Le gingembre (Zingiber officinalis)

Synonymes : amome gingembre, gingiber, zingibel, zengibel, singabera, cringavera.

Le nom du gingembre proviendrait-il, comme certains l’ont avancé, de la ville indienne de Gingee, située à l’est de Bangalore ? L’évidence n’est peut-être qu’un bête piège. Ce qui est plus assuré – et là je m’en remets à l’autorité d’un sage – c’est que le sanskrit désigne le gingembre par le mot sringavera (ou shringavera), qui veut dire : « en forme de bois de cerf », faisant référence à l’allure même du rhizome de gingembre, architecturé à la manière du glycocalyx intestinal. En tous les cas, la culture du gingembre en Inde est si ancienne (elle avoisinerait les 3000 ans d’âge), que cette plante n’y existe plus à l’état spontané. Il n’est donc pas étonnant que le gingembre fasse partie depuis des lustres de la médecine ayurvédique pour laquelle il n’est pas moins qu’une panacée. Il parvint en Égypte et intégra l’armada déployée lors des cérémonies d’embaumement, ainsi qu’à des fin médicinales. De passage en Perse, il arriva par cette voie-là aux Grecs. Mais parce qu’il était rare et onéreux, il fut peu usité. On en sait davantage sur ce point par le biais de Pline, mais surtout grâce à Dioscoride qui en donne une description assez convaincante : « Les racines de gingembre sont petites, semblables à celles du souchet, blanchâtres, odoriférantes, de saveur semblable au poivre »1. Échauffants, le gingembre était utile à l’estomac, facilitant la digestion. Mais Dioscoride ne s’étend pas davantage, concluant que, « en somme, le gingembre correspond à toutes les facultés du poivre »2. Il raconte aussi que le meilleur moyen de conserver le rhizome du gingembre sans qu’il ne se gâte, c’est encore de le confire : c’est sous cette forme qu’il parvenait jusqu’en Italie, où on le trouvait couramment sur les marchés. Alors, on se trompait au sujet de son origine (on pensait qu’il provenait d’Arabie…), mais l’on avait réfuté la croyance qui en faisait la racine du poivrier. Ce point fut corrigé par Pline, sans doute à la lecture de Dioscoride qui distinguait nettement le gingembre du poivre : il s’agit bien de deux plantes différentes et non pas de deux parties différentes issues de la même espèce. A Rome, on l’employait surtout en cuisine, à travers des recettes d’assaisonnement particulièrement relevées telles que le garum et la muria qu’affronteraient non sans appréhension nos palais modernes.

Le gingembre se répandit dans le nord de l’Europe beaucoup plus tardivement : par exemple, on sait qu’il était présent en Grande-Bretagne peu avant la conquête normande du XIe siècle. Avant cela, il s’était déjà aventuré sur le continent depuis au moins le IXe siècle : par exemple, Macer Floridus en parle pour n’en rien dire au Xe siècle. A cette époque, si l’on ne sait pas d’où il vient, on ne sait pas non plus à quoi il ressemble. Au XIIIe siècle, on sait enfin d’où il provient, mais on n’a toujours pas la fichtre idée de savoir à quoi il peut bien ressembler, mystère qui sera levé à la fin du même siècle. Et au XVe siècle, on sait aussi comment ça se cultive, ce qui en permettra l’introduction au Nouveau Monde dès les premières installations de colons aux Antilles. Aujourd’hui encore, on dit que le gingembre de la Jamaïque est le meilleur du monde. Ce qui risque de passablement agacer le cuisinier médiéval qui en met à peu près partout : à la pincée, à la pointe du couteau, par ¼ ou ½ cuillerée, le gingembre est abondamment convié : dans les potages et brouets, les entrées à base d’œufs, la quasi totalité des recettes de poissons (d’eau douce, alors), de viandes pour beaucoup d’entre elles, y compris les volailles diverses et variées (oie, coq, canard) et le gibier. Seuls les légumes semblent échapper à cette « manie » et les desserts abordés avec circonspection. En revanche, les sauces accueillent force poudre « zinzibérine » (jance, saupiquet, cameline, quatre épices), laquelle s’invite encore dans les vinaigres pour les aromatiser et les vins surtout, ceux qui sont épicés et poivrés étant fort en usage. « On prenait dès le matin les épices, comme on prend aujourd’hui le café au lait »3 ou le cacao. Il faut dire que le gingembre était importé en grosses quantités par les commerçants vénitiens qui le débitaient aussi confit sous le nom de gingerbras, la demande répondant favorablement à l’offre, laquelle avait bien compris que le gingembre était parfaitement apte à ravir les papilles gustatives qui dégustent de ces plats dont l’énoncé du seul nom peut faire croire qu’on se trouve dans un autre pays (galimafrée, dodine de verjus, arbaleste de poissons, grave d’écrevisses, etc). « On aime à l’époque les pâtés et les tartes ; on prépare toutes sortes de viandes farcies dans lesquelles chair et mie de pain sont pilées plutôt que hachées, et des sauces à base de chapelure plutôt que de farine et d’œufs ; elles sont toujours relevées de quantité de condiments dont l’usage a stimulé de façon incroyable le commerce des épices »4.

