Les échinacées (Echinacea sp.)

Echinacea angustifolia

Bien qu’il en existe plus de dix espèces, nous nous bornerons aux trois principales. Nous reviendrons plus loin sur les autres, bien moins usitées en thérapie.

Echinacea angustifolia

Très répandue, mesurant de 15 à 30 cm de hauteur, on la trouve dans les prairies sèches et les landes du centre de l’Amérique du Nord (du Saskatchewan, au Canada, jusqu’au Texas).
Tiges pubescentes et simples mais parfois ramifiées. Feuilles lancéolées vert foncé. Pétales très courts et tombants (2 à 4 cm de longueur).

Echinacea purpurea (synonymes : purple cone flower, rudbeckia, rudbeckia pourpre.)

Beaucoup plus grande, puisque qu’elle peut atteindre 1,50 m de hauteur, Echinacea purpurea possède elle aussi des tiges ramifiées et rugueuses de couleur brune, ainsi qu’une pubescence rude qui couvre des feuilles ovales ou lancéolées.
En été, de grands capitules de fleurs ligulées se déploient autour d’un cône central noir. Les pétales peuvent être de couleurs variables : rose pâle, rouge-pourpre, violets, plus rarement blancs. Au fur et à mesure de la floraison, les pétales initialement horizontaux se courbent vers le bas alors que le cône devient de plus en plus proéminent. On peut ainsi reconnaître deux stades de maturation de la plante en fonction de cette clé de détermination. Elle se localise au centre-est des États-Unis, de l’Ohio à l’Iowa, jusqu’en Géorgie.

Echinacea pallida

Très semblable à Echinacea purpurea, cette troisième plante est tout aussi grande. On la distingue cependant par la longueur de ses pétales (4 à 8 cm), lesquels se recourbent profondément. De couleur blanche à violette, Echinacea pallida est l’unique espèce d’échinacée à posséder du pollen blanc. Floraison : juin-juillet.
On la trouve dans les bois et clairières d’une zone qui s’étend du Wisconsin au Texas.

Ces trois plantes optent pour des sols calcaires, bien qu’elles puissent tolérer des sols légèrement acides (ph 6) ou alcalins (pH 8 pour Echinacea angustifolia). Ce sont des plantes extraordinairement résistantes à la sécheresse, à l’instar des amarantes, autres plantes de la pharmacopée amérindienne. Toutes possèdent un rhizome, partie la plus souvent utilisée en thérapie.

Ceci dit, ces trois espèces ne sauraient faire oublier leurs sœurs beaucoup plus rares que compte le territoire nord-américain. Depuis la fin du XIX ème siècle, des récoltes d’échinacées dans la nature ont été instaurées, et se sont multipliées à tel point qu’au début du XX ème siècle, des botanistes tirèrent la sonnette d’alarme. Autant dire, qu’il s’agissait de récoltes sauvages ne prenant pas en compte les cycles de reproduction des plantes, alors que des prélèvements furent effectués dans des espaces protégés accueillant d’autres échinacées, telles que Echinacea atrorubens, Echinacea simulata et Echinacea paradoxa. D’autres échinacées voient leurs territoires se réduire comme peau de chagrin, c’est le cas d’Echinacea laevigata et d’Echinacea tennesseensis. En ce qui concerne le trio de tête dont nous avons établi quelques données botaniques, aujourd’hui, l’on peut affirmer que ces trois échinacées sont menacées d’extinction, c’est pourquoi il a fallu en décider la culture. C’est malheureusement le même scenario qui se répète ici, le même que celui qui faillit faire disparaître l’hydrastis du Canada et le ginseng américain, dont le saccage – l’on peut parler de biopiraterie – fut organisé pendant des décennies sans autre objectif que l’appât du gain. De manière cruellement ironique, l’on peut se demander si elles n’ont pas subi le même sort que les populations autochtones d’Amérique du Nord qui savaient les utiliser à bon escient.

L’ethnobotanique des échinacées est loin d’être complète, pour la simple et bonne raison que les toutes premières études furent réalisées alors que les peuples autochtones se virent parqués dans des réserves. Mais on en connaît assez – certes ce n’est pas suffisant – à travers les multiples usages de ces plantes par les Amérindiens, pour affirmer qu’elles furent des plantes majeures de leur pharmacopée qui soulageaient déjà de nombreuses affections. Sans doute les Amérindiens virent-ils dans ces étoiles que sont les échinacées la solution à bien des maux, comme cela fut aussi le cas des tournesols, autres plantes d’importance pour les Amérindiens.
Les peuples Omaha-Ponca et Lakota utilisaient l’Echinacea angustifolia dans un grand nombre de cas (maux de dents, migraine, brûlure, morsure de serpent, piqûre d’insecte, septicémie). Les Lakota employaient également l’Echinacea purpurea, ainsi que les Comanches, les Crows, les Cheyennes et les Delaware pour des raisons assez similaires qui poussèrent les précédents à faire usage de l’Echinacea angustifolia (morsure de serpent, piqûre d’insecte, maux de dents et de gorge, états infectieux, voire même maladies vénériennes). Enfin, l’Echinacea pallida trouvait grâce aux yeux des Oglala, des Crows, des Cheyennes et des Meskwaki, dont ils broyaient le rhizome frais (maux dentaires, buccaux et gingivaux, refroidissement, rhumatismes, arthrite, colique, crampe d’estomac, variole, eczéma). De plus, les guerriers Hidatsu avaient coutume de mâcher la racine de l’Echinacea pallida en guise de stimulant lorsqu’ils étaient amenés à se déplacer de nuit.
Au-delà de cela, mentionnons qu’en 1969 Hartwell révéla qu’un certain nombre de tribus amérindiennes utilisaient indifféremment ces trois échinacées pour soigner de nombreux cas de cancer du sein, avec succès.

Echinacea purpurea

Les échinacées en phytothérapie

Comme toute plante solaire, les échinacées offrent à la matière médicale leurs capitules floraux, point culminant de ces plantes, mais également ce qui leur est diamétralement opposé, à savoir, une souche racinaire ébouriffée. Bien que d’arrivée tardive en Europe (années 1930), les échinacées, dont on entama l’étude après la Seconde Guerre mondiale, en particulier en Allemagne, ont depuis lors, livré certains de leurs secrets. Parmi eux, citons des composés phénoliques (échinacoside, cynarine, acide caftarique, acide cichorique), des polysaccharides, une essence aromatique contenant des molécules telles qu’échinolone et humulène, des alcaloïdes proches de ceux se trouvant dans le tussilage, enfin une substance cannabinomimétique, l’alkymide.

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuses : antibactériennes, antifongiques, antivirales
  • Immunostimulantes
  • Anti-inflammatoires
  • Anti-allergéniques
  • Sudorifiques
  • Cicatrisantes

Usages thérapeutiques

  • Sensibilité aux infections, prévention des infections, infections d’origine bactérienne (acné), virale (zona, herpès, molluscum, grippe), fongique (mycose), asthénie et épuisement après infection, état fébrile
  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : rhume, rhinite, angine, toux, maux de gorge, bronchite, trachéite, maux auriculaires
  • Affections cutanées : furoncle, eczéma, engelure, plaie de cicatrisation difficile, blessure, contusion, choc (les échinacées sont des cousines de l’arnica)

Note : en homéopathie, une cure d’échinacée avant l’hiver constitue une bonne assurance naturelle contre l’ensemble des maux communément associés à la saison vernale (rhume, etc.).

Modes d’emploi

  • Décoction de racine.
  • Teinture-mère.
  • Gélule de poudre de plante sèche.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Il est recommandé de ne pas utiliser les échinacées en cas de grossesse et chez les enfants de moins de douze ans. De même, les personnes souffrant d’asthme, d’arthrite, du sida ou de tuberculose s’en prémuniront. Cette contre-indication vaut également pour les personnes affectées de pathologies auto-immunes (sclérose en plaques, maladie de Crohn), ainsi que dans tous les autres cas où un traitement immunosuppresseur est en court.
  • Effets indésirables : nausée et autres troubles digestifs légers, allergie, étourdissement.
  • Récolte : les fleurs sont cueillies à pleine floraison, les racines à l’automne dès l’âge de quatre ans.
  • Il existe un élixir floral de type Bach à base de fleurs d’échinacée, conseillé lorsque la dignité et l’intégrité morale sont bafouées par des actes et des situations violentes (harcèlement, par exemple). Il aide à retrouver son identité à travers le respect et l’estime de soi. C’est donc un protecteur, échinacée provenant du grec echinos qui signifie hérisson.

© Books of Dante – 2017

Echinacea pallida

La lentille (Lens culinaris)

Synonymes : pois plat, ers aux lentilles, nantille, esse, arousse.

Afin de bien marquer son appartenance au domaine domestique, l’on attribue parfois à la lentille l’adjectif « cultivée », parce que, outre deux espèces voisines à petites graines communes dans les zones arides du bassin méditerranéen, la lentille ne pousse nulle part à l’état sauvage, tout au plus est-elle spontanée ou naturalisée dans le sud de la France. L’on a donc que peu d’indices de sa provenance, de même que le nom que la botanique lui a choisi – lens – a été l’objet de maintes hypothèses. Ont été proposés lenta parce que la lentille est une plante rampante (celui qui a inventé ça n’a jamais dû voir un pied de lentille), lenitas en raison de la surface douce de son tégument, lenis car, selon Pline, sa consommation régulière invite aux meilleurs sentiments (encore un aliment pour l’écolier retors, ah ah !), etc. Cependant, l’on en sait suffisamment pour affirmer sans risque d’erreur que la lentille était déjà cultivée aux temps préhistoriques (période de la pierre polie) en Europe centrale et méridionale, ainsi qu’en Orient. En Égypte, cette domestication remonte au moins à l’époque du pharaon Ramsès II, soit il y a environ 3300 ans, puisqu’une fresque datée de cette époque montre un personnage s’affairant à la préparation d’une bouillie de lentilles. Puis, d’Égypte, elle passe en Palestine, où les Hébreux la connaissaient bien, tel que le relate l’Ancien Testament, constituant un aliment courant et prenant place dans un passage resté célèbre de la Genèse, opposant les frères jumeaux Esaü et Jacob. Esaü, s’en revenant des champs, éprouvait le besoin de se sustenter. « Donne-moi de ce mets », dit-il à son frère, désignant un plat de lentilles. Lequel lui répondit : « Vends-moi ton droit d’aînesse en échange de ces lentilles ». Affaibli, Esaü s’exécuta contre une platée de lentilles, mais il en allait plus de sa vie que de son prestige, le droit d’aînesse attribuant au premier né d’une fratrie la totalité des biens composant un foyer. Cela peut aussi être une métaphore de la puissance de la sagesse, de la résignation face à la possession matérielle. En France, le droit d’aînesse a prévalu jusqu’en 1849, ne s’appliquant toutefois qu’aux familles nobles. C’est peut-être, de ce épisode biblique de la Genèse jusqu’à l’abolition de l’aînesse, que provient la mauvaise réputation faite à la lentille.

Introduite en Grèce et en Italie, la lentille n’en demeurait pas moins l’aliment du pauvre au V ème siècle avant J.-C., bannie de la table des riches, mais pas de celle des sages. On a tout dit à son sujet, surtout n’importe quoi : on dit le phakos (son nom grec) mauvais pour la vue. Dioscoride ajoute qu’elles « sont malaisées à digérer, nuisent et enflent l’estomac et les boyaux » (1), mais n’en fait pas moins un remède astringent contre les flux de ventre et les états subversifs de l’estomac. C’est surtout l’usage externe qui est plébiscité : emplâtrées avec du gruau sur les douleurs goutteuses, avec du miel pour résorber les ulcères, avec du vinaigre contre les scrofules, la gangrène, les pustules, etc. Même son de cloche du côté de Galien qui a bien noté l’astringence du tégument et la valeur nutritive de l’intérieur. Ainsi la lentille est-elle un médicament contre la métrorragie et les flux dysentériques, mais également la cause de l’apparition d’abominations telles que chancre, lèpre, éléphantiasis, voire même cancer ! « Pour conclure, nul ne doit fréquenter la viande des lentilles, si sa mauvaise disposition ne les y rend convenables » (2). Face à un aliment si plébéien, si peu noble, s’associe un sentiment de honte, sinon de dédain, sans compter qu’avec Dioscoride apparaît l’un des autres méfaits dont est capable la lentille : « les lentilles font songer à des choses épouvantables et horribles » (3), une affirmation qui ne restera pas sans écho puisqu’on en retrouve l’idée dans La magie naturelle de Jean-Baptiste Porta : « Abstenez-vous de manger […] des lentilles, parce qu’elles engendrent un sang gros et mélancolique […] [Elles] sont pleines de vent et d’eau, engendrent des flatulences et suggèrent des songes qui apparaissent sous la forme de fantômes étranges et turbulents, ténébreux et fâcheux […], en somme rien ne vous sera montré que toute chose épouvantable » (4). Déjà, au premier siècle avant J.-C., Artémidore d’Éphèse avait fait une allusion à ce sujet dans l’Onirocritique (« lenticula luctume praesagit »). Parce que la lentille est une nourriture malsaine et indigeste, elle était proscrite des fêtes et des cérémonies sacrificielles. Aussi, la vision de lentilles au cours d’un songe était-elle interprétée comme un mauvais présage, d’autant plus que des croyances populaires lui accordaient un rôle funéraire, l’expression « cueillir des lentilles » signifiant tout bonnement mourir, comme cela est rapporté dans le Grand Albert : « si un homme en mangeant des lentilles, mord quelqu’un, cette morsure est incurable » (5). Parfois, il meurt dans les trois jours.

L’ensemble de ces préjugés va se perpétuer durant tout le Moyen-Âge et même pendant la Renaissance, bien qu’on ait parfois eu affaire à des médecins plus sensés que d’autres (Avicenne, Macer Floridus, Ambroise Paré), alors que la lentille reste l’incontournable aliment de base. Mais dans l’ensemble l’on ne lui fait pas de cadeau : « la lentille est froide, explique Hildegarde de Bingen : quand on la mange, elle n’enrichit ni la moelle de l’homme, si son sang ni sa chair, elle n’augmente pas ses forces, mais elle rassasie le ventre et le remplit de vide. Elle provoque des tempêtes dans les humeurs qui sont dans le bas de l’homme » (6). De plus, elle la contre-indique en cas d’affections pulmonaires et d’hémorroïdes, se bornant à un strict usage externe, par le biais de cataplasmes de farine de lentilles qu’elle applique sur les plaies purulentes afin de les déterger et d’en hâter la cicatrisation.
Du Moyen-Âge à la Renaissance, on s’ingénie à mettre en œuvre « des procédés aussi compliqués que s’il s’agissait de neutraliser le plus redoutable des toxiques » (7), à l’image de ce qui fut en vigueur concernant le melon. Par exemple, Platine de Crémone élabore un véritable fatras prescriptif pour améliorer cette légumineuse, alors que Julius Alexandrinus, plus expéditif, invite tout simplement à proscrire la lentille de l’alimentation : pas de problème, nul besoin d’un quelconque correctif ! Nos deux hommes étaient pétris d’idées fausses au sujet de la lentille qui était, vingt siècles avant eux, l’un des remèdes favoris d’Hippocrate.

