Le houblon, la « vigne » du Nord

Houblon_strobiles

Si le houblon n’a pas été abordé médicinalement parlant par les Anciens, tout du moins connaissaient-ils son existence. Par exemple, Pline mentionne un houblon usité comme légume. En réalité, le premier haut fait attribué au houblon – et pas des moindres – ne concerne pas la médecine. Il fut d’usage, dès le IX ème siècle, en Allemagne, d’utiliser du houblon dans la fabrication de la bière. En effet, l’adjonction de houblon lors du processus de fabrication stabilise la mousse, assure une meilleure conservation et donne une légère amertume à la bière. Il a été dit que le houblon sera cultivé régulièrement dans les jardins des monastères afin de calmer les ardeurs des moines. Or, en aucun cas on ne mentionne alors les propriétés sédatives du houblon. Il est plus que probable que cela ait été le fruit d’une observation empirique, sachant que bien des abbayes abritaient des activités brassicoles.
Au même siècle, on voit apparaître les premières indications thérapeutiques relatives au houblon sous la plume de Mésué, un médecin arabe. Il indique que le houblon purge et clarifie le sang. Quelques siècles plus tard, Hildegarde de Bingen évoque brièvement le cas du houblon, et pas dans les meilleurs termes qui soient. Contrairement à ce qu’on lit chez Fournier (Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 508) et chez Faucon (Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 520), Hildegarde est très loin de vanter les usages du houblon pour guérir la mélancolie. En effet, ces deux auteurs se méprennent sur ce qu’a écrit Hildegarde au sujet de cette plante : elle « augmente la mélancolie, donne à l’homme une humeur sombre et alourdit ses entrailles » (1). On ne saurait être plus clair !

A l’époque de Matthiole, le houblon débute véritablement sa carrière thérapeutique. Le médecin florentin dit du houblon qu’il « évacue la colère, et repurge le sang de toutes ses humeurs bilieuses et colériques, amortissant et éteignant toutes les ardeurs et inflammations ». Le XVI ème siècle voit encore la résistance anglaise face au houblon, dont on dit qu’il est nuisible. De fait, il est interdit dans l’industrie brassicole britannique, alors que, pendant ce temps, il est cultivé en grand en Allemagne, en Pologne, ainsi que dans l’ensemble des pays d’Europe septentrionale, comme l’attestent les différents noms qu’il aura laissé çà et là (humel en ancien germanique, hommel en néerlandais, etc.). En 1554, Matthiole, au contraire des Anglais, affirme que, déjà, il aurait été impensable de se passer de houblon lors de la confection de la bière. Bien mieux, il pose les premières bases thérapeutiques le concernant : apéritif, dépuratif, laxatif, détersif, vermifuge, emménagogue, soit autant de propriétés depuis longtemps avérées. Il en va de même pour Dodoens, Lonitzer, Tabernaemontanus et, plus tard, Bauhin et Lémery, lequel dernier réaffirme les propriétés dépuratives du houblon, son rôle dans les maladies du foie et de la rate, enfin ses propriétés diurétiques.
Au XVIII ème siècle, Lieutaud conforte les jugements de ses prédécesseurs. Pour lui, le houblon demeure un bon médicament hépatique, apéritif, diurétique et dépuratif. Il le dit même propre à lutter contre le scorbut. Il l’administre autant en externe (démangeaisons, dartres, autres maladies cutanées) qu’en interne, et cela pour des cas d’hystérie et d’hypocondrie, deux affections qui scelleront en partie le destin thérapeutique du houblon. Il faudra attendre le début du XIX ème siècle pour qu’on se penche scientifiquement sur les principes actifs du houblon.