Mais le seul gingembre culinaire ne saurait contester nos appétits et notre soif de connaissance, n’est-ce pas ? Passons donc de la cuisine à l’infirmerie où se déroulait, durant le Moyen âge, une autre forme de tambouille, pas moins intéressante, dans laquelle coexistent des faits singuliers tout à fait d’actualité ainsi que des anecdotes qui font le charme de la période qui les a vu naître.

Sachons tout d’abord que si le gingembre était aussi recherché que le poivre, il était autant usité que la cannelle, ce qui renseigne d’emblée sur sa cherté : on dit, dans certaines chroniques, qu’une livre de gingembre coûtait aussi chère qu’un mouton ! A ce tarif-là, mieux valut que le gingembre ait de solides raisons de se faire bien voir ! Voyons donc ce que Macer Floridus lui réserve : « Comme les médecins reconnaissent au gingembre des propriétés médicales analogues à celles du poivre, je m’abstiendrai d’en parler ici »5. Hop, pirouette ! Eh bien, heureusement qu’on ne compte pas sur lui pour connaître le rôle thérapeutique du gingembre au Moyen âge ! Bon. Jetons donc un œil du côté de l’école de Salerne. Peut-être sera-t-elle moins avare d’informations, qui sait ? En quatre vers pas franchement rutilants, elle explique que :

« Avant l’accès prenez de gingembre une dose

Prenez-le même après : s’il est réitéré,

Il chasse, il déracine un mal invétéré,

Et guérit le dégoût que la fièvre vous cause ».

Mouais. Pas folichon et guère plus détaillé qui plus est. Reste maintenant à vérifier ce que Hildegarde a à nous dire au sujet du Ingeber (apparemment, le copiste a zappé le z). Pour Hildegarde, le gingembre est tout à fait chaud, ce qui est un parfait premier bon point. Mais elle attire notre attention : il se réserve uniquement au malade. En effet, « un homme en bonne santé et gras n’a pas intérêt à en manger, car il rend stupide, ignorant, tiède et lascif »6. Genre pacha, quoi ! Sa tonicité ne saurait se réserver qu’au faible ! Tant il est vrai que le bien-portant n’est pas incommodé par les troubles de la digestion (maux d’estomac, constipation, aigreur d’estomac, colique, lourdeur après repas), les éruptions cutanées, non plus que les irritations oculaires. (L’eau distillée de gingembre est réputée comme puissant ophtalmique.) A toutes ces choses, Hildegarde réserve le gingembre, de même que face aux fièvres, à la goutte et aux parasites. Au registre des étrangetés, on confine le gingembre au rôle d’anti-hystérique (quoi que cela puisse vouloir dire…) et de préservatif contre la peste (face à une épidémie de peste survenue à Padoue, il aurait suffit de régulièrement mâcher du gingembre pour se soustraire au souffle délétère de la maladie). Enfin, information autrement plus intéressante : sans doute la première relation de la nature luxurieuse du gingembre par Platearius au XIIIe siècle : il « prescrit, ‘pour faire gésir7 une femme’, un électuaire qui associe le panais au gingembre, au poivre, à la muscade et au galanga ». Ce qui n’est pas mal pensé car, poursuit-il, le panais et le gingembre sont des racines qui « émeuvent luxure »8. Cela apparaît comme une mention isolée, puisqu’il ne sera plus fait référence à cette propriété que l’on pourrait qualifier d’aphrodisiaque dans les siècles suivants (à l’exception de notre époque contemporaine). Il reste cependant peu usité en médecine et s’il est encore d’usage courant en cuisine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il se fera détrôner par le poivre que, souvent, colporteurs et merciers de village mêlent, sans malice, au gingembre, alors que dans le monde germanique et anglo-saxon, l’affection qu’on lui porte ne se dément pas. Mais s’il semble ne se borner qu’à un seul rôle culinaire ou presque, certains n’hésitent pas à le bannir de leur table en raison de son âcreté, aux dires de Jean-Baptiste Chomel. Malgré cette désaffection, nous pouvons rendre grâce aux propriétés du gingembre telles qu’on les établit au XVIIIe siècle : le gingembre est un stimulant et un tonique très énergique (au point de pouvoir en être irritant), actif sur la sphère gastro-intestinale (il est apéritif, stomachique et carminatif) et bénéfique au système locomoteur (en tant qu’anti-arthritique et anti-rhumatismal). Sudorifique et calorigène, il permet de réchauffer le corps des vieillards. Enfin, à l’instar du citron, on le croit efficace pour lutter contre le scorbut.

