L’adonis printanière (Adonis vernalis)

Adonis vernalis – © Christine Meinecke

Synonymes : œil de bœuf, œil du diable, faux hellébore noir.

Ceux qui me lisent avec attention se rappelleront sans doute que j’ai déjà évoqué à plusieurs endroits du blog le nom même d’Adonis : il apparaît dans pas loin d’une dizaine d’articles dont je ne vais pas transporter ici la substance. Pour faire court, Adonis, c’est ce beau jeune homme né des amours illicites de Myrrha avec son père, et dont s’éprennent autant Perséphone qu’Aphrodite (celle-là même qui, en passant, a insufflé l’incestueuse folie dans l’esprit de Myrrha). Les déesses se le chipotent comme deux chiens un os avant même que Zeus ne vienne mettre bon ordre dans ces enfantillages. Puis Adonis file le parfait amour avec ses deux amantes, jusqu’à ce qu’il fasse une douloureuse rencontre avec un sanglier. Il ne s’agit pourtant pas d’un banal accident, d’autant que c’est Adonis qui est à l’initiative de cette chasse. Durant l’Antiquité, le sanglier était considéré comme un adversaire valeureux et redoutable (1), contrairement au cerf jugé lâche et peu courageux (ce symbolisme s’inverse au Moyen-Âge). Se mesurer à lui, par la chasse, « était le rituel obligé pour devenir un guerrier libre et adulte » (2). Selon les textes mythologiques, c’est Arès (ou bien Héphaïstos, voire Apollon) qui « pilote » ce sanglier, fort jaloux de l’attention que prodigue son amante envers celui qui incarne « la prime jeunesse et l’éternelle beauté ». La confrontation du jeune homme avec le sanglier, c’est aussi la nécessité d’abandonner le jeune âge de l’adolescence afin d’entrer dans celui de l’adulte. Mais preuve qu’Adonis n’y parvient pas, le courage du sanglier le surpasse et le terrasse. C’est là un exemple « de toute belle vie morte ou fanée avant d’avoir porté son fruit » (3). Mais là est le destin d’Adonis, qu’Aphrodite ensevelit sous un carré de laitues, tandis que du sang versé du héros naît une fleur qu’on a cherché à identifier clairement : cette plante serait la violette, l’anémone pulsatille, enfin l’adonis goutte-de-sang. Or, depuis quand l’adonis porte-t-elle le nom d’Adonis ? Cela ne remonte qu’au XVI ème siècle (quand elle est abordée sous l’angle thérapeutique, en premier lieu par Tragus, puis par Matthiole), la plante étant passée inaperçue durant toute l’Antiquité et le Moyen-Âge, où l’adônion des Anciens, une fleur phénicienne, ne peut en aucun cas être mise en rapport avec l’adonis telle qu’on la connaît aujourd’hui.

« Est-ce depuis ce jour que les adonides sont devenues vénéneuses, comme pour se venger de ce funeste destin ou pour montrer combien il faut se méfier d’une trop grande beauté, signe de malheur annoncé ? » (4). Euh… Non, soyons sérieux deux minutes. Sur la première suggestion, si l’on raccorde Adonis à l’adonis goutte-de-sang (l’adonis printanière n’est pas concernée, ses fleurs jaunes n’évoquent en aucun cas le sang), il importe de montrer que cette plante n’est que très faiblement toxique. De plus, l’adonis ne pourrait « devenir » toxique comme ça – pouf ! coup de baguette magique –, pour la simple et bonne raison que c’est la mort d’Adonis qui donne naissance à la fleur ; si cette dernière est jamais toxique – ce que la mythologie ne nous dit pas – alors elle l’est dès le départ. Quant à la seconde proposition, rappelons que l’extrême beauté d’Adonis souligne et exalte celle de la Nature au printemps. Il n’y a rien là de bien malheureux. Ce qui l’est, en revanche, c’est lorsqu’on injecte une espèce de romantisme sirupeux dans la mythologie. C’est là l’assuré moyen de ne plus en comprendre les valeurs profondes. C’est ce que l’on constatait déjà au IV ème siècle avant J.-C., Aristophane n’hésitant pas à se moquer ouvertement de la tournure qu’avait emprunté le culte d’Adonis en Grèce : prévoir de pleurer abondamment la mort du bel Adonis était sans doute, sans le comprendre, un moyen sûr de mépriser une compréhension plus viscérale du mythe. « Ces contes charmants [NdA : c’est-à-dire Narcisse, Hyacinthe, Adonis. Remarquez que l’auteur utilise le mot conte, traduisant un amollissement du mythe.], qui narrent le destin de jeunes gens aimables mourant au printemps de la vie pour se transformer en fleurs printanières, ont vraisemblablement un arrière-plan fort sombre. Ils laissent entendre que, dans un passé lointain, des rites cruels étaient imposé » (5) : répandre le sang d’un sacrifice propitiatoire – sans doute humain – était très certainement envisagé comme un moyen d’amender la stérilité de la terre. Ancien dieu phénicien de la végétation, Adonis était aussi l’objet d’un culte chez les peuples sémitiques de l’empire babylonien sous le nom de Tammuz, amant d’Ishtar, déesse de la nature et de ses forces régénératrices. « Les Babyloniens s’adressaient à ce dieu-Père en le nommant par son titre, Adon, c’est-à-dire ‘Seigneur’. Les Grecs confondirent ce titre avec un nom propre qu’ils transformèrent en Adonis avant de leur emprunter à la fois ce dieu et sa tragique histoire vers le VII ème siècle avant J.-C. » (6). Très clairement, Adonis, alias Tammuz, est une divinité dont la mort « symbolise l’arrivée de l’été brûlant, de la sécheresse et de la pénurie de nourriture […]. Il ressuscite, cependant, au début de chaque printemps […]. Son retour symbolise le renouveau de la vie et la réapparition de l’abondance » (7). En Mésopotamie, c’était un dieu de première importance, en Grèce il n’est plus qu’un minet mortel pour jeunes filles qui se l’arrachent comme des groupies feraient d’une rock-star. Là, on se dit qu’on a forcément paumé un truc en chemin. Les pleureuses d’Adonis, dont se gausse Aristophane, devaient être à mille lieues de la figure babylonienne de Tammuz. En attendant, le choix de l’adonis goutte-de-sang est heureux puisque cette plante messicole est annuelle. Ainsi, chaque année, tout comme le coquelicot, elle réaffirme sa présence dans les champs de céréales par l’incarnat de ses petits corolles solitaires, ordinairement noires en leur centre. Cette petite plante apprécie rien moins que les stations très chaudes (l’espèce est thermophile, ce qui renforce davantage le lien avec Adonis, plus encore avec Tammuz) et mérite donc son surnom d’adonis d’été, fleurissant essentiellement en juin et en juillet.

Aussi fréquente que l’adonis printanière est devenue rare (voire très rare), l’adonis goutte-de-sang (alias œil de faisan, œil de perdrix, sang de Vénus – tiens donc ! –, rubiscant, etc.) est une plante peu ramifiée d’un demi-mètre de hauteur, dont les feuilles basales pétiolées et les supérieures qui ne le sont pas, toutes doublement divisées, lui donnent une allure de camomille.

Terminons-en maintenant avec quelques données botaniques qui concernent l’adonis du printemps. Vivace, peu élevée (10 à 30 cm), cette plante aux tiges écailleuses et glabres, porte des feuilles linéaires très découpées de couleur vert clair, qu’escamotent de grandes fleurs solitaires (4 à 8 cm) aux pétales jaune doré brillant paraissant dès le mois d’avril, non sans beauté mais totalement dénuées de nectar.

Sa plus grande aire de répartition demeure extra-métropolitaine (Europe centrale, Europe sud-orientale), tandis qu’en France elle reste très localisée à l’Alsace, aux Causses cévenols, aux hautes vallées pyrénéennes dont l’altitude est comprise entre 1200 et 2400 m.

Elle apprécie les terrains secs, ensoleillés, caillouteux et principalement calcaires, comme les éboulis de montagne, les pentes rocailleuses, l’abord des bois de pins, les prairies et les collines sèches. En France, elle bénéficie, parce que menacée, d’un statut de protection par l’arrêté du 12 janvier 1982, ce qui est fort heureux, puisque dans les années 1970 certains botanistes appelaient déjà à la nécessité de sa protection.

L’adonis printanière en phytothérapie

Cette plante inodore ne dit rien de son statut de succédané de la digitale, pour lequel il importe de préciser que sa toxicité, bien moins marquée, est tout à fait différente, l’action générale de cette plante ayant le précieux avantage d’être moins brutale que celle de la grande pourpre. Reconnue sur le tard, l’adonis a surtout joui de l’intérêt scientifique qu’on lui a porté dans les années 1880 en Russie, après avoir été pendant longtemps utilisée empiriquement par les populations slaves, jusqu’à ce que Bubnow ne déclare pour la première fois l’action de l’adonis sur la sphère cardiaque. De cette activité est responsable un cardénolide, plus précisément un glycoside cardiotonique, l’adonidoside, agissant « sur le cœur et les muscles lisses des vaisseaux et de l’intestin » (8), isolé en 1927, de même que son comparse, l’adonidoverdoside, substance « active sur le système nerveux central comme calmant et sur la sécrétion urinaire qu’il favorise à faible dose » (9). Mais cette plante ne saurait se réduire à ces deux seuls éléments, qu’autrefois l’on réunissait indistinctement sous le nom d’adonidine. Pour rappeler la parenté de l’adonis avec les anémones, il est utile de mentionner que dans l’adonis l’on trouve de la protoanémonine, de même que l’acide aconitique rappelle quel grand cousin l’adonis possède dans son parentage. En complément de tout ceci, signalons encore la présence de divers glucides (adonite, dextrine, fructose, amidon…), protéines (albumine), matières grasses (acides linoléique et palmitique) et résineuses. Nous y trouvons encore de la choline, un pigment au moins, et du ribitol (ou adonitol), c’est-à-dire un pentose alcool.

Propriétés thérapeutiques

  • Cardiotonique, sédative cardiaque, calmante de l’éréthisme cardiaque, régulatrice circulatoire, hypertensive (Oui ou non ? L’on a beaucoup débattu sur la question…), éliminatrice des toxines dans les cardiopathies infectieuses ou chroniques
  • Contractante vasculaire et musculaire
  • Diurétique puissante, éliminatrice de l’urée et des chlorures
  • Adjuvante respiratoire, expectorante
  • Anti-épileptique (?)

