Les cornouillers (Cornus sp.)

Cornouiller mâle (Cornus mas)

En Europe, il existe deux cornouillers majeurs, le Cornus mas et le Cornus sanguinea. Du temps de Théophraste, ces deux espèces étaient déjà distinguées par les noms de cornouiller mâle et de cornouiller femelle, comme s’il s’agissait de deux plantes issues de la même arborescence et que la dichotomie mâle/femelle s’expliquait nécessairement pour des raisons morphologiques. Du premier, l’on en a fait l’arbre de Mars car sa solide constitution (fleurs apparaissant en hiver, dureté de ses noyaux et de son bois) s’allie à la capacité et la ténacité de la corne, ce qui explique ses emplois multiples dans la fabrication d’objets pour lesquels on exige grande robustesse : manches d’outils, rayons de roues, tiges de fouets, etc. Mais il est surtout connu pour son caractère guerrier, puisque son bois si dur lui a valu le surnom de « bois de fer ». Aussi a-t-on employé le cornouiller mâle pour façonner des javelots, des corps de flèches, etc. Lorsque les Romains déclaraient la guerre, un prêtre se rendait à la frontière, tenant en mains « une javeline de cornouiller à la pointe durcie […]. Le choix du cornouiller sanguin symbolisait la mort sanglante qui allait fondre sur les ennemis » (1). Ce qui semble être une confusion, puisque comme le précise Théophraste, le bois du cornouiller femelle, trop tendre et trop lacuneux, n’est pas d’un emploi adapté pour en faire une arme. Ainsi, prêter au cornouiller sanguin un statut guerrier, c’est faire à cet arbuste, dont on a fait peu de (bonnes) choses, un mauvais procès. A moins qu’il s’agisse du cornouiller mâle, arbre régissant Jupiter car considéré comme de bon augure, « force vivante du sang et des influences bénéfiques » (2), le même qui constitua le javelot que Romulus propulsa sur le mont Palatin. Malgré ces incertitudes, il n’en demeure pas moins que le cornouiller mâle est d’essence guerrière, c’est de lui dont se servirent les soldats grecs lors du siège de Troie pour construire le cheval du même nom. Il est également possible de penser que des caractères propres à chacun de ces deux végétaux ont été fusionnés. En réalité, tout les oppose. Le cornouiller mâle, grand arbuste ou petit arbre, peut atteindre douze mètres de hauteur, le cornouiller sanguin trois fois moins. Le premier porte des branches ascendantes, le second des rameaux pleureurs. Le mâle donne naissance à des baies comestibles et délicieuses, le femelle à de petites billes noirâtres et amères dont on aurait bien voulu faire un poison. Les fleurs du cornouiller mâle, bravant les froids hivernaux, apparaissent avant les feuilles, tandis que c’est l’inverse pour le cornouiller sanguin. Ici, le masculin Cornus mas contraste avec force avec le féminin Cornus sanguinea ou sanguinaire, bois puant, bois punais, puègne blanche (l’odeur désagréable de ses fleurs, de son écorce et de sa racine surtout ne l’a pas aidé). Si le Cornus mas, fier et altier, ne présente aucun risque, c’est sur le Cornus sanguinea que vont peser tous les doutes, toutes les accusations… Il faut dire que le cornouiller femelle possède des caractéristiques physiques (des rameaux rouge sang, des feuilles qui virent, à l’automne, à une couleur lie-de-vin) qui auront tôt fait d’attirer sur lui des regards inquiets, à tel point que le sang marquera jusqu’au nom latin de cet arbuste (et même ses noms vernaculaires : sanguin, sanguine, sanguina en Italie, etc.), et que l’on aura cherché en lui tout pour déplaire : il est l’arbuste en lequel fut changé le Polydore de Virgile, un arbre dont on dit qu’il coule du sang lorsqu’on en détache une branche, mais qui fournit aussi la flûte magique trahissant le secret de la mort du héros assassiné… Poussant spontanément du tombeau, le cornouiller femelle est rapidement devenu « un arbre maudit que l’on ne permet point d’introduire dans les églises » (3). Dans les campagnes, des bruits saugrenus courent à propos du cornouiller femelle : « les propriétaires de bestiaux interdirent aux bergers en charge de leurs troupeaux de frapper les brebis avec du bois de cornouiller de peur qu’elles n’aient un coup de sang ! » (4). Certains eurent même l’audace d’affirmer qu’à « cause du poison, ou sang, ou suc qu’on en tire, on l’appelle arbre des sorcières » (5). Pierre de Lancre (1553-1631), bien connu pour avoir exercé les fonctions de chasseur de sorcières au Pays basque, rapportera que les graines et l’écorce du cornouiller sanguin, mélangées à des crapauds, entraient dans la composition de « poisons »… Tout au plus pouvons-nous faire remarquer que les petites baies rondes et charnues de cet arbuste, loin d’être toxiques, sont simplement incomestibles. Consommées en grande quantité, elles occasionnent parfois une irritation de la muqueuse gastrique, accompagnée de vomissement, diarrhée et gastro-entérite, pas de quoi en faire un suppôt de Satan. La réputation faite à ce cornouiller provoquera même un clivage net entre les deux espèces d’un point de vue médical, et cela apparaît clairement dans l’œuvre d’Hildegarde de Bingen qui les connaît tous les deux. Elle affirme au sujet du cornouiller mâle (Erlizbaum) qu’il « purge et réconforte l’estomac, que l’on soit malade ou bien portant […] Il est utile à la santé de l’homme » (6), alors que le cornouiller femelle (Hartbrogeld) n’a que « peu d’utilité pour l’homme, car il ne le fait pas grandir, ne lui apporte ni force ni aliment. Il n’est pas utile non plus pour la médecine » (7). Notons encore que l’abbesse qualifiera le premier de chaud et le second de froid…
Le pire est que même si on jette un œil avant et après l’époque à laquelle vécut Hildegarde, du cornouiller femelle, rien n’est dit. L’on se concentre exclusivement sur le cornouiller mâle, comme par exemple chez Dioscoride : « Le cornouiller est un arbre dur qui produit un long fruit quasi semblable à l’olive, lequel est premièrement vert, puis en mûrissant il devient couleur de cire et finalement étant mûr, il est rouge. Mangé en viande, il est astringent, il restreint les flux du ventre et la dysenterie […] L’on le garde pour l’usage des viandes avec la saumure, comme on fait des olives » (8), chose que réitéreront Galien, Matthiole (il parle d’une confiture « propre aux dévoiements du ventre et pour restreindre le flux trop abondant des femmes »), Paul Contant (c’est un fruit qui « remédie aux violents efforts de la dysenterie »), jusqu’à Henri Leclerc lui-même dans les années 1920, reconnaissant les vertus toniques et astringentes du cornouiller mâle, la propriété fébrifuge de son écorce et antidiarrhéique de ses fruits, à la condition qu’ils soient consommés blets ou cuits.

