La valériane

valériane

Je ne pense pas qu’une telle plante porte un pareil nom sans qu’on puisse arbitrairement faire appel à un prénom féminin avec lequel la valériane entretient bien des similitudes. De Valérie à valériane, il n’y a pas un pas, tant ces deux mots sont semblables. Cela signifie justement : je le vaux. Est-ce à dire que Valérie et valériane sont valeureuses ? Oui. Il s’agit, en elles deux, d’être fortes et courageuses.

A propos de la valériane, on dit parfois qu’elle était connue des Anciens. Pline mentionne déjà son influence salutaire, mais on ne sait pas vraiment s’il décrit la valériane dite officinale. C’est plus fréquemment qu’on la rencontre au Moyen-Âge dans les pharmacopées, quoi que tardivement, et pour des usages qui laissent penser qu’on aura peiné à déterminer les domaines électifs de la valériane d’un point de vue médicinal. Hildegarde de Bingen, qui la désigne sous le nom de penemarcha, la dit utile contre la pleurésie et la goutte. Mais là où elle remporte davantage de succès, c’est en sa qualité d’aphrodisiaque relatée par de multiples potions magiques, une attribution qu’elle conservera jusqu’en toute fin du Moyen-Âge. Ne dit-on pas qu’une décoction de racine dans du vin, partagée par l’homme et par la femme, suffisait amplement pour combattre vaillamment dans le camp de Vénus ? Par ailleurs, on trouve cette recette dans le Grand Albert : « Si tu veux qu’une femme se donne à toi, prends dans ta bouche de la valériane et embrasse celle que tu désires ; immédiatement, elle sera à toi. » Pourtant, l’odeur de punaise écrasée un peu musquée de la racine de valériane, sa saveur âcre et amère auraient dû en dissuader plus d’un ! La réputation aphrodisiaque de la valériane est d’autant plus étonnante, sinon douteuse, que cette plante aura joué le rôle « d’adjuvant utile du traitement bromuré » (1), bromure dont on sait bien qu’il est tout sauf aphrodisiaque.

C’est véritablement dès le début du XVI ème siècle que la valériane entame une nouvelle carrière. Par automédication, le médecin italien Fabius Columna guérit de l’épilepsie en 1592, puis au début du XVII ème siècle, un autre médecin italien, Dominique Panarole, fera de même auprès d’un patient qu’il débarrassera de cette maladie grâce à la racine de la valériane (là où d’autres remèdes, le crâne humain et le pied d’élan, furent inefficaces). A la même période, François le Boé note son action sur les convulsions et l’agitation nerveuse. On l’indique même contre la danse de Saint-Guy, étant établi qu’elle agit comme modératrice majeure du système cérébro-spinal, ainsi que comme antispasmodique. En dehors de ces qualités de premier ordre, la valériane est déclarée apéritive, diurétique, sudorifique, cardiaque, vulnéraire (Lémery, Schroeder, Matthiole, Horst…), alexipharmaque (propre à résister aux venins ; on pensait la valériane capable de traiter les morsures d’animaux venimeux). Elle aura aussi été fort appréciable pour les asthmatiques, les bronchitiques et les tousseurs (Culpeper). Puis, deux siècles plus tard, soit au XIX ème siècle, après que le siècle précédent ait vu de nombreuses monographies être publiées à son sujet, le désintéressement relatif pour la valériane s’amorce, en raison de l’essor de la pharmacie chimique. Quelques médecins travaillant encore à l’aide de la phytothérapie résistent dans ce contexte. Si la valériane est encore employée durant le Premier Empire pour suppléer à la rareté de la quinine, ce n’est que beaucoup plus tard, dans les années 1850-1860, qu’on la retrouve chez le docteur Cazin qui la dit essentiellement diurétique, donc à même d’abaisser la production d’urée, entre autres responsable des douloureuses crises de goutte (rappelons-nous que Hildegarde ne disait pas autre chose).
Au XX ème siècle, « la valériane est le remède de tous les désordres nerveux, depuis la plus simple insomnie jusqu’aux spasmes convulsifs » (2).

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La valériane en phytothérapie

Si l’on utilise principalement les racines, on fait accessoirement appel aux feuilles. Cultivée en plein champ, l’arrachage de la valériane a lieu durant la seconde année. On procède au nettoyage des racines qu’on fait ensuite sécher. C’est la dessiccation qui provoque une modification biochimique mais aussi odorante. C’est cela qui explique son surnom d’herbe à chat. « Les chats en particulier vouent un vif intérêt pour deux plantes courantes : Nepeta cataria et Valeriana officinalis. Le chat flaire la plante, s’excite progressivement, la lèche, la mâchonne, y frotte sa tête puis son corps, se roule sur lui-même et bondit en tout sens, complètement hors de lui ; cette sorte de transe agite l’animal une bonne dizaine de minutes et s’apparente à l’état d’excitation que connaissent les chats en période d’intense activité sexuelle » (3).