Afin de contrecarrer les dérives à même d’entacher la bonne réputation du gingembre, convoquons auprès de nous le sieur Pierre Pomet qui, en tant que marchand d’épices parisien (entre autres), dut faire prévaloir toute sa sagacité pour déjouer les pièges tendus par les faussaires. C’est pourquoi, dans son livre, il insiste sur les principaux critères qui permettent de distinguer une drogue de belle qualité d’une autre mauvaise. Ainsi dit-il du gingembre : « On doit choisir le gingembre nouveau, sec, bien nourri, difficile à rompre, d’un gris rougeâtre au-dessus, résineux au dedans, d’un goût chaud et piquant ; et rejeter ces gingembres d’Angleterre qui sont molasses, filandreux, blancs par dessus et au dedans […], si filandreux qu’il est presque impossible de les réduire en poudre »9. Pomet expliquait encore qu’on donnait alors au gingembre le nom latin d’Arundi humilis clavata radice acri, c’est-à-dire de « petit roseau à massue dont la racine est âcre ». Derrière cette apparent amphigouri, on a au moins l’occasion de percevoir que l’idée qui faisait du gingembre la racine du poivrier – par communauté de saveur, j’imagine – avait été abandonnée depuis longtemps comme l’on sait.

Endémique à une large zone géographique comprise entre l’Inde et la Chine, tout en faisant un crochet par l’archipel indonésien, le gingembre est un hôte des sols riches et humides partiellement ombragés des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est. Vivace de 50 à 120 cm, son rhizome traçant, proche de la surface de la terre, est une tige souterraine tubéreuse et articulée, charnue et noueuse, succulente, de couleur jaune pâle à citron, plus ou moins fibreuse selon l’âge. De ce lacis souterrain émergent des tiges foliaires simples, dressées et cylindriques, vêtues de feuilles lancéolées et engainantes (à la façon de celles de la canne de Provence) d’une part ; d’autre part, des hampes florales plus robustes achevées au sommet par cette « massue » dont parlait Pomet, conglomérat de bractées membraneuses imbriquées les unes dans les autres, tout d’abord verdâtres, puis teintes d’un rouge plus ou moins éclatant. C’est sur cette masse que sont réunies des fleurs irrégulières blanches, jaunes (ou jaune verdâtre), à lèvres rouges, composées d’un double calice (l’extérieur est trifide, l’intérieur compte quatre divisions). A chaque pistil succède une capsule ovale à trois loges remplies de semences noires de saveur amère et aromatique.

Le gingembre est cultivé dans bien des pays du monde maintenant : en Asie (Chine, Inde, Philippines), en Amérique du Nord (Antilles, Hawaï), en Afrique et en Océanie. En France, des essais furent tentés, infructueux on s’en doute bien.

