Le palmier-dattier (Phoenix dactylifera)

Aujourd’hui, l’on n’ignore plus que le dattier est l’arbre fruitier le plus anciennement cultivé : cela se passait entre le Tigre et l’Euphrate il y a de cela 5 à 6000 ans. Les Sumériens furent donc les premiers cultivateurs de la datte, bien avant qu’Assyriens et Babyloniens ne lui octroient le statut d’arbre sacré. Alors, il n’est « pas la copie d’un arbre réel plus ou moins enrichi d’ornements, mais bien la stylisation entièrement artificielle, et plutôt qu’un véritable objet cultuel, il nous paraît être un symbole doué d’une grande puissance bénéfique » (1), créature à la frondaison rayonnante dressée vers le soleil, les pieds plongeant dans les humides humeurs du monde chthonien. Il est donc un archétype de l’arbre de vie, passerelle entre deux mondes, le tiret placé entre les mots Ciel et Terre. Pour renforcer ce caractère divin et le rendre plus accessible à l’homme, le palmier a été anthropomorphisé : il porte des palmes (paume), des dattes (doigts, du grec daktulos), ainsi qu’une cervelle (cœur de palmier). Ces caractéristiques mi humaines mi divines devaient faire du palmier un être impérissable, permettant d’accéder à la vie après la mort. Voyez son nom ! Phoenix ! Quel autre végétal peut se targuer de porter, à équivalence, le nom de cet oiseau mythique ? Phoenix, c’est autant le palmier-dattier que le phénix, être solaire lié à Héliopolis chez les Égyptiens. Comparer l’arbre à l’oiseau légendaire, c’est reconnaître que le palmier-dattier, lui aussi, renaît de lui-même, non par ses graines, mais grâce aux rejets qui surgissent de sa base, rappelant la re-création du phénix à partir de lui-même. Le phénix étant immortel, le palmier se devait de l’être aussi. Cette relation entre l’animal et le végétal, Ovide l’exprime en ces termes : « Posé sur les rameaux ou la cime oscillante d’un palmier, il construit son nid avec ses ongles et son bec pur de toute souillure » (2). Cette symbolique d’immortalité s’élargira bien au-delà du croissant fertile : arbre divin en Inde et dans les pays arabes, arbre support du monde en Égypte, il devint beaucoup plus tardivement l’insigne de la déesse Niké, parfois appelée Dea palmaris, évoquant non seulement l’immortalité mais également l’immortalité de la gloire. S’il est droiture, emblème du juste, victoire, richesse, fécondité, génération, toutes symboliques éminemment solaires, il entretient aussi des rapports avec le funéraire : en Égypte, sur des tombes remontant à l’époque de l’Ancien Empire, l’on voit des peintures et des reliefs montrant des palmiers ; quant aux dattes, elles représentaient la nourriture symbolique des morts.
De même que le palmier est à la fois céleste et terrestre, il est tant masculin que féminin ; les pointes piquantes de ses feuilles, son fut dressé, rappellent le phallus. Quant à la datte, si l’on prend connaissance de certains passages du Cantique des cantiques, elle est indubitablement féminine, ne serait-ce que par la forme de son noyau rappelant une vulve. Bien plus, féminin et masculin s’entremêlent étroitement dans le palmier : nombreux ont été ceux qui ont décrit les amours du palmier depuis Théophraste. Écoutons Jean-Baptiste Porta : « Les palmiers se chérissent d’un amour véhément ; ils languissent l’un pour l’autre et sont tellement chatouillés du désir amoureux, que s’abaissant, ils inclinent leurs perruques ensemble et s’entr’entortillent par un aimable et doux attachement réciproque et jouiront des doux présents de Vénus, de sorte que joyeusement ils élèveront la ramée de leurs têtes gracieuses » (3). Cet épisode du « mariage des palmiers » implique en réalité un ensemble de rites et de techniques dont le but n’est autre que la fécondation artificielle de ces plantes en vigueur depuis aussi longtemps qu’on cultive le dattier.
L’union du masculin et du féminin transparaît aussi dans un épisode de la mythologie grecque, la naissance des jumeaux Artémis et Apollon, que Létô mit au monde après avoir noué autour du palmier de Délos ses bras dans un contact fertilisant, ce même palmier qu’Ulysse admire lors de l’une des étapes de son voyage. L’on objecterait qu’il ne peut s’agir d’un dattier, car bien que Théophraste ait fait mention des tentatives d’acclimatation du dattier en Grèce, cet arbre ne pousse pas dans la péninsule. Le légendaire grec n’est pas né de la seule imagination de ses principaux auteurs, la plupart du temps les mythes et les contes prennent racine bien antérieurement. Prenons l’exemple de Cendrillon de Charles Perrault. Dans l’œuvre d’un de ses devanciers, le