gastriques. La carpaïne, substance de nature alcaloïdique dont nous avons parlé au début de la seconde partie de cet article, parce que cardiotonique, est plausiblement toxique pour le cœur à fortes doses. Enfin, dernier avertissement : il est utile de faire preuve de prudence lors de l’utilisation de la papaye en cas de prise d’anticoagulant.
  • Dans beaucoup de pays tropicaux, les feuilles du papayer se livrent à un usage bien particulier : on en enveloppe les viandes un peu dures car elles ont pour vertu de les attendrir, tout en les protégeant comme font les beeswax wrap. Outre la qualité ménagère des feuilles de cette plante, l’on n’a pas dédaigné les avantages alimentaires de la papaye à la douce saveur aromatique. A Tahiti, la papaye est cuite au four et accompagnée de manioc, alors qu’en Nouvelle-Guinée, à l’état encore vert, elle se cuisine comme un légume assortissant la viande et le poisson. En Thaïlande, on mêle la pulpe de papaye à celle de mangue afin de former un condiment venant agrémenter la viande et les fruits de mer. Ailleurs, on la déguste crue ou mûre, en guise de hors d’œuvre (avec du jambon cru, comme l’on fait du melon), en salade de fruits, en brochettes apéritives, ou bien l’on râpe finement le fruit encore vert que l’on assaisonne d’une vinaigrette ou d’un mélange d’huile et de jus de citron. Bref, il est possible de consommer la papaye crue comme cuite, sucrée comme salée (purée, marmelade, gratin, légume farci), de la préparer au vinaigre pour en faire des pickles condimentaires, à l’instar des graines qu’on peut broyer en petite quantité dans certaines préparations afin d’en exhausser la saveur.
  • De la pulpe, l’on confectionne crèmes et shampooings, du latex une gomme à mâcher, etc.
  • Autres espèces : on croise parfois une espèce nommée Carica digitata en latin, mais mais elle a été débaptisée en Jacaratia digitata. Cet arbre, le chamburo, n’a pas de rapport botanique avec le papayer car il appartient à la famille des Caryophyllacées. Il ne faut pas non plus faire la confusion avec la papaye des montagnes (Vasconcellia pubescens) relativement plus proche car faisant elle aussi partie de la famille des Caricacées. Cette papaye d’altitude possède bien des points communs avec la papaye, aussi bien d’un point de vue alimentaire que médicinal. Beaucoup plus petit, le fruit de ce papayer est profondément marqué par cinq côtes longitudinales. Enfin, la médecine traditionnelle chinoise fait parfois état d’une papaye qu’elle nomme Mu Gua, mais il ne s’agit absolument pas de notre papayer mais des fruits de ce qu’en Occident nous appelons le cognassier du Japon (Chaenomeles speciosa).

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  1. Du portugais mamaon, « mamelle », en raison de la forme des papayes qui « sortent » du tronc comme les seins de la poitrine d’une femme.
  2. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 654.
  3. Ibidem.
  4. Ibidem, p. 655.
  5. Jean Valnet, Se soigner avec les légumes, les fruits et les céréales, p. 178.
  6. Jean Valnet, Phytothérapie, p. 621.

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