Son histoire, ses symbolismes
Le romarin est une plante typique du bassin méditerranéen depuis longtemps cultivée et utilisée. Ses champs d’application sont vastes : aromathérapie, phytothérapie, parfumerie, cuisine, magie, etc.
Bien que fort prisé des Anciens, le romarin n’a joué pour eux qu’un rôle médical mineur. Si on a retrouvé des rameaux de romarin dans des tombes remontant aux toutes premières dynasties égyptiennes, rien n’atteste qu’il avait une telle fonction. Peut-être avait-il en Égypte la même attribution qu’en Grèce antique et en Rome impériale. Des sources indiquent que Grecs et Romains employaient la plante comme médecine, mais rien n’est moins certain. Si Horace et Virgile avancent des vertus magiques du romarin, on peut douter du fait que les plantes décrites par Théophraste et Dioscoride soient réellement le romarin. Ils évoquent bien une plante soignant les affections du foie, comme sait le faire le romarin, mais on ne peut affirmer avec certitude qu’il s’agit bien de lui.
Il semblerait, plutôt, que le romarin ait eu une valeur symbolique très tôt dans l’Antiquité. « Plante aromatique devenue funéraire, son arôme passait pour conserver le corps du trépassé, et son feuillage toujours vert semblait un gage d’immortalité » (1). Associé à un certain nombre de rites funéraires, il permettait d’accompagner le défunt dans l’au-delà. Mais il avait aussi une utilité pour les vivants lors de ces rites, puisqu’on sait que les Romains portaient des couronnes de romarin (d’où son surnom d’herbe à la couronne, coronarius) pour, très certainement, les aider à garder la tête froide lors de tels événements. Symbole de mort, il est aussi symbole de vie et d’amour. Aussi l’employait-on couramment, toujours sous forme de couronne, lors des mariages. Du culte des morts on glisse vers l’idée du rajeunissement et de la résurrection. Nous verrons que certains emplois plus tardifs du romarin incarnent cette dimension. Mais le romarin, de plante cultuelle, est passé au stade médicinal puis condimentaire, à travers un processus de désacralisation, comme on en rencontre tant dès qu’on parle des plantes. « Mais cette injuste déchéance ne pouvait être elle-même que toute provisoire, puisque, après tout, les légendes concernant les plantes n’étaient qu’une manière d’en souligner les vertus. Nous pourrions dire aujourd’hui qu’elles étaient destinées à engendrer un conditionnement psychique préalable qui rendent plus efficaces encore leurs très réelles propriétés » (2).
C’est cela aussi la magie, qui autorise à ce qu’un remède marche plus ou moins bien, en fonction de l’attitude qu’on observe vis-à-vis de lui. Par exemple, il ne suffisait pas aux étudiants grecs de se tresser des couronnes de romarin pour que cela favorise immédiatement leur intellect (de même qu’on le ferait avec un diffuseur d’huiles essentielles aujourd’hui). Il faut retrouver le caractère sacré de la plante que des siècles et des siècles de dénégation et d’ignorance ont effacé. La distillation participe à cela, elle permet de séparer le subtil de l’épais et de retrouver « l’esprit de la plante ». C’est ce que tente Archigène au Ier siècle ap. J.C., en procédant par décoction. Plus tard, il est dit que ce sont les Arabes qui, les premiers, ont distillé le romarin. Si l’on est certain que cela s’est produit au XIV ème siècle, les sources sont discordantes quant à l’identité de ceux qui ont officié la manœuvre : s’agit-il des Arabes ou bien de Ramon Lull ou encore d’Arnaud de Villeneuve ? Quoi qu’il en soit, sera obtenue une huile essentielle tenue en très haute estime par les spagyristes et les apothicaires de la Renaissance, mais, avant d’y parvenir, mentionnons encore quelques anecdotes médiévales propres au romarin. En dehors de son aire géographique d’origine, le romarin est très cultivé dans les jardins médiévaux. En effet, il est mentionné dans le Capitulaire de Villis (le territoire de l’empire carolingien s’étendant bien au-delà du seul pourtour méditerranéen), mais aussi sur le plan de Saint-Gall, en Suisse ! Enfin, Hildegarde en parle un peu et le Grand Albert mentionne une recette à base de lavande, de menthe pouliot, de marjolaine et de romarin déjà présentée comme « eau de jouvence ».