A ce scepticisme désobligeant, confinant à la pure aversion irraisonnée, fait écho l’entreprise menée par un certain Barry du Barry au XIX ème siècle. Cet homme, soi-disant guéri d’une phtisie en Afrique à l’aide d’une panacée locale, prodigua de considérables efforts pour rendre public – et payant bien entendu – un tel remède miracle qu’il commercialisa dès 1832 sous le nom de Revalenta, rebaptisé par la suite Revalescière. Ce « médicament » était censé, selon son « inventeur », guérir bien des maux, une brochure datée de 1856, qui en vante les mérites, l’affirme : la Revalescière « guérit toutes les maladies » (maladies de l’estomac, du foie, de la rate, des reins, des intestins, des nerfs, auxquelles l’on peut ajouter surdité, goutte, paralysie, épilepsie, mélancolie, etc.). Cette drogue aux fantastiques pouvoirs curatifs se vendit durant une trentaine d’années avant que l’on se rende compte qu’elle n’était, en réalité, qu’un mélange de farines de haricots et de lentilles ! Bien que ce secret longtemps gardé fut éventé, la Revalescière ne continua pas moins sa prolifique carrière jusqu’en 1881.

Dans ce qui va maintenant suivre, nous pourrons, en un coup d’œil, constater que si la lentille possède un intéressant profil alimentaire, elle n’est en rien la panacée qu’on a voulu faire d’elle.

La lentille en phytothérapie

La carrière alimentaire de la lentille est telle qu’on oublie quelquefois qu’elle peut rendre quelques services en thérapeutique. Manger n’en est-il pas une, du reste ? Compte tenu de son histoire durant laquelle elle a été vilipendée, il est bon de mettre de l’ordre et du relief en ce qui concerne les qualités organoleptiques sur lesquelles d’autres que moi ce sont déjà penchés, concluant à la grande valeur de la lentille dont rendent compte les chiffres suivants : hydrates de carbone (59 %), protides (23 %), eau (11 %), lipides (1 %), cellulose (1 %), sels minéraux (2,5 % : fer, calcium, sodium, potassium, manganèse, etc.). Cent grammes de lentilles procurent environ 335 calories ; « la lentille équivaut presque à un poids égal de viande additionné d’un poids égal de pain », relatera le docteur Leclerc, reprenant les travaux d’Alfred Martinet (Les aliments usuels, 1907), lequel auteur suggère que pour faire de la lentille un aliment complet, il faut lui adjoindre quantité suffisante de lipides (huile d’olive par exemple). De plus, comme toute légumineuse, si on associe la lentille à une céréale, on obtient un bon équilibre des acides aminés. Ajoutons à ce portrait des vitamines (A, B9, C), de la lécithine, enfin de la purine.

Propriétés thérapeutiques

  • Très nutritive, très digeste, favorise le transit intestinal
  • Anti-oxydante
  • Hypocholestérolémiante
  • Résolutive, émolliente
  • Galactogène

Usages thérapeutiques

  • Asthénie physique et intellectuelle
  • Dyspepsie
  • Abcès

Modes d’emploi

  • En nature, cuites.
  • Cataplasme de farine de lentilles.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La cuisson des lentilles, lorsqu’elle est bien menée, permet d’obtenir des lentilles qui ne formeront pas, pour reprendre le mot d’Hildegarde, de tempête dans les intestins. Tout d’abord, on peut les faire tremper une nuit durant dans de l’eau tiède. Ceci fait, on les place dans de l’eau froide non calcaire et non salée (le sel durcit le tégument des lentilles), puis on porte à ébullition le temps nécessaire. Il est possible d’ajouter dès le début de la cuisson les aromates choisis (thym, sarriette, romarin, laurier, etc.).
  • Vu son important taux de purine (162 mg aux 100 g), la lentille doit faire l’objet d’une consommation modérée en particulier chez les hyperuricémiques, c’est-à-dire les personnes dont le taux d’acide urique dans le sang est trop élevé. En effet, une mauvaise dégradation des purines aboutit à la formation d’acide urique, c’est pourquoi les personnes affligées de la goutte se garderont de consommer des lentilles.
  • Variétés : la lentille se décline en différents formats et coloris : la lentille blonde, la lentille corail, la lentille verte du Puy, la lentille béluga, etc.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 99.
    2. Ibidem.
    3. Ibidem.
    4. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 200.
    5. Grand Albert, p. 136.
    6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 26.
    7. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 24.

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De l’usage magique des odeurs et des parfums

Né en Égypte en 1948, Tobie Nathan, chef de file de l’ethnopsychiatrie, est aussi un auteur prolifique (romans, textes scientifiques) dont j’ai récemment achevé la lecture d’un des ouvrages, Psychanalyse païenne, dans lequel j’ai été fort surpris de découvrir un court chapitre qui fait aujourd’hui l’objet de cet bref billet : De l’usage magique des odeurs et des parfums. Si, par bien des aspects, il apporte un contenu déjà connu, il véhicule aussi certaines données propres au continent africain et dont on parle assez peu. C’est pourquoi je partage avec vous aujourd’hui ce chapitre que vous trouverez au format pdf en cliquant sur ce LIEN.

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L’épinard (Spinacia oleracea)

Étant un amateur d’épinard frais, il m’arrive d’en acheter en petite quantité chaque semaine. Quand je dépose mon sachet kraft garni de feuilles d’épinard grasses et luisantes sur le tapis de caisse du petit magasin de fruits et légumes dont je suis coutumier, le patron, pétulant, s’exclame toujours de la même manière : « Ah ! Des popeyes ! » L’on connaît tous ce personnage de dessins animés qui, à l’instar de certains « Gaulois », trouvait sa force non pas dans la potion magique de Panoramix, mais dans une boîte d’épinards. L’on a souvent mis cette force miraculeuse sur le compte de l’extraordinaire taux de fer dont l’épinard se targuait, un taux si prodigieux à dire vrai qu’il pourrait sans mal attirer un aimant, mais un taux qui s’avère complètement faux, fruit d’une erreur, non pas de calcul mais de placement d’une virgule. Malgré les démentis et les rectifications ultérieures, rien n’y fit, ce mythe basé sur une erreur est toujours vivace près d’un siècle plus tard. Pourtant, l’évidence est là : en comparaison, ortie, pissenlit et chénopode contiennent beaucoup plus de fer que l’épinard censé faire les hommes forts et robustes, un message pas forcément mal venu en temps de crise, Popeye étant né à la veille de la grande dépression de 1929 ayant fait suite au krach boursier d’octobre (je ne me suis pas renseigné, mais il y a peut-être un message politique, idéologique ou plus vulgairement commercial derrière Popeye et ses boîtes de « spinach »). Si mes souvenirs sont bons, le faux taux affichait 30 à 50 mg de fer aux 100 g de feuilles fraîches, ce qui est tout bonnement considérable. La virgule, ajustée comme il se doit, le ramène à 3 à 5 mg, ce qui reste, somme toute, encore remarquable. Mais l’on n’a pas attendu Popeye pour se rendre compte que l’épinard était beaucoup plus nutritif que n’importe quel autre légume herbacé : « de la bonne humeur, une respiration profonde et des épinards en quantité » semble avoir été la devise du docteur Davenport mort à l’âge avancé de 111 ans.

L’épinard ferrique est l’une des nombreuses erreurs commises à son sujet. Une autre consiste à avoir cru que les Romains faisaient bombance avec lui, ce qui est parfaitement faux, de même que les Grecs, qui ne le connaissaient pas. Ce ne sont donc pas de textes antiques qu’émanerait la répulsion bien connue et mal comprise des marmots pour l’épinard (ce qui m’a tout l’air d’être un cliché ou le résultat d’une bonne vieille pub bien pourrie où on demande à l’enfant de manger ses épinards, que celui-ci refuse, et que, parce qu’on n’a pas envie de se coucher à minuit, on lui propose une tranche de jambon ou une saucisse-beurk-knacki. Cette pub, ou ce qui y ressemble, existe-t-elle, au fait ?) Bref, revenons-en à nos agneaux, soit à la naissance de l’épinard, le pire ennemi de l’écolier retors. Mais j’appelle à la barre le panégyriste de l’épinard, le grand docteur Joseph Roques, dont l’humour n’a d’égal que la vaste érudition : « quelques cuillerées d’épinards vous rendent plus bienveillant, plus doux, plus aimable : vous caressez vos amis, vos enfants, votre femme : la paix, le bon accord règnent chez vous ». Il adressait ces mots à un constipé chronique, et l’on sait bien que, à défaut d’aller à la selle, ils « emm*erdent » littéralement leur monde (on peut devenir dépressif à force de constipation, rendez-vous compte !) Donc, une cuillère pour papa, une cuillère pour maman, tout cela nous ramène au parent de l’épinard domestique qui étendait ses feuilles rugueuses et ses semences épineuses quelque part entre le Caucase et l’Iran, par là. Là-bas, où Spinacia oleracea n’existe pas à l’état natif, l’on trouve Spinacia tetrandra, probable parent, dont on a imaginé la culture au X ème siècle, enfin suffisamment tôt pour que Rhazès en signale les vertus émollientes et pectorales. Un siècle plus tard, Ibn Haddjâdj, auteur d’un traité sur l’épinard, mentionne sa culture en Espagne, de même qu’Ibn Al-‘Awwam, une plante très appréciée des Arabes, la qualifiant de « prince des légumes », que ceux-ci s’empressèrent d’introduire en France au XV ème siècle, ce qui est une parfaite invention ayant son origine dans la linguistique : le persan aspanach, ispany, ispanay, par la suite transformé par l’arabe en isfinâg, sébanach, esbanach, latinisé lui-même en spinachia, ont fait dire à certains que l’ispany venait d’Hispanie ! Alors que pas du tout : l’épinard a suivi le chemin des Arabes dès le XI ème siècle d’une part, et des Croisés d’autre part, qui le ramenèrent de Terre Sainte au XIII ème siècle, ou à une date proche, pour qu’Albert le Grand, vivant en ce siècle, lui ait trouvé de grandes valeurs nutritives, abstersives et laxatives. Quand il dit que ses feuilles « sont connues pour l’oppression, pour la chaleur du poumon, pour les douleurs du dos de nature sanguine et [qu’elles] adoucissent le ventre », il me semble difficile de voir là le portrait d’une plante fraîchement débarquée, tant est toujours grande la mise au respect que l’on intime aux nouveaux venus (cf. l’accueil réservé à la tomate et à la pomme de terre en France). Le XIII ème siècle signe, en effet, la fin des croisades, qui débutèrent au XI ème ; il n’est donc pas impossible d’imaginer que l’épinard provint en Europe par deux voix différentes dans un temps assez rapproché (1). Malgré ces deux canaux d’introduction plus ou moins contemporains l’un de l’autre, la popularité de l’épinard se cantonne surtout à l’Italie, comme en font état les quelques vers que l’école de Salerne lui consacre : « Pour prévenir le triste cas / Que peut causer en vous l’épanchement de la bile / Les épinards sont bons, ne les négligez pas ; / Aux estomacs fort chauds l’usage en est utile ». En France, ça n’est pas de la même farine, l’on trouve mention du spinachia dans le Mesnagier de Paris, qui n’est pas, à proprement parler, un ouvrage de masse, puisqu’il consigne bon nombre d’indications à destinations de la seule femme d’un bourgeois de Paris. Cependant, en 1393, il écrit ceci : « Les épinards viennent en février. Leurs feuilles sont longues et dentelées comme celles du chêne. Ils poussent par touffes comme les poireaux. Il faut les faire blanchir en les faisant bouillir, puis les faire cuire ». Cette dernière recommandation prouve à elle seule qu’à l’époque l’épinard n’était pas d’introduction récente, parce que sinon, comment expliquer que, spontanément, on veuille « blanchir » les épinards, dont l’auteur du Mesnagier de Paris ignorait sûrement que l’on ferait de même des siècles plus tard, afin d’enlever à leurs feuilles leur « humeur nocive » (oxalates).

Le Moyen-Âge ayant plus ou moins boudé l’épinard, celui-ci s’impose à la Renaissance. Dans les rues des grandes villes, des fillettes juchées sur des ânes, tenant bonnes poignées d’épinards, les « criaient » à la rue, comme on le fit du mouron (Stellaria media) ; les marchands en étaient toujours abondamment pourvus ; il faisait le régal des étudiants pauvres de Paris ou d’Orléans, additionné de verjus, de vinaigre, d’huile ou de beurre… Ce qui expliquerait, peut-être, l’expression « mettre du beurre dans les épinards ». D’ailleurs, je trouve dans Brillat-Savarin le passage suivant, dans lequel le gastronome belleysan relate les habitudes alimentaires du chanoine Chevrier « à qui l’on ne servait jamais des épinards le vendredi qu’autant qu’ils avaient été cuits dès le dimanche, et remis chaque jour sur le feu avec nouvelle addition de beurre frais » (2). Des épinards, auxquels on ajoute par six fois, du dimanche au vendredi, telle quantité de beurre, ne devaient pas être, pour le chanoine Chevrier, un plat « pauvre » ; peut-être souhaitait-il conjurer ce jour « maigre » qu’est le vendredi à l’aide de ce stratagème. Aussi, mettre du beurre dans les épinards voudrait, peut-être, dire : enrichir un plat jugé comme trop pauvre (et quid des épinards au bout de six jours de cuisson répétitive ?) J’ignore qui était le père Chevrier (il me souvient d’avoir déjà croisé une rue de ce nom-là), mais il ne me semble pas être du type à « s’enherber », c’est-à-dire à se mettre au vert dès le début du printemps, afin de dissiper toutes les mauvaises toxines que le corps accumule durant l’hiver. Lui, au contraire, devait plutôt « floc-floquer » dans son bas-beurre gras trempé d’épinards, ce qui ne doit pas nous étonner, puisque ce ventripotent Brillat-Savarin qui partage cette anecdote, n’est autre que l’antéchrist de tout bon végétarien qui se respecte, l’apôtre des épinards à la graisse de caille, le prince de la sauce à l’osmazone !

L’épinard en phytothérapie

Aux mécréants qui imaginent que l’épinard est un aliment de piètre valeur, je suis obligé de répondre que c’est sans doute leur aversion irrationnelle pour ce légume herbacé qui les a tenus très loin des informations qui prouvent le contraire : des données issues d’analyses biochimiques.
Bien entendu, comme tant de végétaux, l’épinard n’échappe pas à la règle qui veut qu’il soit majoritairement constitué d’eau : 92 %. Mais attendez de voir à quoi correspondent les 8 % restants ! Du mucilage, une saponine, des flavonoïdes, une sécrétine découverte en 1924 par Dobreff qui stimule les sécrétions (stomacales, intestinales, biliaires et pancréatiques) ainsi que les mouvements du péristaltisme intestinal, des acides gras (0,8 %), des protides (2 %), des glucides (5 %), etc. Il y a, comme on peut déjà le voir, beaucoup de choses au menu. Les feuilles cloquées de l’épinard signalent une circulation abondante de sève, une verdeur que l’épinard doit à la grande quantité de chlorophylle qui s’y trouve, une substance de structure analogue à l’hémoglobine, véritable « sang » végétal qui « détermine une augmentation forte et rapide de la teneur du sang en hémoglobine accompagnée d’une augmentation relativement moindre du nombre des hématies » (3). A cela, ajoutons diverses vitamines (B9, B12, C, E, D) et une masse impressionnante de sels minéraux et d’oligo-éléments dont nous allons faire le décompte. Pour 100 g de feuilles fraîches d’épinard : sodium (510 mg), potassium (375 mg), calcium (49 mg), magnésium (37 mg), phosphore (37 mg), soufre (29 mg), iode (18 mg), fer (5 mg), manganèse (0,6 mg), zinc (0,45 mg), cuivre (0,13 mg), arsenic (traces). Soit un peu plus d’1 % ! Cependant, cette extrême prodigalité ne doit pas nous faire omettre de mentionner que l’épinard contient aussi des oxalates de potassium et de calcium posant le même problème que l’oseille et l’oxalis.

