Le lierre terrestre (Glechoma hederacea)

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Synonymes : gléchome, gléchome faux-lierre, rondotte, rondelette, drienne, courroie de terre, courroie de Saint-Jean, herbe de Saint-Jean, herbe de bonhomme

Certains ont cru voir dans le chamaïkissos de Dioscoride et le chamaecissos de Pline le lierre terrestre eu égard à l’étymologie de ces deux mots (chamaï, « proche de la terre » et kissos, « lierre »). C’est ce qui rend difficile son identification dans les textes antiques, d’autant plus que Linné a affublé cette plante du nom latin de glechoma en 1753, terme qui désignait la menthe pouliot (glêkhôn) durant l’Antiquité. S’il n’a rien du lierre, il est beaucoup plus proche de la menthe pouliot, lamiacée comme lui. Si on l’appelle lierre terrestre, ce n’est pas pour la raison faussement évidente qu’il aurait quelques liens de parenté avec le lierre grimpant (Hedera helix), non. Ce qui vaut au lierre terrestre de porter le nom de son illustre « cousin » plus connu, tient à la particularité des tiges qui présentent, tout comme le lierre grimpant, deux formes : des tiges ascendantes et radicantes qui fleurissent et des tiges rampantes dépourvues de fleurs et donc stériles. Ainsi, le lierre terrestre court loin (parfois plus d’un mètre) et grimpe, pas très haut, puisque les tiges ascendantes ne dépassent jamais une hauteur maximale de 30 cm. Les feuilles – cordiformes et longuement pétiolées – présentent des bordures crénelées et un aspect gaufré, un peu à l’image de celles de la mélisse. Froissées, ses feuilles aromatiques laissent échapper un parfum particulier qui ajoute une différence olfactive avec celle du lierre grimpant. Malgré cela et la forme des feuilles, la confusion entre ces deux lierres sera allée bon train. Et que dire des fleurs bleu violacé du lierre terrestre, groupées par deux à cinq à l’aisselle des feuilles et toujours tournées dans la même direction ? A elles seules, elles sont un critère distinctif. Après, vous dire si la plante longuement décrite dans le Traité des plantes de Théophraste est bel et bien le lierre terrestre… Bien des commentateurs se sont penchés sur le cas du glechon de Théophraste. Les idées avancées (menthe pouliot, menthe à feuilles rondes, lierre terrestre…) ne restent qu’hypothèses, d’autant que, rappelle Fournier, le lierre terrestre est très rare en Grèce. Est-ce bien aussi un lierre terrestre que décrit Galien comme astringent, porteur de qualités chaudes, âcres, mordantes ?

Le Moyen-Âge dit peut de choses à propos du lierre terrestre. Tout au moins sait-on qu’il est présent au sein d’un recueil rédigé par un monastère carolingien aux VIII-IX ème siècles. Puis, c’est au tour d’Hildegarde de Bingen de se pencher sur le cas du lierre terrestre (Gunderebe) qu’elle distingue du lierre grimpant (Ebich). « Sa viridité, dit-elle, est utile : si quelqu’un souffre de langueur et perd la raison, qu’il en fasse tremper dans de l’eau froide, avant de le faire cuire dans du jus ou dans des légumes, et qu’il en mange souvent avec de la viande ou des plats de légumes, et il s’en portera mieux » (1). Clairement, Hildegarde donne le lierre terrestre comme anticéphalique, mais il est aussi pectoral et vulnéraire selon elle.

Au début de la Renaissance et même après, nombreux seront les praticiens à reconnaître au lierre terrestre deux domaines d’action principaux : la sphère pectorale et l’interface cutanée. Otto Brunfels, Jérôme Bock, Dodoens, Matthiole, Cameriarus, Jean Bauhin, etc., tous y vont de leurs observations, jusqu’à ce que le dithyrambique Simon Pauli ne prétende avoir guérit plusieurs cas de tuberculose au XVII ème siècle, ce en quoi il sera suivi par Ettmuller, Willis, Murray qui rapportent son efficacité sur ce que l’on appelait la phtisie. Mais, comme l’indique, beaucoup plus tard, le docteur Leclerc, il y a de fortes chances pour que ces phtisies n’en aient pas été. Il s’agissait très probablement de catarrhe bronchique dont le rapport avec le bacille de Koch n’est en rien comparable. Au XIX ème siècle, le docteur Cazin considérait toujours cette maladie qu’est la tuberculose comme quasiment incurable. C’est ainsi que « depuis lors, on s’est refusé à voir de véritables phtisies dans les maladies guéries par cette plante » (2), et qu’il est plus prudent de voir dans le lierre terrestre un pectoral et un stimulant bronchique à même de résoudre, tout comme l’hysope officinale, le catarrhe bronchique, l’asthme humide et les vieilles toux traînantes.