Napolitain Jean-Baptiste Basile, l’on croise un motif similaire : en effet, l’un des contes du Pentaméron, intitulé La chatte cendrillonne, rappelle bien évidemment le conte de Perrault, bien que s’en distinguant grandement, puisqu’il n’est pas là question d’une citrouille mais d’un dattier aux fruits d’or qui abrite une fée venant en aide à l’héroïne, Zezolla, afin qu’elle se procure ce dont elle a besoin à l’insu de ses belles sœurs afin de se rendre au bal organisé par le roi. Il y a fort à parier que Basile s’est, lui aussi, inspiré de sources bien plus anciennes. On a beau dire qu’Héraclès rapporta l’olivier et le dattier en Grèce à son retour des enfers, ça n’est pas tant deux plantes que les Hellènes importèrent, bien plutôt un récit portant sur elles : bien avant Létô, existait une divinité orientale beaucoup plus ancienne, Lat, déesse de la fertilité, de l’olivier et du palmier. Un transfert de Lat à Létô marque, comme nous l’explique Jacques Brosse, « une annexion politique et religieuse par les Hellènes » (4) d’un thème archaïque. Ce qui est curieux, c’est qu’à travers l’épisode de la naissance des jumeaux, l’on n’a pas affaire à un phénomène de substitution, et que l’on n’a pas remplacé le palmier originel par un arbre à la portée symbolique équivalente et endémique à la Grèce. Absent des Balkans, il a peut-être été conservé au sein du mythe en raison de son association symbolique avec son compagnon volatil, le phénix. C’est le contraire qui se produit au sujet de la palme christique. Rappelons-nous de la légende de Marie et Joseph lors de laquelle la mère de Jésus demande au dattier de s’incliner vers elle afin de se saisir de ses fruits. Celui-ci obéissant à la requête de Jésus, se pencha en direction de Marie qui put en goûter le fruit. Jésus, bénissant le palmier, se promit d’entrer triomphalement dans Jérusalem, une palme à la main. Puis, « une grande troupe, qui était venue à la fête [de Pâques], ayant ouï dire que Jésus venait à Jérusalem, prit des branches de palme, et sortit au-devant de lui, en criant : Hosanna ! » (5). Or, le christianisme sut substituer, comme il sait si bien le faire, le palmier à une autre plante dans les zones géographiques inhospitalières au palmier : on porte alors non pas des palmes mais des rameaux de buis, comme c’est le cas en France par exemple. Le christianisme se préoccupe donc essentiellement de la palme, ne prenant que peu en considération la question de la datte (6), ce que ne se permirent point les lotophages auxquels Ulysse et ses compagnons rendent visite dans le neuvième livre de l’Odyssée. Le pays des mangeurs de lotos que Victor Bérard, traducteur d’Homère, situait déjà au sud de la Tunisie, se distinguait par ses fruits de miel, fruits de paradis. En goûter, c’est ne plus pouvoir s’arracher à l’attraction qu’ils suscitent, c’est s’abandonner à une lascivité douce et tendre confinant à l’ivresse. Pour échapper à la séduction, Ulysse dut faire violence à ses compagnons afin de s’extirper de ce pays qui ne devait représenter qu’une étape de leur périple. Alors, bien sur, de lotos, on a bêtement conclu qu’il s’agissait de lotus, une idée (quelle idée !…) encore fort répandue. Puis ont été évoqués micocoulier et jujubier, avant de tomber sous le sens et l’évidence : les lotos n’étaient autre que cette incontournable nourriture, car irremplaçable et surtout irremplacée : la datte, cette deglet-nour, doigt de lumière et chair de Dieu, la datte aux innombrables bienfaits, autant qu’il y a de jours dans l’année, dit-on proverbialement. La datte à tout faire ou presque : en magie arabe, elle entre dans les charmes amoureux, alors qu’au contraire, en Égypte, elle joue le rôle de pessaire contraceptif ; insérée comme un stérilet, elle est censée empêcher le sperme de pénétrer plus avant. Plus prosaïquement, dans le Sahara, l’on se sert de la datte pour boucher de tout autres trous : on pétrit, avec un peu de sable et de la crotte de chèvre, des dattes pour en faire un enduit lorsqu’il est besoin de combler quelque fissure dans un mur. C’est aussi un remède, bien sûr. Dioscoride l’aborde sous ses deux formes, fraîche et sèche. Les fruits frais, aigres et astringents, se destinent plutôt à endiguer les flux de ventre et ceux menstruels, ainsi que les hémorroïdes, mais, prévient Dioscoride, « ils causent une douleur de tête et enivrent quand on en mange en trop grande abondance » (7). Quant aux secs, très revitalisants, Dioscoride les préconisait en cas d’hémoptysie, de maux de gorge, de vomissement, de dysenterie et de douleurs vésicales.