Enfin, la Renaissance accueille le romarin. On lui fera beaucoup d’éloges du XVI ème au XVIII ème siècle. Présent dans l’opodeldoch de Paracelse, on le trouve aussi dans le vinaigre des quatre voleurs. Mais c’est surtout à travers la très célèbre eau de la reine de Hongrie que le romarin défraya la chronique au XVII ème siècle. Cette eau, en réalité un alcoolat, contenait des fleurs de romarin distillées et fermentées avec du miel et probablement de l’essence de térébenthine et de cèdre. La légende dit qu’elle fut offerte par un ermite à la reine de Hongrie en 1370. Cet élixir « passait pour avoir transformé une princesse septuagénaire, paralytique et goutteuse, en une séduisante jeune fille qui fut demandée en mariage par un roi de Pologne » (3). Si Valnet force un peu le roman avec de l’eau de rose, il n’en reste pas moins vrai que cet élixir eut le mérite de soigner cette reine des rhumatismes dont elle était affligée, et qu’il lui aurait apporté une seconde jeunesse dans son grand âge. Ce n’était peut-être pas une reine de Hongrie, peut-être que cela ne se déroulait pas au XIV ème siècle, cependant, au XVII ème siècle, cette eau est le nec plus ultra dont les grands de ce monde ne surent se passer. Louis XIV en fit l’usage pour, lui aussi, soulager ses rhumatismes, alors que Madame de Sévigné en faisait l’apologie à sa fille, Madame de Grignan. En 1678, Madame Fouquet reviendra sur le cas de la reine de Hongrie dans son Recueil des remèdes faciles et domestiques. Elle y écrit que cette reine se lavait le visage de cet élixir, ce qui aurait eu pour effet de la rendre plus belle…
Populaire, le romarin n’était pas réservé qu’à l’élite. Il fait partie de la pharmacopée traditionnelle de nombreux pays méridionaux. Mais il est vrai que si la sagesse populaire a parfois du bon, le romarin, cultivé, étudié et utilisé dans les monastères, sera peu à peu entré dans le domaine du religieux chrétien. En tant que simple, c’est particulièrement au Moyen-Âge qu’on lui a reconnu certaines de ses propriétés médicinales (faciliter la mémoire dont il est l’un des symboles, lutter contre les rhumatismes…). Autant de propriétés qui s’illustrent à travers d’innombrables préparations au cours des siècles (eau de Dardel, baume Nerval, baume tranquille, alcoolat vulnéraire du Codex, baume nervin, onguent de romarin…).
Du religieux, donc. Au XVI ème siècle, Jean Bauhin mentionne ce que l’on appelle les herbes de la madone, c’est-à-dire celles dédiées à la vierge Marie. Parmi elles, on trouve le romarin « qui doit sans doute son nom à une équivoque entre marinus et marianus, ou encore à une certaine analogie de son feuillage avec celui du genévrier qui servit à cacher la vierge fugitive » (4). Ah, ah ! Nous y voilà ! La mythologie chrétienne est aussi alambiquée, décousue et contradictoire que peuvent l’être les mythologies gréco-romaines. En latin, le nom scientifique du romarin est bien rosmarinus, non rosmarianus. Le romarin n’appartient donc pas à Marie, même si on en a fait son « arbre », mais davantage aux côtes marines (nous verrons que le légendaire chrétien à propos du romarin est tenace). Il a été dit que le mot rosmarinus se décompose comme suit : ros_marinus, ros pouvant signifier autant « rose » que « rosée », le romarin serait donc une « rose marine » ou une « rosée marine » (l’anglais rosemary et surtout l’allemand rosmarin ne font pas de doute à ce sujet). Pis, le romarin pourrait être la rose de Marie ! Mais Paul-Victor Fournier, homme d’église pourtant, nous dit que c’est du délire. Érudit, l’homme indique que ros est un vieux mot latin apparenté à rhus qui veut dire… buisson. Étymologiquement, le romarin n’est donc pas autre chose qu’un arbrisseau maritime. Ce qui est, du reste, une banale évidence.
