La branche de myrte (conte)

« O mon Dieu, faites-moi mettre quelque chose au monde, n’importe quoi, même un rameau de myrte ! », s’exclamait, continuellement, une femme des faubourgs napolitains. Malgré la présence d’un mari dont on ne sait s’il la besognait rudement, la pauvre femme se trouvait dans l’impossibilité d’enfanter. A force d’avoir si bien prié, elle mit enfin au monde un rameau de myrte qu’elle cajola comme si c’était là son propre enfant, jusqu’au jour où le rameau devint l’objet précieux de l’admiration béate d’un prince qui passait par là. Il s’en empara, non sans avoir promis à la mère qu’il le chérirait comme la prunelle de ses yeux, puis s’en alla l’esprit empli de joie amoureuse.

Ce myrte-là était fée. Chaque nuit en sortait une véritable colombe d’amour qui se glissait entre les draps du prince pour jouer avec lui « à saute-mouton et à la bête à deux dos » jusqu’au petit matin, où l’aurore naissante lui faisait regagner le myrte. Il devint si éberlué par la beauté de la jeunette qu’il en oublia complètement les soupirantes qui ne purent que soupirer, attendu qu’elles étaient, sans en connaître la cause, réduites au régime strict sur la question de leurs affaires amoureuses, leurs parcelles n’étant plus labourées comme il se doit depuis longtemps. Un jour que le prince s’absenta à regret, les mégères s’en vinrent par chez lui, et découvrir le myrte qu’elles effeuillèrent, ce qui eut pour conséquence d’en faire magiquement jaillir la fée qui, sous les mains bien décidées des harpies, acheva son existence, réduite à l’état de capilotade. Le serviteur à qui le prince avait enjoint d’entourer le myrte des plus hauts soins, n’en crut bien évidemment pas ses yeux. Il réunit ce qui restait de l’infortunée dans le pot où se tenait le myrte ébouriffé, et prit ses jambes à son cou. Ce faisant, le prince revint en sa demeure et, comme on l’imagine, fut inconsolable. Alors qu’il ne cessait de s’apitoyer sur son sort, qu’il s’apprêtait à verser son existence dans le plus noir terreau qui attend les âmes damnées, à l’image d’un poulpe avachi sur l’étal du poissonnier et dont personne ne veut, il se complaisait à laisser entrer dans toute son âme cet état de langueur qui fait se racornir les cœurs amoureux. Mais la fée avait plus d’un tour dans son sac, et, remise de ses émotions et de ses contusions, entendant l’aigre mélopée princière, elle surgit du pot de myrte et tâcha de ragaillardir le prince qui, bienheureux de cette belle surprise, la demanda illico en mariage et fit jeter aux égouts de la ville les vilaines qui avaient failli priver le prince de « l’œuf peint de Vénus ».

D’après Giambattista Basile (1575-1632), in Le conte des contes (ou Pentamerone).

© Books of Dante – 2020

Le myrte (Myrtus communis)

Synonymes : myrte blanc, myrte des juifs, herbe du Lagui, mirte, nerte.

Durant une large partie de l’Antiquité, le myrte tint une place d’égale valeur à celle de l’olivier ou encore du laurier, même si, avec ce dernier, il a beaucoup perdu de son lustre d’antan (hormis pour les populations auprès desquelles il se localise le plus volontiers). Ce « prince des végétaux odorants » a eu une grande importance pour la majeure partie des peuples et civilisations qui bordèrent le littoral méridional, puisqu’il pousse à l’état sauvage en Corse, en Italie, au Maghreb, en Égypte, dans la péninsule balkanique, etc. Il a donc entretenu une relation symbiotique avec les territoires ayant abrité les peuples perses, égyptiens et grecs entre autres. Sacré pour les uns, fort apprécié comme cosmétique par les autres (1), il n’était jusqu’aux juifs où le myrte, très populaire, était convié en compagnie du saule, du cédratier et du palmier-dattier lors de Souccot, la fête hébraïque des récoltes. C’est donc à bon droit qu’il apparaît dans les lignes de l’Ancien Testament, puis, plus tardivement, dans le Coran. Chez les Grecs, tantôt dédié à Artémis, tantôt à Hadès, quand ça n’est pas à Mars ou à Dionysos (2), la riche mythologie de cette civilisation nous communique la phytogénèse du myrte : il serait né après une incartade opposant Athéna à la nymphe Myrsiné, qui s’était vantée de pouvoir battre la déesse à la course. Ce qui fut le cas. Par jalousie, Athéna lui infligea une punition, celle de se voir métamorphosée en myrte, ce qui est pour le moins curieux. Athéna a beau incarner idéalement la sagesse, on lui voit parfois adopter, dans les mots tracés par les poètes, des traits typiquement humains (et ça n’est pas l’unique figure du panthéon grec classique à être concernée par ce phénomène). Mais ce que l’on retient avant tout, c’est l’interrelation étroite entre le myrte et la déesse de la jeunesse et de la beauté, savoir Aphrodite. Prenant conscience de la honte que lui suscitait sa nudité, Aphrodite se réfugia derrière un buisson de myrte qui devint dès lors l’un des nombreux attributs, avec le coing et la rose, à orner son chariot et à l’accompagner dans les représentations picturales. L’on dit – Ovide dans Les Fastes – que c’est en cherchant à se dérober à la concupiscence des satyres qu’Aphrodite trouva abri dans les rameaux touffus d’un myrte, ce qui inverse de beaucoup le symbolisme de la déesse et du myrte, surtout lorsqu’on la voit fuir comme une vierge effarouchée, alors que ses prérogatives de prédilection restent avant tout la séduction et l’amour, quand bien même il est vrai que, parfois, la virginité fait partie du lot, tel qu’on peut le constater aussi bien en Grèce qu’en Europe de l’Est. Malgré ce cas particulier, très fréquemment, dans les écrits antiques, dès lors qu’on mentionne le myrte dans le texte, ce n’est jamais par un effet du hasard ou un élément de décor, cela annonce généralement que cela va « chauffer », mais que la pudeur du poète, grec surtout, lui interdit de détailler précisément l’action amoureuse et sexuelle qui va se dérouler. Par exemple, c’est Mentor, précepteur de Télémaque (le fils d’Ulysse), qui l’arrache à l’île de Calypso, « puissamment secondée par Vénus, qui amène Cupidon dans l’île avec l’ordre de percer de ses flèches le cœur de Télémaque (3). Parce que, en effet, « plus spécialement dédié à Vénus, le myrte était censé posséder la vertu de faire naître l’amour, mais aussi et surtout de l’entretenir, et en gage de fidélité, les époux en étaient couronnés » (4). Et ce qui se faisait à Rome se perpétua longtemps après, puisque, jusqu’à tout récemment, dans le sud de la France, il était de coutume d’agripper une couronne de rameaux de myrte à la porte d’entrée des jeunes mariés. (Peut-être cela se pratique-t-il encore ?) C’est à l’amour encore que sont conviés les parfums que l’on élabore sous les auspices de la planète Vénus et du Soleil, ou encore ce myrtidanum, « eau qui avait pour base le myrte et qu’on croyait avoir la propriété de conserver les charmes » (5), ce qui n’est pas de loin de remémorer ce qu’avait affirmé le médecin et botaniste français Pierre Joseph Garidel (1658-1737) au début du XVIII ème siècle, s’inspirant sans doute d’un tonique astringent très prisé des femmes grecques et italienne, l’eau d’ange. Si décriée, cette préparation prévoyait non seulement de « lutter contre les premiers signes de maturité en redonnant fraîcheur et jeunesse à la peau » (6), mais également toute leur tonicité à certaines membranes, vaginales et utérines entre autres. Une macération de baies de myrte bien mûres dans l’eau-de-vie était capable d’un tel prodige. Mais « le myrte, consacré à Vénus, n’offre, quoi qu’en dise Garidel, qu’une ressource bien illusoire pour effacer les traces ineffaçables du culte de cette déesse » (7). Si cela vaut pour la sphère gynécologique, il serait faux d’affirmer péremptoirement que le myrte n’exerce aucune action sur la peau du visage en particulier, estompant les rides et redonnant de l’éclat aux peaux ternes et fatiguées, ce qui est bien dans les attributions de la divine Kypris. C’est donc sans surprise qu’on voit le myrte participer aux cérémonies orgiaques et funéraires (où les femmes mariées se rendaient couronnées de myrte) organisées chaque printemps en souvenir de la mort du protégé d’Aphrodite, Adonis, – lequel incarne la prime jeunesse et l’éternelle beauté.
Également lié à la muse de la poésie lyrique et érotique Érato et au dieu du mariage Hyménée (dont les noms rendent bien compte des symboliques que nous avons listées jusque-là), le myrte était aussi convié lors des fêtes d’Éleusis. Les prêtresses et les prêtres se couronnaient d’if et de myrte dans les temples dédiés à Déméter et à Perséphone.
Le myrte se prêtait encore à de bien curieux usages. Par exemple, en Allemagne, histoire de contredire ce que nous venons d’exposer à propos des vertus amoureuses du myrte, « si une jeune fille plante du myrte de sa propre initiative, elle risque fort de rester vieille fille » (8). Les symbolisme s’inversent, de même qu’à travers cette autre anecdote : à Rome, le 23 avril, se tenait la fête des filles de joie qui, comme Vénus Erycina leur patronne, se paraient de roses et de myrte à cette occasion. « Est-ce par une réminiscence de cet usage païen, qu’au Moyen-Âge l’on condamnait, dans certains endroits, les femmes publiques, les jeunes filles déshonorées, les juifs, à porter une rose comme signe distinctif ? » (9). Ce qui était risqué, la rose étant, entre-temps, tombée sous l’égide de la Vierge Marie.
Le myrte est tellement associé au domaine amoureux, qu’il est devenu l’objet d’un jeu en Italie, le jeu de la petite branche verte (giuco del verde) : « C’est pendant le Carême que les amoureux toscans jouent avec les petites branches de myrte, qu’ils ont rompues en deux parties, et qu’ils doivent garder sur eux jusqu’à Pâques, comme gage réciproque de leur fidélité » (10). Puisqu’on évoque les pratiques ludiques, mentionnons encore cette poudre de badinage composée de marjolaine et de myrte qui avait pour but d’échauffer les filles, et d’autres, plus sérieuses, qui faisaient appel au myrte afin de faire voir en songe la femme qu’un garçon ou un homme veuf était censé épouser, ou bien encore ces pommes d’amour dont le Petit Albert donne la recette.
Malgré tout ces bons points, le myrte s’est parfois vêtu d’oripeaux pour le moins sinistres : « Une légende attribuait les petits trous visibles sur les feuilles de myrte à une vengeance de Phèdre qui les aurait percés dans le temple d’Aphrodite, cette dernière ne lui ayant pas accordé l’amour d’Hippolyte » (11). Après le décès de l’homme qu’elle aimait, elle se pendit à un myrte (ce qui est difficilement imaginable, vu la frêle stature de cet arbrisseau). Peut-être cela explique-t-il le fait qu’en certaines périodes l’on plaçait des rameaux de myrte dans les cercueils… Pour conjurer cette noirceur de vue, d’après le poète latin Horace, durant les banquets, les Romains se couronnaient d’ache et de myrte. Cette plante représentait l’ornement des festins joyaux : « Les poètes pensaient qu’il activait et nourrissait leur verve, ainsi s’en couronnaient-ils quand ils récitaient leurs poésies » (12).
Peut-on croire que le myrte ait pu être un symbole de paix ? Pourtant, c’est bien ce qui me semble apparaître à travers l’information suivante : « La plante était entre autres reconnue pour ses propriétés excitantes. Aristophane dans Lysistrata s’en fait d’ailleurs l’écho, lorsqu’il prénomme Μυρρίνη, « branche de myrte », la protagoniste de sa pièce, qui, afin d’obtenir la fin de la guerre, engage les femmes à se refuser à leur mari » (13). Il s’agit là d’une paix imposée par privation de l’Éros, une anti-Vénus mouchant Mars en quelque sorte. Cette manière d’opérer est fort différente de celle qu’employaient parfois les généraux « qui, par le pouvoir de la persuasion, par le charme de l’éloquence, et sans presque employer la force, avaient heureusement terminé leurs entreprises. Le triomphateur marchait à pied, en pantoufles, accompagné de joueurs de flûte, et couronné de myrte. La flûte était regardée comme l’instrument de la paix, et le myrte comme l’arbrisseau de Vénus, qui, plus qu’aucune autre divinité, avait en horreur la violence et la guerre » (14). D’où les images de courage, de gloire, et de puissance associées au myrte. A ce titre, il était d’ailleurs fort imprudent de passer auprès d’un myrte sans en cueillir un rameau, cette indifférence présageant un signe futur d’impuissance et de mort. Tandis qu’en cueillir régulièrement passait pour un moyen de réaffirmer sa puissance ou bien, peut-être, de susciter l’espérance (l’on sait que planter de part et d’autre de la porte d’entrée d’une habitation deux pieds de myrte assure paix et harmonie aux lieux ainsi protégés).

Après tout cela, comment douter que le myrte ait pu jouer un rôle majeur en médecine ? Tout d’abord, Hippocrate préconisait le bain de myrte afin d’endiguer le cours du sang menstruel chez les femmes, alors que Théophraste donnait la préférence au myrte égyptien, beaucoup plus suave selon lui. Pline, quant à lui, mentionne dans son Histoire naturelle un certain nombre de pratiques qui tiennent plus de la magie que de la médecine proprement dite : les rameaux de myrte devaient expressément être coupés avec un instrument non ferreux. Autre précaution : une fois sectionnés, il ne fallait plus leur faire toucher terre sous aucun prétexte, au risque de voir leurs pouvoirs y retourner. Pline conseillait le contact direct des rameaux à la surface du corps afin qu’ils agissent par contagion. Il disait la baguette de myrte utile à celui qui voyage longtemps, et un anneau tressé de fins rameaux de myrte était considéré comme un heureux viatique.
D’un point de vue strictement médical, Pline indiquait le myrte comme digestif, antisudorifique et astringent, ce qu’il est dans des cas de diarrhée, de leucorrhée et d’hémorragie. Pas fou, Pline savait bien que les feuilles et l’écorce des rameaux, une fois pulvérisées, formaient une poudre « légèrement mordante », et donc que le myrte arrête le sang entre autres. Est-ce d’ailleurs un hasard si des Anciens plus proches de nous temporellement faisaient macérer des rameaux de myrte dans du vin blanc, médecine fort utile contre contusions et hématomes ?
Du côté de Dioscoride, nous en apprenons bien davantage encore. Nous avons déjà placé dans une note de bas de page ce que nous avons tiré d’un paragraphe qu’il consacre à l’huile de myrte, nous n’y reviendrons donc pas ici. Par ailleurs, il dispatche en deux endroits (Livre I, chapitre 127 et Livre IV chapitre 129) la totalité des informations qu’il est capable de produire au sujet du myrte. Le premier extrait, qui forme une très longue notice, nous apprend que le myrte, plante astringente, est donné dans les crachements de sang et l’érosion de la vessie (catarrhe vésical ?). Stomachique, le myrte convient bien également à l’atonie des voies digestives, il est de plus diurétique, anti-inflammatoire oculaire, cicatrisant et détersif cutané (brûlure, ulcère, panaris, maladies unguéales, boutons, pellicules, etc.) et antidote contre les morsures d’araignées et de scorpions. Il intervient encore en cas de froissement musculaire, de flux menstruel, de fissure anale, de chute du rectum, de relâchement gingival et, enfin, de toutes sortes de catarrhes affectant la plupart des parties du corps humain. L’on peut dire, avec Dioscoride, que le myrte « secourt à toutes les choses qui ont besoin d’être resserrées et épaissies » (15). Une eau d’ange passe… Puis il en vient à parler du second myrte, le myrte sauvage, dont les feuilles sont lancéolées. Celui-ci est considéré comme diurétique, emménagogue, lithontriptique urinaire et bon contre la jaunisse et la céphalée.

