Le polypode (Polypodium vulgare)

Synonymes : polypode du chêne, fougère douce, fougère réglisse, réglisse des bois, millepieds, herbe de gagne, etc.

L’Europe, malgré son climat, peut se targuer de posséder bien des variétés de fougères sur son territoire, bien moins que les zones tropicales, mais suffisamment assez et communes pour ne pas avoir été oubliées des Anciens. C’est donc sans surprise que nous retrouvons le polypode dans l’œuvre de Théophraste, de Pline, de Galien, de Celse et de Dioscoride entre autres. L’unanimité qui ressort des écrits de ces auteurs au sujet du polypode nous autorise à en faire le résumé suivant : cette fougère, cuite avec des bettes et de la mauve, est purgative et lâche doucement le ventre. Elle agit aussi sur l’expulsion de la bile, s’applique sur les luxations et les gerçures des doigts. Le Moyen-Âge corrobore ce tableau dressé par l’Antiquité : Hildegarde, bien qu’elle reconnaisse au Polypodium des vertus internes contre la fièvre tierce et pour purger l’estomac et les intestins, accorde plus d’importance à ses emplois externes contre gale, plaies, ulcères et démangeaisons, parce que, explique-t-elle, « la chaleur du polypode dessèche les humeurs mauvaises » (1). Un siècle après l’abbesse, Aldebrandin de Sienne réaffirmera les qualités purgatives de cette plante dont Joseph Roques dira beaucoup plus tard que son action est telle qu’elle n’excite que très modérément les muqueuses des voies intestinales.

Si nous avons récemment vu que l’aspérule odorante s’ébattait au sein des forêts de hêtres, le polypode, lui, voue une prédilection au chêne et au bouleau. Qu’une plante pousse au pied de ces deux arbres sacrés fut sans doute le signe pour les Celtes, les Slaves et les Germains que le polypode avait statut d’hôte divin. De plus, le polypode est animé par une caractéristique rarissime sous nos latitudes : il lui arrive d’être une plante épiphyte, c’est-à-dire poussant à même les vieilles branches creuses d’un arbre, en particulier si c’est un feuillu comme le sont chêne et bouleau. Imaginez un peu le respect qu’un tel spécimen juché sur un arbre sacré devait susciter ! Une dévotion aussi, qui devait placer le polypode à l’égal du gui, entre le Ciel et la Terre. Nul doute que cette plante devait être tenue en grande estime par les druides, car, comme l’explique Hildegarde, les fougères sont des plantes censées contenir la sagesse et donc la sapience, le savoir, qu’on localisa rapidement semble-t-il dans la « graine » de fougère, ces petits amas jaunâtres qu’on leur voit arborer sur le revers de leurs frondes, alignés en rangs serrés, dessinant le contour de la feuille avec une précision métronomique. Il va sans dire que le polypode aura tôt fait de glisser du domaine du sacré à celui de la magie. Tout un chacun pouvait se lancer à la recherche de la graine de fougère pour laquelle la nuit de la Saint-Jean est le moment capital pour ce faire. Mais que l’on prenne garde, car le polypode est une herbe qui écarte, c’est-à-dire qui égare, c’est pourquoi « on doit éviter de marcher sur plus de sept pieds de fougère lorsqu’on se promène en forêt. Ainsi ne risque-t-on pas de se perdre dans les bois » (2). De même, si on loupe le coche, que l’on passe devant elle sans la remarquer, on se perd à coup sûr. Il est donc nécessaire de veiller à bien ouvrir l’œil et prendre soin de ne pas poser les pieds n’importe où (c’est pour toutes ces raisons qu’en Thuringe elle porte le nom d’irrkraut). Tout danger écarté, l’on peut dès lors procéder à la récolte en pleine nuit. Mais c’est sans compter sur la perturbation du rituel par les esprits qui virevoltent autour du cueilleur, allant parfois jusqu’à le déséquilibrer, le heurtant violemment, afin de l’épouvanter et de lui faire renoncer à son projet. « La nuit de la Saint-Jean, avant minuit […] [on] voit en même temps une foule d’autres choses merveilleuses, par exemple, trois soleils, une lumière complète qui dévoile tous les objets, même les plus cachés ; on entend rire, on se sent appelé ; devant de tels spectacles, il ne faut pas s’effrayer : si on demeure tranquille, on apprendra tout ce qui arrive dans le monde et tout ce qui pourra encore arriver » (3). Oui, la graine de fougère recueillie durant la nuit magique de la Saint-Jean accorde à son possesseur le don de prophétie, ainsi que la connaissance des secrets, rendant possible, par exemple, la découverte de trésors : elle permet de dominer sur l’eau et sur la terre, de retrouver des animaux égarés, de se protéger lors d’épidémies et d’assurer la sécurité de la femme enceinte et du nouveau-né. « La tradition relative à la semence de fougère est universellement répandue, et pendant le Moyen-Âge, au temps où fleurissait la sorcellerie, on lui attribuait le pouvoir de résister à tous les charmes magiques » (4). Non seulement la graine de fougère rend invisible (son nom de walpurgiskraut explique l’usage qu’en faisaient les sorcières pour gagner l’invisibilité), mais fait fuir toutes forces magiques (envoûtement, visions effrayantes, etc.) et favorise la chance, d’où son nom d’herbe de gagne. La puissante attraction que représentait la graine de fougère fut telle qu’en 1612 le synode de Ferrare en vint à en interdire la récolte à l’approche de la Saint-Jean !