Pour apporter davantage de précisions sur l’action réelle de l’adonis sur le cœur, citons le docteur Leclerc : « A la suite de l’absorption de l’adonis ou de son principe actif, on constate une excitation du système accélérateur et inhibiteur du cœur et des effets modérateurs sur la fibre cardiaque : sous cette triple action, le cœur ralentit ses mouvements, diminue de volume et renforce son tonus » (10).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : insuffisance et faiblesse cardiaque, insuffisance mitrale et aortique, éréthisme cardiovasculaire, asthme cardiaque, dyspnée cardiaque, arythmie cardiaque, palpitations, tachycardie extrasystole, myocardite, péricardite, endocardite, douleur précordiale, angor, artériosclérose, tension artérielle faible, spasmes artériels, varice (?), troubles cardiaques des maladies infectieuses (grippe, typhoïde, variole…)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : insuffisance rénale, mal de Bright, néphrite chronique (propre aux cardio-rénaux), urémie, hydropisie par affaiblissement des organes urinaires, œdème des membres inférieurs, rétention d’eau, obésité, perte de poids (la favoriser et faire disparaître les symptômes pathologiques accompagnant l’obésité), rhumatisme
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, dyspnée, essoufflement
  • Chorée (?), épilepsie (?)

Note : une fois de plus, l’on voit se dessiner clairement le couple reins/cœur et les interrelations qui unissent l’un à l’autre. En médecine traditionnelle chinoise, les méridiens du Rein et de la Vessie sont gouvernés par l’élément Eau, alors que celui du Cœur est régi par le Feu. Selon la loi d’inhibition, l’Eau contrôle le Feu, et il est vrai qu’on s’est souvent aperçu et préoccupé de l’action diurétique des plantes à visée cardio-rénale avant même de prendre conscience des actions qu’elles pouvaient porter sur la sphère cardiaque. Une plante diurétique, aqueuse donc, supprimant de l’organisme certaines substances indésirables, agit donc indirectement sur le cœur, le débarrassant des déchets organiques qui entravent son bon fonctionnement. Cela explique pourquoi il faut boire beaucoup durant un épisode grippal par exemple.

Modes d’emploi

  • Infusion de la plante fraîche (sommités fleuries) à 2 % maximum.
  • Décoction de la plante fraîche (sommités fleuries).
  • Macération à froid de la plante fraîche.
  • Extrait fluide de la plante fraîche.
  • Extrait aqueux de la plante fraîche.
  • Suc frais.
  • Teinture alcoolique (compter 10 gouttes par prise, 5 à 6 fois par jour).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les sommités fleuries se cueillent à pleine floraison, soit durant les trois mois printaniers que sont avril, mai et juin. Elles doivent être utilisées immédiatement fraîches si l’on souhaite leur conserver l’intégralité de leurs vertus. Si la dessiccation tend à amender la plante de son potentiel toxique, elle supprime dans le même temps les pouvoirs diurétiques de l’adonis.
  • Toxicité : les différents modes d’emploi listés plus haut cherchèrent avant tout à tirer partie de la valeur thérapeutique de l’adonis sans s’attirer les foudres de la toxicité bien réelle de cette plante. Nombreux furent les praticiens à patiemment réfléchir sur la balance bénéfices/risques la plus équilibrée. Par exemple, par expérience, on en est parvenu à rendre compte du fait – qu’à amertume également partagée – la teinture alcoolique d’adonis passait pour moins toxique que l’infusion, une assertion à laquelle on ne peut que souscrire. Bien sûr, comme c’est le cas pour toute chose que l’on observe, aussi bien une substance étiquetée comme poison qu’une autre passant pour plus anodine mais qui n’en est pas moins traîtreusement insidieuse comme le sucre –, d’excessives doses d’adonis ne pourraient pas faire autre chose que de conduire les gens au cimetière. Voyons voir : tout d’abord surviennent de graves troubles digestifs, non seulement l’on vomit mais l’on est pris de colique et de diarrhée, lesquelles peuvent être sanglantes, signalant par là une hémorragie intestinale. En plus de cela, la diurèse s’emballe avant de précéder un atonique état d’anurie. Puis viennent des phénomènes convulsifs, de la dyspnée, le tout s’achevant par une accélération du cœur, laissant finalement place à son ralentissement.
  • Malgré toutes ces potentielles « menaces », (je reste persuadé qu’une plante reste toxique uniquement parce qu’on s’y prend comme des pieds avec elle), l’adonis possède de très sérieux atouts qui l’ont fait préférer à d’autres cardiotoniques différemment énergiques (la digitale, le muguet, le laurier-rose…). Tout d’abord, elle n’occasionne aucun trouble des organes digestifs par son absorption (quand elle est mesurée, bien entendu !). Au contraire de la digitale, les principes actifs de l’adonis ne s’accumulent pas dans l’organisme. Enfin, l’adonis ne provoque aucun phénomène d’accoutumance et n’épuise pas son action par un emploi prolongé.
  • Association : autrefois l’on associait l’adonis au strophantus (Strophantus gratus), mais elle trouvera meilleure mesure en compagnie de l’aubépine.
  • Autres espèces : les adonis rouges : l’adonis goutte-de-sang (A. aestivalis), l’adonis couleur-de-feu (A. flammea), l’adonis à petits fruits (A. microcarpa). Les adonis jaunes : l’adonis des Pyrénées (A. pyrenaïca), l’adonis distorte (A. distorta), la rose jaune de montagne (A. cyllenea), l’adonis de Sibérie (A. sibirica), l’adonis de la Volga (A. volgensis), l’adonis de l’Amour (A. amurensis) qui doit son nom non pas à Aphrodite, mais à ce fleuve asiatique formant sur plusieurs centaines de kilomètres une frontière naturelle entre la Chine et la Russie.

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  1. Sans distinction, l’on dit que sanglier et porc sont deux animaux emblématiques du Mal et des pulsions criminelles. Encore n’est-ce là qu’une vision assez propre à la tradition chrétienne tardive. Le sanglier, « on le désigne parfois comme un porc et c’est bien sous cet aspect qu’il faut voir les significations obscures de l’animal : autant est noble le symbolisme du sanglier, autant est vile celui du porc » (Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 845).
  2. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen-Âge, p. 81.
  3. Edith Hamilton, La mythologie, p. 384.
  4. Bernard Bertrand, L’herbier toxique, p. 48.
  5. Edith Hamilton, La mythologie, p. 111.
  6. Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 208.
  7. Wikipédia. Consulter l’article « Dumuzi ».
  8. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 51.
  9. Ibidem.
  10. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 339.

© Books of Dante – 2021

Adonis aestivalis – © Zeynel Cebeci

Matthew Wood : Sept herbes, les plantes comme enseignants

Dans ce livre, Matthew Wood (né en 1954) s’efforce d’établir des liens entre sept plantes (dont nous donnerons l’identité en fin d’article) et sept épisodes décrivant des situations psycho-émotionnelles particulières tirés de la Bible, plus précisément de la Genèse. Ces vécus psychiques et émotionnels, toujours d’actualité, très précisément décrits et décortiqués par l’auteur par le biais de multiples exemples tirés de sa propre pratique, entrent en relation avec la personnalité des sept plantes pour lesquelles il a opté. S’inspirant de la théorie des signatures et de son pionnier Paracelse (1493-1541), du père de l’homéopathie Samuel Hahnemann (1755-1843) et du docteur Edward Bach (1886-1936) entre autres, Matthew Wood explique comment les teintures-mères des sept plantes qu’il appelle « points de repère » permettent aux personnes affectées par les problématiques exposées dans les paraboles bibliques de se libérer des chaînes qui les entravent.

Je ne vous cache pas que c’est le titre de cet ouvrage ainsi que l’illustration de couverture qui ont en partie motivé l’acte d’acquisition. Cependant, des renseignements pris au sujet du sommaire de ce livre ont complété mon intention de départ, non seulement parce que certaines plantes m’étaient inconnues, mais aussi parce que d’autres, dont je n’ignorais pas l’existence et qui ne sont pas regardées comme médicinales en Europe (ou très peu), offrent ici un autre aperçu de l’étendue de leurs pouvoirs. Mais, sans plus attendre, voici la traduction que j’ai effectuée de la première partie de cet ouvrage, histoire de vous donner un avant-goût de la chose.

« La Nature brille comme une lumière du Saint-Esprit et ainsi cette lumière atteint l’homme, comme dans un rêve », Paracelse.

Un vieil herboriste indien du nord du Minnesota débuta la formation d’un jeune étudiant avec ces mots : « Tout ce que tu dois savoir sur la vie se trouve dans les forêts. Vas-y pour trouver tes réponses. »

La nature est un livre à propos de la vie. Les formes, les couleurs et les habitudes de croissance des plantes racontent les difficultés qu’elles ont rencontrées au cours de leur développement et la façon dont elles ont été surmontées. Les stress physiques causés par le manque ou le surplus de chaleur, de froid, de nutriments, de lumière du soleil, d’ombre, de vent et de pluie ont donné des formes précises aux plantes, en les individualisant les unes par rapport aux autres. Ces formes et qualités précisément articulées correspondent aux propriétés médicinales dévolues à l’herbe, car les qualités au sein de la plante sont aussi une expression des conditions qui l’ont formée.

Le même environnement qui a moulé la plante a également contribué à l’existence de l’organisme humain. Chaque organe du corps, avec sa fonction différente et son environnement interne, représente une réponse aux difficultés qui lui sont présentées par nature. L’organe dans son espace de vie est analogue à la plante dans le sien. Lorsque le corps est stressé au-delà de sa capacité d’auto-régénération, la plante qui correspond à la fonction perdue « enseignera » au corps à reprendre le travail, parce qu’elle remplit une fonction correspondante dans la nature.

Il y a une unité derrière les différentes activités de la vie, que ce soit dans la plante ou dans l’homme, qui ne peut être appelée que « personnalité ». Le caractère intrinsèque d’un être est son « pouvoir médicinal », comme diraient les Indiens, parce que c’est la personnalité qui représente la réponse réussie au stress environnemental. Ce n’est pas dans les « principes actifs » que la médecine moderne distille de la nature. Ceux-ci ne représentent que des fragments, et n’étant pas eux-mêmes entiers, ne peuvent pas restaurer l’organisme dans son intégralité. Quand le guérisseur indien pointa du doigt la forêt, il ne parlait pas d’un tas de produits chimiques, mais de traits de caractère que les plantes incarnent. Elles doivent aider un jeune sur le chemin de la vie.