Le myrte, passé complètement inaperçu durant toute la période médiévale (16), doit patienter jusqu’au XVI ème siècle avant qu’un regain d’intérêt se redéploie, en particulier en la personne de Matthiole qui, parce qu’il est d’origine toscane, connaît forcément cet arbrisseau qui borde la Mare nostrum. Pour lui, le myrte est un fortifiant stomacal bienvenu lors d’entérites et d’épisodes dysentériques, un tonique du cœur et un remède des affections cutanées telles que l’érysipèle et les manifestations herpétiques.

Petit arbrisseau de deux à trois mètres de haut (c’est bien assez pour masquer la sublime nudité d’Aphrodite !), densément feuillé et toujours vert, le myrte est une espèce indigène du pourtour méditerranéen, véritable signature des paysages corses, sardes et provençaux, se plaisant dans les maquis arides et caillouteux et autres sols acides et très ensoleillés. Ses très nombreux rameaux flexibles portent des feuilles opposées, aiguës, d’un beau vert luisant et vernissé, dures et coriaces, comme c’est de coutume lorsqu’on évolue sous de fortes chaleurs (cela permet à la plante d’éviter un excès d’évaporation). Si on les observe d’un peu plus près, l’on constate l’empreinte laissée par Phèdre, c’est-à-dire une myriade de petits trous translucides, comme on peut en observer d’identiques chez le millepertuis. Il s’agit de glandes odoriférantes contenant l’essence aromatique du myrte.
S’égrenant le long des rameaux, qui deviennent de plus en plus rougeâtres au fur et à mesure que l’on progresse vers leur sommet, de juin à octobre, des fleurs solitaires fixées une à une à l’aisselle des feuilles, distillent la délicatesse de leur suave parfum. Composées de cinq pétales blancs et d’une gerbe dense d’étamines, elles rappellent assez les fleurs d’aubépine. Elles donnent naissance à des baies pas plus grosses qu’un pois, dont la couleur oscille du bleuâtre au noir pourpre profond. Et il est vrai qu’elles s’apparentent fort à des myrtilles, avec lesquelles le myrte partage une similarité orthographique, à l’exclusion de celle qui concerne le goût : en effet, les baies de myrte, loin d’être acides et sucrées, sont âpres et résineuses.

Le myrte en phyto-aromathérapie

La forte attraction des Anciens pour le myrte n’a pas été démentie par la découverte de ses principes actifs que l’on n’a révélés qu’au cours du XIX ème siècle, même si, bien entendu, l’on soupçonnait auparavant l’existence, dans les tissus végétaux de ce joli arbrisseau, d’une matière aromatique et d’une autre astrictive. La première fait référence à une essence aromatique qui loge autant dans les feuilles, les fleurs que les baies (on en trouve même dans l’écorce des rameaux). La seconde, on la doit bien évidemment à du tanin. Dans les feuilles du myrte résident aussi des substances résineuses, des principes amers, ainsi que des flavonoïdes, tandis que les baies, bien qu’elles contiennent un peu de sucre, sont fortement parfumées en raison de matières résineuses et d’acides (citrique et malique) qui les rendent quelque peu aigrelettes, le tout se mêlant à une huile fixe. Auparavant, c’est d’elles que se préoccupait le distillateur. A l’instar des baies de laurier, on extrayait donc de celles du myrte une huile essentielle (cela se fait encore, bien que très rarement). Maintenant, c’est aux rameaux feuillées de prendre part au délicat exercice de la distillation qui, bien que rapide (il faut compter deux à trois heures de temps), ne permet pas d’obtenir davantage qu’une toute petite fraction aromatique (de 0,1 à 0,8 % ; plus fréquemment entre 0,3 et 0,6 % en moyenne). Cette étape nécessaire produit une huile essentielle jaune pâle, jaune d’or, voire orangé très clair, au parfum rappelant un eucalyptus dont on aurait mis l’eucalyptol (ou 1.8 cinéole) sous cloche, puisqu’à cette touche fraîche et herbacée, s’additionne quelque chose d’un peu « citronné », du moins acidulé, qui fait bon ménage avec cet ensemble qu’on pourrait dire « camphré », bien que cette huile essentielle ne contienne pas une once de bornéone. C’est, en tous les cas, une huile essentielle très agréable à respirer, et l’industrie de la parfumerie ne se fait pas prier pour la marier à d’autres fragrances lors de l’élaboration de parfums.
J’entends déjà de loin : « Hé, mais il n’y a pas qu’un seul myrte ! » Je le sais bien, et nous y venons. Celui dont je viens de parler brièvement écope du surnom de myrte vert parce que, dit-on, la couleur de son huile essentielle se rapprocherait de cette couleur. C’est ainsi qu’elle se distinguerait de celle de myrte rouge qui passe pour effectivement rougeâtre. Si ces deux huiles essentielles sont de couleurs dissemblables, il m’apparaît faux de dire qu’on les a baptisées rouge et vert en raison d’une basse considération d’ordre chromatique. Non, le myrte vert est dit ainsi en raison de la fraîcheur de son parfum apaisant, tandis que l’autre, le rouge, possède un parfum plus chaud, plus résineux, sans doute témoin des régions sèches et chaudes où il voit le jour, c’est-à-dire généralement le Maroc et la Tunisie. Pourtant, ces deux myrtes ne sont pas deux espèces botaniquement distinctes, ce sont toujours, d’un côté comme de l’autre, des Myrtus communis. La seule chose qui les distingue véritablement est invisible à l’œil nu. Pour cela, il faut passer myrtes vert et rouge à l’analyse. Et là, il est évident que la composition biochimique y est pour beaucoup dans les propriétés organoleptiques, le parfum, la densité et le coloris de chacune de ces huiles essentielles. Comme on le rencontre assez fréquemment en aromathérapie, nous avons affaire ici à deux chémotypes de la même plante (à l’instar des divers thyms vulgaires et autres romarins officinaux). C’est le terroir dans lequel évolue le myrte qui imprime son identité jusque dans l’huile essentielle qu’il produit. Ainsi, nous avons le myrte rouge du Maghreb et le myrte vert qui se situe au nord du pourtour de la mer Méditerranée (Midi de la France, Italie, Corse, Sardaigne), mais que l’on peut aussi croiser en Tunisie.

Cette disparité moléculaire explique qu’on appelle parfois le myrte vert d’un nom latin compliqué – Myrtus communis cineoliferum – et qu’au myrte rouge l’on ait réservé l’adjectif myrtenylacetiferum, ce qui est bien plus pratique pour les différencier et ne pas se tromper de produit.
L’autre critère qui permet de faire le distinguo entre ces deux huiles essentielles, c’est aussi leur prix : en règle générale, l’huile essentielle de myrte vert (21 € les 10 ml) est environ trois fois plus onéreuse que celle de myrte rouge (8 € les 10 ml). Ces chiffres sont bien évidemment des moyennes.

Propriétés thérapeutiques

A composition biochimique différente, profil thérapeutique différent. On s’étonnerait du contraire. Il existe néanmoins entre ces deux huiles essentielles, un tronc commun de propriétés et d’usages que nous notifierons quand besoin sera nécessaire.

Propriétés communes :

  • Anti-infectieux (antibactériens, antivirales, antifongiques), désinfectants, antiseptiques atmosphériques, parasiticides (?)
  • Expectorants, mucolytiques, anticatarrhaux, balsamiques, décongestionnants pulmonaires, antitussifs
  • Antispasmodiques
  • Anti-inflammatoires
  • Décongestionnants veineux et lymphatiques (myrte rouge : +++)
  • Digestifs, stomachiques, hépatostimulants, antidiabétiques (?)
  • Cicatrisants, astringents, toniques cutanés, hémostatiques
  • Insectifuges, insecticides (?)

Propriétés propres au myrte vert :

  • Anti-infectieux des voies respiratoires
  • Analgésique
  • Décongestionnant prostatique
  • Stimulant thyroïdien
  • Immunostimulant, tonique
  • Anxiolytique, neurotonique, équilibrant nerveux, apaisant, sédatif et calmant psychique, inducteur du sommeil, euphorisant
  • Hormon like (ovarien)

Propriétés propres au myrte rouge :

  • Antispasmodique puissant (davantage encore que l’huile essentielle de myrte vert)
  • Stimulant de la microcirculation cutanée
  • Reconstituant généralement

Note : succinctement, l’on dit que ces huiles essentielles regroupent les propriétés d’un Eucalyptus globulus (ou radiata à la rigueur) sans en présenter l’agressivité (cf. le haut taux d’1.8 cinéole propre à ces eucalyptus), ce qui autorise, sous condition, l’emploi de ces huiles essentielles chez l’enfant en particulier sur la sphère pulmonaire, puisque « une action concomitante sur les capillaires sanguins amène une plus grande amplitude de la respiration, l’apaisement de la toux, dont les quintes s’espacent et deviennent moins pénibles, en même temps que le malade, moins agité, peut goûter un repos fort nécessaire » (17).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : encombrement bronchique, bronchite (aiguë, chronique, irritative, du fumeur), catarrhe bronchique aigu, catarrhe simple avec empyème (accumulation purulente), bronchectasie (dilatation bronchique), expectoration abondante, opaque et muco-purulente, bronchorrhée muco-purulente, tuberculose avec bronchorrhée, gangrène pulmonaire, mucoviscidose, emphysème, toux (grasse, sèche, quinteuse, spasmodique, coquelucheuse, rebelle, tabagique), asthme, asthme catarrhale, maux de gorge, angine, rhinopharyngite, laryngite, rhinite, rhinorrhée, sinusite, otite, otorrhée, refroidissement, grippe
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie des voies digestives, diarrhée, colite, entérocolite spasmodique et colibacillaire, autres infections gastro-intestinales, syndrome du colon irritable, crampe d’estomac
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, blennorragie, prostatite inflammatoire, catarrhe muco-purulent des voies urinaires
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, règles douloureuses, leucorrhée
  • Troubles de la sphère circulatoire : varice, hémorroïdes, œdème, jambes lourdes, migraine par excès sanguin (stase)
  • Troubles de la sphère hépatique : hépatite, petite insuffisance hépatique
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, douleurs articulaires et musculaires, entorse
  • Affections cutanées : peaux asphyxiées, grisâtres, parcheminées, dévitalisées, irritées, congestionnées, enflammées, grasses, acné, psoriasis, pityriasis, rides, ptôse tissulaire, vergeture, plaie, plaie suppurante, ulcère, ecchymose, contusion, hématome, blessure
  • Affections bucco-dentaires : aphtose, gingivite
  • Hypothyroïdie
  • Éloigner les moustiques
  • Troubles du système nerveux : insomnie, difficulté d’endormissement, stress, angoisse, trac, nervosité (Outre qu’elle « aide à se libérer de dépendances et de sentiments négatifs » (18), l’huile essentielle de myrte (vert surtout) éloigne la peur et le manque d’assurance, installant en l’être affecté une paix profonde. Huile de choix, le myrte permet le passage des caps (de l’adolescence à l’âge adulte par exemple), et accompagne le mouvement que l’on souhaite adopter, à partir du moment où l’on a pris une décision ferme. En cela, elle s’approche de l’huile essentielle de basilic tropical et peut même la compléter. Enfin, le myrte, dont le parfum est particulièrement apprécié des anges, favorise, dit-on, le pardon…)