Propriétés thérapeutiques

  • Reconstituant, reminéralisant, anti-anémique (« nourrit le sang »)
  • Activateur des sécrétions, lubrifiant intestinal, laxatif (« balai des voies digestives »)
  • Dépuratif
  • Antiscorbutique
  • Anti-oxydant
  • Cardiotonique
  • Tonique physique et psychique

Note : on accorde à l’épinard un profil thérapeutique assez proche de celui de l’ortie.

Usages thérapeutiques

  • Anémie, chlorose, rachitisme, scorbut, avitaminose, déminéralisation, croissance, sénescence, asthénie physique, intellectuelle et nerveuse
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, atonie des voies digestives
  • Hémorragie : crachement de sang, règles trop abondantes (l’épinard pourvoie à la carence en sels minéraux que ces pertes sanguines importantes ou anormales occasionnent)
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux sèche, asthme, enrouement
  • Affections cutanées : scrofule, dartre, plaie atone, brûlure, maladies cutanées rebelles
  • Conjonctivite

Modes d’emploi

  • En nature : cru à l’état jeune, cuit lorsque les feuilles sont plus âgées.
  • Suc frais de feuilles.
  • Infusion de semences.
  • Cataplasme de feuilles cuites.
  • Vin d’épinard : 1/5 de suc de feuilles + 4/5 de vin rouge : c’est ce que les soldats anémiés de la Première Guerre mondiale nommaient « pinard d’épinard ».

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Afin de passer outre les oxalates de potassium et de calcium, il est possible de procéder au « blanchissage » de l’épinard qui lui ôte une bonne partie de ces substances sans pour autant les en soustraire intégralement. C’est pourquoi les personnes sujettes à des affections telles que rhumatisme, goutte, arthritisme, lithiase, inflammation gastrique et/ou intestinale, dyspepsie hypersthénique, hépatisme, se garderont bien de faire de l’épinard un usage alimentaire, les oxalates ne feraient qu’aggraver ces états. En dehors des personnes concernées par ces pathologies, signalons la possible réaction allergique aux oxalates. Quant à ceux qui estiment les mal digérer, un peu de muscade râpée devrait les aider à en supporter l’absorption.
  • Depuis son implantation dans les jardins occidentaux, l’aïeul de notre épinard moderne aura donné, grâce aux soins qu’on lui a apportés, de nombreuses variétés telles que butterflay, géant d’hiver, matador, monstrueux de Viroflay, épinard de Hollande, épinard de Flandre, etc. Parmi les Chénopodiacées sauvages, citons le chénopode blanc (Chenopodium album) et le chénopode Bon-Henri (Chenopodium Bonus-Henricus) se prêtant l’un et l’autre aux mêmes usages culinaires que l’épinard.
  • Au jardin, l’on a remarqué que l’épinard entretient des relations de sympathie avec le fraisier.
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    1. Récemment, des fragments calcinés de semences d’épinard ont été retrouvés en Ariège, au château de Montaillou dont les ruines sont datées de 1190 à 1250 environ.
    2. Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, pp. 74-75.
    3. Henri Leclerc, Les légumes de France, p. 212.

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Le melon (Cucumis melo)

Aujourd’hui encore, pour peu que vous posiez la question – « Aimes-tu le melon ? » – il vous sera donné d’assister à tout un panel de réactions, de la plus hostile à la plus enjouée. Autrefois, il en fut de même, chaque génération ayant trouvé à redire au sujet du melon ou, au contraire, à s’extasier devant lui. Mais tout cela est fort bien, cela nous évite de nous entre-tuer pour le même objectif : que ceux qui n’aiment pas le melon laissent la paix à leurs adorateurs et qu’ils aillent se repaître de, par exemple, chou rouge, qu’ils ne leur enlèveront pas de la bouche, c’est certain. Ainsi, tout le monde est content ^_^
Mais cette tolérance, que l’on appelle de nos vœux, ne fut pas toujours observée, et ce depuis les temps les plus anciens. Comme les rixes vaines et futiles se perdent dans les dédales de l’histoire, rien ne nous est dit de ce brûlant antagonisme durant l’Antiquité. Pourquoi ? Peut-être parce que cette espèce de cucurbitacée (cucu-quoi ? Tu peux répéter ?) d’Asie tropicale pose bien des problèmes d’identification dans les textes antiques. Si certains pensent que le melo pepo de Pline était probablement le melon, d’autres ne sont pas de cet avis (je vous préviens, cet article sera marqué du sceau de la discorde), c’est le cas de Brillat-Savarin : « Il paraît [donc rien n’est bien sûr] que les melons tels que nous les cultivons n’étaient pas connus des Romains ; ce qu’ils appelaient melo pepo n’étaient que des concombres qu’ils mangeaient avec des sauces extrêmement relevées » (1). Cependant, de plus érudits que lui affirment que le melon était déjà très répandu en Italie dès le premier siècle de l’ère chrétienne (Fournier), et qu’il était représenté sur les tables d’offrandes de la cinquième dynastie égyptienne, soit – 2500 à – 2300 ans avant J.-C. (Leclerc). Sa présence dans la vallée du Nil est même corroborée par les Hébreux qui, après la fuite dans le désert, gardèrent le souvenir de ce fruit aux bienfaisantes vertus. A ces témoignages livrés par l’écriture et l’iconographie, s’ajoute celui, beaucoup plus tardif mais gustatif celui-là, de Walafrid Strabo. Dire qu’il n’est pas élégiaque au sujet des melons dans l’Hortulus serait mentir : « c’est une chair qui, loin d’hébéter la solidité des dents mâchelières, se laisse sans aucune peine humer toute fondante et, une fois avalée, porte par sa vertu naturelle jusque dans nos entrailles sa durable fraîcheur » (2). Malgré la suavité de ce fruit que les Arabes disaient paradisiaque, le prestige du melon s’évapore durant le Moyen-Âge. Mais c’est pour mieux revenir, avec l’Arbolayre, pas dans les termes les meilleurs : cet ouvrage l’accuse d’être un aliment mauvais. Et c’est véritablement là que débutent les hostilités, le melon soulevant la vindicte de très nombreux médecins, car il provoque la mort : les papes Paul II (1417-1471) et Clément VII (1478-1534) passèrent de vie à trépas après en avoir fait un copieux usage, de même que plusieurs empereurs dont Albert II du Saint-Empire (1397-1439). Un des adversaires les plus acharnés du melon, le médecin italien Dominique Panaroli, le considérait comme une humeur putride issue de la terre, et, au XVII ème siècle, posait la question suivante : « peut-on trouver de fléau plus pernicieux qui entraîne, chaque année, la mort de plusieurs milliers d’hommes ? » Peut-être s’est-il inspiré de ce qu’écrivait La Bruyère Champier au siècle précédant, à savoir que le melon cause le choléra, une maladie assurément plus mortelle que l’inoffensif melon, mais las, le tort était fait, cette relation entre le choléra et le melon s’apprêtant à durer des siècles, car lors de la deuxième pandémie de choléra (1826-1841), Cazin affirme qu’il fut atteint de cette maladie « après avoir mangé deux tranches de melon assaisonnées de poivre et suivies d’un verre de vieux vin de Bordeaux » (3). Où l’on voit que les croyances superstitieuses sont également possibles chez les hommes les plus aguerris et faisant habituellement preuve d’une grande sagacité dans leurs observations, croyances pas forcément exemptes de contradiction : Ludovicus Nonnius affirmait la comestibilité du melon possible après absorption d’une bonne rasade de vin, jouant le rôle de préservatif aux maux que le melon était susceptible d’engendrer. Mais qu’importe, la mauvaise réputation du melon était bel et bien enracinée, comme le démontre une anecdote rapportée par Simon Paulli en 1666 : un médecin lyonnais, assuré du pouvoir méphitique du melon, prétendait s’être enrichi en soignant de nombreux malades dont les maux, pensait-il, étaient attribuables aux melons et aux concombres. Ainsi fit-il inscrire sur le fronton de sa maison les deux vers suivants : « Les concombres et les melons / M’ont fait bâtir cette maison. »
Face à cette déferlante, seuls quelques médecins solitaires considérèrent le melon de quelque utilité, et face aux foudres des bromatologistes, émergea pourtant un enthousiasme débridé pour le melon, tel celui de Saint-Amand (1594-1661) dans un poème sobrement intitulé Le melon : « O fleur de tous les fruits ! O ravissant melon ! », s’exclame-t-il. A la difficulté qu’éprouvait un autre poète, Claude Mermet (1550-1620) (« Les amis à l’heure présente / Ont le naturel du melon / Il faut en essayer cinquante / Avant que de trouver le bon »), appelons à la rescousse Castore Durante (1529-1590) qui explique dans le détail à son valet Martin les incontournables étapes menant au choix du melon parfait : « si Martin trouve un tel melon, on le couvrira de louanges ; sinon, on le lui brisera sur la tête » (4).

Dans l’exposé de ce qui précède, nous avons pu aisément constater que le melon oscille entre la suavité et la bêtise ; ce sont, du reste, ces deux symboliques qui lui collent le plus à la peau. Il y a, de plus, de la sensualité dans la suavité, et pas loin entre la bouche gourmande qui se délecte d’un aliment comme le melon de celle à qui l’on offre la tendresse d’un baiser. Mea suavis (= « ma bien-aimée »), disait Plaute. La sensualité du melon s’exprime à travers les nombreuses graines gluantes logées en son sein, et, forcément, qui dit semences abondantes pense génération. Or, « comme il arrive souvent dans le langage populaire que ce qui sert à représenter la puissance génératrice exprime en même temps la bêtise » (5), le melon, mellone en italien, signifie aussi « celui qui est bête », mellonaggiene, « d’une grande bêtise » (tu n’as rien dans le melon n’est pas un compliment). Aussi, une question reste en suspens : pourquoi les végétaux desquels émane la plus grande sensualité passent-ils également pour des incarnations de la bêtise ? Pourtant, ses vertus fécondantes justifient que dans un vieux conte populaire toscan les semences de ce fruit s’apparentent à des pierres précieuses. D’ailleurs, dans le Petit Albert, l’on croise une recette dont le but est, semble-t-il, de magnifier des semences de melon afin qu’elles offrent une récolte à nulle autre pareille. Pour cela, « vous aurez de la semence de melon de bonne espèce, vous la mettrez infuser durant deux jours dans un sirop qui sera composé de framboises, de cannelle, de cardamome et de deux grains de musc et autant d’ambre gris » (6), des ingrédients qui ne sont pas choisis au hasard, certains aphrodisiaques (cannelle, cardamome), d’autres réputés comme tels (musc, ambre gris). Quant à la framboise, elle porte en elle une connotation sexuelle indéniable. Aussi, comment expliquer une vieille croyance qui exigeait de ne jamais semer le melon en présence d’une femme enceinte ? Ou pis, d’une femme ayant ses règles : « Les femmes, quand elles ont leurs mois, ou règles ou menstrues, n’infectent-elles pas aussi les concombres et les melons et ne les flétrissent-elles pas de leur simple attouchement ? » (7).

Le melon en phytothérapie

Ceux qui ne regardent le melon que sous son seul aspect culinaire, pourraient arguer qu’il n’est pas un remède. En écho, je puis leur rétorquer que le melon est d’une valeur nutritive des plus négligeables. Qu’il soit de forme ovale, oblongue, ronde ou turbannée, que son poids oscille entre 500 g et plusieurs kilogrammes, que sur la palette des couleurs qu’arbore sa chair il y ait tant de camaïeux de verts, de jaunes, d’oranges ou de rouges, le melon n’en reste pas moins constitué d’eau à 95 %. Autant dire que la portion congrue échoit aux lipides (0,1 %), aux protides (0,6 %) et à la cellulose (0,3 %). Seuls les sucres se démarquent par un taux qui varie de 1 à 6 % selon les variétés. Cependant, on ne peut lui dénier ses sels minéraux (fer, calcium), ses vitamines (A, B, C, P) et son abondant mucilage.
Les querelles des Anciens au sujet du melon leur firent sans doute oublier que le melon ne se résume pas qu’à sa chair et à ses semences. En Chine, où l’emploi de cette plante dans la pharmacopée est fort ancien, l’on est allé beaucoup plus loin que cette réduction du melon à son seul fruit. Ainsi, la médecine traditionnelle chinoise utilise du tiangua, en plus du fruit et des semences, son pédoncule et sa peau, ses fleurs, feuilles, tiges et racines.

Propriétés thérapeutiques

  • Rafraîchissant, désaltérant, calme l’irritabilité
  • Apéritif, laxatif, purgatif (chez certaines personnes sensibles), émétique (pédoncule)
  • Anti-oxydant, rajeunissant tissulaire
  • Hypotenseur (tige), améliore la circulation sanguine (semences), élimine les stases sanguines intestinales (semences)
  • Diurétique
  • Émollient
  • Tonique capillaire (suc des feuilles)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : oligurie, insuffisance rénale et urinaire, lithiase urinaire, irritation des voies urinaires, rhumatismes, goutte
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhinite, coryza, irritation des voies respiratoires
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, irritation des voies digestives
  • Affections cutanées : abcès, brûlure légère, inflammation, plaie, contusion, soins du visage (peau sèche)
  • Hypertension
  • Hémorroïdes
  • Anémie

Modes d’emploi

  • En nature : mûr à point. Un melon insuffisamment mûr est susceptible de provoquer des gastralgies même chez l’individu qui, d’habitude, le tolère bien. La chair du melon « convient, mangée avec modération, aux personnes irritables, d’un tempérament bilieux ou sanguin, ayant l’estomac robuste ; elle est nuisible aux individus délicats, aux tempéraments lymphatiques et froids, aux convalescents, aux vieillards, à tous ceux qui ne digèrent qu’avec peine » (8). De plus, les diabétiques, dyspeptiques, entéritiques se garderont d’en consommer, ainsi que les tachyphages, incapables de correctement broyer ce qu’ils avalent. L’on a imaginé bien des moyens pour ajouter davantage de digestibilité au melon, allant jusqu’à l’accompagner de tabac, de bismuth, ou encore de laudanum. Au-delà de ces marottes qui ne concernent que quelques individus isolés, il a été remarqué que le sel, le poivre et la cannelle rendaient le melon plus digeste et moins laxatif. Certains font suivre son ingestion d’un bon verre de vin rouge ou de madère.
  • Jus de melon (lotion du visage).
  • Cataplasme de pulpe fraîche ou cuite.
  • Semences : mêmes usages que ceux de la citrouille (à employer le plus fraîchement possible, elles rancissent avec le temps).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Dans l’alimentation, l’on préférera le melon biologique, excellent fruit anti-oxydant, à l’ordinaire, médiocre parce que trop oxydé. Les usages culinaires sont multiples, nous ne nous y attarderons pas. Mentionnons simplement quelques pratiques peu courantes : lorsque les melons sont encore de la taille d’une noix, on peut les confire au vinaigre comme les pâtissons et les cornichons. Quant à l’écorce, en tranches fines, elle se prête assez bien à la confiserie. La pulpe bien mûre, cuite, additionnée de sucre, de cannelle, de clous de girofle, de zestes de citron ou d’orange, forme une compote originale.
  • Autre espèce : le melon d’hiver (Benincasa hispida), assez peu connu par chez nous, mais très souvent mit à profit par les médecines traditionnelle chinoise et ayurvédique.
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    1. Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, p. 274.
    2. Walafrid Strabo, Hortulus, p. 28.
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 575.
    4. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 84.
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 224.
    6. Petit Albert, p. 285.
    7. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 214.
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 575.