Le houblon est une plante herbacée, volubile et grimpante. Sa tige de section quadrangulaire et couverte de poils peut atteindre une longueur de six à douze mètres, ce qui en fait l’une des rares lianes européennes avec le lierre et la clématite. Elle a la particularité de s’enrouler dans le sens des aiguilles d’une montre autour de son support. Ses grandes feuilles semblables à des feuilles de vigne possèdent trois à cinq lobes. Elles sont grossièrement dentées, à l’aspect rude et glanduleux.
Le houblon est une espèce dioïque, c’est-à-dire que les fleurs mâles et femelles se trouvent sur des pieds différents. Les fleurs femelles – les strobiles –, en forme de cônes, sont pendantes à maturité, vert pâle, aux écailles munies de glandes jaune d’or et à la texture rappelant celle du papier. Les fleurs mâles se présentent sous forme de grappes verdâtres, insérées à l’aisselle des feuilles. La floraison a lieu en été, s’étale parfois jusqu’au mois de septembre.
Cultivé, le houblon sait aussi être subspontané. On le trouve dans toutes l’Europe, sauf dans les régions trop froides, en plaine comme en basse montagne, jusqu’à 1500 m d’altitude. En France, on rencontre le houblon au nord et à l’est surtout. C’est une plante qui se plaît particulièrement dans les haies, les broussailles, les taillis et en bordure d’eau douce.

Le houblon en thérapie

La phytothérapie a porté principalement son attention sur les cônes femelles du houblon, ces fameux strobiles. C’est effectivement eux la matière médicale qu’offre le houblon. Tel l’arbre qui cache la forêt, le strobile n’aurait pas autant d’importance si l’on dédaignait la poussière d’or que ses bractées dissimulent : le lupulin, que l’on surnomme parfois « farine » de houblon, obtenu par tamisage des cônes, est une substance résineuse formée de tannins, de flavonoïdes, de principes amers (humulon, lupulon) et d’une huile essentielle à forte proportion de sesquiterpènes. De manière plus anecdotique, on aura parfois employé les feuilles et les tiges ainsi que les racines.

lupulinCi-dessus, le lupulin formé de petites cellules en forme de champignon.

Propriétés thérapeutiques

  • Oestrogen like, anti-androgène, sédatif génital, galactogène
  • Harmonisant équilibrant, tranquillisant et sédatif du système nerveux, hypnotique, narcotique léger

L’action sédative varie selon les doses administrées : faibles = calmant ; moyennes = hypnotique ; fortes = paralysant. Nous aborderons plus loin l’essentiel des risques que constitue un abus de houblon.

  • Apéritif, digestif, cholérétique, stomachique
  • Dépuratif et régénérateur sanguin
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Antispasmodique, décontractant musculaire
  • Diurétique
  • Fébrifuge
  • Vermifuge
  • Résolutif

Usages thérapeutiques

  • Troubles du système nerveux : états anxieux, nervosité, angoisse (le houblon a été utilisé contre l’angoisse de guerre entre 1914 et 1918), insomnie légère à moyenne d’origine nerveuse (le houblon offre une action analogue à celle de la passiflore)
  • Troubles génitaux masculins : priapisme douloureux (cf. blennorragie), onanisme, spermatorrhée, éréthisme génital, éjaculation précoce
  • Troubles génitaux féminins : ménopause (bouffées de chaleur, sudation excessive), règles douloureuses, insuffisance lactée, leucorrhée
  • Troubles cardiaques : arythmie, tachycardie
  • Troubles cutanés : peau irritée et/ou sensible, dartre, herpès, eczéma, tumeurs froides, ulcères gangreneux, ulcères cancéreux
  • Troubles gastro-intestinaux : gastrite nerveuse, inappétence, parasitose
  • Troubles locomoteurs : douleurs rhumatismales et arthritiques, goutte, lombalgie, sciatique, autres névralgies
  • Convalescence, anémie, fatigue, personnes âgées
  • Fièvre
  • Énurésie, lithiase urinaire
  • Migraine
  • Adénite

Modes d’emploi

  • Infusion de cônes (avec courage eu égard à son amertume)
  • Décoction de feuilles
  • Cataplasme de feuilles et de cônes
  • Cônes chauffés et placés dans un sachet en application locale
  • Huile essentielle
  • Teinture mère

Note 1 : l’huile essentielle de houblon est rare et chère (compter 35€ les 5 ml, et encore non bio). On en distingue deux en réalité : l’une issue de la distillation du cône dans son intégralité avec un très faible rendement (0,13 %) et l’autre uniquement issue du lupulin, cette poudre jaune que produit le cône femelle. Le rendement est ici un peu plus élevé, de l’ordre de 1 à 3 %, mais la matière première à distiller est si peu conséquente, que cela a une forte incidence sur le prix de cette seconde huile essentielle, même si un seul pied femelle peut produire chaque année 5000 à 7000 fleurs.