La personnalité d’une plante peut être « lue » comme celle d’une personne. L’apparence physique et les qualités de son environnement naturel nous disent ce qu’est cette personnalité. Cette correspondance explique l’origine de l’ancienne « doctrine des signatures », l’idée selon laquelle chaque herbe possède un « signe » ou une « signature » pointant en direction de sa vertu médicinale. C’est aussi l’origine de la toute aussi ancienne « doctrine des semblables » exprimée dans la devise « les semblables soignent les semblables » [NdT : c’est-à-dire la très célèbre formulation similia similibus curentur]. Cela indique que l’herbe qui détient le remède est similaire à l’organe, le tissu ou la constitution sur lesquels elle agit. Elle peut même être similaire à l’expression de la maladie, puisque celle-ci aussi a une personnalité, adoptée de la « niche » dans laquelle elle existe.

Il y a aussi une correspondance entre nos émotions et l’environnement. En témoignage de cela, nous disons que nous nous sentons « brillants », « sombres », « chauds », « froids », et ainsi de suite, exprimant nos émotions dans des termes analogues au monde naturel. Il y a une correspondance entre nos émotions et les plantes. La plante qui a appris à faire face à une certaine expression du froid dans la nature sera également en mesure de guérir un semblable état émotionnel « froid ». Ainsi, les plantes peuvent « enseigner » nos émotions ainsi que notre corps.

Nos émotions à leur tour correspondent à nos organes corporels. Chaque émotion a un organe physique qui vibre, pour ainsi dire, quand cette émotion est active. Quand une émotion est bloquée, l’organe analogue devient sans vie, et enfin malade. La plante qui correspond à l’organe affecté correspond aussi à l’émotion qui l’anime, et restaurera les deux à la santé. Nous ne pouvons pas conserver notre santé physique sans la santé émotionnelle qui va avec. Les plantes sont des incarnations de processus qui correspondent à la fois aux expressions émotionnelles et physiques de la vie. Elles présentent des personnalités, des pensées et des sentiments complexes, aussi articulés que les nôtres, parfois plus. Elles peuvent être nos « enseignants » à la fois physiquement et intérieurement, et sont un moyen idéal pour l’éducation et la guérison.

Au sens le plus vaste, les plantes sont des représentations des problèmes de la vie humaine. Elles nous parlent dans la poésie de l’âme. Ce livre n’est pas destiné uniquement aux herboristes, mais à toute personne en voie de développement intérieur. Les leçons incarnées par les plantes sont universelles. L’utilisation d’herbes dans la thérapie est une autre prérogative pour ceux qui ont une volonté d’action dans cette direction.

Où commençons-nous notre voyage dans un sujet aussi étendu ? L’étudiant herboriste débutant est toujours submergé par l’énormité du champ [d’action]. Parce qu’il y a tant de plantes, nous devrons isoler quelques points critiques dans l’organisme humain et trouver des herbes qui leur correspondent. Dans ce livre, nous étudierons sept articulations-clés importantes et complètes dans l’organisme humain, puis une série de plantes qui les incarnent.

Les articulations-clés présentées dans ce livre seront appelés les « sept points de repère ». Comprendre celles-ci et les sept herbes qui leur correspondent fournira la base d’une pratique saine des plantes, pour ceux qui en sont intéressés, et pour ceux qui ne le sont pas, une excursion dans les beaux mystères de l’humanité et de la Nature.

Dans la « Grand Medicine Society » des Ojibwés, ou Midewiwin, de la région du lac Supérieur, les élèves apprennent des connaissances en médecine et en herboristerie dans sept grades, dont chacun correspond à une plante qui incarne le pouvoir de médecine implicite dans la leçon de ce rang. L’identité de ces plantes est cachée et inaccessible au grand public. Certaines d’entre elles sont dangereuses. Certains de ces enseignements ont été oubliés, d’autres ne sont plus adaptés à notre époque et d’autres ne le sont que pour les Ojibwés. S’il n’y a pas d’étudiants appropriés, certaines connaissances peuvent disparaître de la tradition. Le contraire est également possible. S’il y a des élèves en dehors de la tradition qui conviennent à la réception de certains enseignements, une personne peut transmettre un héritage précieux à l’un d’entre eux. C’est mon lien avec la Grande Médecine. J’ai eu la chance de recevoir un héritage concernant l’utilisation des herbes guérisseuses. Lorsque cela s’est produit, les connaissances que j’avais absorbées au fil des années dans mon expérience de phytothérapie se sont réunies dans une organisation profonde. Sept des principales plantes de ma pratique se sont démarquées de diverses façons, jusqu’à ce qu’elles se combinent en une unité personnifiant les grands enseignements de la « voie de la médecine ». C’était un ensemble de plantes différentes de celles utilisées dans la Grande Médecine et j’ai exprimé les leçons qu’elles représentent par les mots de la culture occidentale, mais l’esprit demeure identique. C’est l’esprit qui nous murmure toujours les mystères et les défis inhérents à la condition humaine.

Seven Herbs. Plants as teachers est le premier livre de Matthew Wood qui me semble encore édité, mais qui est aussi disponible à l’état d’occasion assez facilement (j’ai acheté le mien dans cette condition à un bouquiniste français pour la modique somme de 10 €). Édité par North Atlantic Books (Berkeley, Californie) en 1987, il compte 128 pages, de format 23 x 15, en noir et blanc, ISBN : 0-938190-91-1, 8,95 $ à l’époque. Voici le site de l’auteur qui apporte des informations supplémentaires, ainsi que des liens vers ses autres ouvrages (une dizaine en tout) et parmi lesquels il en est quelques-uns qui se trouveraient bien d’être traduits en français, de même que ceux d’autres auteurs – je pense en l’occurrence à Wolf-Dieter Storl, à Christian Rätsch, etc. Mais bon, force est de constater que malheureusement des auteurs de cette qualité ne trouvent pas preneur auprès des éditeurs français et c’est bien dommage. Ceux qui se débrouillent bien en anglais pourront au moins tirer partie des ouvrages de Matthew Wood, qui a le mérite d’apporter un véritable souffle novateur (c’est ce qui m’évite de mourir de consomption, à l’image du poisson rouge qui n’a pas d’autre choix que de tourner en rond dans son bocal).

Voilà, voilà : plantes, émotions, Edward Bach, Hahnemann, Paracelse, médecine amérindienne, etc., cela fait beaucoup de mots-clés que l’affection que vous pouvez avoir pour l’un ou l’autre, peut motiver une saine lecture en compagnie de Matthew Wood dont la rencontre livresque me ravit et donne à mon début d’année 2021 une puissante impulsion.

Enfin, voici comme promis les sept plantes choisies par l’auteur, au regard desquelles je place les personnages des histoires bibliques correspondantes :

  1. Lis de Pâques (Lilium longiflorum) – Adam et Eve ;
  2. Yerba Santa (Eriodictyon californicum) – Caïn et Abel ;
  3. Iris versicolore (Iris versicolor) – Noé et l’Arche ;
  4. Armoise tridentée (Artemisa tridentata) – Abraham ;
  5. Oreille de chat (Calochortus tolmiei) – Isaac ;
  6. Actée noire (Cimicifuga racemosa) – Jacob ;
  7. Sabot de Vénus (Cypipedium calceolus) – Joseph.

© Books of Dante – 2021

Le lotus sacré (Nelumbo nucifera)

Il est de ces plantes dont on ne s’approche pas sans frémir, tant est prodigieusement nourrie l’aura sacrée qui les habille, et qu’il serait malséant de les aborder à la légère, c’est-à-dire dans un cadre peu propice à rendre compte de cette sacralité et de cette religiosité. De même que les sujets de l’empereur de Chine ne lui adressaient jamais la parole en ne s’étant pas purifiés l’haleine à l’aide d’un ou deux clous de girofle qu’ils conservaient en bouche, je sens depuis longtemps que le lotus est bel et bien le type de plantes que les soins dont on les entoure doivent être scellés du plus profond respect, par une humilité qui n’est cependant pas marquée et enlaidie des singeries grotesques qu’on s’attache à observer, en Occident, dès lors qu’on accoste sur les rivages indistincts où croît cette plante mystérieuse qui, je l’ai depuis longtemps remarqué, cause en moi un effet assez similaire à celui que déclenche la rose, une plante qu’à ce jour je n’ai fait qu’effleurer, et qui occasionné en l’espace de plus d’une dizaine d’années de multiples sessions de prises de notes (et de tête, aussi !), et dont je n’ai jamais rien fait, finalement, tant la tâche me semble immense et minuscule ma capacité d’exprimer en quelques pages – bien insatisfaisantes et dérisoires – ce qu’est la Rose. Il n’est pas étonnant qu’une reine de son rang ne souhaite pas être approchée d’aussi près. Bien malin celui qui prétendra tout savoir et tout dire sur la rose ! Mais revenons-en au lotus, qui apparaît un peu comme le pendant oriental de cette fleur.