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : par voie orale, par voie cutanée diluée, en dispersion atmosphérique, inhalation et olfaction.
  • Onguent (par dilution des huiles essentielles dans une huile végétale adaptée, de sésame pour travailler en profondeur, par exemple).
  • Macération des feuilles fraîches dans le vin blanc, le cidre.
  • Infusion de feuilles fraîches ou sèches.
  • Teinture alcoolique de feuilles fraîches.
  • Poudre de feuilles (et/ou de baies).
  • Sirop.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : en ce qui concerne tant l’huile essentielle de myrte vert que celle de myrte rouge, l’on peut hésiter tout d’abord à parler de toxicité. L’on peut préférer le terme de précaution. Par exemple, l’on évitera d’user de ces huiles chez l’enfant de moins de six ans, durant l’allaitement et les trois premiers mois de grossesse. Cependant, l’huile essentielle de myrte vert étant une stimulante ovarienne, il y aurait sans doute tout lieu de s’en méfier pendant davantage de temps que trois mois, d’autant que, comme le relatait Fournier dans les années 1940, « sur l’utérus gravide, le myrte produit des contractions tétaniques prolongées et […] son action se rapproche de celle de l’ergot de seigle (!) ; ce qui explique l’emploi criminel de cette plante, concurremment avec le henné et la lavande, par les indigènes de la Tripolitaine (19), en Libye. Ensuite, plutôt que de réelle toxicité, il importe de bien choisir le moment précis où l’administration des huiles essentielles de myrte sera le plus favorable, puisque « à doses trop fortes ou administrées dans la période fébrile ou aiguë, l’élimination de l’essence peut produire une irritation de la muqueuse bronchique et faire naître des phénomènes d’excitation générale, sous le coup desquels la toux augmente et la sécrétion mucuso-purulente devient plus abondante » (20). Enfin, puisque les huiles essentielles de myrte présentent une bonne tolérance cutanée, cela en autorise l’emploi en parfumerie. Cependant, la présence massive d’α-pinène et d’1.8 cinéole (formant à eux deux le « myrténol » des Anciens) peut faire craindre des phénomènes allergiques ou des irritations si elles sont employées pures sur l’épiderme.
  • Dans l’économie domestique locale (Italie, Corse, Provence, etc.), le myrte était employé au tannage des peaux, les rameaux suffisamment flexibles permettaient de confectionner des paniers (Corse), et son bois trouvait parfois quelque emploi dans la fabrication de petits objets usuels.
  • Alimentation : les feuilles aromatiques du myrte, dont on dit qu’elles s’approchent du romarin par leur parfum, jouent le rôle de condiment, en particulier sur les viandes grasses, le gibier (sanglier), ainsi qu’avec certains poissons. Quant aux baies, dont on a longtemps fait un succédané du poivre et de la baie de genévrier, on en confectionne des confitures, des sirops et des liqueurs (en Sicile, en Sardaigne ainsi qu’en Corse où les habitants de l’île de beauté proposent fréquemment un verre de myrtéi). Chez les Romains, déjà, les baies, à la saveur un peu vineuse, servaient d’aromate, parfumant certains ragoûts et procurant de la saveur aux vins dans lesquels on les faisait macérer.
    _______________
    1. Dans le Kosmètikon, que traditionnellement l’on attribue à la reine Cléopâtre, le myrte se trouve en bonne position puisque, après l’olivier, son huile apparaît en plusieurs occurrences. Différents modes d’obtention sont possibles. Tout d’abord, l’on peut cueillir des feuilles de myrte parmi les plus tendres qui soient. Puis on les pile afin d’en extraire le suc frais, que l’on mêle au même poids d’huile verte (c’est-à-dire l’huile tirée des olives non mâtures). L’on place le tout sur le feu, puis l’on recueille par après l’huile qui surnage au-dessus. C’est ainsi que Dioscoride explique le modus operandi au premier livre de la Materia medica. Il indique aussi que l’on pouvait procéder par décoction des feuilles fraîches dans l’huile ou bien par le classique macérât solaire. D’une manière ou d’une autre, l’huile de myrte ainsi formée avait un goût fort empli d’amertume. De couleur vert pâle, de consistance assez huileuse, on lui reconnaissait des vertus astringentes. Les fragrances que l’on essayait de fixer ainsi étaient généralement peu tenaces, guère puissantes, relativement instables chimiquement en raison du rancissement de l’huile ayant servi à l’extraction, victime de multiples facteurs dégradants (soleil, lumière, chaleur, nature du contenant, oxydation par l’air, détérioration au contact même de la peau, etc.). C’est pourquoi l’on privilégiait des matières végétales naturellement et puissamment parfumées comme le myrte, par exemple. Parfois, l’on tirait du myrte, par expression de ses fleurs et de ses fruits, une « essence », certes plus coûteuse, mais davantage préférée que le simple macérât huileux. D’un point de vue cosmétique, on conseillait l’huile de myrte pour les soins capillaires, s’appliquant sur les dartres du cuir chevelu, ayant la réputation de boucler et colorer les cheveux et de prévenir la chute capillaire (d’après Dioscoride, la décoction de graines de myrte formait une teinture pour noircir le cheveu et en ralentir la chute).
    2. Le myrte est plante de Dionysos parce que tressé et placé sur la tête, il lutte contre l’ivresse. « Croquer une baie de myrte avant d’en boire [NdA : du vin], dit-on dans les Balkans, prévient et dissipe l’ivresse » (Claudine Brelet, Médecines du monde, pp. 269-270).
    3. Fénelon, Les aventures de Télémaque, p. 104.
    4. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 90.
    5. Émile Gilbert, Les plantes magiques et la sorcellerie, p. 132.
    6. Fabienne Millet, Le guide Marabout des huiles essentielles, p. 198.
    7. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 622.
    8. Guillaume Gérault, Jean-Charles Sommerard, Catherine Béhar & Ronald Mary, Le guide de l’olfactothérapie, p. 198.
    9. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 323.
    10. Ibidem, p. 233.
    11. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 90.
    12. Émile Gilbert, Les plantes magiques et la sorcellerie, p. 132.
    13. Anne-Lise Vincent, Édition, traduction et commentaires des fragments grecs du Kosmètikon attribué à Cléopâtre, p. 68.
    14. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 456-457.
    15. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 36.
    16. Le mirtelbaum d’Hildegarde en est-il bien ? Chez certains apothicaires allemands, il semble y avoir eu confusion entre le myrte d’une part, et des végétaux comme le fragon et la myrtille d’autre part. De plus, les maigres informations fournies par Hildegarde permettent difficilement de trancher : son « myrte » est efficace contre les scrofules et sophistique la cervoise qu’il rend presque anodine.
    17. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 662.
    18. Thierry Folliard, Petit Larousse des huiles essentielles, p. 126.
    19. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 662.
    20. Ibidem.

© Books of Dante – 2020

Le persil (Petroselinum sp.)

Synonymes : persil commun, persil vulgaire, persil cultivé, ache persil, persin, gimbert, jaubert, jauver, javer.

Il est remarquable que le persil ait perdu une grande partie de son aura de plante médicinale majeure, ainsi que, mais dans une mesure moindre, son rôle condimentaire. Il est temps de redorer son blason ! Nous allons voir qu’au cours de l’histoire du persil, ces deux emplois restent étroitement entremêlés, bien qu’en certaines périodes, l’un domine plus que l’autre. Mais l’on peut, grosso modo, indiquer que le persil fut tout d’abord rangé au nombre des médicaments, puisqu’il devint ensuite alimentaire, avant d’être laissé pour compte par le monde médical au profit du culinaire, ainsi que l’avait fixé Joseph Roques au début du XIX ème siècle : « On peut, du reste, sans appauvrir la matière médicale, abandonner le persil à l’art culinaire qui en fera un meilleur usage » (1), ce face à quoi s’insurgea Cazin une vingtaine d’années plus tard, protestant contre cette opinion, puisque « c’est un remède économique et facile qu’auraient tort de dédaigner les médecins de campagne » (2). Cela fit bondir Cazin, d’autant plus qu’il usait lui-même du persil pour soigner de graves affections comme la blennorragie et surtout la syphilis.
Gardons-nous donc d’une opinion telle, pétrie davantage de naïveté que du résultat de véritables expérimentations en la matière.

La première difficulté débute en la bonne identification du persil dans les sources antiques, puisqu’un terme unique semble englober tout à la fois l’ache, le persil et une plante à laquelle on a attribué le nom de selinon, dont le persil se distingue puisqu’il est dit petro-selinon, qu’on tenta d’éclaircir de bien des façons : si l’on est unanime à voir la pierre dans petro, c’est avec selinon qu’on peut se colleter un moment : pour certains, il voudrait dire « ache », pour d’autres, il dériverait du sanskrit sala, qui veut dire « eau ». Ce qui est bien moins clair ! Le « petro » s’expliquerait pour la préférence du persil pour les lieux pierreux et rocailleux. C’est ainsi que Palladius et Pline analysent son nom, bien qu’on ne soit pas certain que le petroselinum de Pline désigne exactement le persil, alors qu’on considère comme vrai le fait que le petroselinon de Dioscoride est bel et bien le persil de Macédoine, c’est-à-dire notre persil commun actuel, diurétique et emménagogue qui plus est. L’autre explication à ce « petro » permettrait de souligner la présupposée vertu lithontriptique du persil, et sur ce point, l’on est tout de suite moins à l’aise, et surtout plus près de dire une ânerie. Voilà qu’on patauge déjà ! Qu’est-ce que ça va être quand on remontera au temps des Égyptiens !? D’ailleurs, nous y sommes : il y a un peu plus de trente siècles, sous la XX ème dynastie, il paraît que le persil était employé à travers des cérémonies marquées d’un caractère funèbre (de même qu’à Rome au reste), alors qu’il me semble plus probable que c’est l’ache et non le persil dont il est question. Revenons-en à l’Antiquité gréco-romaine, c’est plus sûr. Le persil de Macédoine y est fort réputé et tout aussi estimé que l’ache en Grèce. S’il apparaît tout à la fois comme un aliment et un médicament, c’est surtout au monde romain que l’on doit cette double fonction, tandis que chez un auteur comme Théophraste, seul l’aspect médical transparaît. Dans la description qu’il en donne au IV ème siècle avant J.-C., il conseille le persil pour des affections concernant la sphère vésico-rénale comme la dysurie et les lithiases. Pour Dioscoride, Pline et Galien, ses vertus sont surtout diurétiques. On employait tant ses feuilles que ses semences à travers des affections des reins, de la vessie et de la matrice. Diurétique et emménagogue, c’est bien cela. Chez Paul d’Égine, cette dernière vertu apparaît, ce médecin conseillant le persil pour remédier à la suppression des règles. Oribase va plus loin, puisqu’il prétend que le persil est fort utile « pour combattre la stérilité lorsqu’elle est occasionnée par l’abondance des flatuosités » (3). Mais, dans le même temps, l’on s’approche du potager : Columelle, nous dit-on, s’emploie à obtenir du persil plusieurs variétés, lequel entre par la porte de la cuisine si l’on en croit Galien qui le dit capable d’assaisonner la laitue et Pline les bouillons et les sauces, dont la muria qui était, tout comme le garum, obtenue à base de poisson. « Les anciens tiraient du poisson deux assaisonnements de très haut goût, la muria et le garum. Le premier n’était que la saumure de thon, ou, pour parler plus exactement, la substance liquide que le mélange de sel faisait découler de ce poisson. Le garum, qui était plus cher, nous est beaucoup moins connu. On croît qu’on le tirait par expression des entrailles marinées du scombre ou maquereau » (4). A cet exsudat animal, on ajoutait plusieurs herbes aromatiques et condimentaires dont l’hysope, le gingembre, la livèche, le poivre, le safran, l’aneth, le thym et, donc, le persil. Sous le règne de l’empereur Tibère, Apicius Celius imagina un sel aromatisé avec du poivre blanc, du thym, du gingembre, de la graine d’ache ou, au besoin, de persil.

Voyons voir si cette double utilisation se perpétue à travers cette vaste période historique que fut le Moyen-Âge. Le premier constat que l’on peut faire, c’est d’écarter l’idée saugrenue selon laquelle la carrière culinaire du persil n’aurait débuté qu’au XV ème siècle ! Non seulement elle se poursuivit depuis l’Antiquité, mais, d’un point de vue thérapeutique, les vertus médicinales du persil prirent de l’ampleur. On note sa présence dans les jardins carolingiens (cf. son inscription au Capitulaire de Villis sous le nom de petreselinum), on le cultive également au monastère de Saint-Gall à la même époque. Il est dit alors que le persil se cantonne moins à des usages culinaires que médicinaux, ce qui n’est pas tout à fait inexact. Puisque ce sont essentiellement des médecins dont je vais maintenant parler : Constantin l’Africain (1020-1087), Averroès (1126-1198), Macer Floridus, Albert le Grand, Hildegarde de Bingen, etc. En plus d’être considéré comme un excellent diurétique, on lui accorde bien d’autres propriétés. Par exemple, l’Arbolayre précise que « cuit avec les viandes, il conforte la digestion et ôte les ventosités du ventre ». En plus de cela, il est apéritif, antilithiasique urinaire et biliaire, et résolutif. « Le persil est plus utile quand il est cru que lorsqu’il est cuit, nous dit Hildegarde. Il adoucit les fièvres si elle ne sont pas trop fortes » (5). Il se recommande encore en cas de douleurs du cœur, de la rate et du foie, de toux, d’hydropisie, de morsures venimeuses (sic), de vomissements. Il est aussi possible de faire de lui un usage externe, comme, par exemple, à travers cette recette : élaborer un cataplasme mêlant du suc de persil, du blanc d’œuf et de la farine, que l’on applique par la suite sur les ulcères et les blessures. Ou bien la recette de l’onguent d’Hilaire qu’Hildegarde destine essentiellement aux douleurs de côté, pectorales et goutteuses. Enfin, points remarquables, Hildegarde suggère d’employer le persil afin d’effacer l’odeur d’ail que l’on pourrait avoir en bouche après en avoir mangé, et surtout elle conseille le persil contre l’épilepsie, ce que l’actualité aromathérapeutique ne contredit pas, bien au contraire. Pour en terminer là, dernier signalement : Macer Floridus préconisait le persil, du moins son suc, pour estomper les éphélides, c’est-à-dire les taches de rousseur. Les ôter était censé accroître la beauté. C’est pourquoi dans un conte du Piémont, une princesse recommande à sa fille de manger du persil afin qu’elle devienne belle. Dans un autre conte italien que l’on doit à Jean-Baptiste Basile, l’auteur met en scène une femme enceinte qui convoite le persil qui pousse dans le jardin d’une ogresse. Elle lui en vole plusieurs fois avant de se faire pincer. Expliquant son geste répété, elle affirme avoir agi ainsi « parce qu’elle était enceinte et qu’elle avait peur que le visage de son enfant ne fût parsemé de taches persillées » (6). Mais l’ogresse ne l’entend pas de cette oreille et oblige la future mère à lui remettre le fruit du labeur de ses entrailles, « une fillette si belle qu’on aurait dit un bijou » (7), et dont le nom titre le conte : Fleur-de-persil. Il n’est pas question d’user ici du persil pour son supposé pouvoir abortif, mais pour prémunir l’enfant des taches de rousseur face auxquelles le persil possède une grande réputation, au point que du suc de persil mêlé à de la rosée prélevée au matin de la Saint-Jean passait pour un remède efficace contre la peau criblée de son.
Passons côté cuisine. Il est vrai que l’ogresse du conte de Basile cultive avant tout le persil pour se faire de petites sauces, et qu’elle est fort marrie de sa disparition, s’exprimant vertement en ces termes : « Que je me rompe l’os du cou si je n’attrape pas ce manche crochu pour lui apprendre et lui faire passer l’envie d’écumer les gamelles d’autrui au lieu de manger dans son écuelle » (8). Le Moyen-Âge ne fait pas exception à cette coutume culinaire du persil, puisque cette plante permettait de verdir les plats, attendu que leurs couleurs avaient une importance primordiale. Que ce soit dans le Viandier de Taillevent ou bien encore le Mesnagier de Paris, le persil est abondamment cité, aussi bien en tant qu’aromate haché dans une farce que constitutif d’un bouquet garni destiné à un court-bouillon. Il se situe même au cœur de la sauce verte, un condiment accompagnant les viandes et les poissons rôtis, ou de cette autre encore, composée de cannelle, de sauge, de persil et de vinaigre, et qui, selon Platine de Crémone « donne appétit de manger, conforte la cervelle et fait bonne haleine » (9). Le persil est donc une plante condimentaire extrêmement courante à cette époque, elle est même vendue dans les rues, à la criée, par des marchands ambulants.