Le gingembre en phytothérapie

Bien qu’elle demeure de l’usage anecdotique, l’huile essentielle de gingembre me semble plus documentée que le rhizome duquel on la tire alors qu’on utilise plus facilement et librement ce dernier. C’est pourquoi nous mettrons l’accent sur l’aspect phytothérapeutique du gingembre, aux dépens de ses fonctions aromathérapeutiques qui ont, de toute façon, déjà été traitées ailleurs. Sachons simplement qu’en aromathérapie, on distille aussi bien les rhizomes secs et pulvérisés après qu’ils aient perdu 90 % de leur masse que les rhizomes frais (comme on le fait chez Astérale). Cela permet d’obtenir un produit assez différent, plus éclairé, délesté d’un poids et moins terreux/agglutiné/recroquevillé sur lui-même, si vous voyez ce que je veux dire… Eh bien, l’on observe le même phénomène entre un rhizome frais et sa poudre sèche. A l’état frais, la saveur âcre et piquante du gingembre s’accompagne de quelque chose situé à mi-chemin entre le poivré et le citronné (ce qui est inexact : on ne fait que se raccrocher aux branches à l’aide d’un verbiage plus ou moins efficace – surtout inefficace quand on a affaire aux odeurs). On ne se trompera pas en affirmant à quel point ce parfum, cette saveur, sont chauds ! C’est une chaleur presque identique, quoique augmentée, que l’on retrouve dans la poudre de gingembre séchée (à condition qu’elle ne date pas de l’an 40, auquel cas il y a de fortes chances pour que, éventée, elle ne sente plus grand-chose et ne se destine plus, de fait, à quelque exploit). Cette chaleur accrue n’est pas un leurre : dans la racine sèche, il s’y forme des composés phénoliques que l’on appelle shogaols, qui sont plus âcres et plus irritants encore que les composants contenus dans la racine fraîche et qui lui confèrent sa tonalité piquante : les gingérols et les paradols, d’autres composés phénoliques.

Ceci étant établi, passons en revue les divers autres composants biochimiques qui constituent le gingembre : beaucoup d’amidon (50 %), des lipides (3 à 8 %), des sucres, une essence aromatique (1 à 3 %), des acides (cinnamique, gingersulfonique, pipécolique), des flavonoïdes et des vitamines (A, B3).

Propriétés thérapeutiques

On les considère semblables à celles du poivre et du piment.

  • Anti-infectieux : antibactérien (Bacillus subtilus, Bacillus anthracis, Escherichia coli, Salmonella tiphi, Proteus mirabilis, Staphylococcus aureus), antifongique, antiviral (rhinovirus, chikungunya, grippe, herpès, hépatite virale), antiparasitaire (bilharziose), antiseptique
  • Excitant général de l’appareil digestif, apéritif, carminatif, stomachique, aide à la digestion des graisses, sialagogue, cholagogue, augmente le péristaltisme intestinal, anti-émétique
  • Stimulant, tonique, immunostimulant
  • Anti-inflammatoire puissant, antalgique
  • Stimulant de la micro-circulation au niveau des capillaires, hypertenseur, cardiotonique, anti-thrombotique, hypocholestérolémiant
  • Anti-oxydant, protecteur de l’ADN
  • Fébrifuge, sudorifique
  • Pectoral, antitussif, sternutatoire
  • Hépatoprotecteur, antidiabétique
  • Antirhumatismal
  • Excitant de l’appareil génital, échauffant, augmente la production d’hormones mâles et la quantité de sperme
  • Diurétique
  • Ophtalmique
  • Anti-migraineux
  • Antiscorbutique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, infections gastro-intestinales par intoxication alimentaire, dysenterie bacillaire, diarrhée, digestion pénible, colique, nausée (du matin, post-opératoire, de la grossesse, de la chimiothérapie), mal des transports (par mer, air, automobile), flatulences
  • Troubles de la sphère respiratoire : angine, toux, aphonie, gorge enflammée, rhume, états grippaux et fiévreux, refroidissement (Comme nous le verrons dans le paragraphe dédié au gingembre abordé selon le point de vue de la médecine traditionnelle chinoise, le gingembre offre une véritable protection contre le froid, surtout quand celui-ci s’est faufilé à l’intérieur de l’organisme et qu’il se traduit par des mains froides, un pouls faible et une pâleur du visage et des lèvres.)
  • Troubles de la sphère génitale masculine : asthénie, panne sexuelle, impuissance
  • Troubles de la sphère génitale féminine : dysménorrhée, prévention et traitement du cancer de l’ovaire
  • Troubles locomoteurs : douleur rhumatismale chronique, douleur musculaire, lumbago, névralgie
  • Troubles bucco-dentaires : maux de dents, infection de la muqueuse buccale
  • Troubles du système nerveux : sénescence, perte de mémoire, asthénie psychique
  • Circulation capillaire déficiente
  • Engelure, petite blessure
  • Cataracte