L’Europe occidentale ne connaît pas directement le lotus. Si, à un quelconque moment de son histoire, elle a été de façon plus ou moins subreptice mise en contact avec cette plante, c’est bien indirectement, et principalement par le biais des Grecs antiques, qui puisèrent largement en dehors du monde hellène, à la recherche et à la découverte des splendeurs que le monde connu d’alors pouvait bien recéler. L’épopée d’Alexandre le Grand est exemplaire à cet égard. C’est donc parce que le lotus n’est en aucun cas natif en Grèce qu’on l’y appelait « fève d’Égypte », afin de bien signaler sa nette appartenance à cette partie méridionale du monde. Produit d’importation, le lotus est devenu, en Grèce, ce à quoi on a bien voulu le réduire, c’est-à-dire une plante ornementale avec laquelle on confectionnait des guirlandes dont s’affublaient les convives lors des banquets. C’était aussi une fleur symbole de beauté, d’éloquence et capable du tour de force d’incarner tout à la fois l’amour (ne sont-ce point des lotus que tressent des jeunes filles à l’attention d’Hélène à l’occasion de son mariage avec Ménélas ?) et apte à diminuer les forces sexuelles. C’est du moins la réputation qu’on lui a taillé. En tous les cas, l’on n’a pas importé en Grèce ce en quoi le lotus est sacré en Égypte. Si l’on s’en réfère au seul Dioscoride, l’on n’apprend rien de cette dimension. Voici ce qu’il écrit au chapitre 99 du quatrième livre de la Materia medica : « Du lotus d’Égypte : il y a encore un lotus en Égypte, qui naît dans les champs où les rivières viennent à déborder. Ce lotus produit une tige pareille à celle des fèves, la fleur petite et blanche, semblable au lis, que l’on dit s’ouvrir au lever du soleil et à son coucher se resserrer, avec toute la tête sous l’eau, dont par après il ressort dehors. Sa tête est comme celle des pavots, mais plus grosse, au dedans de laquelle la graine y est semblable à celle du millet. Les Égyptiens la sèchent et en font du pain. Ce lotus a sa racine semblable à une pomme de coing, qui se mange en viande, crue comme cuite ». Hormis la propension à l’héliotropisme de cette plante, l’on n’a pas grand-chose à se glisser sous la dent, comme, par exemple, au sujet des raisons qui poussèrent les Égyptiens de l’Antiquité à classer cette plante dans le groupe des végétaux sacrés. Nous apprend-il pourquoi le dieu Néfertoum était-il très fréquemment figuré sous l’apparence d’un jeune homme coiffé d’une fleur de lotus stylisée ? Non, mais venons-y. J’ai bien conscience que le texte établi par Dioscoride – du moins son traducteur du XVI ème siècle – est bancal, aussi, convions un personnage pour qui la botanique n’a plus de secret, j’ai nommé le docteur Joseph Roques : « La fleur du Nymphaea commence à sortir de l’eau lorsque le soleil paraît à l’horizon ; à midi, elle est élevée d’environ trois pouces au-dessus de sa surface. Sur les quatre heures du soir elle fait ses préparatifs pour la nuit, se ferme peu à peu, et rentre au coucher du soleil dans son habitation aquatique, où elle demeure jusqu’au lendemain » (1). Il n’en fallait pas davantage pour faire du lotus une plante éminemment solaire : en effet, dans la nature, les plantes associées à l’astre diurne sont celles qui donnent l’impression de suivre la course du soleil (tournesol, héliotrope, calendula) et ces autres qui s’ouvrent et se ferment selon un rythme circadien, l’ouverture de la fleur s’accompagnant généralement du développement de son parfum aux alentours (lors de la pollinisation, la fleur de lotus produit de la chaleur qui n’est sans doute pas étrangère à la diffusion de son parfum…), jusqu’à y voir l’organe même de son chant, comme le remarqua le philosophe Proclus (412-485) : « Quelle différence y a-t-il entre le mode humain de chanter en ouvrant et en fermant la bouche et les lèvres et celui du lotus qui déplie et replie ses pétales ? Ce sont là ses lèvres à lui, c’est là son chant naturel » (2).

En Égypte, le plus sacré des lotus se trouve être le bleu (3). « Suave et douce par son arôme, parfaite quant à sa forme, la fleur de lotus bleu fut considérée comme une véritable émanation divine » (4). Si le lotus passe pour une création céleste, le Soleil serait lui-même né d’un lotus pour les Égyptiens. Adoptant un symbolisme parallèle à celui du lis en Occident, le lotus est symbole de l’évolution spirituelle, mais aussi du souffle divin représenté par le parfum du lotus, largement abondant le long du Nil et « dont les pétales rappellent la forme que prend sous le vent la voile de la barque divine » (5). Surmontant cette croix de vie que l’on appelle ânkh, le lotus stylisé forme avec elle un symbole dont la puissance est parfaitement claire, suggérant la permanence de la source vitale, un pouvoir de génération, de régénérescence et de guérison également, rappelant par là que des bouquets composés comptant des lotus ornent certaines fresques tombales en Égypte, et qu’ils allaient même se loger jusque dans la vulve des femmes momifiées, sans doute dans une volonté de régénération, du moins de purification. C’est un phénomène non circonscrit à la seule Égypte : en Chine, le lotus d’or est considéré comme la « vulve archétypale », tandis que dans le tantrisme, les organes sexuels féminins sont assez souvent figurés par un lotus. Il est probable que les qualités aromatiques du lotus, doublées de la symbolique de renaissance qui le concerne, furent recherchées dans ce but, le lotus n’étant pas moins, en Égypte, une fleur qui accompagne toutes les étapes de la vie des hommes : « Cette plante est le vrai Lotus des Égyptiens. Elle est représentée sur les monnaies, tantôt naissante, tantôt épanouie. On la voit aussi sur la tête d’Osiris et autres divinités » (6), dont Amon entre autres. Elle est si profuse qu’elle est partout présente. Plus que symbole, le lotus est remède médical. En effet, sa racine rhizomateuse s’attaquant à celle des cheveux : à la lecture du Kosmètikon, l’on apprend que le lotus est invité à participer à des soins capillaires contre l’alopécie (la poudre de semences de lotus joue toujours ce rôle à l’heure actuelle). De plus, il représente une manne qu’offrent les bordures du Nil. Non seulement ses graines sont comestibles comme nous l’avons vu en abordant ce qu’en dit Dioscoride (Théophraste notifiait déjà ce fait au IV ème siècle avant J.-C. ; apprenons que la plupart des semences de lotus – le rose, le blanc, le tigré – se cuisinent), mais c’est également le cas des rhizomes qui étaient régulièrement consommés dans la vallée du Nil, de même que le renkon l’est toujours au Japon. L’adoration du peuple d’Égypte ne s’arrête pas qu’à ces « basses » conditions matérielles, les Égyptiens se livrant aussi à des pratiques qu’avait compilées Strabon et qu’Eugène Rimmel nous a rappelées dans son Livre des parfums : « Strabon raconte que beaucoup de lacs en Égypte étaient couverts d’une forêt de lotus roses, et qu’un des plus grands plaisirs des habitants était de pénétrer sous leur ombrage montés sur de légères gondoles nommes thalamèges. Là, couchés sur de moelleux coussins et abrités de l’ardeur du soleil, ils faisaient un délicieux repas de fèves de lotus, se servant des feuilles comme plats et des fleurs comme coupes » (7). A moins que le lotus rose (8), qui n’existe plus en Égypte, y ait alors atteint une taille monstrueuse, l’on ne peut que conclure à l’exagération de Strabon. En effet, comment un être humain pourrait-il bien s’abriter sous un lotus ? Sous un nénuphar, il n’y a guère qu’une grenouille qui puisse s’y abriter, très probablement pas un prince de l’ancienne Égypte. Debout, certainement pas ! Mais, effectivement, couché sur ces espèces de barges plates peu maniables et dont se servaient rarement les Égyptiens, c’est-à-dire ces thalamèges, il reste possible de profiter un peu de l’ombrage des larges feuilles du lotus rose qui, contrairement à nos nénuphars communs (nénuphar jaune et nymphéa), ne s’étalent pas à la surface des ondes, mais s’érigent, de même que leurs fleurs, bien au-dessus des eaux (c’est ce qui fait que le symbolisme des nénuphars diffère quelque peu de celui du lotus). Mais quand l’on apprend que le lotus peut extraire ses fleurs et ses feuilles hors de l’eau, et les percher parfois à un ou deux mètres de hauteur, l’on saisit rapidement que ces grandes feuilles d’un demi mètre, ces fleurs de la taille d’une tête humaine lorsqu’elles sont bien épanouies, puissent représenter un abri très satisfaisant et qu’il ne faille pas s’interroger plus longtemps en cherchant ce sur quoi Strabon aurait fait une erreur. On a invoqué le papyrus pour s’expliquer ce prodige, chose que l’on considère comme incroyable, parce qu’on laisse notre esprit s’embourber par la connaissance qu’il a du nénuphar, élément végétal le plus proche du lotus qu’on ait a notre disposition. Si l’on applique cela à ce que l’on imagine propre au lotus, l’on en conclura que le lotus, au fil de l’eau, ne serait pas bien capable de jouer le rôle d’ombrelle. Or, un à deux mètres, ce sont des données modernes, puisque le lotus est une espèce dont le jardinage a bien compris qu’elle pouvait se prêter à une culture en bassins, ce qui n’a certes rien de comparable avec le climat qui règne sous les latitudes égyptiennes (qui sait, peut-être bien que le lotus rose y était encore plus grand ?). Les lotus roses de l’étang de Fontmerle, dans les Alpes-Maritimes, donnent une petite idée de ce que peut représenter une masse végétale touffue dont la hauteur, bien qu’elle n’approche pas les deux mètres, permet sans doute d’y faufiler une petite barque plate que viendraient recouvrir des feuilles qui peuvent ici atteindre un mètre de diamètre ! Et les lotus jaunes d’Amérique (9) du parc floral de la ville de Vincennes apparaissent encore plus gigantesques ! Mais sous notre climat, une fois l’hiver venu, les parties vertes du lotus disparaissent, s’assèchent et forment alors de vastes étendues désolées, surfaces aqueuses desquelles émergent des tiges brunies qui peuvent difficilement rendre compte « de la perpétuation des naissances et des renaissances » (10), que l’attentive observation du lotus permet d’établir sans trop de difficulté. En effet, en observant consciencieusement le lotus dans son environnement naturel, l’on peut déceler en lui des valeurs, ici celle de prospérité promettant une postérité nombreuse (11). Cela va nous mener à élargir notre regard et à nous rendre ailleurs qu’en Égypte, où le lotus, dédié à Râ puis à Osiris, épouse du Nil qui dissimule les secrets des dieux, propage en Inde l’identique idée de création du monde : un lotus qui surnage sur les eaux en est la plus parfaite représentation. C’est alors qu’il se reposait entre deux cycles de création, qu’un lotus d’or émergea du nombril de Vishnu, duquel jaillit Brahma, le démiurge auquel on donne l’épithète Abjaja, « né du lotus », pour bien marquer sa corrélation très étroite avec le padma, c’est-à-dire le lotus rose et solaire, afin de le bien différencier du lotus bleu, utpala lunaire dédié à Shiva.

« O fleur, tu n’as pas germé de la rosée ni des gouttes de pluie

Et l’air ne s’est pas froissé au-dessus de toi :

La clarté divine t’a fait naître sur la tige la plus belle.