A la Renaissance, l’équilibre existant entre les aspects condimentaires et médicinaux se rompt quelque peu. Le persil reste néanmoins un aromate fort répandu et usité en cuisine dans bien des pays d’Europe (Angleterre, Italie, Allemagne, France, etc.). Au tout début du XVI ème siècle, un médecin et distillateur allemand, Hieronymus Brunschwig (1450-1512), fut sans doute le premier à obtenir de l’huile essentielle de persil, tandis qu’à la même époque en France, le médecin Jean Fernel l’utilisait à la façon des Anciens, c’est-à-dire essentiellement comme diurétique et lithontriptique. Peu après, le médecin flamand Rembert Dodoens établira plus assurément certaines propriétés du persil que nous avons entrevues naguère : en tant qu’antispasmodique, il le destinait à l’asthme humide, à la toux invétérée et à… l’épilepsie ! « Par contre, certains médecins rendaient le persil responsable d’accidents plus ou moins graves, prétendaient qu’il nuisait à la vue, était dangereux pour ceux qui tombent du haut mal et qu’il suffisait même à une nourrice d’en manger pour que l’enfant allaitant fût sujet à l’épilepsie et aux convulsions » (10), ce qui est bien évidemment complètement farfelu : primo parce que le persil est un remède ophtalmique, secundo puisque, nous l’avons déjà dit, c’est un puissant anti-épileptique. Par ailleurs, et de manière assez inexplicable, le persil se retrouve assez souvent au sein de ce tandem qu’est la nourrice et le marmot joufflu qui tète ses mamelles généreuses. Dans les Abruzzes, l’on apprend que cette plante était chère aux femmes parce qu’elles s’imaginaient qu’elle faisait non seulement grossir les seins mais qu’en plus elle leur procurait plus de lait, ce qui est une croyance tout à fait infondée, le persil étant antigalactogène, c’est-à-dire qu’il permet d’endiguer la sécrétion lactée, non le contraire ! Encore mieux : en Sicile, « lorsqu’un enfant à la mamelle se sent suffoquer par un lait trop épais, les bonnes femmes accourent et lui fourrent dans le derrière du persil avec du tabac, en disant : ‘Persil, petit persil, fais fondre le lait de ce petit enfant’ » (11). Si on se demande fort à propos comment une telle astuce pouvait fonctionner, l’on peut bien imaginer en revanche la scène du bébé avec un bouquet garni dans l’anus ! L’on croit même, dans le Midi, qu’une femme enceinte qui cueille du persil fait crever la plante, alors que l’expérience a montré que c’est plutôt le persil, administré de telle façon, qui peut être préjudiciable à la bonne santé du fœtus…
« Le persil, bien que bénéfique, est une plante chère aux jeteurs de sort », racontait Pierre Lieutaghi (12). Dans ce sens, on confectionnait parfois des boulettes formées de plusieurs herbes (ciguë, jusquiame, safran, aloès, pavot, mandragore et persil), que l’on mettait à sécher, puis que l’on brûlait sur des charbons ardents, ce qui permettait, disait-on, de faire apparaître des esprits. Pierre Lieutaghi poursuit : « Je tiens d’une personne des environs de Saumur que celui qui sème le persil dans la terre s’expose à mourir dans l’année » (13). Pour passer outre cet écueil, il faut que le persil soit semé par une femme ou une sorcière, et il pousse d’autant mieux si les semailles ont été effectuées par un enfant.
On dit du persil qu’il aurait jailli du sang d’un héros grec nommé Archémore, ce qui est fort inexact, puisque Archémore, au moment de sa mort, n’était encore qu’un enfant. Sa nourrice le déposa sur une touffe d’ache (ou de persil), et, aussitôt, un serpent le mordit (je m’excuse pour l’invraisemblance de cette scène, mais c’est ainsi). En souvenir d’Archémore, « celui par qui le malheur arrive », on instaura les jeux néméens dont les vainqueurs, outre qu’ils devaient marquer le deuil, se couronnait de guirlandes d’ache (ou de persil). Sous ces sombres auspices, que ne sera-t-on pas surpris d’apprendre que le persil était dédié à la déesse Perséphone qui passait grande partie de son temps aux Enfers. Est-ce pour cette raison que, selon une ancienne superstition médiévale, les semences de persil devaient descendre sept fois aux Enfers avant de pouvoir germer ? Cette légende explique peut-être la germination lente et laborieuse du persil, dont Jean-Baptiste Porta indiquait une recette afin d’en hâter le développement. Au passage, le Diable, très friand de persil, en conservait une petite partie pour son usage personnel. Le persil, qui est pourtant une plante qui adore le soleil, est aussi marquée de cette empreinte nadirale, devant séjourner durant longtemps en terre avant de déployer toute sa splendeur. Il rappelle cet autre héros, Hercule. A cela, Macer Floridus donne une ébauche d’explication qui, ma foi, n’est pas dénuée d’une valeur intéressante : « Le persil tire son nom latin apium de apex (sommet du casque), parce qu’autrefois il servait à orner la tête des triomphateurs : usage qui remonte à Hercule » (14). Le persil est donc symbole de force herculéenne (quand bien même c’est sans doute l’ache qui se dissimule derrière l’apium/persil de Macer Floridus).
On le voit, le persil s’est souvent retrouvé à grande proximité des divinités : la mythologie grecque déclare qu’il constituait la nourriture des chevaux d’Héra, et que le centaure Chiron apprit à Achille la manière d’employer le persil afin de guérir aussi bien les hommes que les animaux.

Plus près de nous, au XIX ème siècle, Cazin obtint de remarquables résultats en faisant appel au pouvoir diurétique du persil, mais également pour lutter contre des affections telles que la blennorragie, les maladies néphrétiques, la leucorrhée, etc. Au XX ème siècle, alors que le célèbre professeur Léon Binet fit l’éloge du persil, son huile essentielle fut inscrite au Codex en 1949 comme emménagogue et tonique circulatoire. Nous nous sommes donc bien éloignés du scepticisme de Roques à l’endroit du persil (15). Pour oublier définitivement cette boutade, sachons que Lucie Randoin (1885-1960), directrice du laboratoire de physiologie de l’INRA, portait un grand crédit au persil : « On peut, sans exagération, considérer le persil comme l’un des plus précieux aliments sécuritaires que la nature a généreusement mis à la disposition de l’être humain ». Ce qui corrobore les dires de Binet selon lequel le persil permettrait de conserver la jeunesse et d’accroître la longévité. Encore une plante qu’on peut sans mal élever au rang de panacée !

Le persil, comme beaucoup d’autres plantes de la grande famille des Apiacées ex Ombellifères est une plante bisannuelle qui voit, durant sa première année, se former une forte racine pivotante, blanchâtre, épaisse et charnue, à la condition qu’on le sème sur des sols riches et frais. (Oubliez cette malédiction dont j’ai parlé plus haut ! Autrefois, on la conjurait en semant le persil dans un trou de mur. Puis l’on attendait patiemment la seconde année pour voir se développer les graines qui se resemaient alors d’elles-mêmes dans la terre qu’on avait eu soin d’entreposer juste en-dessous, ce qui est un véritable truc de ouf, en somme !) Surmontant cette partie souterraine, un feuillage dense et touffu, vert foncé bien franc et glabre, est formé de feuilles longuement pétiolées, trois fois divisées et subdivisées. Ce sont elles que l’on utilise en cuisine, du moins que l’on trouve en bouquet serré sur les marchés. La seconde année, une tige robuste, finement striée, montre le bout de son nez. Tout d’abord garnie de feuilles supérieures presque linéaires, ce n’est qu’à partir du mois de juin (et jusqu’en septembre) que la plante atteint facilement 60 à 80 cm de hauteur, en particulier grâce aux efforts fournis par l’érection d’une ombelle sommitale comptant 15 à 18 rayons portant une myriade de petites fleurs vert jaunâtre. Puis la défloraison amorce l’ère de la fructification, et plus la plante prend de l’âge, et plus elle ploie sous son propre poids et sa faiblesse sénile, tout comme la coriandre. Les semences, jointes deux à deux, ovales et grisâtres, sans côtes saillantes, sont sans doute responsables de ce phénomène.
Aujourd’hui, bien que le persil soit cultivé dans de très nombreux endroits du monde, l’on ne semble plus être sûr de son fief d’origine, c’est-à-dire que le persil se trouve plus fréquemment sous sa forme cultivée que sauvage. On l’a vu dans cet état dans le Midi de la France, ou encore en Sardaigne, ainsi qu’au sud-est de l’Europe et en Afrique du Nord. Mais cela le fait-il originaire de l’ensemble de ces localités ? Je ne sais trop, sans compter qu’on a aussi fixé son origine à l’Europe centrale, à l’ouest du bassin méditerranéen, ou encore à l’Asie occidentale. Allons bon ! Laissons cela en suspens, voulez-vous et dirigeons-nous vers de verdoyantes contrées, car nous ne sommes ici qu’à mi-chemin !

Le persil en phyto-aromathérapie

Le persil frisé présentant des propriétés moins actives que le persil plat, nous concentrerons donc nos regards sur ce dernier uniquement (du moins, dans une optique de pratique de la phytothérapie). C’est une plante dont l’expérience nous apprend qu’il faut l’employer à l’état frais en ce qui concerne les parties vertes et les racines, à l’état sec pour les semences.
La racine se caractérise par des sucres (dont l’apiose) et du mucilage, et contient, comme toutes les autres parties de la plante, un glucoside auquel on a donné le nom d’apiine, ainsi que du falcarinol, insecticide naturel qui protège la racine des prédateurs. Elle est de plus très riche en substances minérales (de même que la plante en général) : 5 %, ce qui représente une énorme manne, qui se répartissent entre différents corps dont beaucoup de fer (19 mg/100 g), du manganèse (0,9 mg/100 g), et bien d’autres encore (potassium, calcium, sodium, magnésium, sélénium, zinc, cuivre, cobalt, chrome, bore, iode, soufre, phosphore, etc.).
Dans les semences, l’on trouve une belle portion d’huile fixe (20 à 22 %), secondée par une grosse proportion d’essence aromatique (2 à 7 %), alors qu’elle est moins représentée dans le feuillage (environ 1 %) et encore moins dans la racine (0,05 à 0,1 %). Les fruits du persil contiennent encore des matières résineuses et pectiques, un peu de tanin, de l’acide pétrosélinique, un pigment de couleur jaune et beaucoup de chlorophylle, comme dans le feuillage au reste qui s’inscrit dans les mémoires comme étant particulièrement riche en vitamines : vitamine C (240 à 250 mg/100 g, ce qui est énorme !), vitamine A (60 mg/100 g, ce qui n’est pas moins considérable), vitamines du groupe B (B1, B2, B3, B9), vitamine E.
Enfin, signalons encore dans le persil la présence de flavonoïdes, de phtalides, de polyines, d’inosite, et possiblement d’un alcaloïde (qui se cacherait dans les feuilles).
L’odeur prononcée du persil, sa saveur piquante et un peu amère, c’est bien évidemment à une essence aromatique qu’on les doit. Selon qu’il est plat ou frisé, le persil n’offre pas les mêmes huiles essentielles. Si nous avons écarté tout à l’heure le crépu, convions-le maintenant afin d’en faire l’étude comparative face au persil plat. De chacun d’eux, on peut distiller trois parties, c’est-à-dire pas moins que celles que nous avons passées en revue, à savoir la racine, les feuilles et les semences. Cela permet d’obtenir six huiles essentielles au total. Pour ne pas alourdir notre propos, nous n’en retiendrons que deux, parmi les plus courantes. La première est issue des feuilles du persil frisé, la seconde des semences du persil plat. Il va sans dire que ces deux produits n’ont strictement rien à voir, tant au niveau de la composition biochimique que des propriétés et usages thérapeutiques. On observe également de grandes disparités en terme de rendement : alors qu’il ne dépasse jamais 1 % chez le persil frisé, il s’envole à un niveau bien supérieur chez le persil plat (5 à 6 %).
Dans le tableau ci-dessous, j’ai regroupé les principales informations moléculaires qui concernent nos deux huiles essentielles

L’huile essentielle de persil frisé est donc principalement constituée de monoterpènes (84 %), contenant bien moins d’éthers-oxydes contrairement à la seconde (63 %). La myristicine, que nous avons déjà rencontrée à travers l’étude de l’huile essentielle de noix de muscade, est, rappelons-le, une molécule à risque, de même que l’élémicine (présente aussi dans l’huile essentielle d’élémi de Manille, Canarium luzonicum). Il en va de même de l’apiol, substance découverte en 1715 par Heinrich Christophe Link, isolée par Joret et Homolle en 1855, puis bien étudiée par Laborde et Mourgues dans la seconde moitié du XIX ème siècle. Il s’agit d’un liquide jaunâtre, de nature oléagineuse, à l’odeur spéciale et tenace, à la saveur âcre et piquante. On substitua la plante entière à l’emploi de cette substance en thérapie, convaincu qu’on était qu’il s’agissait là du principe actif de la plante. Or ce camphre de persil comme on l’appelle parfois, n’est pas sans poser problème comme nous allons le voir en fin d’article (d’autant plus qu’il est combinée massivement à la myristicine dans l’huile essentielle de persil plat).

Propriétés thérapeutiques

Passons donc maintenant en revue les diverses propriétés de ce qu’il est tout à fait pertinent d’appeler un alicament à l’instar de l’ail, de l’oignon, du poireau ou bien encore de la carotte.