Le gingembre en médecine traditionnelle chinoise

Confucius (551-479) louait les vertus tonifiantes et stimulantes du gingembre, plante médicinale de saveur piquante et dont la nature est considérée comme légèrement tiède à chaude selon la manière dont on le prépare. Le gingembre du premier type est celui que nous trouvons chez le marchand de fruits et de légumes, entre les bananes plantains et les fruits de la passion. Alors que celui du second se prépare comme suit : il faut empaqueter soigneusement un rhizome de gingembre de six épaisseurs de papier absorbant, après quoi on humecte intégralement le tout et on le place au four jusqu’à ce que la chaleur, desséchant le papier, le fasse jaunir. Ainsi obtient-on ce gingembre de seconde catégorie qui voit de fait son caractère igné augmenter. La seule différence entre les deux se jouent essentiellement là, car, par ailleurs, nous les voyons agir tous deux sur les mêmes méridiens : tout d’abord ceux liés au principe de la Terre (Estomac, Rate) qu’ils réchauffent, celui du Poumon dont ils tonifient l’énergie, enfin celui du Rein dont ils stimulent l’énergie. En clair, tout cela concourt en tout premier chef à éliminer le froid excessif et l’humidité qui règnent sur les voies digestives et pulmonaires, la tête et les articulations, en facilitant la circulation sanguine et celle de l’énergie Yang dans le corps qui, dans la plupart des cas, vient à manquer, ce qui peut être corrigé en évinçant les aliments crus et froids et en privilégiant entre autres le gingembre que l’on peut absorber aussi bien cru que cuit, frais que sec. Si on le râpe, on en peut faire une infusion ou une décoction, on peut le confire, le faire sécher et le réduire en poudre, en élaborer une teinture alcoolique, toutes préparations assez similaires à ce qu’on a pu faire en Occident, à l’exception de celle-ci : on fait chauffer un rhizome à four doux, on l’enveloppe d’un linge puis on l’applique localement, aussi bien pour calmer les affections gastriques que les troubles locomoteurs. Comme à chaque perturbation énergétique d’un méridien – stagnation ou vide de l’énergie qui habituellement le baigne et l’irrigue – correspondent un certain nombre de bouleversements organiques, nous pouvons déduire de ce que nous savons que le gingembre est un remède intervenant avec beaucoup d’efficacité sur la sphère gastro-intestinale (gastrite, douleur stomacale et abdominale, nausée et vomissement, hématémèse, diarrhée même très liquide, ballonnement, intoxication alimentaire), respiratoire (toux glaireuse et chronique, grippe et rhume accompagnés d’un état fébrile), cutanée (sécheresse de la peau des mains) et locomotrice (lombalgie, rhumatismes : en Chine, une consommation régulière de gingembre est concomitante à un faible taux de rhumatisants dans la population).

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

Plante de l’énergie vitale aussi bien physique que psychique, les qualités du gingembre sont reconnues depuis 3000 ans. Il fluidifie cette énergie et évite l’installation de nœuds énergétiques en divers endroits du corps.

Il stimule et tonifie, dissout les blocages et la (f)rigidité. Équilibrant du système nerveux, il apaise et détend, il est particulièrement propice à la méditation.

Le gingembre réchauffe l’énergie du ventre et des intestins, par ailleurs, il est particulièrement connu pour ses effets aphrodisiaques. Bien qu’étant considéré comme une plante masculine, il n’est pas impossible de l’utiliser pour réaliser un parfum rituel destiné aux femmes.

Dans quel cadre l’utiliser : manque d’entrain, de vigueur et de rigueur, lorsqu’on sent à l’intérieur de soi une sensation d’inconfort, quand les actes du quotidien deviennent difficiles à réaliser, quand on a du mal à digérer certaines épreuves de la vie, en cas de perturbations liées à la sexualité, pour accompagner un rituel de fertilité ou de fécondité, pour accompagner un rituel amoureux, pour dissiper les zones d’ombre en soi-même (qui se transposent au corps en certains points douloureux), pour favoriser la souplesse spirituelle.