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L’orge (Hordeum vulgare)

Cette céréale serait née quelque part aux confins de la Russie, du Caucase et de l’Asie occidentale. De statut d’herbe vivant à l’état sauvage, elle sera domestiquée par l’homme dans des temps très anciens, puisqu’ils remontent au néolithique, il y a 9000 ans. Plante ayant accompagné l’homme dans ses déplacements, si sa culture semble débuter au Moyen-Orient, elle se déploie rapidement plus à l’ouest et au nord, jusqu’en Europe centrale. D’ailleurs, l’étymologie explique très bien cette progression d’est en ouest : hordeum, qui est un très ancien nom latin de l’orge, s’appelait krithê chez les Grecs, lui-même dérivé d’une racine indo-européenne – ghrs – évoquant les épis hérissés de l’orge. On la lit aussi en ce qui concerne un produit issu de l’orge, la bière : « Georges Dumézil […] a remarqué que le mot kalja, l’un des termes finnois désignant la bière, dérive de la racine chmelj, commune à toutes les langues slaves pour désigner l’ivresse et d’origine indo-européenne » (1).

Cela nous laisse entrevoir d’ores et déjà que nous allons visiter bien des contrées et des époques.

S’inspirant d’un conte dans lequel il est question de deux haricots et d’un grain d’orge figurant les organes génitaux masculins, Angelo de Gubernatis conclue curieusement à la symbolique phallique de cette céréale. Pourtant, « partout […] où les céréales sont d’abord apparues, le grain d’orge symbolise la promesse d’une renaissance après la mort et par sa forme, le sexe féminin. C’est pourquoi, crue ou cuite, cette céréale accompagne de nombreux rites de fertilité et de fécondité » (2). Si certains auteurs antiques comme Porphyre en font une graine féminine parce que fruit de Déméter, d’autres lui accordent plutôt une essence masculine comme, par exemple, Vertius Valens qui en fait une plante consacrée au Soleil (et plus tard, régie par Jupiter selon Henri Corneille Agrippa). En réalité, la vérité semble se situer entre ces deux pôles opposés mais néanmoins complémentaires : en Égypte, l’orge profite d’une double protection divine : par Isis d’une part, en vertu de la forme du grain figurant une vulve, par Osiris d’autre part, le grain d’orge suggérant l’éternel cycle vie/mort, passant de la putréfaction du grain sous terre à l’érection d’une tige pointant vers le ciel, et ainsi de suite. Si l’orge figure au nombre des aliments quotidiens avec la figue et le fromage de chèvre, en Égypte, la pharmacie de Thot s’enorgueillit de receler la bière d’orge, de même que, bien plus tard, en Kabylie, on fabriquera certaine boisson fermentée avec de l’orge, des figues et des caroubes. C’est du moins ce que nous apprennent d’anciens auteurs grecs comme Hérodote, Théophraste, Hécatée de Milet, témoignant de l’existence de la « cervoise » des anciens Égyptiens, dont l’historien Diodore de Sicile dira que « pour le goût comme pour le parfum, [elle] n’était pas inférieure au vin ». A l’époque où Diodore fait cette constatation, la bière ou cervoise n’était pas circonscrite qu’à la seule Égypte. Cette boisson, que Pline nomme caelia (qui donnera cerevisia en latin médiéval, puis cervoise en français moderne) était d’usage courant en Gaule, où l’on cultivait l’orge et le blé, deux céréales qui firent la réputation des paysans celtes jusqu’à Rome. C’était une boisson que l’on pourrait qualifier de « nationale » en Gaule, mais pas seulement dans cette contrée : c’était aussi le cas en péninsule ibérique, chez les Ligures (au nord-est de l’Italie), les Thraces (zone à cheval entre la Grèce, la Bulgarie et la Turquie actuelles), les Phrygiens (Asie mineure), et, contrairement aux apparences, beaucoup plus tardivement chez les Germains dont les descendants sont connus pour être de gros buveurs de bière, mais n’en devint pas moins pour eux, comme pour les Celtes, une boisson sacrée manifestant « l’Esprit du Monde et sa promesse d’éternité » (3).
Chez les Grecs, l’orge également cultivée, était une plante sacrée dont la contemplation d’un seul de ses grains représentait un exercice pour les initiés des mystères d’Éleusis, et cette célèbre céréale faisait l’objet, aussi bien pour les Grecs que pour les Romains, d’un rituel de compensation : on en trouve trace tant chez Théophraste et Pline que dans le Grand Papyrus magique de Paris. Dans une lettre adressée à César Auguste, Harpocration explique de quoi il s’agit : « quand tu arraches la plante de terre, dis en même temps la prière […], et, le tout fini, jette dans le trou qu’a laissé la plante un grain de froment ou d’orge ». D’autres croyances symboliques s’attachaient à l’orge comme celle, par exemple, consistant à se débarrasser d’un furoncle et transmise par Pline : « si, prenant neuf grains d’orge, on trace de la main gauche trois cercles autour du furoncle avec chacun d’eux, et si on les jette au feu, la guérison passe pour immédiate ». C’est ni plus ni moins que la technique du transfert, dont il existe tant d’exemples dans l’histoire médico-magique, parce que – comment en douter ? – l’orge est une plante magique dont on croyait (Pline, Galien) qu’elle dégénérait en avoine. Ainsi le rapporte Virgile : « Là où nous avions confié des orges vigoureuses aux sillons, naissent l’ivraie maléfique et la folle avoine ». En revanche, d’autres auteurs ayant la volonté de se départir de ce qu’ils qualifient de fatras magico-religieux, firent de l’orge un usage médicinal qui prouva son efficacité en bien des cas. Par exemple, Hippocrate, qui accorde un livre entier à l’orge (Du régime dans les maladies aiguës), employait une épaisse décoction d’orge du nom de krithôdès et une autre, plus légère et mieux connue, la ptisana (d’où découle le moderne « tisane ») composée d’une partie d’orge mondée pour dix d’eau. On mène l’ébullition jusqu’à ce que l’orge soit bien gonflée et, éventuellement, on l’aromatise d’huile et de vinaigre. C’est non seulement un remède rafraîchissant et émollient pour Galien, mais aussi un aliment « de bon suc, remarquable pour l’estomac » selon Celse, chose que confirme Dioscoride : « la ptisane, pour la visqueuse odeur qu’elle rend en la cuisant, elle nourrit beaucoup plus que ne fait la griotte » (4). Également reconnue comme astringente, diurétique, résolutive et maturative, l’orge intervenait en cas de diarrhée, de flatulences, d’irritation et d’ulcération de la gorge. D’orge et de feuilles et racine de patience, l’on fit même une lotion capillaire, idée reprise beaucoup plus tard par Jean-Baptiste Porta, proposant une recette pour blondir les cheveux dans laquelle on trouve de la paille d’orge entre autres. Serenus Sammonicus, écartant l’aspect rituel livré par Pline, indique lui aussi l’orge contre les furoncles, mais aussi pour la vomique (sécrétions pulmonaires purulentes) et les brûlures. Enfin, précision qui mérite d’être relevée, Dioscoride façonnait de petits pains d’orge afin de servir de support au suc de certaines plantes comme la jusquiame, ancêtre, en quelque sorte, des comprimés « neutres » qu’on utilise en aromathérapie.

En territoire indien, où l’on prônait l’orge guérisseuse telle que la décrit l’Atharva-Véda, la culture du yava (orge ou froment) était pratiquée par les vaisya aryens grâce à des techniques fort avancées pour l’époque (irrigation, fumure du sol). L’orge était alors intimement liée à Indra – « celui qui ouvre l’orge, celui que la répand » –, offerte à Varuna et aux Marut, divinités du vent des montagnes du nord « afin de faire tomber la pluie, pousser les plantes », et impliquée, tout comme le riz, dans bien d’autres rituels : bannissement des démons, pénitence, fécondité et naissance, noces, funérailles (5). Signe de richesse et d’abondance, voici ce que dit de l’orge le poète indien Bhartrihari : « Chaque pauvre ambitionne une poignée d’orge ; dès qu’il est riche, il ne fait pas plus de cas de toute la terre que d’un brin d’herbe », alors que, en France, l’orge aurait plutôt valeur d’autosuffisance comme le proclame un vieux quatrain paysan : « qui a des pois et du pain d’orge, du lard et du vin pour sa gorge, qui a cinq sous et ne doit rien, il se peut dire qu’il est bien ». Un aspect que n’ignorèrent pas les Tibétains pour qui l’orge demeura longtemps la seule céréale connue formant l’essentiel de la base alimentaire, constituant la tsampa, bouillie d’orge grillée et moulue mêlée de feuilles de thé, et une boisson fermentée, le chong, qu’Alexandra David-Neel eut l’occasion de goûter, servi dans « un large bambou évidé portant un couvercle d’argent d’où chaque convive aspirait par un chalumeau ce breuvage au goût iodé » (6). Cette prédominance de l’orge se rencontre aussi chez les Hébreux, en particulier durant le mois de Iyyar, c’est-à-dire le mois de mai durant lequel l’orge nouvelle pèse de tout son poids sur les apports alimentaire où elle est incontournable.

Au début du Moyen-Âge, le médecin grec Paul d’Égine, fidèle à ses devanciers, perfectionne la ptisane par adjonction de divers légumes. Au siècle suivant, la mode d’ajouter du houblon lors de l’élaboration de la bière se développe. Malgré ces avancées isolées, l’on repère très peu d’indications thérapeutiques concernant l’orge durant presque toute la période médiévale, hormis, peut-être, chez Hildegarde, mais c’est pour faire de l’Hordeum un portrait au vitriol, la disant mauvaise pour les malades comme pour les bien-portants, la déconseillant en cas de dysenterie, alors que c’est l’une de ses principales indications. Seuls des emplois externes trouvent grâce à ses yeux : un bain comme tonique pour effacer la fatigue et en lotion pour la peau du visage lorsque celle-ci est « dure et rugueuse ».
Cela n’est qu’à la Renaissance que l’orge reprend du service dans la pharmacopée, ainsi qu’au XVII ème et XVIII ème siècles. Bien des praticiens ne tariront pas d’éloges concernant l’orge. Citons simplement Sydenham, Van Swieten et Dehaen pour qui l’orge est adoucissante, émolliente, pectorale, inductrice du sommeil et maturative. Elle intervient donc dans des pathologies gastro-intestinales (dysenterie), respiratoires (rhume) et urinaires (cystite), dès lors qu’est présent un processus inflammatoire. L’eau d’orge remplira bien des fonctions, ainsi que ce que l’on appelait la tisane de Tissot qui n’était autre que la fameuse ptisane aromatisée au citron ou édulcorée à la gelée de groseilles. Enfin, l’abbé Kneipp, ardent défenseur de l’orge en thérapie, guérissait fièvre, dyspepsie et anémie grâce à son aide.

L’orge en phytothérapie

Il faut avoir vécu à la campagne pour savoir à quoi ressemble un grain d’orge encore paré de sa chasuble d’or fauve. C’est ce que l’on appelle l’orge brute. Une fois dévêtue, elle porte le nom d’orge mondée, et d’orge perlée quand on lui fait subir le même traitement qu’au riz, c’est-à-dire un blanchissage. Il s’agit là d’un grain sans son, présentant les mêmes inconvénients que le riz blanc. Si on laisse l’orge germer, le grain s’orne de petites radicelles – les tourillons. En plaçant ce grain germé au four, on stoppe la germination, et le germe prend alors le nom de malt d’orge. Le résidu du brassage de l’orge se nomme la drêche et la semence entière réduite en farine grossière et séchée au four le gruau, grue ou griot (cf. la « griotte » de Dioscoride). Ayant passé en revue la terminologie relative à l’orge, accordons quelque importance à la question de sa composition biochimique. De l’amidon, tout d’abord : l’orge en contient de 55 à 65 % ; puis de l’eau (11 à 13 %), des sucres (5 à 7 %), du gluten (3 à 4 %), de l’albumine (1 à 10 %), un peu de lipides (2 %), des vitamines (B, E), des sels minéraux (fer, potassium, calcium, magnésium, phosphore), des substances protéiques. Les tourillons possèdent un alcaloïde inconnu dans le grain, l’hordénine, une substance capable de détruire le vibrion du choléra, ce qui n’est pas rien, et dans le malt l’on trouve une substance nommée diastase.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique (générale, nerveuse, cardiaque)
  • Reconstituante, revitalisante, nutritive
  • Stimulante du système circulatoire, hypertensive par vasoconstriction
  • Digestive, stomachique, dépurative intestinale (c’est aussi une harmonisante stomacale comme l’on dit en médecine traditionnelle chinoise)
  • Rafraîchissante, apaisante de la soif
  • Mucolytique, broncholytique, antitussive
  • Adoucissante, émolliente, détersive, résolutive, maturative
  • Draineuse hépatique
  • Diurétique
  • Inductrice du sommeil

Tout ceci ne concerne que l’orge mondée. Donnons à présent, pour chacune des autres substances tirées de l’orge, leurs propriétés :

  • Malt : eupeptique, améliore la digestion des aliments chez le nourrisson et le malade, tonique, analeptique, antiscorbutique, galactogène
  • Tourillons : antidiarrhéiques puissants (grâce à l’hordénine qu’ils contiennent), anticholériques, hypoglycémiants, hyper ou hypocriniques selon la dose
  • Drêche : antirhumatismale, antinévralgique

Ajoutons à cela :

  • Orge torréfiée : laxative, rafraîchissante, tonique, fortifiante, digestive
  • La bière (et oui !) : nutritive, tonique, apaisante de la soif, excitante des sécrétions gastriques, purgative, vermifuge, antiscrofuleuse
  • La levure de bière : nous en dirons simplement quelques mots, elle appellerait un développement plus conséquent, et comme elle a aussi peu de rapports avec l’orge qu’acétobacter en a avec la pomme, nous nous contenterons de souligner ses propriétés antiseptiques, antiputrides, antifuronculeuses, antiscorbutiques, antidiabétiques et émollientes

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée (y compris celle du nourrisson), dysenterie, dysenterie amibienne, indigestion, entérite, météorisme, flatulence, ballonnement, inappétence, dyspepsie
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : miction douloureuse et/ou difficile, cystite, néphrite, rhumatismes, goutte
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, rhume, toux rebelle, pneumonie, angine, irritation de la gorge, hémoptysie
  • Troubles de la sphère hépatique : engorgement du foie, hépatisme, hépatite
  • Affections cutanées : plaie, plaie gangreneuse, ulcère, ulcère putride, ulcère sordide, abcès, furoncle, psoriasis, inflammation et éruption cutanées, brûlure
  • Déminéralisation, croissance, convalescence, anémie, rachitisme, fatigue, faiblesse nerveuse, scorbut
  • Troubles locomoteurs : névralgie, engorgement articulaire, lumbago
  • États fébriles
  • Hypotension

Modes d’emploi

Étant excessivement nombreux, nous mentionnerons ceux qui nous apparaissent essentiels.