De ton ventre, une autre vie s’est produite,

De ton ventre, un nouveau soleil est né » (12)

Ainsi s’explique la naissance du monde selon la cosmologie indienne. « Poussant dans la vase des étangs et des lacs, puis croissant dans l’eau trouble pour fleurir au soleil à la surface, le lotus […] est un symbole répandu du processus de création et d’élévation spirituelle » (13), l’éveil et l’élévation marquant la conduite des âmes de l’indistinction des eaux principielles, du chaos et des ténèbres, jusqu’à la clarté de l’illumination, ce qui explique sans mal que le lotus fut choisi comme symbole par Bouddha, que l’on voit assis sur un lotus à huit pétales, signant la nature même de Bouddha non affecté par l’environnement bourbeux du Samsâra, de même que Lakshmî, ou en l’occurrence Padmâvâti, assez souvent représentée assise sur une fleur de lotus, les connexions intimes entre les légendes brahmaniques et bouddhiques étant très fortes.

Ainsi le lotus est-il cette sobre fleur se déployant au-dessus de la souillure du monde qui ne peut l’atteindre. Ce symbolisme est renforcé par une fonction organique propre à cette plante : le caractère superhydrophobe de ses feuilles se double d’une propriété auto-nettoyante, c’est-à-dire qu’aucune impureté ne peut résider à leur surface. Et d’ailleurs, « les liens unissant les deux symboles – les Eaux et les Plantes – sont faciles à comprendre. Les eaux sont porteuses de germes, de tous les germes. La plante – rhizome, arbuste, fleur de lotus – exprime la manifestation du cosmos, l’apparition des formes » (14). S’établir fermement au-dessus des eaux est le signal du passage du nom manifesté (les germes, la latence, les laitances même) au symbole floral qui incarne la création et la manifestation cosmiques, ce qui a pris forme, c’est-à-dire figure et apparence d’une part, mais support même de la beauté d’autre part. Et, en effet, que le monde sans lotus serait laid ! « Ce n’est pas de l’eau, celle au milieu de laquelle ne poussent point de lotus ; ne sont point de ce lotus, ceux sur lesquels les abeilles ne vont point sucer le miel » (15). Indissociable de la beauté, le lotus est une fleur symboliquement omniprésente dans l’art bouddhiste. Il n’est qu’à considérer, par exemple, le plafond peint de mille lotus stylisés du temple Mînâkshî, dans le sud de l’Inde.

Mantra tantrique : On y peut lire ce très célèbre mantra, Om mani padme hum, qui signifie à peu près : « Salut au joyaux dans le lotus ».

Nous ne saurions conclure cette première partie sans nous rendre, tout comme Ulysse, au pays des Lotophages, c’est-à-dire « chez ce peuple qui n’a, pour tout mets, qu’une fleur ». Mais ces mangeurs de dattes ou fruits de miel contredisent quelque peu la nature florale du-dit mets. Ovide évoque-t-il ici la même plante qu’il décrit plus loin dans ce passage : « Non loin du lac pousse le lotus aquatique dont les fleurs, imitant la pourpre de Tyr, promettent une ample moisson de fruits » (16) ? La pourpre tyrienne, c’est une espèce de pigment rouge violacé tiré de gastéropodes appelés murex. Or, lorsqu’on le compare à la couleur des pétales de Nelumbo nucifera, c’est-à-dire le lotus rose, l’on ne peut qu’être dans l’obligation de constater la similitude chromatique qu’elle dessine avec cette pourpre tinctoriale dont parle Ovide. Quant à « l’ample moisson de fruits », peut-elle faire référence aux « têtes » de lotus dans lesquelles sont nichées les graines comestibles de cette plante ? Avoir traduit lôtos par lotus, n’est-ce point aventureux ? D’autant que ni « la graine du lotus d’eau, ni la pulpe de sa racine, ni aucun mets fourni par ce lotus, n’a jamais mérité le titre de fruit doux comme du miel » (17). Certes. Mais Ulysse et ses compagnons ne restent pas suffisamment longtemps au pays des Lotophages pour avoir le temps de leur chiper une ou deux recettes, comme ça, en passant, si jamais il est vrai qu’ils se délectèrent de lotus et non de jujubier comme on l’énonce avec évidence depuis au moins le temps de Théophraste. Mais en ce cas que faire des fleurs du jujubier, plante non aquatique qui plus est, dont le jaune est la couleur ? Ce qui est trompeur, c’est que le « lis rose du Nil » a aujourd’hui disparu du continent africain. Aussi, l’on s’est empêché de croire que le lôtos des Lotophages puisse être autre chose que le jujubier. Mais la complexité provient du fait que chez les auteurs grecs comme romains, le mot grec lôtos désigne aussi bien des arbres, des arbrisseaux, des herbes que des plantes aquatiques… Il en va de même à travers cet autre fragment, plus insignifiant, qui voit la transformation de la nymphe Lotis en cet arbre qu’on nomme lotos. Tout couvert d’écorce, il ne s’agit très certainement pas du « lotus des eaux » qu’évoque Ovide au Livre X des Métamorphoses. S’il est difficile de clairement désigner le lôtos des Lotophages – de même que la nature indistincte du moly qu’Hermès confie à Ulysse – il est clair que « les effets produits par le lotus disent assez que le fruit ainsi nommé par Homère est bien autre chose qu’une baie sucrée » (18). Qu’on s’en souvienne, Ulysse doit littéralement arracher certains de ses compagnons à ce que l’on peut considérer être un piège : la fleur de lotus « fait oublier la vie et ses peines », enlève jusqu’au souvenir du passé et supprime tout désir de rentrer chez soi, à l’image des eaux du Léthé ou de la déesse de l’oubli du même nom. Mais qu’offre-t-il en retour ? L’Odyssée demeure malheureusement muette sur ce point. Nous restons donc sur cet aveu d’échec : « Ils pleurèrent, tant était grand leur désir de se nourrir à jamais des fleurs au goût de miel » (19). Je ne suis pas certain qu’il faille absolument déterminer l’exacte identité botanique du lôtos des Lotophages, puisque cette rencontre précède le long épisode avec le cyclope Polyphème. On nage alors en plein fantastique, et il n’y a pas de raison pour que les plantes de l’Odyssée échappent à cette empreinte magique.

Le lotus sacré en phytothérapie

La grande proximité physique et symbolique du lotus avec les populations au sein desquelles émergea il y a des millénaires de cela la médecine traditionnelle chinoise, explique que les médecins chinois ne se soient pas livrés, à l’endroit du lotus, à un réductionnisme appauvrissant, tirant parti de la totalité des fractions végétales qu’offre cette plante : graine, feuille, fleur, rhizome, etc. Soyons synthétiques : selon la partie considérée, sa nature varie du tiède au frais. Ainsi, les fleurs sont-elles estampillées par la tiédeur, les rhizomes par la fraîcheur, tandis que les feuilles, plus proches de la surface des eaux, se caractérisent par leur neutralité. Il est normal que cette plante médicinale à large spectre soit impliquée dans le bon fonctionnement de multiples méridiens : concernant les cinq éléments (Eau, Bois, Feu, Terre et Métal), l’on peut remarquer que le lotus s’applique surtout aux méridiens de nature yin (Rein, Cœur, Foie, Poumons et Rate/Pancréas), au contraire de ceux marqués du sceau de l’énergie yang (Estomac).

On pourrait s’arrêter là et passer à la suite. Mais il me semble crucial de mentionner que l’activité thérapeutique du lotus rose ne tient pas à un fantasme (5000 années de médecine traditionnelle chinoise ne sauraient mentir). L’objectif des lignes qui viennent maintenant, c’est d’établir quelques données précises portant sur les principes actifs que les multiples études mondiales portant sur le lotus n’ont pas manqué de révéler.

Dans le rhizome, l’on croise une quantité non négligeable d’amidon (environ 30 %), des fibres, des sels minéraux et oligo-éléments (potassium, cuivre, manganèse, phosphore…), des vitamines (B1, B2, B3, B6, C), enfin de l’asparagine, un acide aminé. Les semences en contiennent également, ainsi que ceux qu’on appelle acides gras (saturés : palmitique, myristique ; mono et polyinsaturés : oléique, linolénique, linoléique), des phénols, au moins une saponine, enfin une pléthore de flavonoïdes que les semences partagent avec les feuilles (isorhamnétine, quercétine, isoquercétine, kaempférol, etc.). Sur la question des alcaloïdes présents dans les tissus du lotus, on en a découvert dans les feuilles, les graines et les rhizomes (nuciférine, nornuciférine, néférine, roémérine et armépavine).

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique général, tonique cérébral, régulateur et sédatif cérébral (le lotus calme l’esprit), neuroprotecteur (protecteur du système nerveux central), anti-stress, rééquilibrant du nerf vague et du système sympathique (Il n’est pas étonnant qu’il ait été choisi par l’hindouisme, le bouddhisme, etc. comme support de méditation et qu’on l’ait fait passer pour un anaphrodisiaque.)
  • Anti-infectieux : antiviral, antifongique, antibactérien
  • Immunomodulant
  • Expectorant, mucolytique
  • Tonique circulatoire, cardiotonique
  • Hépatoprotecteur
  • Analgésique, anti-inflammatoire
  • Astringent
  • Insecticide
  • Rafraîchissant
  • Anti-oxydant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée chronique, dysenterie, atonie gastrique, indigestion, nausée, vomissement, vomissement de sang, sang dans les selles, hémorragie gastrique
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : urines troubles et foncées, hématurie, cystite, lithiase rénale
  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe muco-purulent, toux rebelle
  • Troubles de la sphère gynécologique : pertes blanches, métrorragie, règles trop abondantes, risque de fausse couche
  • Troubles de la sphère génitale masculine : spermatorrhée, éjaculation précoce (chez les personnes nerveuses et inquiètes)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hypertension, palpitations, stases sanguines, saignements (nez, gencives)
  • Troubles oculaires : conjonctivite, yeux douloureux et/ou rougis
  • Troubles du système nerveux : nervosité, stress, irritabilité, insomnie, amélioration de la concentration et de la mémoire
  • Affections cutanées : furoncle, abcès, contusion, gerçure, allergie cutanée, plaie, écorchure, soin des peaux ternes et sensibles
  • Tête lourde, insolation
  • Fatigue, faiblesse, surmenage, épisodes fébriles (liés à maladies infectieuses)

Modes d’emploi

  • Décoction des semences ou des germes frais des semences.
  • Infusion des germes frais des semences.
  • Poudre : plusieurs parties du lotus sont pulvérisées puis mêlées à un véhicule adapté (eau, vin…) pour absorption per os ou bien application cutanée (dans de l’huile végétale de sésame, de nigelle noire, etc.). Les feuilles, les germes des semences, les réceptacles (c’est-à-dire les têtes qui ressemblent à des pommes d’arrosoir), les semences, les fleurs, etc. sont moulues et effectivement administrées de diverses manières. Par exemple, la poudre de fleurs séchées est mélangée à du vin, tandis que celle des semences peut être saupoudrée sur les aliments ou bien entrer dans de multiples recettes cosmétologiques à destination de la peau du visage, lui redonnant – oh ! comme c’est étonnant – son éclatante luminosité.
  • Cataplasme de fleurs fraîches, de rhizomes cuits, etc.
  • Suc de rhizome frais.