Note 2 : afin de pouvoir bénéficier du houblon en infusion, par exemple, il faut le cueillir si possible ou bien l’acheter dans le commerce. Or, cueillir du houblon, est-ce intéressant ? Les strobiles sont ramassés en août-septembre, seulement à partir du moment où les cônes présentent une odeur aromatique caractéristique et qu’ils acquièrent une couleur franchement jaune, rougeâtre ou brun doré selon les variétés. Il faut aussi veiller à vérifier qu’ils soient couverts d’une matière qui les rend un peu poisseux lorsqu’on les tient en main. Nécessairement récoltés par temps sec – il faut donc braver les pluies pré-automnales –, les cônes devront être exempts de rosée. Il faut ensuite rapidement les déposer à l’ombre, dans un local très ventilé pendant deux longs mois. Malgré les soins apportés lors de la dessiccation des cônes, certains d’entre eux peuvent s’altérer en raison de l’hygroscopicité qui fait que le houblon absorbe l’humidité de l’air ambiant.
Passés ces écueils, il faudra faire de ce houblon séché un usage rapide, car en moins d’un an cette récolte aura perdu 80 % de ses propriétés. C’est pour cela que l’on observe des effets thérapeutiques décroissants ou nuls : les valeurs pharmaceutiques diffèrent selon les variétés, mais surtout en raison de la déperdition des effets provoquée par la conservation.
Cueillir du houblon pour son propre usage personnel est donc quelque peu hasardeux. Aussi est-il préférable de se tourner vers la teinture mère, un produit standardisé, stable et donc relativement fiable (et qui sera toujours moins onéreux que l’huile essentielle).

Contre-indications et précautions

  • Par ses effets oestrogen like, le houblon est contre-indiqué en cas de mastose et de cancers hormono-dépendants.
  • Chez les employés des houblonnières, on a observé les effets d’une intoxication chronique au houblon. En effet, le contact régulier de l’organisme avec le houblon peut provoquer bien des perturbations. Parmi les moins graves, citons ophtalmies, blépharites et conjonctivites. Apparaissent aussi des troubles plus inquiétants : assoupissement, engourdissement, somnolence, céphalées. A très hautes doses : engourdissement général, nausées, vomissements, cardialgie, effet de « tête lourde », ralentissement circulatoire, baisse de la fréquence du pouls, trouble de la vue avec mydriase. A travers un usage thérapeutique correct, bien que l’effet hypnotique et narcotique soit léger, on prendra soin de n’utiliser le houblon qu’en fin de journée, tout en se méfiant de la pratique de la conduite automobile.

Usages alternatifs

  • Au printemps, on peut récolter les jeunes rejets de houblon qui se cuisinent comme les asperges. Les jeunes feuilles se consomment également ; on peut les additionner à une soupe.
  • Les feuilles de houblon contiennent une substance tinctoriale de couleur brune.
  • Autrefois, on employait les fibres des tiges pour fabriquer des cordages, des tissus grossiers, ainsi que du papier.
  • L’huile essentielle de houblon est employée par l’industrie de la parfumerie.

  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 47

© Books of Dante – 2015

Houblon_feuille

Les lianes européennes

Quand on dit « liane », on n’associe pas d’emblée le territoire européen à ce mot qui évoque davantage les luxuriantes canopées équatoriales telles que l’Amazonie par exemple.

Or, en Europe, nous avons bien nos lianes endémiques. Oh, soit, elles n’ont ni la taille, ni le charisme, ni les couleurs éclatantes de certaines de leurs consoeurs tropicales, sans doute que leur caractère discret sinon commun les rend banales à beaucoup.

Sans confiner à l’exhaustivité, seront ici présentées brièvement quatre de ces lianes européennes sauvages.