Persil frais :

  • Apéritif, digestif, stomachique, carminatif, vermifuge, antiseptique du tube digestif
  • Dépuratif, détoxiquant (éliminateur des toxines du foie, des reins, du système lymphatique, de la matrice extracellulaire), diurétique éliminateur de l’urée, de l’acide urique et des chlorures, antiseptique sanguin et des voies urinaires
  • Hépatoprotecteur chez le diabétique, stimulant de la vésicule biliaire, préventif des lithiases biliaires
  • Emménagogue (régularise le flux menstruel, calme les douleurs utérines), tonique utérin, antigalactogène
  • Tonique oculaire, antixérophtalmique
  • Résolutif, cicatrisant, vulnéraire, tonique cutané et capillaire
  • Antispasmodique
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydant
  • Fébrifuge (propriété discutée), sudorifique
  • Anti-anémique, antirachitique, antiscorbutique, vitaminique, minéralisant, nutritif
  • Tonique général et nerveux
  • Antigoutteux
  • Expectorant
  • Vasodilatateur (?)
  • Stimulant des fibres lisses

Huile essentielle de persil frisé :

  • Anti-épileptique puissant, antispasmodique
  • Dépuratif rénal, diurétique, détoxiquant léger
  • Antibactérien (sur Escherichia coli)
  • Emménagogue

Huile essentielle de persil plat :

  • Antispasmodique, anticatarrhal
  • Emménagogue, tonique utérin, anti-infectieux génital, antigalactogène
  • Anti-infectieux urinaire
  • Tonique nerveux et psychique
  • Tonique musculaire

Usages thérapeutiques

Persil frais :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, dyspepsie, fermentation intestinale, flatulence, ballonnement, diarrhée, atonie de la vésicule biliaire, parasitose intestinale (oxyures), halitose (le persil efface l’odeur de l’ail en bouche)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase rénale, lithiase urinaire (?), oligurie, anurie, dysurie, cystite, faiblesse vésicale, urétrite chronique comme aiguë, albuminurie chronique, blennorrhée
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, dyspnée, toux, asthme humide, catarrhe chronique
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, aménorrhée atonique, dysménorrhée, règles douloureuses, irrégulières et difficiles, mastite, engorgement des seins, arrêt de la lactation
  • Affections cutanées : plaie, blessure, contusion, ecchymose, coupure (?), irritation, rougeur, piqûre d’insecte (moustique, abeille, guêpe), abcès froid, ulcère putride et gangreneux, gangrène, alopécie, calvitie, éclaircissement du teint, taches de rousseur
  • Troubles locomoteurs : entorse, foulure, névralgie, rhumatismes, arthrite, goutte, hydarthrose
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : ictère, jaunisse, hépatisme
  • Rétentions liquidiennes : hydropisie, anasarque, engorgement des viscères abdominaux, engorgement scrofuleux, cellulite, pléthore
  • Troubles oculaires : conjonctivite, blépharite, ophtalmie, xérophtalmie (assèchement de la conjonctive et de la cornée)
  • Anémie, troubles de la nutrition et de la croissance, scorbut, rachitisme, convalescence, asthénie
  • Troubles de la sphère circulatoire : hypertension artérielle, hémorroïdes sèches
  • Fièvre, fièvre intermittente, paludisme (?)
  • Réaction de Jarisch-Herxheimer
  • Dépuration générale de l’organisme (cure de printemps), favoriser l’éruption dans la rougeole et la variole

Huile essentielle de persil frisé :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : entérocolite spasmodique et inflammatoire, colique, flatulence
  • Troubles de la sphère rénale : insuffisance rénale
  • Troubles du système nerveux : épilepsie
  • Troubles de la sphère gynécologique : insuffisance ovarienne

Huile essentielle de persil plat :

  • Troubles de la sphère gynécologique : infection génitale, leucorrhée, aménorrhée, oligoménorrhée, inhiber la sécrétion lactée
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : infection urinaire, urétrite, irritation de la prostate et des voies urinaires, hématurie, colique néphrétique, gravelle, blennorragie
  • Troubles locomoteurs : spasmes musculaires, torticolis
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme

Modes d’emploi

  • Infusion de la plante fraîche, des semences.
  • Décoction de racine, de semences.
  • Macération vineuse (vin blanc) de semences.
  • Suc frais délayé dans l’eau, le vin, la teinture de persil.
  • Poudre de semences dans un véhicule adapté.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses.
  • Sirop.
  • Cure printanière de persil et d’autres végétaux typiques de cette période et de cette fonction.
  • Huile essentielle de persil frisé : voie orale raisonnée, voie cutanée diluée, olfaction.
  • Huile essentielle de persil plat : voie cutanée diluée, olfaction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : le persil étant bisannuel, l’on n’en peut cueillir la graine que durant la seconde année tandis que sa racine se prélève de préférence dès l’automne de la première année (plus tardivement, elle devient ligneuse et inutilisable). Sur ce point, c’est le dilemme : vais-je préférer déchausser la racine en premier, quitte à ne plus pouvoir disposer ni d’une partie des feuilles ni finalement des semences qui achèvent le cycle végétatif du persil ? A vous de décider, en fonction de vos besoins. Si l’on préfère conserver toute sa vivacité au persil, on peut lui en prélever des feuilles durant toute la bonne saison, soit du printemps à l’automne, et cela presque deux années durant, alors qu’on ne peut profiter de la racine que sur un très court laps de temps. L’on pourrait la sécher, mais sa dessiccation s’accompagne d’une notable perte de propriétés. Réflexion s’impose donc.
  • Toxicité : l’on ne peut simplement s’arrêter sur la possible confusion qui peut se produire entre le persil et la petite ciguë (Aethusa cynapium) qui lui ressemble assez. On ne veut pas simplement évoquer cette toxicité qui consiste en ce que les mauvais effets de l’une glissent en direction de l’autre, apparemment en dessous de tous soupçons. Évitons ce transfert malheureux, et rendons compte du fait que le persil – aussi étonnant que cela soit – possède sa toxicité bien à lui. L’un des signes de cette toxicité tient en quelques lignes que Jean-Baptiste Porta consigna à propos du persil : « Ainsi nous lisons que les femmes de Salerne, au commencement de leur conception, et alors que le fruit doit être vivifié, ont coutume de le tuer à l’aide du jus de persil et de poireaux » (16). Il n’y a pas que chez l’être humain que le persil semble poser problème, puisque de nombreux oiseaux (poules, perroquets, etc.) ont à pâtir de son absorption, tandis que lapins, lièvres et hamsters se portent comme un charme après son grignotage. Dans la plupart des cas d’intoxication, est mise en cause la présence de cette substance, l’apiol, dont le docteur Leclerc disait qu’il « exerce une action élective, par l’intermédiaire du système nerveux, sur l’appareil circulatoire et s’exprime par des phénomènes de congestion vasculaire et d’excitation en même temps que de contractilité de la fibre musculaire, c’est-à-dire de la vessie, de l’intestin et de l’utérus » (17). Bien ! Encore disait-il cela il y a un siècle, mais du temps de Cazin, la distance faible qui existait entre un constat et l’isolement de la molécule évitait de prendre le recul nécessaire. En 1858, Cazin indiquait n’avoir rencontré aucune perturbation liée à un emploi de l’apiol sous sa forme pure. Or la molécule n’ayant été isolée qu’en 1855, l’expérimentation thérapeutique est trop brève pour conclure assurément. Au contraire, cela le persuade de son innocuité : « il a presque constamment réussi sans que l’on ait eu à enregistrer un seul accident consécutif à son emploi, même dans les circonstances où l’absence des menstrues tenait à un commencement de grossesse » (18), c’est-à-dire pas moins que l’exposition d’un utérus gravide à l’apiol dont on sait depuis qu’il est neurotoxique et potentiellement abortif, et c’est ce que l’on dit aujourd’hui de l’huile essentielle de persil plat que l’on interdit à la femme enceinte, au bébé, à l’enfant, et jusqu’à la femme qui allaite (même si l’on utilise le persil frais comme antigalactogène, il est recommandé d’arrêter aussi sec l’allaitement, car le poursuivre intoxiquerait l’enfant).
    Malgré ce qui fut anciennement asséné, l’apiol est devenu suspect, induisant à hautes doses l’ivresse apiolique (assez semblable à celle qu’induit le quinquina que l’on ingérerait à doses élevées). Elle se caractérise par des phénomènes d’étourdissement, le sujet titube, est pris de vertiges, ses oreilles sifflent, son front cogne sous les coups sourds de la céphalalgie. Des troubles cardiaques (arythmie) apparaissent, ainsi que des convulsions. Et cela ne vaut que pour l’apiol seul, je le rappelle. Il détermine encore une dégénérescence du parenchyme du foie favorisant de graves ictères avec glycémie élevée, une cirrhose du foie, des maladies rénales comme la pyélite, enfin « la paralysie des centres nerveux et des entraves à la circulation » (19).
    Quant à nos deux huiles essentielles, dont l’une contient de l’apiol et pas l’autre (ou très peu), cela ne signifie pas que celle de persil frisé puisse s’utiliser sans risque, les yeux fermés, puisque son usage répété peut mener à une toxicité chronique liée cette-fois ci, non pas à la présence d’apiol, mais de myristicine. De manière aiguë, cette toxicité se déploie à travers des céphalées, des troubles gastriques, hépatiques et rénaux (la plupart des viscères : rappelez-vous que le persil est une plante qui stimule les fibres lisses musculaires). La seconde de nos deux huiles essentielles provoque, quand les doses sont hors de propos, des symptômes cannabiques, des vertiges comme en procure le haschisch, simple diabolique dont le Diable se sert « pour troubler les sens de ses esclaves » ^.^ L’on ne saurait s’empourprer à l’idée de ces Romains qui s’enguirlandaient de rameaux de persil entrelacés et dont le but visait a « alléger les effets de l’intoxication due à l’abus d’alcool ». Valnet n’indiqua-il pas une recette contre l’ivrognerie dans laquelle entrait le persil ? L’idée des Romains n’est-elle pas judicieuse, tant elle apparaît douée d’une dimension homéopathique ? Crede.
    En attendant d’en avoir le cœur net – je me rappelle de Cazin qui moquait un médecin homéopathe à l’endroit du persil –, il est très clair que l’huile essentielle de persil plat reste tout de même un puissant irritant local, occasionnant de la gastro-entérite, des lésions hépatiques et rénales, de l’hématurie, ainsi que de l’urticaire. L’autre n’est pas en reste non plus puisque dans le pire des cas elle peut mener au coma.
    Dans tous les cas, on s’abstiendra de faire du persil, sous quelque forme que ce soit, un usage prolongé (les quelques grammes qu’on peut utiliser quotidiennement en cuisine
    ne sont pas problématiques fort heureusement).
    Pour en finir avec ce long paragraphe, signalons que Pierre Lieutaghi déconseillait l’emploi externe du persil frais sur les plaies, en raison du caractère possiblement irritant de la plante sur les muqueuses cutanées. En revanche, l’usage interne du persil est préférable en ce cas, et dans ceux de blessures, coupures, ecchymoses, etc., dont la guérison est grandement améliorée par la haute teneur en vitamine A du persil, dont on sait qu’elle influe favorablement sur la cicatrisation.
  • Le persil fait partie des « cinq racines apéritives » avec le fenouil, l’ache, l’asperge et le fragon petit-houx. Ses semences forment avec celles de la carotte, du khella (Ammi visnaga) et de l’ache le groupe des « quatre semences chaudes mineures ».
  • Alimentation : qu’il est triste d’avoir fait l’injure au persil de ne figurer que dans d’infâmes aspics – horreurs de mon enfance – ou bien en guise de décoration dans la vitrine du charcutier, quand on ne le repousse pas au bord de l’assiette à la manière de ces trois feuilles de houx en plastique qui « ornent » la bûche de Noël, comme agrément utile et agréable pour quelques secondes seulement. Pourtant, aujourd’hui et depuis longtemps déjà, le persil est cultivé comme herbe alimentaire, aromatique et condimentaire dans bien des régions du monde. Cette expansion dans l’espace géographique ne peut se satisfaire de l’érection d’une touffe de persil sur telle ou telle spécialité gastronomique, ce qui le fait tourner au stéréotype. Très courant en Europe, le persil est l’un des ingrédients composant le « bouquet garni » en compagnie du thym et du laurier, et compose avec l’estragon, le cerfeuil et la ciboulette le quatuor des herbes fines. C’est un condiment qui peut agréablement accompagner une omelette, un taboulé (à la place de la menthe), une salade de crudité (tomates, concombre, radis, seront ravis de sa compagnie), une simple salade verte (du persil bien ciselé mêlé à une batavia ou à une canasta, avec du jus de citron, de l’huile d’olive, du sel et du poivre à l’appui, c’est presque une image du bonheur). Le persil est encore le parfait correcteur de la « malicieusité » des fèves et des pois chiches, et agrémente bien certaines viandes et poissons (comme dans le watter-fisch, court-bouillon hollandais). Pour ma part, je l’utilise conjointement aux olives noires pour élaborer des galettes végétales dont j’ai découvert la recette dans un livre de Jean Valnet. Pour cela, il faut mixer ensemble des olives noires, du persil, des échalotes, poivrer et saler, lier le tout avec un œuf. On ajoute un peu de farine, puis on forme des galettes circulaires de 2 cm d’épaisseur que l’on fait dorer recto-verso à la poêle. On peut glisser ces galettes dans un pain burger, avec de la salade, des tranches de tomate et d’oignon rouge, un brin de fromage pour ceux qui aiment ça, et accompagner le tout de frites maison et d’une ample salade bien assaisonnée. C’est à peu près mon repas du dimanche midi ^.^ (ça vaut mieux que ces horribles aspics !).
  • Au registre alimentaire encore, signalons l’existence du persil tubéreux (Petroselinum crispum var. radicosum), une variété de persil frisé dont on a forcé la croissance de la racine, laquelle se consomme comme le panais bien qu’il le surpasse en goût et en finesse. Peu fréquent et cher, il vaut néanmoins le détour (cf. photo ci-dessous).
  • Si l’on cultive du persil près d’un rosier, ce dernier verra croître son parfum et sa résistance. Le persil est l’une des nombreuses plantes-soin. Il veut également le nôtre. Ce qui ne vous a pas échappé à la lecture de cet article, j’en suis sûr.
    _______________
    1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 203.
    2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 48.
    3. Henri Leclerc, Les épices, p. 126.
    4. Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, pp. 96-97.
    5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 53.
    6. Jean-Baptiste Basile, Le Conte des contes, p. 148.
    7. Ibidem.
    8. Ibidem.
    9. Platine de Crémone, de son vrai nom, Bartoloméo Sacchi (1421-1481) est l’auteur d’un court traité dédié à la gastronomie, Du plaisir honorable et de la santé, imprimé pour la première fois en 1474.
    10. Henri Leclerc, Les épices, p. 126.
    11. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 285.
    12. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 345.
    13. Ibidem.
    14. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 99.
    15. Dans ce passage, il fait néanmoins amende honorable : « Il ne faut pas croire aveuglément à tout ce qu’on lit dans les vieux traités de médecine, mais il ne faut pas non plus en fait de pratique porter trop loin l’esprit de scepticisme. Dans notre première édition des Plantes usuelles, nous avions un peu sacrifié à l’humeur frondeuse de l’époque, nous tâchons maintenant de réparer en quelque sorte nos injustices en traitant avec plus d’égard nos prédécesseurs », Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 420-421.
    16. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 188.
    17. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 231.
    18. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 743.
    19. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 744.