  • Eau d’orge : décoction de 20 g d’orge mondée dans un litre d’eau, à feu doux pendant un très long temps (8 à 9 heures). On comprend que ce mode de préparation soit tombé en désuétude avec la bête et méchante – mais cependant rapide – habitude d’avaler un cachet tout prêt
  • Tisane « toute bonne » : orge (1/3) + chiendent (1/3) + réglisse (1/3)
  • Infusion de malt
  • Infusion de farine d’orge
  • Cataplasme de graines d’orge mondée cuites
  • Cataplasme de farine d’orge (accompagnée d’une plante mucilagineuse comme la mauve, la guimauve, le pourpier, etc.)
  • Bouillie de gruau
  • Sucre d’orge (comment ne pas en parler ?) : c’est une décoction d’orge sucrée, montée à l’état de sirop, possiblement parfumée à la rose, à la violette, etc.
  • Sirop d’orgeat : à l’origine, il s’agissait d’une émulsion de semences de citrouille additionnée d’eau d’orge. Depuis, l’amande amère à pris le relais : il n’y a plus d’orge dans le sirop d’orgeat des supermarchés (contiennent-ils encore de l’amande amère ? Cela reste à voir…)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : il existe des orges de différentes variétés, l’on rencontre aussi bien l’orge mûre au printemps qu’en été. Mais étant du ressort de l’agriculture, cela nous importe assez peu et il est plus aisé de s’en procurer en magasin de produits biologiques.
  • Alimentation : comme l’a aisément démontré le développement de cet article, l’orge a été une substance alimentaire aussi importante pour la partie ouest de l’Eurasie que le riz l’est pour sa partie orientale. On en fabrique de la bière, du pain (bien que friable et se desséchant rapidement par manque de gluten dans la farine d’orge), un ersatz de café, telle qu’elle fut employée à cette fin lors de la Première Guerre mondiale, lorsque la pénurie poussait l’homme à la recherche de produits de substitution. La farine d’orge était même mêlée à de la poudre de feuilles de tilleul dans les années 1940 afin d’en faire du pain, des galettes, des gâteaux, etc. Cependant, aujourd’hui, en comparaison du blé, l’orge n’a plus vraiment la même importance alimentaire qu’autrefois ; chez mes grands-parents, elle servait uniquement à l’alimentation des animaux à l’exclusion de toute autre fonction.
    _______________
    1. Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 346.
    2. Ibidem, p. 222.
    3. Ibidem, p. 347.
    4. Dioscoride, Materia medica, Livre II, chapitre 78.
    5. On rencontre des motifs similaires en Afrique, chez les Gnawa pour qui l’orge est d’origine divine, les Ewes, prenant de très grandes précautions rituelles face à d’éventuels désastres lorsque l’orge vient à germer, enfin en Éthiopie, où le dabtara – le guérisseur – expulse les zars, esprits tourmentant les hommes, en procédant à des offrandes d’orge. Sur la question des pratiques funéraires, nous renvoyons le lecteur sur ce qui se faisait en Prusse ainsi qu’en Russie (déposer des cruches de bière sur les tombes).
    6. Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 632.

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Fleurs d’orge

L’abricotier (Prunus armeniaca)

« Les plus considérables d’entre les Romains se firent gloire d’avoir de beaux jardins où ils firent cultiver non seulement les fruits anciennement connus […], mais encore ceux qui furent apportés de divers pays, savoir : l’abricot d’Arménie, la pêche de Perse, le coing de Sidon, la framboise des vallées du mont Ida, et la cerise, conquête de Lucullus dans le royaume du Pont » (1). C’est ainsi que Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) étale sa science. Non seulement Brillat-Savarin – bien qu’il s’y connaisse en latin (pas forcément de cuisine) – n’était pas ethnobotaniste, mais, bien pis, mauvais historien, se référant aux adjectifs armeniaca, persica, idaeus et au nom cydonia pour attribuer à l’abricot, à la pêche, à la framboise et au coing des patries d’origine qui n’en sont pas ; à peine sont-elles des contrées d’hébergement temporaires, les derniers jalons visibles cachant bien la forêt. En l’occurrence, l’abricotier, malgré son nom, n’a rien d’originellement arménien, ou bien alors Confucius n’a jamais existé, lui qui enseignait, dit-on, à l’ombre d’un abricotier. Et de la Chine à l’Arménie, il y a bien plus qu’une paire de brasse. En effet, ce cousin du pêcher est un arbre asiatique dont on croise encore des spécimens à l’état sauvage dans les zones montagneuses de Chine ; et si l’on en croit le Shang-hai-king attribué à l’empereur Yü qui vivait aux alentours de l’an 2200 avant notre ère, l’abricotier est bien d’essence extrême-orientale : sa culture remonte probablement au III ème siècle avant J.-C., et il était si apprécié que l’on prétend qu’un médecin chinois, Dong Feng, exigeait des abricotiers en guise d’honoraires. Il n’est qu’à considérer le large usage que fait aujourd’hui encore la médecine traditionnelle chinoise de l’abricotier (Xingzi) pour s’en convaincre : amande, feuille, fleur, rameau, tout y passe, tant pour des affections respiratoires (toux, asthme, hémoptysie) que gynécologiques (vulvite, vaginite à trichomonas, stérilité féminine).
Puis, de Chine, l’abricotier passe à l’Arménie, et à la Grèce, mais tardivement : au IV ème siècle avant J.-C., Théophraste ne le connaît pas encore. Il s’implante rapidement en Italie, au tout début de l’ère chrétienne, avant de se propager à tout le bassin méditerranéen par l’entremise des Romains tout d’abord, et des Arabes par la suite. En Grèce, en souvenir de l’une des étapes du voyage de l’abricotier, on le nommait pomme arménienne, armeniaca mala, afin de le distinguer du pêcher, mala persica. Bien que relativement nouveau, Dioscoride lui accorde quelques mots : « Les abricots, que les Latins appellent precocia, c’est-à-dire mûrs avant la saison, sont plus petits que les pêches et meilleurs à l’estomac » (2). Les mots proecox, proecoqua, désignaient une race d’abricotiers précoces beaucoup plus estimés que l’armeniaca mala. Galien, ce médecin qui n’aime pas les fruits, écrit que les abricots « sont du même genre que les pêches, mais ils les surpassent de beaucoup en bonté : ils ne se corrompent, ni ne s’aigrissent, comme elles, dans l’estomac, paraissent généralement plus agréables et sont, par conséquent, plus faciles à digérer ». De la part d’un homme qui voue aux gémonies la plupart des autres espèces fruitières, c’est là un ticket d’entrée qu’il offre à l’abricotier. Mais les Dioscoride, Galien, Pline, qui feront autorité jusqu’au Moyen-Âge tardif, ne seront en aucun cas entendus au sujet de l’abricotier, ce qui explique qu’aucune mention n’en est faite durant toute la période médiévale. Cela tient au fait de l’avis que portèrent les médecins arabes sur ce fruit. Si Mésué accorde beaucoup d’estime à l’huile contenue dans les amandes de l’abricot, il marque en revanche peu d’attrait pour la chair de l’abricot, regardée comme nuisible à l’estomac. Rhazès est, lui, beaucoup plus extrémiste : il avance qu’après avoir mangé de ce fruit, il faut « prendre du vin pur, des électuaires au cumin et à l’encens, de la poudre d’ammi pour éviter l’humidité qu’il entraîne dans le sang, attendu que cette humidité finit par la putréfaction et détermine des fièvres » que l’on peut combattre en se fatiguant, en se faisant transpirer et vomir abondamment. L’on croirait avoir affaire à un protocole digne de ceux que l’on préconise en cas d’intoxication. Or si tout cela équivaut à un antidote, l’abricot est vénéneux : il faut donc se garder d’en consommer. Cet avis tenu par la médecine arabe depuis le IX ème siècle, allait conditionner pour longtemps le destin de l’abricot en Europe occidentale. Ce fruit, soupçonné de provoquer des fièvres, sera systématiquement écarté des régions où le paludisme est endémique, et cet ostracisme se perpétuera – écoutez bien – jusqu’au XVIII ème siècle ! Au siècle précédent, Samuel Ledelius, que nous avons déjà rencontré à travers l’article consacré aux bézoards, relate donc le cas de cette fillette de six ans affectée d’une scarlatine que l’on met sur le compte des abricots que la fillette a mangés. S’en suit une ordonnance médicale déchaînant les plus grands remèdes du temps, jusqu’à ce que, « par l’immense grâce de Dieu, nous franchîmes les gouffres de la Mort, pour la plus grande joie de l’honorable famille », conclue Ledelius. Pour une scarlatine, tout de même ! Mais on n’est pas à ça près, le même Ledelius relatera une dysenterie mortelle qui mettra faussement en cause la consommation d’abricots.
Cette mauvaise réputation dont souffrira longtemps l’abricot, peut aussi s’expliquer du fait qu’en argot, il désigne le sexe féminin. Dans l’histoire, il est assez fréquemment fait référence à cette dimension.
L’impératrice Eudoxie de Constantinople (IV ème siècle après J.-C.), en conflit avec Jean Chrysostome, fut dénoncée par lui en raison de la luxure et du goût pour le faste dont elle faisait preuve. Aussi brandit-il, un jour qu’il était en chaire à Sainte-Sophie, un abricot pour dénoncer ce que tous les chrétiens de Constantinople considéraient comme une attitude scandaleuse. Cette dénonciation valut à Jean Chrysostome d’être expulsé par l’impératrice dont le palais fut, dit-on, bombardé d’abricots par les fidèles zélateurs de Jean Chrysostome.
Au XVI ème siècle, le roi de France Henri III se prêtait, en compagnie de ses mignons, à des concours poétiques où le mot abricot – qui avait valeur érotique – devait illustrer les propos de ces gentilshommes, pratique que Catherine de Médicis fit interdire.
Enfin, lors des guerres d’Espagne menées par Napoléon Ier, des soldats tombèrent dans le piège tendu par de belles Espagnoles, portant des rameaux d’abricotier à leur corsage, engageant à les suivre, avant de leur trancher la gorge d’un coup de navaja, l’équivalent populaire de l’opinel.

Petit mais robuste, l’abricotier, dont le tronc se couvre d’une écorce grisâtre et écailleuse, est cependant très sensible au froid. Sa floraison précoce, dès le mois de mars, explique qu’on ait parfois des années sans abricot, les fleurs blanches ou rosées, à cinq pétales et à nombreuses étamines, ne résistant pas à un coup de gel. C’est pourquoi l’abricotier est bien plus à son aise sous climat chaud, ce qui procure bien des avantages à sa fructification : en effet, l’abricot, drupe plus ou moins veloutée au noyau lisse, n’en mûrira que mieux.

L’abricotier en phytothérapie

Pour des raisons que nous avons précédemment explicitées, en Europe occidentale, l’abricotier, en thérapeutique, est loin de jouir du même prestige que le pommier : nous n’en utilisons que le fruit et, plus récemment, l’huile végétale extraite des amandes contenues dans les noyaux. Dans son berceau originel, n’ayant pas été frappé d’anathème, l’abricotier offre au thérapeute bien plus que ces seules parties : la médecine traditionnelle chinoise réserve surtout la part belle à l’amande dans son entier, mais fait aussi intervenir les feuilles, les fleurs et les jeunes rameaux. En Europe, l’écorce tanique de l’abricotier fut quelquefois utilisée, ainsi que la gomme résineuse exsudant du tronc, constituée surtout de sucres tels que l’arabinose et le galactose.
L’abricot, à pleine maturité, est un fruit gorgé d’eau (80 à 85 %) qu’accompagnent plusieurs sucres (saccharose, lévulose, glucose : 6 à 13 % ; plus le fruit est mûr, et moins il contient de glucose), des protéines (1 %) et des acides (vinique, malique, acétique, salicylique : 1 %). Très pauvre en lipides (0,1 %), il est, en revanche, prodigue en sels minéraux (0,8 % : magnésium, phosphore, fer, calcium, potassium, sodium, soufre, manganèse, fluor, cobalt, zinc, cuivre, brome) et en vitamines (A surtout, B1, B2, B3, C). Quant à l’amande, nous pouvons dire que lui appartiennent les éléments suivants : glucose, asparagine, mucilage, phytostérine, invertine, etc. Mais ce sont surtout 40 % d’une huile végétale qui la caractérisent, ainsi qu’environ 1 % d’amygdaline, libérant par hydrolyse de l’acide cyanhydrique. Cette amygdaline, parfois montrée du doigt comme produit dangereux (ce qu’elle est) mérite qu’on explique, comme le souligne Fournier, que, de même qu’il existe des amandiers doux et des amandiers amers, l’on trouve des abricotiers dont les amandes douces ne contiennent pas d’amygdaline, au contraire de ceux produisant des amandes amères. Dans les deux cas cependant, l’huile végétale extraite de ces amandes par pression à froid, ne contient pas/plus d’amygdaline. Cette huile végétale de belle couleur jaune orangé, de faible odeur et de conservation brève (environ trois mois), recèle assez peu d’acides gras saturés (7 %), tout le reste étant presque essentiellement réservé à un acide gras insaturé, l’acide oléique (64 %), et à un acide gras poly-insaturé, l’acide linoléique (27 %). Vitamine A et E sont également de la partie.