Modes d’emploi

  • Infusion : compter 4 à 10 g de gingembre frais râpé dans 0,50 litre d’eau chaude.
  • Teinture : compter 60 g de gingembre coupé en tranches fine en macération alcoolique dans un litre d’alcool à douce chaleur pendant huit jours. A l’issue, filtrer et ajouter 125 g de sucre (ou de miel). Variante : même quantité de gingembre dans un litre de vin rouge durant trois semaines. A l’issue, même opération. Autre : vin stomachique de Desbois de Rochefort : racine d’aunée (8 g), racine de raifort (8 g), racine de gingembre (4 g), romarin (¼ de poignée), absinthe (¼ de poignée), menthe verte (2 pincées). A faire macérer pendant 15 jours dans une pinte de vin rouge. Afin de renforcer le caractère roboratif de la mixture et faire mériter au gingembre son statut de plante de Mars10, on peut plonger dans cette macération 150 g de limaille de fer – si vous avez ça dans vos placards, sait-on jamais ! Ah, ah ! Sinon, vous pouvez amplement vous en dispenser ^.^
  • Poudre de gingembre : à réaliser soi-même (c’est long) ou à se procurer dans le commerce toute prête. Une préparation très simple pour lutter contre le froid intérieur consiste en ceci : ½ cuillerée à café de poudre de gingembre et ½ cuillerée à café de poudre de curcuma pour la valeur d’une tasse (style mug). Délayer avec un peu d’eau chaude comme on le ferait du cacao puis remplir la tasse aux ¾. Compléter avec du lait d’amande, par exemple. On peut composer une potion du même acabit avec de la poudre de gingembre et de la poudre de feuilles de basilic tulasi (même quantités que précédemment).
  • Formule aphrodisiaque du père Blaize : poudres de gingembre, de ginseng, de sarriette, de romarin et de cannelle, pour chacune 20 g. Bien mélanger. A incorporer (à raison d’une cuillerée à café du mélange par dose unitaire) à un yaourt ou une compote, par exemple.
  • Liniment de Valnet (inspiré par H. Leclerc) : à 500 ml d’alcoolat de romarin, mêler 180 g de teinture-mère de gingembre, 6 g d’huile essentielle d’origan, 6 g d’huile essentielle de genévrier, 3 g d’huile essentielle de cyprès et 12 g d’huile essentielle de térébenthine. En frictions régulières sur les zones douloureuses (rhumatismes, arthrite, lumbago, etc.) pendant deux à trois semaines.
  • Gingembre frais à mâcher. On peut le préférer confit, mais en cette circonstance, chaque morceau dure généralement moins longtemps en bouche : c’est qu’on glisse de la préparation pharmaceutique à la confiserie, au point de s’inventer des maladies imaginaires dans le seul but de satisfaire sa gourmandise ^.^
  • On pourrait encore continuer longtemps tant la pharmacopée des siècles passés a fait un large usage du gingembre. Pour achever ici mon petit inventaire – parce qu’il faut bien en finir (pour mieux recommencer ^.