Végétal de taille variable, le cornouiller mâle peut effectivement se classer parmi les arbres en raison du grand âge qu’il peut parfois atteindre (300 ans). Sa floraison intervient très tôt dans l’année, dès la fin de l’hiver, et pare ses rameaux sarmenteux, tétragones, à l’écorce verte et lisse quand ils sont jeunes, d’une multitude d’ombelles de petites fleurs jaunes courtement pédonculées, à la douce odeur, jusqu’au mois d’avril. Ses feuilles n’apparaissent qu’ensuite, ovales et pointues, opposées, brièvement pétiolées. Ses fruits ovoïdes, d’un ou deux centimètres de longueur, peuvent mûrir dès le mois d’août. Ils sont formés d’un gros noyaux recouvert d’une mince couche de chair, ce qui n’incite pas forcément à en faire un large usage.
Le cornouiller sanguin, lui, développe d’abord ses feuilles que portent des rameaux rouge sang, fonçant avec le temps. Ses feuilles, opposées, de forme elliptique, pétiolées et quasiment glabres, prennent, elles aussi à l’automne, une teinte rougeâtre. Sa floraison – des corymbes de fleurs blanches – est printanière et sa fructification se déroule à la même époque que celle du cornouiller mâle et forme des drupes de couleur bleu noir de 5 à 8 mm de diamètre.
Si ces deux cornouillers partagent parfois le même territoire, le cornouiller sanguin reste quand même beaucoup plus fréquent, le cornouiller mâle ne pouvant se contenter que de sols calcaires du sud de l’Europe. Ces deux espèces sont dites thermophiles et poussent à proximité des bois et des forêts de feuillus, dans les espaces rocailleux (C. mas), les haies, les friches, les pentes broussailleuses (C. sanguinea).