Plus haut, nous avons indiqué – enfin pas moi, mais Angelo de Gubernatis – que le genévrier aurait caché la vierge Marie de la vue de ses poursuivants lors de la fuite en Égypte Dans d’autres textes, il s’agit de la sauge et d’un tas d’autres plantes. Elles n’y étaient sans doute pas toutes, mais cette exubérance met en évidence que des récits localisés rendent compte de la prégnance d’un végétal dans tel ou tel territoire. Ainsi, en Andalousie, où le romarin est très fréquent, c’est forcément lui qui a été désigné comme la plante ayant offert refuge à la vierge qui, « se reposant à côté d’un buisson de romarin, lors de la fuite en Égypte, y aurait étendu les langes de l’enfant Jésus ; depuis lors, les fleurs de cet arbrisseau ont la couleur du ciel [cf. la symbolique du bleu liée à la vierge] et s’épanouissent le jour de la Passion [ce qui est une imposture, puisque sous climat méditerranéen, le romarin fleurit toute l’année], de plus, le romarin ne dépasse jamais la taille qu’eut, au cours de son existence humaine, Jésus Christ » [autre imposture : ça peut concerner tout le monde ! Oo] (5). Je vous l’ai dit, le légendaire chrétien est tenace au sujet du romarin ; mais, désacralisé, on n’étend plus maintenant le linge sur des touffes de romarin pour les mêmes raisons que la vierge, mais simplement pour qu’il sente bon…
Le romarin en aromathérapie
Huile essentielle : description et composition
Extraite des sommités fleuries par distillation à la vapeur d’eau, l’huile essentielle de romarin officinal présente des spécificités selon les lieux de culture et/ou de récolte. Bien qu’il pousse sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, il offre des huiles essentielles qualitativement fort dissemblables par leur couleur, parfum, rendement, composition biochimique et destinations thérapeutiques, même s’il existe entre elles des points communs. D’où l’importance de lire les emballages.
- Les 3 chémotypes
-Romarin à camphre : France, Espagne, Portugal. Le camphre porte ce nom, et aussi parfois celui de bornéone, en relation avec un arbre, le camphrier, qui en contient.
-Romarin à cinéole : Tunisie, Maroc. Le cinéole, anciennement appelé eucalyptol, renvoie aux eucalyptus australiens parmi lesquels on trouve du cinéole.
-Romarin à verbénone : Corse. Le verbénone est une molécule qu’on ne semble connaître en France qu’associée au romarin. Si elle porte ce nom, c’est parce que c’est le constituant majoritaire d’une plante de la famille des verveines, la verveine espagnole (verbénone découle du mot latin désignant la verveine, verbena).
- Les compositions biochimiques
Bien entendu, ces différents portraits biochimiques influent sur les propriétés thérapeutiques. Par exemple, le romarin à cinéole est le plus anti-infectieux des trois, alors que le romarin à camphre est à peu près dénué de pouvoir antibactérien.
- Autres caractéristiques
Le romarin à camphre sent… le camphre, ça ne s’invente pas, tandis que le romarin à verbénone possède une odeur plus douce, un peu florale. Bien sûr, le romarin à cinéole rappelle l’eucalyptus ainsi que d’autres huiles essentielles riches de cette molécule (saro, ravintsara, niaouli, cajeput, etc.).
Les couleurs de ces huiles essentielles passent du jaune pâle à l’incolore. Le rendement est aussi variable que peuvent l’être les précédentes caractéristiques. S’il tourne assez souvent autour de 1,5-2 %, il peut parfois s’avérer bien inférieur selon le chémotype (0,2 % pour certains romarins corses).
Propriétés thérapeutiques
- Romarin à camphre
-Neurotrope, musculotrope, décontractante et relaxante neuromusculaire
-Cardiotonique, tonique circulatoire, décongestionnante veineuse, hypotensive
-Anticatarrhale, expectorante, mucolytique
-Antalgique, anti-inflammatoire
-Régulatrice hépatique, cholérétique, cholagogue
-Diurétique, urolytique
-Lipolytique
-Emménagogue non hormonale
- Romarin à cinéole
-Anti-infectieuse (antibactérienne, antivirale, fongistatique), antiseptique atmosphérique
-Expectorante, mucolytique, anticatarrhale
-Tonique cérébrale, circulatoire, musculaire
-Antalgique
-Digestive
- Romarin à verbénone
-Régulatrice hépatique, régénératrice hépatocytaire, drainante et décongestionnante hépatique, détoxicante hépatique, cholérétique, cholagogue
-Expectorant, mucolytique, anticatarrhale, antispasmodique bronchique
-Anti-infectieuse (antibactérienne, antivirale), immunostimulante
-Régulatrice cardiaque
-Équilibrante physique et nerveuse, régulatrice nerveuse, neurotrope, antidépressive