^) – voici une recette empruntée à Joseph Roques que je cite dans le texte. Il appelle cela des « pastilles excitantes ». Peut-être s’agit-il de la même chose que ce que l’on désignait par le nom très suggestif de « diablotins » ou pastilles aphrodisiaques de Naples. Voici : « Prenez : gingembre, deux gros ; safran oriental, un gros ; girofle et musc, de chaque demi-gros ; mastic, trois gros ; ambre gris, douze grains. Mêlez avec demi-livre de sucre, et faites des pastilles d’un gros chacune. On en prend deux, trois et quatre par jour »11. Si vous voulez vous amuser en réalisant cette recette – bon courage pour dégotter musc et ambre ! – rappelez-vous qu’un gros, c’est 3,824 g, un grain, un soixante-douzième de gros, soit 0,053 g et qu’une livre équivaut à 489,503 g. Roques à l’air de douter de l’efficience et des vertus exaltantes du gingembre. Pourtant, il y figure en aussi bonne place qu’une bande de satyres débauchés à l’assaut de nymphes accortes ! Voici ce qu’il ajoute : « Ces pastilles ne valent pas mieux que quelques autres compositions dont on a prôné les miracles. Si par hasard quelque malheureux lecteur se trouvait insensible, et s’il lui prenait fantaisie d’en faire usage, qu’il sache bien que tous les stimulants n’ont qu’un effet secondaire sur certains organes ; qu’ils agissent d’abord sur les tissus digestifs, qu’ils les irritent et peuvent même les enflammer. C’est dans un bon régime, dans un choix d’aliments substantiels, dans un exercice convenable, et dans une vie réglée, qu’il trouvera le véritable remède, si son accident est guérissable »12. Pas toujours drôle, le père Roques… Il ne partageait assurément pas certaines pratiques qui, s’il en avait eu connaissance, n’auraient pas manqué d’être rangées au registre des sauvageries : par exemple, il devait ignorer qu’en quelques contrées d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Guinée), les femmes enfilent des rhizomes de gingembre sur une ficelle, ce qui constitue là une véritable ceinture d’Aphrodite dont le but avéré est d’éveiller les sens trop assoupis de leurs maris. Le gingembre n’est-il pas, de toute façon, un boute-en-train (quelle image !), à la manière dont l’entend le maquignon (et non le noceur) ? N’utilise-t-on pas, aux dires de Leclerc, de la poudre de gingembre « comme topique rectal pour forcer les chevaux à relever la queue » ? Alors, si ça marche pour le premier canasson venu, pourquoi pas avec l’homme, hum ? Le gingembre n’est-il pas aphrodisiaque ? Que doit-on déduire de ce qu’écrit Roques ici même : « On peut le conseiller sans risque à ceux qui ont la fibre molle, le tissu cellulaire lâche, la sensibilité obtuse, l’estomac paresseux »13. La fibre molle ! Faut-il faire un dessin ? ^.^ Il passerait même pour beaucoup plus que cela : « On croit qu’il ranime tous les sens, qu’il dispose à l’amour, qu’il rend plus aimable, et donne de l’esprit […]. Mais l’esprit ne manque point en France […]. Qu’on nous donne seulement quelque plante qui ramène chez nous le bon sens »14. Ah, de cela, on manque toujours. Regardez donc dans quel état se trouve l’Occident ! Je n’imagine pas que le seul gingembre puisse résoudre l’épidémie de bêtise qui en fait vaciller les bases depuis plusieurs décennies. Tout au contraire, il aurait pour effet d’échauffer encore plus les esprits, déjà que !… Et puis, Roques avertissait : « Que les hommes irritables, bilieux, vifs, pétulants, enclins à la colère, se gardent d’en faire usage ! »15. Bon, changeons de sujet, je sens qu’on diverge grandement !…