© Books of Dante – 2020

L’estragon (Artemisia dracunculus)

Synonymes : herbe au dragon, herbe-dragon, dragon, dragonne, fargon, gardon, targon, tarcon, tarragon, serpentine, armoise âcre.

Puisque l’estragon est infertile par ses graines sur nos sols occidentaux, c’est qu’il vient d’ailleurs. Bingo ! En ce cas, d’où provient-il ? On a imaginé une genèse de l’estragon pour le moins saugrenue au XVI ème siècle : cette plante « provenait, affirmait les marchands de légumes, de graines de lin qu’on avait enfermées dans un radis ou dans un oignon, puis enfouies sous terre » (1). Certains auteurs n’y virent aucun inconvénient et acceptèrent l’idée avec grande crédulité, tandis que d’autres, la récusant, partir à la recherche, tant bien que mal (plutôt mal d’ailleurs), de l’origine de cette plante non indigène en Europe. On s’imagina même la reconnaître dans l’œuvre de Dioscoride, ce qui est bien évidemment peine perdue.
Passons outre ces délires dignes d’un Jean-Baptiste Porta sous acide, et tentons plutôt de démêler l’écheveau afin d’y voir plus clair.
Si l’estragon porte les surnoms de dragon et de serpentine, c’est parce qu’au temps de Dioscoride (qui ne le connaissait pas), on imaginait l’herbe dragonne capable de venir à bout des morsures de serpents, vertu reprise au XI ème siècle par Avicenne (2). Cette équivoque remonte sans doute à Pline qui désignait par dracunculus, terme qu’on traduirait par « petit dragon », en rapport avec un autre, plus gros, drakontia, transposé en tharchoûm, puis tarkhoum en langue arabe, targon et enfin tarcon au XIII ème siècle. Du moins est-ce de cette façon qu’en parlaient Ibn El-Beithar et Simon Januensis en ce siècle qui voit l’arrivée de l’estragon en Espagne par le biais des Maures. A moins qu’il n’ait été introduit plus tôt en Europe, comme le prétendait Syméon Seth, médecin et botaniste byzantin du XI ème siècle, ou bien l’une de ces nombreuses plantes rapportées des croisades, ce qui, concernant l’estragon, s’apparente plus à une blague qu’à tout autre chose. Parce que pour cela, il eut fallu que les croisés se rendissent fort à l’est, bien au delà de cet Orient si proche. Bref, il y a encore mille ans, on pédalait pas mal dans la semoule, on ne savait pas d’où provenait l’estragon, et l’on ne sait pas si celui qu’on appelait estragon avec les mots de l’époque est bien l’estragon qu’on connaît tous aujourd’hui. D’autant que le dragone artemisia dracunculus serpentine brouille les pistes. Par exemple, le Capitulaire de Villis mentionne la présence d’une plante étiquetée dragontea offrant, par son nom du moins, des similitudes avec l’herbe dragon. Le souci, c’est qu’on nous dit que durant tout le Moyen-Âge, on ne trouve aucune trace de l’estragon en cuisine (en quel lieu ?), alors que par ailleurs, d’autres sources estiment que l’estragon est connu depuis le Moyen-Âge (en quel lieu ?) comme remède apéritif, digestif et antispasmodique, alors que pour d’autres encore, il n’existe aucuns usages médicinaux pour l’estragon durant toute cette période médiévale.
Or, le dragontea du capitulaire carolingien ne peut être l’estragon, comme l’expliquait Alain Canu : « Ce dragontea qui, suivant Sprengel, serait l’estragon, Artemisia dracunculus de Linné, est désigné de bien des manières dans un manuscrit du IX ème siècle. Je trouve, dans un manuscrit du XIV ème, un moyen assuré de résoudre la question. L’article sur le dragontea est à la vérité dépourvu, comme presque tous ceux qui concernent les autres plantes, de la description des caractères botaniques ; mais il est accompagné d’une figure coloriée assez bonne pour le temps. Or, cette figure ne ressemble en rien à l’estragon, tandis qu’elle ressemble très bien à la serpentaire, Arum dracunculus, de Linné […]. Le dragontea est donc, non pas l’estragon, mais la serpentaire ». Sachant que l’estragon est désigné sous le nom de serpentine, cela accroît les confusions. Quant à la serpentaire, elle n’a effectivement aucun rapport avec l’estragon, comme l’atteste cette illustration.
Aujourd’hui, après bien des méli-mélo, on ignore à quelle époque exacte notre plante a posé ses valises par chez nous. Qu’on ne sache pas quand elle est arrivée, soit, mais qu’en plus on objecte quelques doutes et difficultés de détermination de son lieu d’origine, c’est encore plus fort ! Proche-Orient, Moyen-Orient, steppes de l’Asie centrale, vallées fluviales russes et sibériennes, Tartarie, etc., l’on n’a pas lésiné sur les origines qui, on le voit, sont diverses et variées. Or, comme l’estragon existe à l’état sauvage à l’ouest de l’Amérique septentrionale (Alaska), dans un territoire qui fait immédiatement face à la Sibérie, je crois que nous tenons là le berceau originel de l’estragon. La méprise, pour certains auteurs, provient de ce que l’estragon, sous nos latitudes, possède un goût plus alliciant que son homologue russe. De là, on en a déduit qu’il n’y avait qu’un climat oriental qui pouvait conférer à l’estragon sa sublime saveur. Nous pouvons en conclure que si le passeport de l’estragon est pour le moins vague, son certificat de naissance l’est tout autant.
Après cet embrouillamini digne d’une pelote de fil emmêlé par un chaton facétieux, l’on peut revivre, enfin, à l’aide de cette période bien nommée qu’est la Renaissance. Tout d’abord, on signale la plante dans différents ouvrages illustrés, ce qui en facilite l’identification. Rembert Dodoens lui donne le nom d’herbe-dragon, Matthiole de targon, et précisent tous les deux qu’elle ne joue encore qu’un strict rôle de condiment. Bien avant eux, le botaniste et médecin français Jean Ruel (1474-1537), outre qu’il en donne une remarquable description dans le De natura stirpium, indiquait que « c’est une des salades les plus agréables qui n’a besoin ni de sel ni de vinaigre, car elle possède le goût de ces deux condiments ». Durant l’ensemble du XVI ème siècle, on ne considère l’estragon que comme un excitant des papilles gustatives, rien de plus. Tout change au XVII ème siècle : en plus d’être entré dans les grimoires culinaires, il pénètre dans l’antre de l’apothicaire et du maître-mire. A l’abord de ce nouveau siècle, l’on fait de lui les mêmes usages qu’on réservait aux autres Artemisia. Ainsi en parle Nicolas Lémery (1645-1715) : cette plante « excite l’urine et les mois aux femmes, elle chasse les verts, elle provoque l’appétit, elle résiste aux venins, elle est bonne pour le scorbut, elle fait cracher étant mâchée ». A cela, ajoutons des vertus stomachique, anti-arthritique et antihydropique, et l’on aura fait le tour de la question. Mais, selon la spécialité des uns et des autres, l’on n’en parle pas dans les mêmes termes. Le jardinier et agronome, créateur du potager royal de Versailles, Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688), en vante la culture et l’usage essentiellement culinaire, estimant que c’est là une des plus précieuses fournitures parfumées que l’on peut mettre à disposition des cuisiniers et du palais des convives. Valmont de Bomare (1731-1807), naturaliste, s’attache, lui aussi à le décrire sous le spectre gastronomique dans sa fameuse encyclopédie en six volumes. Il écrit que c’est une herbe qui relève le goût des salades, lève l’inertie et la fadeur d’une laitue (qu’est-ce qu’il dirait d’une feuille de chêne, bouffissure vert glauque avachie et dénuée d’exosquelette !). Jean-Baptiste Chomel (1709-1765) eut beau tirer à lui, de nouveau, la couverture en direction de la médecine (il préconisait l’estragon surtout pour un ensemble de désordres gastro-intestinaux : faiblesse stomacale, indigestion, nausée), l’estragon tombe de plus en plus dans l’écumoire du cuisinier, jusqu’à ce que Roques ne scelle son sort, si je puis dire : « L’estragon est une plante aromatique que la médecine a cédé à l’art culinaire, et elle a bien fait, car elle est assez riche en végétaux stimulants » (2). Comme si la médecine devait s’imposer un « numerus clausus » au niveau des plantes qu’elle emploie !
L’estragon n’est donc pas une plante aromatique typiquement médiévale comme peuvent l’être la sauge et l’hysope par exemple. S’il apparaît au Moyen-Âge, c’est avant tout sous la férule des médecins arabes dont Avicenne qui indiquait dans Le Canon de la médecine ses bons effets pour chasser l’air du ventre et celui de la pestilence (cette vertu antiseptique de l’atmosphère en temps de peste sera reprise par Matthias de l’Obel bien plus tard) ; d’autres conseillent le tarkhoum comme emménagogue, tonifiant du cœur et de l’estomac.
Il n’est donc pas concevable d’imaginer une cuisine médiévale qui fasse appel à l’estragon, du moins en la France de l’époque. Qu’est-ce que cela aurait été si tel avait été le cas, les fragrances de l’herbe-dragon se mêlant aux effluves du gingembre et du clou de girofle…

Contrairement au basilic qui n’est pas pérenne au-delà d’une année, l’estragon est une plante vivace dont les tiges cylindriques et glabres peuvent atteindre un bon mètre de hauteur quand les conditions s’y prêtent. Très ramifié, il porte des feuilles étroites et lancéolées, alternes et entières, qui propagent leur parfum lorsqu’on les froisse doucement entre le pouce et l’index (sans jamais trop insister, la feuille molle et tendre de l’estragon ne supportant pas une trop grande pression). En effet, des glandes aromatiques criblent le revers de ses feuilles. Quant aux fleurs, presque anonymes, elle s’organisent en grappes axillaires de capitules floraux plus ou moins jaunâtres, petits pompons rabougris parfois verdâtres qui donnent l’impression de minuscules capitules de camomille qu’un ogre géant aurait dépourvu de ses ligules blanches à l’issue d’une quinte d’éternuement carabinée. Cet effort de floraison n’est pas suivi de l’effet qu’on en attend : des graines assurant la reproduction de la plante. C’est pourquoi, tout comme la marjolaine, l’estragon n’existe en France que dans les jardins, à l’état cultivé ou semi-naturalisé sans jamais quitter de trop loin le giron du jardinier. Il est donc impossible de rencontrer l’estragon dans la pleine nature, en France. Artificiellement, on peut procéder à sa multiplication par marcottage ou par division de touffe, et si l’on ne s’en mêle pas, la plante assure sa propre propagation par voie racinaire, comme la menthe poivrée.

L’estragon en phyto-aromathérapie

Comme nous l’avons vu, après que l’estragon n’ait été cantonné qu’à la cuisine, il a pu jeter une œillade du côté de l’armoire à pharmacie, quoique relativement tardivement pour ne prendre que le cas de l’Europe occidentale. A ce retard s’ajoutent les maigres connaissances dont on dispose à propos des constituants biochimiques de l’estragon. A ne regarder une plante que comme le parfait compagnon du cornichon au vinaigre, on en oublie ses autres facettes. Ce dédain des praticiens à l’endroit de l’estragon peut expliquer que cette plante ait donné lieu à peu d’études. Tout au plus puis-je vous dire qu’elle recèle du tanin, des principes amers et des flavonoïdes, sans oublier – et c’est ce qui nous sauve un peu – une petite fraction d’essence aromatique que l’on extrait grâce à l’hydrodistillation. De goût piquant et térébenthiné, d’odeur herbeuse et poivrée, l’huile essentielle d’estragon dégage aussi une touche anisée, sans ostentation, qui rappelle le basilic, à la composition chimique très proche.
Liquide et mobile, cette huile essentielle est généralement de couleur jaune clair à jaune verdâtre pâle. Les sommités fleuries distillées offrent un rendement très variable (0,25 à 3 %). Voici quelques données chiffrées moyennes :

  • Phénols méthyle-éthers : 75 % dont méthyle-chavicol ou estragole (74 %)
  • Monoterpènes : 23 % dont cis-β-ocimène (9 %), trans-β-ocimène (7 %), limonène (4 %)
  • Sesquiterpènes : trans-α-bergamotène
  • Coumarines : esculine

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif, digestif, stomachique, carminatif, antifermentaire, stimulant des fonctions biliaires, vermifuge léger
  • Anti-infectieux (antibactérien, antifongique), antiseptique interne et atmosphérique
  • Antispasmodique neuromusculaire puissant, parasympatholytique, régulateur du système neurovégétatif
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Stimulant général, positivant, tonique physique et psychique
  • Relaxant et anxiolytique à faible dose, sédatif léger, inducteur du sommeil
  • Diurétique
  • Emménagogue
  • Anti-allergique, antihistaminique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion lente et/ou difficile, paresse stomacale, dyspepsie, anorexie, fermentation intestinale, flatulence, aérophagie, gastrite, colite inflammatoire et/ou spasmodique, spasmes intestinaux, gastro-entérite, infection intestinale, gastralgie, constipation, diarrhée, mauvaise haleine, parasites intestinaux
  • Troubles gynécologiques : douleurs prémenstruelles, règles douloureuses, irrégulières ou tardives, dysménorrhée, autres pathologies gynécologiques spastiques
  • Troubles de la sphère pulmonaire : toux spasmodique, rhinite allergique, asthme allergique, ronflements
  • Troubles locomoteurs : crampe, contracture, spasmes musculaires, névrite (sciatique), algie rhumatismale
  • Troubles du système nerveux : insomnie, sommeil difficile, stress, nervosité
  • Mal des transports (y compris avec nausée et vomissement)
  • Tous autres spasmes relatifs à des pathologies hépatobiliaires, rénales ou cardiovasculaires, spasmophilie, tic nerveux, hoquet (4)
  • Dystonie neurovégétative
  • Asthénie, fatigue physique
  • Syndrome de Raynaud
  • Douleurs dentaires

L’estragon en médecine traditionnelle chinoise

Offrons-nous ce regard qui nous permettra d’aller plus loin encore. La médecine traditionnelle chinoise nous enseigne que l’estragon disperse l’énergie dans le méridien du Poumon, et nous avons pu constater que quelques affections sont justiciables de cet emploi. Mais il porte essentiellement son action sur le méridien de l’Estomac qui est impliqué non seulement sur la question stomacale (difficultés digestives, acidité gastrique, reflux gastrique, ulcère et douleur, perte d’appétit, régurgitation, éructation, etc.), mais également sur le bon fonctionnement des glandes génitales masculines comme féminines (lactation, menstruation).
L’estragon permet, par son action sur le méridien de l’Estomac, de mettre en relief notre capacité à avaler et à traiter ce que nous avalons, au sens propre comme au sens figuré, physiquement comme psychiquement. Quand l’examen de l’étudiant approche à grands pas, qu’il existe encore une immense masse de données à ingurgiter, l’huile essentielle d’estragon est de bon secours, comme dans tout autre important projet à boucler coûte que coûte. Cela implique la gestion du temps, mais aussi celle du matériel, afin de se donner les moyens justes et nécessaires pour mener à bien telle ou telle tâche. Ce qu’en disait Serge Hernicot est parfaitement éloquent : cette huile essentielle apporte un « sentiment de joie et de calme ainsi qu’une sensation de l’espace à l’intérieur du corps, d’une clarté à l’intérieur. Est ‘joyeux comme un enfant qui joue et qui gambade’ » (5).