Pour clôturer la première partie de cet article, voici un extrait d’un livre que j’aime beaucoup, Plaidoyer pour l’arbre, dans lequel Francis Hallé évoque le cas d’un dattier bien particulier : « Chez ce dattier, lorsqu’une palme vieillit ou se détache, ou lorsqu’elle est élaguée par les employés municipaux, elle laisse sur le tronc une large base engainante en forme de vasque retournée vers le ciel, dans laquelle s’accumulent des particules d’humus apportées par le vent, des feuilles mortes et, bien entendu, des graines de plantes diverses. Il se crée ainsi, en haut du tronc, juste sous la couronne des palmes vivantes, un essaim de petits jardins suspendus, ombragés, humides, dans lesquels poussent de nombreuses herbes, misères, érigérons, balsamines, pétunias, nombrils-de-Vénus, valérianes, etc. De temps à autre, on y observe un petit arbre, un cyprès, un figuier, un pittosporum ou encore un pin d’Alep, dont les graines ont été apportées par le vent ou les oiseaux. Ce sont de petits arbres rabougris, parce que les volumes de sol dont ils disposent sont minuscules, parce que la lumière, pour eux, arrive à l’horizontale sous les palmes et, enfin, parce que leur vie est brève, les bases foliaires du dattier finissant par se détacher en laissant un tronc nu, sombre colonne qui donne à cet arbre sa valeur ornementale » (8).

Jardins suspendus… Babylone… Nous voici presque revenus à notre point de départ, ce croissant fertile féerique.

Le palmier-dattier en phytothérapie

Comme nous avons eu largement l’occasion de le constater dans la partie qui précède, l’on s’est, au fil des siècles et des millénaires, relativement peu penché sur la question des vertus médicinales de la datte. Pour d’autres plantes, c’est l’inverse, toute l’attention y est concentrée, négligeant les aspects spirituels, liturgiques, mythologiques, légendaires, magiques, etc., que tel ou tel végétal est susceptible d’entretenir avec l’homme ; mais, dans tous les cas, l’on parvient toujours à écrire l’histoire conjointe des hommes et des plantes. La datte, c’est un peu comme avec la banane : dans son aire de répartition, on l’utilise d’une manière élargie qui n’a que peu à voir avec nos usages occidentaux. Nous nous contenterons d’aborder uniquement ceux-ci qui, nous le verrons, ne brillent pas par leur vastitude, se préoccupant uniquement de la datte sèche.
S’il est un fruit qui contient autant de sucres (saccharose, glucose, fructose), je crois bien qu’il ne peut s’agir que de la datte, puisque plus de la moitié de sa masse (53 %) en est constituée ; puis viennent l’eau (29 %), les matières azotées (2 %), les matières grasses (0,2 %). Sels minéraux (phosphore, calcium, fer, chrome, soufre, magnésium) et vitamines (A, B1, B2, C, D) ne sont pas en reste. A l’état sec, la datte totalise 350 calories aux 100 g, soit trois fois plus que la banane. Énorme !