Autres informations

  • En Europe, il n’existe aucune espèce de lotus, toutes celles que l’on voit orner les jardins – qu’ils soient publics comme privés – ne sont que des produits d’importation plus ou moins bien acclimatés. Les plus proches parents des lotus se trouvent être le nénuphar jaune (Nuphar lutea) et le nymphéa (Nymphaea alba). Ce dernier, présent en Égypte, avait été qualifié de « lotus du Nil » par Hérodote. Il demeure très proche du lotus tigré d’Égypte (Nymphaea lotus) par l’aspect de ses fleurs blanches et immaculées, mais s’en distingue par les bordures dentelées de ses feuilles.
  • En cuisine : sans entrer dans les détails – un livre n’y suffirait sans doute pas – faisons la remarque que le lotus entre pour une bonne part dans les traditions gastronomiques de très nombreux pays, allant du Pakistan au Japon, tout en passant par les pays d’Asie du Sud-Est. Ce qui lui vaut un si considérable succès, c’est que, tout comme en médecine traditionnelle chinoise, la plupart des parties végétales du lotus sont comestibles : c’est du moins le cas des fleurs, des pédoncules, des feuilles lorsqu’elles sont encore jeunes, des graines débarrassées de leur germe amer, et enfin, des rhizomes. Fleurs et étamines peuvent se prêter à la simplicité d’une tisane ou aromatiser le thé. Les graines ou fèves de lotus se dégustent crues lorsqu’elles sont encore fraîches et dévêtues de leur tégument. L’on peut aussi les griller, les préparer à la manière du pop-corn, les cuire à l’eau et les réduire en purée si besoin est. Les rhizomes spongieux, dès lors qu’ils sont découpés en tranches, peuvent être cuisinés à la vapeur, bouillis, confits, sautés ou encore frits, selon leur diamètre et le nombre d’alvéoles qui se dessinent à l’intérieur (généralement de 5 à 11). L’on en extrait aussi une fécule qui prend sa part à différents potages et autres préparations. Quant aux pédoncules, c’est-à-dire les « tiges » portant les fleurs (et non les pétioles foliaires), bien qu’assez dénués de goût, leur croquant les fait apprécier dans des recettes où d’autres ingrédients se chargent de les relever. Dans cet article, vous trouverez de jolies informations concernant le lotus dans la cuisine vietnamienne.
  • En complément, un petit pdf illustré de quelques images : le lotus dans l’art.

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 144.
  2. Cité par Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 101.
  3. Le lotus bleu ou lotus sacré (Nymphaea caerulea) est une espèce indigène en Égypte. Improprement appelée « nénuphar bleu », cette plante, qui ne lasse pas de charmer par l’aura miraculeuse qui l’entoure de toutes parts, contient plusieurs alcaloïdes hallucinogènes dont l’aporphine.
  4. Wozny & Simoes, Parfums et cosmétique dans l’Égypte ancienne, p. 64.
  5. Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 166.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 145.
  7. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 41.
  8. Le lotus rose (ou lotus sacré, d’Inde, d’Orient, du Nil, etc.) n’est plus présent qu’en Extrême-Orient (Inde, Chine…). C’est lui qu’Hérodote appelait lis rose du Nil. Il existe plusieurs synonymes latins au Nelumbo nucifera qu’on lui accorde généralement : Nymphaea nelumbo, Nelumbium speciosum, Nelumbium nelumbo.
  9. Le lotus jaune (Nelumbo lutea) est botaniquement très proche de son cousin aux fleurs roses. Son aire de répartition s’étale du nord des États-Unis jusqu’au nord de l’Amérique du Sud, tout en passant par certaines localités d’Amérique centrale comme le Honduras.
  10. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 581.
  11. « Si une femme rêve qu’on lui offre un bouquet de fleurs de lotus cela signifie qu’elle aura beaucoup d’enfants ou de petits-enfants ; que son mari, à son égard, aura un regain d’amour et qu’elle va connaître une période prospère de sept ans aux moins », Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 149.
  12. Hildegarde de Bingen, La symphonie des harmonies célestes, De sancta Maria.
  13. David Fontana, Le nouveau langage secret des symboles, p. 46.
  14. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, pp. 286-287.
  15. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 209.
  16. Ovide, Les métamorphoses, Livre IX, p. 335.
  17. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 210.
  18. Ibidem.
  19. Edith Hamilton, La mythologie, p. 271.

© Books of Dante – 2021

La reine des prés (Filipendula ulmaria)

Synonymes : spirée, ulmaire, ormère, ormière, ornière, herbe aux abeilles, fleur des abeilles, grande potentille, vignette, barbe de chèvre, barbe de bouc, pied de bouc. L’on rencontre aussi belle des prés et reine des praiz dans des textes un peu anciens. En anglais, son nom le plus fréquent est meadow’s sweet (douceur des prés) et en allemand echtes mädesüss.

Aurait-on déjà remarqué le parfum des fleurs de la reine des prés, ainsi que, éventuellement, tout ou partie de ses propriétés thérapeutiques durant l’Antiquité gréco-romaine ? Je ne crois pas, cette plante étant inconnue des zones géographiques où officiaient la plupart des grands médecins propres à cette époque historique. Bien. Ne sait-on pas laissé dire qu’elle avait été, pour les Celtes, une plante sacrée ? Où ? Quand ? Comment ? Moi, je veux bien, mais en l’absence de toute preuve… En tous les cas, cela passe pour bien plus probable, la reine des prés cadrant davantage avec les territoires que foulèrent les Celtes. La proximité d’avec les marais tourbeux du centre de l’Europe, ça cadre effectivement beaucoup mieux qu’avec les maquis du sud exposés à griller en plein soleil.

Pour dénicher les traces écrites les plus anciennes relatives à la reine des prés, il faut attendre le Moyen-Âge, et encore n’ont-elles pas traits à ses vertus médicinales. Il paraît – cela sous-entend que je n’en suis pas certain – que l’Antiquité et le Moyen-Âge ont ceci de commun qu’à ces époques l’on utilisait les inflorescences blanc crème de la reine des prés dans un seul but ornemental. Aussi, en confectionnait-on des couronnes plus particulièrement employées durant les mariages, du fait de la symbolique virginale qu’on avait attribuée à ses fleurs. L’on n’est pas à une contradiction près…

C’est véritablement seulement à la Renaissance que l’on peut prétendre que les médecins utilisaient la reine des prés à des fins thérapeutiques. Mais en ce temps, la confusion entre filipendule, reine des prés et barbe de bouc est si forte que tout cela ne permet pas de bien rendre compte de l’exacte identité des plantes dont parle tel ou tel auteur. Il se pourrait donc bien que Rembert Dodoens, par exemple, ait bel et bien employé la reine des prés pour soigner la dysenterie, une plante qui interchangeait son nom avec ceux de filipendule et de barbe de bouc au gré des écrits des Anciens.

Épisodiquement citée çà et là (Léonard Fuchs, Hieronymus Bock, Jean de Gaddesden…), la reine des prés doit patienter jusqu’au XVIII ème siècle afin de pouvoir à nouveau faire parler d’elle, à travers, par exemple, les voix de Haller (1742) et de Gilibert (1792) : le premier voyait en elle un bon moyen de favoriser l’éruption dans les maladies infectieuses (rougeole et variole) ; quant au second, il disait tout le bien qu’il pensait de cette plante dans des cas de fièvre maligne, ce qui ne manqua pas d’offusquer Joseph Roques quelques décennies plus tard : « Les fièvres se compliquent de tant de manières […] qu’il faut autre chose que la reine des prés pour les guérir » (1). Dire cela de la reine des prés, l’un des précurseurs de l’aspirine, ah la la, comme c’est malheureux de la part de Joseph Roques qui ne se doutait pas un instant, lorsqu’il écrivit cette phrase, ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, en Allemagne. En effet, à peu près à la même époque (vers 1830), l’Allemand Carl Löwig mit en évidence la grande similitude constatable entre l’acide salicylique extrait du saule et l’acide spirique tiré de la reine des prés. Parallèlement, en France, l’on se préoccupa bien davantage de cette autre espèce végétale qu’est le saule blanc, plus que de cette « spirée ulmaire », pratiquement délaissée, voire oubliée, au début du XIX ème siècle, c’est-à-dire précisément (1829) au moment où un pharmacien français, Leroux, procéda à la découverte d’un principe actif contenu dans l’écorce du saule, la salicine. Dans le même temps, le Suisse Pagenstecher s’appliqua à distiller les fleurs de reine des prés et remarqua dans l’huile essentielle ainsi obtenue la présence d’aldéhyde salicique, un composé chimiquement très proche de la salicine. De fait, l’on s’interrogea : se pourrait-il que le saule et la reine des prés soient unis par des liens invisibles, la Nature les ayant dotés de vertus analogues ? Écoutons un peu ce que Jean-Marie Pelt pensait de tout cela : « L’invasion d’un pré par la spirée signifie que celui-ci devient marécageux et peu propice au pâturage. La spirée signe ainsi à sa manière son aptitude à vivre elle aussi les pieds mouillés ; dès lors, comment s’étonner, toujours selon l’énigmatique Théorie des Signatures, qu’elle contienne un corps apparenté à l’acide salicylique ? Ce que confirmèrent ses propriétés antirhumatismales, précisément celles qu’on avait de tout temps attribuées au saule » (2). En toute fin de XIX ème siècle, le chimiste allemand Hoffmann élabora, à partir d’acide salicylique, l’acide acétylsalicylique, jugé moins caustique. Puis, un grand laboratoire, Bayer, industrialisa et commercialisa cette nouvelle molécule sous le nom désormais bien connu d’aspirine, mot exactement construit sur le nom que portait alors la reine des prés, c’est-à-dire celui de spirée. Et tant pis pour les Français ! Ceux-ci explorèrent néanmoins d’autres voies offertes par la reine des prés. C’est le cas de Nicolas Théodore Obriot (1802-1858), un empirique cité par Fournier dans la notice que ce dernier consacre à la reine des prés : « Pour moi, qui ai commencé à en connaître les propriétés vers 1810, écrivait-il au Dr A. Bossu, elle est diurétique, sudorifique, vulnéraire, dessiccative et rafraîchissante ; efficace contre les hydropisies, utile pour les femmes au retour d’âge, utile encore dans les gastralgies et la goutte » (3). Bien vu pour un curé de campagne, officiant à Trémilly, en Haute-Marne, une commune ne comptant pas plus d’une centaine d’âmes aujourd’hui. Cette érudition trouva cependant son chemin, de proche en proche, puisque Bénédict Teissier (1813-1889), médecin-chef de l’Hôtel-Dieu de Lyon, s’assura, par expérimentation, de la véracité des dires du curé de Trémilly. Ainsi, au milieu du XIX ème siècle, la reine des prés renoua-t-elle avec le succès.