Note : après qu’on ait pu vérifier que le Moyen âge s’en était donné à cœur joie question gingembre, nous pouvons avoir l’occasion de constater, à la lecture de la petite liste sélective qui suit, que les médecins, chimistes et autres apothicaires, furent, eux aussi, particulièrement prolixes et imaginatifs à travers l’élaboration de recettes dont beaucoup ne trouvèrent pas un très long écho dans les labyrinthiques corridors de l’histoire médicale. Sans entrer dans les détails de leur composition et des affections auxquelles elles pouvaient répondre, donnons-en simplement les noms dont l’énoncé peut nous faire plonger dans un monde inconnu depuis longtemps englouti : électuaire de satyrio, électuaire caryocostin, électuaire de citro, électuaire diacarthami, confection Hamech, diaphénic, bénédicte laxative, sirop de stoechas, trochisque d’agaric, pilules fétides. En guise de conclusion, affectons à cette liste de recettes qui contiennent toutes du gingembre, quatre autres fort célèbres et que l’histoire n’a pas jetées aux oubliettes : la thériaque, le mithridate, le diascordium de Fracastor et le baume de Fioravanti.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Le gingembre, qui se repique en avril et en mai, s’arrache après floraison, soit d’octobre à janvier, c’est-à-dire cinq à dix mois après plantation. On le gratte, on le lave, on l’expose au séchage en plein soleil pendant deux à trois jours. Parfois, on ébouillante les rhizomes, on les pèle puis on les fait sécher. D’autres méthodes permettent de conserver l’intégralité des vertus du gingembre frais (ou presque) : en les préparant au vinaigre (à la façon du gingembre confit qui accompagne les sashimi) ou à la saumure.
  • Usages condimentaires : fort en vogue chez les Hollandais, les Anglais, etc., soit auprès de toutes ces puissances économiques qui occupèrent plus ou moins longuement les zones géographiques d’origine du gingembre. La colonisation raconte l’histoire du gingembre : convoité par les Pays-bas et la Grande-Bretagne (compagnies orientales des Indes néerlandaises et britanniques), il se déplaça en Amérique à la faveur de la venue des colons sur ces territoires, s’installa à la Jamaïque, avant de rebrousser un peu chemin, en direction de l’Afrique de l’Ouest (Cameroun, Sierra Leone, etc.). Il participe donc aux cuisines d’exportation (Grande-Bretagne, États-Unis, Australie), chose particulièrement visible dans un grand nombre de boissons : c’était le cas en d’autres temps, ça l’est encore en ces nouvelles occasions de briller. Ainsi participe-t-il aux ginger wine, ginger champagne, ginger brandy, jamaïca ginger, ginger ale et, très connu, ginger beer dont Joseph Roques nous renseigne sur le mode de fabrication : « Prenez, sucre de première qualité, trois livres ; citrons bien frais , douze ; crème de tartre très pure, trois onces ; teinture de gingembre, deux onces ; eau filtrée, seize pintes. Enlevez l’écorce des citrons, de manière qu’il ne reste plus que les cellules dans lesquelles est renfermé le suc ; puis coupez-les par tranches très minces. Cassez le sucre par morceaux, et réduisez-le en pâte grossière, avec les tranches de citron et la crème de tartre pulvérisée finement ; versez enfin par-dessus l’eau filtrée chaude, et ajoutez le zeste de deux citrons pour aromatiser. Laissez macérer le tout pendant vingt-quatre heures, en agitant de temps en temps. Passez ensuite à travers un linge ou un tamis de crin à mailles serrées ; ajoutez la teinture de gingembre, et mettez la liqueur dans des bouteilles, ou mieux, dans des cruchons de grès, qui doivent être hermétiquement bouchés, solidement ficelés et descendus à la cave où vous les placerez droits et non couchés. Au bout de huit à dix jours la fermentation aura lieu, le ginger beer sera fait et parfait »16. Outre ces recettes liquides, le gingembre s’invite dans nombre de douceurs : puddings et entremets, marmelades et compotes, pâtisseries (à l’image des gingerbread, en forme de bonhomme souriants, ou autres pains d’épices). Cela ne saurait fait oublier la cuisine asiatique qui se sert du gingembre depuis bien plus longtemps que ça, bien entendu : de l’Inde au Japon, en passant par l’Indonésie et la Thaïlande, on ne compte plus les très nombreuses recettes dans lesquelles le gingembre participe plus ou moins activement (courts-bouillons, marinades, recettes à base de riz, de poisson, desserts, poudres d’épices : colombo, curry, quatre épices).
  • Le gingembre est contre-indiqué toutes les fois où l’on est confronté à un état inflammatoire (ulcère stomacal, inflammation intestinale), à une hypertension ou une tension trop marquée, etc.
  • Autres espèces : – le gingembre japonais ou myōga (Zingiber mioga) : on en consomme les boutons floraux et les jeunes pousses ; – le gingembre ruche (Zingiber spectabile), plante médicinale du Sud-Est asiatique ; – le gingembre coquille (Zingiber zerumbet) aux usages culinaires et thérapeutiques assez similaires à ceux du gingembre officinal ; – le gingembre bleu : c’est ainsi qu’on appelle le gingembre officinal que l’on cultive à Madagascar. A l’instar du camphrier qui n’y produit pas de camphre et qu’on a baptisé ravintsara pour l’occasion, le gingembre bleu est ainsi nommé en raison de l’aspect bleuté que prend son rhizome quand on le coupe. Il y a opportunité de confusion avec une autre plante chinoise, le Jiaogulan ou herbe de l’immortalité (Gynostemma pentaphyllum) qu’inexplicablement l’on appelle aussi gingembre bleu, de même que cette plante brésilienne qui n’a pourtant aucun rapport avec lui, le blue ginger (Dichorisandra thyrsiflora).

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  1. Dioscoride, Materia medica, II, 152.
  2. Ibidem.
  3. Émile Gilbert, La pharmacie à travers les siècles, p. 97.
  4. Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, p. 94.
  5. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 167.
  6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 29.
  7. Gésir : accoucher. Donc, cela implique de la faire tomber enceinte sans doute à l’aide de la mixture proposée.
  8. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 115.
  9. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 61.
  10. Le gingembre, à l’état sec, apparaît parfois dans des recettes d’encens à brûler, par exemple en mélange avec l’opoponax, le sang-dragon et la gomme arabique, formant un quadrige martien à même d’invoquer/convoquer les ascendances puissantes liées à la planète rouge.
  11. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 471.
  12. Ibidem.
  13. Ibidem, Tome 4, p. 67.
  14. Ibidem.
  15. Ibidem.
  16. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, pp. 263-264.

© Books of Dante – 2022

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