Propriétés thérapeutiques

  • Très nutritive, laxative, purgative
  • Tonique musculaire et nerveuse, énergétique
  • Reminéralisante, anti-anémique
  • Antitussive

Usages thérapeutiques

  • Asthénie physique et intellectuelle, croissance (très favorable aux enfants : pourquoi croyez-vous que ma taille approche les deux mètres ? Ça n’est pas à cause de la soupe, mais grâce aux dattes, si, si ^_^), anémie, déminéralisation, convalescence, grossesse, sénescence, activités sportives, etc.

Note : les Anciens ne s’étaient pas trompés, la datte est utile à tous les âges de la vie et à de nombreuses situations qui en émaillent le cours.

  • Affections de la gorge, toux, toux sèche, adjuvant utile dans la tuberculose
  • Constipation

Modes d’emploi

  • Dattes en nature.
  • Décoction de dattes sèches (qu’on réalise à la manière de celle opérée avec les pruneaux : cf. article sur le prunier).
  • Sirop des quatre fruits pectoraux : ancienne composition magistrale autrefois inscrite au Codex. Il est constitué de jujubes, de figues, de dattes et de raisins. Fort utile en cas de toux, d’irritations de la gorge, de début de trachéite, etc. Il a aussi l’avantage, d’un point de vue gustatif, d’être un pur délice.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Que vous dire, sinon, tout comme l’olive et la cerise, de faire attention de ne pas avaler le noyau de ce fruit ? Ce qui serait problématique, voire dangereux, vu sa longueur. Les étourdis prendront soin d’ôter l’os du cœur de la bête avant toute utilisation ^_^
  • Il est bien évident que le formidable taux de sucres de la datte la contre-indique formellement aux diabétiques, parce qu’il ne s’agit pas de lévulose, hein ! A une époque où je travaillais au sein d’une association bien connue dont le but est de venir en aide aux déshérités de plus de 50 ans, je participais à un accueil de jour où toute personne désireuse d’y venir était la bienvenue. Parmi elles, il y avait Mohammed, un vieil Algérien de 70 ans. Sur la table, face à lui, se trouvait une petite corbeille emplie de noix, d’amandes, de figues, de clémentines et de dattes. « Ah ! s’exclame-t-il, les dattes, c’est pas pour moi ». Je lui demande pourquoi. « Le diabète, répond-il ». Il tâtonne quelque peu sur la table, attrape un objet – un pot de miel – l’apporte à 5 cm de ses yeux, et me dit d’une mine réjouie : « Ça, c’est du bon sucre pour moi ». Mon pauvre Mohammed, à demi aveugle à cause de ton diabète, si les « fruits de miel » sont mauvais pour toi, le miel l’est tout autant ! Le sucre est une drogue, mais comment refuser son rayon de soleil, sa liqueur d’immortalité à un homme vivant à la rue et venant trouver chez nous un peu de lumière et de chaleur ?
  • S’abstiendront aussi de la datte les dysentériques, les personnes sujettes aux diarrhées chroniques, etc.
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    1. Hélène Danthine, Le palmier-dattier et les arbres sacrés, p. 162.
    2. Ovide, Métamorphoses, Livre XV.
    3. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 32.
    4. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 199.
    5. Évangile selon saint Jean, chapitre XII, 12-13.
    6. Chez les Hébreux, au contraire, la datte est bien présente lors du repas de la Pâque, composant un plat, hasoret, mélange de figues, de dattes, de grenades, d’amandes broyées dans du vin et du miel, parsemé de pétales de roses.
    7. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 124.
    8. Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p. 111.

© Books of Dante – 2018