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches.
  • Macération vineuse (vin blanc) de feuilles fraîches.
  • Liqueur.
  • Dans l’alimentation quotidienne.
  • Huile essentielle : par voie orale, par voie cutanée diluée, en dispersion atmosphérique, inhalation, et olfaction, en bain.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule entre mai et juillet, et peut même s’étaler jusqu’en septembre. Le séchage n’est pas recommandé, la plante perdant non seulement une grande partie de son arôme, mais également de ses propriétés, et n’a rien à envier à cette autre plante, le basilic, affecté de la même mésaventure.
  • Toxicité : elle est considérée comme modérée. En tous les cas, l’huile essentielle d’estragon s’emploiera sur un bref laps de temps (en cure, pas plus de quatre semaines consécutives), et sera interdite durant la grossesse, chez les personnes atteintes de cancers hormono-dépendants (cancer du sein, de l’utérus), enfin chez l’enfant. De plus, cette huile essentielle étant dermocaustique, elle devra être diluée dans une huile végétale avant toute application cutanée. Enfin, notez qu’elle contient des coumarines, elle est donc photosensibilisante.
  • Alimentation : l’estragon fait partie des « fines herbes » aux côtés du persil, de la ciboulette et du cerfeuil. On le range parfois parmi les herbes de Provence (sarriette, romarin, thym, origan, marjolaine), mais c’est, à mon avis, une erreur. Même en cuisine, il est préférable de l’employer de première fraîcheur, la dessiccation ayant, là encore, la fâcheuse tendance à altérer ses arômes. La saveur légèrement amère, poivrée et anisée des feuilles d’estragon permet de relever la fadeur de certains aliments tels que salade verte, crudités (concombre), la plupart des viandes blanches (agneau, chevreau, dindonneau, poulet ; qui ne connaît le poulet à l’estragon ?), certains poissons. Elles participent à la composition de mélanges condimentaires (moutarde et vinaigre à l’estragon, sauces gribiche, rémoulade, vénitienne, béarnaise, ravigote, verte), instille de la passion aux câpres et aux cornichons, parfume agréablement une omelette au lard, augmente la suavité de la bisque de homard, ennoblit les tomates farcies, corrige l’indigence fruste des haricots secs et des fèves.
    Enfin, l’estragon est particulièrement recommandé aux personnes qui suivent un régime sans sel, puisque, rappelez-vous en, il est censé remplacer sel, poivre et même vinaigre.
  • L’industrie de la liquoristerie et même celle de la parfumerie trouvent en l’huile essentielle d’estragon une alliée aromatique de choix.
    _______________
    1. Henri Leclerc, Les épices, p. 131.
    2. « Qu’on ait vu en lui dans l’Antiquité un dompte-venin, n’a rien de très surprenant, puisque d’autres Artemisia passaient pour chasser les serpents des maisons. Et, après tout, y avait-il si loin, pour la ‘pensée sauvage’ qui se fie à l’apparence des êtres plus qu’à leur anatomie, du ver au serpent ; et l’on pourrait ajouter du serpent à l’organe fécondateur masculin, objet de l’horreur d’Artémis ? » (Jacques Brosse, Les plantes magiques, p. 220).
    3. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 371.
    4. Sur la question du hoquet, voici un témoignage pertinent de Jean Valnet, extrait du tome qu’il a consacré à l’aromathérapie (p. 236) : « Je soignais une enfant de trois ans sujette à des crises épileptiformes. Lorsqu’un hoquet se manifestait, la petite malade en était affectée pendant plusieurs heures et, pendant une journée, restait sans vie véritable. Le hasard voulut qu’elle débute une crise de hoquet devant moi : deux gouttes (pas plus car l’essence d’estragon est d’une rare puissance) sur un morceau de sucre et la crise fut stoppée en quelques secondes ».
    5. Serge Hernicot, Les huiles essentielles énergétiques, pp. 49-50.

© Books of Dante – 2020

La cardamome (Elettaria cardamomum)

Imitant ses cousins curcuma et gingembre, la cardamome érige, à partir d’un épais rhizome noueux et charnu, de fortes tiges dressées dont la densité est telle qu’elles forment ces classiques touffes coloniaires. Cette profusion végétale est accentuée par de très nombreuses feuilles linéaires de 30 à 75 cm de longueur sur 5 de large. Duveteuses sur leur face supérieure, elles sont marquées d’une nervure centrale qui forme gouttière. Seules les tiges stériles de la plante porte des feuilles, jouant le strict rôle d’usine à photosynthèse, stockant une partie de l’énergie capturée dans les rhizomes. Toutes différentes, les tiges qui portent les fleurs ne comptent aucune feuille. Elles forment des panicules floraux de 30 à 50 cm qui déploient, de mai à juillet, de somptueuses fleurs blanches striées de violet ou de rouge mauve, qui donnent naissance à des grappes lâches de fruits verts, capsules aromatiques contenant des graines à la saveur poivrée si prononcée qu’elle fit dire à Dioscoride qu’il suffisait « qu’une femme enceinte la respirât pour tuer l’enfant qu’elle portait » (ce qui, bien qu’apparaissant très exagéré, expliquerait peut-être son surnom de graines des anges).
Cette grande plante herbeuse de près de trois mètres de hauteur, provient du sous-continent indien, où on la croise naturellement sur les sols ombragés, riches, humides mais bien drainés des forêts tropicales qu’elle peuple le long de la côte de Malabar, au Sud-Ouest de l’Inde, et plus au sud, dans les biens nommés Cardamom Hills. Aujourd’hui, elle est cultivée dans plusieurs endroits du monde qui lui offrent le même biotope que son aire d’origine : l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Vietnam), l’Amérique centrale (Honduras, Guatemala), l’Afrique (Madagascar, Tanzanie).
De son point de départ indien à tous ces points d’arrivée, elle a dû affronter bien des périples, rencontrer bien des peuples. C’est ce que nous allons maintenant étudier.

Effectivement, avant d’aller gambader de par le vaste monde, la cardamome officiait déjà chez elle en tant que plante thérapeutique fort appréciée de la médecine ayurvédique qui fait appel à ses bons services depuis au moins 3000 ans, la mettant à profit à travers des troubles aussi variés que l’asthme ou les difficultés digestives, afin de corriger les faiblesses de Vata, etc. C’est ainsi qu’elle apparaît très clairement dans les écrits du chirurgien indien Sushruta, dont les textes établirent les fondements même de la médecine ayurvédique. Puis, la jeune Elaichi – ainsi l’appelle-t-on en Inde – alla faire ses classes en Chine où elle fut largement récompensée, les Chinois n’en ayant pas fait moins qu’une panacée !
Mais encore ? Eh bien, voyez-vous, la cardamome n’a pas opté pour la seule direction de l’est, puisque de très anciennes traces attestent de sa présence à l’ouest de son fief natal bien avant notre ère, son introduction en Asie occidentale par exemple, comptant vraisemblablement plusieurs siècles. Les Égyptiens qui vivaient sous le règne d’Assourbanipal (VII ème siècle avant J.-C.) la connaissaient déjà, et on la croise encore dans un papyrus égyptien vieux de 25 siècles. Très tôt, elle sut trouver dans cette riche civilisation de quoi faire montre de ses talents : bien qu’elle n’y fut guère employée comme remède, elle trouva un emploi comme matière à embaumement, encens et parfum. Ce sont essentiellement ces deux derniers usages que l’on rencontre en Égypte antique, car il est dit que la reine Cléopâtre en parfumait ses appartements. Surtout, cette célèbre recette d’encens composé, le kyphi ou kuphi, lisible dans le Papyrus magique de Paris, fut également donnée par Plutarque qui s’intéressa à la question : il souligna les vertus délassantes de ce mélange que l’on brûlait préférablement le soir puisqu’il permettait « une complexion somnifère qui relâche et dénoue, sans le secours de l’ivresse, la pénible tension des soucis de la journée ». Il est donc tout naturel de remarquer que la cardamome a été conviée à se rendre chez les Grecs et les Romains, toujours friands d’exotiques nouveautés et insatisfaits de ce que, généralement, leurs plantes indigènes leur fournissaient en terme de matières à parfum et à épice. Selon d’antiques sources, Théophraste en premier lieu, la cardamome proviendrait du territoire des Mèdes (un ancien peuple iranien) ou de plus loin encore, c’est-à-dire d’Inde. Beaucoup plus tardivement (au même siècle que Plutarque en fait), Dioscoride fit référence à des importations de cardamome émanant d’Arménie, de Commagène et de la région du Bosphore, une des étapes de la caravane, mais non la plus lointaine. Parait-il qu’elle parvenait jusqu’à Rome par chargements entiers. Grecs et Romains utilisaient la cardamome pour ses propriétés digestives et pour sa vertu consistant à purifier l’haleine en en croquant les graines après les repas. Ils imitèrent également les Égyptiens, et firent également de la cardamome un ingrédient entrant dans la composition d’encens et de parfums, comme à travers cette huile de cardamome par exemple, relatée par Pline ou encore la recette du Metopion « composé d’huile d’amandes amères exprimée en Égypte, à laquelle on incorpore de l’omphacion [nda : huile d’olives immatures ou suc de raisins verts, c’est selon], du cardamome, du jonc odorant, du roseau aromatique, du miel, du vin, de la myrrhe, des graines de baumier, du galbanum, de la térébenthine ». En revanche, ce qui est plus que certain, c’est que la recette donnée ci-dessus par Pline devait sentir drôlement… euh. Comment dire ? Mieux valait, plus prosaïquement, user des seules capsules de cardamome comme offrandes ^.^

Bien plus tard, par le biais d’un commerce intercontinental mis en place au XIV ème siècle, la cardamome participa aux dernières heures de l’époque médiévale, mais bien avant cela, apportée par les marchands arabes par voie méditerranéenne, on la vit être étudiée par Avicenne, vers l’an 1000, qui lui reconnaissait des vertus souveraines contre un certain nombre de maux et d’affections, dont les maux de gorge, la toux, etc., tandis que l’école de Salerne, en la personne de Platearius, lui assignait une vertu stomachique. Elle était aussi recommandée « contre syncope et cardiaque passion de froide cause et pour réconforter la débilité de l’estomac, c’est-à-dire l’indigestion ». Puis elle entra de plain-pied dans ce soi-disant âge d’or qu’est la Renaissance et trouva en Thibault Lespleigney (1496-1550) l’un de ses nombreux panégyristes : « Ce petit fruit de grande puissance fait uriner et casser la pierre ». Remédiant aux douleurs rénales ainsi qu’aux vers intestinaux, l’apothicaire tourangeau la destinait aussi à ce que l’on appelait autrefois la rogne, c’est-à-dire la teigne. C’est vrai que la cardamome est bien vermifuge, mais on semble faire bien peu de cas de son emploi comme topique cutané en général, que ce soit pour une gale invétérée ou bien je ne sais quelle autre dermatose. J’imagine qu’en terme d’affections cutanées, les praticiens d’il y a cinq siècles durent en voir des vertes et des pas mûres. Je me souviens bien que, étant enfant, je n’ouvrais jamais le Larousse médical illustré de mon grand-père sans quelque appréhension, m’effrayant à la vue de photos qui n’étaient pas de très belle qualité, qui plus est en noir et blanc, mais bien suffisantes pour me faire découvrir toutes ces étranges maladies ravageant le tissu cutané. Alors, dans des temps encore plus anciens, il est bien possible qu’on ait pris une affection cutanée pour une autre.
Quelles autres surprises nous réserve-t-elle encore ? L’on voit, par exemple, dans le Petit Albert, une recette d’hypocras qui nous fait remonter bien en arrière dans le temps, ainsi que celle d’un « baume excellent pour se garantir de la peste » ou encore la manière de faire de cette eau d’Arménie « qui a de si merveilleuses propriétés contre les infirmités du cœur, de la tête et de l’estomac » (1). S’agit-il de la même chose que ce que l’on appelle encore aujourd’hui eau d’Arménie, spray anti-infectieux, composé d’huiles essentielles de poivre et de cannelle, d’essence de citron, d’extraits de styrax et de vanille, enfin d’argent colloïdal en 35 ppm ? Le seul hic, c’est que dans cette eau-là, je n’y vois pas de cardamome. Hormis la cannelle, il n’y a rien d’autre de commun à ces deux recettes. En attendant, l’eau d’Arménie actuelle – que l’on ne parvient quasiment pas à trouver dans le commerce, ce qui est bien ballot (mais comme j’ai tous les ingrédients à la maison, je la ferai moi-même, na !) – est un antiseptique à large spectre dont la dispersion atmosphérique neutralise et détruit les mauvaises odeurs, domaine dans lequel la cardamome s’y entend bien, et ses destinations d’usages n’ont aucun rapport avec les préconisations apportées par le Petit Albert. Ainsi donc, nous n’extrapolerons pas davantage et poursuivrons tranquillement notre route.