Cornouiller sanguin (Cornus sanguinea)

Les cornouillers en phytothérapie

Autant le dire tout de suite, ils y tiennent une place mineure. Aujourd’hui, le cornouiller sanguin est pratiquement exclu de la matière médicale, bien qu’autrefois on lui ait concédé quelque valeur en tant qu’astringent et fébrifuge, mais sans commune mesure avec ce dont sont capables des cornouillers américains comme le Cornus florida, excellent succédané du quinquina, et le Cornus excelsa, traditionnellement usité comme tonique et astringent. De plus, la théorie des signatures a sans doute desservi cette espèce : en effet, du fait de certaines caractéristiques morphologiques propres au cornouiller sanguin (couleur des rameaux, teinte des feuilles dès le mois d’août, nervures des feuilles), on a pensé en faire un remède pour tonifier les artères, abolir les défaillances cardiaques, mais il n’est rien de tout ça. Cela explique pourquoi le cornouiller mâle est celui dont on parle le plus en phytothérapie occidentale, et pour faire bonne mesure, nous lui adjoindrons un autre cornouiller, asiatique celui-là, le cornouiller officinal (Cornus officinalis) dont la phytothérapie chinoise se sert avec efficacité.
Du cornouiller mâle on use de l’écorce et des baies. Agréablement acidulées et aigrelettes lorsqu’elles sont bien mûres, les cornouilles recèlent de la vitamine C, des sucres (glucose, saccharose), de l’acide glyoxalique, ainsi qu’un abondant mucilage. Dans l’écorce, environ 8,50 % de tanin côtoient du malate de calcium et des matières pectiques. Quant aux fleurs, elles contiennent une substance dont nous avons déjà parlé (cf. marronnier d’Inde, châtaignier, argousier), la quercétine.
Au sujet du cornouiller officinal, seules les baies sont employées en raison de leurs saponines, tanin et glucoside iridoïde (verbénalide).

Note : ci-dessous, les (*) concernent cette dernière espèce.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringent (les deux)
  • Fébrifuge
  • Apaisant de la soif, rafraîchissant
  • Stimulant du système nerveux autonome (*)
  • Antisudoral (*)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, entérite
  • Troubles de la sphère urinaire : envie trop fréquente d’uriner (*), incontinence des personnes âgées (*)
  • Troubles de la sphère génitale : règles trop abondantes (les deux), perte séminale (*), éjaculation précoce (*), impuissance (*)
  • Fièvre ardente et/ou intermittente, adjuvant dans le paludisme
  • Douleurs dorsales (*), genoux douloureux (*)
  • Vertiges (*), sifflements d’oreilles (*)

Note : en médecine traditionnelle chinoise, le shanzhuyu réchauffe et revitalise l’énergie des méridiens des Reins et du Foie. Il est applicable à l’enfant dans les cas suivants : « reins faibles, fontanelle pas encore fermée, voix basse et faible, mental déficient, yeux légèrement révulsés, visage pâle » (9).

Modes d’emploi

  • Décoction d’écorce
  • Teinture-mère
  • Sirop, macération vineuse de baies
  • Confiture, rob, gelée

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les baies à l’automne, l’écorce des rameaux au printemps.
  • Alimentation : le fruit du cornouiller mâle est très apprécié en Allemagne où on le consomme cru ou cuit, confit au sel ou au vinaigre, ainsi qu’en Russie où on élabore le kisil, une gelée de cornouilles, en Turquie, en Arménie, etc. Les baies du cornouiller sanguin ne sont pas aussi attractives, bien que la cuisson les améliore un peu. On en fait alors des jus et des confitures.
  • Des baies du cornouiller sanguin on a parfois extrait une huile destinée à l’éclairage et à la savonnerie. Elles remplacèrent aussi le café en tant qu’ersatz. Quant au bois du cornouiller mâle, extrêmement solide et résistant comme nous avons eu l’occasion de le souligner, il a servi à la fabrication de cannes et de manches d’outils.
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    1. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 291.
    2. Ibidem.
    3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 284.
    4. Bernard Bertrand, L’herbier toxique, p. 88.
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 331.
    6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 180.
    7. Ibidem, p. 181.
    8. Dioscoride, Materia medica, Livre 1, chapitre 134.
    9. Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 69.

© Books of Dante – 2017

Les rameaux rouge sang du cornouiller sanguin.

3 réflexions sur “Les cornouillers (Cornus sp.)

  1. Bonjour et un grand merci pour vos belles recherches que je lis régulièrement. A noter que le cornouiller en gemmotherapie est un remède miraculeux à bien des égards. Il serait intéressant d’en faire mention dans votre article afin de réhabiliter cet arbre exceptionnel. Belle journée à vous !

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