Ce qui donne un sentiment de discordance au sujet de cette plante, c’est que, d’un pays à l’autre, on l’observe selon un angle tout à fait différent. Nous avons déjà vu ce que ces approches différenciées avaient produit de par et d’autre du Rhin. Mais si l’on traverse plus qu’un fleuve, l’on peut être surpris à plus d’un titre. Passons donc outre la Manche pour nous installer quelques temps en terres britanniques. Au XVI ème siècle, celle qu’en latin l’on appelle regina prati – traduit par le queen of the meadow anglais – s’avère être une véritable plante royale, puisqu’une autre reine, et pas des moindres, Élisabeth 1er (1533-1603) « affectionnait particulièrement le parfum de la reine des prés, [tant que] le sol de ses appartements en étaient constamment jonchés de brassées entières » (4). Était-ce parce que « sa senteur remplit le cœur de bonheur et de joie et qu’elle ravit les sens » ? Ainsi étaient notifiées ses actions par John Gerard dans le monumental Herball or Generall historie of plantes de 1597. Quelques données qui auraient pu donner de bonnes idées au docteur Bach… Outre ces actions de la reine des prés sur la sphère psychique, John Gerard indiquait que l’eau distillée des fleurs versée dans les yeux en ôte le sentiment de brûlure et de démangeaison, tout en éclaircissant la vue, fort utile préconisation à une époque où le port des lunettes est très loin d’être généralisé à toute une population. Aussi, soulager les yeux avec différents bains à base de plantes est-il salvateur. Enfin, la racine bouillie, ou réduite en poudre, puis bue, aide aux flux de ventre, tant chez l’homme que chez la femme, ce que ne mésestimait pas un autre Anglais, Nicholas Culpeper, qui assura, lui aussi, après Gerard, que cette plante « bouillie dans le vin, […] soulage rapidement ceux qui souffrent de coliques, puisqu’elle retient le flux dans l’abdomen ».

La reine des prés est une plante qui appartient – qui l’eût cru ? – à la famille des Rosacées. C’est une vivace pérenne, un mot dans lequel pointe avec évidence la royauté qui nimbe toute entière cette plante, sweet queen of the meadow !

C’est par l’intermédiaire d’une souche souterraine rampante que se propage la reine des prés. Noueuse et épaisse, noirâtre au dehors, elle paraît emmaillotée de fibres brun rougeâtre. C’est d’elle qu’émergent chaque printemps des tiges dressées, roides et robustes, striées et sillonnées, irrégulièrement teintées de rouge vineux et de vert tendre, permettant à la plante d’atteindre à l’aise une hauteur d’1,5 m. Ses feuilles sont très particulières : outre qu’elles sont composées, elles s’organisent par paires de folioles alternativement grandes et petites et sont ponctuées par une foliole terminale tripartite beaucoup plus grande que les autres, tandis qu’à l’extrémité opposée, à la base même du pétiole, l’on peut constater l’existence de deux stipules latérales. Doublement dentées, les feuilles de la reine des prés lui ont valu le nom d’ulmaire, de par leur ressemblance avec celles de l’orme (Ulmus ; cf. l’article de la semaine dernière). Vert très lumineux au-dessus, duveteuses et blanchâtres sur leurs faces inférieures, les feuilles de la reine des prés contrastent vivement avec les tiges intégralement rouges qu’on lui voit parfois porter.

On lit de temps à autre que les fleurs sont structurées en corymbes, ce qui est assez inexact (mais moins que si l’on employait le mot ombelle). Il s’agit en fait de racèmes, un mot peu courant dont un équivalent plus commun est celui de grappe. D’apparence mousseuse, ces grappes de très nombreuses fleurs augmentent encore un effet visuel compact par une profusion d’étamines plus longues que les pétales. De couleur blanc crémeux, elles comptent généralement cinq pétales (mais sont parfois pourvues de six), et mesurent entre 4 et 8 mm de diamètre. Elles s’épanouissent de juin en août, mois estivaux durant lesquels, si elles fournissent un peu de pollen aux abeilles, ne leur accordent en revanche pas une seule once de nectar, ce qui contrevient quelque peu à son surnom d’herbe aux abeilles. Une fois que la floraison arrive à son terme, la reine des prés contourne ses fruits (formés de cinq à neuf carpelles spiralés) de telle manière qu’ils ne trouvent guère d’équivalent dans le monde végétal.

La reine des prés s’organise socialement en colonies assez denses présentes jusqu’à 1500 m d’altitude, mais ne s’aventurant pas en haute montagne, non plus qu’en région méditerranéenne.

Là où prend pied la reine des prés… « Au long des buissons, les chèvrefeuilles tordaient leurs brins en compagnie des clématites ; le sol humide des prés était jonché de veilleuses ; au fil de l’eau, les reines des prés penchaient leurs panicules à odeur d’amande, et de superbe tiges d’aconit bleu s’élançaient fièrement au-dessus des touffes plus humbles des eupatoires lilas et des salicaires pourprées » (5).

La reine des prés en phytothérapie

« L’odeur aromatique, pénétrante des fleurs, annonce des vertus médicinales qu’on n’a peut-être pas assez appréciées » (6). Ainsi parlait Joseph Roques il y a deux siècles, alors que la reine des prés était encore au creux de la vague. Celles-ci, qu’on rapproche par leurs actions de celles du sureau, s’en distinguent assurément par le parfum qui se concentre sous la forme d’une infime fraction d’essence aromatique (0,2 %), dont la distillation permet l’obtention d’une huile essentielle plus dense que l’eau, point commun qu’elle partage avec celle de gaulthérie couchée, en plus du parfum. Cette communauté olfactive signe des points communs également d’un point de vue thérapeutique, comme l’on peut légitimement s’en douter.

Parmi les molécules aromatiques que l’on trouve dans la plante fraîche (ainsi que dans son huile essentielle, laquelle est rarement produite, au profit de celle de gaulthérie, plus productive et rentable), remarquons tout d’abord la présence de cet ester, le salicylate de méthyle, puis de cet aldéhyde aromatique, l’aldéhyde salicylique, formant un couple moléculaire qui place l’essence de reine des prés selon un axe Eau/Feu. Bien sûr, il s’agit là des deux molécules les plus figurées chez la reine des prés, reste encore quelques strapontins qu’on déplie si besoin pour les fractions moléculaires qui s’invitent dans le grand bal de la reine des prés, c’est-à-dire des traces de vanilline, d’héliotropine, etc. De même que l’huile essentielle de gaulthérie – j’ai un bulletin d’analyse qui la concerne sous les yeux – n’est pas seulement constituée que de salicylate de méthyle (99,60 % ici !), mais compte une petite dizaine d’autres molécules qui se battent en duel pour les dernières miettes. C’est cette essence aromatique qui confère à l’eau dans laquelle on plonge la plante fraîche une odeur d’amande amère mâtinée d’un soupçon mielleux un peu acide. Mais pour que ce miracle olfactif se produise, il importe absolument de ne pas pas faire bouillir la reine des prés, puisque reine des prés bouillue, reine des prés foutue. L’on n’aurait pas idée de maltraiter une plante de son acabit. N’est-elle point reine après tout ? En effet, l’ébullition précipite le salicylate de méthyle, de même que la dessiccation de la plante convertit cette substance en acide salicylique et autres salicylates alcalins et alcalino-terreux.

Sur la question olfactive, l’on signale aussi que la racine de la reine des prés n’est pas tout à fait dénuée d’émanations parfumées, certaines sources mentionnant qu’elle n’est pas loin d’approcher l’odeur qui règne habituellement dans les cabinets dentaires. (Je ne crois pas là qu’il faille y voir une quelconque référence à l’eugénol tiré du clou de girofle, bien plutôt au synthol, communément associé à l’idée même du bain de bouche et étendant sa liste de prescriptions au domaine bucco-dentaire. Il contient de l’acide salicylique, ce qui ne saurait surprendre.) Quant aux feuilles, soit elles partagent avec les racines cette dernière flaveur, soit il leur arrive qu’on leur trouve celle du concombre, en particulier lorsqu’on vient à les froisser. Quant à la saveur de tout cela, c’est assez styptique et se rapproche du goût d’un chewing-gum de basse qualité. Pour finir, l’on peut dire là qu’il s’agit d’une « expérience olfactive et gustative peu commune, et pas des plus agréables, d’où l’on retire néanmoins des produits aux nombreuses vertus » (7). Ce dont il n’est pas permis de douter, surtout lorsqu’on se trouve face à face avec une plante qui recèle dans ses tissus d’aussi précieuses molécules que l’acide salicylique, la gaulthérine – un glucoside du salicylate de méthyle, ainsi qu’une ribambelle de flavonoïdes (spiraéoside, rutoside, hypéroside, kaempférol, etc.), une variable proportion de tanin, des éléments minéraux (fer, calcium, soufre), etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique efficace, rapide et radicale, activatrice de l’élimination des principes toxiques (acide urique, urée, chlorures), éliminatrice rénale de l’eau, dépurative, sédative des douleurs urinaires
  • Tonique gastrique, anti-acide gastrique et œsophagique, digestive, cholérétique, vermifuge (?)
  • Sudorifique légère, fébrifuge
  • Anti-inflammatoire, analgésique, antirhumatismale
  • Antispasmodique
  • Astringente, détersive, vulnéraire, cicatrisante
  • Tonique cardiaque (faible mais efficace)
  • Calmante, somnifère (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase rénale, lithiase urinaire, gravelle, néphrite, colique néphrétique, cystite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inflammation et irritation des voies intestinales, pyrosis, brûlure d’estomac, acidité gastrique et œsophagique (8), indigestion, diarrhée, diarrhée cholériforme, dysenterie, vomissements incoercibles
  • Troubles locomoteurs : arthrose, hydarthrose, arthrose avec gonflement articulaire, douleurs rhumatismales, musculaires et névralgiques, rhumatisme articulaire aigu, arthritisme, courbature, goutte
  • Infiltrations et rétentions liquidiennes : anasarque, œdème des membres inférieurs, hydropisie, hydropisie abdominale, ascite, épanchement séreux (avec ascite), obésité, pléthore, cellulite, adipose
  • États fébriles, grippe, refroidissement, sensibilité aux infections
  • Affections cutanées : cicatrisation difficile des plaies, détersion des plaies et des ulcères, plaie atone, coupure, brûlure, piqûre
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : artériosclérose, élimination des toxines au niveau cardiaque, hémorroïdes non fluentes, fistule annale
  • Insuffisance biliaire
  • Crachement de sang
  • Maux de tête, névralgie du trijumeau