Propriétés thérapeutiques

L’abricot :
– Nutritif, énergétique, anti-anémique
– Immunostimulant, stimulant du système nerveux
– Anti-oxydant, régénérateur tissulaire et nerveux
– Apéritif, digestible, astringent léger, antidiarrhéique (à l’état frais), laxatif (à l’état sec)
– Rafraîchissant
– Dépuratif
– Assainissant cutané
– Favorable au sens de la vue

L’huile végétale :
– Renforce le film hydrolipidique, adoucissante, hydratante, assouplissante, nourrissante, tonifiante et régénératrice cutanées

Usages thérapeutiques

L’abricot :
– Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, diarrhée (abricot frais), constipation (abricot sec)
– Asthénie physique et psychique, anémie, anémie par hémorragie, convalescence, rachitisme, retard de croissance
– Nervosité, insomnie

L’huile végétale :
– Peaux sèches, ridées, ternes, flétries, dévitalisées, fatiguées, atones
– Peau du bébé

Modes d’emploi

  • En nature : mûrs à point ! Pas blafards comme on les voit trop souvent dans les rayons fruits et légumes de la grande distribution. Croquants et fades, ils sont loin d’être un régal pour le palais. Trop mûrs ? Cela n’arrive jamais en ces lieux, les produits étant « gerbés » bien avant l’heure, ce qui nous préserve d’un « relent de punaise qu’on aurait écrasé dans du vinaigre » (3). Ni immangeable comme une balle de coton, ni déliquescent, l’abricot se mange à bonne mesure, et c’est à ce moment que l’on peut dire qu’on le déguste. A moins d’habiter dans une région de production ou d’avoir chez soi des abricotiers, bien trop souvent l’on se condamne à acheter de ces abricots industriels à la sapidité révoltante, récoltés bien avant complète et parfaite maturité. Sans surprise, l’on peut prévoir que leurs qualités gustatives, organoleptiques et médicinales soient des plus insignifiantes. A ce titre, la bio-électronique de Vincent est très claire : l’abricot ordinaire est un « fruit médiocre oxydé, à éviter » (4). L’abricot parfait, c’est celui qui, comme tous les fruits ou presque, est tout prêt de choir de la branche qui le porte. Mes grands-parents ayant eu un verger d’environ un hectare, composé de cerisiers et d’abricotiers, je sais un petit peu de quoi je parle. Mais ces bons produits se perdent, aussi je n’achète plus d’abricots frais depuis belle lurette, me contentant, de temps à autre, d’un sachet d’abricots secs bio, bien sûr, reconnaissables à leur robe brune, les non-biologiques restant oranges après dessiccation.
  • En compote, purée, confiture, jus.
  • En cataplasme pour les soins du visage.
  • L’huile végétale d’amandes d’abricot peut jouer le rôle de crème de jour ; pénétrant facilement la peau, elle ne laisse pas de marques luisantes et grasses sur le visage. On peut s’en servir tel quel ou bien en synergie avec des huiles essentielles : à visées relaxante (+ essence de mandarine), respiratoire (+ huile essentielle de saro), tonifiante (+ huile essentielle d’épinette noire), antalgique (+ huile essentielle de menthe poivrée), etc. Comme la plupart des huiles végétales préconisées par l’aromathérapie, celle d’amandes d’abricot peut s’absorber par voie orale, en cure régulière ou comme huile d’assaisonnement.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La consommation d’abricots frais est contre-indiquée dans les cas suivants : dyspepsie, atonie des voies digestives, météorisme, pyrosis, affections hépatiques.
  • De l’amande de l’abricot l’on a parfois tiré un ersatz de café.
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    1. Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, p. 260.
    2. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 130.
    3. Henri Leclerc, Les fruits de France, pp. 79-80.
    4. Roger Castell, La biolélectronique Vincent, p. 99.

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Le piment (Capsicum annuum)

Synonymes : poivre de Cayenne, enragé de Cayenne, capsique, poivre d’Inde, de Guinée, d’Espagne, de Turquie, corail des jardins, piment des jardins.

Bien avant l’arrivée des Européens aux Amériques, la culture du piment avait déjà été entreprise par les sociétés précolombiennes d’Amérique tropicale (Mexique, Amérique centrale, nord de l’Amérique du Sud). On le rencontrait donc chez les Aztèques, Olmèques et Toltèques du Mexique sous le nom de chili, chez les Mayas, autant pour usage culinaire (relever les plats) que médicinal (lutte contre les infections).
Lors du deuxième voyage de Christophe Colomb, un médecin espagnol, Chanca, se trouvait à bord. Il mentionne la culture du piment dans une lettre de 1494, et s’étonnera que les autochtones se nourrissent de ce qu’ils appellent agé (igname) relevé avec du agi (piment), habitude commune, les Amérindiens consommant crus les piments, réduits en sorte de pâte appelée beurre de cayan. C’est ce « poivre plus brûlant que le poivre noir » que les Portugais rapportèrent du Pernambouc (Brésil), relativement tôt semble-t-il puisqu’en 1542 Léonard Fuchs mentionne l’existence de quatre « espèces » de siliquastrum ou poivre de Calicut en Allemagne. En 1548, il a déjà atteint le sol britannique où Gérarde indique qu’il est vendu dans les boutiques de Billingsgate. Au beau milieu du XVI ème siècle, si le piment est cultivé en Europe, il ne l’est qu’à titre de curiosité, de même que l’on se concentra tout d’abord sur la qualité ornementale de la tomate avant d’en faire l’usage culinaire que l’on sait. Puis Matthiole, en 1554, le dit commun dans toute l’Italie. Charles de l’Escluse, qui fera beaucoup pour sa propagation après en avoir donné le premier la description, favorise la culture du piment en Espagne, en Moravie et en Hongrie. En 1602, l’Espagnol Nicolas Monardes relate les emplois usuels du piment en Espagne, alors qu’en France, il reste peu usité, c’est à peine si on le met à contribution, encore vert, pour le confire au sucre, au vinaigre, afin d’en assaisonner les sauces à la manière des câpres et des fruits de capucine. Enfin, la science médicale accorde un intérêt thérapeutique au piment, et ce qu’en dit Castore Durante en 1636 mérite de figurer dans ces lignes tant il décrit parfaitement bien l’action révulsive des piments : ils « forment vésicatoire sur la partie malade et attire du centre à la périphérie les humeurs captives ». Dans la seconde partie de cet article, nous aurons l’occasion de constater que cette observation n’est pas sans fondement. Un siècle plus tard, on fait grand cas du piment, contre une douloureuse affection, la sciatique. Au XIX ème siècle, on s’étonne de ce qu’Alègre (1857) et Pauzat (1884) recommandent une médicamentation à base de piment contre les hémorroïdes, alors que, dans la croyance populaire, le piment est censé favoriser cette affection. Mais là encore, on a tout bon. A cette liste, ajoutons ce que préconise Leclerc en 1928 : le piment contre les bourdonnements d’oreilles. A la même époque, ou peu s’en faut (années 1930 dirons-nous), le piment de Hongrie ou paprika se prête à l’expérience suivante : l’extraction de la vitamine C qu’il contient à l’état cristallisé. Il demeurera longtemps, avec le jus de citron et les feuilles fraîches de tomate, la seule source de préparation de cette vitamine.

Des Solanacées, nous en avons abordées un bon nombre sur le blog : la pomme de terre, l’aubergine, la tomate, la morelle noire, l’alkékenge, etc. Ajoutons à cette famille botanique le piment annuel, petite plante qui ne dépasse généralement pas un demi mètre de hauteur. Sa tige ramifiée porte des feuilles pétiolées, un peu pointues, assez larges et molles. La floraison, intervenant en juin-août, consiste en des fleurs blanches, solitaires et typiques des Solanacées : une corolle à cinq divisions enserre pistil et anthères centraux. Son fruit, tout d’abord vert, vire ensuite au rouge vif, parfois très cramoisi, donnant une idée de la force qui l’habite. Ce piment, endémique à l’Amérique tropicale, est parfois dit « de Cayenne », mais cette ville n’a jamais été l’objet de sa culture, non plus que le reste de l’Amérique du Sud. En revanche, il est vrai qu’il est cultivé dans d’autres zones tropicales du globe comme l’Afrique et l’Inde, où il accompagne la lime dans le but d’éloigner les esprits et le mauvais œil. Il faut dire que c’est une arme particulièrement virulente qui stoppe et repousse : que l’on pense à la bombe lacrymogène !

Dans les lignes qui suivent, nous allons aborder composition biochimique, propriétés et usages thérapeutiques du piment annuel. La littérature évoque parfois un autre piment, Capsicum frutescens, espèce vivace, buissonnante et épineuse, pouvant atteindre deux mètres de hauteur. De l’un à l’autre de ces deux piments, composition, propriétés et usages sont similaires.

Le piment en phytothérapie

Lisse, luisant, quasiment inodore, le piment se décline en plusieurs coloris (vert, olivâtre, jaune, orange, rouge, écarlate, violacé, chocolat, noirâtre), formes (lanterne, rond, lobé, conique, oblongue, effilé, cœur, etc.), tailles (de 3 à 4 cm jusqu’à près de trois décimètres).
De son analyse biochimique, il ressort que le piment est composé de substances azotées (15 %), de cellulose (20 %), d’huile (12 %), d’eau (11 %), de sels minéraux (5 %), d’essence aromatique (1 %). Des pigments de type caroténoïdes lui donnent bon teint ; de la bassorine trahit la présence d’une gomme ; ajoutons à cela des flavonoïdes et de la vitamine C (environ 20 mg aux 100 g de piment frais). Mais venons-en maintenant à ce qui fit que Leclerc employa des locutions telles que « méphistophélique », « endiablé », « lave en fusion », « langue embrasée de quelque bête apocalyptique » pour parler du piment. Il s’agit d’une substance de nature alcaloïdique particulièrement située dans les semences (1), bien plus âcres et brûlantes que tout le reste, ainsi que dans la peau et les veines du piment : la capsaïcine, dont une seule goutte de sa solution au 1/100000 détermine sur la langue une cuisante et persistante sensation de brûlure. La teneur en capsaïcine est variable selon le type de piment, et son goût brûlant se classe de neutre à explosif grâce à l’échelle imaginée par Scoville en 1912. Les SHU (Scoville Heat Unit) de quelques espèces montrent les énormes dissemblances qui existent d’un piment à l’autre :

  • Poivron : 0
  • Paprika : 500
  • Piment d’Espelette : 2000
  • Tabasco rouge : 5000
  • Piment de Cayenne : 30 000 à 50 000
  • Habanero des Antilles : 200 000 à 500 000
  • Bhut Jolokia des Indes : 1 000 000
  • Capsaïcine pure : 15 000 000

Note : à titre de comparaison, la pipérine pure vaut 100 000 SHU. Elle est donc 150 fois moins âcre et brûlante que la capsaïcine pure.

Le piment contient un peu de mucilage, mais pas assez pour contrecarrer les effets de la capsaïcine sur les muqueuses buccales, une molécule insoluble dans l’eau, hydrophobe ; pour en minimiser l’ardente brûlure, boire de l’eau ne sert donc à rien, il vaut mieux lui préférer un corps gras comme par exemple une huile végétale. Si vous deviez manipuler des piments frais comme secs, un soigneux lavage des mains après opération n’enlève en rien la capsaïcine qui s’y trouve encore. Ne faites donc pas bêtement comme moi : évitez le contact avec les lèvres et les yeux (j’ai chanté dans ma cuisine ce jour-là ^_^), mieux, portez des gants avant de vous affairer à débiter des piments.
Autre alcaloïde accompagnant la capsaïcine, la capsicine, substance blanche, brillante, d’aspect nacré qui, elle, est soluble dans l’eau : elle ne pose donc pas les inconvénients de sa consœur.

Propriétés thérapeutiques

« Le piment annuel est un des excitants les plus énergiques », écrivait Cazin en 1858 (2). Croyons-le sur parole.

  • Stimulant, tonique
  • Régulateur thermique, réchauffant (diffuse sa chaleur à tous le corps sans augmenter le pouls sensiblement)
  • Apéritif, digestif, excitant stomacal, stimulant gastrique, stomachique, carminatif, antiseptique gastro-intestinal, coupe-faim (3)
  • Diurétique, sudorifique
  • Antispasmodique musculaire, analgésique, anesthésiant local
  • Stimulant de la circulation sanguine en direction des extrémités et des organes centraux
  • Révulsif, rubéfiant, vésicant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, dyspepsie atonique, atonie digestive, fermentation intestinale, crampe d’estomac, aérophagie, colique, vomissement incoercible, mal de mer
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, enrouement, aphonie, maux de gorge, toux spasmodique, laryngite, rhume, coqueluche, pneumonie
  • Troubles locomoteurs : crampe, entorse, foulure, élongation musculaire, rhumatisme, goutte, névralgie rhumatismale, lombalgie, paralysie locale, point de côté, arthrite
  • Troubles de la sphère circulatoire : mauvaise circulation sanguine, mains et pieds froids, hémorroïdes, engelure
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles trop abondantes, hémorragie utérine, œdème vaginal
  • Activer l’éruption cutanée des maladies infectieuses (rougeole, scarlatine)
  • Fièvres intermittentes, refroidissement
  • Maux de tête
  • Psoriasis
  • Chute de cheveux

Un peu de médecine traditionnelle chinoise…

La MTC s’est penchée sur le piment qu’elle nomme Lajiao. Elle en utilise bien sûr les bienfaits à travers une approche traditionnelle dont les usages sont fort similaires à ceux qui prévalent en Occident. La MTC, qui accorde beaucoup d’importance aux caractéristiques de chaque ingrédient utilisé par sa pharmacopée, a désigné, sans surprise, le piment comme étant de saveur chaude et piquante, matière à même de briser le froid et les affections qui découlent de son excès. Elle associe au piment les deux principaux méridiens suivants : celui du Cœur et celui de la Rate, deux organes yin. Si l’on comprend facilement la présence du méridien du Cœur au sein de ce binôme, cela n’est pas si évident pour celui de la Rate. En effet, le méridien du Cœur est dominé par l’élément Feu, ici symbolisé par la planète Mars, la rouge bouillonnante. Le méridien de la Rate relève, lui, de l’élément Terre et de la planète Saturne. On est davantage dans la lenteur, la torpeur et l’immobilisme, ce qui convient parfaitement au type « Rate » dont le dysfonctionnement implique un manque de tonus et de dynamisme, et un grand ensemble d’affections siégeant au cœur de la sphère gastro-intestinale et contre lesquelles le piment est particulièrement efficace (diarrhée, ballonnement, etc.). Le méridien de la Rate, lorsqu’il défaille, implique des stases, des pesanteurs, des syndromes adynamiques : l’on n’avance plus, on laisse passer sa chance, on procrastine, ce qui peut, à la longue, provoquer insatisfaction et déplaisir face à une telle situation de laquelle on ne parvient pas à s’extirper, se donnant l’impression d’être un velléitaire. Ainsi, en ce cas le piment peut aider à booster l’individu placé sous l’emprise saturnienne d’un méridien de la Rate défectueux, qui devrait rendre appétit au sens propre comme au figuré (le liquide organique lié à l’élément Terre, c’est la salive) et s’animer tant par la parole que par les actes (la Terre est en relation avec la bouche et les muscles).
Maintenant, passons au méridien du Cœur. Le Feu de ce méridien est lui aussi associé à la bouche, mais ne touche non pas les muscles, mais ce qui les irrigue : les vaisseaux sanguins. Nous avons vu plus haut que le piment stimule la circulation du sang dans l’organisme, cela afin de porter aux muscles ce dont ils ont besoin pour bien fonctionner. Dans ce cas, méridiens du Cœur et de la Rate forment une paire parfaite. De plus, la chaleur et la joie véhiculées par ce méridien de Feu – par un truchement physiologique et énergétique – communiquent davantage de générosité (celle des idées, des sentiments, etc.), et éloignent du sujet l’émotivité, la violence passionnelle et pulsionnelle. Les personnes affectées d’instabilité émotionnelle peuvent tirer profit du piment.