Propriétés et usages thérapeutiques

Puissante sédative du système nerveux, la valériane est indiquée dans les états d’hyperexcitabilité nerveuse et psychique. Étant de plus tranquillisante, myorelaxante, rééquilibrante et somnifère, c’est dans l’ensemble des affections suivantes qu’on peut préconiser la valériane : crises de nerfs, hystérie, mouvements convulsifs, crises épileptiques, agitation, excitation, stress, emballement, surmenage, anxiété, insomnie d’origine nerveuse, palpitations, tachycardie, spasmes (intestins, estomac), céphalées, sensation d’étouffement et de « boule dans la gorge », hoquet, angoisse, névrose… Enfin, vous l’avez compris, la valériane fait merveille dès lors qu’il y a agitation, spasmes et soubresauts intempestifs.
Au contraire, elle est aussi favorable aux personnes qui sont « à plat », c’est pourquoi elle est conseillée en cas de neurasthénie (un état incluant tristesse, déprime, fatigue…).
Les feuilles, quant à elles, s’appliquent en usage externe sur plaies, contusions, ulcères rebelles, varices et hématomes.

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : peu courante et assez chère, elle n’est pas d’un abord des plus aisés.
  • Teinture-mère : c’est sans doute le produit le plus adapté et le plus simple.

Vous pouvez aussi laisser macérer cent grammes de racine dans un litre d’eau pendant 30 à 45 mn, mais cela n’est clairement pas (plus) le meilleur mode d’administration.

Contre-indications

  • La valériane est réservée à l’adulte. On fera attention aux dosages (par exemple 20 gouttes de teinture-mère, trois fois par jour, dans un verre d’eau) sans quoi l’on peut observer des résultats inverses à ceux qui sont recherchés. D’autre part, un surdosage peut mener à une accoutumance (toxicomanie).
  • Selon les troubles visés, on peut associer la valériane aux plantes suivantes : le coquelicot, l’aubépine, la passiflore, le houblon, l’aspérule odorante, la ballote noire, le lotier corniculé.

D’un point de vue psycho-émotionnel

Les problèmes psychosomatiques ont maille à partir avec la valériane. Par exemple, l’anxiété et l’hypersensibilité peuvent trouver leur raison d’être dans une forme de hantise superstitieuse défaillante. On peut aussi, parfois, se sentir influencé par des forces invisibles, par une forme de sensibilité à certains facteurs extérieurs réels ou supposés comme, par exemple, les mouvements lunaires. Il est également possible d’observer des peurs diffuses et incontrôlables, une obsession de l’imagination qui rend l’endormissement difficile ou impossible, en raison d’un état d’hyperexcitabilité nerveuse. La valériane « fait partie des plantes yin du Bois, qui disperse l’énergie dans le méridien majeur de cet élément, le Foie. Elle permet donc au corps d’évacuer l’excès d’énergie qui perturbe le sommeil » (4) et donc la vie diurne.
Cela peut prendre également un tour plus pernicieux. Que l’on ait surnommé la valériane herbe à la meurtrie et herbe aux femmes battues ne doit rien au hasard : « On lui répète qu’elle ne vaut pas grand chose, on l’accuse de tous les maux de la création, on lui reproche des défauts qu’elle finit par s’attribuer à elle-même » (5). Tel est le portrait de la femme moderne pour laquelle un élixir de fleurs de valériane – la valeureuse et la courageuse – peut être d’une grande aide. Ne nous étonnons donc pas que le Moyen-Âge ait vu en elle une plante consolante.

En magie

Consolante, c’est bien le cas. On désignait par ce terme un groupe de plantes qui avaient pour vertu de rassurer et d’encourager son porteur. « Enfermée dans un sachet de toile suspendu au cou par un fil rouge, la valériane protège des démons » (6).
La valériane, parfois désignée sous le nom d’herbe à la femme sauvage (ce qui atteste une fois de plus son caractère yin et donc féminin) avait le pouvoir de chasser les elfes. Il semblerait aussi qu’elle ait eu une implication dans la divination, si l’on en croit ce qui se déroulait en Italie où l’on croyait en l’existence de valérianes mâles et femelles, et tel que le rapporte Angelo de Gubernatis dans sa Mythologie des plantes : « Les prétendus devins engagent […] ceux qui désirent apprendre la bonne aventure, à faire l’aumône au valérien et à la valériane » (7).

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Grande plante des lieux humides, la valériane se rencontre en colonies souvent densément peuplées. Vivace par son rhizome, elle porte une tige cannelée caractéristique surmontée d’un capitule de petites fleurs roses le plus couramment, blanchâtres parfois. En France, elle est fréquente, sauf en région méditerranéenne, et s’élève parfois jusqu’à 2000 m d’altitude.


1.Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 203
2.Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 948
3.Jean-Marie Pelt, Les vertus des plantes, p. 13
4.Philippe Maslo et Marie Borrel, Guérir par la médecine chinoise, p. 152
5.Bernard Vial, Affectif et plantes d’Amazonie, p. 36
6.Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 235
7.Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 367

© Books of Dante – 2015

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