Modes d’emploi

  • Décoction : qu’elle soit aqueuse ou vineuse, elle reste beaucoup plus adaptée aux parties dures que sont les racines, et surtout pas aux fleurs, partie beaucoup trop fragile, dont on a déjà fait plus qu’une allusion à la nécessité de ne pas les brutaliser. Venons-y.
  • Infusion de fleurs : elle ne peut s’envisager, qu’elle soit aqueuse ou vineuse, qu’à l’expresse condition que les fleurs fraîches de reine des prés ne soient pas mises en contact avec une eau dont la température excède 80 à 90° C. Écoutons les sages prescriptions de Botan qui préconisait de procéder avec la reine des prés comme on le fait avec le thé : « On verse sur les sommités d’ulmaire de l’eau à peine bouillante [NdA : frémissante], on laisse macérer et on boit froid, quand l’eau a bien incorporé les principes médicinaux de la plante » (9). Après une douzaine d’heures environ, l’on passe puis l’on exprime.
  • Macération à froid de fleurs fraîches dans du vin.
  • Eau-de-vie, teinture, alcoolature. Étant donné que l’action de la plante fraîche est supérieure à celle qui est séchée, l’on peut pallier à l’inconvénient consistant en l’absence de reine des prés fraîche à toutes les saisons de l’année, en élaborant une liqueur, par exemple. Voici donc une recette d’eau-de-vie de reine des prés : compter 100 g de sommités fleuries fraîches et ½ litre d’eau. Préparer une infusion de la plante comme cela a été expliqué plus haut. Une fois l’infusion totalement refroidie, ajouter 250 g d’alcool. Passer à travers un linge fin et conserver en flacon bouché. Absorber par petite dose (1 à 2 cuillerées à café) mêlée à un peu d’eau sucrée ou bien à une infusion de tilleul.
  • Sirop.
  • Poudre de sommités fleuries.
  • Cataplasme de feuilles fraîches ou de fleurs infusées.
  • Compresse d’infusion de feuilles fraîches.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles se cueillent en juillet et les fleurs avant leur complet épanouissement, ou bien lorsque la floraison a encore à peine débuté (les racèmes les plus sommitaux doivent encore être à l’état de boutons vert tendre). Voici une précision bien utile qui nous est contée par Thierry Thévenin : « si l’on coupe la sommité un peu bas, on veillera à ne pas laisser la tige creuse, sinon l’eau de pluie s’accumulera comme dans une paille et pourrira les racines. Des stations ont ainsi été stupidement décimées, alors qu’il aurait suffit de repasser et de recouper les tiges au ras du sol » pour éviter ce problème (10).
  • Séchage : bien qu’il est préférable d’user des fleurs à l’état frais, leur dessiccation est néanmoins possible. Une fois sèches, elles doivent, sans brunir, prendre une teinte blanc jaunâtre, conserver leur arôme et perdre une partie de leur parfum, alors que sur les feuilles sèches s’applique une couleur vert grisâtre. Dans tous les cas, le séchage de la reine des prés, plante aqueuse s’il en est, devra se dérouler à l’ombre, en un local bien aéré. En surveiller la progressive dessiccation s’avère indispensable. Une fois séchée, la reine des prés n’observera pas un délai de conservation de plus d’une année.
  • Les propriétés anti-inflammatoires de la reine des prés s’exercent de manière progressive. Afin d’abaisser la quantité de médicaments anti-inflammatoires et antalgiques issus de la chimie de synthèse et bien souvent trop agressifs avec l’organisme, l’on préconise la reine des prés en association avec le saule blanc et la gaulthérie, dont les profils biochimiques sont proches de ceux de la reine des prés. La gaulthérie renforce le potentiel anti-inflammatoire et antalgique de la reine des prés, tandis que le duo saule/reine des prés joue sur le terrain antirhumatismal, fébrifuge et anti grippal. D’autres associations sont encore possibles : reine des prés et bruyère pour conforter l’appareil urinaire ; reine des prés et primevère pour exercer une action douce sur la sphère cardiovasculaire et circulatoire ; reine des prés, frêne et cassis en apozème (un mot « savant » tiré du grec apozein qui veut tout simplement dire « faire bouillir » ; ça n’est jamais qu’une tisane qui n’a rien de bien sorcier dans son élaboration mais qui n’en reste pas moins puissante dans sa destination : ici, les troubles articulaires et rhumatismaux, entre autres).
  • Bien que bardée de qualités thérapeutiques indéniables, la reine des prés ne s’adresse pas aux personnes hypersensibles, voire intolérantes aux salicylates. Chaque médaille ayant son revers, on se gardera de faire de la reine des prés un usage intensif, puisqu’elle est susceptible de provoquer des troubles cardiaques, une inflammation des voies urinaires et possiblement de l’hématurie, c’est-à-dire une présence de sang dans les urines. En revanche, il est parfaitement certifié que la reine des prés ne fatigue pas l’estomac, n’attaquant pas les muqueuses gastro-intestinales et, contrairement aux produits que l’on a fait découler d’elle, ne fluidifie en aucun cas le sang.
  • Les fleurs de reine des prés procurent une saveur d’amande à l’hydromel. Mêlées à du vin blanc doux, elles lui attribuent presque des notes muscatées. « L’ulmaire, infusée dans le vin doux, vous le transformera à peu de frais en ‘Muscat’ sans étiquette mais non sans saveur » (11). Cet opportunisme est contraire à ce que professait Joseph Roques qui, de toute façon, abandonnait les succédanés (de thé, de café, etc.) aux gens peu exigeants. Il disait qu’« il se trouve des palais assez peu érudits pour y être trompés. Ces niaiseries sont pourtant consignées dans quelques ouvrages récents d’histoire naturelle » (12). Parfumer la bière, c’est là encore une autre des fonctions de la fleur de reine des prés. On peut opérer de même avec certains desserts (compotes, confitures) et élaborer des beignets selon le même procédé permettant d’obtenir des beignets de fleurs de sureau ou encore d’acacia.
  • Autres usages : les feuilles ainsi que les sommités fleuries offrent matière à teindre la laine d’un jaune franc et solide, tandis que le pigment brun de la racine fait de même sans qu’il soit besoin d’en passer par la très polluante étape du mordançage par l’alun. Enfin, l’huile essentielle extraite des boutons floraux fut autrefois employée en parfumerie.
  • Autres espèces : la barbe de chèvre ou reine des bois (Aruncus dioicus), la spirée à feuilles lisses (Sibiraea laevigata), la spirée à feuilles de saule (Spiraea salicifolia), la filipendule du Kamtchatka (Filipendula camtschatica), etc. Attardons nous un peu sur une autre filipendule assez fréquente en France, la spirée filipendule (Filipendula vulgaris) : « cette espèce est remarquable par sa racine formée de plusieurs tubérosités brunes, ovales, attachées et comme suspendues à des fils très déliés » (13). C’est ce que suggèrent, au reste, le mot anglais dropwort et le français filipendule, littéralement, provenant d’un filipendula, latin médiéval ayant émergé au XII ème siècle. Contrairement à la reine des prés dont ce sont les parties supérieures qui sont plébiscitées, l’on n’a accordé une importance qu’aux seules racines et rhizomes de cette autre filipendule ; il faut dire que la conformation de ses parties souterraines, sans qu’elle soit nécessairement un indice, a du frapper les esprits de nos prédécesseurs. Au début du XIX ème siècle, Roques reconnaissait l’inemploi dans lequel cette plante était tombée, mais ne s’en montrait pas moins (trop) septique par rapport aux faits médicaux dont on se serait autrefois vanté d’avoir obtenus par son entremise. Il est fort à parier que la racine de cette plante, riche de tanin, de divers flavonoïdes et d’acide salicylique, ne soit pas tout à fait dénuée d’effets. Il y a deux siècles, on « prétendait » que la filipendule vulgaire exerçait de bons effets sur la dysenterie, la leucorrhée, les hémorroïdes, les catarrhes vésicaux ainsi que la gravelle. Aujourd’hui, lui sont reconnues des propriétés anti-inflammatoire, analgésique, antirhumatismale et antipyrétique, ce qui la place dans une position très proche de sa « grande » sœur reine des prés. Ce qui en justifie l’emploi dans des troubles respiratoires, rénaux et gastro-intestinaux, pour nettoyer les plaies et apaiser les yeux douloureux. C’est là une plante qui, sans concurrencer la reine des prés, devrait exiger de notre part un peu plus d’effort pour nous intéresser à elle.

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  1. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 48.
  2. Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 17.
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 404.
  4. Erika Laïs, Le livre des simples, p. 132.
  5. André Theuriet, Sous-bois, pp. 24-25.
  6. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 47.
  7. Ute Künkele & Till R. Lohmeyer, Plantes médicinales, p. 236.
  8. De façon générale, la reine des prés réduit le taux d’acidité dans l’organisme. Sachant qu’elle pousse en milieu alcalin, c’est d’autant plus pertinent.
  9. F. F. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 170.
  10. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, pp. 253-255.
  11. Felix, Toman & Hisek, Le guide du promeneur dans la nature, p. 102.
  12. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 2, p. 48.
  13. Ibidem, p. 49.

© Books of Dante – 2021