La caractéristique première d’une liane est qu’elle a besoin d’un support, d’un tuteur afin de s’épanouir pleinement. Cela peut être autant un vieux grillage qu’un pan de mur, qu’un autre végétal comme un arbre, par exemple. Ces grimpeuses n’ont pas seulement besoin d’un support mais également des moyens leurs permettant de s’y agripper. Aussi, vrilles et crampons sont-ils des outils que ces plantes mettent en œuvre afin d’adhérer au mieux à leur support et, en cela, les moindres aspérités, les moindres anfractuosités sont exploitées, ce qui montre bien à l’évidence que ces plantes ont l’ « intelligence » de s’y adapter.

Ainsi la bryone (Bryonia dioïca), le houblon (Humulus lupulus) et la clématite (Clematis vitalba) développent-ils des vrilles spiralées qui s’enroulent et s’entortillent autour des tiges d’autres végétaux, formant ainsi de graciles linéaments. Le lierre (Hedera helix), quant à lui, s’arme de crampons qui jouent peu ou prou le rôle de pitons d’escalade.

Note : si ces deux dernières plantes sont très fréquentes en France, les deux autres sont plus localisées.

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1. « Plante toxique et dangereuse, la bryone n’est pas à conseiller dans la pratique domestique ». Ainsi s’exprimait Paul-Victor Fournier dans les années 1940. Même si avant lui, Cazin (XIX ème siècle) et Leclerc (XX ème siècle) nuancèrent davantage les propos en ce qui concerne cette plante dont les tiges souples de 2 à 4 m de longueur laissent difficilement imaginer que c’est une racine grosse comme le bras qui les produit, une racine si volumineuse à dire vrai que nombreux furent les faussaires à les tailler pour en faire de vraies fausses racines de mandragore.

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2. Tout comme la précédente, la clématite est vénéneuse et doit être employée avec de grandes précautions. Son nom latin (vitalba) signifie « vigne blanche », ce qui la rapproche encore davantage de la bryone qui porte elle aussi un tel surnom. La racine grec klêma présente dans son nom rend bien compte de son statut de liane puisque cela signifie « sarment », « bois flexible », d’autant que ses tiges peuvent atteindre la prodigieuse longueur de 20 m !Ses petites fleurs blanchâtres à quatre sépales sont inodores. Elles donnent naissance à des « boules » cotonneuses qui forment en réalité les fruits, des aigrettes plumeuses, que l’on désigne communément sous le nom de barbe de vieil homme ou cheveux de la vierge…Irritante, vésicante, rubéfiante et détersive, la clématite trouva, au Moyen-Âge, un bien curieux emploi : les mendiants s’en badigeonnaient les bras, « il en résultait des plaies semblables à des ulcères », nous indique le docteur Valnet, d’où le nom d’herbe aux gueux parfois donné à la clématite.

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3. Bien connu des amateurs de bières, le houblon n’en est pas moins une plante dont le bagage thérapeutique est intéressant même s’il est vrai qu’il est beaucoup moins présent dans les herboristeries familiales que peuvent l’être la menthe ou le thym.Ses tiges grimpantes atteignent communément 5 à 6 m mais parfois beaucoup plus. Elles ont la particularité de s’enrouler de façon sinistrogyre, c’est-à-dire de gauche à droite. Les fleurs femelles forment les fameux cônes de houblon dont on garnit parfois encore des oreillers afin d’aider à l’endormissement et au sommeil.

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4. Quatrième et dernière liane de notre quadrige, le lierre camoufle par la luxuriance de son feuillage une floraison discrète laquelle forme tardivement des baies noirâtres et pruineuses. Cette plante, si commune sous nos latitudes, partage, avec le trio qui le précède, une toxicité qui ne doit pas être ignorée. Peu utilisé en herboristerie, le lierre grimpant est une espèce végétale à visée thérapeutique dont l’usage doit s’entourer de précautions. Que les oiseaux picorent à peine ses baies fournit déjà un indice sur la nature indigeste qui leur est propre…

© Texte & images : Books of Dante – 2013