Il est dit que, selon Pline, le lierre terrestre aurait été l’une des plantes favorites des druides, ce qui explique en partie pourquoi on le retrouve dans la longue liste des herbes solsticiales, plus communément appelées « herbes de la Saint-Jean ». A ce titre, on rapporte que le lierre terrestre aurait comme vertu de soigner la « folie » en imbibant « des feuilles de papier buvard de sa décoction qu’on appliquait sur le crâne rasé des malheureux déments » (3). Peut-être que cet étrange procédé s’explique par le fait que saint Jean-Baptiste était invoqué contre épilepsie, spasmes et convulsions…
Celui que l’on surnomme « courroie de Saint-Jean » jouait surtout le rôle d’oracle de guérison par l’intermédiaire d’une tireuse de saints. Voici comment procéder : après avoir ramassé une tige de lierre terrestre, il faut écrire sur chacune de ses feuilles autant de noms de saints que la tige porte de feuilles. On la dépose ensuite dans un verre d’eau bénite. Le lendemain, c’est la feuille qui a le plus blanchi qui désigne le nom du saint à invoquer et, par voie de conséquence, la nature du mal dont souffre le patient. Parfois, on procédait de façon légèrement différente : on se contentait de jeter les feuilles portant les noms de saints dans une fontaine. La première feuille qui venait à couler indiquait le saint guérisseur.

Bien que le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 légalise sa vente en dehors des pharmacies et des herboristeries, on ne peut dire que le lierre terrestre ait retrouvé une seconde jeunesse, tout au plus est-il considéré comme une plante médicinale de seconde zone. Pourtant, c’est une plante très commune, tout comme peuvent l’être d’autres plantes majeures telles que la verveine officinale et la fumeterre officinale. On la trouve en plaine ainsi qu’en moyenne montagne jusqu’à 1600 m d’altitude. Elle recherche des sols richement azotés et élira domicile en colonies sur talus et décombres, en bordures de chemins, dans les bois et les jardins. Elle est géographiquement présente en Europe (hormis le Midi de la France et d’autres zones trop sèches), au Caucase, en Amérique du Nord.

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Le lierre terrestre en phytothérapie

De cette petite représentante des Lamiacées, on use de la plante entière fleurie, récoltée à la fin du mois de juin, voire au début de juillet. Selon les régions, on peut la cueillir plus tôt, vu qu’elle fleurit dès le mois de mai. Elle contient du tanin, des flavonoïdes, une résine amère, ainsi que de la marrubiine, ce qui en fait une plante assez proche du marrube. En outre, la plante recèle différents acides (vinique, acétique, ursolique), ainsi qu’une très faible proportion d’une essence de couleur verdâtre, aromatique et balsamique, un peu âcre, contenant principalement des sesquiterpènes (55 à 65 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulant bronchique, expectorant, antispasmodique bronchique, antitussif
  • Excitant et fortifiant du métabolisme général, tonique
  • Diurétique
  • Résolutif, détersif, vulnéraire, calmant cutané
  • Antiscorbutique
  • Stimulant gastro-intestinal et biliaire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, irritation des muqueuses bronchiques, inflammation des muqueuses de la gorge et du nez, bronchectasie, hypercrinie bronchique, catarrhe bronchique chronique, asthme humide, toux, bronchorrhée, sinusite
  • Troubles de la sphère digestive : dyspepsie avec hyperacidité, inappétence, atonie digestive, flatulence, digestion pénible, gastrite
  • Leucorrhée, gonorrhée
  • Affections cutanées : plaie atone, plaie sanieuse, ulcère scrofuleux, abcès, furoncle, brûlure, coup, choc, inflammation, contusion

Modes d’emploi

  • Infusion, décoction de plante fraîche
  • Suc frais
  • Sirop
  • Alcoolature
  • Cataplasme de feuilles fraîches réduites en bouillie
  • Macération de feuilles fraîches dans de l’huile d’olive

Contre-indications, remarques

  • Un usage prolongé de lierre terrestre peut provoquer des diarrhées.
  • Le lierre terrestre est déconseillé en cas d’irritation bronchique accompagnée de toux sèche et se réserve à des affections marquées par une abondante expectoration. En effet, rappelons-nous que le lierre terrestre se rapproche du marrube par son action, bien qu’il soit plus asséchant encore (assez similaire à l’hysope officinale). D’ailleurs, Hildegarde ne disait-elle pas du lierre terrestre qu’il est chaud et sec ?
  • Les feuilles qui, lorsqu’elles sont jeunes sont comestibles, furent autrefois utilisées pour aromatiser et conserver la bière.
  • Une fois récolté et séché, le lierre terrestre doit être entreposé dans un lieu sec à l’abri du contact de l’air, sans quoi il attire l’humidité et finit par noircir.

  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 66
  2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 568
  3. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 276

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