Qui n’a jamais rencontré cette élégante fougère aux frondes longuement pétiolées, aux segments nombreux, allongés, entiers et alternes ? Si l’on retourne l’une de ces feuilles, nous voyons de petits tas arrondis de couleur jaune ocre, constituant deux rangées qui suivent le contour des feuilles : ce sont les sores, formés chacun de plusieurs sporanges qui, lorsqu’ils parviennent à maturité, de juillet à septembre, laissent échapper de microscopiques corpuscules, les spores, qui vont assurer la reproduction du polypode en deux temps. Par ses caractéristiques botaniques propres aux mousses et aux champignons, les fougères tiennent des cryptogames (du grec crypto, « caché » et game, « union, mariage »), mais comme elles possèdent un système vasculaire, elles s’apparentent pour cette raison aux plantes à fleurs. Lors de la première phase, asexuée et visible, la plante libère donc ses spores qui, si elles bénéficient de conditions idéales (humidité, température adéquate), vont germer et former un prothalle portant des organes masculins et féminins. C’est alors qu’a lieu la seconde phase, sexuée et occultée cette fois-ci, lors de laquelle va avoir lieu la fécondation par l’intermédiaire d’anthérides, formant à terme une première racine et une première feuille : une nouvelle fougère est née. Puis cette racine va former un rhizome, véritable tige de la plante, écailleux, brun-jaunâtre à roussâtre à l’extérieur, vert à l’intérieur, jamais plus gros que le petit doigt duquel s’érigeront les crosses des futures feuilles.
Le polypode, très courant sur sols non calcaires, est une espèce propre à l’hémisphère nord et fréquente des lieux de vie très particuliers : rochers, rocailles, murailles, vieux murs, troncs d’arbres feuillus, humides et moussus, voire même pourrissants.

Le polypode en phytothérapie

Cette plante depuis longtemps égarée par l’herboristerie, mérite pourtant que l’on s’attarde sur son profil thérapeutique. Ce sont les parties souterraines qui nous intéressent chez elle. L’analyse démontre l’existence d’une saponine propre au polypode dans son rhizome (polypodosapogénine) de saveur douce et sucrée au début, puis légèrement amère et nauséeuse au fur et à mesure qu’on le mâche. Une huile grasse (8 %) accompagne du tanin (4 %), de la mannite, du mucilage, de la résine, ainsi que de la fécule. Contenant en outre une essence aromatique, le rhizome présente aussi des substances aux noms complexes (polypodine, phloroglucine, ecdystéroides, sammambaïne) et d’autres que l’on connaît mieux : albumine et sels minéraux (magnésium, calcium, potassium, fer).

Propriétés thérapeutiques

  • Purgatif doux, laxatif, vermifuge
  • Astringent léger, émollient
  • Cholagogue
  • Expectorant, antitussif
  • Fébrifuge

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation chronique, constipation opiniâtre, constipation par insuffisance biliaire, inappétence, indigestion, vers intestinaux (ténia, ascaris)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique et biliaire, embarras chronique du foie, ictère, hépatite
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, bronchite chronique, catarrhe pulmonaire, toux avec irritation, toux chronique, pleurésie, rhume traînant et/ou invétéré
  • Profitable chez certains goutteux, rhumatisants et asthmatiques

Modes d’emploi

  • Décoction de rhizome frais.
  • Sirop de rhizome frais.
  • Extrait fluide.
  • Poudre de rhizome sec.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle peut se dérouler durant toute l’année, bien qu’on accorde une préférence aux rhizomes déterrés en été, de juillet à août.
  • Séchage : il est possible mais la perte des propriétés du rhizome va croissant avec sa vétusté.
  • Au mot purgatif est parfois associé celui de drastique. Avec le polypode, il n’est nul besoin de s’inquiéter, ça n’est pas de la coloquinte ! Le polypode, précisons-le, « ne donne jamais lieu à aucun phénomène douloureux, à aucune réaction inflammatoire, congestive ou spasmodique » (5). C’est pourquoi il est parfaitement adapté aux enfants.
  • Le rhizome frais, une fois broyé, peut s’appliquer localement en cas d’affection hépatique par exemple. Par ce biais, en contact direct avec la peau, il est susceptible de faire apparaître un urticaire.
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    1. Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes, p. 240.
    2. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 106.
    3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 145-146.
    4. M. Brueyere, Contes populaires de la Grande-Bretagne, cité par Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, pp. 143-144.
    5. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, pp. 12-13.

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