Que nous reste-t-il à dire ? Un état des lieux établissant en quelques lignes le portrait thérapeutique de la cardamome, tel qu’on la considérait au XVIII ème siècle. Ainsi, Cartheuser nous apprend que « ses avantages sont bien connus dans les vomissements de pituite, la faiblesse du ventricule, les affections flatulentes, les vertiges d’estomac, la lipothymie, les palpitations », ainsi qu’en cas de refroidissement comme le conseillait le médecin-botaniste suédois Johan Andreas Murray (1740-1791), proposant une recette d’œufs et de cardamome mêlés à du vin chaud, le gluhender wein. C’est vrai que lorsqu’on est Suédois, l’on aime forcément la cardamome !

Comme beaucoup d’épices, elle est considérée dans les traditions populaires comme un aphrodisiaque, ce qui faisait dire « qu’un vin chaud aromatisé à la cardamome réveillerait un mort, lequel irait tout droit voir les filles… » De façon plus prosaïque et terre-à-terre, il n’en demeure pas moins que les graines de cardamome réduites en poudre et bouillies avec du lait et du miel constituent un excellent remède à l’impuissance et à l’éjaculation précoce (attention, car en trop grande quantité ce mélange produit l’effet inverse !). Comme dans tout, il n’est question que de dosage. On pensait même qu’il suffisait de priser les graines pulvérisées en pensant à la personne aimée pour susciter son amour. Quoi qu’il en soit, la cardamome n’en demeure pas moins un symbole d’hospitalité. Et c’est déjà un bon début. On n’imaginerait pas ouvrir son cœur avant d’avoir ouvert sa porte. Quand bien même Lémery dira en 1733 que la cardamome peut « aider à la digestion, résister à la malignité des humeurs et exciter la semence », il est fort possible qu’il y ait erreur sur la personne. En effet, des auteurs généralement peu soucieux de donner des définitions précises, auraient pu faire la confusion entre la cardamome asiatique et la maniguette africaine (Aframomum melegueta), parfois autrement désignée sous le vocable évocateur de graine de paradis. Cela étant dit, il est bon de noter que maniguette et cardamome sont deux plantes bien distinctes, d’autant qu’il est aisé de comparer des capsules de cardamome verte avec des gousses de maniguette. Peut-être, alors, faut-il faire une relation, non pas avec la cardamome verte mais avec… la noire qui est (injustement ?) appelée, elle aussi, maniguette ou… graine de paradis, ce qui ne laisserait pas de doute sur l’usage que l’on peut faire de cette dernière, quand bien même la littérature aromathérapeutique n’assigne en aucun cas à la cardamome (qu’elle soit verte ou noire) le rôle d’aphrodisiaque.

La cardamome en aromathérapie

La cardamome appartient si peu à notre sphère culturelle, qu’on serait bien en peine d’en deviner l’allure botanique. C’est pourquoi, lorsqu’on apprend que, traditionnellement, on use de son rhizome en Asie, l’on peut légitimement tiquer quant à son identification, qui nous serait plus facile si l’on parlait gingembre ou curcuma, dont, tout au contraire, l’on ignore s’ils forment des capsules comme la cardamome et, si oui, à quoi elles peuvent bien ressembler. Alors que la partie désirée chez ces deux représentants des Zingibéracées se niche dans le sol, la cardamome met à disposition son fruit qui nous est connu par l’image que nous en avons : une sorte de courte gousse (2 cm de long au maximum), au péricarpe coriace, mince et parcheminé qui, si on la presse s’ouvre sur son intérieur, composé de trois loges où s’empilent de petites graines brun rougeâtre. De couleur vert jaune pâle, il s’agit de celle qu’on appelle communément cardamome verte, qui constitue la qualité supérieure, récoltée à la main par temps secs, durant l’automne, et surtout avant sa complète maturité, puis séchée au soleil (la cueillir prématurément évite son ouverture, l’espèce étant déhiscente ; ainsi la distingue-t-on de la cardamome jaune, inférieure en qualité, mûrie sur pied puis exposée au soleil pour subir l’étape finale de la dessiccation). Malgré toutes ces précautions – qui garantissent une plus grande proportion d’essence aromatique dans les capsules – il arrive que, parfois, certaines gousses de cardamome verte cherchent à se déshabiller de leur enveloppe prête à craquer.
Une fois que ces gousses sont bien sèches, on les broie un peu ou bien on leur conserve leur forme originelle avant de leur faire passer l’épreuve du feu. La distillation se déroule à huis clos à l’aide de la vapeur d’eau qui offre un beau rendement de 2 à 8 %. Cette généreuse production prend l’allure d’un liquide limpide incolore ou bien jaune très pâle. L’odeur de cette huile essentielle est très agréable, légèrement épicée et poivrée, parfois citronnée (un soupçon seulement), fidèle reproduction liquide du parfum de la graine de cardamome. Certains lui trouvent un relent camphré bien marqué : je me demande bien où est-ce qu’ils peuvent dénicher du camphre dans cette huile essentielle, dont les données biochimiques suivantes vont permettre d’établir qu’il s’agit bel et bien là d’un mirage :

  • Esters : 43 % dont acétate de terpényle (37,7 %), acétate de linalyle (4,9 %)
  • Oxydes : dont 1.8 cinéole (33,5 %)
  • Monoterpènes : 11,7 % dont α-pinène (1,7 %), sabinène (4,25 %), β-myrcène (1,6 %), limonène (1,8 %)
  • Monoterpénols : 6,8 % dont linalol (3,2 %), α-terpinéol (1,75 %)
  • Sesquiterpénols : 0,8 % dont nérolidol (0,7 %)

Propriétés thérapeutiques

  • Augmente les secrétions gastriques, digestive, cholagogue, stomachique, facilite le transit intestinal, carminative, ulcéroprotectrice gastrique, vermifuge intestinale
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antivirale (?)
  • Anti-inflammatoire, analgésique, antalgique
  • Antispasmodique puissante
  • Expectorante, anticatarrhale, antiseptique respiratoire
  • Tonique et stimulante nerveuse et intellectuelle, calmante du système nerveux (?)
  • Promotrice de l’absorption cutanée
  • Stimulante de la contraction des muscles lisses

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : insuffisance digestive, digestion difficile, dyspepsie, indigestion, aérophagie, ballonnement, flatulence, diarrhée, colique, crampes d’estomac, spasmes intestinaux, colite spasmodique, ulcère gastrique, inhibition des lésions gastriques provoquées par l’alcool et l’aspirine, nausée, mauvaise haleine (la cardamome neutralise l’haleine empestée par l’ail), parasites intestinaux (ascarides, oxyures)
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, bronchite, bronchite catarrhale, encombrement bronchique, asthme, infection respiratoire, refroidissement (l’énergie réchauffante de la cardamome est particulièrement recommandée durant l’hiver)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : hypertension, cardialgie, crise de palpitations (avec extrasystole et angoisse précordiale), médication utile aux « malades présentant des troubles cardiaques liés à une névropathie dyspeptique » (2)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : incontinence urinaire, spasmes de l’appareil urinaire, calcul rénal, douleurs rénale
  • Soins bucco-dentaires, carie dentaire
  • Asthénie d’origine physique ou psychique
  • Plante recommandée aux diabétiques

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Si l’on associe parfois la cardamome au genre féminin et à la planète Vénus, il est sans doute hâtif de la qualifier d’aphrodisiaque. Elle a effectivement un rapport avec Aphrodite mais dans le sens où l’entend la médecine traditionnelle chinoise, à savoir que c’est une plante de l’énergie de base qui aide à s’émouvoir de nouveau lorsque l’on est trop éteint émotionnellement. Elle redonne de la spontanéité ainsi qu’un certain élan dans les émotions tout en accueillant les imprévus émotionnels.

L’on peut appliquer l’huile essentielle de cardamome verte le long des méridiens suivants : Conception (Yin), Vésicule biliaire (Yang, élément Bois) et Triple foyer (Yang, élément Feu). Quelques mots au sujet de ces trois méridiens :

  • Le méridien Conception a la charge de tout ce qui touche le Féminin au sens large : calme, sens de l’écoute, capacité à recevoir, à accepter, à être en paix, à faire la paix. Ainsi donc, il est lié à la Lune et à l’argent (le métal), puisqu’il incarne une symbolique lunaire, nocturne et maternelle. Les situations et vécus psycho-émotionnels que gère ce méridien sont les suivants : difficultés à vivre les sentiments et les émotions, difficulté et/ou souffrance dans le rapport au féminin (dans le cas d’un enfant ou d’un adulte en conflit avec la mère et/ou l’aspect maternel au sens large), difficultés à accepter le quotidien, ce qui, convenons-en, entretient un lien plus qu’étroit avec ce qui est dit de l’huile essentielle de cardamome en tête de paragraphe. Elle s’adresse donc tout particulièrement aux sujets sensibles, émotifs et/ou stressés.
  • Le méridien de la Vésicule biliaire participe à l’attitude générale du mental et des organes sur le plan moral, il a un lien avec le sens de la justice, du courage, de l’harmonie et de la pureté. Quand l’énergie du méridien de la Vésicule biliaire est équilibrée, l’individu fait face et à toujours l’énergie nécessaire et le courage pour résister. En revanche, dès lors que cette énergie est défaillante, l’individu aura le moral atteint, sera submergé par l’idée de la défaite, il créera un terrain favorable afin qu’elle se déploie rapidement dans tout son être. On remarque également chez ce type de personnes d’autres difficultés : difficulté à vivre les affects, manque de confiance, envie et jalousie, exigence, perfectionnisme, très grande sensibilité aux sentiments de justice et d’injustice, difficultés en ce qui concerne la problématique liée à la place sociale, familiale et professionnelle.
  • Le méridien du Triple foyer règle la chaleur interne à la manière d’un thermostat, en particulier la chaleur dans laquelle travaillent les viscères. Les situations et vécus psycho-émotionnels qui lui sont propres sont les suivants : difficultés à faire la part des choses dans sa vie (entre préoccupations matérielles d’une part, spirituelles d’autre part), trop d’attachement au passé et aux habitudes, manque de gaieté, une certaine frilosité ainsi que des capacités intellectuelles en berne, plus faibles qu’à l’habitude (en cas de carence énergétique), irritabilité, agressivité, agitation, excitation, hystérie en cas d’excès énergétique.

Enfin, une application d’huile essentielle de cardamome verte en friction au niveau de la ceinture abdominale (plexus solaire, chakra sacré) permet une stimulation plus subtile des chakras complémentaires que sont la couronne et le troisième œil (rappelons que les couleurs d’aura de l’huile essentielle de cardamome verte sont le violet et l’indigo, ce qui correspond bien aux deux chakras supérieurs que sont Sahasrara et Ajna).

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : diffusion atmosphérique, olfaction, inhalation, voie cutanée diluée, voie orale contrôlée.
  • Infusion de graines et de cosses broyées.
  • Macération vineuse de cosses concassées (vin rouge).
  • Teinture alcoolique.
  • Poudre dentifrice.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : aucune n’a été relatée à ce jour. Certains auteurs préconisent pourtant une prudence dans l’emploi de cette huile essentielle durant les trois premiers mois de grossesse.
  • Alimentation : dire seulement que l’huile essentielle participe à l’élaboration de suaves parfums et liqueurs (Chartreuse, Curaçao, etc.) ne peut absolument pas suffire à satisfaire la curiosité que l’on exprime légitimement à l’endroit de la cardamome dans son entièreté. En elle-même, elle porte la puissance gustative et suavéolente nécessaire pour satisfaire les nez les plus encombrés, les palais les plus blasés. En Inde, sa terre natale, la cardamome est l’un des nombreux ingrédients qui entrent dans la constitution du garam masala et du curry (je ne me vois pas ne pas faire participer la cardamome à un curry maison à chaque fois que j’en fait un), et à bien d’autres poudres d’épices dont la notoriété n’est pas parvenue jusqu’à nos oreilles occidentales, colombo entre autres, parmi les plus connues, mais il en existe beaucoup d’autres, chaque région ou seulement localité étant le reflet d’un usage particulier, ce qui explique qu’il existe non pas une mais des centaines de recettes de poudre de curry par exemple. Et cela est bien : chacune d’elle dit, à sa manière, l’identité d’un territoire. Nous autres Occidentaux connaissons aussi ce phénomène, bien entendu. Le temps et l’espace sont de bons vecteurs d’évolution et de transformation. Partout où le marchand, quel qu’il soit, a posé ses pas, la cardamome a pu imprimer sa marque olfactive et gustative à tous ces peuples rencontrés en chemin. Par exemple, elle est largement utilisée dans bien des pays d’Asie, comme épice condimentaire, et dans la cuisine du Moyen-Orient pour des raisons identiques. Là, ainsi qu’en Afrique (comme en Éthiopie), on la convie pour aromatiser le café (simple ou turc), de même qu’on procède en bien des régions indiennes, Cachemire entre autre, pour parfumer le thé. En Europe, elle demeure peu employée, sauf, de manière régulière, en Scandinavie, où elle est autorisée à parfumer les pains fantaisie, les pâtisseries et les sauces. En Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, dans le nord de la France, on la trouve dans la pâte de ces biscuits secs que sont les spéculoos, dans lesquels elle tient la vedette avec la cannelle (on y trouve aussi de la muscade, du clou de girofle et du poivre blanc). Par ailleurs, elle est employée de façon parcimonieuse dans l’élaboration de recettes qui nous renvoient loin dans le temps : l’hydromel, l’hypocras, le pain d’épices encore.
  • Il existe aussi une cardamome blanche, mais elle ne présente que peu d’intérêt. Si elle est blanche, c’est qu’il s’agit de cardamome verte ayant subit un traitement chimique au dioxyde de soufre. Autant dire qu’elle est loin d’être indispensable.
  • Autres espèces :
    – la cardamome en grappe (Amomum compactum),
    – la cardamome brune (Amomum subulutum),
    – la cardamome blanche (Amomum kravanh),
    – la grande cardamome noire (Elettaria cardamomum var. maxima),
    – la cardamome médicinale (Amomum villosum),
    – la cardamome globuleuse (Amomum globosum),
    – la cardamome éthiopienne (Amomum corrorima).
  • Faux-ami : en Inde, l’on croise l’upakun’c’ikâ, à qui l’on a donné le surnom de grande cardamome. Cette appellation, que l’on doit aux anciens droguistes, est trompeuse, de même que cet autre nom – graine de paradis – dont on affuble la plante. La grande cardamome n’est pas autre chose que la maniguette, autre plante de la famille des Zingibéracées. Cette confusion est d’autant plus étonnante que la maniguette n’appartient pas au sous-continent indien, étant d’origine africaine.
    _______________
    1. Petit Albert, p. 285.
    2. Henri Leclerc, Les épices, p. 57.

© Books of Dante – 2020