Modes d’emploi

  • Poudre de piment sec
  • Décoction (pour usage interne et gargarisme)
  • Décoction huileuse de piments frais
  • Macération alcoolique de piments frais (lotion capillaire)
  • Sirop
  • Teinture-mère
  • Crème pharmaceutique
  • Cataplasme de piments frais (action analogue au sinapisme. Cf. l’article sur la moutarde)
  • Ouate vésicante (ouate thermogène)
  • Emplâtre rubéfiant anglais : poix de Bourgogne (8 g) + piment pulvérisé (8 g) + axonge (1,2 g)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Il est déconseillé d’utiliser les graines seules. Quant au piment dans son entier, outre que son ardeur est dissuasive, de trop grandes quantités, quel que soit l’usage, peuvent amener vomissement, diarrhée, inflammation gastrique et rénale, embarras de l’appareil urinaire. Pas d’utilisation en cas d’ulcère gastrique.
  • Récolte : à l’été, lorsque les fruits sont bien mûrs.
  • Séchage : au soleil ou au four à température basse (40° C).
  • Alimentation : les usages sont fort nombreux. Comme légume, le poivron se destine à bien des préparations, cru comme cuit. Salades et plats cuisinés (poivrons farcis) sont quelques exemples. Quant au paprika – piment en hongrois – c’est l’épice principale du goulasch et du poulet à la diable. Les piments plus corsés forment harissa, tabasco et autre curry, aromatisent plusieurs spécialités (couscous, poulet au curry, paella, bouillabaisse, chili con carne, etc.).
  • Autres espèces : C. frutescens (mêmes usages phytothérapeutiques que C. annuum), C. fastigiatum, C. baccatum, C. minimum, C. chinense, etc.
  • Risque de confusion : en aromathérapie, l’on croise parfois une huile essentielle de bay saint-thomas (Pimenta racemosa). Hormis ce nom de « pimenta », cette huile essentielle riche en eugénol n’a rien à voir avec notre piment, puisqu’il s’agit d’un arbre de la famille des Myrtacées dont on distille les baies. Son surnom de piment de la Jamaïque ajoute encore à la confusion.
    _______________
    1. Au fur et à mesure de la maturation du fruit, l’on obtient une teinte rouge voire écarlate signalant la naissance du condiment martien ; en effet, avant cela, le piment, encore vert, est à peine brûlant. Cela signifie que la capsaïcine s’élabore au gré de la fructification.
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 759.
    3. « Cet analgésique agit sur les récepteurs de la douleur, augmente la température du corps et donc sa dépense d’énergie, d’où une combustion accrue des calories », Le guide santé par les plantes, HS n° 2, septembre 2014, p. 69.

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Le riz (Oryza sativa)

Dire du riz qu’il a eu et a encore une importance alimentaire capitale pour des milliards d’êtres humains de par le monde, n’a rien de très exceptionnel. Il est, avec le blé, l’orge et le maïs, de ces aliments civilisationnels et objet d’une culture pluri-millénaire ayant pris naissance il y a 6000, voire 10000 ans, en Thaïlande où il poussait déjà à l’état sauvage, ainsi qu’en Inde, pays où sa culture est plus tardive (3000 ans avant J.-C.). Répandu en Chine il y a 5000 ans, le riz a été transporté par l’homme en Perse et en Mésopotamie, où Alexandre le Grand le rencontre au IV ème siècle avant J.-C. Il est connu des Romains au I er siècle après J.-C. (Pline relate que les habitants des Indes tirent une huile de ses graines), mais ne sera cultivé en Europe qu’aux environs du VIII ème siècle, c’est pourquoi, aujourd’hui encore, on le croise en Espagne et en Italie (Piémont), ainsi que dans le Midi de la France (Camargue). Conquérant les océans, il se lancera à l’assaut du Brésil et des États-Unis (Louisiane, Caroline). Malgré ce vaste voyage, c’est bien évidemment à l’Asie que l’on pense lorsqu’on considère cette céréale, bien que la culture du blé – chose qui peut surprendre – est bien antérieure à celle du riz en Extrême-Orient.

L’on peut sans l’ombre d’un doute affirmer que pour bien des civilisations asiatiques le riz représente un don du ciel, une graine marquée, dans bien des pays, d’une essence solaire : le riz est consacré au Soleil à travers Sing-bong au Bengale, à Upulera dans les archipels Leti, Sermata, Babar et Timorlant, à Amaterasu au Japon, etc. Ce culte solaire explique peut-être les mandalas tracés à même le sol à l’aide de poudres de riz de différentes couleurs.
Dans toutes ces contrées extrême-orientales, culture et culte du riz s’entremêlent étroitement, d’autant plus que selon la mythologie chinoise, on explique que le riz, qui au départ poussait naturellement, amena l’homme à s’en obliger la culture après qu’il y ait eu rupture entre le Ciel et la Terre, motif similaire à celui de la chute biblique, exigeant un travail harassant. En effet, le riz nécessite beaucoup de soins laborieux, ne serait-ce que l’élaboration d’une rizière qui accueille les pieds de riz dès qu’ils mesurent 10 cm, après avoir été élevés en pépinière. Il s’agit d’un mode de culture très particulier, requérant un personnel compétant, pétri d’une observation aiguë de la progression des plantes – des rituels réglés comme du papier à musique pourrait-on dire, la régénération périodique n’étant possible que par répétition symbolique. Par exemple, augmenter le niveau d’eau boueuse des rizières au fur et à mesure que pousse la plante ne peut se faire mécaniquement en appuyant sur un bête bouton. C’est un gage de réussite : le riz, bien que consacré au soleil, risquerait d’être grillé par lui si l’eau venait à manquer. C’est pourquoi, malgré toute la précision soigneuse, l’exacte finesse du déroulement de la culture du riz, on l’accompagne de cérémonies dont les buts sont multiples, mais les mêmes partout dès lors qu’on traite d’une agriculture soumise aux caprices de la Nature. Elles sont légion dans toute l’Asie, l’abondance de la future récolte étant conditionnée par de nombreux rites : comme nous le montre l’Atharva-Véda, on adresse des louanges au riz, quand ce ne sont pas des suppliques (« Remplis de riz les corbeilles vides », s’exclame-t-on au Bengale, afin de renouveler ce qui a été usé). A Java, lors de la floraison, les couples s’unissent dans les champs même, autre exemple de culte de la fertilité comme il en existe tant par ailleurs. A Bornéo, il arrive même que les femmes – largement impliquées dans la culture et les cérémonies liées au riz – passent seules la nuit dans les rizières. Les plantes viennent-elles à se faner ? C’est la cause de l’éloignement de l’esprit du riz, tel qu’on le croît en Birmanie et à Bornéo. Aussi, bien des formules lui sont adressées pour lui faire réintégrer le riz qu’il a abandonné, parce que cet esprit participe de sa croissance. Les Indonésiens « se comportent envers le riz en fleur comme envers une femme enceinte, et l’on prend nombre de précautions pour que l’esprit soit capté et enfermé dans une corbeille et ensuite soigneusement gardé dans le grenier à riz » (1). Enfin, lors de la récolte, des actes de remerciement ont lieu, comme, par exemple, au Bengale durant le mois d’août.

En Chine, il y a 4000 ans, l’empereur Chin-Nong instaura une cérémonie du semis de cinq plantes dont le riz. Pour marquer la prééminence qu’avait ce dernier sur les quatre autres, c’est l’empereur lui-même qui procédait au rite d’ensemencement du riz, cette céréale comptant au nombre des nourritures de vie, de provendes d’immortalité et de spiritualité dont il n’est pas permis de douter. Mais que dire de ce qui se déroule en Inde, où on ne manipule pas le riz avant d’avoir fait ses ablutions ? De la naissance à la mort, il n’y a pas un seul moment de l’existence humaine qui ne soit pas jalonné par le riz : la femme en quête d’un mari fait des offrandes de riz cuit. Ceci fait, il est offert aux jeunes mariés comme symbole de pureté première, de bonheur et d’abondance (on rencontre des pratiques similaires au Japon shintoïste). En Inde, l’on fait faire le tour de l’autel à la mariée par trois fois et à chaque passage, elle reçoit dans les mains une poignée de riz (les graines de riz que l’on jette sur les mariés à la sortie de l’église ne sont que le lointain souvenir de ces rites nuptiaux nés en Asie). Veut-on que la nouvelle épouse ait des enfants ? Riz et safran y pourvoient. Souhaite-t-on éloigner du nouveau-né le mauvais œil ? On procède de même. L’enfant a bien vieilli. Aujourd’hui c’est un vieillard proche de la mort. Entre-temps, il aura bravé bien des dangers : une sorcière aurait voulu lui jeter un sort ? Le riz a permis de l’identifier. Parce que la vie d’un homme n’est pas forcément un long fleuve tranquille, il lui a fallu jeûner en signe de pénitence, là encore le riz est présent, qu’on accorde une fois béni aux divinités, avec de l’orge. Puis, notre homme expire son dernier souffle : le riz est appelé aux cérémonies funéraires. Lors d’une fête annuelle assez similaire au jour des morts occidental, on employait le sésame dans les cérémonies expiatoires comme purificateur et symbole d’immortalité. Des prières étaient adressées pour aider la délivrance des âmes détenues au purgatoire. A cette occasion, il était coutume d’offrir non seulement du sésame mais également du riz et de l’eau. Notre homme, voilà déjà longtemps qu’il est parti qu’on l’honore encore, du moins ses mânes, les esprits des ancêtres. A ces esprits, l’on adresse de l’encens, des fruits, du riz, des pindâs, gâteaux funéraires constitués de miel, de sésame et de riz. Ces esprits étant partout, au Bengale on procédait à des offrandes de riz auprès de certains arbres, de même en Thaïlande avant d’en décider l’abattage, afin, sans doute, de se les concilier.
Le Japon quant à lui n’a pas échappé à ce désir de lier symboliquement le riz au culte shinto, religion panthéiste pour laquelle l’importance du riz est telle que, mythologiquement, on explique l’instauration de sa culture pas l’entremise d’une souris divinisée, Diakoku-sama. Et l’on voit, dans les nombreux sakuras que compte le Japon un signe propitiatoire, car beaucoup de fleurs annonce qu’on aura autant de riz à la prochaine récolte.

Partout où le riz s’est implanté, il a pris place dans l’assiette des hommes qui le cultivent, agrémenté de telle ou telle manière afin de souligner la typicité de telle ou telle région géographique. Il est tour à tour pilaf moyen-oriental, palao afghan, paella espagnole, kacha des pays slaves, accompagnant aussi bien viandes que poissons, souvent garni de légumes et relevé d’épices chaudes et colorées. Ne clôturons pas ce menu sans mentionner les produits transformés que sont vinaigre, vin et alcool de riz.

Le riz est une poacée annuelle constituée d’une racine grêle, d’une tige creuse portant des feuilles larges, oblongues et dentées, atteignant près d’un mètre de hauteur à plein développement (mais sa taille est très variable selon les variétés). Ses fleurs hermaphrodites se déploient en panicules légers.
Cette plante semi-aquatique nécessite un climat chaud et pluvieux.

Le riz en phytothérapie

Ce qui n’est pour nous qu’un aliment se double, dans d’autres sphères, du statut de plante médicinale. Aussi, pourrions-nous être surpris des usages particuliers que fait la phytothérapie chinoise du riz. Cette céréale, telle qu’elle est récoltée à l’état brut, porte le nom de paddy, c’est-à-dire le grain non débarrassé de sa glumelle. Il devient « cargo » sans elle. A ce stade, le grain de riz peut subir divers traitements : l’un d’eux permet d’obtenir un riz demi-complet, un autre, le polissage, arase l’écorce du grain qui devient « blanc » ou « blanchi ». Mais l’inconvénient de ces procédés réside dans la disparition de nutriments essentiels contenus dans le son du riz, à savoir de nombreuses vitamines (A, B1, B2, B6). Bien sûr, en compensation, le riz blanc offre une cuisson rapide, parfaite pour les sociétés modernes pressées et stressées, mais c’est un aliment à la pauvreté nutritive sans égale avec le riz complet qui, lui, s’il exige 45 minutes de cuisson (pensons au riz rouge de Camargue, au riz nérone italien, au riz noir nord-américain), est bien plus nutritif et goûteux. Astuce : pour en réduire le temps de cuisson, faire tremper ce type de riz au préalable et éviter de saler l’eau de cuisson.
Voici quelques données moyennes sur la composition biochimique du riz : amidon (75 %), eau (12 %), albuminoïdes (7 %), sucre (2 %), huile (1,5 %), substances protéiques (1 %), cellulose (0,3 %). Bien que sa valeur nutritive soit quatre fois supérieure à celle de la pomme de terre, cela n’en fait pas un aliment complet pour autant, en particulier lorsqu’il est dépourvu de ses vitamines naturelles comme, par exemple, la vitamine B1 : dans 100 g de riz complet, on en trouve 2 à 2,5 mg, et ce taux chute à 0,03 mg pour 100 g de riz blanchi. Bien que moins fragile que la vitamine C, la vitamine B1 est partiellement supprimée par la cuisson. La consommation régulière de riz blanc – loin d’être une manne – prive donc l’organisme d’une précieuse substance parfois surnommée vitamine antibéribérique. Cette hypovitaminose peut avoir des conséquences néfastes : « Cette vitamine joue un rôle important dans l’équilibre nerveux. C’est un stimulant de l’appétit et elle a le pouvoir d’exciter les mouvements favorables de l’intestin. Elle favorise en outre l’absorption de l’oxygène par les cellules et l’assimilation des sucres. Elle intervient, de plus, dans la synthèse des graisses à partir des sucres » (2). Imaginons les désordres que sa carence peut occasionner, surtout que la dose quotidienne oscille entre 2 et 3 mg, soit l’équivalent de 100 g de riz complet. Mais cette carence peut aussi devenir absence et avoir pour effet un ensemble de symptômes que l’on a appelé béribéri, une maladie ayant fait des ravages parmi les populations asiatiques où le riz blanc, consommé en grande quantité, forme la base des repas quotidiens (3). Le béribéri porte son action sur les muscles qu’il atrophie, les tendons, le cœur (palpitations, insuffisance cardiaque), il provoque des œdèmes, des phénomènes paralytiques et entraîne la mort par asphyxie. On remédie à cette pathologie par la consommation de riz complet et par l’éviction du riz blanc, ou bien par une supplémentation de vitamine B1, accompagnée de manganèse, car seule elle n’entraîne pas de régression des troubles, un manganèse que l’on trouve bien présent dans le riz, en compagnie d’une multitude d’autres sels minéraux et oligo-éléments (fer, calcium, phosphore, potassium, sodium, soufre, magnésium, iode, zinc, fluor, arsenic, chlore).
En phytothérapie occidentale, on se concentre uniquement sur les grains, en Chine on y ajoute les graines germées, le son, l’huile de son, les tiges et les racines de la plante, qui se subdivise en deux appellations : jingmi (riz) et nuomi (riz gluant). Dans ce qui va suivre, les * concernent les pratiques phytothérapeutiques chinoises.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif *, digestif *, tonique stomacal *, antidiarrhéique *, constipant
  • Diurétique *, éliminateur des toxines *, éliminateur de l’acide urique
  • Émollient, adoucissant
  • Tonique pulmonaire *
  • Hémostatique *
  • Antifongique *
  • Antisudoral *
  • Hypotenseur
  • Astringent léger
  • Nutritif, énergétique, reconstituant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée chronique, irritation et état inflammatoire des intestins, fermentation intestinale, inappétence *, mauvaise digestion *, dyspepsie, ulcère gastrique, intoxication alimentaire ou médicamenteuse *
  • Troubles de la sphère urinaire : azotémie *, chylurie *
  • Affections cutanées : intertrigo, érythème, excoriation, inflammation cutanée, contusion *, transpiration excessive *
  • Croissance, surmenage, convalescence
  • Hémoptysie *, saignement de nez *
  • Hépatite chronique *
  • Hypertension
  • Conjonctivite *
  • Maladies infectieuses et parasitaires : mycose *, filariose *
  • Mal de dos *