-Équilibrante endocrinienne (hypophyso-ovarienne, hypophyso-testiculaire)
-Diurétique
-Régénératrice cutanée, cicatrisante
Usages thérapeutiques
- Romarin à camphre
-Troubles locomoteurs : douleurs musculaires et articulaires, crampes et contractures musculaires, arthrose, rhumatismes, entorse, tendinite, myalgie
-Troubles cardiovasculaires : faiblesse cardiaque, hypertension cérébrale
-Troubles circulatoires : varice, phlébite, syndrome de Raynaud
-Troubles hépatiques : cirrhose, hépatite
-Troubles génitaux : oligoménorrhée, aménorrhée ; retard ou absence des règles
-Hypercholestérolémie, surcharge pondérale, adiposités
-Crise de goutte
-Douleurs dentaires
-Acouphènes
- Romarin à cinéole
-Troubles de la sphère respiratoire + ORL : bronchite, encombrement bronchique, toux quinteuse, refroidissement, rhume, sinusite, otite
-Troubles cutanés d’origine infectieuse : acné, herpès labial, candidose
-Céphalées, algies rhumatismales et sportives
-Entérocolite fermentaire
-Cystite
-Chute de cheveux
- Romarin à verbénone
-Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, hépatite virale, cirrhose, congestion hépatique
-Troubles de la sphère respiratoire + ORL : congestion pulmonaire, encombrement bronchique, bronchite, toux quinteuse, asthme, sinusite, otite
-Troubles cardiaques : arythmie, tachycardie, hypotension, palpitations, extrasystole
-Troubles de la sphère gastro-intestinale : gastro-entérite virale, entérocolite virale, entérocolite colibacillaire, spasmes digestifs
-Troubles génitaux : leucorrhée, vaginite, fatigue sexuelle
-Troubles cutanés : peau sèche et parcheminée, couperose, acné, séborrhée, rides
-Fatigue, asthénie nerveuse et mentale, déprime, dépression, angoisse, troubles de l’humeur, plexus noués
-Diabète
-Cholestérol sanguin en excès
-Chute de cheveux, pellicules
Modes d’emploi
-Diffusion atmosphérique
-Inhalation, olfaction
-Voie cutanée
-Voie orale sous réserve (certains aromathérapeutes s’interdisent l’emploi oral de ces trois huiles essentielles)
Contre-indications et précautions
Si l’on dit souvent que l’huile essentielle de romarin à cinéole est la moins à même de poser problème, cela ne signifie pas pour autant qu’elle est exempte de toxicité contrairement aux deux autres, camphre et verbénone étant des cétones monoterpénique, classe moléculaire dont nous avons déjà souligné les conditions d’emploi dans un article précédent. Or, des cétones, ces trois huiles en contiennent. Si elles sont présentes à hauteur de 20 à 25 % dans les huiles à camphre et à verbénone, on en trouve environ 10 % dans celle à cinéole. La toxicité des cétones est multifactorielle : « le type de cétones, sa concentration dans l’huile essentielle, la dose unitaire et journalière, la voie d’administration et bien sûr le patient » (6). Sachons que le camphre est neurotoxique, hépatotoxique et potentiellement abortif et que le verbénone est neurotoxique. On fera donc un usage mesuré des huiles essentielles de romarin à camphre et à verbénone dans les circonstances suivantes :
– Chez la femme enceinte (le camphre passe la barrière placentaire et accède donc à la circulation sanguine fœtale)
– Chez la femme qui allaite
– Chez le nourrisson
– Chez les personnes présentant des troubles neurologiques (convulsions, épilepsie)
– Chez les personnes allergique (un usage cutané peut provoquer rougeurs et boursouflures)
Cela veut-il dire que l’huile essentielle à cinéole peut être employée là où on interdirait les deux autres ? Certes non : pas chez la femme enceinte ou qui allaite, pas chez le nourrisson, pas chez l’enfant de moins de 7 ans, pas en cas d’hypertension.
Selon le niveau de toxicité, on peut classer ces trois huiles, de la moins toxique à la plus toxique, ainsi : romarin à cinéole, romarin à verbénone, romarin à camphre.
Enfin, il est bon de savoir que ces huiles essentielles utilisées à trop hautes doses, même par voie cutanée, peuvent induire gastro-entérite et néphrite. C’est également vrai du romarin qu’emploie la phytothérapie.
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 315
- Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 280
- Jean Valnet, L’aromathérapie, se soigner par les huiles essentielles, p. 325
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 217
- Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 279
- Dominique Baudoux & Elske Miles, Les cahiers pratiques d’aromathérapie selon l’école française, Tome 6, p. 64
© Books of Dante – 2015
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