Modes d’emploi

  • Dans l’alimentation
  • Eau de riz
  • Décoction de grains
  • Cataplasme de grains cuits
  • Cataplasme de poudre de riz

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La poudre de riz, par son pouvoir dégraissant, ne s’adresse pas vraiment aux peaux sèches. Les peaux à tendance grasse en feront un usage raisonné du fait de sa capacité à assécher la peau.
  • Attention de ne pas confondre la poudre de riz, grains de riz broyés et pulvérisés, avec ce que l’on appelle improprement « poudre de riz », c’est-à-dire la poudre de rhizomes d’iris.
  • Le riz, constipant, se destine peu aux personnes dont les intestins s’exonèrent difficilement de leur contenu.
  • Le riz est contre-indiqué chez les diabétiques.
  • Le riz, s’il est pour nous un régal, l’est aussi pour le charançon du riz, un minuscule insecte de couleur brun rougeâtre dont la femelle pond des œufs à l’intérieur des grains. Les larves se développent en en mangeant le contenu puis deviennent adultes et se dissimulent dans les stocks de riz. Pour peu qu’on vienne à secouer un bocal de verre contenant du riz infiltré, on voit apparaître par dizaines ces insectes dont la couleur sombre tranche sur la blancheur du riz. Ce charançon colonise aussi les grains de blé, aussi, veillez à vos réserves (je parle en connaissance de cause, ayant été confronté à ces insectes il y a quelques semaines).
    _______________
    1. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 337.
    2. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 73.
    3. A ce sujet, Brillat-Savarin mentionne une information dans la Physiologie du goût qui pourrait laisser croire qu’il avait eu vent de l’inconvénient posé par le béribéri : « On a observé qu’une pareille nourriture amollit la fibre et le courage [nda : en cinghalais, béribéri signifie : « je ne peux pas, je ne peux pas »]. On en donne pour preuve les Indiens, qui vivent exclusivement de riz et qui sont soumis à quiconque a voulu les asservir » ( Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, p. 76).

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Paddy : grains de riz non débarrassés des glumelles qui les protègent.

Les cornouillers (Cornus sp.)

Cornouiller mâle (Cornus mas)

En Europe, il existe deux cornouillers majeurs, le Cornus mas et le Cornus sanguinea. Du temps de Théophraste, ces deux espèces étaient déjà distinguées par les noms de cornouiller mâle et de cornouiller femelle, comme s’il s’agissait de deux plantes issues de la même arborescence et que la dichotomie mâle/femelle s’expliquait nécessairement pour des raisons morphologiques. Du premier, l’on en a fait l’arbre de Mars car sa solide constitution (fleurs apparaissant en hiver, dureté de ses noyaux et de son bois) s’allie à la capacité et la ténacité de la corne, ce qui explique ses emplois multiples dans la fabrication d’objets pour lesquels on exige grande robustesse : manches d’outils, rayons de roues, tiges de fouets, etc. Mais il est surtout connu pour son caractère guerrier, puisque son bois si dur lui a valu le surnom de « bois de fer ». Aussi a-t-on employé le cornouiller mâle pour façonner des javelots, des corps de flèches, etc. Lorsque les Romains déclaraient la guerre, un prêtre se rendait à la frontière, tenant en mains « une javeline de cornouiller à la pointe durcie […]. Le choix du cornouiller sanguin symbolisait la mort sanglante qui allait fondre sur les ennemis » (1). Ce qui semble être une confusion, puisque comme le précise Théophraste, le bois du cornouiller femelle, trop tendre et trop lacuneux, n’est pas d’un emploi adapté pour en faire une arme. Ainsi, prêter au cornouiller sanguin un statut guerrier, c’est faire à cet arbuste, dont on a fait peu de (bonnes) choses, un mauvais procès. A moins qu’il s’agisse du cornouiller mâle, arbre régissant Jupiter car considéré comme de bon augure, « force vivante du sang et des influences bénéfiques » (2), le même qui constitua le javelot que Romulus propulsa sur le mont Palatin. Malgré ces incertitudes, il n’en demeure pas moins que le cornouiller mâle est d’essence guerrière, c’est de lui dont se servirent les soldats grecs lors du siège de Troie pour construire le cheval du même nom. Il est également possible de penser que des caractères propres à chacun de ces deux végétaux ont été fusionnés. En réalité, tout les oppose. Le cornouiller mâle, grand arbuste ou petit arbre, peut atteindre douze mètres de hauteur, le cornouiller sanguin trois fois moins. Le premier porte des branches ascendantes, le second des rameaux pleureurs. Le mâle donne naissance à des baies comestibles et délicieuses, le femelle à de petites billes noirâtres et amères dont on aurait bien voulu faire un poison. Les fleurs du cornouiller mâle, bravant les froids hivernaux, apparaissent avant les feuilles, tandis que c’est l’inverse pour le cornouiller sanguin. Ici, le masculin Cornus mas contraste avec force avec le féminin Cornus sanguinea ou sanguinaire, bois puant, bois punais, puègne blanche (l’odeur désagréable de ses fleurs, de son écorce et de sa racine surtout ne l’a pas aidé). Si le Cornus mas, fier et altier, ne présente aucun risque, c’est sur le Cornus sanguinea que vont peser tous les doutes, toutes les accusations… Il faut dire que le cornouiller femelle possède des caractéristiques physiques (des rameaux rouge sang, des feuilles qui virent, à l’automne, à une couleur lie-de-vin) qui auront tôt fait d’attirer sur lui des regards inquiets, à tel point que le sang marquera jusqu’au nom latin de cet arbuste (et même ses noms vernaculaires : sanguin, sanguine, sanguina en Italie, etc.), et que l’on aura cherché en lui tout pour déplaire : il est l’arbuste en lequel fut changé le Polydore de Virgile, un arbre dont on dit qu’il coule du sang lorsqu’on en détache une branche, mais qui fournit aussi la flûte magique trahissant le secret de la mort du héros assassiné… Poussant spontanément du tombeau, le cornouiller femelle est rapidement devenu « un arbre maudit que l’on ne permet point d’introduire dans les églises » (3). Dans les campagnes, des bruits saugrenus courent à propos du cornouiller femelle : « les propriétaires de bestiaux interdirent aux bergers en charge de leurs troupeaux de frapper les brebis avec du bois de cornouiller de peur qu’elles n’aient un coup de sang ! » (4). Certains eurent même l’audace d’affirmer qu’à « cause du poison, ou sang, ou suc qu’on en tire, on l’appelle arbre des sorcières » (5). Pierre de Lancre (1553-1631), bien connu pour avoir exercé les fonctions de chasseur de sorcières au Pays basque, rapportera que les graines et l’écorce du cornouiller sanguin, mélangées à des crapauds, entraient dans la composition de « poisons »… Tout au plus pouvons-nous faire remarquer que les petites baies rondes et charnues de cet arbuste, loin d’être toxiques, sont simplement incomestibles. Consommées en grande quantité, elles occasionnent parfois une irritation de la muqueuse gastrique, accompagnée de vomissement, diarrhée et gastro-entérite, pas de quoi en faire un suppôt de Satan. La réputation faite à ce cornouiller provoquera même un clivage net entre les deux espèces d’un point de vue médical, et cela apparaît clairement dans l’œuvre d’Hildegarde de Bingen qui les connaît tous les deux. Elle affirme au sujet du cornouiller mâle (Erlizbaum) qu’il « purge et réconforte l’estomac, que l’on soit malade ou bien portant […] Il est utile à la santé de l’homme » (6), alors que le cornouiller femelle (Hartbrogeld) n’a que « peu d’utilité pour l’homme, car il ne le fait pas grandir, ne lui apporte ni force ni aliment. Il n’est pas utile non plus pour la médecine » (7). Notons encore que l’abbesse qualifiera le premier de chaud et le second de froid…
Le pire est que même si on jette un œil avant et après l’époque à laquelle vécut Hildegarde, du cornouiller femelle, rien n’est dit. L’on se concentre exclusivement sur le cornouiller mâle, comme par exemple chez Dioscoride : « Le cornouiller est un arbre dur qui produit un long fruit quasi semblable à l’olive, lequel est premièrement vert, puis en mûrissant il devient couleur de cire et finalement étant mûr, il est rouge. Mangé en viande, il est astringent, il restreint les flux du ventre et la dysenterie […] L’on le garde pour l’usage des viandes avec la saumure, comme on fait des olives » (8), chose que réitéreront Galien, Matthiole (il parle d’une confiture « propre aux dévoiements du ventre et pour restreindre le flux trop abondant des femmes »), Paul Contant (c’est un fruit qui « remédie aux violents efforts de la dysenterie »), jusqu’à Henri Leclerc lui-même dans les années 1920, reconnaissant les vertus toniques et astringentes du cornouiller mâle, la propriété fébrifuge de son écorce et antidiarrhéique de ses fruits, à la condition qu’ils soient consommés blets ou cuits.

Végétal de taille variable, le cornouiller mâle peut effectivement se classer parmi les arbres en raison du grand âge qu’il peut parfois atteindre (300 ans). Sa floraison intervient très tôt dans l’année, dès la fin de l’hiver, et pare ses rameaux sarmenteux, tétragones, à l’écorce verte et lisse quand ils sont jeunes, d’une multitude d’ombelles de petites fleurs jaunes courtement pédonculées, à la douce odeur, jusqu’au mois d’avril. Ses feuilles n’apparaissent qu’ensuite, ovales et pointues, opposées, brièvement pétiolées. Ses fruits ovoïdes, d’un ou deux centimètres de longueur, peuvent mûrir dès le mois d’août. Ils sont formés d’un gros noyaux recouvert d’une mince couche de chair, ce qui n’incite pas forcément à en faire un large usage.
Le cornouiller sanguin, lui, développe d’abord ses feuilles que portent des rameaux rouge sang, fonçant avec le temps. Ses feuilles, opposées, de forme elliptique, pétiolées et quasiment glabres, prennent, elles aussi à l’automne, une teinte rougeâtre. Sa floraison – des corymbes de fleurs blanches – est printanière et sa fructification se déroule à la même époque que celle du cornouiller mâle et forme des drupes de couleur bleu noir de 5 à 8 mm de diamètre.
Si ces deux cornouillers partagent parfois le même territoire, le cornouiller sanguin reste quand même beaucoup plus fréquent, le cornouiller mâle ne pouvant se contenter que de sols calcaires du sud de l’Europe. Ces deux espèces sont dites thermophiles et poussent à proximité des bois et des forêts de feuillus, dans les espaces rocailleux (C. mas), les haies, les friches, les pentes broussailleuses (C. sanguinea).

Cornouiller sanguin (Cornus sanguinea)

Les cornouillers en phytothérapie

Autant le dire tout de suite, ils y tiennent une place mineure. Aujourd’hui, le cornouiller sanguin est pratiquement exclu de la matière médicale, bien qu’autrefois on lui ait concédé quelque valeur en tant qu’astringent et fébrifuge, mais sans commune mesure avec ce dont sont capables des cornouillers américains comme le Cornus florida, excellent succédané du quinquina, et le Cornus excelsa, traditionnellement usité comme tonique et astringent. De plus, la théorie des signatures a sans doute desservi cette espèce : en effet, du fait de certaines caractéristiques morphologiques propres au cornouiller sanguin (couleur des rameaux, teinte des feuilles dès le mois d’août, nervures des feuilles), on a pensé en faire un remède pour tonifier les artères, abolir les défaillances cardiaques, mais il n’est rien de tout ça. Cela explique pourquoi le cornouiller mâle est celui dont on parle le plus en phytothérapie occidentale, et pour faire bonne mesure, nous lui adjoindrons un autre cornouiller, asiatique celui-là, le cornouiller officinal (Cornus officinalis) dont la phytothérapie chinoise se sert avec efficacité.
Du cornouiller mâle on use de l’écorce et des baies. Agréablement acidulées et aigrelettes lorsqu’elles sont bien mûres, les cornouilles recèlent de la vitamine C, des sucres (glucose, saccharose), de l’acide glyoxalique, ainsi qu’un abondant mucilage. Dans l’écorce, environ 8,50 % de tanin côtoient du malate de calcium et des matières pectiques. Quant aux fleurs, elles contiennent une substance dont nous avons déjà parlé (cf. marronnier d’Inde, châtaignier, argousier), la quercétine.
Au sujet du cornouiller officinal, seules les baies sont employées en raison de leurs saponines, tanin et glucoside iridoïde (verbénalide).

Note : ci-dessous, les (*) concernent cette dernière espèce.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringent (les deux)
  • Fébrifuge
  • Apaisant de la soif, rafraîchissant
  • Stimulant du système nerveux autonome (*)
  • Antisudoral (*)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, entérite
  • Troubles de la sphère urinaire : envie trop fréquente d’uriner (*), incontinence des personnes âgées (*)
  • Troubles de la sphère génitale : règles trop abondantes (les deux), perte séminale (*), éjaculation précoce (*), impuissance (*)
  • Fièvre ardente et/ou intermittente, adjuvant dans le paludisme
  • Douleurs dorsales (*), genoux douloureux (*)
  • Vertiges (*), sifflements d’oreilles (*)

Note : en médecine traditionnelle chinoise, le shanzhuyu réchauffe et revitalise l’énergie des méridiens des Reins et du Foie. Il est applicable à l’enfant dans les cas suivants : « reins faibles, fontanelle pas encore fermée, voix basse et faible, mental déficient, yeux légèrement révulsés, visage pâle » (9).

Modes d’emploi

  • Décoction d’écorce
  • Teinture-mère
  • Sirop, macération vineuse de baies
  • Confiture, rob, gelée

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les baies à l’automne, l’écorce des rameaux au printemps.
  • Alimentation : le fruit du cornouiller mâle est très apprécié en Allemagne où on le consomme cru ou cuit, confit au sel ou au vinaigre, ainsi qu’en Russie où on élabore le kisil, une gelée de cornouilles, en Turquie, en Arménie, etc. Les baies du cornouiller sanguin ne sont pas aussi attractives, bien que la cuisson les améliore un peu. On en fait alors des jus et des confitures.
  • Des baies du cornouiller sanguin on a parfois extrait une huile destinée à l’éclairage et à la savonnerie. Elles remplacèrent aussi le café en tant qu’ersatz. Quant au bois du cornouiller mâle, extrêmement solide et résistant comme nous avons eu l’occasion de le souligner, il a servi à la fabrication de cannes et de manches d’outils.
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    1. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 291.
    2. Ibidem.
    3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 284.
    4. Bernard Bertrand, L’herbier toxique, p. 88.
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 331.
    6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 180.
    7. Ibidem, p. 181.
    8. Dioscoride, Materia medica, Livre 1, chapitre 134.
    9. Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 69.

© Books of Dante – 2017

Les rameaux rouge sang du cornouiller sanguin.